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Session ordinaire de 2001-2002 - 41ème jour de séance, 95ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 13 DÉCEMBRE 2001

PRÉSIDENCE de Mme Marie-Hélène AUBERT

vice-présidente

Sommaire

      SOLIDARITÉ NATIONALE ET INDEMNISATION

      DES HANDICAPS CONGÉNITAUX 2

La séance est ouverte à neuf heures.

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SOLIDARITÉ NATIONALE ET INDEMNISATION DES HANDICAPS CONGÉNITAUX

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Jean-François Mattei, Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et plusieurs de leurs collègues relative à la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux.

Mme la Présidente - Le rapport de la commission des affaires culturelles porte également sur les propositions de loi de M. Bernard Accoyer instituant un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance ou du maintien de la vie et de M. Jean-François Chossy tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de sa naissance.

M. Jean-François Mattei, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - C'est avec une grande humilité que j'ouvre ce débat. Le sujet est en effet si grave qu'il transcende les clivages politiques, comme en témoignent les différents avis qui se sont exprimés et le vote de la commission hier soir. N'est-ce pas l'honneur des parlementaires de s'exprimer en conscience sur de tels sujets ?

Les progrès de la médecine nous placent devant des situations inédites qui imposent, au terme d'interrogations difficiles, de nouveaux choix. S'agissant du diagnostic prénatal, ils touchent au rôle du médecin, à l'accueil des handicapés, à l'intervention du juge. Cet état d'esprit est légitime lorsqu'une faute est à l'origine du dommage, mais en l'absence de faute, les interrogations du juge ou du législateur sont multiples. C'est dans ce contexte que la Cour de cassation a rendu le 17 novembre 2000, en assemblée plénière, le célèbre arrêt Perruche, qui a jeté le trouble dans l'opinion publique et ouvert un débat capital pour l'avenir.

Evitons tout faux débat : un long processus a précédé notre discussion d'aujourd'hui. Dès le 5 janvier, une proposition de loi était déposée, suivie de celles de Bernard Accoyer, de Jean-François Chossy et de MM. Sarre et Chevènement, puis d'amendements au cours de l'examen de différents textes.

J'ai donc pu apprécier, Madame la ministre de la solidarité, la qualité de nos échanges. Au sujet d'un amendement, vous m'aviez demandé en avril le temps de la réflexion. Le comité consultatif national d'éthique, que vous avez saisi, a rendu en mai des conclusions proches de notre position et insisté sur le problème des personnes handicapées dans notre société.

En juillet, la Cour de cassation a confirmé sa position, en l'atténuant sur certains points. Nous avons déposé de nouveaux amendements à l'automne, avant que la Cour de cassation confirme, cette fois en l'aggravant, sa jurisprudence.

La commission des affaires sociales avait pour sa part confié à une mission à Claude Evin, cela nous a permis d'entendre différents spécialistes. Le débat est donc engagé depuis plus d'un an.

Il est normal qu'une erreur médicale donne lieu à une juste réparation. Nous n'entendons en aucun cas protéger les médecins responsables d'une faute ou priver les couples qui y ont droit d'une réparation. De même est-il normal qu'une femme ayant librement choisi d'interrompre sa grossesse et n'ayant pu le faire en raison d'un défaut d'information ou d'une erreur, soit indemnisée. Nous ne cherchons ni à entraver la loi de 1975, ni à empiéter sur son champ. J'aurais voté la loi de 1975, et je l'applique dans mon service de diagnostic prénatal dès lors qu'une affection grave et incurable est reconnue pendant la grossesse et que le couple décide d'interrompre celle-ci. Ce dont nous allons parler risquerait en revanche bien de limiter la portée de la loi de 1975.

Une personne née handicapée peut-elle engager pour elle-même une action en justice pour obtenir réparation et être indemnisée du préjudice que représente le fait d'être née handicapée ? Là est le c_ur de la question.

Cette démarche peut reposer sur deux motifs : le handicap ou la naissance handicapée. Le handicap est imputable au médecin s'il y a une causalité directe entre son action et la survenue du handicap. Je pense aux tentatives abortives infructueuses, aux blessures du f_tus, à la prescription de substances tératogènes, qui sont à l'origine de malformations. Le médecin est ici coupable, comme, dans les accidents de la route, le fautif, et il y a lieu de réparer et d'incriminer sa responsabilité.

Mais dans les cas qui nous occupent, l'erreur de diagnostic n'est évidemment pas à l'origine du handicap. Celui-ci préexiste par définition : sinon, comment aurait-il pu être décelé par le médecin ?

Le handicap, dans l'affaire Perruche, est lié à une rubéole survenue pendant la grossesse. C'est le virus rubéoleux qui est la cause des malformations. Le médecin n'a pas vu cette rubéole congénitale, mais il ne l'a pas provoquée.

Il en va de même pour la trisomie 21, qui a une cause génétique : le médecin ne l'a pas diagnostiquée, c'est sa faute, mais il ne l'a pas provoquée, et ne peut donc en être tenu pour responsable. J'observe d'ailleurs que le Conseil d'Etat fait prévaloir une conception stricte du lien de causalité. Ainsi, commentant l'arrêt Quarez, le président du Conseil d'Etat souligne « l'absence de lien de cause à effet entre la faute médicale et le handicap ». L'arrêt de la Cour de cassation apparaît en revanche très critiquable, en ce qu'il se limite à des affirmations, qui ne sont accompagnées d'aucune explication.

Serait-ce alors la naissance avec handicap qui constituerait la faute du médecin ? Le commissaire du Gouvernement a rappelé que l'on ne pouvait imposer l'avortement à une mère. Pourtant, l'arrêt de la Cour de cassation fait peser sur les médecins une responsabilité nouvelle, considérable, qui conduira à une modification radicale des comportements, telle que l'on passera immanquablement, si nous ne légiférions pas, du droit à l'avortement à la quasi-obligation d'y recourir.

Je le répète, je suis favorable à la loi de 1975, à condition qu'elle soit intégralement appliquée, ce qui signifie que le fait d'avorter est un droit, mais que les femmes doivent, aussi, avoir le droit de poursuivre leur grossesse.

Ainsi, peut-être à son corps défendant, la Cour de cassation laisse entendre que l'inexistence est préférable à la naissance et à la vie handicapées ce qui, selon un arrêt de la cour d'appel d'Orléans rendu le 22 octobre dernier, n'est « ni logique ni pertinent ». On le voit, cette décision est loin de faire l'unanimité. Et comment le pourrait-elle ? Nul n'est fondé juger en droit de la légitimité de la vie !

Outre que les appréciations du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation sont divergentes, l'arrêt rendu suscitera de nombreux effets pervers. En premier lieu, cette jurisprudence provoquera une inégalité de traitement entre des personnes dont les besoins sont les mêmes, à la fois parce que le Conseil d'Etat se refusant à accueillir ce type d'action, l'indemnisation sera refusée aux enfants dont la mère aura fait suivre sa grossesse à l'hôpital public et parce que seuls seront indemnisés les handicapés nés à la suite d'une erreur médicale et dont les parents auront intenté une action. Ces deux inégalités sont insupportables, et les parents qui ont choisi d'accueillir leur enfant ne peuvent qu'être choqués qu'il puisse y avoir un avantage à être né handicapé après une erreur médicale et contre le souhait de ses parents. Le comble serait qu'il leur soit reproché d'être à l'origine du préjudice de leur enfant en n'ayant pas choisi l'avortement !

J'en viens à un autre effet pervers : celui de la normalité, point sur lequel la Cour ne s'est pas prononcée et pour cause ! Comment apprécier le préjudice subi par l'enfant ? Est-ce par rapport à l'inexistence ? C'est absurde, puisqu'il est impossible de choisir de ne pas vivre. Quels sont donc les critères d'une vie « normale » ? Et quelles limites fixer aux demandes d'indemnisation, alors que la Cour de cassation a reconnu le droit à une réparation intégrale, incluant le préjudice esthétique ?

Un autre effet pervers touchera l'exercice médical. A n'en pas douter, les obstétriciens et les échographistes, qui exercent des spécialités difficiles et qui sont déjà en nombre insuffisant, décideront de ne plus pratiquer le diagnostic prénatal. Outre qu'ils refuseront d'assumer le risque d'être à chaque instant exposés à des poursuites judiciaires, ils devront, sinon, faire face à des problèmes financiers réels. De ce fait, les médecins conventionnés en secteur 1 ne pourront régler le montant de leurs assurances professionnelles ; ceux qui exercent en secteur 2 en répercuteront le prix dans le tarif de leurs consultations. Et c'est ainsi que s'instaurera une médecine à deux vitesses, facteur supplémentaire d'inégalité.

Mme la Présidente - Je vous prie de conclure.

M. le Rapporteur - Je m'y efforcerai, Madame la présidente, mais vous comprendrez que sur un sujet d'une telle importance, je souhaite aller au bout de mon propos (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Un autre effet maléfique sera celui du doute, les médecins préférant dégager leur responsabilité et laisser les femmes décider seules, en plein désarroi. Dans tous les cas, la réduction des échographies aura pour effet paradoxal l'augmentation du nombre des handicaps. Comment ne pas dire, aussi, que le doute conduira les médecins à multiplier les prescriptions d'amniocentèses, dont on connaît les complications - l'avortement accidentel ? Voulons-nous, pour éliminer un f_tus porteur de la trisomie 21, éliminer accidentellement sept f_tus normaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Nous devons légiférer ! Nous le disons, car la question à laquelle la Cour de cassation s'est trouvée confrontée est celle de l'accueil des handicapés dans la société française. Or, les conditions qui leur sont faites ne sont pas satisfaisantes, comme le comité consultatif national d'éthique l'a souligné dans son avis du 29 mai 2001. Ma pratique professionnelle me permet de le dire avec force : après l'annonce d'une malformation, la décision d'interrompre une grossesse est toujours un drame pour une mère, pour un couple. Mais même les parents qui voudraient poursuivre la grossesse y renoncent, car ils savent qu'une vie de difficultés les attend, et attend leur enfant.

C'est pourquoi le législateur ne peut se dérober. Pouvons-nous envisager de nous séparer, au terme de cette législature, sans avoir apporté aucune réponse ? (« Non ! » sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Nous avons légiféré à propos des mères porteuses, et à propos de l'aléa thérapeutique. Il est indispensable de légiférer sur cette grave question, d'autant que deux cents dossiers sont déjà sur le bureau des juges. Attend-on de la justice qu'elle définisse la politique sociale de la nation ?

Tous les handicapés doivent être accueillis de la même manière : de façon décente. C'est ce que demandent les auteurs de cette proposition, qui en appellent à votre conscience (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Pascal Clément - Avant que la Cour de cassation ne rende son arrêt, il existait déjà une jurisprudence du Conseil d'Etat sur la question.

Cette jurisprudence n'avait gêné personne. Elle établissait un lien entre la faute du praticien et le préjudice, et a reconnu en 1997 le droit des parents à une indemnisation en capital et au versement d'une rente mensuelle jusqu'au décès de l'enfant né handicapé. Balayons donc la question de savoir s'il faut ou non indemniser un enfant handicapé : elle est réglée, bien que des glissements sémantiques laissent entendre aujourd'hui que certains seraient opposés à cette indemnisation.

Dans l'arrêt Perruche et les suivants, ce n'est pas la mère qui demande réparation, mais l'enfant. C'est lui qui reproche au médecin et à ses parents de l'avoir laissé naître. L'enfant, représenté par ses parents, est considéré par la Cour comme un tiers au contrat qui lie le médecin à la mère, et qui peut déboucher pour celle-ci sur l'exercice de son droit à l'avortement ; et ce tiers qui subit un préjudice peut en demander réparation.

La Cour de cassation a justifié son arrêt dans son rapport annuel, en affirmant que le respect effectif de la personne passe par la reconnaissance de l'enfant handicapé comme sujet de droit autonome ayant capacité à bénéficier d'une indemnisation lui permettant de vivre. Elle a écarté l'argument d'un risque de dérive eugénique, en rappelant que l'IVG pour motif thérapeutique est subordonnée à l'existence d'une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité.

La Cour a considéré que la réparation du préjudice devrait être intégrale. Or dans le droit de la responsabilité civile - tel que l'avait établi la Cour de cassation - la réparation tend à remettre les choses en l'état, comme si le dommage ne s'était pas produit ; dans le cas présent, la non-survivance du dommage supposant l'interruption de grossesse, l'enfant est admis à se plaindre de ne pas avoir été euthanasié.

Il est contradictoire de saisir la justice, donc de se prévaloir de sa qualité de sujet de droit, et de demander au juge de dire que l'on ne devrait pas exister. Et il est impossible d'évaluer le préjudice : il ne s'agit pas de comparer deux états successifs d'une même personne, mais de comparer la vie handicapée et l'inexistence. La justice peut-elle attribuer au néant une valeur supérieure à la vie avec un handicap ?

Les juges sont obligés de dégager des critères de normalité pour évaluer le préjudice et les réparations ; ils seront forcément arbitraires puisqu'il n'existe pas d'état corporel antérieur.

