Session ordinaire de 2001-2002 - 38ème jour de séance, 89ème séance 1ère SÉANCE DU JEUDI 6 DÉCEMBRE 2001 PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER vice-président Sommaire La séance est ouverte à onze heures trente.
MODERNISATION SOCIALE (nouvelle lecture)
M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que la commission mixte paritaire n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de modernisation sociale, le Gouvernement demande à l'Assemblée de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture de ce texte. En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de ce projet de loi. Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le projet de loi de modernisation sociale arrive au terme de son processus d'élaboration. Son adoption définitive est attendue car il comporte d'importantes avancées sociales dont nos concitoyens bénéficieront dans de nombreux domaines de leur vie sociale et professionnelle. Ainsi, pour la protection de la santé et l'amélioration du système sanitaire, il instaure un projet social au sein des hôpitaux, renforce la qualité des soins et réforme les études médicales. En matière de solidarité nationale à l'égard des plus démunis, il crée un statut des accueillants familiaux pour les personnes âgées et les personnes handicapées et renforce la couverture maladie des Français à l'étranger. Pour un meilleur respect de la dignité des salariés dans les entreprises, il interdit le harcèlement moral, le prévient et protège les victimes. S'agissant des licenciements économiques, il renforce le contrôle des salariés et de leurs représentants sur les projets de l'employeur et oblige celui-ci à proposer des mesures alternatives aux licenciements pour les éviter et, s'ils apparaissent inévitables, à reclasser préalablement les salariés. En outre, une responsabilité des entreprises à l'égard des territoires où elles agissent a été créée. Le projet veille également à limiter les emplois précaires en luttant contre le recours abusif aux contrats à durée déterminée et à l'intérim, mais aussi en renforçant les sanctions pénales. Enfin, il permet de valider les acquis de l'expérience dans la vie professionnelle, pour tous ceux et celles qui, faute de diplôme, sont bloqués dans leur évolution de carrière. Ce projet abroge, en outre, la loi Thomas sur les fonds de pension pour préserver notre régime de retraites par répartition. La gestation de ce projet a été longue - près de deux ans - mais cela n'a pas empêché de le soumettre plusieurs fois à la consultation de tous les milieux et institutions intéressés de la société civile. Il a donc été très commenté. Je ne reviendrai que sur quelques-uns de ses aspects essentiels. Je commencerai par le titre II, porteur de réformes importantes dans le domaine du droit à l'emploi et des relations de travail dans les entreprises - je pense à la réforme du licenciement économique. Je me garderai d'entrer dans la polémique, face à certains commentaires caricaturaux. A écouter certains, le nouveau régime du licenciement se retournerait contre les salariés et l'emploi. Face à cet oracle catastrophiste, je rappellerai les trois objectifs parfaitement clairs de la réforme engagée. Le premier objectif est d'accroître les capacités d'intervention des représentants des salariés à l'occasion des projets de restructuration, qu'il s'agisse de l'information préalable aux annonces publiques que fait l'employeur, de la dissociation du débat sur le projet de restructuration que ce dernier propose, des discussions sur le plan de sauvegarde de l'emploi, de la création d'un droit d'expertise du comité d'entreprise, ou d'un possible recours au médiateur lorsque des divergences d'appréciation importantes subsistent, ou enfin de la possibilité donnée au comité d'entreprise de demander une nouvelle et dernière réunion en cas de carence du plan de sauvegarde de l'emploi constatée par l'inspecteur du travail. Oui les représentants du personnel pourront débattre non seulement des mesures d'accompagnement du licenciement, mais du plan de restructuration lui-même. Je suis convaincue qu'il s'agit là d'un progrès essentiel, car je ne considère pas les salariés et leurs représentants comme des acteurs mineurs de la stratégie d'évolution de l'entreprise. Eux aussi connaissent ses produits, ses clients, ses atouts humains. Ils méritent qu'on les écoute, que l'on prenne le temps de rechercher avec eux les meilleures voies d'adaptation pour assurer la compétitivité ! M. Jean-Paul Charié - Personne ne dit le contraire ! Mme la Ministre - Un projet de restructuration expliqué, débattu et si possible accepté, ce sont des conflits évités, dont de trop nombreux exemples montrent qu'ils sont le plus grand facteur de retard pour l'adaptation de l'entreprise. Le deuxième objectif est d'exiger des employeurs qu'ils anticipent cette adaptation pour trouver des solutions alternatives aux licenciements, qui ne doivent être l'ultime recours, quand toute autre solution a été tentée : réduction du temps de travail, formation, mutation interne... C'est la traduction législative d'un principe déjà reconnu par la jurisprudence : celui du droit des salariés à l'adaptation permanente de leur emploi et au reclassement. Ainsi, le projet de loi incite à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par la négociation de branche et d'entreprise. Il crée un dispositif nouveau d'appui-conseil aux PME pour les aider. Dans le même esprit, il institue un droit fondamental, qui favorisera la reconnaissance professionnelle des salariés et l'adaptation de leurs compétences à l'évolution de l'emploi : la validation des acquis de l'expérience.Le projet précise le champ du licenciement pour motif économique en modifiant la définition de ce type de licenciement. J'y reviendrai, mais je tiens à dire dès à présent qu'une définition plus précise du licenciement dans la loi apporte une clarification pour tous et donc un élément de sécurité juridique. M. Jean-Paul Charié - C'est faux ! Mme la Ministre - Certes, cette définition rendra plus serrée la discussion entre le chef d'entreprise et les représentants du personnel, mais elle poussera d'autant plus à la recherche de mesures alternatives. Je note qu'elle reste ouverte et proche des apports de la jurisprudence puisque, au-delà de la prise en compte des difficultés économiques, elle admet la nécessité pour l'entreprise de s'adapter aux évolutions technologiques et de se réorganiser pour assurer son activité présente et à venir. M. Franck Dhersin - Il ne manquerait plus que ça ! Mme la Ministre - Il ne fait aucun doute qu'un signal clair est donné ici aux entreprises. Les adaptations nécessaires ne sauraient être remises en cause - il en va de leur pérennité, de leur capacité à affronter la concurrence. Mais en même temps, les restructurations qui se