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Session ordinaire de 2001-2002 - 45ème jour de séance, 104ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 8 JANVIER 2002

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

HOMMAGE A LÉOPOLD SENGHOR 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

FILIÈRE BOVINE 2

MÉDECINS GÉNÉRALISTES 3

PASSAGE A L'EURO 4

DÉLINQUANCE SEXUELLE 4

DÉCRETS D'APPLICATION DE LA LOI
DE MODERNISATION SOCIALE 5

MÉDECINS GÉNÉRALISTES 6

MÉDECINS GÉNÉRALISTES 7

MÉDECINS GÉNÉRALISTES 8

ÉLEVAGE BOVIN 8

INCIDENTS DE BARR 9

DÉFENSE EUROPÉENNE 10

FACTURATION DES CHÈQUES 10

LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ 10

POLITIQUE DE L'EAU 11

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 18

QUESTION PRÉALABLE 23

DÉCLARATION D'URGENCE 34

La séance est ouverte à quinze heures.

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HOMMAGE A LÉOPOLD SENGHOR

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent).

M. le Président - C'est avec une profonde émotion que nous avons appris la disparition du président Léopold Sedar Senghor qui avait si bien incarné la négritude mais aussi l'unité profonde de l'homme, quelles que soient ses origines et sa couleur de peau.

Député de l'Assemblée constituante en 1945, ministre sous la IVe République, premier chef de l'Etat sénégalais, il a contribué à bâtir l'un des principaux modèles de démocratie sur le continent africain, favorisant une transition toute républicaine, en 1980, lorsqu'il se retira de la vie politique.

Ce grand homme d'Etat a toujours voulu rassembler, dans l'unité de ses convictions, l'humanisme des Lumières, les valeurs de progrès et toutes les vertus de l'africanité. Apôtre de l'indépendance et de la paix, défenseur infatigable de la dignité humaine, il s'est toujours battu pour consolider l'unité africaine.

En votre nom, je me suis associé à Dakar au dernier hommage rendu par le peuple sénégalais à son ancien chef d'Etat.

Au nom de l'Assemblée nationale, je salue la mémoire de cette grande voix de l'Afrique.

(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence).

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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FILIÈRE BOVINE

M. Jean-Michel Marchand - Monsieur le ministre de l'agriculture, vous venez de présenter un nouveau plan d'aide aux éleveurs bovins. Après un an de crise provoquée par l'épizootie d'ESB, ce plan était très attendu, alors même qu'une reprise encore timide de la consommation pourrait dessiner une perspective d'espoir. 150 millions d'euros, expression de la solidarité nationale, sont accordés aux jeunes exploitants et à ceux qui sont le plus touchés. Des mesures sociales viennent accompagner ceux qui souhaiteraient s'engager dans une reconversion professionnelle, et ceux qui, plus âgés, voudraient partir en préretraite. Pour beaucoup d'entre eux, le traumatisme sera grand de mettre un terme à l'activité de toute une vie avec un sentiment d'échec.

Enfin le plan comporte des mesures destinées à compenser des fragilités structurelles repérées dans le bassin allaitant. Les éleveurs touchés par l'ESB attendent des décisions relatives à l'abattage systématique. Sans doute l'avis de l'AFSSA doit-il s'imposer. Cependant, le maintien de l'abattage systématique est devenu incompréhensible et illogique, après les interdictions d'utiliser les farines animales.

Préconiser un abattage partiel permettrait de conserver le capital génétique acquis, aurait un impact psychologique décisif sur les éleveurs et favoriserait une meilleure indemnisation des animaux abattus.

Aussi vos décisions sont-elles très attendues, en particulier dans l'Ouest. Le Maine-et-Loire, par exemple, est encore sous le coup de six cas d'ESB.

Quelle est votre position sur la politique actuelle d'abattage systématique ? Quelles seront les conséquences sur notre filière bovine des soubresauts qui agitent l'Argentine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - J'ai en effet annoncé hier soir un nouveau plan pour la filière bovine, dont j'espère qu'il sera le dernier (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il semble que nous nous acheminions vers la fin de la crise. La consommation remonte légèrement, pour se situer à moins 5 % par rapport à la fin de 1999 ; les exportations ont renoué avec la croissance ; enfin les abattages diminuent.

J'ai donc présenté un plan à la fois social, économique et structurel, qui a fait l'objet de longues discussions avec les organisations professionnelles. Ces dernières l'ont certainement jugé insuffisant, comme toujours en la circonstance. Mais la solidarité nationale est à l'_uvre.

Quant à la situation économique de l'Argentine, hélas pour ce pays, elle ne comporte pour nos éleveurs aucun risque, parce que la viande bovine argentine est sous embargo pour cause de fièvre aphteuse.

J'ai toujours dit que je passerai de l'abattage systématique à l'abattage sélectif le jour où l'AFSSA donnera son feu vert. L'agence rend public aujourd'hui un nouvel avis. Après les consultations nécessaires, je rendrai une décision d'ici la fin de ce mois. Il me semble que la perspective d'abandonner l'abattage total est aujourd'hui crédible (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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MÉDECINS GÉNÉRALISTES

M. Gérard Voisin - Au nom de l'opposition unie, je présente nos v_ux au Gouvernement, à l'ensemble des députés et au personnel de l'Assemblée (Applaudissements sur de nombreux bancs).

A l'ensemble des Français, je souhaite avant tout une bonne santé. L'ensemble des professions de santé, les unes après les autres, témoignent de la crise morale et financière qu'elles traversent. Elles réclament un véritable dialogue avec les pouvoirs publics, une rémunération équitable de leur travail et une revalorisation de leur métier. Les généralistes n'échappent pas à cette crise, dont nos concitoyens ont déjà pu mesurer les effets.