Les parents, dont les demandes constituent une remise en cause de l'existence de l'enfant, sont-ils les mieux qualifiés pour assurer la représentation de celui-ci en justice ? La reconnaissance d'un droit à ne pas naître conduirait sans doute à une forte pression sociale en faveur de l'élimination des f_tus anormaux. Cette tendance à la définition de critères de la « bonne naissance » ouvre la voie à l'eugénisme. C'est pour cela qu'il faut absolument légiférer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Claude Evin - Comme Jean-François Mattei le disait en commençant son propos, il nous faut aborder ce sujet avec humilité. Les problèmes soulevés sont d'une éminente complexité et nécessitent écoute entre nous, personne ne pouvant se prévaloir de détenir la vérité. Nous pouvons partager certaines références éthiques et pourtant ne pas avoir la même lecture.

L'arrêt Perruche soulève des réactions passionnées assez inhabituelles s'agissant d'un arrêt de la Cour de cassation ; il est sain que la représentation nationale débatte à nouveau de ce sujet, même s'il est peu courant que le Parlement soit appelé à donner des leçons à la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire.

Vous nous proposez, Monsieur Mattei, d'inscrire dans l'article 16 du Code civil que « nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance ». Mais dans l'arrêt Perruche, ainsi que dans les arrêts de juillet et de novembre dernier, l'assemblée plénière de la Cour de cassation n'a jamais prétendu indemniser les personnes du fait de leur naissance : quelle que soit l'argumentation développée par l'avocat général, elle n'a jamais remis en cause la jurisprudence de sa première chambre civile du 25 juin 1991, suivant laquelle « l'existence de l'enfant qu'elle a conçu ne peut à elle seule constituer pour sa mère un préjudice juridiquement réparable ». Au regard du but que vous poursuivez, l'adoption de votre proposition de loi ne servirait à rien et n'empêcherait pas de nouveaux arrêts ayant la même motivation que l'arrêt Perruche. En revanche, elle empêcherait des personnes s'estimant victimes de préjudices autres d'engager une action en réparation. Je pense par exemple à l'indemnisation des personnes nées d'un viol.

M. Georges Sarre et Mme Christine Boutin - Quel rapport ?

M. Claude Evin - Pour interdire la poursuite de la jurisprudence Perruche, il n'y aurait pas d'autre solution qu'un texte dérogeant expressément au droit de recevoir réparation d'un préjudice consécutif à la faute d'un tiers ; il risquerait de se heurter à la censure du Conseil constitutionnel ou d'exposer la France à une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme (Protestations sur les bancs du groupe UDF).

Il n'est pas juste d'écrire comme vous le faites, Monsieur Mattei, dans votre exposé des motifs, que cette jurisprudence aurait rencontré « l'hostilité de la majorité de la doctrine ».

Mme Christine Boutin - C'est pourtant vrai.

M. Claude Evin - La jurisprudence de la Cour de cassation a fait l'objet de commentaires contradictoires, mais équilibrés. J'ai été assez ahuri de lire, toujours sous votre plume, que « malgré l'avis contraire du Comité consultatif national d'éthique », la Cour a confirmé sa jurisprudence. Au nom de quoi une décision judiciaire devrait-elle être soumise à l'appréciation du Comité d'éthique ?

Mme Christine Boutin - Là, je suis d'accord. Il faudra s'en souvenir sur d'autres sujets...

M. Claude Evin - La vie est-elle un préjudice ? Evidemment non. Mais est-ce bien de cela qu'il s'agit ? Certains évoquent le risque d'une dérive eugénique. S'il existe, ce n'est pas en raison des arrêts de la Cour de cassation, mais, par exemple, du développement du diagnostic prénatal et du diagnostic préimplantatoire, que nous avons justement encadrés. Et puis, là encore, sachons raison garder : les arrêts de la Cour de cassation ne concernent pas le cas de parents qui auraient voulu mettre au monde de « beaux enfants », mais de parents qui pouvaient avoir une légitime volonté de ne pas donner naissance à des enfants très lourdement handicapés.

Certains prétendent que la Cour de cassation porterait atteinte à la dignité des personnes handicapées. S'il en était ainsi, la protestation serait unanime. Mais je considère au contraire qu'en indemnisant un enfant handicapé on lui reconnaît sa dignité.

La faute médicale n'est pas à l'origine du handicap, mais le handicap aurait pu être évité, sans la faute du médecin et, dans l'affaire Perruche, sans la faute du laboratoire. Or, si le législateur, en 1975, a reconnu qu'il était possible de recourir à l'interruption thérapeutique de grossesse lorsqu'il existait « une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité dont le caractère a été reconnu comme incurable au moment du diagnostic », c'est bien qu'il a considéré qu'il y avait des situations où il était possible d'éviter à un enfant de connaître les souffrances résultant d'une « affection d'une particulière gravité ». C'est le législateur de 1975 qui a reconnu qu'il valait parfois mieux la mort qu'une « mauvaise vie », et donc qu'il pourrait y avoir un préjudice pour l'enfant que de naître avec un tel handicap. Comment alors ne pas accepter que le préjudice de cet enfant soit reconnu et indemnisé lorsqu'il fait suite à un comportement fautif ? L'arrêt Perruche tire les conséquences de la loi de 1975 sur l'interruption de grossesse, et touche à la question de la responsabilité médicale fautive.

Vous affirmez, Monsieur Mattei, que dans les arrêts que vous contestez « le lien de causalité exigé par le code civil entre la faute du médecin et le handicap de l'enfant, qui justifie le déclenchement de la responsabilité du médecin pour faute, est absent ». Vous ajoutez même : « Soutenir le contraire est une contre vérité ». Vous semblez ignorer que la responsabilité d'une personne peut être engagée non seulement si elle cause un dommage, mais également si elle ne l'empêche pas alors qu'elle le pouvait et le devait. J'emprunterai un exemple à Mme Dreifus-Neitter qui écrit dans la revue Médecine et Droit : « Lorsque des campeurs sont emportés par une coulée de boue, nul ne songe à s'opposer à la responsabilité de l'exploitant du camping ou de la municipalité. Le fait de n'avoir pas pris une précaution qui aurait évité ou réduit les conséquences du dommage est considéré comme causal ».

En médecine, un médecin n'est pas responsable d'une maladie, il n'en n'est donc pas la cause. Cependant sa responsabilité pourra être engagée s'il n'a pas guéri le patient alors qu'il le pouvait. Dans le cas d'un diagnostic prénatal, si l'affection détectée peut faire l'objet d'un traitement et que la faute du médecin empêche le f_tus de bénéficier de ce traitement, personne ne contestera que l'enfant qui naît puisse obtenir réparation.

M. Bernard Accoyer - Quelle confusion !

M. Claude Evin - La raison de notre malaise, c'est que, dans les cas qui nous préoccupent, il n'y avait pas de traitement sinon la disparition du f_tus. M. Clément a bien mis le doigt sur ce problème central. Reste que le législateur a accepté qu'en cas d'affection reconnue comme incurable au moment du diagnostic, la suppression du f_tus pouvait être admise.

C'est bien en référence à cette norme incontestable du droit de la responsabilité que l'arrêt Perruche a énoncé que « dès lors que les fautes commises avaient empêché (la mère) d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse, afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander réparation ».

Vous admettez que la mère puisse obtenir, auprès du médecin fautif, réparation du préjudice qu'elle a subi. Mais au nom de quoi l'interdirions-nous à l'enfant handicapé ?

Les cas dont nous parlons relèvent chaque fois de l'accident médical fautif, ce qui permet de répondre à deux appréhensions. D'une part, le risque de voir un enfant se retourner contre sa mère et lui reprocher de ne pas avoir fait procéder à un avortement médical. Outre que le recours à l'IVG n'est pas une obligation mais une liberté de la femme, encore faudrait-il qu'une faute de la mère soit établie, ce qui ne paraît pas possible. D'autre part, les médecins de la naissance craignent d'être poursuivis parce qu'ils n'auraient pas détecté des anomalies. Or il n'est pas exact, comme l'écrivent certains dans Le Monde du 5 décembre que « la seule faute de ces médecins (considérés comme responsables par la Cour de cassation) est de n'avoir pas vu que ces maladies existaient (...) ». Dans tous les cas, il y a eu faute prouvée qui n'était pas du tout la non-détection d'une anomalie non évidente.

Cette appréhension face à la judiciarisation des actes médicaux concerne nombre de spécialités médicales, qui craignent aussi de ne plus pouvoir trouver des assureurs. Nous avons déjà commencé à traiter cette question, dans l'examen de la loi relative aux droits des malades. Si des précisions doivent y être apportées j'y suis, comme rapporteur, tout à fait disposé. Mais il s'agit là de mesures à introduire dans le code de la santé et qui concernent la responsabilité médicale.

Au total, et même si je la comprends, l'émotion qu'a soulevée la jurisprudence de la Cour de cassation ne semble pas fondée. Elle peut au moins être discutée. En tout cas la proposition de M. Mattei n'empêcherait pas d'autres arrêts Perruche. Elle encourrait même le risque d'être censuré par le Conseil constitutionnel dans la mesure où elle empêcherait des personnes d'engager des actions en réparation de ce qu'elles perçoivent comme un préjudice. Il ne me semble donc pas possible de l'adopter. Est-il pour autant opportun que se développent ainsi des actions judiciaires dont certaines masquent l'inquiétude des parents devant l'avenir de leur enfant ? Je ne pense pas que ce soit dans les tribunaux que ces parents doivent trouver réponse à cette angoisse. Si ces arrêts de la Cour de cassation permettent à la solidarité nationale de mieux répondre à la situation des enfants gravement handicapés, ils n'auront pas été inutiles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Quand la société fait face à des situations nouvelles, sa force est d'en analyser les causes et les conséquences pour s'adapter, en respectant les fondements sur lesquels se sont développés le genre humain et la communauté solidaire par laquelle il s'est organisé.

Or les décisions de la Cour de cassation instituant la notion de « vie dommageable » appellent la discussion. Celle-ci ne porte pas sur la causalité au sens juridique du terme, puisque la cause du handicap n'est pas en débat ; elle ne porte pas non plus sur la responsabilité médicale qui est une réalité pleine et entière : enfin, elle ne porte pas sur l'IVG, qui a eu lieu il y a vingt-cinq ans.

La Cour de cassation s'est prononcée, comme c'est le propre de la jurisprudence, à partir de cas particuliers, pour lesquels le besoin de financement des prises en charge était conséquent, et sans que la représentation nationale puisse réfléchir aux conséquences de la conjonction d'une défaillance de diagnostic anté-natal et du droit de la mère à interrompre sa grossesse en cas de malformation grave du f_tus. Les trois arrêts auxquels nous nous référons sont le fruit d'un raisonnement étayé, mais suscitent incompréhension, malaise, voire indignation. Comment accepter sans trouble les perspectives vertigineuses auxquelles expose la notion de « vie dommageable » ? Ainsi la non-destruction d'un f_tus donnerait droit à réparation en raison d'un défaut d'information ? Ainsi la médecine prédictive et le diagnostic anté-natal devraient être fiables à 100 %, alors que c'est impossible, et ouvriraient la voie à la tentation d'un eugénisme de précaution ? Ainsi l'inexistence serait préférable à la vie, la naissance constituerait un préjudice, l'existence souhaitable serait uniquement celle des êtres considérés comme normaux ?

Même si l'insuffisance de prise en charge des handicaps par la solidarité nationale a pesé sur les demandes de réparation et sur les décisions de la Cour de cassation, on ne peut pas se satisfaire qu'une défaillance de nature sociale pousse la justice à élaborer un droit susceptible de remettre en cause la dignité de la personne humaine. Celle-ci réside précisément dans la valeur inestimable de la vie humaine, quelle qu'elle soit. Si les caractéristiques anthropologiques ou mentales de l'être né constituent en soi un préjudice indemnisable, c'est la vie elle-même qui devient évaluable. L'accepter, c'est prendre le risque de voir s'établir des barèmes destinés à estimer le prix d'une vie par rapport à une autre, en contradiction absolue avec la Déclaration universelle des droits de l'homme, en tête de laquelle figure le principe de l'égalité entre tous les hommes dès leur naissance.

C'est donc bien pour des raisons éthiques fondamentales que le législateur doit se prononcer, en tenant compte d'une part du droit à l'avortement médical et d'autre part des progrès continuels du diagnostic anté-natal, pour éviter une dérive qui a légitimement indigné les associations de parents d'enfants handicapés, et une large part du corps social.

Notre réflexion ne porte nullement sur l'avortement médical, reconnu et encadré par la loi de 1975. Mais par cette loi le législateur a refusé de reconnaître un quelconque droit au f_tus. Il est donc illégitime que la justice reconnaisse un droit à réparation du fait de la naissance d'un enfant qui aurait pu ne pas naître si sa mère avait été informée d'un possible handicap. En outre l'absence d'information de la mère n'est en rien la cause du handicap de l'enfant. Le préjudice d'absence d'information concerne donc bien la mère et non pas le f_tus devenu un enfant handicapé, puisque ses droits n'apparaissent qu'à la naissance.

Le principe selon lequel l'absence de naissance serait préférable à la vie, et la reconnaissance d'un droit à ne pas naître sont-ils admissibles au regard des fondements de notre société ?

Mme la Présidente - Veuillez conclure, je vous prie.

