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Session ordinaire de 2001-2002 - 31ème jour de séance, 74ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 21 NOVEMBRE 2001

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

      DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
      SUR LA SITUATION EN AFGHANISTAN 2

      PUBLICATION DU RAPPORT
      D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 26

      LOI DE FINANCEMENT
      DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2002
      (nouvelle lecture) 27

      EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 34

      SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 38

La séance est ouverte à quinze heures.

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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LA SITUATION EN AFGHANISTAN

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan et le débat sur cette déclaration.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Depuis les événements tragiques du 11 septembre, et après le débat que j'avais introduit ici même le 3 octobre, le Gouvernement a veillé à maintenir avec la représentation nationale des rendez-vous réguliers, au travers des questions d'actualité, de l'audition des ministres par les commissions spécialisées ou des réunions à Matignon avec les présidents de groupe et de commissions.

Vendredi dernier, le Président de la République s'est adressé aux Français.

Je vous ai proposé aujourd'hui un second débat, afin que nous tirions ensemble les conséquences de l'évolution de la situation en Afghanistan.

En effet, un basculement s'est opéré au plan militaire, qui souligne l'urgence d'une solution politique, ouvre la voie à l'aide humanitaire, pose en des termes nouveaux notre engagement dans la lutte directe contre le terrorisme et permet d'amorcer des réflexions pour l'avenir.

Ce basculement militaire a conduit au renversement du régime des talibans (Applaudissements sur divers bancs).

La coalition constituée autour des Etats-Unis pour éradiquer le terrorisme avait adopté deux objectifs : renverser le régime taliban en Afghanistan et éliminer les réseaux terroristes d'Al-Qaïda qui soutenaient le régime de Kaboul et bénéficiaient de sa protection.

Le premier de ces objectifs est atteint.

Les Américains ont conduit seuls les premières actions aériennes offensives, en réponse à l'agression qu'ils avaient subie, et dans le cadre de l'exercice de la légitime défense reconnue par la résolution 1368 des Nations unies. Le succès obtenu est le fruit de leur détermination : l'appui de leur aviation et de leurs forces aéronavales a permis à l'opposition afghane de reconquérir la majeure partie du territoire.

La France a apporté son concours à cette action, à la demande de son allié américain, en particulier dans le domaine du renseignement.

Il reste bien sûr aujourd'hui à réduire la menace taliban. A Kunduz, au nord, subsiste une poche de résistance taliban et de combattants étrangers. L'objectif est d'obtenir, par les armes et sans doute la négociation, une reddition qui épargne des vies humaines sans que les combattants d'Al-Qaïda puissent se disperser dans l'impunité.

A Kandahar, au sud, il faut obtenir, dans une zone plus vaste, un arrêt des combats permettant aux populations pachtounes de cette région de retrouver la paix et éviter la constitution d'une zone de repli pour les talibans.

Le second objectif - détruire Al-Qaïda - est en cours, avec la poursuite des frappes sur les cibles liées au terrorisme, la destruction des réseaux et la recherche des responsables.

Tout semble montrer que c'est devenu la première priorité des Américains. L'ensemble de leur dispositif militaire est orienté en fonction de cet objectif.

La reconquête d'une grande partie du territoire afghan rend plus nécessaire une solution politique.

L'effondrement du pouvoir taliban est une délivrance pour le peuple afghan. A Kaboul, le Ramadan a commencé dans l'espoir. Les femmes afghanes retrouvent leurs droits. Je souhaite qu'elles accèdent à un rôle grandissant dans la société afghane et contribuent à enrichir et moderniser la vie publique de leur pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Mais cette délivrance ne sera une libération pour les Afghans que si tous ont la certitude du retour à la paix civile et la garantie du respect de leurs droits par un gouvernement représentatif. La France appelle les dirigeants afghans, qui ont uni leurs forces contre les talibans, à faire preuve de retenue dans la reconquête, en respectant le droit humanitaire, et de responsabilité dans la prise du pouvoir, en reconstruisant la concorde nationale par le dialogue.

Cet objectif ne sera pas atteint sans difficultés. Nous connaissons la complexité de la société afghane, ses divisions internes, ses luttes de pouvoir, le poids de ses structures traditionnelles. Bien sûr, il est essentiel pour nous, comme pour toute la communauté internationale que Al-Qaïda soit brisée, le régime des talibans abattu, que la menace que faisait peser sur le monde l'existence d'un « sanctuaire terroriste » afghan disparaisse.

Mais nous ne devons pas pour autant nous désintéresser du sort des Afghans. Dès le 1er octobre, mon gouvernement, par la voix du ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, a présenté un plan pour l'Afghanistan à la fois humanitaire, politique et de reconstruction, qui a contribué à la mobilisation internationale sur ces sujets et à la définition des orientations de travail au sein de l'ONU.

Les Nations unies, en adoptant la résolution 1378, ont défini le cadre dans lequel doit s'inscrire l'avenir de l'Afghanistan : un gouvernement pluriethnique, pleinement représentatif, respectueux des droits de tous les Afghans sans distinction, assumant ses obligations internationales et respectant le droit international humanitaire.

La France soutient depuis le début les efforts de Lakhdar Brahimi, représentant spécial du secrétaire général de Nations unies, pour mettre sur pied dans les meilleurs délais une autorité représentative de toutes les composantes de la nation afghane. Une première conférence doit se tenir à Berlin dans les prochains jours. L'objectif est de mettre en place une autorité de transition. L'Europe a tenu à marquer par la voix de ses ministres des affaires étrangères, que si l'aide humanitaire doit être massive, immédiate et sans condition, l'aide à la reconstruction de l'Afghanistan implique un comportement raisonnable des acteurs locaux.

Notre diplomatie agit en ce domaine au sein des groupes de consultation qui réunissent les puissances intéressées, notamment les Etats-Unis, la Russie, divers pays européens et l'ensemble des pays limitrophes de l'Afghanistan. La France prendra toute sa part dans l'organisation et la mise en _uvre de la reconstruction. Dès demain, notre chargé d'affaires pour l'Afghanistan rejoindra notre ambassade à Kaboul (Mouvements d'approbation sur divers bancs).

La voie doit pouvoir s'ouvrir à une aide humanitaire massive.

La résolution 1378 demande à toutes les nations d'apporter une aide d'urgence pour soulager les souffrances de la population afghane. Cela sera facilité par la libération d'une grande partie de l'Afghanistan et la réouverture progressive des couloirs aériens et des axes de communication terrestre, encore dangereux comme en témoigne la mort de sept journalistes, à qui je rends ici hommage.

La France a décidé de s'investir largement. C'est dans ce but qu'elle doit participer sur le terrain à la sécurisation et à la réouverture des infrastructures de transit routier et aéroportuaire, à Mazar-e-Charif, aux côtés des Américains et des Jordaniens. Le déploiement de nos unités au sol nous permettra de contribuer au pont aérien nécessaire à l'acheminement de l'aide. La mise en _uvre de ce déploiement se heurte encore aujourd'hui à des obstacles : les acteurs locaux et régionaux s'inquiètent de l'arrivée de contingents militaires terrestres, fussent-ils à vocation humanitaire. Nous travaillons avec nos amis américains à rendre possible l'installation effective de nos marsouins à Mazar-e-Charif.

La semaine dernière, une mission d'évaluation, composée de représentants des ministères des affaires étrangères et de la santé, s'est rendue sur le terrain. Un DC-8 porteur de fret humanitaire est parvenu à Termez.

Le ministre de la coopération, Charles Josselin, part aujourd'hui pour l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Face aux autorités régionales et aux acteurs de terrain, dont vous devez apprécier avec réalisme les attitudes, qu'il faut à la fois décrire, comprendre et surtout éviter de stigmatiser publiquement si nous voulons avancer vers une solution politique, et en tout cas pouvoir apporter une aide humanitaire, notre message sera : « Nous sommes prêts à faire beaucoup, si les Afghans le veulent ».

Au fur et à mesure que les conditions le permettront, la France continuera, en liaison avec les ONG, dont certaines ont pu entrer à nouveau en Afghanistan, à contribuer à cette tâche humanitaire.

Le ministère des affaires étrangères travaille, avec tous les ministères concernés, dans toutes les directions utiles : remettre en service l'hôpital de Kaboul, rassembler des moyens pour relancer l'éducation, réfléchir à la réouverture de l'école française et préparer nos contributions à la reconstruction.

Mais la lutte armée contre le terrorisme n'est pas achevée.

Le principal objectif de la coalition, l'élimination complète d'Al-Qaïda et la mise hors d'état de nuire de ses dirigeants, n'est pas encore atteint. Des combats se poursuivent en Afghanistan autour des poches de résistance des talibans. Les unes se situent dans la zone investie par l'Alliance du nord. Les autres, au sud, malgré le ralliement de nombreux chefs locaux de la zone pachtoune, peuvent constituer un bastion de résistance durable, où les talibans les plus irréductibles et les miliciens d'Al-Qaïda se sont regroupés. La poursuite d'une action militaire ciblée, procédant toujours des résolutions du Conseil de sécurité ayant reconnu à la communauté internationale le droit à agir en légitime défense, s'impose donc.

Sur le plan militaire, une nouvelle phase commence où les Américains requièrent plus largement la participation concrète d'autres pays. Jusqu'ici, la stratégie choisie d'actions aériennes massives impliquait l'utilisation, soit de bombardiers basés à terre à très long rayon d'action - B52 et B1 venant de Diego Garcia, B2 venant des Etats-Unis et opérant sans escale -, soit d'aviation embarquée capable d'atteindre l'Afghanistan à partir de la mer d'Arabie.

Aujourd'hui, la lutte contre Al-Qaïda et les talibans qui résistent encore va justifier la mise en _uvre de moyens nouveaux, à laquelle travaille notre ministre de la défense, Alain Richard. La zone concernée en Afghanistan est désormais réduite à 20 % du pays environ.

Dans ce contexte, le Président de la République a annoncé vendredi dernier la décision de déployer des avions de combat français dans la zone des opérations. Les conditions techniques du déploiement de ces moyens en Asie centrale font aujourd'hui l'objet de négociations, notamment avec les autorités kirghizes et tadjiks.

Le soutien aux forces alliées à terre peut être également assuré par l'aviation embarquée française. Cette mission et la problématique de la surveillance maritime dans l'océan Indien donnent une utilité au déploiement du groupe aéronaval, autour du Charles-de-Gaulle, disponible au début du mois de décembre (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La flexibilité d'emploi du groupe aéronaval lui donne la capacité de remplir une large gamme de missions. Avec l'évolution du conflit, ces missions vont prendre dans les prochaines semaines une importance accrue, notamment pour éviter une exfiltration de dirigeants terroristes par voie de mer. Une participation à ce groupe a été proposée à nos partenaires de l'Union européenne pour donner à ce déploiement une dimension européenne bienvenue et les premières réponses nous parviennent (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Il a été décidé ce matin, en conseil restreint, avec le Président de la République, de prévoir à la mi-décembre, dans le nord de l'océan Indien, le déploiement du Charles-de-Gaulle et de son escorte.

Les conditions politiques mises à notre engagement restent les mêmes. Pour les actions qui seraient menées à leurs côtés, les Américains nous ont donné accès à la planification des opérations et à l'élaboration des missions. C'est un point acquis.

Si la lutte contre le terrorisme se poursuit en Afghanistan, nous n'en devons pas moins maintenir notre effort national de protection.

La lutte contre le terrorisme nous a conduits à remodeler et à consolider notre organisation nationale pour la protection du territoire et de la population. Cette action résolue justifie pleinement le maintien des précautions actuelles.

S'agissant de l'organisation de notre sécurité intérieure face au terrorisme, il convient de pérenniser les plans d'urgence, de vérifier leur validité et leur bon fonctionnement, d'améliorer encore la coordination générale des actions de l'Etat.

Le Gouvernement veille particulièrement à l'efficacité, et donc à la coordination de nos services de renseignement. Je réunirai très prochainement, dans cette perspective, le comité interministériel du renseignement. Par ailleurs, nous préparons la montée en puissance des réserves militaires, opérationnelle et citoyenne. J'ai annoncé cette initiative samedi dernier, avec le ministre de la défense et le secrétaire d'Etat à la défense, lors de la journée des réserves.

Cette protection nationale reste indissociable des efforts de coordination internationale qui se développent pour lutter contre le terrorisme. En matière de lutte contre le financement du terrorisme, en matière de coopération policière et judiciaire, la France a, dans toutes les enceintes compétentes, proposé de nouveaux dispositifs de prévention et de répression. Nous n'avons négligé aucune des pistes que j'avais évoquées devant vous lors de notre précédent débat.

A cet égard, je relève avec satisfaction divers progrès récents auxquels a contribué Laurent Fabius, notre ministre de l'économie et des finances (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le GAFI a étendu ses compétences au financement du terrorisme. Le mandat du FMI a été élargi à la surveillance de « l'utilisation abusive du système financier ». Dans le cadre du G 20, l'engagement a été pris à Ottawa, par tous les Etats participants, de transposer en droit interne tous les accords internationaux de lutte contre le financement du terrorisme et de créer dans chaque pays un instrument de coordination interne. Des idées que la France avançait et qu'elle avait du mal à faire passer font maintenant une percée dans les instances internationales.

Mais nous devons aussi tirer les premières leçons du conflit engagé depuis le 11 septembre. Comment un pays tel que l'Afghanistan est-il devenu le sanctuaire du terrorisme ? Grâce à un pacte entre Al-Qaïda, organisation criminelle, et les talibans, régime illégitime, non reconnu par la communauté internationale.

Les terroristes apportaient leur capacité de combat, leurs réseaux de financement, d'armement, de trafic, leurs méthodes d'endoctrinement : tout cela aidait les talibans à garder le contrôle du pays. En retour, le régime taliban accueillait et protégeait les réseaux et les bases du terrorisme. Pourquoi un tel pacte était-il possible ? Parce que les talibans n'étaient pas les représentants légitimes d'un Etat nation se conformant aux règles de droit régissant la communauté internationale, mais un pouvoir niant totalement ces règles. Et parce que ce pacte était fondé sur un fanatisme religieux, qui inspirait, à l'intérieur, la barbarie et l'oppression, et à l'extérieur, l'usage de la violence terroriste.

M. Patrice Carvalho - Tout cela, financé par les Américains !

M. le Premier ministre - Cette déviation historique est apparue à une période charnière de l'histoire contemporaine. D'un côté, elle semblait être un dernier avatar de la guerre froide, le fondamentalisme afghan ayant servi à faire barrière à l'Union Soviétique.

En même temps, elle annonçait les nouveaux périls d'une période dans laquelle, soulagée de la tension entre les blocs, la communauté internationale sous-estimait le risque de voir les pays pauvres, dépourvus de structures étatiques responsables, devenir la proie et le champ d'action d'organisations criminelles.

Or, celles-ci se sont révélées capables de défier la sécurité mondiale.

Cette déviation ne doit plus se reproduire. La communauté internationale doit s'efforcer de ne plus laisser aucun peuple dans une situation de non-droit ou de non-assistance telle qu'il soit exposé à devenir l'otage de groupes uniquement tournés vers la violence destructrice, dans leur pays comme à l'extérieur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Nous devons penser aussi à tout ce qui a alimenté ce système. Non seulement les réseaux de financement proprement dits, qui nécessitent de nouveaux instruments de répression. Mais aussi les trafics d'armes, le narco-trafic, la contrebande, le détournement de matériaux chimiques, biologiques ou nucléaires. Le droit international doit prévaloir.

L'Afghanistan nous rappelle aussi l'importance des équilibres régionaux. La coalition a besoin, pour agir militairement, du soutien des pays limitrophes. Il en sera de même pour rechercher la solution politique. La stabilité de la région entière est cruciale. C'est la politique de la France d'encourager les coopérations régionales, source de progrès et de stabilité.

L'événement souligne aussi l'importance des solidarités culturelles et émotionnelles qui se fondent sur des sentiments d'appartenance dépassant les frontières.

Le terrorisme est l'ennemi de l'humanité ; mais, pour que la communauté internationale reste unie dans ce combat, aucun de ses ensembles ou de ses groupes ne doit se sentir rejeté ou méprisé en raison de ce qui fonde, à ses propres yeux, son identité.

C'est ce langage de respect et de reconnaissance mutuelle des peuples, des religions et des cultures que tient constamment notre pays.

Nous ne pourrons être durablement soutenus par tous dans la lutte contre le terrorisme, si nous paraissons tolérer des conflits, des injustices et des frustrations, sources de violence.

A cet égard, le retour au dialogue entre Israéliens et Palestiniens est essentiel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF). Les événements du 11 septembre sont une raison de plus de faire la paix au Proche-Orient. La France a demandé, dès 1982, la création d'un Etat palestinien. C'est la position des Européens depuis 1999, et maintenant celle du Président Bush. Pour ouvrir une perspective de paix, il faut recréer la confiance et redonner toute leur force aux principes d'une solution juste et durable. C'est le sens des efforts de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RCV).