traduisent par des licenciements tout aussi massifs que brutaux, sans que leur pertinence ni leur urgence ne soient établies, ne sont pas acceptables. Le troisième objectif de cette réforme est de mieux protéger les salariés qui sont exposés aux licenciements pour motif économique. C'est une nécessité absolue, quand on en connaît les conséquences dramatiques. Certains prétendent que cette protection ne concernerait que les salariés des grandes entreprises et non la majorité de ceux qui, dans les plus petites entreprises, sont les plus touchés par les licenciements. Je rappellerai d'abord que les moyens d'intervention des représentants du personnel seront renforcés dans toutes les entreprises dotées de délégués, quelle qu'en soit la taille. Par ailleurs, le projet de loi comporte deux dispositions particulièrement importantes pour les salariés des PME : en premier lieu, le doublement de l'indemnité légale versée en cas de licenciement économique ; en deuxième lieu, l'instauration d'un dispositif qui permettra aux salariés de toutes les entreprises employant moins de 1 000 personnes d'avancer dans la recherche d'un emploi et de bénéficier d'une aide au reclassement dès la notification de leur licenciement. Les partenaires sociaux, gestionnaires de l'UNEDIC, ont engagé des négociations pour concrétiser ce dispositif qui devrait donc trouver très rapidement application. Notre volonté de mieux protéger les salariés se traduit aussi dans la création d'un congé de reclassement dans les entreprises les plus grandes et dans l'obligation qu'elles auront de contribuer à réactiver les bassins d'emploi touchés par des fermetures totales ou partielles des sites. L'objectif est bien ici de responsabiliser l'entreprise et de créer des emplois. Ce n'est que dans l'hypothèse où elle n'aurait pas conclu de convention précisant ses obligations qu'elle serait amenée à s'acquitter de la contribution maximale prévue par le texte. Cette réforme du droit du licenciement pour motif économique est une réforme de grande ampleur qui aura des conséquences concrètes pour les entreprises dont la responsabilité sociale sera accrue, et pour leurs salariés, dont le droit à la parole et à l'emploi seront renforcés. M. Franck Dhersin - Elle est catastrophique ! Mme la Ministre - Certains disent que la procédure sera exagérément complexe et longue, sans aucun bénéfice pour les salariés. Je crois avoir au contraire montré les apports substantiels du texte pour tous les salariés. M. Jean-Paul Charié - Non. Mme la Ministre - Quant aux délais supplémentaires, ils résultent pour l'essentiel de la dissociation des procédures de consultation sur le projet de restructuration lui-même et de consultation sur le projet de licenciement. Si le dialogue social est bon, le délai supplémentaire sera de quinze jours, voire de vingt et un en cas de recours à un expert. S'il est dégradé et que le comité d'entreprise fait appel à un médiateur, il peut au maximum légèrement dépasser deux mois, mais seulement pour les licenciements de plus de cent personnes. En réalité, dans la très grande majorité des cas, le « prix » du renforcement du dialogue social sera de deux ou trois semaines, mais je suis persuadée que cela évitera des longueurs à d'autres étapes de la procédure. Nos entreprises ne se trouveront pas, après le vote de ce texte, dans une situation moins favorable que leurs concurrentes européennes. D'autres disent que cette législation serait susceptible de décourager les investissements étrangers en France. M. Franck Dhersin - C'est certain. Mme la Ministre - Cet argument ne me paraît pas plus fondé que le précédent. M. Jean-Pierre Foucher - Ce n'est pas ce que disent les entrepreneurs. Mme la Ministre - En réalité, la France attire de plus en plus d'investisseurs étrangers : 27,9 milliards d'euros en 1998, 44,2 en 1999 et 47,9 en 2000. M. Jean-Pierre Foucher - Après cette loi, il n'y en aura plus. Mme la Ministre - D'un autre côté, les flux d'investissement français à l'étranger se sont eux aussi beaucoup développés sur les trois dernières années, puisqu'ils représentaient 187,2 milliards d'euros en 2000, contre 113,2 en 1999 et 43,7 en 1998. Cela correspond à une internationalisation croissante des entreprises françaises, qui traduit leur volonté d'atteindre une taille critique sur le marché mondial. M. Franck Dhersin - Leur volonté de fuir, plutôt. Mme la Ministre - La réalité, c'est que la France est un pays attractif, grâce à la compétence de ses salariés, à sa qualité de vie, à l'excellent niveau de ses infrastructures, à ses réseaux de télécommunication très divers, à ses coûts de l'énergie les plus bas d'Europe et au bon fonctionnement de ses services publics. M. Jean-Paul Charié - Oui. Mme la Ministre - Attachons-nous donc à accompagner ce double mouvement très positif pour l'économie française ! Pour que la mise en _uvre de ces dispositions se fasse dans les meilleures conditions possibles, j'ai demandé que l'ensemble des textes d'application qui concerneront le licenciement économique fasse l'objet d'un examen approfondi avec les partenaires sociaux ainsi qu'avec des experts, auxquels pourraient se joindre, s'ils l'acceptent, les deux rapporteurs de cette partie du texte à l'Assemblée nationale et au Sénat. M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Ils l'acceptent. Mme la Ministre - Cela nous permettra d'élaborer des décrets et circulaires de qualité, de lever certaines réticences mais aussi de clarifier les interprétations. Cette structure de concertation se réunira dans les premiers jours de janvier. J'en viens aux dispositions concernant la santé au travail, et plus généralement les conditions de travail. Sans doute ce thème n'a-t-il pas fait l'objet d'autant de discussions que celui des licenciements économiques. Mais le résultat sera tout à fait important. Nous avons d'abord donné une suite aux v_ux des partenaires sociaux, notamment des signataires de l'accord sur la santé au travail du 13 septembre 2000. Nous avons aussi fait le nécessaire pour remédier au grave déficit de médecins du travail. Mais je veux préciser ici que les dispositifs de régularisation et de reconversion qui seront soumis à votre vote n'ont pas vocation à constituer durablement, à côté de l'internat, une filière de recrutement des médecins du travail. C'est pourquoi le texte fixe une durée maximale de cinq ans à ce système de reconversion. M. le Président de la commission - Très bien ! Mme la Ministre - Nous veillerons bien sûr à ce que la formation dispensée à ces médecins soit de qualité et leur permette d'exercer efficacement leurs importantes missions. Par ailleurs, un article particulièrement important introduit le concept de pluridisciplinarité et permet aux services de santé au travail de faire appel à des experts-ingénieurs, ergonomes, psychologues... pour