M. Bernard Accoyer - Ils divisent les plus hautes instances judiciaires, qu'il s'agisse du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation. Le principe de la vie dommageable, et donc du droit à ne pas naître, et l'institutionnalisation rampante de l'eugénisme sont suffisamment évocateurs des pires dérives pour que le législateur n'abdique pas face à ses devoirs.

C'est pourquoi, outre l'urgente et nécessaire adaptation de la prise en charge de tous les handicaps par la solidarité nationale, il convient d'adopter cette proposition de loi. Le Parlement remplira ainsi sa plus haute responsabilité, assurer le respect de la personne humaine (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Georges Sarre - Je regrette que le président de la commission soit momentanément absent car j'avais déposé, avec Jean-Pierre Chevènement, une proposition de loi traitant du même sujet.

M. le Rapporteur - Je l'ai rappelé au début de mon propos !

M. Georges Sarre - Je l'ai noté et je vous remercie d'avoir profité de la fenêtre parlementaire de votre groupe pour proposer la discussion de notre proposition.

Nous abordons un sujet aussi complexe que lourd. La confirmation par la Cour de cassation, le 28 novembre 2001, de la jurisprudence Perruche a provoqué de vives réactions chez nos concitoyens. En tant que représentants du peuple, nous devons répondre à l'appel qui nous est lancé et prendre une position claire.

Bien sûr, la peur d'affronter des choix éthiques fondamentaux a pu pousser certains à refuser ce débat, mais la coïncidence des récents arrêts avec l'annonce du premier clonage de cellules humaines en confirme l'urgence.

En considérant que vivre peut constituer un préjudice indemnisable, la Cour de cassation a ouvert la boîte de Pandore, et les conséquences logiques de cette proposition sont vertigineuses : l'inexistence est donc préférable à une vie qui ne répond pas à certains critères ? Mais qui fixe ces critères ? A partir de quand la vie devient-elle intolérable ? Certaines personnes lourdement handicapées sont parfois plus heureuses que bien des gens dits « normaux ». Souvent le regard que nous portons sur les personnes handicapées les blesse plus que la conscience de leur état.

Notre société tend à éliminer tous ceux qui ne répondent pas à la norme. Pourtant le jour où Pascal Duquesne a reçu un prix d'interprétation pour Le huitième jour, qui aurait pu nier que la vie d'un trisomique peut être aussi heureuse qu'une autre ?

La jurisprudence Perruche, en érigeant la « normalité » comme valeur supérieure, en faisant de la différence un dommage indemnisable en dehors de toute responsabilité -, puisque c'est bien la nature, et non une erreur médicale, qui est à l'origine de ces handicaps congénitaux - s'inscrit dans une évolution générale de la société vers la recherche de l'enfant parfait, grâce au diagnostic prénatal.

Or, c'est une utopie : le risque zéro n'existe pas en médecine. Le handicap, la différence existeront toujours. Une société qui n'accepte pas la différence est une société morte. La richesse naît de la différence (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe du RPR et du groupe UDF).

La jurisprudence Perruche participe d'une dérive eugéniste, en avalisant l'idée que toute femme, confrontée au diagnostic d'un handicap, choisirait l'interruption de grossesse. C'est là une atteinte à l'esprit, voire à la lettre de la loi Veil, puisqu'elle limite le libre choix des femmes. Quelle femme se sentira libre de poursuivre sa grossesse si elle risque d'être attaquée en justice ? Et comment les médecins pourront-ils conseiller une femme en toute sérénité, quand pèse sur eux un tel risque juridique ?

Allons plus loin. Avant même l'arrêt Perruche, notre législation sur l'indemnisation des personnes handicapées était en contradiction avec l'esprit de la loi Veil.

Peut-on parler de libre choix quand la naissance d'un enfant handicapé entraîne des difficultés financières, l'abandon d'une activité professionnelle, parce que les aides à domicile sont insuffisantes, un déménagement, parce que les centres d'accueil sont trop peu nombreux ?

Ce sont ces problèmes-là qu'a voulu souligner la haute juridiction, et c'est à notre responsabilité qu'elle en appelle. Il est du devoir de l'Etat de garantir à ses citoyens les plus fragiles des conditions de vie décentes. Or ce devoir n'est pas rempli quand 80 % des enfants handicapés du Nord-Pas-de-Calais sont scolarisés en Belgique, faute de places dans les centres d'accueil en France, et quand rien n'est prévu pour les personnes handicapées vieillissantes, alors que l'espérance de vie d'un trisomique dépasse aujourd'hui les 60 ans.

Le grand mérite de la Cour de cassation est de nous obliger à ouvrir le débat sur l'aide aux personnes handicapées. Il ne peut être laissé de côté, car il interroge la devise de la République : la liberté - celle du choix d'assumer ou non un enfant différent -, l'égalité - celle de toute vie humaine, quelle qu'elle soit -, et la fraternité - celle que nous devons aux plus faibles.

C'est pourquoi, avec mes amis du Mouvement des citoyens, nous voterons la proposition de loi Mattei. Elle reprend celle que nous avions déposée en octobre avec les mêmes arguments : arguments juridiques sur le lien de causalité nécessaire entre la faute et le préjudice et l'atteinte à l'esprit de la loi Veil, arguments éthiques sur l'égale dignité de toute vie humaine et le danger de fixer des critères pour une vie acceptable, arguments politiques sur le devoir de l'Etat envers ses citoyens et le refus d'une logique d'indemnisation au cas par cas.

Nous voterons pour cette loi parce qu'elle propose la création d'un observatoire qui permettra une amélioration des conditions d'indemnisation des personnes handicapées, parce qu'elle refuse la discrimination entre les différents types de handicap que le Gouvernement a tenté d'introduire, parce que légiférer sur cette question est indispensable pour affirmer notre refus d'une société eugéniste et pour permettre aux médecins d'exercer leur travail en toute sérénité (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-François Chossy - Les magistrats viennent d'instaurer une jurisprudence terrifiante qui interpelle la société tout entière. J'ai la naïveté de penser que les magistrats sont là pour appliquer la loi, non pour l'inventer au coup par coup ; c'est à nous, parlementaires, de légiférer.

L'arrêt dit « Perruche » a déjà prétendu, le 17 novembre 2000, que l'inexistence est préférable à la vie diminuée, et que la vie peut constituer en elle-même un préjudice.

Un enfant porteur d'un handicap peut-il se plaindre d'être né infirme, au lieu de ne pas être né ?

Dans la proposition de loi qu'avec Jean-Pierre Foucher, Christine Boutin et d'autres collègues du groupe UDF j'ai déposé dès ce mois de janvier, je posais le principe que nul n'est recevable à demander une indemnisation du seul fait de sa naissance.

La proposition présentée aujourd'hui par Jean-François Mattei, Jean-Louis Debré et Philippe Douste-Blazy reprend la même idée.

Les sénateurs Fournier et Huriet affirment en substance la même chose.

Notre excellent collègue Accoyer propose un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilités du fait de la naissance. Roselyne Bachelot-Narquin et bien d'autres sont intervenus au sujet de l'arrêt Perruche. Mme Ségolène Royal réfléchit encore. M. Kouchner s'interroge. Le parti communiste s'apprête à voter pour la proposition, le Mouvement des citoyens aussi. On le voit, l'émotion et les interrogations dépassent les clivages politiques.

Si l'on veut éviter les dérives, il faut, dès aujourd'hui, prendre des dispositions pour éviter que soit indemnisé le préjudice de naissance, comme le demandent les grandes associations et le collectif contre l'handiphobie rassemblé autour de Xavier Mirabel.

Il n'est pas question, pour le groupe UDF, d'attendre les conclusions de je ne sais quelle commission. Le temps de la réflexion a largement été donné ; la jurisprudence nous presse, il faut agir ici et maintenant.

Si la faute médicale est avérée et que le handicap en est la conséquence directe, le droit à réparation doit, bien sûr, être maintenu. Mais quand Mme Guigou dit, dans la réponse à ma question du 27 novembre dernier, que l'arrêt Perruche, en ouvrant la possibilité d'indemniser un enfant né handicapé, a voulu lui permettre de subvenir à ses besoins en cas de disparition de ses parents, elle substitue le principe d'indemnisation à la solidarité nationale qui doit s'exercer à l'égard des personnes handicapées. Axel Kahn, généticien, membre du Comité national d'éthique, s'exprime fermement. Dans un premier temps, il ne jugeait pas sage de légiférer, par souci de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. Mais il constate que ce dernier s'enferre dans une attitude qu'il tient pour très grave : il estime donc maintenant que le peuple français, avec ses représentants, doit intervenir sur deux points : affirmer que les handicapés font partie des personnes qui naissent à égalité de droits et de devoirs, et que leur dignité ne doit pas être remise en cause ; affirmer qu'elles ne sauraient être indemnisées pour être nées laides - ce qui a pour pendant la réaffirmation de la solidarité due à tous les handicapés quels qu'ils soient.

La jurisprudence du 28 novembre reprend et complète l'arrêt Perruche. Les parents demandent maintenant réparation pour vie dommageable et préjudice esthétique. C'est la porte ouverte sur l'eugénisme. Le préjudice esthétique porte l'exigence d'une normalité. Tout ce qui est anormal est dérangeant. Mais qui va définir les critères de cette normalité ? Si la jurisprudence propose d'indemniser le préjudice de vie, même des enfants légèrement atteints par le handicap pourront plus tard demander réparation.

Devant les avancées techniques et scientifiques, les parents ont de plus en plus la possibilité d'accepter ou de refuser la naissance d'un enfant que la médecine leur décrit comme handicapé. Il n'est pas question de revenir sur cette possibilité de choix, mais on ne saurait prétendre que l'on peut refuser la naissance de l'enfant au seul prétexte qu'il est fragilisé par le handicap. Bienheureuse fragilité qui nous donne des Béatrice Hess, des Michel Petrucciani et bien d'autres... Si le présent texte n'est pas adopté, se posera aussi le problème de la réparation du handicap que l'on découvrirait bien après la naissance et qui ne serait pas dû à une erreur médicale, comme l'autisme par exemple.

Certains handicapés seront-ils dédommagés grâce à la reconnaissance d'une erreur et à l'habilité de leurs avocats, cependant que d'autres seront délaissés par la justice et réduits à dépendre de la charité chrétienne, de la générosité publique ou de la solidarité nationale ?

Il faut enfin considérer le malaise des médecins échographistes et des spécialistes du diagnostic prénatal devant les risques de judiciarisation excessive. Au vu de la jurisprudence récente, ces professionnels annoncent qu'ils cesseront toute activité de dépistage des malformations au 1er janvier 2002. Confrontés à une obligation de résultat sûr à 100 %, ils se déclarent dans l'impossibilité de poursuivre leur travail. Les médecins s'attendent à une cascade de procès et craignent une dérive « à l'américaine », où les avocats tenteraient par tous les moyens de prouver la faute pour obtenir réparation.

Enfin j'appelle le Gouvernement et mes collègues à réfléchir en profondeur, avec les associations et les personnes concernées, sur une véritable politique d'accueil, de prise en charge et de reconnaissance du handicap - à tous les âges de la vie et pour tous les types de handicap.

Madame la ministre, au-delà du texte d'aujourd'hui, que le groupe UDF défend avec énergie, quand allons-nous engager la grande révision de la loi d'orientation de 1975 sur le handicap ? Même si une mission d'étude, une de plus, à laquelle je suis d'ailleurs associé, doit se réunir prochainement, je veux vous redire l'impatience de chacun pour que ce texte soit enfin adapté aux réalités nouvelles.

Madame la ministre, il faut un autre regard sur le handicap. Regardons-le en face, simplement sans passion, sans compassion, sans émotion, sans provocation, et sans détourner le regard. Regardons l'autre avec sa différence, comme si l'on se regardait soi-même dans un miroir, sans peur. Le handicap n'est pas contagieux. Admettons cette différence comme une richesse. Aidons les handicapés dans leur projet de vie, aidons-les à préférer la vie (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Daniel Paul - On peut sans doute hésiter sur les raisons qui ont conduit la Cour de cassation à prendre en 2000 l'arrêt Perruche, et à confirmer sa jurisprudence par un nouvel arrêt en novembre 2001. On peut y voir un appel à notre société pour qu'elle se décide enfin à prendre les décisions qui s'imposent, pour mieux protéger les enfants handicapés et aussi pour ne pas laisser plus longtemps le droit courir après les faits. On peut y voir aussi un épisode supplémentaire et préoccupant de dérives successives qui posent, de fait, la question du devenir de nos sociétés, de notre façon de concevoir la vie, et l'humain.

Quoi qu'il en soit, nous sommes confrontés à une interpellation de fond, et il ne saurait être question de laisser la Cour de cassation « faire la loi », c'est-à-dire se substituer au législateur, dans un domaine aussi sensible, qui interroge le devenir de l'humanité donc le politique.

C'est peu de dire que notre société connaît des dérives inquiétantes. Face aux risques d'exclusion on en est venu, au fil des années - et ce disant je me situe à l'échelle d'une génération - à penser que pour réussir, pour mener une vraie vie, il ne fallait souffrir d'aucun handicap. La société précédente faisait sans doute plus de place aux handicapés, par une prise en charge sociale, une large acceptation des différences. Force est de constater une évolution à ce sujet.