Dans le monde actuel, les diverses formes de violence, le non-respect des droits de l'homme, les atteintes à l'environnement, l'aggravation des inégalités se conjuguent et se renforcent les uns les autres. Ce constat nous conduit à insister sur l'importance de la démarche multilatérale : à Marrakech, pour donner au protocole de Kyoto ses chances d'être mis en _uvre ; à Doha, avec le lancement d'un nouveau cycle sur des bases qui préservent les points essentiels pour nous ; à l'ONU, en réaffirmant que cette organisation devait jouer un rôle dans la crise afghane.

Il faut espérer que les Américains, qui ont fait l'expérience tragique de leur vulnérabilité et ont reçu le témoignage réconfortant de la solidarité internationale, souhaitent partager cette approche. Ils ont éprouvé l'utilité d'une coalition, ils devraient comprendre l'intérêt d'une démarche multilatérale pour traiter les problèmes communs de l'humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste).

L'Europe, quant à elle, s'affirme comme un acteur, un organisateur de la multipolarité. Je veux croire que la recomposition des relations internationales entraînée par le 11 septembre favorisera une prise de conscience nouvelle chez ses partenaires. Il est souhaitable que la coalition contre le terrorisme se prolonge dans une coalition pour un monde plus juste, donnant à chacun sa place dans la communauté internationale. C'est à cela que travaille le Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, sur plusieurs bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF).

M. Alain Madelin - Merci Monsieur le Premier ministre, pour ce nouveau rendez-vous devant l'Assemblée nationale .

M. Jacques Myard - Il est bien tard !

M. Alain Madelin - Le contexte est tout autre qu'au 3 octobre : aujourd'hui, Kaboul est libérée, les talibans ont été chassés, la musique emplit les rues, les enfants retrouvent le sourire, les hommes leur identité, les femmes leur visage et leur dignité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL ; murmures ironiques sur les bancs du groupe communiste)

Comme vous l'avez dit, Monsieur le Premier ministre, « le régime qui soutenait les terroristes a été défait ». Je suis le premier à m'en réjouir. J'ai eu pendant longtemps le sentiment d'être bien seul à dénoncer l'aveuglement des démocraties face à l'oppression du peuple afghan par le régime criminel des talibans, face à la cruauté du sort réservé aux femmes, face au risque de contagion intégriste dans toute une région, face à l'installation des camps du terrorisme international dans un territoire transformé en plate-forme du trafic de la drogue.

En 1981 j'étais aux côtés de la résistance afghane qui s'organisait contre l'occupation soviétique (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste) ; en 1999 j'étais aux côtés du commandant Massoud dans la vallée du Panchir (Applaudissements sur les bancs du groupe DL ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste) pour soutenir sa lutte contre les talibans et j'ai essayé, de toutes mes forces, de relayer, en France et en Europe, ses appels à l'aide et ses mises en garde contre les dangers qui nous menaçaient tous. Or, pas plus que nous n'avions voulu voir en face le Cambodge des Khmers rouges, nous n'avons voulu regarder en face l'Afghanistan des talibans. Ce sont les images terribles du 11 septembre qui nous ont sortis de notre indifférence. Oui, j'aurais préféré que la France, au lieu d'accompagner d'obscures livraisons d'armes à l'Angola pour conduire toute une région à la guerre civile, apporte son soutien au commandant Massoud (Applaudissements sur les bancs du groupe DL). Et je m'interroge sur l'origine des missiles français Milan trouvés dans les arsenaux désertés des talibans à Kaboul.

Mais j'ai apprécié que notre ministre des affaires étrangères ait reçu le commandant Massoud, même si j'ai regretté que le communiqué du quai d'Orsay ait minimisé l'importance de cette rencontre, la rapprochant de celle qui avait eu lieu précédemment avec les représentants des talibans.

Oui, Monsieur le Premier ministre, j'aurais aimé que vous receviez, vous aussi, le commandant Massoud (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) - comme j'aurais aimé que les portes de l'Elysée ne restent pas closes devant l'homme qui s'était battu pour la liberté de son peuple, pour notre liberté aussi et qui l'a payé de sa vie.

Dès le 11 septembre, la France a été solidaire du peuple américain, solidaire de sa riposte. C'était l'honneur de notre pays.

Mais, en revanche, nous avons longtemps hésité à fixer clairement nos objectifs en Afghanistan. Nous aurions dû être les premiers à dire que nous poursuivions trois objectifs : éradiquer les bases du terrorisme, punir Ben Laden et mettre à bas le régime des talibans.

Les talibans, vous en avez parlé beaucoup aujourd'hui, Monsieur le Premier ministre. Mais j'ai relu les débats du 3 octobre - un débat qui, comme celui d'aujourd'hui, aurait mérité d'être suivi d'un vote ; beaucoup d'entre nous l'ont demandé, mais vous avez préféré esquiver, parce que votre alliance plurielle aurait eu du mal à y résister (Applaudissements sur les bancs du groupe DL ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Plusieurs députés socialistes - Et la droite alors ?

M. Alain Madelin - Cela explique d'ailleurs en partie les ambiguïtés de la position de la France.

Au cours du débat du 3 octobre, donc, à aucun moment, Monsieur le Premier ministre, vous n'avez parlé de débarrasser l'Afghanistan du régime des talibans, vous n'avez même pas prononcé le mot « talibans » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL)

Il est vrai qu'il fut alors peu prononcé dans cette assemblée, sauf par mon ami Jean-François Mattei (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui a regretté que les démocraties aient laissé le commandant Massoud se battre seul contre les talibans, et par le président du groupe socialiste, qui a dénoncé le régime des talibans comme « complice et comptable de cette tragédie » (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

C'était l'époque où la France usait de périphrases pour ne pas mettre en cause le régime des talibans et expliquait que la riposte était dirigée « contre le réseau Ben Laden et les infrastructures des talibans ». Les infrastructures !

Il était pourtant évident que l'efficacité et la justification morale de notre intervention en Afghanistan exigeaient la chute du régime et le démantèlement des réseaux Ben Laden.

Pour ma part, j'ai toujours dit que cette intervention ne nécessitait pas l'envoi massif de troupes américaines ou européennes au sol, et ne comportait pas le risque si souvent brandi d'un nouveau Vietnam, que ce serait une affaire de quelques jours dès lors qu'appuyées par quelques commandos et quelques bombardements, les forces de la résistance recevraient le matériel nécessaire pour libérer elles-mêmes leur pays. Vous avez sans doute surestimé la force des talibans - 40 000 hommes qui opprimaient 17 millions d'Afghans - et sous-estimé l'énergie de la résistance afghane. Enfin, l'essentiel est là. Aujourd'hui, Kaboul est libéré et tout le monde s'en réjouit.

Néanmoins, dans cette réjouissance, il y a comme un léger malaise. On dirait que cette victoire, vous ne l'aviez pas prévue, pas voulue (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), en tout cas pas sous cette forme-là !

Et ce « vous », Monsieur le Premier ministre, est un « vous » de cohabitation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

C'est vrai que le Président de la République, informé le 13 novembre dernier, à Abu Dabi, que « Kaboul venait de tomber », au lieu de manifester de la joie, a répondu « qu'il était probablement difficile d'empêcher les forces de l'Alliance du nord d'entrer à Kaboul ». Comme si ce n'était pas là une très bonne nouvelle ! (Exclamations et interruptions sur divers bancs)

Il est vrai que c'était là contrarier le plan d'action présenté par la France dès le 1er octobre, dont j'ai déjà dit qu'il n'était pas à l'honneur de notre pays. Ce plan certes appelait à la réunion des diverses composantes de l'Afghanistan. Mais s'il mentionnait l'ex-roi, les pays voisins, les autres pays intéressés, l'ONU, l'Union européenne, il oubliait, excusez du peu, toute référence aux forces unies qui résistaient depuis si longtemps au régime taliban, ces forces qui finalement allaient libérer leur pays, nous dispensant d'une coûteuse intervention au sol.

Ce plan français était à l'exemple de celui qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, entendait reconstruire la France sans parler du général de Gaulle et de la Résistance.

Bernard Kouchner, il y a quelques jours sur RTL, déplorait d'ailleurs que la France n'ait pas joué un rôle plus important dans un pays où plus de mille volontaires s'étaient rendus pendant la guerre.

Oui, il y a comme un léger malaise et on a le sentiment qu'en envoyant des soldats sur le terrain, la France vole au secours de la victoire.

Certes nos forces d'élite peuvent mener des opérations de commandos ou traquer Ben Laden.

Certes nous pouvons aussi contribuer à sécuriser l'action humanitaire. Mais évitons toute confusion du militaire et de l'humanitaire, au risque de compliquer l'action de ces organisations humanitaires partout dans le monde. Nous devons prendre garde aussi à ce que notre présence aux côtés des forces afghanes qui ont fait tomber le régime taliban soit utile, souhaitée et acceptable. Une présence autant que nécessaire, mais pas plus que nécessaire.

Si nous donnions le sentiment qu'en volant au secours de la victoire du Front uni, nous venions leur voler une part de leur victoire, ce serait un mauvais calcul. Car c'est aux Afghans seuls, aux Afghans tous ensemble qu'il appartient de construire leur avenir.

A cet égard, je me réjouis de la prochaine réunion de Berlin. Mais après Berlin, c'est à Kaboul que devra se mettre en place l'autorité de transition représentative du peuple afghan et c'est bien que la France envoie dès maintenant son représentant à Kaboul.

Permettez-moi de citer le commandant Massoud (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). « Nous voulons, disait-il, que notre pays appartienne à ses citoyens. Nous voulons une république islamique tolérante, qui respecte les droits et les libertés de l'homme... parce que c'est une absurdité de dire que l'Islam est en contradiction avec la démocratie... ».

Cet homme-là, pour le monde tout entier et pour le monde musulman, reste un héros.

Oui, Monsieur le Premier ministre, une aide d'urgence s'impose, une aide massive et sans condition, comme vous l'avez dit.

Il nous faut aussi poursuivre la lutte contre le terrorisme et nous savons que ce sera une tâche longue et difficile. Mais il nous faut aussi, comme vous l'avez souligné, repenser toute notre politique étrangère.

Nous avons à faire face à une nouvelle guerre, il nous faut maintenant préparer une nouvelle paix. A la très large coalition internationale contre le terrorisme, il va nous falloir ajouter la coalition forte de toutes les démocraties pour préserver la paix et les valeurs humaines universelles.

Quelle serait la légitimité de notre action en Afghanistan, de notre riposte à la tragédie du 11 septembre, si nous devions oublier demain les valeurs qui les légitiment quand il s'agit d'autres peuples, d'autres victimes.

Car ce qui vient de se passer est très important et marque une rupture. Nous venons, nous les Français, nous les Européens, nous la Communauté internationale de légitimer, enfin, la chute d'un régime dont nous n'acceptons plus ni la tyrannie ni le sort qu'il réserve aux femmes. Comment pourrions-nous demain fermer les yeux sur des régimes qui n'ont rien à envier à celui des talibans ?

Je pense au Soudan, le pays des enfants esclaves, autre dictature islamiste, autrefois pays d'accueil de Ben Laden, fabricant d'armes chimiques, zone d'extermination et de famine organisées, terre du génocide de plus de deux millions de victimes, tout cela dans l'indifférence internationale !... Loin des télés, loin du c_ur !

Oui donc à une nouvelle Alliance pour la paix et la démocratie, mais il faut aussi qu'elle s'attaque aux causes du sous-développement et de la misère, pour aider les hommes et les femmes à se libérer. Le combat pour la paix, le combat pour les droits de l'homme et pour la libération de tous et le combat contre la misère et l'oppression forment un tout : tel est le message que la France doit faire entendre dans le monde, conformément au pacte vingt fois séculaire qu'évoquait le général de Gaulle...

M. Jacques Baumel - Pas vous !

M. Alain Madelin - ...à ce pacte liant la grandeur de notre pays et la liberté dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe UDF).

M. François Loncle - Deux mois se sont écoulés entre les attentats du World Trade Center et du Pentagone, le 11 septembre, et la chute de Kaboul, le 13 novembre. Durant cette période, les autorités françaises ont fait preuve de maîtrise, de sens des responsabilités et de volonté politique. Le Gouvernement a très vite défini une démarche cohérente, intégrant action militaire, diplomatique et humanitaire, recherche d'une alternative politique crédible et préparation de la reconstruction de l'Afghanistan. Il convenait en effet de réfléchir très tôt à l'après-talibans et d'imaginer pour ce pays un avenir qui réponde à l'aspiration de son peuple vers plus de liberté ! La France a rempli cette mission.

Après le 11 septembre, il y a eu le temps de l'émotion ; puis est venu celui de la réflexion, qui doit se prolonger, et de l'action, qui n'est pas achevée. Mais commence aussi celui de la reconstruction.

La France a manifesté à juste titre sa solidarité envers le peuple américain victime d'une agression effroyable mais aujourd'hui, la déroute du régime taliban apporte un cinglant démenti à tous ceux qui s'impatientaient ou se perdaient à l'infini dans les états d'âme, mais aussi à tous les égarés qui n'hésitaient pas à renverser la charge de la preuve, qui doutaient des capacités de la coalition anti-terroriste ou même de sa légitimité. Les derniers événements devraient aussi inciter certains observateurs à plus de retenue dans les jugements qu'ils portent sur l'Alliance du Nord ! Quels que soient ses mérites, elle n'offre pas forcément toutes les garanties de stabilité et de représentativité que nous pourrions souhaiter (Approbations sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Avec la disparition du régime taliban, la coalition a atteint l'un de ses deux objectifs principaux. Le second - la capture de Ben Laden et le démantèlement du réseau Al-Qaïda - semble à portée. Dès lors se pose la question de savoir que faire des leaders terroristes capturés. Ils doivent évidemment être jugés, mais par qui ? On peut comprendre que les Américains, principale cible des attentats, souhaitent les déférer devant leurs tribunaux, mais la procédure choisie ne devra pas aboutir à transformer Ben Laden en martyr, ce qui serait un comble ! (Approbations sur divers bancs)

La lutte contre le terrorisme est une action de longue durée, d'autre part. La France et l'Europe ont déjà pris des mesures judiciaires, policières et financières en ce sens et il est réconfortant que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne aient fini par admettre le bien-fondé de certaines d'entre elles.

Les événements de ces quelque dix semaines ont bouleversé l'échiquier mondial : des défis sont à relever mais nous avons aussi de nouvelles chances à saisir. Quel avenir offrir à l'Afghanistan ? Quelle place et quel rôle à l'ONU ? Comment orienter la relation transatlantique, l'action de l'Europe ? Quelles perspectives s'ouvrent pour le Sud ? Autant de questions dont la réponse contribuera à redessiner le système international.

Tout en apportant son soutien diplomatique et militaire, la France a mis l'accent sur trois points essentiels, de façon parfaitement cohérente. Tout d'abord, elle a insisté sur l'urgence qu'il y a à organiser l'aide humanitaire, en appuyant les organisations internationales et les ONG qui ont fait, depuis des années, un travail considérable en Afghanistan. Elle a d'ailleurs été la première à soumettre un plan d'action, en ce sens, plan qui a été en grande partie avalisé par nos partenaires européens et par l'ONU. Mais aujourd'hui l'instabilité a entraîné un blocage. Comment en sortir ? Comment amener l'Ouzbékistan et les chefs afghans à coopérer ? Comment accéder à Mazar-e-Charif et sécuriser les axes de communication pour ravitailler les villes et les populations ? C'est l'urgence du moment.

En second lieu, nous avons appelé à l'organisation d'une transition politique. La condition sine qua non en est la restauration de la paix, fondée sur un accord entre tous les groupes afghans. La coalition ne cherche aucunement à imposer sa solution, encore moins à placer le pays sous tutelle. Pour autant, l'Afghanistan ne doit pas succomber de nouveau à des luttes intestines qui ont déchiré le pays et fait le lit des talibans. Comment éviter la compétition pour le pouvoir, la fragmentation du pays ? Quid de Kaboul, qui devrait être neutralisée, probablement avec le concours d'une force internationale sous la responsabilité de l'ONU ? Nous devons faire comprendre aux Afghans qu'ils ont une chance historique de repartir sur de nouvelles bases, dans la mesure où jamais le monde n'a été aussi mobilisé en leur faveur.

La fin du régime taliban représente aussi et surtout un formidable espoir pour les femmes afghanes, qui ont subi le fanatisme religieux, l'obscurantisme. Il ne faut pas les décevoir. C'est pourquoi nous devons tout entreprendre pour que le futur pouvoir respecte les droits des femmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Que s'accélère enfin l'histoire pour les femmes, pour la démocratie !

Notre action vise à permettre au Afghans de décider eux-mêmes de leur forme de gouvernement. Dans ce contexte, les Nations unies ont un rôle primordial à jouer et il faut louer à cet égard les efforts déployés par le grand diplomate algérien Lakhdar Brahimi pour, selon ses termes, « rassembler les fils épars de la nation afghane afin de tresser une corde solide ». C'est un processus aussi complexe et délicat qu'indispensable, pour l'Afghanistan comme pour les Etats voisins, dont les intérêts doivent être pris en compte.