renforcer leurs compétences et la pertinence de leurs interventions. Vous avez souhaité renforcer dans ce cadre l'indépendance des médecins du travail et celle de ces nouveaux intervenants. C'est une excellente initiative, tout à fait justifiée, qui ouvre la voie à une évolution conforme aux directives adoptées par les pays de l'Union européenne et qui est souhaitée par tous les acteurs du système de prévention des risques professionnels. J'en viens à la question du harcèlement moral au travail. Le travail de grande qualité accompli par votre commission, et plus particulièrement par Mme Catherine Génisson et par M. Georges Hage, débouche sur un bon dispositif de lutte, qui était absolument nécessaire tant le phénomène a pris de l'ampleur. Or, le harcèlement moral est non seulement attentatoire à la dignité des personnes, aussi nuisible à l'efficacité de l'entreprise ou de l'administration concernée. Le texte définit très clairement ce qu'il convient d'entendre par harcèlement moral, car il ne serait pas acceptable que cette notion soit dévoyée. Il rappelle la responsabilité de l'employeur, bien sûr, dans la prévention de celui-ci mais donne aussi des compétences nouvelles aux représentants du personnel pour le combattre. Vous avez en outre souhaité donner la possibilité aux victimes de harcèlement moral d'avoir recours à une médiation extérieure à l'entreprise. C'est une très bonne proposition que je soutiens, car il y a naturellement des cas dans lesquels le drame que vit la victime ne peut se dénouer sans intervention extérieure. Encore faut-il qu'elle soit sollicitée à bon escient, et que le médiateur dispose des compétences indispensables à la réalisation de sa mission. J'y veillerai. Enfin, le texte prévoit des sanctions appropriées lorsque des faits répréhensibles auront été commis. C'est donc un ensemble très complet qui prend ainsi place dans notre législation du travail. Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, je suis persuadée que la loi de modernisation sociale restera comme un apport majeur à l'amélioration des conditions de travail des salariés et je suis heureuse d'avoir pu y contribuer, avec le soutien actif de la majorité plurielle. J'en viens maintenant aux avancées nombreuses que comporte le titre I en matière de santé et de protection sociale ; et je me réjouis de constater que beaucoup d'entre elles sont d'ores et déjà adoptées après avoir fait l'objet d'un vote conforme du Sénat. En matière de santé, je veux tout d'abord rappeler que ce projet réforme fondamentalement les études médicales, en revoyant les modalités de l'internat. Je me réjouis que l'article qui consacre la médecine générale comme une spécialité à part entière ait fait l'objet d'un vote conforme par le Sénat. En revanche, vous aurez à vous prononcer de nouveau sur cette autre disposition importante pour les professionnels de santé : l'encadrement des pratiques médicales qui présentent des risques sérieux pour les patients. En matière de protection sociale, ce projet de loi permettra à certains de nos concitoyens d'avoir accès à une meilleure couverture sociale. Ainsi, nos compatriotes expatriés aux revenus modestes pourront désormais adhérer à la caisse des Français de l'étranger ; et les conjoints collaborateurs de professionnels libéraux se voient enfin reconnaître un statut. Le texte offre également aux victimes d'accidents du travail qui contestent leur taux d'incapacité un accès à des instances juridictionnelles enfin impartiales et conformes aux prescriptions de la convention européenne des droits de l'homme. Vous aurez aussi l'occasion de valider définitivement l'abrogation de la loi Thomas sur les fonds de pension. Je ne peux que regretter le refus une nouvelle fois prononcé par le Sénat de procéder à cette abrogation d'un texte qui remet en cause notre système de retraite par répartition. Le Gouvernement s'attache, lui, à réformer ce dernier sans porter atteinte au principe de solidarité sur lequel il repose depuis 1945. Il poursuit cette politique volontariste à travers notamment la mise en place du fonds de réserve des retraites, qui comptera plus de 13 milliards d'euros fin 2002, et un travail de concertation approfondi, connaîtra un premier aboutissement cet après-midi avec la remise du rapport du Conseil d'orientation des retraites. C'est pour moi une véritable fierté d'avoir défendu ce projet de loi, et surtout de l'avoir enrichi grâce à votre concours, grâce au travail de vos deux excellents rapporteurs, MM. Teissier et Nauche, grâce à la détermination des groupes de la majorité, et grâce à l'autorité pleine de sagesse du président de la commission, M. Jean Le Garrec. M. le Président de la commission - Merci pour la sagesse. Mme la Ministre - Je suis persuadée que nous avons fait _uvre utile pour nos concitoyens et en particulier pour les salariés de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Philippe Nauche, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour le titre I - Le titre I du projet vous revient fort allégé, car le Sénat a adopté conformes vingt-trois articles. Le travail législatif et gouvernemental a ainsi rencontré l'accord général sur des sujets importants : le projet social d'établissements de santé, les établissements de santé des armées, la caisse des Français de l'étranger, l'accueil familial à titre onéreux des personnes âgées ou handicapées, le statut social unique des praticiens hospitaliers, la réforme des poursuites disciplinaires contre des médecins ayant dénoncé des sévices à enfants, le nouveau statut du laboratoire du fractionnement et des biotechnologies, la réforme des études médicales. Il reste cependant de nombreux éléments sur lesquels nos débats en commission ont été riches et constructifs, qu'il s'agisse de la définition du rôle de la pharmacie à usage intérieur ou de la commission des médicaments et des dispositifs médicaux stériles. Sur ces points se sont manifestées des convergences entre majorité et opposition. Nous avons eu ensuite à valider d'importantes mesures pour rendre plus efficaces les syndicats interhospitaliers. La commission a adopté des dispositions concernant la mutualité sociale agricole, et la concertation sur les élections à la sécurité sociale. Sur l'important dossier des retraites, nous proposons d'abroger la loi Thomas : la majorité entend consolider le système de répartition et ne rien faire qui, comme cette loi, soit propre à le fragiliser. La commission a d'autre part rétabli l'abandon du recours en récupération, pour les personnes handicapées bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne, en cas de retour à meilleure fortune. Et elle a approuvé le principe d'un montant forfaitaire minimum pour la majoration de pension pour avoir élevé trois enfants. Concernant la pratique médicale, nous proposons de rétablir dans la version de l'Assemblée l'encadrement des pratiques et méthodes médicales à haut risque. J'appelle votre attention sur un amendement adopté par la commission à l'initiative de Catherine Génisson et de moi-même : il demande au Gouvernement de définir et de préciser le contenu des spécialités médicales de médecine d'urgence et de gériatrie. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui les deux manières à la fois les plus courantes et les plus difficiles de prendre contact avec le système de soins passent par les services d'urgence et les problèmes des personnes âgées. Dans les deux cas, il faut reconnaître - comme ce fut fait en son temps pour l'anesthésie - des spécialités à part entière dans le domaine hospitalier, public ou privé. Pour la médecine d'urgence, la spécificité de l'exercice hospitalier, celle des compétences nécessaires, et parfois l'absence de reconnaissance par les spécialistes classiques, nécessitent la formalisation d'une spécialisation d'exercice hospitalier. Concernant la gériatrie, notre démarche prolonge celle de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, alors députée, qui fit adopter un amendement au PLFSS pour 1999 : le Gouvernement devait s'engager « à définir une véritable politique de gériatrie et de gérontologie s'appuyant sur la formation de l'ensemble des personnels de santé et sur la coordination des acteurs intervenant dans le soin aux personnes âgées ». Cette politique a été largement engagée par le Gouvernement, à travers la mise en place des CLIC, le vote des mesures relatives à l'allocation personnalisée d'autonomie, le développement des réseaux. Il faut aujourd'hui franchir une nouvelle étape : après l'APA, qui entrera en vigueur au 1er janvier et sera une vraie révolution dans la prise en charge, il faut constituer des pôles de compétence hospitaliers à part entière, permettant une meilleure diffusion de la culture gériatrique dans tout le tissu médical et social. En effet, s'il faut pour cela favoriser la formation universitaire des médecins, la création dans chaque hôpital important d'un pôle de compétence et de référence permettra à tous les professionnels de progresser et sera le point de départ de programmes de prévention, de dépistage et d'accompagnement à domicile. Ce qui exige le développement d'équipes mobiles, de consultations interdisciplinaires, et d'unités de gériatrie aiguë. Il faut donc reconnaître une véritable spécialité d'exercice hospitalier pour mailler le territoire. Sur le même chapitre, Madame la ministre, je crois nécessaire de vous interroger sur l'état d'avancement des décrets de réanimation, qui ont connu quelques vicissitudes. La représentation nationale serait heureuse d'avoir des informations à ce sujet. La commission a enfin adopté des amendements de Bernard Charles qui précisent la place de la pharmacie dans les CHU. Nombre d'autres sujets seront abordés à l'occasion des cinquante-deux articles qui restent en discussion, sur un total de cent quinze. Il s'agit d'un texte important, dont certaines mesures sont attendues par nombre de nos concitoyens. Je soulignerai pour conclure la grande compétence et la disponibilité des collaborateurs de la commission, qui nous ont aidés dans l'examen de ce qui ressemblait parfois à un DMOS (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Gérard Terrier, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour le titre II - La CMP n'a pu aboutir, en particulier sur l'abrogation de la loi Thomas. Cette nouvelle lecture doit nous permettre de dissiper certaines inquiétudes des représentants des entreprises. Ce texte n'a pas pour philosophie de mettre en difficulté les entreprises : il a vocation à réaffirmer et à préciser les droits et les devoirs de chacun de leurs acteurs. Il n'y a pas d'un côté les actionnaires et leurs représentants, investis de tous les droits, et de l'autre les salariés, qui n'auraient que des obligations. Les relations sont plus complexes, et l'interdépendance de tous doit être la plus satisfaisante possible dans l'intérêt de l'entreprise. J'entends par entreprise l'ensemble de ses éléments : actionnaires, dirigeants, salariés, outils de production. Il faut s'appliquer à satisfaire avec équité les intérêts, parfois contradictoires, de toutes les parties. Certains, qui s'inscrivent dans cette logique, pensent que les dispositions de ce texte vont à l'inverse de l'objectif affiché. Il est légitime de se poser la question, mais les réponses apportées sont souvent réductrices, voire inexactes. J'ai lu, avec beaucoup d'attention, l'intervention de Jacques Barrot dans un quotidien d'avant-hier. Et je dois reconnaître que, pour une fois, les critiques envers ce texte s'accompagnent de propositions. Mais ma surprise est grande quand j'analyse ces dernières. En voici une : « Il faut imaginer une obligation de négocier dans un délai déterminé pour à la fois éviter la dégradation de la situation économique et sociale de l'entreprise et engager au plus tôt une stratégie de reclassement ». C'est ce que propose cette loi ! C'est bien cette volonté que nous manifestons en séparant la procédure relevant du livre IV de celle du livre III. Lorsqu'on engage une procédure au titre du livre IV, qui traite de l'analyse de la situation économique de l'entreprise, il n'y a nulle obligation d'engager celle du livre III, qui consiste en l'élaboration du plan de licenciements. Il faut s'habituer à l'idée qu'on peut négocier dans le cadre du livre IV sans engager des plans de licenciements relevant du titre III, même si ce n'est pas l'usage aujourd'hui. Pour réussir, il faut que les acteurs et en particulier les employeurs anticipent davantage, développent la gestion prévisionnelle des effectifs et la concertation. Il faut être plus imaginatif, afin de ne pas se contenter d'agir systématiquement sur la masse salariale. C'est pourquoi nous avons tenu à séparer les procédures de ces deux livres. Pourquoi l'imposer, me direz-vous ? Parce que cette faculté, qu'ouvre le code actuel, n'a jamais été exploitée. Et je rejoins Jacques Barrot lorsqu'il propose de rendre obligatoire cette négociation. Ecoutons la deuxième proposition de Jacques Barrot : « Si, à la faveur de cette obligation de négocier, un accord intervient, il devra engager fortement tous les partenaires et en même temps les sécurisera ». Encore une fois, nous lui donnons satisfaction en donnant force de loi à l'éventuel accord entre les parties suite à la saisine du médiateur. Si M. Barrot était là, je l'inviterais donc à voter ce texte ! En l'absence d'accord, il faut bien sûr une validation administrative des mesures que comporte le plan de sauvegarde de l'emploi. C'est donc le rôle de l'inspection du travail qui est visé ici. Mais dans ce cas nous entrons dans la procédure du livre III : cela signifie que l'ensemble des