L'époque est à la marchandisation du corps humain, par éléments, par organes ; des embryons peuvent être achetés sur catalogue, la vie humaine est tarifée, le brevetage humain n'est plus tabou, le clonage est envisagé ouvertement, des ovocytes humains font l'objet d'un commerce, des bébés peuvent être achetés aux quatre coins du monde. Quant à la science, elle paraît condamnée à une obligation de perfection, et d'infaillibilité, qu'elle-même a sans doute contribué à forger par des avancées extraordinaires. Elle est censée tout prévoir, tout réparer, et l'échec ne saurait être lié qu'à une faute, au c_ur de laquelle, évidemment, se trouveraient le médecin, et l'hôpital.

Dès lors, on en arrive aisément à culpabiliser une mère parce qu'elle n'a pas avorté alors qu'un doute aurait existé. Ou au contraire, pour ne courir aucun risque, ne peut-on craindre une banalisation de l'IVG, et aboutir à une situation que les promoteurs de la loi Veil n'avaient en rien envisagé et que nous ne saurions davantage accepter ?

Pour une femme, et pour l'équipe médicale qui l'entoure, l'objectif, c'est la vie à construire, non à interrompre. La recherche eugénique entraînant la sélection des enfants à naître est contraire à la notion d'humanité. Cela ne saurait justifier aucune remise en cause de la loi sur l'IVG. Cela ne saurait non plus justifier une quelconque suppression ou réduction de sanction en cas de faute avérée du médecin : la notion de responsabilité est partie intégrante de la relation de confiance entre médecin et patient. C'est la seule façon de respecter à la fois le droit des malades, mais aussi la complexité de l'acte médical, dans lequel l'absence de risque n'existe pas, et le médecin se confronte, en conscience, à des choix commandés par des examens et des symptômes pas toujours convergents. Cette relation privilégiée pourra-t-elle se maintenir sous la menace d'une judiciarisation qui pousserait le praticien à se protéger, rompant ainsi l'ancestral pacte de confiance entre lui et le malade ?

Enfin, comment admettre l'idée qu'il pourrait y avoir un préjudice à être né, comme si le choix pouvait exister pour celui qui est né, comme si la vie pouvait être l'objet de normes ?... Où commencerait le préjudice ? Qui définirait les normes ? Admettre cela conduirait à une véritable dérive de la civilisation.

Sans doute l'arrêt Perruche nous renvoie-t-il à ces évolutions qui ont marqué les dernières décennies, même s'il est clair à nos yeux que ce constat se double du souci premier de protéger les enfants handicapés, de leur assurer les moyens préservant leur avenir. Comment ne pas comprendre l'inquiétude profonde des associations, des parents d'enfants polyhandicapés, des médecins ? Oui, il faut arrêter cette jurisprudence qui risque de saper notre humanité.

Encore faut-il, dans le même temps, entendre ce que disent les associations et les parents. Il faut écouter la détresse des familles confrontées aux handicaps de leurs enfants, à l'insuffisance des moyens d'accueil, d'accompagnement, de SESSAD, d'IMP, de CAT, de foyer et de familles d'accueil. L'enfant handicapé et sa famille doivent être, plus que d'autres, à l'abri du besoin. Force est de constater nos insuffisances dans ce domaine. Et les moyens nécessaires pour faire face ne passent pas par une maîtrise comptable des budgets de la santé, ou du secteur sanitaire et social. Augmenter les allocations, créer des places, former des personnels, cela coûtera : il faudra bien mettre en place les financements publics nécessaires, qu'ils viennent du budget de l'Etat ou de celui de la sécurité sociale, et donc trouver le moyen d'abonder ces budgets par des prélèvements adéquats : on le voit, cette question rejoint notre souci d'améliorer la protection sociale et ses moyens. Ainsi, pourquoi ne pas faire en sorte que la CMU prenne en charge toutes celles et tous ceux qui reçoivent l'AAH, en supprimant donc cette frontière si basse ?

De même, il faudra bien mettre en place les moyens nécessaires à la recherche, et accompagner l'extraordinaire effort par lequel nos compatriotes, à travers le téléthon, les virades de l'espoir et tant d'autres manifestations, paient d'exemple en faveur des handicapés. De même encore, il faudra renforcer les moyens médicaux pour réduire les risques : pour éviter l'erreur autant que possible, ne faut-il pas substituer au médecin une véritable équipe médicale ? C'est donc un véritable plan pluriannuel visant à faire face aux besoins des handicaps dans notre société qu'il convient de mettre en place, si l'on veut convaincre vraiment les familles confrontées quotidiennement aux difficultés.

Tout cela soulève la question de la solidarité, seule réponse vraie, humaine et humaniste à la protection des personnes handicapées. Elle implique des moyens financiers, ce qui bat en brèche l'idée que l'on pourrait, en même temps, répondre aux besoins sociaux et ne pas donner aux budgets publics les moyens de le faire. La loi 1975 doit être revue certes, mais avec l'objectif de largement l'enrichir.

Mais cette réponse signifie aussi une attitude, un accueil de notre société à la différence à l'autre comme il est. Droits humains, droit à la différence, et pourquoi pas à l'indifférence, droit au bonheur, à la dignité, y compris pour les handicapés : tout cela passe sans doute par des débats et des décisions en vue de substituer à une logique assurancielle, une logique solidaire. Il faut sans doute des débats d'experts, de philosophes, de médecins, de responsables d'associations, de directeurs d'établissements. Mais ne convient-il pas, sur un sujet qui touche ce que l'humain a de plus sensible, que le débat sorte d'un cadre par trop limité ?

Il concerne tout le monde : les parents, mais aussi tous les citoyens et ceux qui s'intéressent à l'avenir de notre société et aux rapports entre les hommes. Ce sont là de grandes questions politiques qui méritent un vrai débat public.

Notre Règlement ne nous permettant pas d'adopter des propositions pour améliorer la prise en charge des handicapés, le groupe communiste votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF). Il souhaite qu'elle soit le signe d'une prise de conscience, celle de la dignité des plus faibles et de notre responsabilité collective à leur égard.

M. Marc Laffineur - Notre débat d'aujourd'hui suscite depuis plus d'un an une vive polémique.

La question de savoir si un enfant atteint d'un handicap congénital, qu'il soit ou non d'ordre génétique, est fondé à se plaindre d'être né infirme au lieu de ne pas être né, est à la frontière du droit et de l'éthique, mais non aux confins de notre mission de législateur. Il nous appartient donc de combler ce vide juridique pour adapter le droit aux m_urs tout en préservant les valeurs de notre société.

La décision de la Cour de cassation d'indemniser un enfant handicapé du fait de sa naissance, soulève trois questions. Le fait de naître peut-il être considéré comme un préjudice ? Notre politique à l'égard des handicapés est-elle adaptée ? L'erreur médicale sans conséquence sur la santé doit-elle être sanctionnée ? A ces questions, il faut une réponse législative.

Nous sommes entrés dans une société de réparation, une société du zéro défaut et du zéro risque. Nous sommes devenus des consommateurs exigeants, obsédés par le droit à la perfection ou à l'indemnisation.

D'abord considérée comme une fatalité, la naissance d'un enfant handicapé est parfois devenue prévisible. Il n'en faut pas plus pour que cette naissance devienne pour certains un préjudice subi, non seulement par les parents, mais aussi pour l'enfant lui-même. Certaines vies seraient à ce point préjudiciables qu'elles ne vaudraient pas le coup d'être vécues. Cette insinuation de la Cour de cassation a suscité chez les parents d'enfants handicapés les plus vives réactions. Sont-ils coupables d'avoir laissé leur enfant naître ? Peut-on préjuger de l'opportunité d'une vie qui ne correspond pas aux canons de la perfection ? A partir de quel degré de handicap vaut-il mieux interrompre une grossesse ? Aujourd'hui, une trisomie, demain peut-être un membre en moins, ou que sais-je...

Du point de vue moral, social et éthique la décision de la Cour de cassation est lourde de sens et laisse craindre une dérive eugénique. Sa logique indemnitaire permet-elle de dégager les solutions les plus équitables ? N'est-elle pas source d'injustice entre les enfants handicapés, puisque ceux envers lesquels aucune erreur n'a été commise ou ceux que les parents choisissent de garder ne seront pas indemnisés, eux. Dans la logique de la Cour de cassation, rien n'interdirait même à un enfant handicapé de se retourner contre ses parents, pour l'avoir mis au monde malgré leur connaissance de son handicap.

La montée d'un contentieux indemnitaire lié à la naissance d'un enfant handicapé risque surtout de dissuader les médecins de poser un diagnostic, pour ne pas voir leur responsabilité systématiquement engagée. Car dans 30 % des cas, le handicap n'est pas décelé à l'échographie. Les compagnies d'assurance ont déjà averti qu'elles n'assureront plus ce risque, ou alors à un coût exorbitant. Les médecins refuseront donc de pratiquer des échographies, au détriment des milliers de femmes enceintes. Contrairement à l'erreur médicale qui est à l'origine d'un handicap et qui doit être condamnée, l'erreur de diagnostic ne crée pas le handicap. Celui-ci préexiste au diagnostic ; il est inhérent au patrimoine génétique ou résulte d'une maladie in utero. Un médecin ne peut donc être pénalement responsable d'une anomalie naturelle. Certes, il a un devoir d'information qui doit permettre aux parents de choisir de mettre ou non au monde un enfant handicapé.

Mais permettre aux parents de choisir, ce n'est pas tant les informer du handicap de leur enfant que leur offrir les moyens d'affronter et de surmonter ce handicap. Or, nous avons à cet égard beaucoup à faire : notre politique envers les handicapés est depuis longtemps insuffisante et nous manquons de places en structures spécialisées. Tel est peut-être le message de la Cour de cassation. C'est cette défaillance de notre système d'accueil et d'accompagnement des handicapés qu'il nous faut combler pour ne pas culpabiliser les parents qui ont gardé un enfant handicapé et pour offrir à celui-ci un droit à vivre dans les meilleures conditions et un droit à l'intégration.

Parce que la naissance s'accompagne de trop d'incertitudes pour donner lieu à indemnisation, parce qu'un droit à compensation, égal pour tous, est préférable, à un droit à l'indemnisation, parce que le débat a déjà eu lieu dans notre pays, je voterai cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Francis Hammel - La question que nous abordons est hautement délicate. Je ne reviens pas sur les arrêts de la Cour de cassation et leur pertinence : Claude Evin l'a fait. Je partage son analyse et j'approuve le rapporteur quand il dit que la faute médicale doit être sanctionnée et réparée et qu'il n'est pas question de mettre en cause la loi sur l'IVG.

Pourquoi tant d'émotion autour de ces arrêts ? Y a-t-il eu à cette occasion surenchère ? Je le pense.

Parce que l'on touche à la vie, à l'éthique et que le sacro-saint corps médical se sent atteint, beaucoup d'encre a coulé et coule encore.

L'arrêt Perruche n'a pourtant rien d'extraordinaire en soi. Nous pouvons certes redouter une inflation jurisprudentielle de nature à créer des discriminaions entre personnes handicapées et nourrir le malaise des médecins échographes et des professionnels de la naissance. Faut-il pourtant légiférer dès maintenant ?

M. Jean-François Chossy - Oui !

M. Francis Hammel - Les avis divergent, bien au-delà des clivages politiques. Le monde associatif des personnes handicapées et de leurs familles, d'abord ébranlé, s'interroge aujourd'hui et refuse la précipitation (Protestations sur les bancs du groupe UDF). Il l'a réaffirmé la semaine dernière lors d'une réunion de la commission du Conseil national consultatif des personnes handicapées à laquelle j'assistais avec Mme Ségolène Royal.

Les associations souhaitent poursuivre le débat, et prendre du recul. Elles veulent sortir le débat du milieu judiciaire et le placer dans le cadre du projet de loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé, dont l'article 58 distingue les accidents fautif et non fautif. Elles demandent un moratoire sur les prises de positions juridiques et un développement de l'action en faveur des personnes handicapées. C'est là un point essentiel car sans doute n'y aurait-il pas eu d'arrêt Perruche si cette exigence avait été pleinement satisfaite.

En effet, que veulent ces parents en demandant une indemnisation, sinon assurer une vie digne à leurs enfants tout au long de leur existence ? Je ne vois pas d'autre motivation : quel parent pourrait prétendre que naître ou être handicapé est une faute ? Aucun, bien sûr, et sûrement pas moi, qui suis père d'une petite fille handicapée.