En troisième lieu, la France a souligné la nécessité de s'atteler dès maintenant à la reconstruction de l'Afghanistan. En raison de la géographique spécifique du pays et de ses divisions ethniques, et pour des raisons d'efficacité, de justice et de sécurité, cette politique devra être menée de façon décentralisée, en s'appuyant sur les agences de l'ONU et sur les ONG ayant déjà une expérience afghane.

La France ne devrait-elle pas aussi proposer ses services pour contribuer à l'élimination des mines antipersonnel ? La question deviendra rapidement primordiale quand il s'agira de relancer l'économie afghane.

Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Premier ministre, aucune cause ne justifie le terrorisme. Celui-ci ne résulte pas des injustices du monde mais il s'en nourrit. Nous devons donc nous attaquer aux inégalités, aux déséquilibres économiques, sociaux, écologiques, démographiques, culturels. Il faut collectivement régler les conflits-poudrières comme celui du Proche-Orient et mettre en _uvre un vaste programme de combat contre la pauvreté, la désolation, la désespérance, afin d'apporter un véritable espoir aux milliards d'hommes et de femmes qui en sont victimes.

Les attentats du 11 septembre et leurs conséquences appellent une remise en cause, chez nous comme au sud de la planète, y compris dans le monde arabo-musulman.

Tournons davantage notre regard vers le Sud, nouons un dialogue ouvert et constructif - certainement pas moralisateur ou néo-colonialiste - avec ces peuples. Respectons-les, respectons leurs cultures, leurs modes de vie, leurs visions du monde.

Mais, en même temps, le Sud doit régler la question fondamentale de la démocratie. Que ces valeurs universelles par essence, irriguent les pays arabes et musulmans, notamment ! Encourageons chez eux les forces de la modernité, en particulier celles qui accordent aux femmes toute leur place dans la société.

De toute évidence, les inspirateurs des attentats et les talibans avaient d'autres préoccupations que l'avenir de la Palestine. Leurs objectifs radicalement destructeurs, leur sinistre culture de mort sont d'ailleurs antinomiques des idéaux de toute résistance. Le 11 septembre, il s'agissait pour eux de mener une opération kamikaze anti-américaine effroyable. Au Proche-Orient, c'est la terre que se disputent deux peuples et leurs représentants. Il faut nous préoccuper du destin d'Israël et de la Palestine. Puissent la visite effectuée par la troïka européenne et les récentes interventions du Président Bush et du secrétaire d'Etat Colin Powell annoncer un début d'apaisement !

Le Proche-Orient est une région à haut risque pour le monde parce que disputée par deux peuples victimes de l'histoire : un peuple victime d'un holocauste abominable perpétré en Europe par des Européens et un peuple, écarté par le précédent, peuple victime d'un peuple victime - situation tragique bien définie par Edward Saïd.

Pour Israël, la conquête est légitime, pour les Palestiniens la reconquête : cette logique de guerre est aux antipodes de la paix, car on le sait, la paix des armes est incertaine, fragile, illusoire. Un processus durable passe par la reconnaissance de l'autre, le compromis, des sacrifices toujours douloureux. Certains Israéliens et Palestiniens se sont obstinés dans cette voie ; les extrémistes des deux bords ont souvent sapé cette démarche en réveillant la haine.

Dans un contexte tourmenté, l'horizon immédiat est encore la guerre. La communauté internationale, les Etats-Unis, l'Europe ont une responsabilité historique, et le 11 septembre a prouvé que désormais, lorsque la stabilité est menacée, aucun Etat n'est à l'abri des désordres du monde. Comment aider les courants favorables à la paix, censurer les comportements coupables, revenir à l'esprit de Barcelone et d'Oslo, mettre fin aux violences, à la colonisation des territoires, faire respecter les résolutions de l'ONU et reconnaître un Etat palestinien viable comme la France le demande depuis 1982 (Mouvements d'impatience sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). La France doit mobiliser le capital de sympathie dont elle dispose dans cette région, elle a mis ses hommes et ses matériels au service de la justice internationale, elle doit les mettre au service d'une initiative de paix européenne. L'Europe s'est rassemblée face au terrorisme comme elle avait été solidaire dans la crise du Kosovo et en Macédoine. Mais elle est plus unie sur le plan diplomatique que militaire. Une fois de plus démonstration est faite qu'il faut davantage d'Europe politique et diplomatique, davantage d'Europe militaire. De même, il faut valoriser le rôle des Etats-Unis pour inciter les Etats-Unis à adopter une approche différente des relations internationales. Après le 11 septembre, ils ont compris qu'ils ne pouvaient se mettre en retrait du monde (Mêmes mouvements). Cela les conduira-t-il à être plus ouvert aux relations multilatérales ? L'Europe et la France doivent les convaincre. Aussi faut-il établir une relation transatlantique forte mais plus équilibrée, plus égalitaire. Nous sommes des alliés fiables, des partenaires sûrs des Etats-Unis, mais nous ne sommes pas alignés sur eux. C'est par le dialogue que l'on forcera les chemins de la paix partout où l'embrasement menace. Comme l'a souligné M. le ministre des affaires étrangères devant l'ONU, la coalition contre le terrorisme doit aussi avoir pour objectifs de construire un ordre plus civilisé, et d'humaniser le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Alain Juppé - Dans tout débat , il y a la forme et le fond. Le moins qu'on puisse dire, Monsieur le Premier ministre, c'est qu'avec le Parlement, vous n'y mettez pas toujours les formes ! Certes, vous recevez régulièrement les présidents de groupes, vos ministres s'expriment régulièrement devant nos commissions. Mais au sortir de ces réunions, nous avons souvent le sentiment de ne pas en savoir plus qu'en lisant notre journal (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Quant à l'engagement de nos troupes, on peut toujours ergoter : guerre ou pas guerre ? Autorisation du Parlement ou pas ? Ce qui est sûr pour beaucoup, y compris pour certains dans la majorité, c'est que nous sommes toujours informés a posteriori, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des grandes démocraties.

Mais c'est surtout au fond que je veux m'attacher.

Une bataille est en passe d'être gagnée, celle que les Etats-Unis ont menée, avec notre approbation, pour abattre le régime taliban. C'était un régime d'oppression. Qui parmi nous n'a dénoncé avec indignation l'esclavage dans lequel il maintenait les femmes ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR) Ce régime avait clairement choisi d'être complice de Al-Qaïda et Ben Laden. Pour s'en débarrasser, l'usage de la force était légitime. Le Président de la République et le Gouvernement ont eu raison d'affirmer dès le départ la solidarité de la France, raison de faire preuve de sang froid et de ténacité quand certains ont commencé à dénoncer les bombardements et prédire l'enlisement.

Mais cette victoire militaire, qui est à parachever, ne règle pas tout. Beaucoup d'autres batailles doivent être gagnées.

La première est la bataille de l'aide humanitaire. Le peuple afghan est harassé, et avec les bombardements, nécessaires, la situation s'est aggravée. Les ONG, notamment françaises, ont accompli un travail admirable, de même que les journalistes ont fait leur travail parfois au prix de leur vie. Mais une mobilisation internationale de grande ampleur est maintenant nécessaire. C'est l'honneur de la France d'avoir, à l'initiative du Président de la République, fait des propositions pour donner une nouvelle impulsion à l'aide européenne. Nous souhaitons aussi que les troupes françaises qui doivent sécuriser l'aéroport de Mazar-e-Charif et acheminer l'aide sortent de la situation de blocage un peu ridicule où elles se trouvent.

Il faut mener aussi la bataille pour un règlement politique. Le renversement des talibans serait une victoire à la Pyrrhus si leur succédait une nouvelle dictature issue des luttes inter-ethniques. La reconstruction de l'Afghanistan passe par la concorde nationale, l'association des différentes composantes à l'exercice du pouvoir, bref plus de démocratie. Ce n'est pas la pente naturelle des partis et des clans. La communauté internationale doit donc s'engager avec détermination dans ce processus. Très tôt, le Président de la République l'a souligné dans ses conversations avec le Président Bush, très tôt il a demandé que l'ONU tienne toute sa place et a accordé le soutien de la France à M. Brahimi. Nous nous réjouissons qu'une conférence inter-afghane se tienne à Berlin et souhaitons que la France y fasse preuve d'imagination et de détermination.

D'autres batailles dépassent les frontières de l'Afghanistan.

La lutte contre le terrorisme international sera longue et difficile, elle ne s'arrêtera pas avec la capture de Ben Laden. Les démocraties doivent agir de concert pour démanteler les réseaux de blanchiment de l'argent du terrorisme et des trafics internationaux, coopérer sur le plan policier et judiciaire, agir de façon résolue auprès des pays dont la complaisance ou l'indifférence favorisent le développement des réseaux. Le risque serait le relâchement. L'Afghanistan n'est pas la seule base du terrorisme. Il faut continuer le combat (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Sur une autre bataille à mener, le consensus sera peut-être moins grand. Il s'agit du règlement des conflits régionaux qui pourrissent la vie internationale.

Sans doute est-il maladroit, et même inacceptable, d'établir un lien de cause à effet entre ces conflits, au premier rang desquels le conflit israélo-palestinien, et le terrorisme. Certains militants de l'antiaméricanisme, toujours actifs dans les rangs de la gauche plurielle, vont jusqu'à rendre les Etats-Unis responsables de la tragédie qui les frappe.

Heureusement la grande majorité des Français a compris que nous étions nous-mêmes concernés, comme l'a dit Jacques Chirac dès le premier jour, et a manifesté sa solidarité.

Restent qu'injustices et frustrations, en particulier au Proche-Orient, nourrissent le désir de vengeance et la tentation de la violence. Tous mes contacts avec les responsables arabes ou musulmans, même les plus modérés convergent : si le processus de paix entre Israël et l'Autorité palestinienne n'est pas relancé vigoureusement, l'extrémisme a de beaux jours devant lui, et pas seulement au Proche-Orient (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Sans pointer du doigt l'un ou l'autre camp, il faut appeler avec solennité les protagonistes du conflit et tous ceux qui peuvent aider à son règlement à reprendre l'initiative sur la base des résolutions des Nations unies et des conclusions de la conférence de Madrid.

Face à ce défi, la France et l'Europe, sont-elles à la hauteur ? L'auto-dénigrement étant une de nos manies nationales, certains n'ont pas manqué de s'y livrer. Sans doute, en telle ou telle circonstance aurions-nous pu mieux faire. Par exemple nous aurions pu mieux utiliser notre capital de sympathie auprès des responsables afghans - qu'on se souvienne du lycée de Kaboul - pour mieux préparer le futur règlement politique.

Mais au total, notre diplomatie a été très active, sous l'impulsion du Président de la République (Sourires sur certains bancs du groupe socialiste). Certains ricanent. C'est pourtant la réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Je veux tout particulièrement saluer le travail de notre représentation, auprès des Nations unies : l'action de la France au Conseil de sécurité, notamment lorsque nous en avons assuré la présidence, a été remarquablement efficace et a permis, en liaison avec celle de la Grande-Bretagne, de faire adopter des résolutions qui fixent le cadre politique des conversations actuelles.

Parfois, il est vrai, l'omniprésence britannique a fait envie, de ce côté-ci de la Manche. Sans méconnaître l'ardeur au combat du « 10 Downing Street » et sa contribution au succès, je me suis néanmoins dit, en regardant certains reportages télévisés sur la propagande islamiste dans les banlieues de Londres que la lutte contre les réseaux terroristes se livre aussi à la maison (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Autre doute exprimé sur le rôle de a France : celui qui porte sur notre capacité militaire à assumer nos ambitions. Ici encore il faut raison garder. J'ai entendu dire qu'il fallait remettre à plat toute notre politique de défense. Ce serait à l'évidence un contresens, et sans doute, un mauvais coup. La réorganisation de nos armées, engagée en 1996, s'est fixé des objectifs qui sont en exacte cohérence avec l'évolution des menaces internationales telles que nous les voyons se développer, notamment depuis le 11 septembre dernier. Comme le rappelait récemment François Fillon dans un excellent article intitulé « affûter sans bouleverser », la projection des forces dont nous avons besoin pour faire face à nos engagements en Europe ou hors d'Europe, dans les Balkans ou en Afghanistan, est précisément le « principe cardinal » de notre réforme. La professionnalisation de nos armées était « un préalable indispensable » à sa mise en _uvre.

Ce qui est vrai, c'est qu'un tel changement par rapport à l'impératif qui a été longtemps le nôtre de « contrer à nos frontières une menace territoriale massive » demande des moyens.

La France a voulu trop tôt toucher les dividendes de la paix. Elle a exagérément réduit la part de son budget de défense qui est passé de 3 à 2 % de son PIB (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Là est le véritable exemple que nous donne la Grande-Bretagne qui a su, elle, ne pas baisser la garde.

La difficulté française, en matière de défense, n'est donc pas dans la fixation des objectifs qui sont bons, mais dans la mise en _uvre des moyens qui sont insuffisants.

D'autant plus que l'Union européenne veut à son tour se doter d'une force de projection de 60 000 hommes avec leur accompagnement aérien et maritime. Conseil européen après Conseil européen le projet avance. Trop lentement à l'évidence, à la mesure de la faible cohésion dont la politique extérieure de l'Union donne parfois le spectacle.

Même si le Conseil européen du 21 septembre dernier a permis d'afficher la solidarité des Quinze aux côtés des Etats-Unis et de progresser dans la construction du troisième pilier avec, en particulier, la décision de principe de créer un mandat d'arrêt européen, la visibilité de l'Europe en tant que puissance n'a pas été à la hauteur.

Les dirigeants des grands pays européens dotés d'une forte tradition diplomatique ont davantage donné le sentiment qu'ils se préoccupaient d'abord de tirer la couverture à eux.

Ces comportements rassureront ceux qui redoutent la disparition des Etats nations dans le jeu européen.

Ils ne réjouiront pas pleinement, ceux qui, comme moi, tout en ayant la forte conviction que l'Europe n'a pas de voix internationale sans celles de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne et de quelques autres, souhaitent aussi qu'elle accède au rang de puissance à part entière sur la scène mondiale.

On voit bien le dilemme dans lequel sont enfermés les Etats-Unis d'Amérique : ils interviennent trop, on les taxe d'impérialisme ; s'ils se retirent du jeu, on leur reproche leur isolationnisme. Fatalité, dans un monde où domine un seul pôle de puissance ! Il est donc impératif de construire un équilibre multipolaire : la Russie et la Chine dont on a vu l'habileté à gérer la crise récente, en seront. Nous avons encore beaucoup d'efforts à faire pour que l'Union européenne ait toute sa place en tant que telle autour de la table.

Je voudrais, pour conclure, évoquer encore deux défis qui, depuis le 11 septembre, ont pris une acuité accrue.

En premier lieu, le défi de la pauvreté et des inégalités entre les peuples.

J'entends souvent dire que rien ne sera plus comme avant ; comme avant le 11 septembre, naturellement ; que tout a changé !

Et je me demande parfois ce qui a changé pour la masse des paysans chinois, indiens, nigérians ou dans les banlieues du Caire ou de Johannesburg... La misère et l'injustice sont le berceau de la haine et de la violence.

Nous n'avons aucune chance d'aller vers un monde meilleur, apaisé et équilibré, si nous ne parvenons pas à mieux partager nos richesses (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Le libre commerce, à condition qu'il se dote de règles, notamment sociales et environnementales, peut y contribuer. Mais l'aide des pays riches reste cruciale. Au lendemain du 11 septembre, le directeur général de la Banque mondiale écrivait en ce sens un bel article dans les colonnes d'un grand journal français.

Il y a beaucoup de projets dans l'air. Il y a beaucoup d'actions en cours. Sans doute manque-t-il une vision d'ensemble et une volonté collective. Nous étions nombreux à rêver, il y a quelques années, à une « grande alliance pour le développement ». L'urgence peut aujourd'hui, peut-être, réveiller les vieux rêves.

Dernier défi, dernier combat : celui des idées.

Il est frappant de voir le Président des Etats-Unis convier à sa table des ambassadeurs musulmans pour partager le repas de ramadan, après la rupture du jeûne.

Symbole, bien sûr. Symbole presque naïf de notre préoccupation commune d'éviter tout ce qui pourrait ressembler à une croisade de la chrétienté contre l'islam.

Mais nous le répétons si souvent qu'il y a manifestement doute. Il faut aborder la question avec franchise.

Chacun dénonce à raison « le choc des civilisations ». Est-ce à dire que les civilisations n'existent pas ? Si. Peut-être sont-elles mortelles... Mais leurs différences constituent une réalité et une indispensable grille de lecture des tensions et des incompréhensions qui marquent la vie internationale.

La bonne démarche, ce n'est pas de nier la diversité, mais d'éviter le choc, en cultivant beaucoup plus intensément que nous ne l'avons fait jusqu'à présent, le dialogue des cultures.