La profession n'est plus aussi attractive. La pénurie se fait sentir dans les zones rurales et gagne certaines banlieues, avec la montée de l'insécurité.

Les généralistes, désespérés, ont entamé une grève des gardes et des astreintes. Cette action, spectaculaire chez des professionnels du dévouement, montre bien l'extrémité à laquelle ils sont arrivés et qui n'est pas sans rapport avec celle des gendarmes. Elle traduit leur découragement et leur exaspération face au mépris dans lequel le Gouvernement les tient. Leurs revendications tarifaires sont légitimes, tant certains médecins sont aujourd'hui sous-payés. Le nombre d'heures de travail, les difficultés de leur tâche exigent une revalorisation, en particulier pour les gardes.

Vous avez jugé excessives les revendications tarifaires des généralistes. Vos propos les ont profondément choqués. Après les avoir trop facilement renvoyés à la CNAM, allez-vous enfin accepter de dialoguer avec eux, plutôt que de choisir un pourrissement indigne de vos fonctions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je vous remercie de vos v_ux. Au nom du Gouvernement, je vous souhaite à mon tour une excellente année. Je la souhaite aussi à tous ces professionnels qui font que nous avons le meilleur système de santé du monde.

C'est vrai, les médecins de ville exercent un travail difficile, ils subissent des contraintes fortes, on peut les appeler tous les jours à tout moment. Ils soulagent les souffrances et les inquiétudes (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Ils travaillent beaucoup plus que d'autres catégories professionnelles. Aussi faut-il tenter d'alléger et de compenser ces contraintes par une meilleure rémunération et une revalorisation de leur rôle.

Les rémunérations relèvent de la responsabilité de la CNAM (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR), à qui j'ai demandé de poursuivre les discussions. Telle est la loi, qu'il convient de respecter.

Quant à moi, même si les tarifs des visites de nuit, du week-end et d'urgence ont été notablement revalorisés au cours des dernières années, je suis favorable à la poursuite des discussions. Le dialogue reprendra dès jeudi. Mais, et vous le comprendrez, je serai attentive à ce que les décisions prises ne compromettent pas l'équilibre de la sécurité sociale ni ne conduisent à un moindre remboursement des dépenses de maladie de nos compatriotes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

PASSAGE A L'EURO

M. Alain Barrau - Monsieur le ministre de l'économie et des finances, le passage à l'euro s'est déroulé dans de bonnes conditions, ce qui n'était pas si évident pour tous - souvenons-nous par exemple des discussions qui ont eu lieu ici, en 1997, sur la possibilité même de mener cette opération dans un court laps de temps ! Mais la politique économique et sociale de ce gouvernement explique sans doute pour une bonne part cette réussite, jointe au travail effectué par les services publics, par les services de sécurité, par les banques, les entreprises et les commerçants, sans oublier les associations de consommateurs.

Au bout d'une semaine, quelle est votre propre évaluation de cette opération, des points de vue technique, psychologique et politique ? Quelles conséquences en tirez-vous, s'agissant de la place de l'Europe dans notre pays et de notre pays dans l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Il s'agit certainement là d'une très grande réforme monétaire et économique, voire de la plus importante enregistrée depuis plusieurs décennies, et, si elle s'est effectivement déroulée dans de bonnes conditions, nous le devons à une préparation minutieuse qui a mobilisé des centaines de milliers de personnes. Grâce à ces concours, à la fin de décembre, sept Français sur dix avaient déjà utilisé l'euro, à l'occasion d'un chèque ou d'un virement par exemple, et le double affichage était réalisé à 98 % dans la grande distribution et à plus de 80 % dans le petit commerce. A la même date, plus de 40 millions de sachets d'euros avaient été vendus... Les conditions du succès étaient donc réunies. Au soir du 2 janvier, plus de 95 % des distributeurs automatiques ont pu ainsi « passer à l'euro » et, samedi dernier, 18 millions d'opérations ont pu être effectuées en euros, via les cartes bancaires. Hier soir, non seulement les transactions scripturales étaient en totalité effectuées en euros, naturellement, mais c'était aussi le cas de plus de 60 % de celles qui ont été faites en espèces !

Le Gouvernement entend ne pas relâcher sa vigilance, qu'il s'agisse de l'approvisionnement, de la sécurité ou de l'évolution des prix. Il remercie comme vous tous ceux qui ont permis que ce passage se déroule au mieux : commerçants, banques, Poste, associations de bénévoles et d'élus...Mais, si l'euro est l'aboutissement d'un travail considérable, c'est aussi un moteur et une exigence. Son succès traduit une forte demande d'Europe et c'est à nous d'y répondre ensemble ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

DÉLINQUANCE SEXUELLE

M. Alain Juppé - Ma question s'adresse à Mme la Ministre de l'emploi et de la solidarité, et j'y associe mon collègue Jean Valleix.

Le quartier des Aubiers et la ville de Bordeaux sont bouleversés par l'assassinat du petit Larbi et, en tant que maire, j'en suis, bien sûr, particulièrement ému. Ce drame pose la question du fonctionnement de la justice et de ses relations avec la police. Mme la Garde des Sceaux a, sur ce point, annoncé qu'elle demandait une enquête : nous en attendons les conclusions avec impatience.

Mais cette terrible affaire soulève aussi le problème du suivi des malades mentaux, délinquants ou anciens délinquants, qui sont laissés en milieu ouvert. Le législateur a tenté d'y apporter une réponse, notamment en instituant une obligation de soins : un projet de loi, préparé par mon gouvernement et examiné en commission au début de 1997, a été repris sans modifications substantielles par votre gouvernement et voté en 1998. Les décrets d'application ont été publiés en 2000. Mais l'affaire des Aubiers conduit à se demander si ce dispositif est bien suffisant. Quid, par exemple, des délinquants qui ont commis leur acte avant la promulgation de la loi ? Les médecins psychiatres sont-ils en nombre suffisant et ont-ils reçu une formation adaptée ?