partenaires, et non les seuls dirigeants, ont conclu que la seule solution était la construction d'un plan. Celui-ci doit être socialement juste et rapide, et à ce processus du livre III nous n'avons pratiquement pas ajouté de délais supplémentaires, si ce n'est une réunion de plus. Nous donnons simplement plus de moyens d'intervention à l'inspecteur du travail car le plan final doit être le plus conforme possible à la réglementation, offrir le maximum de garanties et ne pas être susceptible de recours ou de carence, toujours par souci d'une meilleure sécurité pour l'ensemble des partenaires. On peut raisonnablement imaginer que si les deux processus se sont déroulés avec l'ensemble des acteurs de l'entreprise, les avis de l'inspecteur du travail ont été respectés et si les observations des instances représentatives du personnel ont été prises en compte, les contentieux postérieurs à ces procédures diminueront sensiblement. On le voit, ces propositions ont vocation à renforcer l'équilibre, c'est-à-dire à garantir les droits des salariés sans fragiliser l'outil de production. Mais il faut mettre fin à certaines pratiques inacceptables. Qui peut accepter que des salariés apprennent par voie de presse des mesures qui les concernent ? Est-il acceptable que seuls les dirigeants soient en capacité de définir les solutions touchant l'emploi susceptibles de répondre aux difficultés des entreprises ? C'est pourtant ce qui, de façon adroite, est demandé lorsqu'on reproche à ce texte d'imposer qu'on traite le livre IV indépendamment du livre III. M. Jean-Paul Charié - C'est faux ! M. Pascal Terrasse, rapporteur - En effet, si on convoque le comité d'entreprise pour dire : « Nous avons des difficultés, voilà les suppressions d'emplois que nous envisageons, travaillons ensemble pour que le plan de suppression soit le meilleur », on a évacué toute interrogation sur la question de savoir si un plan de suppression d'emplois est la seule solution. Ce texte vise donc à augmenter les compétences et le rôle des instances représentatives du personnel. On peut être en désaccord avec cette orientation, mais j'ai la faiblesse de croire que ce qui est bon pour chacune des parties qui constituent l'entreprise est bon pour l'entreprise entière. Tous les députés, lorsqu'ils sont confrontés dans leur circonscription à des salariés en difficulté, leur tiennent des propos rassurants et leur promettent des garanties ; pourquoi changent-ils d'avis lorsqu'il s'agit de légiférer ? Bref, ce titre II qui traite également de la formation professionnelle et du harcèlement moral constitue une avancée sociale. Comme tout texte de cette importance, il nécessitera une évaluation ; je sais pouvoir compter sur le Gouvernement pour rester attentif à l'application de ces dispositions afin de garantir aux salariés et aux entreprises la situation la plus salutaire possible pour notre pays. Je vous propose, donc, chers collègues, de voter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).
EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. Mme Nicole Catala - Au commencement était un texte fourre-tout, une sorte de DMOS tendant à modifier le statut juridique des thermes nationaux d'Aix-les-Bains ou à assouplir l'âge de départ en retraite des sapeurs-pompiers professionnels. A l'arrivée, on se retrouve avec un projet de loi qui réalise une immixtion presque sans précédent de la puissance publique dans les relations du travail, qui compromet gravement l'adaptabilité des entreprises françaises aux changements technologiques et aux fluctuations économiques. Non, vraiment, il ne s'agit pas d'un projet de « modernisation sociale » fondé sur le dialogue entre les partenaires sociaux, mais d'un encadrement juridico-administratif des licenciements qui poussera nombre d'entreprises à fuir le territoire français. M. Jean-Paul Charié - Très bien ! Mme Nicole Catala - C'est une nouvelle illustration des contradictions de ce Gouvernement, qui tout en faisant voter ce texte demande à M. Charzat un rapport sur les moyens de renforcer l'attractivité du territoire français... L'emploi, loin d'être préservé, risque d'être puni. M. Maxime Gremetz - Allons ! Vous n'y croyez pas vous-même. Mme Nicole Catala - On ne peut pas accepter l'économie de marché, comme l'a fait le parti socialiste depuis une quinzaine d'années, et plaquer sur elle des contraintes caractéristiques d'une économie administrée. Les nombreux colloques consacrés au benchmarking, à la recherche du meilleur droit, montrent bien qu'un système juridique donné peut constituer un repoussoir ou un attrait pour les activités économiques, comme en témoigne l'installation aux Pays-Bas des sièges sociaux d'EADS et de Renault-Nissan. En l'occurrence, comme nous l'a expliqué M. Fabius, c'est le droit relatif aux OPA qui a été déterminant ; mais les distorsions dans le droit du travail peuvent produire les mêmes effets. Le ministre de l'économie et des finances s'est d'ailleurs lui-même publiquement inquiété des conséquences de ce texte sur l'emploi. Comment en est-on arrivé là ? Dans sa première mouture, votée par l'Assemblée le 11 janvier dernier, le projet ne consacrait qu'une dizaine d'articles au travail et à l'emploi. Après son examen au Sénat, il revint à l'Assemblée en mai alors que les élections municipales avaient infligé au parti communiste un sévère recul. En quête d'une opportunité pour reconquérir une partie de son électorat, le groupe communiste en fit un instrument de chantage sur le Gouvernement et les dispositions concernant les licenciements collectifs firent l'objet de controverses aussi obscures qu'acharnées ; l'impossibilité de parvenir à un accord conduisit même ce gouvernement, ce qui est une première, à repousser de trois semaines leur examen. Rien n'y a fait : le texte issu de ces tractations n'est pas bon, en dépit des modifications apportées par le Sénat. Pas bon parce qu'il impose une définition du licenciement pour motif économique à la fois resserrée et ambiguë ; pas bon parce qu'il allonge déraisonnablement les procédures préalables à une réduction d'effectifs, parce qu'il transforme la nature du comité d'entreprise en lui conférant un nouveau droit d'opposition, parce qu'il fait apparaître un médiateur dans cette procédure comme s'il s'agissait inévitablement d'un conflit collectif ; pas bon parce qu'il taxe d'une « contribution à la création d'activités » les entreprises qui cessent ou réduisent leur activité sur un site, sans s'attacher au point de savoir si elles sont prospères ou moribondes ; pas bon parce qu'il enserre nos entreprises dans un carcan, parce qu'il est confus et créateur d'insécurité juridique, parce qu'enfin il porte atteinte à nos principes constitutionnels. A cet égard, la confusion et les tergiversations de la majorité et du Gouvernement ont tout d'abord altéré le