Nous ne nous connaissons pas assez les uns les autres. Et l'ignorance nourrit l'hostilité et la peur. Nous devons _uvrer à tous les niveaux - organisations internationales, Etats, coopération décentralisée, c'est-à-dire villes et régions, mais aussi universités, intellectuels, artistes... - pour la connaissance et le respect mutuels.

Les efforts doivent venir de part et d'autre.

De nous, Européens, Occidentaux, qui avons, c'est vrai, trop tendance à vouloir imposer notre système de valeurs à toutes les nations.

Mais aussi des autres. Chaque culture, chaque religion, chaque civilisation doit pratiquer le doute méthodique. Et fort heureusement nous recevons du monde musulman des messages encourageants.

Par exemple celui du roi du Maroc, Mohamed VI, qui déclare en sa qualité de « Commandeur des croyants » : « Le sort fait aux femmes en Afghanistan est intolérable. Cette burqa est une prison en tissu et, plus encore, une prison morale ». Ou bien encore : « Nous sommes fiers à la fois de notre spiritualité et inscrits dans les valeurs universelles de l'humanisme ».

Oui, sur ces bases, le dialogue est possible et l'espoir est permis (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Chevènement - Permettez-moi d'abord de regretter que la télévision ne remplisse plus son office, et que l'intégralité de nos débats ne puisse être regardée par nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF, du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe RCV).

M. le Président - Je me permets de vous rappeler que je n'ai aucune autorité sur la télévision. Elle seule a décidé, en toute indépendance et souveraineté, de retransmettre le débat jusqu'à 16 h 20. Nous ne sommes plus à l'époque où le pouvoir législatif donnait des ordres.

M. Jean-Pierre Chevènement - Je reste convaincu que la Constitution, qui place la souveraineté dans la nation, implique de ne pas considérer la télévision comme étant « indépendante et souveraine ».

Monsieur le Premier ministre, la situation en Afghanistan a changé très rapidement. Considérant dès le début la riposte américaine aux attentats du 11 septembre comme légitime, je me réjouis de la chute du régime taliban. Plusieurs questions, désormais, se posent, et tout d'abord sur l'emploi d'unités militaires françaises, et, ensuite, sur l'action la plus utile que peut mener la France pour combattre le terrorisme mais aussi, assécher le terreau sur lequel il prospère.

La France, membre permanent du Conseil de sécurité, doit veiller en premier lieu à ce que la crise afghane soit surmontée dans le cadre de l'ONU.

Les troupes françaises d'appui au dispositif humanitaire ont du mal à se mettre en place ; le cadre de leur intervention doit donc, d'autant plus, être défini dans la clarté.

Le Gouvernement doit fournir au Parlement toutes les informations et toutes les garanties sur les missions et les objectifs assignés aux forces françaises, ainsi que celles qui concernent les décisions opérationnelles. Il ne suffit pas de dire que les Etats-Unis sont prêts à nous associer aux missions et à leurs définitions, encore faut-il savoir lesquelles. Il n'est pas normal que nos troupes puissent être engagées sans un vote du Parlement, je le dis comme je le pense.

Je suis tout à fait prêt à approuver la présence sur le territoire afghan de nos forces militaires pour contribuer à sécuriser l'action humanitaire. Il est légitime d'apporter une aide substantielle à la population afghane qui a beaucoup souffert dans cette crise et qui se trouve déjà confrontée aux rigueurs de l'hiver. Tel est l'objectif raisonnable auquel doit répondre notre présence militaire. Mais l'Histoire nous apprend qu'il très facile de passer, comme en Bosnie, d'une intervention purement humanitaire au départ, à une intervention militaire. Dans une région du monde où les enjeux pétroliers et gaziers sont déterminants et qui n'a jamais été dans notre zone d'influence, nous courons le risque d'être entraînés rapidement bien au-delà des objectifs assignés à nos forces. C'est pourquoi la contribution que la France doit apporter est avant tout à mes yeux de nature politique.

Il appartient à la France, membre du conseil de sécurité de l'ONU, de veiller à ce que l'avenir de l'Afghanistan, après la chute du régime des talibans, soit organisé par les Nations unies, sur les fondements des règles du droit international. Je ne pense pas qu'il y ait de désaccords entre nous sur ce sujet.

Les Etats-Unis, fondés à exercer leur droit de légitime défense, en poursuivant le réseau terroriste Al-Qaïda et ceux qui le protégeaient, ne peuvent assumer seuls la mission de trouver une issue politique, capable de rassembler le peuple afghan.

Les forces de l'Alliance du Nord qui ont obtenu la victoire militaire à la suite des frappes américaines, ne représentent pas la totalité du peuple afghan, loin s'en faut. Elles ne doivent pas chercher à imposer le pouvoir d'une minorité sur une majorité et ne peuvent, à elles seules, opérer la recomposition politique après la chute des talibans. Nous devons avoir en vue l'équilibre de la région, et particulièrement les risques que ferait peser sur le Pakistan, déjà sérieusement éprouvé du point de vue politique, l'exclusion du pouvoir de la population pachtoune. Le Pakistan, vous le savez bien, mes chers collègues, n'est pas n'importe quel pays.

Seules les Nations unies sont fondées à apporter une impulsion décisive et il est souhaitable que la réunion de Berlin permette d'enclencher le processus de la réconciliation de tous les Afghans. La réconciliation des forces politiques - même si la tâche se révèle particulièrement difficile - ne peut aboutir que dans le cadre de l'ONU, je le répète.

La France se doit donc d'apporter un soutien actif à l'action du représentant spécial de l'ONU, M. Lakhdar Brahimi, en vue de mettre en place un gouvernement représentatif du peuple afghan dans son ensemble.

En même temps qu'elle travaille à la recherche d'une solution politique, la communauté internationale doit _uvrer pour apporter une aide à la reconstruction de l'Afghanistan.

Une présence internationale peut être envisagée sous l'égide de l'ONU et sous forme d'une force de maintien de la paix, mais de manière limitée dans le temps, car il appartiendra au futur gouvernement afghan de trouver les conditions de l'établissement de la paix civile et du désarmement des factions.

La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 14 novembre, d'origine franco-britannique, permet la constitution d'une force multinationale ; elle constitue une base sérieuse, car elle réaffirme en même temps l'attachement à la souveraineté, à l'indépendance, à l'intégrité territoriale et à l'unité nationale de l'Afghanistan.

Il s'agit bien pour l'ONU de jouer un rôle décisif dans une période de transition. C'est le rôle de la France que de le rappeler.

Nous devons faire preuve de discernement lorsqu'il s'agit d'impliquer l'OTAN, d'une manière ou d'une autre, dans le règlement de la crise afghane. L'article V de la Charte de l'Atlantique Nord, mis en _uvre au lendemain des attentats du 11 septembre, autorise l'OTAN à intervenir hors de la zone de ses missions traditionnelles, pour assurer la défense de l'un de ses membres.

Est-on encore dans ce cas de figure avec une action humanitaire destinée aux civils ? C'est peu probable, et la France doit le dire clairement. En tous domaines, elle se doit de jouer les éclaireurs, pas les suiveurs.

La lutte contre le terrorisme n'est pas achevée. Il faut mobiliser des moyens autres que militaires : de renseignement, d'enquête policière et financière par exemple. Les huit recommandations du GAFI vont dans le bon sens, mais sont insuffisantes, tant sont sensibles les domaines auxquels elles touchent, à savoir les paradis fiscaux, le secret bancaire, l'utilisation des pétrodollars. La police doit avoir accès aux archives des banques pour pouvoir retracer les mouvements de capitaux : il n'y a pas d'autre moyen de tarir le financement de la grande criminalité mondialisée. La France dispose bien du TRACFIN, qui ne dispose lui-même que d'une trentaine de fonctionnaires, c'est peu. En 2000, TRACFIN a reçu 2 600 déclarations de soupçons et seulement 160 dossiers ont été traités par la justice. Il faut donc augmenter ses moyens. Mais les banques ont la responsabilité de dénoncer les opérations douteuses, c'est là un problème. Il importe de développer les échanges de renseignements financiers internationaux.

Sur la défense, je ne partage pas l'avis de M. Juppé. Cette crise a révélé la faiblesse de notre dispositif. Les moyens alloués à la défense ne représentent en effet plus que 1,96 % du PIB, contre 3,7 % en 1991, dernier budget que j'ai préparé.

M. Pierre Lellouche - M. Juppé a dit la même chose !

M. Alain Juppé - Il me semble.

M. Jean-Pierre Chevènement - Mais qui est Président de la République, Monsieur le Premier ministre ? (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

On doit en particulier s'interroger sur l'équilibre entre la projection, à laquelle tout a été sacrifié, et la défense opérationnelle du territoire et la protection des populations civiles. Ces impératifs majeurs ont été négligés dans notre pays.

La distension du lien armée-nation, consécutive à la suppression du service national rend moins visible l'utilité sociale de la défense (Murmures sur les bancs du groupe du RPR).

J'ai noté avec beaucoup d'intérêt, Monsieur le Premier ministre, que vous repreniez l'idée que j'ai maintes fois exprimée, d'assurer la montée en puissance des forces de réserve. Cela va dans le bon sens, mais c'est insuffisant.

Ces forces de réserve devraient être convenablement équipées et pouvoir agir le cas échéant de manière autonome.

Il faudrait rétablir un service militaire court, de dix semaines, pour créer une garde nationale qui permettrait d'assurer mieux la défense opérationnelle du territoire et la protection des populations civiles.

J'en viens au rôle de la France en tant que puissance méditerranéenne.

Les peuples musulmans ont été les victimes du fanatisme meurtrier des intégristes. Nous connaissons le tribut que les Algériens ont dû payer au GIA, au groupe salafiste de prédication et de combat, et à ceux qui précisément se faisaient nommer « les Afghans » (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

Parce que nous sommes riverains de la Méditerranée, nous devons construire des relations pacifiques avec le Maghreb, le Proche et le Moyen-Orient et dans le Golfe.

La France peut jouer un rôle de médiation irremplaçable pour tarir les motifs de haine ou de ressentiment qui risquent de précipiter les masses arabes dans les bras de ceux qui se servent de la religion comme d'un instrument de domination, de terreur et d'enfermement.

Ni les attentats contre New York et Washington, ni la prise d'otages à Jolo, ni les assassinats en Algérie n'ont leur source dans la situation au Proche-Orient (M. Lellouche approuve). La logique folle propre à l'intégrisme trouve ses racines dans une longue histoire. Je ne remonterai pas jusqu'à l'assassinat de Kléber, mais aujourd'hui, l'intégrisme se déploie sous des formes théorisées il y a plus d'un demi-siècle, en opposition avec les mouvements nationalistes modernisateurs. La politique que nous avons menée depuis trente ans, qui n'a pas soutenu ces mouvements modernisateurs, n'est pas étrangère à la radicalisation intégriste.

Au Proche-Orient, une initiative rapide s'impose pour relancer le processus de paix. L'intervention directe de la communauté internationale sera nécessaire pour mettre fin à ce conflit. Le gouvernement d'Ehud Barak, accomplissant des efforts méritoires, a jeté des bases pour la négociation.

Il n'y a pas d'alternative à la paix, et la meilleure garantie de la sécurité d'Israël réside dans l'institution d'un Etat palestinien viable.

De la même façon, il convient de lever l'embargo qui pèse depuis plus de dix ans sur l'Irak. La France, là aussi, pourrait prendre l'initiative, à l'occasion de la prochaine réunion du Conseil de sécurité. Il faudra également encourager la normalisation des rapports avec l'Iran et mettre sur pied une initiative méditerranéenne de croissance. Le processus de Barcelone est enlisé. Seulement un tiers des crédits prévus a été utilisé.

A Marseille, en novembre 2000, une enveloppe a été dégagée. Encore faudra-t-il la dépenser. Nous devons trouver une contrepartie à l'élargissement de l'Europe vers l'Est par une ouverture vers le Sud. En effet, le seul remède contre l'intégrisme est le développement. Accepter que les pays du Sud glissent dans l'intégrisme serait très grave pour eux, mais aussi pour notre sécurité (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

La France doit clairement s'opposer aussi à certaines voix américaines qui envisagent d'étendre les opérations militaires à certains pays arabes comme l'Irak, sous le prétexte qu'ils entretiendraient des liaisons, qui restent à démontrer, avec les réseaux terroristes. La légitime défense n'est pas la croisade. Rien ne serait plus contraire à nos intérêts et à celui de la civilisation elle-même qu'une politique qui aboutirait à souder les pays arabes modérés contre des interventions armées injustifiées.

Les Etats-Unis ont un effort considérable à faire pour repenser leurs relations avec le monde arabo-musulman. Aidons-les par une attitude qui ne soit pas pusillanime. Les Etats-Unis ont besoin d'alliés stables et avisés, et il faudra du courage et de la lucidité pour se prémunir contre les nouveaux dangers du terrorisme.

L'envoi d'unités protégeant l'aide humanitaire ne peut que recueillir notre approbation. Mais la voix de la France, distincte s'il le faut, doit se faire entendre aussi sur le terrain politique pour ouvrir la voie à un monde rééquilibré dont les Etats-Unis ont besoin autant que nous. Aucune paix durable ne pourra être fondée que sur l'esprit de justice et le respect de l'identité et de la dignité de chaque peuple. C'est aussi de cette manière que nous assurerons la sécurité de la France et des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et quelques bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Douste-Blazy - Monsieur le Président, si vous n'avez aucun pouvoir sur la télévision, vous avez la responsabilité d'une organisation équitable des débats et un tel dysfonctionnement n'a jamais eu lieu sous les présidences de M. Séguin ou de M. Fabius (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Président - J'apprécie toujours les leçons que l'on me donne, mais l'ordre d'intervention des orateurs a été fixé par la Conférence des présidents (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Philippe Douste-Blazy - N'oubliez pas que vous êtes le Président de tous les députés (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Le débat qui nous réunit aujourd'hui prend une dimension singulière du fait de la rapidité des événements. Qui aurait pu prévoir le 3 octobre, dans cet hémicycle, que moins de six semaines plus tard 80 % de l'Afghanistan seraient libérés du joug taliban ? L'histoire donne des leçons de modestie et ceux qui se sont laissé aller à des déclarations définitives doivent aujourd'hui méditer sur leur imprudence. Mais aux excès de pessimisme, aux annonces de l'enlisement, il serait tout aussi aventureux de répliquer par un enthousiasme excessif. Le Président de la République l'a rappelé, le conflit est encore loin d'être réglé. C'est pourquoi l'UDF estime que ce débat, qui intervient au moment où l'Afghanistan est à la croisée des chemins, est utile, mais qu'il arrive bien tard.

Trois objectifs doivent être poursuivis aujourd'hui : achever de neutraliser les terroristes, favoriser l'émergence d'une solution politique durable et assurer la reconstruction du pays. En ce qui concerne le premier point, il convient de lever certaines ambiguïtés qui ont été entretenues autour du sens de l'intervention alliée. Est-il d'abord justifié de parler de guerre pour qualifier les derniers événements ?

On pouvait encore, au début du mois d'octobre, s'interroger sur l'emploi de ce mot. Il n'y a plus de doute aujourd'hui, après six semaines de frappes américaines et l'offensive victorieuse de l'Alliance du Nord. Certes, il ne s'agit pas d'une guerre classique, d'Etat à Etat. C'est une guerre contre un régime, le régime détestable des talibans, coupable d'abriter un réseau terroriste animé d'une haine mortelle. C'est peut-être la triste préfiguration des guerres du XXIe siècle.

Cette guerre était-elle légitime ? Comment devait-on réagir au massacre de cinq mille innocents ? Fallait-il tendre l'autre joue ? Je considère pour ma part que les Etats-Unis étaient en situation de légitime défense, ce qui est, je le rappelle, un concept de droit international. Leur réponse a été juste, proportionnée et efficace. La légitimité de leur intervention a d'ailleurs été reconnue par l'ONU. Kaboul, où la liberté renaît, ne sera pas un nouveau Stalingrad, pas plus que l'Afghanistan ne sera un nouveau Vietnam.

Peut-on parler d'une victoire définitive sur Al-Qaïda et ceux qui protègent cette organisation ? C'est une victoire, qu'il faut parachever en détruisant la logistique des terroristes et en les privant de tout refuge.

Le terrorisme est l'ennemi acharné de notre modèle démocratique. Le combattre suppose une action globale, qui doit être menée sur plusieurs plans : national, international et multilatéral.

Il faut donc se féliciter que se dessine une politique commune européenne, notamment contre le bioterrorisme.

En Afghanistan même, les talibans ne sont pas encore totalement défaits. En raison du relief, de l'assise tribale, il est difficile, voire impossible, de réduire définitivement un ennemi. Les Britanniques l'ont éprouvé bien avant les Soviétiques. L'Alliance du Nord elle-même a longtemps résisté dans son sanctuaire de la vallée du Panshir. La victoire totale ne pourra donc passer que par un règlement politique global.