Ce que nous refusons c'est la discrimination, la galère pour trouver une place en établissement ou en milieu scolaire, l'incompréhension des COTOREP, l'insuffisance de formation, les difficultés inadmissibles pour trouver un emploi étant donné la frilosité des entreprises privées et publiques, le mépris de certaines administrations, le fait qu'immeubles, chaussées, transports en commun soient inaccessibles. Nous voulons que les personnes handicapées puissent vivre leur vie à part entière. Des efforts ont été certes consentis à cette fin, et le Gouvernement a augmenté l'apport de l'Etat de 8,2 milliards entre 1998 et 2002, portant ainsi à 60 milliards sa participation et à 170 milliards l'effort de la nation en faveur des personnes handicapées. Cet effort doit être conforté pour développer la prévention et répondre aux aspirations des intéressés dans le cadre d'une stratégie globale. Nous reconnaîtrons ainsi la dignité de la personne handicapée qui est un citoyen à part entière et éviterons la multiplication des arrêts Perruche, conséquence de l'exaspération des familles éprouvées au quotidien.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Francis Hammel - Je peux comprendre, Monsieur le rapporteur, que vous vous fassiez le porte-drapeau de vos collègues médecins. Mais votre proposition ne changera rien. Les médecins continueront heureusement à être sanctionnés, vous l'avez dit vous-même. Quant à l'observatoire prévu à l'article 2, il n'apporte pas de réponse aux légitimes aspirations des personnes handicapées.

Je préfère donc, aujourd'hui, faire mienne la sagesse du monde associatif...

M. Gilbert Gantier - Qui est favorable au texte !

M. Francis Hammel - ...et du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Dubernard - C'est un peu contradictoire !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Le degré de civilisation d'une société se mesure à la considération qu'elle témoigne à la personne handicapée. Point, donc, de faux-fuyants ni d'artifices de procédure. Nous devons avoir le courage de légiférer ; ne pas le faire, ce serait, par lâcheté, céder aux juges le pouvoir législatif. Et que l'on ne nous dise pas que nous légiférerions dans la précipitation : depuis plus d'un an, nous n'avons cessé d'interpeller le Gouvernement à ce sujet, et je l'ai fait moi-même lors de la révision de la loi de 1975 sur les institutions médico-sociales. Les avis du Comité consultatif national d'éthique, de l'ordre des médecins et des associations de personnes handicapées ont été recueillis. Le temps est venu d'agir.

Ce faisant, non, nous ne remettons pas en cause le droit à l'IVG, qui est au contraire clairement réaffirmé. S'il en était autrement, je me serais, la première, opposée à cette proposition.

M. le Rapporteur - Et moi le second !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Nous ne remettons pas davantage en cause le droit à l'indemnisation des parents après une faute médicale, ni celui d'une personne dont le handicap résulte d'une telle faute. Et il est faux de dire que nous priverons les familles et les personnes handicapées de ressources supplémentaires, puisque le montant des indemnisations décidées par la justice sera très probablement récupéré par les caisses d'assurance maladie. La jurisprudence de la Cour de cassation ne permettra donc pas, contrairement à ce qui a été avancé, d'améliorer la prise en charge des handicapés.

Nous devons légiférer car, par ces arrêts, les juges de la Cour de cassation ont lancé un véritable appel au secours aux responsables politiques. Aussi, au lieu de nous gargariser des quelques mesures - intéressantes certes, mais ô combien insuffisantes - déjà décidées, ayons le courage de reconnaître que le dispositif médico-social de notre pays a terriblement vieilli, et qu'il n'est plus en mesure de remplir ses tâches.

Cela s'explique à la fois par les progrès de la médecine, qui ont permis qu'un enfant trisomique ait désormais à peu près la même espérance de vie qu'un enfant né sans handicap, et par ceux de la néonatalogie, qui font naître et vivre un nombre toujours croissant de polyhandicapés. Cela s'explique aussi par l'augmentation constante du nombre des accidents sur la voie publique, avec leur cortège de lésions cérébrales.

Beaucoup de ces personnes handicapées souhaitent vivre chez elles et elles ont droit, comme les autres, à l'éducation, à la formation, à la culture, aux loisirs et aux vacances. Pourquoi demeureraient-elles des citoyens invisibles ?

Au moins les arrêts de la Cour de cassation auront-ils permis de jeter une lumière crue sur les insuffisances relevées par notre collègue Francis Hammel, président du Conseil consultatif des personnes handicapées. Nous devons légiférer pour faire en sorte que le handicap ne soit pas indemnisé mais compensé, comme l'exigent les valeurs de la République qui nous réunissent ici et que réaffirme avec force la proposition présentée par Jean-François Mattei (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Philippe Nauche - La vie peut-elle être considérée comme un préjudice, comparée à la non-existence ? D'évidence non. Pour autant, l'arrêt Perruche introduit-il la notion de « vie dommageable » ? Pas davantage, car l'indemnisation décidée est liée à l'association d'une faute caractérisée et d'un handicap. Et c'est précisément parce que l'indemnisation ne découle pas de la naissance que la proposition de notre collègue Mattei n'empêcherait pas qu'un nouvel arrêt de même nature soit rendu.

La question de fond est de définir ce que doit être la réponse sociale à la naissance d'un enfant handicapé : faut-il privilégier la solidarité - toujours perfectible - ou la réparation ? La solidarité, bien sûr, mais il reste à modifier le regard que porte notre société sur la différence, de manière que les personnes handicapées puissent vivre dignement, et voir leur droit au bonheur, à la culture et à l'éducation respecté. Le mérite de ce débat est d'avoir mis l'accent sur ces questions, mais la proposition ne résoudra pas de manière juridique, un problème de société.

De plus, il ne saurait être question d'empêcher les enfants handicapés de réclamer réparation s'ils estiment avoir été victimes d'un préjudice, ni les mères si elles n'ont pas été dûment informées, et ont été privées, ainsi, du droit de choisir entre poursuivre leur grossesse et l'interrompre. Quant aux échographistes, ils doivent à la fois pouvoir travailler dans la sérénité et assumer leurs fautes lorsqu'ils en commettent, étant admis qu'ils ont une obligation de moyens et non de résultat. Il importe donc de mieux préciser les règles, ce qui devrait être fait dans le chapitre relatif à l'aléa thérapeutique du texte relatif aux droits des malades actuellement en discussion. De fait, l'adoption de la proposition qui nous est présentée aujourd'hui ne réglerait en rien l'insécurité juridique de l'exercice du diagnostic prénatal.

En conclusion, les personnes handicapées doivent bénéficier de la solidarité nationale. Le Gouvernement et la majorité plurielle, qui en sont convaincus ont, à cette fin, mobilisé des crédits importants depuis 1997, au travers du plan pluriannuel et du plan quinquennal. Travaillons, ensemble, au cours de la navette, à améliorer ce qui doit l'être des droits des malades, sans adopter aujourd'hui un texte qui ne réglerait rien, mais qui nous donnerait bonne conscience (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Michel Dubernard - Le handicap fait partie des choses de la nature, mais il a donné lieu, ces dernières années à un étrange scénario qui a associé l'enfant handicapé, ses parents, le médecin qui a suivi la grossesse et le magistrat qui a rendu des arrêts. Reste au législateur que nous sommes à intervenir en adoptant le texte sage qui nous est proposé.

Car l'enfant est là et notre société a le devoir de faire jouer pleinement la solidarité. Combien d'efforts restent à faire pour mieux intégrer, pour modifier le regard sur le handicap !

Faut-il pour autant ouvrir un débat philosophique sur des questions sur lesquelles personne ne peut prétendre détenir les réponses ? Être ou ne pas être ? Une vie vaut-elle la peine d'être vécue ? Y a-t-il un seuil au-dessous duquel elle ne le vaudrait plus ? Pire, l'enfant handicapé peut-il être considéré comme un produit défectueux dont on aurait dû se débarrasser ?

Les parents sont inquiets pour leur enfant, et surtout pour le temps où eux-mêmes ne seront plus là pour s'en occuper. Que parfois ils tentent de se « racheter » en recherchant une indemnisation financière peut se comprendre. Pourtant, j'ai reçu du père d'un enfant né aveugle une lettre dans laquelle il déplorait qu'il n'y ait plus d'amour et dénonçait comme une bassesse le fait de considérer que la vie avec un handicap créerait droit à réparation. On va se sentir coupable, disait-il, d'avoir donné naissance à un enfant handicapé.

Je n'ai pas été convaincu, en commission, par les arguments de mon collègue Claude Evin. Je sais que les parents, culpabilisés et inquiets, ont besoin d'être soutenus, mais je sais aussi la force du lien qui les unit à leur enfant avec lequel ils entretiennent une relation particulièrement enrichissante. Quant aux médecins, ils doivent être rassurés si l'on ne veut pas qu'ils se détournent davantage encore de spécialisations par trop judiciarisées.

Dès lors que, faute médicale ou non, l'enfant ne pouvait naître qu'avec un handicap, le médecin se sent victime d'une injustice s'il est mis en cause.

Le juge a dit le droit, en maltraitant quelque peu celui de la responsabilité civile. Pour favoriser l'avortement et instituer une forme d'eugénisme ? Certainement pas. Par compassion, pour compenser l'insuffisance de la solidarité nationale ? Par souci d'équité ? Mais il n'a pu éviter les effets pervers de sa décision. Par provocation, pour que les réactions indignées conduisent le législateur à prendre ses responsabilités ? Je ne peux l'imaginer, sachant que les autres moyens d'alerter l'opinion publique sont nombreux.

Quoi qu'il en soit, les positions de la Cour de cassation nous obligent à légiférer, ce que, j'espère, nous allons faire aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Christine Boutin - La jurisprudence Perruche a au moins le mérite de mettre le législateur face à ses responsabilités quant à l'accueil par notre société de ceux qui sont frappés par le handicap.

Nos concitoyens s'émeuvent des dérives inévitables d'une jurisprudence qui feint de croire qu'une personne handicapée peut demander réparation d'avoir été contrainte à la vie. La Cour de cassation, en effet, a fait clairement entendre que la non-existence est préférable à la vie.

A cela elle a rajouté, dans les deux derniers arrêts, qu'un préjudice esthétique ou d'agrément pouvait donner matière à indemnisation financière. Les médecins sont ainsi appelés à redoubler de vigilance. Cette sélection des êtres humains au commencement de la vie porte un nom, même s'il est difficile à entendre : l'eugénisme.

Nos législations successives démontrent à quel point la France, pays des droits de l'homme, qui se veut une référence en matière de respect de la différence, a déclaré petit à petit l'être handicapé persona non grata. Mais alors, faut-il penser que les parents qui ont choisi d'accueillir et d'aimer un enfant handicapé sont des inconscients ? Peut-être en arrivera-t-on à considérer qu'ils ont commis une faute appelant réparation, non seulement envers leur enfant, mais aussi envers la société, qui subit le coût financier de la prise en charge.

Nous connaissons tous nombre de personnes handicapées convaincues que leur vie méritait d'être vécue. Il faut donc légiférer pour interdire toute demande d'indemnisation du seul fait d'un handicap congénital, du seul fait de vivre.

Les parents qui ont fait appel à la justice ont eu sans aucun doute comme motivation essentielle l'inquiétude de ne pas pouvoir assurer la sécurité matérielle de leur enfant après leur mort. Nous sommes donc renvoyés à un problème fondamental : l'effort de solidarité à l'égard des plus fragiles d'entre nous.

Faudrait-il que, pour économiser cet effort, on choisisse la mort plutôt que la vie ? Nous ne pouvons nous y résoudre. Au-delà de cette proposition de loi, qu'il faut voter, je proposerai donc de modifier l'article premier de notre Constitution, qui affirme que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion », pour rajouter « et quel que soit leur état de santé » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

La discussion générale est close.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Conscient que nous débattons d'un problème difficile tant sur le plan juridique que sur le plan humain, je l'aborde avec une très grande modestie et avec mon lot personnel d'interrogations. Je le fais avec le profond respect que j'ai pour le Parlement et avec la fierté que j'éprouve de présider la commission des affaires sociales, dont j'accepte, comme cela a été le cas hier, de ne pas être suivi.

Le sujet dont nous débattons soulève des problèmes juridiques complexes, un problème de société fondamental - la place des handicapés dans notre société -, et en même temps les questions de la vie et de la mort. Il n'est pas dans mon propos d'engager un débat philosophique, que la Cour de cassation s'est elle-même gardée d'aborder.

Claude Evin a rappelé qu'en 1991 la Cour de cassation avait clairement établi que l'existence d'un enfant ne pouvait en lui-même constituer un préjudice juridiquement réparable. Ce n'est pas sur ce point que la chambre plénière a pris position et, Monsieur le rapporteur, je vous suggère à cet égard de vous référer non pas à la thèse de l'avocat général, mais à l'arrêt lui-même.

L'un des grands mérites de ce débat est de poser le problème de la place des handicapés dans notre société, mais ne laissons pas croire que les gouvernements successifs ne s'en étaient pas préoccupés ; le programme Handiscol et le plan de Mme Royal en témoignent. Ce n'est sûrement pas suffisant, mais au-delà de la politique gouvernementale, il revient à l'ensemble de la société de faire preuve d'écoute et d'humanité : quand les entreprises préfèrent payer une indemnité plutôt que de prévoir des postes de travail adaptés aux handicapés, quand les services publics ne donnent pas le bon exemple, quand les collectivités ne font pas suffisamment d'efforts d'aménagements, c'est l'ensemble de la société qui est en cause.

M. Jacques Myard - Le législateur est là pour répondre.

M. le Président de la commission - C'est vrai, Madame Bachelot, avec les progrès de la médecine, la durée de vie des handicapés se rapproche de la durée moyenne de la population, et nous ne savons pas exactement comment répondre à cette évolution.