déroulement de la procédure parlementaire. Le 23 mai, un amendement communiste, qui tendait à resserrer la définition du licenciement économique, était repoussé à la demande du Gouvernement, lequel demandait au président et au rapporteur de la commission de retirer leur propre amendement : à ce moment-là, la ligne gouvernementale était de conserver l'article L. 321-1 en l'état. Trois semaines plus tard, le Gouvernement lui-même proposait une modification de cet article, mais très vite, le président du groupe communiste déposait un sous-amendement tendant à revenir à une définition plus étroite du licenciement économique, sous-amendement immédiatement accepté par le Gouvernement... Il a été proprement impossible aux parlementaires de l'opposition d'exercer leurs droits : M. Morin et M. Ueberschlag, notamment, se sont plaints que des amendements majeurs fussent déposés en séance. L'exigence constitutionnelle que constitue le respect du droit de disposer des amendements et des sous-amendements n'a donc pas été respectée. Accomplie dans d'aussi mauvaises conditions, l'_uvre législative ne pouvait être que d'une bien médiocre qualité. Elle l'est au point que la nouvelle définition du licenciement pour motif économique soulève la question de l'intelligibilité de la loi - elle aussi exigence constitutionnelle. Qu'on en juge : ne sera désormais ainsi qualifié que le licenciement effectué « pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail consécutive à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise »... Sans doute les auteurs de cette rédaction poursuivaient-ils un objectif humainement compréhensible : il s'agissait, selon le groupe communiste, d'empêcher « les licenciements à visée purement spéculative ou de convenance boursière ». Mais il est impossible de dissocier ces licenciements des autres. Même si l'on peut s'en désoler, les mouvements de la Bourse font aujourd'hui partie des données qui s'imposent aux dirigeants d'entreprise. De cet irréalisme résulte un texte législatif à la fois compliqué et flou, créateur d'insécurité juridique. Le chef d'entreprise se trouvant face à des « difficultés sérieuses » qu'il estime ne pouvoir surmonter par un autre moyen qu'une réduction d'effectifs ne sera jamais assuré que le juge partagera son analyse. Au demeurant, on ne sait si la formule « par tout autre moyen » vise essentiellement la réduction des coûts salariaux, ou toutes les mesures de réorganisation susceptibles d'assurer le redressement de l'entreprise. On ne sait pas davantage si l'existence même de l'entreprise devra être menacée pour estimer que des mutations technologiques mettent en cause sa « pérennité ». On ne sait pas très bien non plus quelles seront les « nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise » susceptibles de justifier des licenciements : seront-ils interdits s'il s'agit de maintenir ou d'améliorer la compétitivité de l'entreprise ? Nous serions bien les seuls au monde à adopter une telle législation ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL) Et que dire de l'article 33, aux termes duquel le licenciement économique « ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été accomplis et que le reclassement de l'intéressé ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient » ? Comment apprécier si ces efforts ont bien été accomplis ? Comment définir le périmètre du groupe, la notion d'« entité économique autonome », celle de secteur d'activité ? L'exigence de sécurité juridique, qui n'est pas indifférente au Conseil constitutionnel, n'est-elle pas méconnue ? L'imprécision des textes ne répond pas à l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, énoncée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 décembre 1999, selon laquelle « l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la garantie des droits requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ». Mais le projet porte aussi atteinte à d'autres principes constitutionnels, à commencer par la liberté d'entreprendre. Certes, le Conseil constitutionnel a hésité avant de lui reconnaître une telle valeur : il s'est d'abord limité aux cas où elle subissait des restrictions arbitraires ou abusives ; mais, le 7 décembre 2000, il a discerné une atteinte disproportionnée à cette liberté dans une disposition de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, et considéré qu'une disposition d'un autre texte visant à freiner la concentration dans le commerce n'était pas énoncée « de façon claire et précise ». On peut trouver de telles atteintes dans le présent projet : dans l'interdiction de présenter un plan social avant d'avoir négocié sur les 35 heures, qui méconnaît en outre le fait que, dans certaines circonstances, l'entreprise ne peut survivre que si les salariés travaillent davantage ; dans le droit d'opposition conféré au comité d'entreprise à l'encontre de projets de restructuration « pouvant comporter des effets sur l'emploi », ce qui aura pour conséquence, qui plus est, de provoquer l'intervention d'un tiers médiateur et d'allonger encore la procédure. M. le Président - Madame la Présidente, je vous prie de conclure. Mme Nicole Catala - Ce projet porte également atteinte à la liberté contractuelle, dont la valeur constitutionnelle a été reconnue récemment par le Conseil constitutionnel, d'abord à propos de la première loi sur les 35 heures, ensuite à propos de la couverture maladie universelle, de la deuxième loi sur les 35 heures, de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, ainsi que de la loi instituant le Pacs ; la décision du 9 novembre 1999 relative à ce dernier texte déduit en particulier du caractère constitutionnel de la liberté contractuelle la faculté, pour chacun des cocontractants, de pouvoir se dégager à tout moment des liens d'un contrat à durée indéterminée. Les mêmes considérants devraient le conduire à censurer plusieurs dispositions du projet de loi de modernisation sociale, notamment son article 34 A, qui donnerait force de loi à la jurisprudence dite « Samaritaine » et imposerait l'annulation, plusieurs années après, de licenciements collectifs en raison d'erreurs de procédure. M. le Président - Il est vraiment temps de conclure. Mme Nicole Catala - Dans la plupart des autres pays de l'Union européenne, les licenciements collectifs sont décidés par accord entre l'employeur et les représentants du personnel, et cet accord s'impose au juge comme à l'administration. Le Gouvernement et la majorité ont malheureusement choisi une autre voie ; celle-ci est non seulement inappropriée, mais encore contraire aux exigences constitutionnelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. Gérard Terrier, rapporteur - J'ai bien noté votre désaccord avec le projet de loi, mais vous n'avez en rien démontré qu'il soit irrecevable au regard de la Constitution (Protestations sur les bancs du groupe UDF). M. Pierre Méhaignerie - Vous n'avez pas dû écouter ! L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée. M. Pierre Méhaignerie - C'est une décision lourde de conséquences ! Les délocalisations vont se multiplier !