Enfin, ne conviendrait-il pas d'instituer une véritable coordination entre les secteurs psychiatriques, les services de police et de gendarmerie et les services sociaux de quartier ? Aux Aubiers, personne ne comprend qu'un individu déjà condamné pour violence sexuelle sur mineur, ayant séjourné plusieurs fois en hôpital psychiatrique et toujours suivi médicalement pour cette raison, ait pu vivre dans le quartier sans être connu du commissariat ni des services sociaux. Or, une meilleure circulation de l'information entre ces services aurait sans doute permis une enquête plus rapide, évitant à la famille du petit Larbi de longues semaines d'attente cruelle.

Le risque zéro n'existe pas mais, lorsqu'il s'agit de la souffrance et de la mort d'enfants, il faut y tendre. J'aimerais donc savoir à quelles initiatives vous réfléchissez pour répondre à l'exigence qu'expriment aujourd'hui avec une très grande dignité la famille du petit Larbi et la population des Aubiers, exigence qui se résume à ceci : plus jamais ça ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Nous ressentons la même émotion que vous et je suis sûr que, tous, nous avons une pensée pour ce petit garçon et pour sa famille.

J'ai fait voter le 17 juin 1998, en le complétant, le texte préparé par Jacques Toubon. Cette loi a accru l'attention accordée aux victimes, institué un fichier d'empreintes génétiques, renforcé le suivi psychiatrique et médical des délinquants lorsqu'ils se trouvent en prison, et surtout les a obligés à se soumettre, à leur sortie, à un suivi médical et social. A cette fin, nous avons mis en place un médecin coordonnateur, chargé de faire le lien entre le médecin psychiatre qui suit le délinquant et le juge d'application des peines. Une commission interministérielle a été créée pour veiller à la formation de ces coordonnateurs qui, je le reconnais, n'existent pas encore partout. D'autre part, un groupe de travail interministériel santé-justice s'emploie à définir le lien à établir entre services pénitentiaires et sanitaires. Ce dispositif reste à améliorer et nous donnerons donc instruction à ce groupe d'étudier notamment les moyens d'un meilleur suivi des auteurs de crimes sexuels commis avant la promulgation de la loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

DÉCRETS D'APPLICATION DE LA LOI DE MODERNISATION SOCIALE

M. Maxime Gremetz - Moulinex, Brandt, Magneti-Marelli, Air Liberté, Danone... nous en sommes à plus de 500 plans de licenciements boursiers ! Des dizaines de milliers de salariés sont touchés par les délocalisations, restructurations, fermetures de sites et autres suppressions d'emplois. Les résultats acquis depuis 1997 dans la lutte contre le chômage sont ainsi compromis par les agissements de groupes qui ne recherchent que le profit de leurs actionnaires. Pour ces groupes comme pour le MEDEF, les salariés, l'emploi et le développement durable ne comptent pas ! Depuis sept mois, le nombre des licenciements « économiques » s'est accru de 42 % et aucun espoir d'amélioration ne se fait jour.

Madame la ministre, vous avez bien fait de prendre en compte dans la loi de modernisation sociale plusieurs amendements du groupe communiste, et notamment celui qui tend, par une définition plus stricte du licenciement économique, à dissuader les chefs d'entreprise de jouer au monopoly social. D'autres amendements ont opportunément été repris, tels que ceux visant à promouvoir les solutions alternatives au licenciement. On comprend, dans ces conditions, que le baron Seillière, auquel je n'adresse pas mes meilleurs souhaits, ait lancé une campagne déchaînée contre ce texte. Cela nous renforce encore dans l'idée que nous avons bien fait de voter cette loi. C'est pourquoi le groupe communiste attend avec impatience les décrets qui permettront l'entrée en vigueur de certaines dispositions de cette loi : à situation d'urgence, mesures d'urgence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le vote définitif de la loi de modernisation sociale est intervenu le 19 décembre dernier, et le texte a été immédiatement déféré au Conseil constitutionnel, lequel doit rendre sa décision dans les tout prochains jours. Plusieurs dispositions essentielles, telles que l'amendement Michelin obligeant le chef d'entreprise à négocier un accord d'ARTT avant d'engager un plan de licenciements, ou à informer le comité d'entreprise avant toute annonce publique de l'employeur sont directement applicables puisqu'elles n'ont pas besoin de décret.

S'agissant des décrets d'application des mesures relatives au licenciement économique, nous irons vite, afin de réduire l'incertitude à laquelle sont confrontés nombre de salariés. C'est pourquoi j'ai déjà lancé une concertation avec les partenaires sociaux, plusieurs experts et les rapporteurs parlementaires, en vue d'une publication rapide des décrets. Je réunirai lundi prochain pour la première fois le comité de suivi de l'élaboration de ces décrets et je lui rappellerai que le travail doit être achevé le 2 mars prochain. Vous pouvez constater que nous prenons bien la mesure de l'urgence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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MÉDECINS GÉNÉRALISTES