Nous sommes saisis d'arrêts de la Cour de Cassation qui créent une causalité forte entre une faute avérée et un handicap lourd, entraînant une indemnisation de la mère et de l'enfant. Cette indemnisation se substitue-t-elle à la solidarité nationale ? En aucune manière ! N'est pas en cause, Monsieur Mattei, la contraction de la rubéole, mais la faute lourde commise par le laboratoire et le médecin qui a empêché une femme ayant exprimé une volonté d'exercer son choix.

M. le Rapporteur - D'accord.

M. le Président de la commission - Là se situe le problème.

M. Jacques Myard - Pas du tout !

M. le Président de la commission - Nos analyses divergent donc sur ce point.

M. Franck Dhersin - Combien de temps allez-vous parler ?

M. le Président de la commission - Deux questions nous étaient posées : faut-il légiférer ? Si oui, comment ?

Sur la première question, j'ai réuni une table ronde, et une mission a été confiée à M. Evin. A une exception près, l'hésitation sur la nécessité de légiférer était grande. Mais les positions ont progressivement évolué vers une réponse positive. Alors, comment légiférer ? (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Pierre Méhaignerie - Vous jouez la montre !

M. le Président de la commission - Là encore, l'hésitation est grande, face à l'action en responsabilité civile sur la base de l'article L. 1382. Elle est si grande que je vais devoir réunir la commission en application de l'article 88, sept amendements ayant été déposés depuis hier soir.

Mme Sylvia Bassot - Vous avez peur du vote !

M. le Président de la commission - Ces amendements modifient substantiellement le texte de M. Mattei, ce qui montre l'ampleur de l'hésitation.

C'est pourquoi j'avais proposé de créer une mission très brève pour répondre à la question posée avant la discussion de la loi sur le droit des malades, car aucun de nous n'est actuellement assuré de la meilleure réponse. Je regrette que la commission ne m'ait pas suivi hier (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Sylvia Bassot - Votre procédé est scandaleux !

M. le Président de la commission - Pour ma part, je suis comme Claude Evin très réservé sur la démarche de M. Mattei, d'autant plus que nous allons devoir examiner des amendements qui sont la preuve même de votre perplexité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Dans ce débat difficile et nécessaire, voici d'abord les principes qui guident notre action.

Le premier est le respect de la vie, qui est inscrit dans nos lois. Nous veillons à son application par notre politique en faveur des personnes âgées, handicapées ou en difficulté. Tous les professionnels de santé y veillent tous les jours : c'est le choix de la vie qui les guide.

Le deuxième principe est celui de la dignité humaine, qui vaut pour toutes les personnes, dans tous les cas. C'est lui qui nous a conduits, par exemple, à créer la CMU ou à mieux lutter contre les discriminations et les atteintes aux droits des personnes.

Le troisième principe est celui de la liberté, en particulier celle de la femme, acquise par la loi de 1975, de choisir de poursuivre ou non sa grossesse. Nul ne peut se substituer à elle dans ce choix, ni ne lui imposer.

M. le Rapporteur - D'accord.

Mme la Ministre - Il n'est pas question de revenir sur la loi de 1975. La révision décidée le 4 juillet 2001 est destinée simplement à améliorer l'exercice de cette liberté. Celui-ci est également rendu possible grâce à la contraception.

Mme Sylvia Bassot - Hors sujet !

Mme la Ministre - Le Gouvernement a organisé des campagnes d'information. J'ai présenté hier avec Nicole Péry celle qui débutera en janvier. Pour faciliter l'accès à la contraception, nous avons diminué le prix du stérilet... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme la Présidente - Ce débat mérite de l'écoute et de l'attention.

M. Jean-Michel Dubernard - On nous parle du prix du stérilet !

M. Gilbert Gantier - Combien coûte-t-il, au fait ?

Mme la Ministre - 180 F. J'espère que le débat va conserver sa bonne tenue.

Mme Sylvia Bassot - Cela dépend de vous !

Mme la Ministre - Sachons nous écouter mutuellement.

M. Laurent Dominati - A condition que vous parliez du sujet !

Mme la Ministre - La proposition que nous examinons poursuit un débat commencé depuis plusieurs années, et la question soulevée a été abordée par un amendement de M. Mattei au projet de modernisation sociale le 10 janvier dernier, un amendement du sénateur Huriet au projet sur l'IVG le 28 mars, un autre de MM. Mattei et Laffineur sur le projet sur le droit des malades le 2 octobre, enfin un amendement de M. Mattei au projet de modernisation sociale la semaine dernière.

Le débat qui continue aujourd'hui a donné lieu à plusieurs initiatives. Celle de Jean Le Garrec et Claude Evin, celle du Gouvernement aussi. Le Conseil national consultatif d'éthique, que j'avais saisi, a rendu son avis le 15 juin 2000. Ségolène Royal a réuni des personnalités concernées et rencontré la semaine dernière les associations représentant les handicapés et leurs familles. Bernard Kouchner et moi avons reçu les professionnels de santé.

La première des questions qui se sont ainsi dégagées tient au regard que nous portons sur le handicap.

Le handicap est vécu avant tout par la personne handicapée, par sa famille et par ses proches, avec tout ce que cela comporte de chagrin et de souffrance, mais aussi de joie et de don de soi. Tout ceci est profondément intime et mérite le respect (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mais la société porte sur le handicap un regard tantôt compatissant, tantôt indifférent ; elle peine à faire toute leur place aux personnes handicapées. Il s'en dégage un sentiment de culpabilité collective qui pose une autre question : est-ce que réparer le préjudice d'une naissance handicapée sur la base d'une faute qui n'a pas permis à la mère d'interrompre sa grossesse, c'est accréditer l'idée que le préjudice de l'enfant consiste dans sa vie elle-même ? A la lettre, les arrêts de la Cour de cassation indemnisent le préjudice lié au handicap, non à la naissance. Pour autant, toutes les questions tournant autour d'un « droit à ne pas naître » partent de la constatation que c'est la naissance qui a permis le handicap. Doit-on en déduire que celle-ci constitue en elle-même le préjudice ? C'est parce que l'enfant vit qu'il souffre, mais il ne souffre pas de vivre, il souffre de son handicap (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

L'être qu'on a laissé venir au monde a gagné quelque chose qui excède son handicap, sa dignité humaine, et il serait effectivement contraire aux droits les plus fondamentaux de considérer que la vie elle-même puisse constituer un préjudice (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

La deuxième question, c'est celle de la responsabilité médicale. Les professionnels de santé que nous avons reçus, Bernard Kouchner et moi, ne remettent pas en cause la responsabilité médicale pour faute. Les fautes médicales doivent être sanctionnées. Les arrêts de la Cour sont fondés sur des fautes avérées ; résultats d'examens biologiques erronés pour Nicolas Perruche, négligences dans l'examen du f_tus à l'échographie dans les trois arrêts de juillet 2001, refus de prescrire un examen de dépistage de la trisomie ou absence de réaction du praticien aux résultats alarmants d'un dépistage dans les arrêts du 28 novembre 2001. Dans tous les cas, les juges ont considéré qu'il y avait faute caractérisée au regard des pratiques médicales normales.

Les professionnels de santé ne veulent pas non plus de remise en cause de la loi sur l'IVG. En revanche, tout en admettant leur responsabilité pour les fautes qui leur sont directement imputables, ils craignent d'être poursuivis pour un dommage dont ils ne sont pas directement responsables.

Pour eux, avoir à indemniser le préjudice intégral lié au handicap revient à dire qu'ils sont à l'origine de ce handicap - c'est toute la question de la causalité du préjudice.

Les médecins soulèvent aussi un risque éthique : les parents pourraient pousser à l'IVG thérapeutique pour un handicap mineur ou dès lors que le médecin exprimerait le moindre doute, alors que c'est son devoir de donner une information complète.

La judiciarisation croissante des rapports entre médecins et patients comporte également un autre risque, celui de conduire les praticiens à se protéger par des comportements de précaution, comme conseiller l'IVG au moindre doute. Par contrecoup, tous les mécanismes du diagnostic prénatal seraient menacés.

S'y ajoute un risque économique lié aux précédents, celui d'une augmentation des primes d'assurance.

A ces craintes et questions légitimes, nous apportons déjà quelques réponses. Le projet de loi sur les droits des malades qui a été voté en première lecture en octobre dernier contient des dispositions sur la responsabilité médicale et sur l'obligation d'assurance, qui devraient permettre d'engager des discussions avec les assureurs pour en limiter le coût. Il renforce les dispositions relatives à la formation médicale continue, qui doit garantir une obligation de moyens, et non de résultats, aux professionnels.

Sur le diagnostic prénatal, Bernard Kouchner et moi avons demandé à l'ANAES d'élaborer un guide des bonnes pratiques.

La troisième question, c'est celle des inégalités d'indemnisation des enfants, selon que les parents ont demandé ou non un diagnostic prénatal et selon qu'ils agissent au nom de l'enfant ou en leur seul nom. La réponse à ces inégalités se trouve dans la solidarité nationale. Depuis 1997, le Gouvernement mène une politique sociale volontaire en faveur des personnes handicapées, avec trois objectifs prioritaires : l'intégration scolaire et professionnelle des jeunes handicapés, la formation des travailleurs handicapés, l'accompagnement dans la vie quotidienne, notamment par le recrutement de 3 000 auxiliaires de vie supplémentaires en 2001-2003. Cette politique vise à assurer aux personnes handicapées une prise en charge sans rupture de l'école à l'emploi et à tous les moments de la vie quotidienne. Il reste, certes, beaucoup à faire, mais c'est une priorité clairement affirmée.

La quatrième crainte, c'est de voir un jour un enfant se retourner contre ses parents du seul fait de sa naissance. Mais j'ai rappelé la liberté qu'a la mère d'avorter ou non et son choix ne peut être considéré comme une faute. Une telle action ne pourrait juridiquement aboutir.

Il est indéniable que la jurisprudence a créé une zone d'instabilité qui oblige à faire progresser la réflexion et, le cas échéant, la législation, notamment sur la responsabilité médicale face aux cas de handicaps graves et incurables, en l'absence de toute faute médicale.

Mais des propositions hâtives ne contribuent pas à la qualité du travail législatif, surtout quand elles n'apportent pas de solutions efficaces. Or ce texte soulève plus de questions qu'il n'en résout.

En premier lieu, il prétend mettre fin à la jurisprudence Perruche : mais en fait il n'interdit pas une indemnisation du préjudice lié au handicap telle que l'a décidée la Cour de cassation. Elle pourra continuer à statuer dans le même sens.

En second lieu, cette proposition, en interdisant toute voie de recours à l'enfant tout en laissant subsister l'action de la famille, crée de nouveaux problèmes éthiques : n'est-ce pas reconnaître que la vie handicapée crée un préjudice à autrui, mais non à l'intéressé ?

Mmes Béatrice Marre et Martine Lignières-Cassou - Absolument !

Mme la Ministre - Votre proposition ne résout strictement rien quant aux inquiétudes des professionnels et aux risques induits de comportements de précaution, puisque leur responsabilité continuera à pouvoir être engagée par les proches de l'enfant. Elle ne répond pas aux craintes de dérives et au risque de remise en cause du diagnostic prénatal.

Enfin votre proposition pourrait empêcher des actions légitimes, comme celle de l'enfant né d'un viol, ou celle de l'enfant handicapé par suite d'une faute médicale avant sa naissance.

En conclusion, la proposition ne répond pas aux inquiétudes soulevées par la jurisprudence Perruche parce qu'elle n'empêche pas d'autres arrêts de même type, parce qu'enfin elle ne résout pas les problèmes liés à la responsabilité médicale.

Quant à la procédure, je me suis exprimée à plusieurs reprises sur la méthode qui consiste à présenter, dans l'urgence, des amendements successifs à un texte qui ne traite qu'indirectement du sujet que vous évoquez. Les arrêts de la Cour de cassation nous obligent à développer la réflexion, et sans doute à légiférer, car le législateur doit dire le droit ; mais il faut qu'il le dise bien. La vraie question est de savoir comment bien légiférer. Dans son projet de loi sur les droits des malades, que votre assemblée a déjà examiné en première lecture, le Gouvernement a proposé de préciser les conditions de mise en _uvre de la responsabilité médicale, ainsi que les règles de l'assurance des professionnels, et introduit un dispositif d'indemnisation de l'aléa thérapeutique. C'est déjà une avancée importante, qui a demandé une large concertation avec les professionnels. Si nous devions constater le besoin d'approfondir la question de la mise en _uvre de la responsabilité médicale, le Gouvernement est ouvert à des modifications dans le cadre de ce projet, dès sa lecture au Sénat en janvier. Si en revanche il s'agit de traiter du droit à réparation, notamment pour l'enfant ayant subi un handicap à la naissance, il faut poursuivre la réflexion. On voit d'ailleurs surgir, sur cette proposition de loi, de nombreux amendements, y compris du rapporteur lui-même.

Si nous trouvons une proposition qui ne soit pas un leurre par rapport aux problèmes posés, nous pouvons dans quelques semaines l'intégrer dans le projet relatif aux droits des malades, qui sera voté avant la fin de cette législature.