La France doit prendre toute sa part à cette nouvelle phase, ainsi que le Président de la République l'a annoncé dans son allocution du 16 novembre dernier. Si la qualité de nos moyens de reconnaissance et de renseignements a été appréciée de nos alliés, ce conflit a mis une fois encore en évidence l'insuffisance des capacités de projection de nos forces, qu'il s'agisse de moyens navals ou aériens. Il est nécessaire, Monsieur le ministre de la défense, d'obtenir de nos partenaires un accord sur la construction de l'A400M. Il faut aussi mettre en place une véritable politique européenne de sécurité et de défense.

Les opérations de sécurisation qui vont incomber aux soldats français sont de la plus haute importance. Le professionnalisme et l'expérience de nos hommes garantiront la réussite de l'intervention humanitaire. L'UDF appuie sans réserves cette initiative, ainsi que l'envoi d'une dizaine de Mirage 2000 qui contribueront à traquer les unités d'Al-Qaïda.

Mas il reste indispensable de trouver une solution politique.

Ce nouveau conflit a permis de crever l'abcès afghan, qu'on se refusait à voir depuis la chute de l'Union soviétique, abandonnant les Afghans à un obscurantisme d'un autre âge.

La recherche d'une solution politique passe avant tout par la mise en place d'une autorité transitoire, d'un gouvernement intérimaire représentatif de toutes les composantes de la société afghane.

Cette responsabilité incombe aux Nations unies. C'est pourquoi l'UDF se félicite de l'initiative franco-britannique qui a permis l'adoption à l'unanimité, le 14 novembre, de la résolution 1378 du Conseil de sécurité. Cet événement a montré la justesse des positions françaises sur la nécessité d'une approche multilatérale.

On a pu parfois regretter la lenteur de réaction de l'ONU. Aussi faut-il se réjouir de la rapidité avec laquelle le Conseil a su faire face à l'évolution de la situation en Afghanistan. Cette résolution donne à la communauté internationale les moyens d'agir. Les Afghans ont été trop longtemps déchirés par le jeu de leurs puissants voisins qui ont entretenu leurs divisions. Il est temps de réunir l'ensemble des factions au sein d'une grande conférence.

C'est une des priorités des Nations unies et de son représentant, M. Lakhdar Brahimi.

Les Afghans ont vu passer trop de troupes depuis vingt ans, pour ne pas nourrir une méfiance instinctive à l'encontre de nouveaux soldats, fussent-ils ceux de la paix. Pas plus qu'une solution politique imposée de l'extérieur n'aurait de chance d'aboutir, une intervention militaire internationale qui se ferait sans leur consentement serait vouée à l'échec. C'est pourquoi il est nécessaire que se mette rapidement en place une force multinationale de sécurité, avec l'aval de Nations unies, destinée à assurer la protection des populations.

Pour la première fois depuis 1979, l'Afghanistan a l'opportunité de vivre en paix, dans le respect de sa souveraineté et de sa sécurité. Une des hypothèses les plus appropriées à la situation afghane pourrait être la voie fédérale, qui permettrait de respecter à la fois la diversité ethnique et tribale du pays tout en garantissant son unité.

Comme l'a indiqué Alain Juppé, l'Europe a un rôle à jouer dans la reconstruction de l'Afghanistan, qui nécessite une mobilisation sans précédent de la communauté internationale.

La première urgence, le Président de la République l'a rappelé, est d'ordre humanitaire. Les besoins sont à la mesure du pays, qui représente quinze à vingt fois le Timor ou le Kosovo. La sécurisation des sites où travailleront les ONG permettra à des millions de personnes démunies de tout d'affronter le rude hiver afghan.

Mais l'Afghanistan ne sera pas en paix tant qu'il ne se développera pas. Cette aspiration lui a été déniée pendant plus de vingt ans, si bien que les Afghans ont été dépouillés des droits les plus élémentaires de l'homme et de la femme.

A cet égard, il faut saluer les premières mesures prises par les nouvelles autorités afghanes, qui ont mis fin aux atteintes les plus inadmissibles qui aient été portées à la dignité des femmes.

Pour concrétiser l'engagement international de ne pas laisser ce pays retomber dans la guerre civile, il faut imaginer un plan global de reconstruction, inspiré du pacte de stabilité pour l'Europe balkanique qui a été signé après le conflit du Kosovo.

Dès aujourd'hui, il convient de réfléchir aux modalités de cette intervention, en mettant en place une structure dont la mission sera de coordonner cet effort de reconstruction sous l'égide des Nations unies.

Il ne faut pas imposer aux Afghans un modèle qui leur soit étranger. Ils doivent au contraire être associés à tous les niveaux du processus de reconstruction, qui devra respecter les structures traditionnelles de leur société. Mais il ne faudrait pas non plus que la communauté internationale fasse un chèque en blanc aux autorités afghanes. Il n'est pas faux de dire que certaines factions ont une responsabilité dans les malheurs du pays. La reconstruction de l'Afghanistan devra donc être conditionnelle, afin de garantir que toutes les parties jouent le jeu.

Ce qui s'est passé le 11 septembre aux Etats-Unis, ainsi que les événements en Afghanistan qui en sont la conséquence, nous invitent à réfléchir sur la réalité de la fracture Nord-Sud.

Certes, le terrorisme n'a aucune justification. Il n'exprime que sa propre haine, haine de l'homme et de la vie. Il n'est que ténèbres, crime et destruction, même si ses promoteurs tentent de le faire accréditer comme un instrument de lutte des pauvres contre les riches. Sont-ils pauvres, d'ailleurs, ces dirigeants d'Al-Qaïda, ressortissants des riches monarchies du Golfe, guidés par un milliardaire sanguinaire et paranoïaque ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

Pourtant le terrorisme se nourrit de la misère, du désespoir et de la frustration à travers le monde, pas seulement musulman. Les manifestations spontanées de solidarité avec Ben Laden qui ont suivi les attentats sont aussi un constat d'échec pour les démocraties.

Il nous faut en tirer les leçons et agir résolument pour réduire cette fracture entre le Nord et le Sud. Aujourd'hui, un besoin sans précédent de solidarité internationale se fait sentir. Il nous faut inventer une nouvelle coopération avec les pays les plus pauvres, imaginer un véritable big bang du développement, qu'il s'agisse de la dette, de l'investissement étranger, de l'accès aux marchés pour rendre la mondialisation plus équitable. La reconstruction de l'Afghanistan peut être le laboratoire de cette nouvelle politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Alain Bocquet - L'actualité appelle un débat approfondi devant le Parlement.

A ce propos, je veux vous dire mon indignation devant le fait que la télévision réserve un traitement inéquitable aux différentes interventions. Toutes les sensibilités doivent pouvoir s'exprimer par la télévision (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur quelques bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Après tout, il s'agit d'un service public de l'audiovisuel et sa présence ici se fait dans un cadre contractuel. Il ne faut pas banaliser l'incident ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ou alors il aurait fallu organiser autrement le débat, en réduisant le temps de parole de chaque groupe, de façon à ce que l'ensemble tienne dans le temps de l'émission.

Au nom de mon groupe et de tous les autres groupes brimés, je vais demander réparation au CSA (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La France est engagée dans des opérations qui touchent autant à la sécurité extérieure du pays qu'à sa sécurité intérieure puisqu'il s'agit de démanteler des réseaux terroristes et de s'attaquer aux causes mêmes du terrorisme. Un tel enjeu demande plus qu'une simple consultation du Parlement. En outre la nouvelle phase d'engagement de nos forces directement en Afghanistan, annoncée par le Président de la République, renforce l'exigence que la représentation nationale se prononce. Je renouvelle donc notre demande d'un vote de l'Assemblée nationale.

Depuis notre débat d'octobre, la situation a basculé. Oui, l'effondrement du régime des talibans qui a enfermé le peuple afghan dans la nuit du totalitarisme et qui a, jusqu'au bout, servi de base arrière à Ben Laden et aux réseaux intégristes qui font régner la terreur jusque dans des pays proches de la France, nous réjouit profondément, nous communistes. Nous avons aussi une pensée pour les journalistes qui ont payé de leur vie l'accomplissement de leur mission d'information.

Nous voilà confrontés à des questions nouvelles extrêmement difficiles. Si la rapidité de la retraite des talibans a pu surprendre, la construction de la paix et de la démocratie en Afghanistan est d'une tout autre complexité.

La solution sera politique Elle passe sans doute par un Gouvernement de transition associant toutes les parties, sauf les talibans, dans un processus qui ne pourra réussir que s'il est l'_uvre des Afghans eux-mêmes. Je salue donc l'initiative de l'ONU de réunir à Berlin toutes les composantes.

Après plusieurs décennies de souffrances, de guerres, provoquées ou alimentées par des ingérences extérieures, le peuple afghan a droit à la paix et à la liberté, à la démocratie.

Les efforts de la communauté internationale doivent converger pour restaurer la sécurité des populations afghanes.

Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons de veiller particulièrement à l'acheminement de l'aide humanitaire ; il faut que les organisations humanitaires puissent aller dans les villages, et non uniquement dans les camps de réfugiés, afin de faciliter le retour des exilés.

De ce point de vue, la présence française, dans le nord du pays, pour la sécurisation de l'aide humanitaire pourrait être positive, à condition de le faire sous mandat de l'ONU et en accord avec les Afghans. Cela dit, il convient de lever les ambiguïtés qui créent des problèmes avec l'Ouzbékistan et l'Alliance du Nord.

Notre contribution n'est pas essentiellement militaire. Il nous faut aussi donner des signaux d'une présence française politique, pacifique. L'ouverture d'une représentation diplomatique de la France en Afghanistan serait un signal fort dans ce sens et nous nous félicitons que la décision en ait été prise. Et ne serait-il pas possible d'envisager la réouverture des lycées français de garçons et de jeunes filles de Kaboul, dès que les conditions de sécurité seront remplies ?

Monsieur le Premier ministre, vous avez le soutien du groupe communiste dans l'action de la France pour mettre hors d'état de nuire les réseaux terroristes, et travailler à en tarir les causes, sous réserve que les moyens soient adaptés aux objectifs et que cet engagement soit encadré strictement par le droit international et les Nations unies.

Ce principe a une valeur universelle et permanente. Il est plus impératif encore dans une situation si incertaine.

Nous apprécions l'action diplomatique de notre pays pour donner à l'ONU l'autorité qui doit être la sienne.

Les défis auxquels nous avons à faire face ne peuvent pas être l'affaire d'un seul pays, aussi puissant soit-il. Par réalisme plus que par conviction, les Etats-Unis eux-mêmes en prennent conscience : une partie du Congrès a ainsi demandé de mettre à contribution les pays alliés, comme lors de la guerre du Golfe.

Et si nous avons été amenés à mettre en garde contre les risques d'une stratégie unilatérale, en particulier après le 7 octobre, avec la poursuite des bombardements, ce n'était pas par sous-estimation de la menace terroriste, c'est que sa dimension planétaire, sa complexité, ses fondements sociaux et politiques appellent des réponses de la communauté internationale, réponses militaires certes, mais surtout politiques.

L'éradication du terrorisme ne peut être l'affaire des seuls Etats-Unis. C'est l'affaire de tous les Etats, particulièrement de ceux qui, pendant des années, ont soutenu les talibans, comme l'Arabie Saoudite.

C'est vrai pour la lutte contre les réseaux de blanchiment d'argent et contre les paradis fiscaux. Il ne serait pas acceptable, cependant, que la lutte contre le terrorisme conduise à un engrenage sans fin. Ainsi, la coalition actuelle ne résisterait pas à une extension du conflit à d'autres pays, comme l'Irak ou le Soudan. De plus, cela serait inefficace et dangereux.

Cela vaut aussi pour le jugement de Ben Laden, et de ses complices.

N'est-ce pas le moment de renforcer la construction d'un droit international nouveau, en jugeant les crimes contre l'humanité devant une cour pénale internationale, plutôt que devant des tribunaux militaires à huis clos ? La France, l'Europe devraient se faire les promoteurs les plus ardents de cette conception nouvelle du droit international (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

D'autres leçons sans doute seront à tirer de cette période quant au système de sécurité internationale à mettre en place. Parce que les menaces concernent l'ensemble de l'humanité, ni un seul pays, ni un groupe de pays - fussent-ils de l'OTAN - ne peuvent décider à la place des autres.

Il serait temps de renforcer la vérification de l'application des traités d'interdiction des armes biologiques.

Parmi les défis à relever, il y a celui du développement. C'est une part essentielle de la réponse à apporter au terrorisme et aux idéologies qui l'alimentent.

Tant que subsisteront des situations d'injustice flagrantes, face à l'indifférence des pays du Nord, voire à leur soutien à des régimes corrompus - pétrole oblige -, alors les prophètes de la violence auront de beaux jours devant eux.

Où en est-on réellement dans l'annulation de la dette du tiers-monde ? Dans l'objectif de 0,7 % pour l'aide publique au développement ?

Cela nous concerne au premier chef, nous riverains de la Méditerranée. Le pourrissement du conflit du Proche-Orient alimente les frustrations, le sentiment du « deux poids-deux mesures ». Son règlement devient une urgence absolue.

Il y a également urgence à concevoir un grand plan de développement entre l'Europe et l'ensemble méditerranéen, jusqu'au Moyen-Orient, en tirant les leçons de l'échec des politiques néo-libérales.

Oui, notre capacité à ouvrir le dialogue avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sera un signal de notre volonté de nous attaquer aux racines de la misère, de l'injustice, de la violence (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Jean-Jacques Guillet - Conférence de Berlin, envoi de troupes françaises sur le terrain, buts de guerre en partie atteints : voilà ce qui justifie le débat d'aujourd'hui, dont je regrette qu'il ne s'achève pas par un vote, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne et en Allemagne. L'absence de ce vote est révélatrice.

Que notre politique étrangère soit bien menée, cela ne fait pas de doute, je tiens à le souligner, Monsieur le ministre des affaires étrangères. Mais cela ne suffit pas à lui donner une substance et un contenu. La position de notre pays sur le plan international en est très affaiblie.

La crise née des événements du 11 septembre a mis en lumière cette dure réalité, qui va de pair avec le dramatique déclin de notre outil de défense. Nos partenaires européens, au contraire, ont utilisé la circonstance pour se renforcer et pour démontrer qu'ils avaient des objectifs nationaux clairs - la Grande-Bretagne grâce à ses capacités militaires et l'Allemagne grâce à un ardent désir de retrouver sa pleine souveraineté. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la conférence des partis afghans doit se tenir à Berlin, alors qu'aucune réunion internationale de ce genre ne s'y était plus tenue depuis le Congrès de 1878 sur les Balkans et celui de 1884 sur l'Afrique !

Souhaitons simplement que cette conférence ait un meilleur succès que les congrès en question. Et il faut se féliciter de l'aboutissement des efforts de M. Brahimi. Que l'ONU retrouve une fonction un peu oubliée est aussi une bonne chose. Mais cette conférence ne doit pas avoir d'autre objet que d'assurer l'indépendance de l'Afghanistan et la liberté de son peuple. Trop souvent, ce pays a été le jouet des puissants du moment et le terrain d'affrontements qui ne lui sont pas toujours, quoi qu'on dise, intrinsèques ! Aujourd'hui, il faut construire un Etat intégré dans la communauté internationale. Tout semble démontrer qu'après vingt-trois ans de guerre, les Afghans en ont la volonté. Leur imposer une solution qui ménagerait en fait les appétits de ses voisins serait aller à l'encontre du but recherché.

De ce point de vue, je me réjouis que le Front uni ait pénétré plus tôt que prévu dans Kaboul, donnant raison au regretté commandant Massoud lorsqu'il pronostiquait cet effondrement. Puisse-t-il aussi avoir vu juste lorsqu'il annonçait devant le Parlement européen, en juin 2000, que la seule solution pour l'Afghanistan était la démocratie. Faisons confiance à ses successeurs pour tenir cette promesse et apportons-leur notre soutien. Respectons l'indépendance de ce pays.

Par la sympathie qu'elle recueille, tant dans les milieux afghans qu'en Iran, la France peut jouer un rôle majeur dans ce processus.

Le contingent que nous envoyons sur le terrain est modeste, mais tout n'est-il pas dans le symbole ? Sa tâche sera avant tout humanitaire, ce qui est bien, même si notre armée s'interroge en ce moment sur ses misions. Cependant, ces 320 hommes sont-ils si indispensables ? Surtout, ne prend-on pas le risque d'un engrenage militaire, comme le redoute M. Chevènement, ne va-t-on pas contre le désir d'indépendance et de liberté des Afghans en leur imposant cette présence étrangère ? Ne satisfait-on pas plutôt un désir inassouvi de compter parmi les acteurs du drame ? Ne projette-t-on pas sur le théâtre afghan des fantasmes européens ?