M. Jean-Pierre Foucher - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, vous venez de répéter à M. Voisin qu'il n'était pas en votre pouvoir de revaloriser les honoraires des médecins de famille puisque cette prérogative incombait à la CNAM. Vous ne vous êtes pourtant pas gênée pour prendre dans les caisses de la sécurité sociale pour financer les 35 heures (« Eh oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) alors même que la RTT n'a aucun lien avec la protection sociale ! L'argument n'est donc pas recevable. Autant le dire sans détour : vous ne voulez pas augmenter les honoraires des médecins généralistes ! Pourtant, connaissez-vous beaucoup de professionnels qui, après au minimum sept ans d'études difficiles, accepteraient de se déplacer à domicile pour 135 francs pour établir - avec les risques qui s'y attachent - un diagnostic exigeant de leur part une actualisation constante de leurs connaissances ? Les médecins généralistes n'en peuvent plus et vous, vous ne comprenez toujours pas pourquoi ! Alors, qui va décider : le Premier ministre, la CNAM ou, une fois de plus, la rue ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe du RPR)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - J'ai répondu sur les rémunérations à M. Voisin. (« Mal ! » sur les bancs du groupe UDF)

Le partage des responsabilités entre les caisses d'assurance maladie et le Gouvernement est établi de longue date et nous sommes comptables pour notre part de la préservation d'un système équilibré qui garantisse aux malades un niveau élevé de remboursement. Du reste, c'est votre assemblée elle-même qui a entériné ce système...

M. François Goulard - C'est un faux-semblant !

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Depuis 1971, c'est la CNAM qui fixe les modalités de rémunération des médecins. Et si nul n'a remis en cause cette architecture, expressément confirmée en 1999, c'est parce que coexistent dans notre pays une médecine libérale et un système public. Et c'est bien parce que nous sommes attachés en particulier au libre choix du praticien par le malade que nous considérons qu'il n'est pas souhaitable que l'Etat arrête dans le détail les règles de rémunération des médecins.

Néanmoins, le Gouvernement ne se désintéresse pas de cette importante question, et je souhaite même qu'au-delà de la question des rémunérations, une réflexion plus vaste se poursuive sur le rôle des médecins de famille. Il convient en effet d'alléger les contraintes qui pèsent sur eux, notamment en favorisant une prise en charge collective des gardes afin qu'ils ne soient plus corvéables à merci, week-end après week-end. Les problèmes de sécurité doivent être mieux pris en compte et il faut continuer de les aider à s'installer en zone rurale ou dans les quartiers difficiles. Telle est la politique de ce gouvernement. Telle est la teneur des discussions que nous conduisons avec les médecins généralistes depuis plus d'un an (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

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MÉDECINS GÉNÉRALISTES

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, nous sommes sensibles au malaise très réel des médecins généralistes (« Ah ! » sur les bancs du groupe UDF). Nous connaissons tous le travail de ces professionnels de santé qui sont les premiers à accompagner les détresses de nos concitoyens. Au-delà de la revalorisation des actes, ils demandent qu'on les reconnaisse comme un pilier essentiel de notre système de santé et qu'on prenne mieux en compte la dimension intellectuelle et technique de leurs interventions.

Au cours des différentes réunions du « Grenelle de la santé » qui s'est tenu en 2001, un texte tendant à renouer les relations entre les organismes d'assurance maladie et les professionnels libéraux a été discuté. Il atteste votre attachement au dialogue social (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) et votre détermination à instaurer un cadre propice à la reconnaissance du rôle des médecins de famille. A la veille d'une nouvelle rencontre avec ces professionnels, pouvez-vous nous faire part des réponses que vous entendez apporter à leurs demandes ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Votre question montre à quel point chacun, sur l'ensemble de ces bancs, est sensible à la situation des médecins généralistes (Exclamations sur les bancs du groupe UDF).

Le malaise est ancien, et le Gouvernement, au-delà de la question des rémunérations, s'est efforcé d'y apporter plusieurs réponses. Vous avez ainsi voté des aides à l'installation en milieu rural ou en zone urbaine sensible, des moyens pour créer des maisons de garde - lesquelles tendent à mutualiser les contraintes -, des moyens supplémentaires pour les réseaux de soins associant la médecine de ville et l'hôpital. De même, vous êtes attentifs au suivi de la revalorisation du rôle du médecin de famille et vous avez raison car c'est bien lui qui a le premier contact avec le patient (Huées sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL), c'est lui qui fait le lien avec les familles et leur rend plus accessible une médecine par ailleurs de plus en plus technique et déshumanisée. Le Grenelle de la santé auquel vous avez fait référence n'a pas d'autre but que celui d'affirmer la place du médecin généraliste dans notre système de soins (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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MÉDECINS GÉNÉRALISTES

M. Pierre Morange - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité (« Ah ! » sur divers bancs), vous comprendrez que le médecin généraliste que je suis se fasse l'écho des préoccupations d'une profession à laquelle sont attachés tous nos concitoyens. Du reste, votre attitude à l'égard des professionnels de santé est emblématique de votre dédain pour la démocratie sociale. Mais si je reviens sur ce sujet, c'est aussi parce que vous ne répondez pas à la question (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Depuis plusieurs années, vous avez oublié de revaloriser les actes des médecins généralistes (« Vous non plus ! » sur les bancs du groupe socialiste) et voilà qu'à quelques semaines des élections, vous vous dites prête à en débattre ! Mais vous jouez au ping-pong et renvoyez la responsabilité de le faire à la CNAM - tout en donnant un avis défavorable ! Quand on s'estime incompétent, on n'intervient pas dans la négociation en cours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Vous estimez donc que les ressources de l'assurance maladie ne peuvent pas être mobilisées pour améliorer la situation de professionnels qui travaillent en moyenne 60 heures par semaine, mais qu'on peut y avoir recours pour financer le passage aux 35 heures des salariés : n'y a-t-il pas là une inégalité flagrante ? (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe du RPR) Malgré leurs qualités unanimement reconnues, vous estimez donc que les généralistes ne méritent pas de recevoir 20 euros pour une consultation de base. Est-ce ainsi que vous comptez lutter contre la désertification qui affecte déjà nombre de zones rurales et de quartiers où la sécurité n'est plus assurée ? C'est l'acte médical de base qui est aujourd'hui dévalorisé !