Je constate l'absence d'accord évident sur la question grave du droit à réparation ouvert à l'enfant ayant subi un handicap à la naissance : certains veulent le supprimer, d'autres l'encadrer, d'autres encore le limiter aux cas d'accidents liés à des actes médicaux...

Les rédactions sont encore changeantes sur tous vos bancs. Depuis plus de dix ans, les plus hautes juridictions de notre pays s'efforcent de rechercher des solutions sur la causalité entre diagnostic erroné, examen prénatal et handicap.

Dans quelques semaines le débat sur les droits des malades devrait nous permettre de légiférer utilement, en inscrivant la question d'aujourd'hui dans le cadre général de la responsabilité médicale. Dans ce domaine, en effet, il ne faut pas légiférer séparément sur chaque sujet soulevé par la jurisprudence.

M. Marc Laffineur - Donc on ne fait rien...

Mme la Ministre - Depuis quatre ans le Gouvernement a approfondi les réflexions bioéthiques. La discussion de ce matin nous a fait progresser dans une réflexion qui doit s'appuyer sur l'écoute, le respect des opinions des autres et l'humilité face à des questions complexes.

Légiférons ; continuons à légiférer, comme nous avons commencé à le faire avec le texte sur les droits des malades ; mais légiférons bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Rapporteur - Je ne souhaite pas répondre maintenant, mais vous faire part de mon inquiétude devant l'heure qui avance. Ce qui est accordé en principe à l'initiative parlementaire, c'est un débat qui peut durer, au plus, jusqu'à 13 heures 30. Deux ministres doivent encore s'exprimer. Je m'adresse donc à mes collègues, à la Présidence et au Gouvernement : je ne souhaite pas que ce débat soit interrompu avant d'être parvenu à une conclusion, et j'appelle donc votre attention sur ce problème de temps.

Je retire les deux amendements que j'avais déposés, et je souhaite que Mme Catala fasse de même, afin que nous évitions de réunir la commission et que nous puissions aboutir au plus vite, par des votes en conscience, indépendants du fait que nous siégeons ici ou là. S'agissant d'un vote en conscience, il serait digne que le débat puisse aller à son terme (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. Henri Emmanuelli - Sur des votes en conscience, on ne dépose pas d'amendements de circonstance.

M. le Président de la commission - Si M. le rapporteur et Mme Catala retirent leurs amendements, il n'y a pas lieu de réunir la commission.

Je rejoins la préoccupation de M. Mattei : il est hors de question de jouer la montre pour que ce débat n'aille pas jusqu'au bout. Mais, compte tenu de la nature et de la complexité de ce débat, je demande au Gouvernement, si nous ne pouvons l'achever dans le temps imparti, de prendre contact avec le Président de l'Assemblée - avec qui j'en ai parlé - pour que la suite du débat soit rapidement inscrite à l'ordre du jour prioritaire (Protestations sur les bancs du groupe DL).

Mme Sylvia Bassot - Non ! Aujourd'hui !

Mme Nicole Bricq - Vous savez bien que nous ne finirons pas avant 13 heures 30.

M. le Président de la commission - J'entends ainsi répondre à l'inquiétude de M. le rapporteur, dont je partage les raisons. Il n'est pas étonnant que ce débat prenne du temps, mais il faut aller jusqu'au bout. Ma proposition n'est pas malhonnnête : elle tient compte de la réalité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UDF).

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées - Il n'y a pas aujourd'hui de vérité absolue et péremptoire. Nous sommes sur un sujet délicat, où il est question de vie, d'amour maternel, d'angoisse, mais aussi d'activité médicale et de progrès technique. Toute femme enceinte, je crois, pense plus ou moins consciemment au risque de handicap. Mais ce n'est pas, comme le suggèrent des propos très excessifs entendus ce matin, pour recourir systématiquement à l'IMG ; c'est pour se préparer, avant la naissance, à l'idée que son enfant puisse être différent. Je veux souligner ici le travail exceptionnel des équipes hospitalières pour accueillir ces enfants différents. Nous avons d'ailleurs instauré un dispositif renforcé et des formations complémentaires. J'aurai d'autre part une pensée pour les parents de Nicolas Perruche. Personne ici ne peut s'arroger le monopole de l'éthique. Il n'y a pas de hiérarchie entre les amours maternels. Ces enfants différents sont souvent les plus aimés. La démarche des parents de Nicolas Perruche est aussi, comme l'ont rappelé les associations, une démarche d'amour.

Je rejoins donc M. Mattei quand il affirme, et je le remercie d'avoir été aujourd'hui si clair, qu'il ne s'agit de remettre en cause ni la faute médicale, ni le droit à l'IMG. Je me demande cependant si c'est bien la conviction de tous ceux qui se sont exprimés ce matin. Là où je ne peux vous suivre, c'est sur l'idée que toutes les femmes seraient conduites à interrompre leur grossesse en cas de malformation. Ce n'est pas exact ; et je crois que les progrès de la médecine et de l'échographie permettront aux familles qui acceptent les enfants différents de mieux s'y préparer. En effet, s'il y a l'amour pour ces enfants fragiles, il y a aussi les épreuves, les abandons, notamment par les pères. Je remercie l'UNAPEI qui nous aide dans ce domaine, en renforçant les réseaux de parents, et qui nous a autorisés à faire figurer dans le livret de paternité, qui sera délivré à l'occasion du congé paternel, le témoignage d'un père qui accueille son enfant handicapé.

Ce matin certains propos m'ont un peu choquée, car ils font bon marché des sentiments profonds des parents qui en appellent à la justice.

Pour ce qui est des parents Perruche, c'est la présidente de l'Association des paralysés de France qui nous le dit : ils exercent en réclamant une indemnité un acte d'amour qu'il ne faut pas méconnaître, et leur action ne traduit pas un refus de leur enfant, mais au contraire une forte mobilisation affective. J'ai été choquée par le propos de M. Dubernard, selon lequel ce serait pour les parents une affaire d'argent.

M. Bernard Accoyer - Ce n'est pas ce qu'il a dit.

M. Yves Deniaud - Caricature !

Mme la Ministre déléguée - Peut-être ne sait-il pas que les parents Perruche ont refusé une indemnisation très importante par les assurances, parce qu'ils voulaient mettre leur enfant à l'abri au-delà de leur propre disparition. Et je regrette que Mme Bachelot ait parlé de lâcheté.

M. Patrice Martin-Lalande - Vous extrayez un terme de son contexte.

Mme la Ministre déléguée - Il est vrai que d'autres parents peuvent être blessés par ce débat, ceux qui ont accueilli un enfant handicapé ou qui parfois même l'ont adopté. Il faut prendre en compte leur inquiétude. Mme Guigou l'a dit : c'est la vie qui doit l'emporter. Tel est le principe général que nous défendons. Nul ne saurait se voir reprocher de vivre.

Je m'étonne, Monsieur Mattei, de votre vision schématique de la jurisprudence de la Cour de cassation. Ses membres partagent nos préoccupations éthiques et elle a rejeté trois demandes de réparation, alors même que des fautes avaient été reconnues, parce qu'il n'était pas prouvé que l'accord médical requis pour une interruption médicale de grossesse aurait été obtenu. La Cour de cassation s'est donc donné des limites, que nous devrons prendre en considération pour légiférer. Elle reconnaît que la médecine n'est pas une science exacte et que le médecin est d'abord l'auxiliaire de la vie.

Il nous faut changer notre regard sur le handicap, construire une société qui intègre les différences. Comment résister à un monde assoiffé de normes et de performances ? Il y a là un débat politique majeur, celui de l'intégration, et du rapport à l'autre. Éthique et politique ne se confondent pas, mais la seconde ne va pas sans la première. L'action ne saurait se passer de valeurs, ni de choix éthiques. Nous visons une époque paradoxale, à la fois plus et moins tolérante, plus et moins normative. Bien des différences et des modes de vie autrefois tabous ont aujourd'hui droit de cité. C'est un progrès. Mais d'autres normes, d'autres contraintes, d'autres injonctions ont pris la suite.

S'agissant du handicap, cette évolution est ambivalente. Les progrès scientifiques nourrissent aussi, en l'absence de garde-fous, l'illusion que tout est possible et que l'intervention de l'homme sur lui-même ne saurait connaître de limites. Les risques en sont connus : l'arraisonnement de l'humain par les technologies du vivant et l'exclusion de toute vision éthique. Le corollaire de cette évolution contestable, c'est le mythe de la santé parfaite, l'utopie d'un corps réparé à volonté et la programmation d'une humanité « zéro défaut ». L'exaltation du corps glorieux et juvénile, bricolé de mille manières, la floraison désordonnée des techniques et substances de réparation psychique ont leur revers : l'angoisse, surtout pour ceux qui ne sont pas suffisamment conformes (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs).

La contrepartie du modèle, c'est l'exclusion de ceux qui n'y ressemblent pas, et une stigmatisation qui n'est pas sans rapport avec ce que vivent ceux qui souffrent d'un handicap. En matière d'accueil des personnes handicapées dans notre société, il reste beaucoup à faire. Je redoute de nouveaux risques de mise à l'écart, même s'ils progressent sous le masque de la réparation universelle et du progrès des diagnostics et des soins. Il nous appartient donc de mieux fonder les droits des personnes handicapées et d'affirmer leur caractère universel, dont découlent nécessairement intégration et compensation. Le premier des droits est celui à la vie et à la santé: la personne handicapée a droit aux soins qui peuvent atténuer ses souffrances. Au-delà des légitimes inquiétudes qu'il a suscitées, l'arrêt Perruche consacre le droit d'une mère et la possibilité d'obtenir réparation, mais ne s'arroge pas le droit de décider si la vie d'autrui mérite d'être vécue. Il reviendra à la loi de lever les ambiguïtés sur ce point.

L'éducation est un autre droit fondamental. Nous avons doublé le nombre d'enfants accueillis en milieu ordinaire, mais les deux tiers des enfants placés en établissement spécialisé ont leur place dans l'école de la République. Nous voulons inverser le système et affirmer que toute école, toute classe qui n'intègre pas un enfant différent ne remplit pas son obligation républicaine. Pour les crèches, les mesures sont déjà contraignantes : les établissements n'intégrant pas les enfants handicapés devront rembourser les subventions du Fonds d'investissement pour la petite enfance. L'intégration concerne aussi l'emploi. 35 000 entreprises n'emploient aucun travailleur handicapé, achetant en quelque sorte ce droit en cotisant à l'AGEFIPH.

M. Gilbert Gantier - C'est un autre problème !

Mme la Ministre déléguée - C'est au nom du libéralisme que se sont exercées des pressions pour empêcher de rendre les systèmes plus contraignants. La fonction publique de l'Etat donne aujourd'hui le bon exemple en signant une convention qui l'oblige à embaucher 6 % de travailleurs handicapés.

M. Gilbert Gantier - C'est un autre problème !

Mme la Ministre déléguée - Pourquoi ne voit-on jamais les handicapés à la télévision ? Les sociétés nordiques ont beaucoup mieux réussi que nous cette intégration. Tous les élus locaux qui dénoncent la démarche des époux Perruche agissent-ils en ce sens nécessaire ?

Changeons notre regard sur le handicap, comme en donneront l'occasion les Journées nationales « Réussite et handicap ». A qui devons-nous pour une large par les commandes à distance ou la domotique, pour ne citer que deux exemples ?

Les politiques devraient donner l'exemple. Or, force est de constater que cet hémicycle n'est pas accessible aux personnes à mobilité réduite, pour ne pas parler des tribunes du public. Mais je salue l'initiative du président Raymond Forni, qui a lancé les travaux appropriés au troisième sous-sol. Force m'est de mesurer les écarts entre le discours et les actes. Il faut reconnaître au combat pour l'intégration son caractère éminemment politique, au même titre que celui pour la parité.

M. Gilbert Gantier - La parité maintenant !

Mme la Ministre déléguée - L'enjeu est identique : c'est la place obligée faite à la différence. Nous verrons, dans le cadre de la révision de la loi de 1975, si nous acceptons davantage de contraintes pour permettre enfin aux personnes handicapées de mieux vivre selon leurs désirs et de pouvoir mieux partager. Ne parlons pas toujours à leur place, laissons-leur la parole. Depuis la loi d'orientation de 1975, nous sommes passés de l'assistance au refus des discriminations. La loi devra en tenir compte. Les personnes handicapées et leurs familles en viendront bien à imposer la logique qui leur permettra de prendre toute leur place. Elles attendent en particulier une compensation personnalisée de leurs incapacités. Tel est le principe des centres pour la vie autonome.

Le temps de l'éthique et celui de la politique s'écoulent ici, une fois n'est pas coutume, au même rythme. Mais ne cédons pas à la précipitation.