QUESTION PRÉALABLE M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement, M. Douste-Blazy et les membres du groupe UDF opposent la question préalable. M. Jacques Barrot - La question préalable que je demande à l'Assemblée d'adopter se fonde avant tout sur l'ambiguïté de la démarche des auteurs du projet de loi. D'un côté, on demande aux dirigeants d'entreprise de pratiquer un pilotage lucide, de prévoir en temps utile les difficultés conjoncturelles afin d'éviter qu'elles n'entraînent une réduction brutale et drastique des effectifs ; de l'autre, on définit le licenciement économique d'une façon si stricte, et on l'enferme dans une procédure si complexe, que toute initiative de cette nature est justement rendue impossible. Plus grave encore : on confie au juge, qui n'a pas la même connaissance des réalités de l'entreprise que les partenaires sociaux, le soin d'apprécier, très longtemps après les faits, la pertinence et l'opportunité des décisions de gestion prises par le chef d'entreprise, lequel devra prouver qu'elles étaient les meilleures, voire les seules possibles. Il en résultera, outre une extrême incertitude juridique, une forte tendance des entreprises à surseoir à tout projet d'investissement d'envergure, voire à contourner la loi en externalisant une large part de leurs activités, en recourant à l'intérim, à la sous-traitance... M. Gérard Terrier, rapporteur - Ce n'est pas nouveau ! M. Jacques Barrot - De plus en plus souvent, l'externalisation prendra la forme d'une délocalisation. Le Gouvernement nous affirme que la France reste accueillante aux investisseurs étrangers, mais ce que je constate, sur le terrain, c'est que les candidats à la reprise d'entreprises textiles en difficulté sont nombreux à solliciter la permission de délocaliser hors de France plus des deux tiers de l'activité ! M. Pierre Méhaignerie - C'est vrai ! M. le Président de la commission - Cela fait vingt ans que c'est le cas ! M. Jacques Barrot - Ce dont les entreprises ont besoin, c'est d'abord d'un environnement juridique stable et cohérent, qui ne soit pas remis en cause à tout instant par le législateur. Nous sommes tout de même un pays qui privilégie la loi par rapport au contrat et qui fait peu de cas de la négociation sociale, au moment où l'Union européenne lui accorde une place de plus en plus importante. Ce que nous craignons, c'est que ces dispositions ne soient considérées comme très dissuasives de la part des petits et moyens entrepreneurs qui prennent des risques pour développer l'activité et l'emploi dans nos régions. Nous refusons ce glissement vers la judiciarisation alors qu'il est possible de construire quelque chose de beaucoup plus solide avec les partenaires sociaux. En ce qui concerne le renforcement du rôle des représentants des salariés, je ne suis pas hostile à certains aspects du texte, mais il est évident qu'on enferme les comités d'entreprise ou les délégués élus dans un rôle très formel de contestation. M. Maxime Gremetz - De proposition ! M. Jacques Barrot - On pourrait promouvoir une dynamique de négociation plus active. Une syndicaliste a dit devant la commission du Sénat que si le juge et la justice sont nécessaires, il faut privilégier la responsabilité sociale, et que vos dispositions ne plaident pas pour le dialogue social. Elle ajoute courageusement : « Nous savons que cette responsabilité sociale est parfois difficile à exercer, mais nous souhaitons le faire. » Je reste convaincu que des accords peuvent définir une méthode de négociation infiniment plus intéressante que ce que vous préconisez. En ce qui concerne le médiateur, je ne veux pas m'y opposer, bien qu'il y ait beaucoup d'imprécisions dans le dispositif. Heureusement, vous avez promis une concertation - qu'il eût été préférable de mener au préalable... Mais la médiation ne doit pas être un simple outil procédural qui, au mieux, dénoue les fils du dialogue et, au pire, retarde les décisions. Elle doit permettre de construire un accord qui mobilise toutes les forces de l'entreprise autour de son avenir. Il y avait autre chose à faire dans un tel texte, et en premier lieu à promouvoir une démarche qui intéresse tous les salariés et non les seuls 15 % touchés par des licenciements économiques ou des plans sociaux. Il faut organiser des droits pour tous les salariés, qui leur permettent de vivre la mobilité sans excès d'angoisse. Cela suppose la mise en place d'un véritable compte épargne-temps et d'un patrimoine d'heures rémunérées, toutes choses dont on n'a pas vu le commencement au cours de la législature. Les accords de méthode pourraient permettre, dès qu'une adaptation est envisagée, de se donner les moyens de conjurer les situations de crise. On pourrait à l'avance renforcer le droit à l'information des salariés, accroître les efforts de formation et approfondir le dialogue. M. le Président de la commission - C'est ce que nous voulons ! M. Jacques Barrot - J'ai eu la chance d'observer la nouvelle méthode de gestion des compétences qui est appliquée en Suède, et elle met en _uvre une dynamique beaucoup plus intéressante. Le texte comporte aussi quelques bonnes intentions qui font sourire. Il prévoit, par exemple, que le préfet organise des réunions pour examiner les conséquences de la suppression d'une entreprise dans le bassin d'emploi. On n'a heureusement pas attendu ce projet pour le faire, sans quoi la situation ne serait pas ce qu'elle est ! C'est en créant des synergies qu'on peut remédier aux situations de crise, pas en faisant planer la menace judiciaire. Aujourd'hui, même un accord tel que celui sur les 35 heures, qui a été signé dans un relatif consensus, peut être attaqué devant une juridiction ! L'incertitude juridique ainsi créée va décourager les plus actifs des partenaires sociaux. On ne construit pas une économie moderne, performante et équitable à coups de formalisme, mais de responsabilité. Il faut, bien sûr, veiller à ce que les négociations se déroulent entre des représentants légitimes et équilibrés, mais une fois que ces conditions sont réunies, il faut faire confiance aux partenaires sociaux. Ce texte donne l'impression que les politiques cherchent à rassurer à bon compte les salariés, et aussi à se donner bonne conscience. Je demande que l'on remette l'ouvrage sur le métier, non pas pour maintenir le statu quo mais pour construire quelque chose de plus novateur (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). M. le Président de la commission - J'écoute toujours M. Barrot avec beaucoup d'intérêt, parce qu'il donne l'impression