Deux des buts de guerre sont presque atteints aujourd'hui : le régime taliban s'est effondré et, son infrastructure afghane détruite, Ben Laden est voué à la capture ou à la mort. Nous devons donc concentrer maintenant nos efforts sur un troisième objectif : l'éradication du terrorisme islamiste. Mais cette action-là serait vaine si nous ne parvenions pas, dans le même temps, à résoudre le conflit israélo-palestinien. En effet, celui-ci a été le prétexte à l'action de Ben Laden, cependant que l'embargo décrété contre l'Irak a contribué à alimenter la ranc_ur contre l'Occident. Ne prenons pas le risque de voir se lever d'autres Ben Laden, par exemple en laissant déstabiliser encore davantage l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe !

De même que l'abcès du Cachemire doit disparaître, il est essentiel de remettre Israéliens et Palestiniens sur le chemin de la paix.

Notre action doit donc être avant tout diplomatique. Elle ne doit pas se perdre dans les illusions européennes, elle doit disposer d'outils sûrs - un outil de défense qui fonctionne, une politique d'aide publique, un développement qui ne soit plus en diminution constante et, surtout, une volonté politique restaurée après une absence qui n'est pas due à la seule cohabitation.

Le débat est clos.

M. le Premier ministre - Je répondrai à la fois sur la forme et sur le fond, puisqu'on les a distingués. En ce qui concerne le premier, je me réjouis qu'il y ait peu de divergences sur l'essentiel : la cohésion nationale en est renforcée en ce temps d'épreuve et cela prouve que, depuis le 11 septembre, nous avons la politique qui convient.

En ce qui concerne la forme, je considère, Monsieur Douste-Blazy, que ce débat ne vient ni trop tôt ni trop tard, mais au bon moment : quand la situation militaire vient de connaître un tournant majeur, sonnant l'heure de nouvelles formes d'engagement. Je ne sais d'ailleurs quel aurait été le bon moment...

J'ai été surpris, je l'avoue, par le propos de M. Juppé : je ne m'attendais pas, en effet, à ce qu'on m'adresse, à moi, des remarques sur la nature et le degré d'information à fournir au Parlement. Mais je vous rassure, Monsieur le Premier ministre : dire tout au Parlement ne me serait pas un problème. Et c'est en prenant en compte les préoccupations comme les prérogatives du Président de la République que j'ai décidé de la forme de mes interventions ici. Comment ne l'aviez-vous pas deviné, vous qui étiez bien placé pour ce faire ? D'autre part, pour comparer notre situation à celle de certains de nos voisins européens comme vous l'avez fait, souhaiteriez-vous réformer les institutions de la Ve République ? Si tel est le cas, dites-le nous et prévenez-en le Président ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste)

Comme je l'avais annoncé dès le début, j'ai veillé à donner au Parlement des informations sûres et précises, non seulement sur les décisions militaires de principe mais aussi sur les possibilités de leur mise en _uvre. A cet égard, j'ai respecté mon devoir de responsabilité sans jamais céder à la tentation des effets d'annonce. Vous avez donc été informés en temps réel de la réalité de notre engagement et de nos difficultés - qui ne nous sont d'ailleurs pas propres.

N'oublions pas que nous sommes entrés dans ce conflit, non parce que l'Afghanistan comme tel nous posait problème, mais parce que le c_ur des Etats-Unis avait fait l'objet d'une attaque violente et scandaleuse. Nous ne nous sommes pas mis en mouvement en raison d'une crise locale, mais parce que nous avons pris conscience que le terrorisme international devenait une menace mondiale.

Cela étant, il sera difficile de parvenir, à Berlin, à une solution politique sur laquelle s'accordent tous les Afghans. Nous ne voulons pas mettre le nouveau régime sous tutelle, mais nous ne voulons pas non plus laisser les chefs de guerre se partager ce pays, en violant les droits élémentaires et en prélevant leur dîme sur l'aide humanitaire. Il nous faut donc trouver la juste attitude, qui favorise l'opposition d'un consensus sans rien renier de nos responsabilités.

De ce point de vue, l'Union européenne a eu raison de distinguer entre l'aide d'urgence, qui doit être accordée sans conditions ni délais, et l'aide à la reconstruction qui doit reposer sur une conditionnalité positive. Ce sera pour les responsables afghans une incitation à ne pas céder aux vieux démons, à ne pas revenir en arrière. D'où la difficulté de la tâche, aussi.

Mais, je le répète, n'oublions pas, pendant tout ce temps, que ce qui nous a mis en mouvement, c'est la menace terroriste. Pour autant, je souhaite que l'Afghanistan devienne un pays moderne, où tous se seront réconciliés, et le fait que le problème que ce pays posait ne soit déjà plus qu'un problème régional ou local est un premier résultat dont nous pouvons nous féliciter.

Monsieur Chevènement, notre action politique, les conditions mêmes de notre engagement militaire éventuel, ne sont pas à concevoir dans un autre cadre que celui des Nations unies.

La diplomatie française a d'ailleurs joué un rôle moteur dans le vote des trois résolutions qui encadrent l'action internationale et la dernière, la résolution 1374, reprend les principes du plan français pour une solution politique présenté le 1er octobre par Hubert Védrine.

Quant à la mission de sécurisation que nous espérons mener d'ici quelques jours à Mazar-e-Charif, l'intervention de notre détachement, Monsieur le Président...

M. Jacques Myard - Bientôt, bientôt ! (Rires sur tous les bancs)

M. Michel Hunault - Lapsus révélateur...

M. le Premier ministre - Nous verrons bien. En attendant, il est forcément président de quelque chose (Rires).

M. le Président - De la communauté urbaine...

M. le Premier ministre - De la communauté urbaine de Belfort, bien sûr ! Mais vous ne me laissez jamais finir mes phrases, Messieurs et Mesdames les députés (Rires).

L'intervention de notre détachement, donc, a un objectif défensif et local. Nous en suivons de très près le déroulement et nous déciderons de sa poursuite en fonction de la solution politique qui se dégagera sous l'égide de l'ONU. J'ai moi-même indiqué que nous refuserions tout engrenage ; nous veillerons donc à empêcher toute dérive de cette mission.

Par ailleurs, Monsieur le député, nous avons veillé dès avant le 11 septembre et depuis lors avec une vigilance accrue, à la sécurité de notre territoire et j'ai été sensible au fait que vous ayez souligné la montée en puissance des réserves que nous prévoyons.

Nous continuerons donc à mener une lutte à la fois globale et diversifiée contre le terrorisme. Même si une victoire est remportée en Afghanistan dans les semaines qui viennent, d'autres fractions d'Al-Qaïda, d'autres réseaux terroristes peuvent frapper. Nous ne relâcherons donc pas l'effort sur le plan judiciaire, policier, du renseignement, et en ce qui concerne le contrôle des banques et des paradis fiscaux. Nous le ferons aussi sur le plan militaire, si on nous le demande, et selon les conditions qui nous conviennent.

Nous aiderons l'Afghanistan, Monsieur Douste-Blazy, sur le plan humanitaire, et nous l'aiderons à se reconstruire.

Nous veillerons aussi à ce que ce conflit n'ait pas d'impact négatif dans notre pays. Le large consensus qui s'est dégagé ici est un bon signe, mais il doit exister aussi dans toute la société. Au lendemain des attentats, nous avons réaffirmé notre respect pour la religion musulmane et prévenu que nous ne tolérerions aucun acte raciste, aucune attaque contre cette catégorie de nos concitoyens. J'indique également, puisque certaines inquiétudes m'ont été signalées, que nous ne tolérerons pas non plus les actes antisémites.

M. Claude Goasguen - Très bien !

M. le Premier ministre - Les auteurs de telles violences seront systématiquement recherchés et traduits devant la justice. Cependant les actes racistes et antisémites ont plutôt diminué par rapport à la période de septembre à novembre derniers. Le Gouvernement rend d'ailleurs hommage à tous les responsables communautaires, qui ont adopté une attitude calme et raisonnée face à la situation créée par les attentats.

Le Gouvernement continuera à affirmer notre solidarité dans la lutte contre le terrorisme. Aux côtés du Président de la République, il fera entendre la voix de la France et contribuera à une expression forte et cohérente de l'Europe. Bien entendu, Monsieur Bocquet, nous restons des promoteurs inlassables du droit international. S'agissant du jugement des grands criminels, la France a agi pour la mise en place d'une cour pénale internationale. Il reste bien sûr à l'installer concrètement.

Depuis le 11 septembre, le Gouvernement et moi-même avons consacré à la lutte contre le terrorisme un temps que nous aurions souhaité utiliser à des tâches plus pacifiques. Mais nous sommes restés et nous restons concentrés sur la recherche de solutions aux problèmes que connaissent les Français : c'est notre mission et ce qu'ils attendent de nous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

La séance, suspendue à 17 heures 40, est reprise à 18 heures, sous la présidence de Mme Catala.

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

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PUBLICATION DU RAPPORT D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Mme la Présidente - Le mercredi 14 novembre 2001, j'ai informé l'Assemblée nationale du dépôt du rapport de la commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des intempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation.

Je n'ai été saisi, dans le délai prévu à l'article 143, alinéa 3, du Règlement, d'aucune demande tendant à la constitution de l'Assemblée en comité secret afin de décider de ne pas publier tout ou partie du rapport.

En conséquence, celui-ci, imprimé sous le n° 3386, a été distribué.

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LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2002 (nouvelle lecture)

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que la commission mixte paritaire n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture du texte transmis le 15 novembre 2001.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Votre assemblée est à nouveau saisie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002. Au cours de la première lecture, j'ai dit combien ce texte est important pour la protection sociale de nos concitoyens, et combien ce Gouvernement et cette majorité ont travaillé à son amélioration depuis 1997. De nombreuses mesures concrètes, qui touchent les Français dans leur vie quotidienne, ont été adoptées, et nous pouvons être fiers du travail accompli ensemble, même s'il reste beaucoup à faire.

Ce travail n'a été possible que parce que nous avons rétabli les comptes de la sécurité sociale. Lorsque les Français nous ont confié les responsabilités en 1997, nous devions faire face à un déficit cumulé de plus de 200 milliards de francs, laissé par la droite depuis 1994. Grâce à une politique volontariste de soutien de la croissance et de l'emploi, nous avons inversé la tendance et fait reculer le chômage d'un million de personnes.

C'est ainsi que la sécurité sociale a renoué avec les excédents depuis 1999, et c'est ainsi que nous avons pu financer des volets importants de notre politique, en instituant la couverture maladie universelle, en développant la politique familiale, en améliorant la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, en assurant une meilleure qualité des soins pour tous nos concitoyens, et en associant les retraités aux fruits de la croissance.

Cela, nous avons pu le faire tout en construisant pour l'avenir, en accumulant des réserves qui sont le patrimoine collectif des Français, pour garantir la pérennité de leurs retraites, et en investissant en faveur de l'accueil des jeunes enfants.

Si j'énumère brièvement ces résultats, c'est parce que la majorité sénatoriale a volontairement et grossièrement travesti cette réalité, peut-être par esprit partisan, sans doute par refus d'assumer le soutien qu'elle accordait il y a encore peu de temps aux gouvernements qui ont maltraité nos finances sociales. C'est ainsi que, lors de la première lecture devant le Sénat, la droite a fait une présentation trompeuse des comptes sociaux, et caricaturé, sans propositions alternatives, les grandes lignes de notre politique.

Le Gouvernement s'est opposé à toutes les tentatives visant à dénaturer le texte qui avait été adopté en première lecture par votre assemblée. Je pense ici à la nature des ressources affectées au FOREC, à la suppression de l'ONDAM et au principe d'une nouvelle régulation des dépenses maladie, à l'abondement des différents fonds pour la modernisation des établissements de santé, pour la qualité des soins de ville, pour l'accueil de la petite enfance, ainsi qu'aux mesures de provisionnement du fonds de réserve des retraites. Sur de nombreux points, la majorité sénatoriale reste en désaccord avec la majorité de l'Assemblée nationale, et je vous proposerai de rétablir sur ces points le texte que vous aviez voté en première lecture.

Le Sénat a cependant approuvé certaines dispositions que le Gouvernement vous avait présentées en première lecture, pour l'indemnisation des victimes de l'amiante, ou suite à la concertation menée avec les professionnels de santé. Il a voté conforme les dispositifs concernant les gardes libérales, le développement des réseaux, les aides à l'installation de praticiens en zone rurale ou dans les quartiers urbains sensibles, ainsi que l'informatisation et la formation dans les centres de santé.

Pour améliorer encore notre système de soins, le Gouvernement vous proposera un amendement important visant à rénover le système conventionnel. Je souhaite que nous ayons un large débat sur cet amendement, qui résulte de la concertation menée depuis plusieurs mois, et que le conseil d'administration de la CNAM a approuvé hier à l'unanimité.

En première lecture, la majorité de votre assemblée avait insisté sur les moyens dont doit disposer l'hôpital public pour assurer ses nombreuses et difficiles missions.

Nous avons engagé depuis deux ans une politique globale de modernisation de l'hôpital public en relançant le dialogue social. Je rappelle que les protocoles des 13 et 14 mars 2000 ont amélioré les conditions de travail, rendu plus attractives les carrières des praticiens hospitaliers et relancé la promotion professionnelle et les formations des personnels de la fonction publique hospitalière ; je rappelle aussi que le protocole du 14 mars 2001 sur les filières professionnelles dans la fonction publique hospitalière revalorise les cursus professionnels et les rémunérations. Il ouvre les possibilités de promotion interne et apporte des solutions au blocage des carrières lié à la démographie. Enfin, nous avons engagé la réduction du temps de travail afin de répondre aux attentes des personnels quant à leurs conditions de travail et de vie personnelle, en l'accompagnant de 45 000 créations d'emplois sur trois ans.

L'ensemble de ces mesures représente un effort financier de 7,8 milliards pour 2001 et 2002. Si l'on ajoute les 3,9 milliards de mesures nouvelles décidées en première lecture, on arrive à un total de 11,7 milliards. Permettez-moi de rappeler ces mesures nouvelles : pour 2001, un complément de crédits de 1 milliard sur la dotation hospitalière pour réduire les tensions budgétaires de certains établissements, 900 millions de francs de plus pour le FMES, afin d'aider au financement de promotions professionnelles et de projets sociaux ; enfin, et cela s'est ajouté depuis notre dernier débat, les 2 milliards qui permettront dans le collectif, de tenir les engagements des protocoles de mars 2000 en faveur des remplacements des personnels.

Pour 2002, le FMES sera doté de 1 milliard de francs pour le soutien à la politique sociale et à l'investissement, et l'investissement relancé par le milliard accordé au Fonds d'investissement et de modernisation de l'hôpital.

Comme beaucoup d'entre vous, je connais et salue le rôle essentiel que joue l'hôpital public dans l'accès aux soins de tous et à tout moment. Cela justifiait des efforts. A présent, le Gouvernement instruit la répartition de ces crédits exceptionnels, afin qu'ils puissent être notifiés dès que cette loi sera adoptée. Nous procédons aussi à la répartition régionale des 45 000 emplois qui accompagnent la mise en place des 35 heures dans la fonction publique hospitalière.

Je veux maintenant revenir sur un amendement que le Gouvernement a fait adopter par le Sénat, et qui concerne les cliniques privées. Faisant suite à l'accord du 4 avril 2001, le protocole du 7 novembre a conclu une longue phase de négociations commencée avec les professionnels de ce secteur, afin de prendre pleinement en compte la situation sociale des cliniques privées.

Dans le cadre de cet accord, le Gouvernement a prévu 1,7 milliard de francs pour des mesures sociales et salariales. Pourquoi aider les cliniques privées ? Celles-ci ne sont pas des entreprises privées de droit commun. Alors que ces dernières répondent à la demande du marché et réorientent leur activité librement, l'activité des cliniques est encadrée par les pouvoirs publics, et soumise à une autorisation dans le cadre du schéma régional d'organisation paritaire qui assure la complémentarité avec l'hôpital public.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - C'est très bien de le rappeler !

Mme la Ministre - D'autre part, les cliniques sont financées à près de 90 % par l'assurance maladie. Nous sommes donc bien dans un système mixte et nous devions, en effet, aider les cliniques en difficulté, lorsqu'elles jouent ce rôle complémentaire de l'hôpital dans l'offre de soins définie par les schémas régionaux d'organisation sanitaire. En outre, une clinique qui ferme, c'est une tension supplémentaire immédiate pour l'hôpital public.

M. le Président de la commission - Tout à fait !

Mme la Ministre - Deuxième question : à quoi serviront les aides ? Avant tout à améliorer les rémunérations des personnels non médicaux. L'amendement adopté par le Sénat, concernant le fonds de modernisation des cliniques privées, ouvre en effet ce fonds au financement des actions sociales et salariales. A cet effet, il sera doté de 600 millions de francs en 2001 et en 2002, soit un effort de 1,2 milliard. La fédération de l'hospitalisation privée s'engage à parvenir rapidement à une nouvelle convention collective qui permettra des revalorisations salariales significatives, notamment pour les infirmières, et je dis bien, pour les personnels non médicaux.

Nous avons également obtenu que, dans le cadre de cet accord, une enveloppe de 500 millions de francs soit consacrée aux augmentations des salaires des personnels. Ces points feront l'objet d'un suivi rigoureux dans le cadre d'un observatoire tripartite, que j'installerai d'ici la fin du mois.