La loi que nous aurons à voter doit être durable. Cela mérite bien, Monsieur Mattei, quelques semaines de réflexion supplémentaires. L'éthique nous aide à questionner sans relâche nos habitudes : nous ne devons ni banaliser la différence, ni nous focaliser sur elle. C'est à ces conditions que nous construirons un monde commun, où nous pourrons trouver la bonne distance, la juste proximité. Nous devons partir de ce principe fondamental. La vie humaine ne peut faire l'objet d'une transaction marchande (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Il n'est pas question pour le Gouvernement d'interrompre ce débat. Je retiens donc la proposition du président de la commission : le débat sera poursuivi dans le cadre de l'ordre du jour prioritaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - Je serai bref (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Je me félicite de ce premier point d'accord... (Sourires) Je me félicite de la tenue de ce débat. J'étais troublé, je le demeure, mais j'ai beaucoup appris. Je suis sensible aux arguments de votre rapporteur. A dire vrai, en cette matière, ce n'est pas la gauche qui est séparée de la droite, mais une moitié de nous-mêmes de l'autre (Marques d'approbation sur divers bancs). J'observe que nous sommes tous d'accord pour légiférer - ce qui est un progrès en soi. Il reste à savoir quand, et, avec Mme Guigou, je pense que l'examen du texte sur les droits des malades se prête mieux à une démarche commune. Et comme la nouvelle lecture est prévue dans trois semaines...

Sur le fond, j'ai cherché à comprendre pourquoi l'arrêt Perruche suscitait en moi un tel malaise. Serait-ce que je redevenais médecin plus que ministre ? Je ne le pense pas. Serait-ce que je me découvrais plus conservateur que progressiste ? Pas davantage. C'est que je suis déconcerté par cette société de réparation perpétuelle, qui exige une guerre sans morts, une sécurité sans tolérance et des enfants sans handicaps. Il faudrait redéfinir l'exigence morale de chacun, face à la préoccupante évolution scientiste de notre société (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF).

Lorsque nous en viendrons au fond, après que la date de la discussion aura été arrêtée, il nous faudra partir de la faute du médecin, notion qui doit être précisée. Il en va de l'évolution des relations entre médecins et malades. Cela ne signifie pas qu'au motif des progrès scientifiques, les médecins doivent être accablés. Je sais que des dérives dangereuses se manifestent déjà, dont la moindre n'est pas la quête de l'enfant « parfait ». On ne peut donc imposer aux médecins une obligation de résultat ; non seulement elle est irréaliste, mais elle aurait pour conséquence la dégradation irréversible du colloque singulier entre médecin et malade. Cela dit, le problème reste entier, car il est insuffisant de parler en termes généraux d'« obligations de moyens » ou de « bonnes pratiques ».

Nos échographistes sont excellents. Ils savent, en particulier, diagnostiquer 80 % des anomalies cardio-vasculaires quand leurs confrères américains en diagnostiquent... 5 % ! Mais cette remarquable performance signifie aussi que les 20 % restant sont redoutablement difficiles à détecter ! C'est bien pourquoi l'obligation de résultats dont ils sont menacés les met en révolution : il s'agit de bien davantage que d'une grève des échographies - c'est tout leur exercice qui est remis en question. Quel paradoxe : comme ils sont d'excellents professionnels, on leur reproche de ne pas être parfaits ! Et c'est aussi ce que l'on reproche aux enfants handicapés, de ne pas être parfaits...

Ne demandons donc pas trop à la médecine et, surtout, gardons-nous de confondre erreur de diagnostic et erreur thérapeutique. Le corps médical, dont l'anxiété est extrême, attend un signe du législateur.

M. Bernard Accoyer - Un signe fort !

M. le Ministre délégué - Tous les signes sont dits « forts » par les temps qui courent ! Que celui-ci le soit vraiment, et je vous en remercierai ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs)

Mme Nicole Catala - Comme tous mes collègues, je suis soucieuse de trouver une solution permettant d'apaiser l'inquiétude des médecins et la douleur des familles, et de permettre à ces dernières de subvenir à l'éducation et à l'entretien de leurs enfants handicapés. C'est pourquoi la proposition de notre collègue Jean-François Mattei m'a semblé venir à son heure. J'ai toutefois estimé que sa rédaction pouvait être améliorée, et c'est pourquoi j'ai déposé l'amendement 1 rectifié, qui vise à rédiger ainsi l'article premier :

« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir réparation de son préjudice.

« Lorsque le handicap est d'origine congénitale et n'a pas été décelé pendant la grossesse en raison d'une faute médicale lourde, les parents peuvent demander, en sus de la réparation de leur préjudice propre, les moyens de préparer l'avenir de leur enfant conformément à l'article 213 du code civil ».

Toutefois, étant donné l'horaire et parce que je souhaite que ce texte aboutisse, je retire l'amendement, en espérant qu'il sera examiné lors d'une discussion ultérieure.

M. le Président de la commission - Il va de soi que puisqu'aucun amendement n'est plus déposé, je ne réunirai pas la commission au titre de l'article 88.

M. Jean-Marie Le Guen - Cette valse hésitation, et le fait que l'auteur de la proposition lui-même a déposé des amendements me confortent dans l'idée que ce texte, au-delà des grandes questions qu'il aborde, n'est pas rédigé de manière telle que l'Assemblée puisse en délibérer immédiatement (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Rapporteur - Je remercie tous ceux qui ont participé à ce débat de grande qualité et j'observe que le sentiment unanimement partagé est le doute, exprimé aussi bien sur les bancs de notre Assemblée que sur ceux du Gouvernement. C'est en raison de ce doute que nous devons légiférer. Lorsque la jurisprudence du Conseil d'Etat et celle de la Cour de cassation divergent, nous devons trancher. Nous l'avons fait, pour cette raison, à propos de l'aléa thérapeutique, et nous avons alors assumé nos responsabilités.

Je le répète : cette proposition ne vise en aucune manière ni à protéger les médecins coupables d'une faute, ni à revenir sur le libre choix des femmes - qui doit être étayé par des informations fiables - ni à les empêcher d'obtenir réparation si elles sont privées des moyens d'exercer ce libre choix (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL). Mais une chose est d'indemniser la mère, et une tout autre chose d'indemniser l'enfant né handicapé. Est-il à même de considérer que sa naissance est, en elle-même, un préjudice ?

C'est probablement dans le texte sur les droits des malades qu'il faudra compléter la protection des médecins. Il ne s'agit pas ici de cela, mais de l'article 16 du code civil, la question étant : peut-on, oui non, se plaindre et demander réparation de sa naissance ?

Claude Evin a dit que le médecin avait le devoir d'empêcher la survenance de la maladie (M. Claude Evin proteste). Or quand il s'agit d'un handicap congénital, empêcher la survenance c'est empêcher la naissance, avec tous les risques de dérive.

M. Claude Evin - Le problème est là !

Mme Véronique Neiertz - En effet.

M. le Rapporteur - Le médecin devra-t-il toujours faire part de ses doutes ? Devra-t-il prescrire tous les examens Si on fait une amniocentèse systématique sur 700 femmes, certes on permettra d'éviter la naissance d'un trisomique 21, mais on perdra sept enfants normaux.

Monsieur Hammel, l'UNAPEI a déclaré hier que cette proposition de loi était une bonne base de discussion. D'autres mouvements ont la même position.

Il faut bien que nous disions quelque chose : nous ne pouvons pas laisser un débat s'instaurer entre les juges et la CNAM, qui aujourd'hui préempte l'argent versé à M. et Mme Perruche, considérant qu'elle paye indûment depuis dix-sept ans.

Et puis, il serait bon d'harmoniser les règles au niveau mondial. Au Québec, la Cour d'appel a estimé qu'il était impossible de comparer la situation d'un enfant après la naissance avec le fait pour lui de ne pas être né...

En Angleterre, la Cour d'appel a jugé en 1977 que le procès pour vie non désirée était contraire à l'ordre public, et on a légiféré pour empêcher des décisions analogues à l'arrêt Perruche. Aux Etats-Unis, selon un rapport récent, le Wrongful life est un concept qui a connu un vif succès entre 1975 et 1985 auprès de nombreuses cours d'appel et de quelques cours suprêmes, mais qui a subi entre 1985 et 1995 une condamnation quasi-générale dans la jurisprudence et dans les textes.

Nous sommes le 13 décembre, nous allons nous quitter le 20, nous reprendrons nos travaux le 8 janvier pour nous séparer le 22 février. Mon désir est donc que nous mettions ce texte, avec ses imperfections, dans les tuyaux du Parlement, car il y a urgence (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme la Présidente - J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

M. Claude Evin - Je souhaite reprendre l'amendement de Mme Catala (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Mme la Présidente - Cet amendement a été retiré.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées - Le Gouvernement regrette que le rapporteur n'accepte pas la proposition de sagesse faite par le président de la commission des lois de prendre trois semaines de réflexion. Mais je rejoins Claude Evin : considérant qu'il faut permettre aux familles d'obtenir réparation, je reprends au nom du Gouvernement l'amendement de Mme Catala, qui ne présente pas les mêmes dangers que le dispositif proposé par M. Mattei.

M. le Président de la commission - Légiférer dans le doute et l'incertitude me pose un problème extrêmement grave. En revanche, je dépose moi-même un amendement identique à celui de Mme Catala et je souhaite réunir la commission pour en débattre (Protestations sur les bancs du groupe DL).

Mme la Ministre - Le texte présenté par Mme Catala est intéressant, mais il n'a pas du tout la même inspiration que celui de M. Mattei, au point que je ne sais pas s'il peut être accepté comme amendement. Je crois en effet nécessaire de prendre le temps d'y réfléchir.

M. le Président de la commission - Je demande donc une suspension de séance d'une dizaine de minutes (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme la Présidente - La séance est suspendue (Vives protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Bernard Accoyer - J'avais demandé à faire un rappel au Règlement !

La séance, suspendue à 12 heures 40 est reprise à 13 heures 15.

M. le Président de la commission - La commission qui a travaillé très rapidement, a adopté l'amendement que j'ai repris de Mme Catala. Nous l'avons fait, contre l'avis du rapporteur, parce qu'il nous a semblé, même s'il n'est pas parfait, bien définir un champ de responsabilité, et répondre ainsi à la difficile question que nous nous posons.

Il le fait en partant de la notion de faute médicale lourde, qui permet aux parents d'engager une action au profit de l'enfant, sans que cela soit contradictoire, bien entendu, avec l'effort de solidarité nationale pour les personnes handicapées.

Le texte se rapproche de la jurisprudence du Conseil d'Etat, mais il peut concerner aussi bien le champ du droit civil que celui du droit administratif. Ce sera un point d'appui beaucoup plus solide pour avancer dans la réflexion, ce que nous souhaitons tous. C'est pourquoi la commission a adopté l'amendement.

M. Jean-François Mattei - Effectivement l'amendement a été voté en commission. Je n'ai aucun état d'âme concernant le deuxième alinéa, qui reprend la jurisprudence du Conseil d'Etat. Il s'agit de donner aux parents les moyens de préparer l'avenir de leur enfant.

En revanche, je suis opposé au premier alinéa, qui inscrit dans la loi la notion de « vie préjudiciable » puisque c'est la personne née avec un handicap qui peut obtenir réparation. Cela ne règle strictement aucun problème car tout dépendra de l'interprétation qu'on fera de la faute médicale. Est-ce une faute médicale de ne pas informer correctement ? Oui. Mais est-ce une faute médicale de faire naître un enfant qui présente un handicap non détecté ? On en revient au problème de la causalité, sur lequel les juristes sont divisés.

Je reste fidèle à la rédaction que je vous ai proposée (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme la Ministre - Toute cette discussion le montre, nous tentons de légiférer sur une question extrêmement compliquée. Je pense que nous allons y arriver, car il faut répondre aux craintes qui se sont exprimées.

L'amendement adopté par la commission me semble une base plus solide, même s'il faudra sans doute en revoir la rédaction après en avoir examiné toutes les implications, dans les semaines à venir. Je réitère l'engagement du Gouvernement d'aller au bout de ce débat, d'autant que nous pouvons le faire dans le cadre du projet sur les droits des malades, qui doit être voté définitivement avant la fin de la législature.

Nous avons donné ce matin aux médecins les signes qu'ils attendaient sur notre volonté de répondre à leurs préoccupations et nous allons travailler sur cette base.

J'ai apprécié la haute tenue de ce débat. Nous avons chacun nos convictions, mais sur certains grands principes nous nous rejoignons. Il nous reste à trouver la rédaction adéquate pour mettre fin à l'instabilité créée par la jurisprudence Perruche (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Ministre déléguée - En complément aux propos de Mme Guigou... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Bernard Accoyer - Qu'est-ce que vous pouvez encore ajouter ? C'est une man_uvre dilatoire !

Mme la Ministre déléguée - ...je voudrais dire que nous vivons un moment parlementaire rare : il est assez exceptionnel que les groupes aillent ainsi les uns vers les autres, que la commission reprenne un amendement présenté par un député de l'opposition. Les Français attendent des débats de cette qualité-là.

M. Pierre Méhaignerie - Quelle hypocrisie !

Mme la Ministre déléguée - J'ai bien entendu les objections de M. Mattei, mais je suis heureuse que la formulation proposée réaffirme les devoirs des parents sur la base du code civil. J'espère que nous aurons un vote à l'unanimité de l'Assemblée sur la rédaction définitive, compte tenu des échéances électorales.

Mme la Présidente - Compte tenu de l'heure et des engagements de Mme la ministre, notamment sur l'ordre du jour prioritaire, je lève la séance (Vives protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures 30.

La séance est levée à 13 heures 20.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            Louis REVAH

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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