Allez-vous traiter les professions de santé avec la considération qu'elles méritent, et agir plutôt que de vous contenter de discours ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe du DL)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je l'ai dit à M. Voisin, il faut envisager une revalorisation du tarif de base. Mais s'il est à 20 €, des revalorisations ont permis d'aller jusqu'à 45,73 € pour les déplacements la nuit, avec des tarifs intermédiaires. Après ces augmentations ciblées se pose désormais la question de celle du tarif de base, et il faut trouver le bon équilibre.

Puisque vous parlez de la considération que méritent les généralistes, je rappelle que cette majorité, avec ce gouvernement, a voté la réforme des études médicales qui, créant un internat pour les généralistes, les met à égalité avec les spécialistes. D'ailleurs, vous n'êtes guère en mesure de nous faire la leçon. Vous avez soutenu un gouvernement qui a instauré une maîtrise comptable des dépenses sans maîtriser les déficits (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), et qui en a rendu les médecins responsables. Pour notre part, nous avons supprimé les sanctions financières à l'égard des médecins, nous allons supprimer les lettres-clés flottantes... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR)

M. Philippe Briand - Vous avez échoué, à la santé comme à la justice !

Mme la Ministre - ...dès lors qu'un accord est librement négocié. Le respect envers les généralistes, c'est cette majorité et ce gouvernement qui en font preuve (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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ÉLEVAGE BOVIN

Mme Geneviève Perrin-Gaillard - Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez annoncé un plan d'aide de 150 millions d'euros en faveur de l'élevage bovin. Je vous félicite de votre pugnacité, vous avez géré de façon excellente cette crise douloureuse qui fut un drame pour les éleveurs. Mais certains pourraient penser que le recours à des cessations anticipées d'activité va à l'encontre de la politique qui, dans le cadre des contrats territoriaux d'exploitation, vise au maintien d'élevages, en particulier extensifs qui sont les plus fragiles mais qui, dans un département comme le mien, représentent 70 % des élevages. Pouvez-vous nous rassurer sur le maintien et l'installation d'agriculteurs qui contribuent à la vitalité des campagnes ?

D'autre part, la Commission européenne n'a validé ce plan que s'il concernait les éleveurs les plus fragiles, qu'on estime à 40 000. Pouvez-vous préciser qui ils sont ?

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Sur le plan économique, nous avons effectivement choisi de cibler les aides sur les plus fragiles plutôt que de les saupoudrer et je vous confirme qu'elles iront à 40 000 agriculteurs. En fonction d'un critère national, nous verserons des aides forfaitaires d'ici fin mars, début avril, et d'autre part nous tiendrons compte au cas par cas des situations de trésorerie les plus difficiles. A chaque fois, le surcroît d'aide sera de 15 à 20 % pour les jeunes agriculteurs.

Sur le plan social, avec l'aide de l'Union européenne, nous allons passer des 1 000 préretraites habituelles à 3 000 préretraites en 2002 et 2003 pour ceux qui le souhaitent et ceux qui ne peuvent plus maintenir leur exploitation, et à condition que cela permette à un jeune de s'installer ou à une petite structure de se renforcer. Nous permettrons aussi à plusieurs centaines d'éleveurs de se reconvertir dans d'autres secteurs agricoles.

Ce matin, le président de la FDSEA de Haute-Loire m'accusait de cynisme : je serais le premier ministre de l'agriculture à proposer un plan pour se débarrasser des éleveurs. Qu'on le sache bien, ce volet social a été inscrit dans le plan à la demande expresse de la FNSEA (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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INCIDENTS DE BARR

M. Germain Gengenwin - Ces derniers jours, la justice a fait beaucoup parler d'elle , mais pas en bien. A Lyon, un trafiquant de drogues condamné à 15 ans a été libéré pour vice de forme. Dans ma circonscription, le chef-lieu de canton de Barr a été secoué pendant les fêtes par quatre explosions en deux jours. Seule la providence a permis qu'il n'y ait pas de mort. L'émotion et la colère de la population sont très vives et le maire a dû organiser une réunion en présence du préfet dès le 1er janvier.

Je rends hommage aux sapeurs-pompiers, et à la gendarmerie car dès le lendemain, les cinq auteurs de ces faits étaient arrêtés. Mais, c'est là où le bât blesse, dès le lendemain, quatre d'entre eux étaient libérés. La population ne comprend pas, elle est révoltée par cette décision. Comment pourrait-elle conserver confiance en la justice ? Comment la banalisation d'actes aussi graves pourrait-elle ne pas encourager la délinquance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Je suis comme vous cette affaire inouïe, mais ni vous ni moi ne pouvons juger l'acte de juger. La magistrate a pris des décisions qui ne sont pas conformes aux réquisitions du Parquet, et celui-ci a fait appel. Nous devons tous rester vigilants. Une personne est incarcérée, une autre accusée de complicité effective, trois autres sous contrôle judiciaire, car vraisemblablement complices. L'enquête continue, et je félicite comme vous la gendarmerie. Ces personnes vont être traduites devant la justice et entre-temps il aura été répondu à l'appel du ministère public sur la détention provisoire. Les coupables sont connus et vont être jugés, c'est une bonne chose. Mais sachons rester sereins. Je partage avec vous l'émotion de la population qui a été terrorisée, je partage votre volonté que justice soit rendue, et elle le sera. On peut se féliciter de l'initiative du substitut qui a organisé avec le maire une réunion publique pour informer la population. Mais il faut sortir de cette affaire de Barr par le haut (Murmures sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). Nous souhaitons une justice forte, et nous lui donnons des moyens. La justice est indépendante, je souhaite qu'elle soit aussi responsable, et qu'on la laisse être responsable (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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DÉFENSE EUROPÉENNE