Comment allons-nous contrôler l'usage de ces fonds ? Les cliniques devront mettre à la disposition des ARH les éléments d'information nécessaires, et cela sera spécifié dans le contrat type qui sera passé entre les ARH et les cliniques privées.

Mesdames et messieurs les députés, je souhaitais être particulièrement complète et précise au sujet des efforts que ce projet comporte en faveur de l'hospitalisation publique et privée.

Voilà donc une politique sanitaire cohérente, visant à mieux soigner les patients et à donner aux professionnels de chaque secteur des perspectives d'évolution salariale satisfaisantes.

L'accès à des soins de qualité pour tous nos concitoyens est une des priorités du Gouvernement. Il suppose que l'hôpital public, les cliniques et la médecine de ville assurent conjointement une offre de soins appropriée, et disposent d'un juste niveau de moyens pour répondre à la demande de la population dans le respect des règles de bon usage de nos finances publiques.

C'est dans cet état d'esprit que le Gouvernement aborde la suite de la discussion. Je souhaite que vous partagiez cette démarche, et je sais que la majorité, en tout cas, la soutient.

M. Claude Evin, rapporteur - Absolument.

Mme la Ministre - En première lecture, nous avons longuement débattu de la retraite des personnes de moins de 60 ans qui ont cotisé 160 trimestres. Nous avons adopté la proposition d'Alfred Recours qui garantit aux chômeurs et aux inactifs un revenu minimum de 5 750 F par mois jusqu'à leur retraite. Cette « allocation-équivalent-retraite » a été votée dans le budget de l'emploi le mardi 6 novembre, ce qui a conduit à la supprimer du PLFSS.

D'une manière générale, deux ambitions s'affrontent. Le projet pour la réforme de la sécurité sociale du MEDEF a dévoilé ses objectifs : la fin du paritarisme et la privatisation de la sécurité sociale. Il propose en effet de déléguer aux assureurs privés la gestion de l'offre de soins, contre un versement forfaitaire de l'Etat pour chaque assuré ; de transformer tous les régimes de retraite en régimes par points strictement contributifs ; et de confier la gestion de l'assurance accidents du travail aux seuls employeurs.

Nous voulons, nous, renouveler le contrat qui lie l'Etat et les partenaires sociaux pour la gestion de la sécurité sociale, et développer la qualité de notre système de soins, qui associe les professionnels, publics et libéraux, les caisses, les mutuelles et les assurances complémentaires. Nous faisons le choix de la complémentarité pour affirmer la solidarité face à la maladie. L'opposition, en développant une concurrence qui aboutirait à l'inégalité, ferait courir des risques majeurs à notre cohésion.

En matière d'assurance maladie, les propositions de M. Kessler sont une porte ouverte à la sélection des risques : les opérateurs privés ne voudront attirer à eux que les personnes qui sont en bonne santé. Comment les personnes à faibles ressources, ou celles qui souffrent d'affections graves seraient-elles couvertes ? Le MEDEF ne le dit pas, mais la réponse est évidente : par un régime public qui leur serait réservé. Ce serait bien cette sécurité sociale à deux vitesses ; dont les Français ne veulent en aucun cas (M. Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, approuve).

En matière de retraite, ce serait la fin du système original qui, depuis plus de cinquante ans, nous permet de concilier la diversité des couvertures selon les professions, la solidarité entre ces professions et la solidarité à l'intérieur d'une même profession, par les diverses dispositions non contributives qui permettent à chacun d'obtenir une bonne retraite malgré une carrière professionnelle ayant connu des aléas. La généralisation des régimes par points proposée par le MEDEF annonce l'étape suivante : l'entrée en force des fonds de pension, dont les conséquences anti-redistributives sont certaines (M. le président de la commission approuve).

Enfin, en ce qui concerne les accidents du travail, comment croire que les salariés seraient mieux protégés si le risque venait à être géré exclusivement par les employeurs ?

Les Français attendent d'autres réponses et il y a beaucoup à faire pour adapter ce grand service public qu'est la sécurité sociale à leurs besoins, qui sont en constante évolution. Il faut améliorer la régulation du système de santé sans créer de discriminations dans l'accès aux soins, introduire la souplesse qu'attendent nos concitoyens dans les conditions du départ en retraite et améliorer la réparation des accidents du travail, en visant une réparation intégrale.

Ce sont les orientations que le Gouvernement met en _uvre dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Nos choix sont clairs, et nos concitoyens sont en droit d'attendre de l'opposition qu'elle se prononce aussi clairement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour les recettes et l'équilibre général - Une fois n'est pas coutume, le Sénat a voté conforme un bon tiers des dispositions que nous avons adoptées en première lecture.

M. Jean-Pierre Foucher - Il n'a pas tort !

M. Alfred Recours, rapporteur - Même s'il reste des divergences, le Sénat a adopté les mesures nouvelles relatives à l'amiante, à la suppression des frais d'assiette sur les impositions affectées à la sécurité sociale. Mais curieusement s'il accepte les dépenses imputées au FOREC, il refuse les dépenses visant à le financer !

M. Jean-Pierre Foucher - Il est réaliste, lui !

M. Alfred Recours, rapporteur - Il faut quand même bien financer les dépenses que l'on vote.

Le Sénat a exprimé son accord sur une série d'autres dispositions, mais trois points de désaccord importants demeurent. D'abord, il a voulu jouer au plombier en débranchant les tuyaux de financement de la sécurité sociale, mais je ne crois pas qu'il soit prêt à obtenir son CAP !

M. Yves Bur - Il pourrait obtenir un diplôme d'ingénieur !

M. Alfred Recours, rapporteur - M. Fabius a dit qu'il n'y a que les diplômes de la vie qui comptent ! En tout cas le Sénat a oublié de brancher d'autres tuyaux à la place de ceux qu'il enlevait. Il a supprimé les affectations de recettes internes à la sécurité sociale destinées à alimenter le FOREC, en limitant les recettes de ce dernier à celles qui lui ont été transférées par l'Etat. Il en résulterait pour ce fonds un déficit de 72 milliards de francs entre 2001 et 2002 ! Le Sénat nous incite peut-être à suivre la méthode du précédent gouvernement, qui a laissé s'accumuler entre 1993 et 1997 un déficit de 266 milliards ! Mais je vous invite à prendre conscience des conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale. Le FOREC n'est pas un fonds sans fond ! Il reverse à la sécurité sociale tout ce qu'il reçoit, c'est donc un bon outil de redistribution interne. Il finance des exonérations de cotisations patronales - décidées par le précédent gouvernement - et il sera équilibré en 2001 comme en 2002. Les oiseaux de mauvais augure qui gardent l'arrière-pensée de privatiser la sécurité sociale, au moins pour partie, en seront pour leurs frais : avec ce gouvernement, il n'y aura pas de trou de la sécurité sociale !

M. Marc Laffineur - Ce n'est pas ce que dit la Cour des comptes !

M. Alfred Recours, rapporteur - Deuxième point de désaccord : le Sénat a retiré 7 milliards de francs au fonds de solidarité pour les retraites. Il est opposé à la solidarité entre branches, qui est pourtant au c_ur de notre système depuis 1945. Il a également supprimé l'affectation de 15 % supplémentaires du prélèvement sur le capital au fonds de réserve, alors qu'il s'agit d'une ressource fiscale durable.

Enfin, le Sénat a une nouvelle fois supprimé l'ONDAM, ce qui revient à rendre la loi de financement inconstitutionnelle, au regard de la loi organique de 1996 pourtant votée par le Sénat. Celui-ci refuse de discuter de l'évolution des dépenses d'assurance maladie, tout en adoptant les mesures nouvelles proposées par le Gouvernement ! Une augmentation de 3,9 % sur un objectif rebasé est tout de même préférable à celle de 1997, 1,5 % sans rebasage. N'oublions pas qu'en 2002 on dépensera pour la santé 100 milliards de francs de plus qu'en 1997 !

Pour les oiseaux de mauvais augure qui annoncent régulièrement que nous ne pourrons tenir nos objectifs du fait de la conjoncture économique, voici trois nouveaux éléments de réponse.

M. Jean-Luc Préel - Les prévisions de l'OCDE Par exemple ?

M. Alfred Recours, rapporteur - D'abord, l'évolution de la masse salariale, qui était estimée à 5,9 % dans le PLFSS pour 2001, s'établira plutôt à 6,5 %. Les gains ainsi engrangés seront, par un effet mécanique, disponibles pour 2002. Certes, je reconnais que le Gouvernement s'était trompé dans ses prévisions, mais c'est par excès de modestie.

Les oiseaux de mauvais augure nous avaient également annoncé une augmentation du prix du pétrole, suite au conflit en Afghanistan. Aujourd'hui, à 18 dollars le baril, le prix a baissé d'un tiers. Enfin, la BCE a commencé à diminuer ses taux. Ces trois éléments de la conjoncture économique, s'ils n'annoncent pas le printemps, ne permettent pas non plus de mettre en cause nos prévisions pour 2002. Je ne peux plus que souhaiter que le Gouvernement se trompe comme il l'a fait en 2001...

M. Yves Bur - Nous le souhaitons !

M. Alfred Recours, rapporteur - En-dehors de ce qui a été voté conforme par le Sénat, je vous demanderai donc de revenir au texte adopté précédemment par l'Assemblée nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président de la commission - Très bien !

M. Gaillard remplace Mme Catala au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Claude GAILLARD

vice-président

M. Claude Evin, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l'assurance maladie et les accidents du travail - Dans plusieurs articles modifiés par le Sénat nous aurons à rétablir le texte voté par l'Assemblée nationale.

Le principal débat qui nous occupera tient au nouveau mécanisme de conventionnement : je préfère l'aborder dans la discussion des articles, quand nous examinerons l'amendement déposé par le Gouvernement.

M. Denis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l'assurance vieillesse - Je profiterai de mon temps de parole pour explorer quelques pistes. Ainsi, nous devons réfléchir à la création d'un cinquième risque, au sein de notre système par répartition, pour la perte d'autonomie. Il faut autoriser les salariés qui totalisent quarante annuités de cotisation à partir en retraite avant d'avoir atteint l'âge de soixante ans. Par ailleurs, l'âge de départ à la retraite devrait être abaissé pour les travailleurs handicapés.

Il faudrait indexer les pensions de retraite sur un paramètre sûr et connu des intéressés. De même, l'alimentation du fonds de réserve des retraites doit rester pérenne. On ne peut changer les règles du jeu chaque année.

Le taux des pensions de réversion doit être relevé. Beaucoup de personnes âgées ne disposent que de faibles ressources et nous avons le devoir de les aider. Il faut aussi relever le plafond du cumul de la pension de réversion et des droits propres.

Je veux insister sur la situation des associations d'aide à domicile pour les personnes âgées, qui ont du mal à appliquer la loi sur les 35 heures. Elles doivent réduire de 10 % le temps de travail de leur personnel, mais les aides publiques ne couvrent qu'une faible part des éventuels recrutements de personnel administratif ou de salariés en contrat à durée déterminée. Ces associations sont donc contraintes de solliciter les financeurs ou d'embaucher dans des proportions inférieures à la réduction du temps de travail.

Cependant, les besoins demeurent les mêmes et l'emploi de personnels supplémentaires a un coût supérieur à l'évaluation forfaitaire de 4,90 francs arrêtée par la CNAVTS.

Cette situation risque de conduire certains financeurs à recourir à des services moins qualifiés, proposant une solvabilisation globale des prestations.

Par ailleurs, faut-il limiter le temps de travail à l'embauche et privilégier de façon systématique le travail à temps partiel en fixant, par des consignes strictes, le niveau maximal d'emploi du personnel ?

Afin de contenir la progression de la masse salariale, faut-il envisager la réduction ou suppression d'avantages extra-conventionnels dont bénéficient aujourd'hui les personnels, comme la participation aux frais de déplacement ou les primes ?

Enfin, l'application de la RTT n'aboutit-elle pas à une discrimination au sein d'une même catégorie de personnel en fonction du nombre d'heures hebdomadaires effectuées ?

D'autres difficultés sont causées par l'assimilation du temps de déplacement à du temps de travail effectif et la mise à la charge de l'employeur de l'ensemble des frais professionnels, conformément à la décision de la Cour de cassation du 9 janvier 2001.

La loi du 20 juillet 2001 instituant l'allocation personnalisée d'autonomie va entrer en vigueur le 1er janvier 2002. Elle risque de mettre en concurrence les services prestataires et les services mandataires et d'inciter les familles à embaucher directement.

En effet, les plans d'aides parcellisent les tâches et il est difficile pour les associations employeurs de gérer des personnels assurant des prestations qui ne durent parfois qu'un quart d'heure.

De même, la formation des personnels, dans le cadre de l'unique diplôme existant, le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile, a été négligée par les pouvoirs publics. Dès lors, il est courant de voir des associations, mandataires notamment, faire appel à du personnel non qualifié.

La création de l'APA me réjouit, mais j'invite le Gouvernement à écouter les associations qui sont dans le plus grand désarroi. Des solutions doivent leur être apportées rapidement.

Enfin, il faut relever le salaire des aides à domicile, que vous ne pourrez plus payer de mots. Comment les recruter, les conserver, les stimuler quand, à treize années d'ancienneté, on est encore payé au SMIC, La dernière revalorisation du point de la convention collective de 1983 remonte à 1998.

Nos concitoyens attendent donc un certain nombre de mesures. Je souhaite que les retraités obtiennent satisfaction dans leurs revendications les plus légitimes.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour la famille - Ce projet de loi de financement s'inscrit dans la politique de rénovation de la politique familiale que nous menons depuis 1997.

Au fil des cinq projets de loi de financement de la législature, la majorité aura engagé une politique de la famille plus juste et plus solidaire.

D'importants chantiers ont été ouverts : la réforme du quotient familial, l'allocation de rentrée scolaire, la prolongation, jusqu'à l'âge de 20 ans du bénéfice des allocations familiales, l'amélioration des aides au logement pour les foyers les plus modestes, le développement des modes de garde de la petite enfance, le renforcement des interventions des CAF en matière d'action sociale...

Ce nouvel élan a été rendu possible par le rétablissement des comptes de la branche famille, que nous avons obtenu après 1998, rompant avec les lourds déficits des années antérieures.

S'il continue de s'opposer à certaines des mesures qui ont été décidées pour le financement des avantages familiaux de retraite, le Sénat a adopté certaines innovations comme la création du congé de paternité. Cette réforme va renforcer le rôle des pères en les aidant à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.

Le Sénat a aussi adopté le principe d'une reconduction du fonds d'investissement pour la petite enfance, pour un montant équivalent à celui de l'année passée. Compte tenu des attentes des familles, cette reconduction était nécessaire.

Je me félicite que la discussion ait permis d'améliorer le dispositif du congé de présence parentale. Outre son ouverture aux militaires, qui n'avait pas été prévue dans le texte initial et qui a été votée par le Sénat à l'initiative du Gouvernement, la suppression du délai de carence pour le versement de l'allocation - adoptée à l'initiative de la commission des affaires sociales de notre Assemblée - est aussi une avancée.

Le Gouvernement s'est en outre engagé à porter le montant de l'allocation au niveau d'un SMIC net et à prévoir des aménagements réglementaires pour assouplir la mise en _uvre du dispositif.

Ces nouvelles mesures en faveur des familles viendront compléter celles que nous avons adoptées en première lecture, qu'il s'agisse de la revalorisation des prestations, du logement, de l'autonomie des jeunes adultes, de l'action sociale ou de la réforme de l'allocation d'éducation spéciale.

La cellule familiale sera ainsi confortée dans sa fonction de solidarité et de socialisation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Ministre - Quelques éléments supplémentaires. Nous avons eu une bonne surprise, puisque l'ACOSS a réévalué ses recettes, qui seront supérieures de 12 milliards de francs aux estimations pour l'année 2000. Pour 2001, l'évolution de la masse salariale serait en effet de 6,5 %, au lieu des 5,9 % annoncés en septembre. Si cette bonne nouvelle se confirme, nous disposerons encore de 6 milliards supplémentaires.

Nous pouvons donc envisager sereinement l'exercice 2002, même si la conjoncture devenait défavorable. Pour 2002 en effet, nous avons estimé l'évolution de la masse salariale à 5 %, et l'excédent atteindrait alors 10 milliards pour les deux exercices.

Monsieur Jacquat, les difficultés du secteur de l'aide à domicile sont réelles, mais nous avons déjà commencé à y répondre. La réduction du temps de travail préoccupe légitimement les associations. Mais j'ai annoncé au congrès de Clermont-Ferrand, il y a dix jours, que nous ne nous en tiendrions pas à la réévaluation de 4,90 F l'heure, car les derniers calculs montrent qu'elle serait insuffisante. Je demanderai à la CNAF, responsable en la matière, de prévoir une augmentation d'au moins 7,50 F, voire 8,50 F, en fonction du résultat des évaluations actuellement en cours. Nous ne voulons pas avoir à réviser ce chiffre à nouveau dans quelques mois.