qu'il est d'accord avec nous, mais qu'au dernier moment, il recule (M. Pierre Méhaignerie proteste). M. Barrot a raison : il faut privilégier le contrat par rapport à la loi. Tel est bien l'esprit du texte que nous élaborons depuis deux ans, dans la concertation et non sans quelques difficultés puisque la question est très complexe. Nous avons privilégié le livre IV, relatif à l'information, à la formation et à la consultation des salariés. Je pense que vous ne pouvez qu'être d'accord avec cela. M. Jacques Barrot - Mais pourquoi avez-vous touché au reste ? M. le Président de la commission - Je peux vous affirmer que le livre III améliore la sécurité juridique et qu'il renoue avec l'esprit qui a présidé en 1945 à la création des comités d'entreprise, qui a malheureusement été abandonné au fil des années. Ne nous reprochez pas de vouloir rassurer les salariés : ils en ont bien besoin. Et les événements récents montrent bien que lorsqu'un incident grave se produit, c'est vers les pouvoirs publics qu'ils se tournent ! Nous avons donc créé des conditions de consultation préalable et une obligation de négocier qui garantissent la qualité de l'accord qui sera passé. C'est du très bon travail de modernisation législative. M. Pierre Méhaignerie - La définition du licenciement est une décision purement politique qui a été prise entre M. Hue et M. Jospin au mépris de l'emploi de demain. M. Fabius ne s'y est pas trompé lorsqu'il a fait part de ses réserves. Sur le terrain, c'est une délocalisation industrielle rampante et silencieuse que l'on observe, mais qui est lourde de conséquences. L'addition des 35 heures, d'une complexité toujours plus grande, et de cette nouvelle définition expliquera nos mauvais résultats, en matière de croissance et d'investissements, par rapport au reste de l'Europe. Vous affirmez que les investissements étrangers en France se développent, mais ne dites jamais de quelle nature ils sont. S'agirait-il de placements immobiliers, ou d'acquisition de marques pour les commercialiser en Europe ? J'ai en effet le sentiment que ces investissements sont très peu créateurs d'emplois, alors que les investissements français à l'étranger, qui sont trois fois plus importants, sont au contraire très créateurs d'emplois. Ce texte est extrêmement dangereux et on en mesurera bientôt les conséquences. S'il y a vingt ans, nous étions au quatrième rang européen en matière de pouvoir d'achat, nous sommes dorénavant douzième. A appliquer des solutions d'hier contraires à toutes les orientations européennes, nous paierons cher cet accord purement électoraliste entre le parti communiste et le Premier ministre. M. Maxime Gremetz - M. Barrot considère que les dispositions qui sont proposées, et qui n'ont rien de révolutionnaire, encouragent à la délocalisation. Mais si nous avons décidé de légiférer, c'est face à une vague de restructurations extraordinaire, qui commence d'ailleurs à se traduire dans les derniers chiffres du chômage. Les licenciements collectifs ont augmenté de 8 % ce mois-ci, et de 22 % depuis six mois. Ces mouvements de restructurations sont internationaux, et j'ajoute que c'est grâce à la politique du Gouvernement que la France a conservé beaucoup de ses emplois. J'ai appris par une dépêche, ce matin même, que les chantiers de l'Atlantique, à Saint-Nazaire, seraient sur le point de s'installer en Italie parce que le coût du travail y est moins élevé. Et cela n'a rien à voir avec une législation sur les licenciements ! A Amiens, l'entreprise Magneti-Marelli a fermé son site, sept cents emplois ont été supprimés. Est-ce en raison de la loi que nous n'avons pas encore votée ? Les actionnaires font 12 % de profit ? Ils en veulent 18 % ! Pour ce faire, ils vont en Italie et on leur a donné de l'argent public : 300 millions de francs ! (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) M. Franck Dhersin - Et à l'Humanité, alors ! M. Maxime Gremetz - Magneti-Marelli, c'est le groupe Fiat ! Les salariés font partie de l'entreprise et ils produisent les richesses, au même titre que les investisseurs. Doivent-ils travailler, puis accepter d'être licenciés sans pouvoir donner leur avis sur un « problème d'adaptabilité », pour reprendre la formule de M. Barrot ? N'est-il pas plus juste qu'entrepreneurs et salariés se réunissent ensemble afin d'examiner les solutions possibles ? Cessez de considérer l'emploi comme la variable de l'ajustement ! Les travailleurs, eux aussi, font des propositions, dans l'intérêt de l'emploi, de l'entreprise, de la France et de la coopération internationale. C'est une question de dignité que de leur permettre de les exposer - ou alors, ne faites pas de discours sur la démocratie sociale ! Mme Nicole Catala - M. Gremetz vient de démontrer excellemment combien ce projet est inadapté à notre temps. Notre économie ne fonctionne pas en vase clos, sur un territoire hexagonal fermé. Nous sommes plongés dans l'économie mondiale ! Nous sommes face à des entreprises souvent internationalisées, qui comparent les avantages et les inconvénients à développer telle ou telle activité à tel ou tel endroit ; elles comparent les contraintes ou les coûts imposés par les différents pays. La législation du travail fait aujourd'hui l'objet de ces comparaisons internationales. C'est malheureux et, comme vous, je pense qu'il faudrait trouver un moyen de remédier aux conséquences sociales de la compétition internationale. Mais le texte proposé ne le permet pas, bien au contraire : il se retournera contre l'emploi. Je soutiens donc la question préalable qu'a défendue M. Barrot (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe du DL). M. Franck Dhersin - En France, il n'y a plus de dialogue social, plus de paritarisme. Ce texte aboutira à une incroyable instabilité juridique pour les entreprises. A l'occasion de son examen, on a pu constater le mépris manifesté pour le travail en commission, pour les chefs d'entreprise. Vous allez peut-être sauver quelques milliers d'emplois ; à coup sûr, vous empêcherez la création de centaines de milliers d'autres. Nous sommes le seul pays au monde à avoir inventé un tel arsenal « anti-création d'emploi, anti-entreprise ». C'est une loi de découragement économique et social. Vous légiférez sous une double peur : peur de casser votre majorité plurielle en ne satisfaisant pas les injonctions féodales du parti communiste (Protestations sur les bancs du groupe communiste) ; peur de faire confiance aux chefs d'entreprise de notre pays. Si vous n'avez pas confiance dans ses forces vives, comment pouvez-vous espérer obtenir la confiance des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures. La séance est levée à 13 heures 5. Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance. Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance. www.assemblee-nationale.fr
|