M. Jean-Michel Boucheron - Après le passage à l'euro, la défense européenne progresse. Le sommet de Laeken l'a déclarée opérationnelle ; dès 2002 elle pourra mener des opérations humanitaires ou d'extraction de ressortissants, et en 2003 la force commune pourra gérer les crises. La nouvelle politique américaine - sans lien avec le 11 septembre- montre la nécessité d'une Europe de la défense qui n'enlève rien aux capacité nationales, mais y ajoute une capacité commune. Elle concerne les capacités de planification, de renseignement et de projection. L'Europe avait besoin de 200 avions de transport lourd. Le 18 décembre, huit pays européens se sont mis d'accord pour fabriquer en commun l'Airbus A 400 M. Le consensus existe désormais en Allemagne, il a toujours existé en France et un retrait italien ne remettrait pas le projet en cause. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur cette situation ?

M. Alain Richard, ministre de la défense - Cette réalisation concrète de l'Europe traduit une méthode et une volonté. Nous avions défini en commun les besoins et les réponses à apporter. Ainsi, la nouvelle génération d'avions de combat transportera d'Istres à Kaboul, sans escale, un tonnage supérieur de 50 % en deux fois moins de temps.

Les huit pays se sont engagés et ont mis en place les crédits nécessaires, comme l'avait fait le Parlement français pour les 50 avions que nous avions commandés en 2001.

On s'était beaucoup interrogé sur l'aboutissement de ce projet. Au sommet franco-allemand de Nantes, en novembre dernier, le chancelier Schroeder avait confirmé son engagement et nous avons pu aboutir.

Il peut arriver, bien sûr, que se manifestent des divergences ou des hésitations, on vient de le voir avec l'Italie. Mais, outre qu'elle n'est pas déterminante, la décision prise par le gouvernement italien peut être revue. Quoi qu'il en soit, les Etats doivent, en ces matières, garder le dernier mot. Le Gouvernement se félicite des succès constatés, et souhaite que l'Europe persévère dans cette voie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Compte tenu du temps qui reste aux groupes RCV et RPR, je donne d'abord la parole à M. Desallangre (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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FACTURATION DES CHÈQUES

M. Jacques Desallangre - L'Association française des banques vient d'annoncer son intention de facturer les chèques, mais aussi les retraits de fonds aux distributeurs et les paiements par carte bancaire. Ces revendications insupportables imposent l'adoption définitive de la proposition de mon collègue Georges Sarre, qui garantit la gratuité des chèques. Or, le Gouvernement refuse d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat, alors même que le Parlement dispose de six semaines avant de suspendre ses travaux. La question doit pourtant être tranchée avant la fin de la législature ! Aussi, Monsieur le ministre de l'économie, vous engagez-vous à inscrire à l'ordre du jour du Sénat l'examen de la proposition adoptée en première lecture par notre assemblée ?

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je confirme l'opposition du Gouvernement à la facturation des chèques. Cela dit, étant donné les positions adoptées en cette matière au niveau européen, l'adoption d'un texte en France ne serait pas d'une grande efficacité. C'est pourquoi nous en restons à une très grande opposition.

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LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ

M. Jean-Yves Besselat - L'insécurité ne cesse malheureusement de grandir et les récents incendies criminels d'équipements publics un peu partout en France en ont apporté, si besoin était, une preuve supplémentaire.

Au cours de l'année 2001, le nombre de véhicules brûlés par vandalisme a été multiplié par 2,5, dans la région du Havre en particulier, et au cours de la seule nuit du 31 décembre, 76 voitures ont été incendiées en Alsace et près de 100 en région parisienne. Plus grave encore, les forces de police ont été plusieurs fois violemment agressées.

Au nom de la population et de l'opposition parlementaire unie, je vous le demande solennellement, Monsieur le Premier ministre : quand manifesterez-vous la volonté politique de résoudre ce problème ? Quand modifierez-vous une législation laxiste, qui prive la police et la justice des moyens d'agir ? Votre gouvernement, au pouvoir depuis cinq ans, est responsable de la situation actuelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - De fait, la nuit du 31 décembre, au cours de laquelle 388 véhicules ont été incendiés, a été une nuit difficile. Il n'empêche que l'exceptionnelle mobilisation des forces de police et de gendarmerie a permis 116 arrestations. Je rends hommage à ces personnels, déjà sérieusement mis à contribution en raison du passage à l'euro et du plan Vigipirate renforcé. A Rouen et au Havre, le brouillard a empêché les interpellations. Vous savez, d'autre part, que la législation interdit les mises en cause collectives. Il faut donc s'attacher à renforcer la prévention, à Rouen et au Havre comme ailleurs, en s'engageant dans un projet partenarial visant à rétablir la cohésion sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de Mme Aubert.

PRÉSIDENCE de Mme Marie-Hélène AUBERT

vice-présidente

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POLITIQUE DE L'EAU

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant réforme de la politique de l'eau.

M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - C'est avec grand plaisir que je vous soumets ce projet de loi portant réforme de la politique de l'eau. Porté avec détermination par Dominique Voynet, adopté par le conseil des ministres et déposé à l'Assemblée nationale le 27 juin 2001, il a été longuement mûri depuis mai 1998.