M. Denis Jacquat, rapporteur - Je voulais vous l'entendre dire ici !

Mme la Ministre - Quant aux mesures d'aide à ce secteur, je rappelle que vous avez voté un soutien à la formation de 350 millions de francs. Par ailleurs, j'ai signé les textes nécessaires à la rénovation du certificat d'aptitude : l'objectif est de rendre ce métier plus attractif, car on évalue à plusieurs dizaines de milliers le nombre d'emplois qui vont être créés grâce à l'APA. Avec Paulette Guinchard-Kunstler, nous _uvrons pour qu'une convention collective unique régisse ce secteur, afin d'améliorer les rémunérations et de généraliser le remboursement des frais de transport.

M. Denis Jacquat - Tout à fait d'accord !

Mme la Ministre - Les décrets sont parus aujourd'hui même au Journal officiel : nous tenons donc les engagements pris vis à vis des rapporteurs. M. Pascal Terrasse a d'ailleurs participé à l'élaboration de ces décrets, ce qui est une méthode nouvelle.

Les conseils généraux ont d'ailleurs été nombreux à anticiper car ils ont reçu les informations nécessaires. Je pense donc que, sur la majeure partie du territoire, l'APA pourra se mettre en place dès le début de l'année prochaine.

L'APA a certainement révélé des problèmes et besoins criants : elle ne les a pas créés, au contraire elle va nous permettre de les résoudre.

Merci à Mme Clergeau d'avoir rappelé tout ce que nous avons pu faire pour les familles grâce à la reconstitution des excédents (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Mattei et des membres du groupe DL une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Marc Laffineur - Après l'échec de la CMP, nous entamons la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Vous avez refusé les modifications apportées par le Sénat et vous voulez revenir au texte adopté en première lecture a l'Assemblée nationale .

Nous avions souligné pourtant le caractère anticonstitutionnel du texte, et je rends hommage à mon collègue Yves Bur qui, le premier, en avait dénoncé les graves défaillances : opacité des comptes ; absence de perspectives, notamment pour les professionnels de santé ; dérapage constant des dépenses d'assurance maladie.

Comme la loi de finances, le PLFSS repose sur des bases économiques exagérément optimistes. En retenant un taux de croissance de 2,5 % alors que les instituts de conjoncture prévoient, au mieux, 1,5 %, vous avez construit un château de cartes qui ne peut que s'effondrer.

En ce qui concerne les recettes de la sécurité sociale, vous avez profité d'une conjoncture sans précédent, que vous avez gaspillée. Or, la croissance se ralentit et le chômage augmente depuis cinq mois.

Le déficit de la sécurité sociale va donc s'aggraver encore. Contrairement à ce que vous affirmez, il n'a pas disparu (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). En effet, alors que vous annoncez des excédents de 5,2 milliards de francs en 2000, de 9,8 milliards de francs en 2001 et de 7,5 milliards de francs en 2002...

M. Alfred Recours, rapporteur - ...plus de 10 milliards !

M. Marc Laffineur - ...la Cour des comptes dresse un tableau bien plus noir : elle déclare que « les résultats des exercices 1998-1999-2000 font apparaître un déficit cumulé de 12 milliards de francs » et ajoute que ces résultats ont été réalisés en dépit d'une croissance économique excellente et d'une progression des charges de retraites encore faible.

L'absence de réformes structurelles et une gestion à vue ne pouvaient qu'engendrer un tel résultat. Les déficits répétés de la branche maladie du régime général illustrent l'absence de maîtrise des dépenses : 17 milliards en 2000, 11,5 milliards en 2001, et, selon les prévisions, 13 milliards en 2002. L'ONDAM a été à nouveau dépassé en 2001, témoignant du caractère peu réaliste des objectifs définis par le Gouvernement. Fixé à 3,5 %, il devrait atteindre 5,4 %. Tout porte à croire que l'ONDAM pour 2002 ne sera pas davantage respecté. Madame la ministre, quelle valeur a un ONDAM constamment révisé ? Cette absence de sincérité des comptes sociaux rend difficile, voire impossible, le contrôle du Parlement. Espérons que ce n'est pas le but visé...

En outre, la complexité des circuits de financement a atteint son paroxysme. Sans entreprendre la moindre réforme, vous multipliez les rafistolages. Aux financements croisés, transferts de charges, débudgétisations s'ajoutent de multiples fonds dédiés au financement d'actions spécifiques et de statuts juridiques divers. A tel point que le Cour des comptes a dû redéfinir le mot « fonds » pour parvenir à tous les recenser.

Cette opacité caractérise également le système de tuyauterie que vous avez imaginé pour financer les 35 heures. Le détournement des fonds du FOREC pour financer les allégements de cotisations liés à la réduction du temps de travail a été réalisé au mépris le plus total de la loi Veil du 25 juillet 1994, qui dispose que toute mesure d'exonération, totale ou partielle, de cotisation sociale, donne lieu à compensation intégrale par le budget de l'Etat.

Les 100 milliards que coûtent les allégements liés aux 35 heures auraient donc dû rester à la charge de l'Etat. Mais pour ne pas compromettre l'équilibre du budget de l'Etat, c'est le régime général et le fonds de solidarité vieillesse, c'est-à-dire les deux contributeurs directs du FOREC, qui assurent le financement des 35 heures à plus de 80 %. Ce montage financer viole la règle d'autonomie financière des branches de la sécurité sociale, ce qui constitue un motif évident d'inconstitutionnalité.

Sans ce « hold-up », l'excédent du régime général atteindrait 35 milliards de francs et le Fonds de solidarité vieillesse, déficitaire de 4 milliards de francs, deviendrait excédentaire de 18 milliards de francs, excédent substantiel qui pourrait être transféré au fonds de réserve des retraites.

Votre objectif principal n'est pas d'assainir les comptes de l'assurance-maladie ou de relever le défi des retraites, c'est d'assurer à tout prix le financement du FOREC et donc des 35 heures, au détriment des malades, des familles et des retraités.

Pour y parvenir, vous ne cessez de modifier l'affectation et la répartition des recettes de la sécurité sociale. Ainsi, les droits sur les alcools et sur les tabacs, ou la taxe sur les véhicules sont-ils quasi-intégralement transférés au FOREC. Il y a pour le moins confusion des genres ! Les recettes devaient servir à réduire le coût que supporte l'assurance maladie du fait de l'alcoolisme, du tabagisme et des accidents de la circulation. Quant aux 35 heures, la décision relève de la responsabilité de l'Etat et ce n'est donc pas aux assurés sociaux d'en assumer la charge.

De même, le Fonds de solidarité vieillesse a perdu au profit du FOREC une partie de ses recettes ainsi que ses excédents de 2002, qui devaient en principe alimenter le Fonds de réserve des retraites. Au total, ce sont 102 milliards qui seront transférés à ce fonds pour la seule année prochaine. A quoi s'ajoute la cerise sur le gâteau : l'annulation pure et simple de sa dette de 16 milliards à l'égard des régimes de sécurité sociale, au titre de l'exercice 2000 ! Toutes les branches du régime général, qui subit à lui seul une perte de 15 milliards de francs, sont affectées par cette annulation, réalisée en violation du principe même des droits constatés.

Le FRR est aussi le grand perdant de cette manipulation. Outre les excédents du FSV, il perd les 3,3 milliards de l'excédent 2000 de la CNAV.

A ce rythme, je crains qu'il ne vous faille réviser au plus vite votre projet de le doter de 1 000 milliards pour 2020, d'autant que les 16 milliards escomptés de la vente des licences UMTS, se sont finalement réduits à quatre !

Tout ce dispositif de financement des 35 heures a été mis à mal par le Sénat, qui a même rétabli la dette qu'avait le FOREC à l'égard du régime général.

Faute de perspectives, vous êtes contraints de réagir au coup par coup, ce qui ne peut entraîner que des gaspillages et des surcoûts : ainsi lorsque vous avez été contraints de lâcher trois milliards pour créer 45 000 emplois dans la fonction publique hospitalière ; puis un peu plus de la même somme pour permettre aux cliniques privées de combler les écarts de rémunération entre leurs personnels et ceux du public. Il faut donc s'attendre à un nouveau dérapage des dépenses d'assurance maladie d'au moins 10 milliards de francs. Qu'en sera-t-il demain ?

Cette politique de rafistolage entraîne une véritable dérive des comptes sociaux sans résoudre les problèmes au fond. Le revirement soudain en faveur des cliniques privées, par exemple, résulte-t-il d'une volte-face idéologique, de la conjoncture pré-électorale ou d'une prise de conscience tardive des difficultés de ces établissements ? Nous vous laisserons le bénéfice du doute... mais ces 3,1 milliards ne suffiront pas à combler des besoins évalués à 6 milliards !

En ce qui concerne les hôpitaux, sans même attendre le passage aux 35 heures, la pénurie de médecins et d'infirmiers est déjà une inquiétante réalité.

Notre système de santé que vous continuez à donner en modèle est en fait à bout de souffle. S'il est encore l'un des meilleurs du monde, on ne le doit qu'au dévouement des personnels, mais est-il normal que les Français atteints de maladies graves doivent attendre une IRM plusieurs semaines, voire doivent se rendre à l'étranger ? Est-il normal de devoir recruter des centaines d'infirmières espagnoles alors que le chômage reste à un niveau élevé dans notre pays ? Vous avez imposé les 35 heures en 1997, et vous n'avez même pas pensé, alors, à augmenter le nombre de places au concours afin de combler les vides. En cinq ans, vous avez réussi à rassembler presque tous les professionnels de santé - mais contre vous ! Sages-femmes, infirmières, gynécologues, généralistes, radiologues, urgentistes et internes : tous sont descendus dans la rue !

Le salaire des infirmières reste bien faible au regard de la difficulté de leur travail et du nombre d'heures supplémentaires qu'elles sont obligées de faire. Pour les médecins généralistes et spécialistes, le tarif de la consultation de base reste désespérément fixé à 115 F, et celui d'une visite à domicile à 135 F, alors que n'importe quel électricien ou plombier ne se déplace pas pour moins de 300 F !

Vous nous annoncez la création de 45 000 emplois en trois ans. Or, la loi relative aux 35 heures, elle, sera applicable au 1er janvier 2002. En outre, ces emplois seront financés, non par l'Etat, mais par l'assurance maladie qui se voit ainsi doublement ponctionnée : par les 8 milliard de recettes qu'elle abandonnera au FOREC et par la charge financière, estimée à 10 milliards, qu'elle va supporter au titre des emplois créés dans les hôpitaux.

Pour la seule année 2002, vous prévoyez de pourvoir 12 300 postes supplémentaires. Mais il faut 3 ans pour former une infirmière et en moyenne 10 ans pour former un médecin : comment allez-vous vous y prendre, sauf à envisager un transfert massif de professionnels du privé vers le public ?

Cette absence de perspectives se retrouve dans votre action contre le dérapage des dépenses d'assurance maladie. Votre logique consiste là à taxer tous azimuts l'industrie pharmaceutique et à sanctionner les professionnels de santé.

Vous dîtes certes vouloir revoir le mécanisme de lettres-clefs flottantes, mais les sénateurs ont bien fait de le supprimer sans attendre. En effet, il a mis en péril le fonctionnement du système conventionnel et fait disparaître toute véritable possibilité de régulation. Tout ce à quoi vous êtes parvenus, c'est à bloquer les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professionnels libéraux, notamment les médecins ! Après un an de concertation, après « deux Grenelles » de la santé, malgré le nombre important de propositions faites par les groupes de travail G7 et G14, vous êtes dans l'impossibilité de proposer un dispositif cohérent et sérieux de maîtrise des dépenses de santé.

M. Claude Evin, rapporteur - Si, nous le pouvons !

M. Marc Laffineur - Dans l'improvisation la plus totale, vous avez, au travers d'amendements, esquissé - mais seulement esquissé - un dispositif auquel s'oppose déjà, une partie des professionnels de santé. Pire ! Sans l'avouer clairement, vous maintenez le mécanisme des lettres-clefs flottantes, pourtant en état de mort apparente, allant ainsi contre le principe de responsabilité individuelle et contre le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Quant à votre politique du médicament, elle consiste davantage à accroître les prélèvements pesant sur l'industrie pharmaceutique qu'à promouvoir le bon usage du médicament.

M. Jean-Pierre Foucher - Très juste !

M. Marc Laffineur - Les laboratoires pharmaceutiques sont sans doute le secteur le plus taxé en France : on approche du seuil de 7 % du chiffre d'affaires. Or cette industrie est devenue le premier producteur de médicaments en Europe et un acteur de premier rang dans la recherche-développement. Elle est en outre fortement créatrice d'emplois, et vous l'obligez à se délocaliser à l'étranger !

Pourtant, la Cour des comptes estime que « les mesures prises depuis 1998 n'ont eu à ce jour qu'un faible impact sur les dépenses ». Elle relève notamment que les médicaments génériques ne représentent que 6,2 % de l'ensemble des unités de médicaments remboursables vendues. Rien n'a été fait pour encourager au « bon usage » du médicament. L'article 47 de la précédente loi de financement avait créé un Fonds de promotion de l'information médicale et médico-économique, destiné à responsabiliser les prescripteurs, mais le décret fixant les conditions de fonctionnement et de gestion de ce fonds n'est toujours pas paru !

M. Claude Evin, rapporteur - Si, hier ! Il faut lire le Journal officiel !

M. Marc Laffineur - Les motifs d'irrecevabilité sont trop nombreux pour que nous puissions accepter ce projet. Recettes virtuelles, versements instables, irréalisme des prévisions, manipulations budgétaires : autant d'atteintes portées à la nécessaire clarté de la loi et à la sincérité budgétaire, principes qui figurent pourtant dans la loi organique sur le financement de la sécurité sociale. La logique des lois de financement qui était d'identifier, pour chaque branche et pour chaque régime, les recettes et les dépenses, est plus que bafouée.

Compte tenu de tous ces motifs d'inconstitutionnalité, du caractère inadapté de ce texte et des rafistolages que le Gouvernement pratique en permanence, je vous demande, mes chers collègues, d'adopter cette exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Pierre Foucher - Excellent !

M. Jean-Luc Préel - Quel talent !

M. Claude Evin, rapporteur - Nous venons d'entendre à nouveau les arguments invoqués par l'opposition en première lecture, ici même, avant que le Sénat les reprenne à l'appui de ses choix. Comme l'a dit M. Recours lorsqu'il a rendu compte de la CMP, il est évident que la majorité de cette Assemblée ne peut les faire siennes, pour la plupart. Je vous propose donc de rejeter cette exception d'irrecevabilité, quitte à revenir dans la discussion des articles sur plusieurs des points soulevés à l'occasion de sa présentation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. Patrick Delnatte - M. Laffineur a de nouveau démontré que ces comptes étaient l'objet d'une manipulation et qu'ils n'étaient pas sincères. Les données économiques avancées par le rapporteur pour justifier son optimisme traduisent plutôt la tentative de freiner la décélération bien réelle de la croissance. Nous allons vers la stagnation.

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Pourquoi dites-vous des choses pareilles ?

M. Patrick Delnatte - Il faut être réaliste. Dans ces conditions, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité.

M. Jean-Pierre Foucher - Le vote de la loi de financement est désormais traditionnel. Pourtant, ce texte arrive dans une impréparation vraiment étonnante. Alors que tant de signes annonçaient les problèmes que connaissent les hôpitaux et les cliniques, on n'avait rien prévu pour les résoudre. Il a fallu attendre la pression de la rue.

M. le Président de la commission des affaires culturelles - Le débat sert donc à quelque chose !

M. Jean-Pierre Foucher - M. Préel, M. Accoyer, M. Morange, M. Laffineur, moi-même, avions posé des questions auxquelles vous n'avez jamais répondu. Il a fallu que les personnels des hôpitaux et des cliniques manifestent pour que vous en donniez.

Et le Gouvernement a continué, en faisant voter au Sénat une disposition sur les médicaments qui gêne l'industrie pharmaceutique, par amendement, la nuit, sans étude suffisante...

M. Alfred Recours, rapporteur - C'est injurieux pour le Sénat.

M. Jean-Pierre Foucher - Le Sénat a été pris de court, il a été trompé par des arguments fallacieux. Le groupe UDF ne peut que voter cette exception d'irrecevabilité.

Mme Muguette Jacquaint - Les hôpitaux et les cliniques manquent d'infirmières et de médecins, nous dit M. Laffineur, il leur faut plus de moyens. Nous en sommes bien d'accord. Mais tout de suite il ajoute : attention, on dépense trop. C'est incohérent. Pour nous, il faut poursuivre l'effort pour répondre aux besoins ; oui, il faut des moyens nouveaux, oui il faut mieux financer la sécurité sociale. Donc nous voterons contre cette motion.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - La commission de la défense nationale et des forces armées a décidé de se saisir pour avis du projet de loi de finances rectificative.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 20.

            Le Directeur-adjoint du service
            des comptes rendus analytiques,

            Louis REVAH


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