M. Jean-Pierre Brard - C'est de l'eau stagnante !

M. le Ministre - De l'eau vive, plutôt. Plus de cent réunions de travail ont eu lieu, de nombreuses instances - Conseil national de l'eau, Conseil économique et social, comités de bassin - se sont prononcées et tous les acteurs du secteur ont pu s'exprimer. Nous voici donc parvenus à un texte équilibré et déterminant pour la politique de l'eau.

Ses grandes orientations ont été définies dès mai 1998 par une communication de Dominique Voynet en conseil des ministres. Il vise en premier lieu à renforcer le service public de l'eau en le rendant plus accessible et plus transparent.

Le service public, c'est d'abord la solidarité envers les plus démunis. Ce projet définit les conditions de fonctionnement et les missions du service public de l'eau et de l'assainissement en garantissant l'accès de tous à l'eau potable. Les cautions, dépôts de garantie et forfaits exigeant un règlement avant toute consommation seront donc supprimés, et les coupures d'eau interdites. La part fixe de la facture, lorsqu'elle existe, sera strictement encadrée, mais le principe sera une facturation proportionnelle à la consommation, facilitant l'accès des petits consommateurs et encourageant une gestion économe de la ressource.

Les citoyens seront mieux informés des services rendus et de leur coût, et les collectivités locales pourront mieux négocier avec leurs fermiers ou leurs concessionnaires. Les consommateurs doivent comprendre ce qu'ils paient, et ne payer que le juste prix du service rendu. Le rôle des commissions consultatives des services publics locaux sera donc renforcé. Elles seront consultées sur les règlements, sur la tarification ainsi que sur le rapport annuel du maire relatif à la qualité et au prix des services. Je fais confiance à la démocratie de proximité, objet par ailleurs d'un projet de loi en cours d'examen au Sénat : elle est un outil indispensable de régulation.

Un Haut Conseil des services publics d'eau et d'assainissement sera créé, pour informer les citoyens et les collectivités sur la gestion du service public et faire des recommandations en vue d'améliorer son fonctionnement. Il s'agit de mieux équilibrer l'information entre les grands groupes privés d'une part, les collectivités et les usagers d'autre part. Là encore, je crois aux vertus de la régulation par la transparence et l'information.

M. Marc Laffineur - Et par la taxation !

M. le Ministre - Nous allons en parler. Pour instaurer des relations plus équilibrées entre les collectivités responsables du service public de l'eau et les sociétés concessionnaires, la durée des contrats de délégation des services publics sera limitée à 12 ans, au lieu de 20 actuellement et les conditions de ces délégations seront mieux encadrées. Nous n'avons donc pas changé le modèle français largement repris par la directive européenne en octobre 2000. Les collectivités territoriales sont les premières responsables du service de l'eau et non pas l'Etat, à la différence de la Grande-Bretagne où le service a été privatisé à l'échelon national.

Notre deuxième objectif est de permettre une meilleure application du principe pollueur-payeur. La charge des redevances payées aux agences de l'eau sera plus équitablement répartie, et la part payée par les ménages sera allégée. L'assiette de ces redevances sera redéfinie afin de mieux refléter le coût des pollutions qui les justifient. Cette meilleure application du principe pollueur-payeur au domaine de l'eau contribuera à améliorer la qualité de la ressource en eau de notre pays, aujourd'hui menacée en beaucoup d'endroits, en particulier en Bretagne. Elle se traduira par des modifications importantes sur les redevances de pollution domestique, tenant compte de la pollution nette rejetée vers le milieu naturel. Les efforts de ceux qui dépolluent seront ainsi récompensés. Le principe peut donc aussi s'énoncer ainsi : non pollueur, non payeur.

En outre, le coefficient de collecte actuellement appliqué par les agences au détriment des usagers domestiques sera réformé, avant de disparaître à terme.

Les redevances agricoles seront désormais conçues de manière à constituer de véritables incitations à la modification des pratiques. Ces redevances seront indolores dès lors que les agriculteurs feront des efforts dans ce sens. C'est le fondement même de la fiscalité écologique. Il ne s'agit pas de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat, mais d'inciter à la vertu.

M. Marc Laffineur - De toute façon, vous êtes incapable d'utiliser cet argent !

M. le Ministre - Mais si ! Nous consommons cette année les crédits à hauteur de 87 %. La détermination des assiettes et des taux de ces redevances a fait l'objet, avec les professionnels, d'un compromis équilibré, privilégiant l'efficacité environnementale.

Enfin, de nouveaux paramètres de redevances seront créés, afin d'inciter à une meilleure gestion environnementale des ouvrages de retenue sur les cours d'eau.

La loi fixera ainsi l'assiette des redevances prélevées par les agences de l'eau et pourra ainsi déterminer les conditions d'un prélèvement sur les ressources des ménages et des entreprises, qui s'élève à environ 1,3 milliard d'euros, en dehors de tout contrôle parlementaire à l'heure actuelle, ce qui est contraire à notre Constitution. Vous y êtes certainement sensibles. Il ne s'agit ni de recentraliser ni de remettre en cause le système des agences de l'eau, mais de respecter le principe démocratique selon lequel les élus ont seuls compétence pour fixer l'impôt.

La loi comprend également des dispositions en vue d'une décentralisation accrue.

Les moyens de prévention des inondations et d'aménagement des rivières seront renforcés. Il sera ainsi possible d'instaurer des servitudes d'utilité publique pour aménager des zones naturelles d'expansion de crue. Des membres de la commission ont présenté sur ce sujet des amendements du plus grand intérêt.

Les communes seront habilitées à intervenir sur le domaine privé à la demande des propriétaires pour rénover les dispositifs d'assainissement non collectif. Les départements auront la possibilité de créer leur propre domaine public fluvial par transfert de celui de l'Etat.

Ce projet offre enfin l'occasion d'introduire dans le droit français les ajustements rendus nécessaires par la nouvelle directive européenne. Il modifie les dispositions relatives aux schémas directeurs d'aménagement des eaux et aux schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Enfin, la police de l'eau sera rendue plus efficace.

Il s'agit donc d'un grand projet rassembleur. Je ne doute pas que vous saurez encore l'enrichir (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Daniel Marcovitch, rapporteur de la commission de la production - Je commence par un geste simple et naturel, boire un verre d'eau.

M. Jean-Pierre Brard - Est-elle potable ?

M. le Rapporteur - Oui, c'est de l'eau de Paris. Ce geste a été fait aujourd'hui par six milliards d'êtres humains sur notre terre. Actuellement, environ deux milliards d'être humains n'ont pas accès à l'électricité et vivent néanmoins plus ou moins bien, comme nos ancêtres, alors qu'aucun être vivant ne peut survivre sans eau plus de quelques jours. L'eau n'est donc pas un bien de consommation courante, c'est un bien vital.

A cette tribune vont se succéder des orateurs qui feront tous le même geste car la consommation d'eau n'est ni de gauche ni de droite.

Cette eau que nous buvons gratuitement dans cette enceinte par un privilège remontant à la Révolution, et que nous devrons payer comme tous nos concitoyens lorsque cette loi sera adoptée, vient peut-être de la Seine qui a pris naissance sur le plateau de Langres ou de sources situées à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale, car il existe une solidarité entre tous les usagers de l'eau d'un même bassin hydrographique.

En réalité, cette solidarité va bien au-delà, car le pain que nous avons mangé à midi a peut-être été préparé à partir des blés irrigués par des agriculteurs en plaine de Beauce, là même où des programmes ont été mis en place pour tenter de restaurer une nappe phréatique mise à mal par des années de pompage.

M. François Sauvadet - C'est bien, ce qu'il dit !

M. le Rapporteur - Ce préambule se veut une démonstration simple de l'article L. 210-1 du code de l'environnement : « L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation... L'usage de l'eau appartient à tous dans le respect des lois et règlements. » Elle est même le patrimoine de toute l'Humanité.

Notre climat ne connaît ni la sécheresse du Sahel ni les inondations cataclysmiques du Bangladesh, en dépit des inondations subies par nombre de nos concitoyens. Mais l'eau demeure une ressource fragile que nous devons savoir préserver. Après les lois de 1964 et de 1992, en fallait-il une nouvelle qui a nécessité une si longue et si lourde préparation ? Oui, car nous savons depuis l'arrêt du Conseil constitutionnel de1982 que les redevances perçues par les agences de bassin sont considérées comme des impôts et taxes de toute nature et qu'à ce titre elles doivent être votées par le Parlement. Oui encore, car la qualité de l'eau n'a cessé de se détériorer depuis plusieurs années. Certes les pollutions d'origine agricole sont indéniables dans certaines régions. Certes, les industriels sont encore trop souvent à l'origine de pollutions brutales. Mais ne feignons pas d'ignorer que 70 % des stations d'épurations urbaines rejettent des effluents qui sont largement au-delà des limites réglementaires.

M. Gérard Saumade - C'est bien vrai !

M. le Rapporteur - La consommation d'eau dans la production agricole ou industrielle n'est pas plus légitime que la consommation domestique. Il n'y a pas d'un côté des smicards qui économiseraient chaque goutte d'eau pour payer la facture des irriguants de la Beauce ou a contrario des agriculteurs vertueux victimes des citadins qui remplissent leurs baignoires, lavent leurs voitures et polluent les rivières.

Plutôt que d'opposer telle ou telle catégorie d'usagers, mieux vaut raisonner tous les exploiteurs de la ressource.

Toute loi sur l'eau est une loi d'intérêt général et ne peut donc représenter la somme d'intérêts catégoriels : elle a à définir les efforts que chacun doit consentir, là où il se trouve, au service d'un objectif commun. Et cet objectif est inscrit dans la directive 2060/CE : il s'agit d'obtenir dans un délai de 15 ans un bon état des eaux de surface et des nappes, et de supprimer dans un délai de 20 ans tout rejet de substances dangereuses. Il n'est donc que temps de nous mettre au travail !

Cette loi, qui couvrira tous les aspects de la politique de l'eau, pourrait se définir comme la loi des quatre « D » : décentralisation, démocratie et développement durable.

« D » comme décentralisation : il me faut d'abord revenir sur la polémique née de ce que les redevances prélevées par les agences de bassin doivent d'abord être votées par le Parlement. Que n'avons-nous entendu à ce sujet : reprise en main par l'Etat, recentralisation scandaleuse, mort annoncée des comités de bassin... Mais le fait que les lois soient votées à Paris, siège du Parlement, ne saurait en soi constituer une atteinte à la décentralisation ! Elu national d'une circonscription parisienne et administrateur de l'agence Seine-Normandie, je revendique pour ma part le double droit de voter en tant que parlementaire l'assiette et le taux des redevances, de même que les orientations du VIIIe programme, et, en tant que membre du comité de bassin présidé par M. Galley, de délimiter les zones, le taux et le niveau des aides. Et, rapporteur, je ne me considère pas comme un représentant du ministère de l'environnement - encore moins de Bercy !

Pour en revenir à la décentralisation, la transcription de la directive européenne va se traduire par la création de grands districts hydrographiques mais ce ne sera pas pour nous une nouveauté, la pratique française étant depuis 37 ans celle de la gestion par bassin versant. Il s'agit donc d'étendre aux Quinze ce que l'on nomme « l'école française de l'eau », étant entendu que l'expression ne recouvre en aucun cas la délégation du service public à de grandes sociétés multinationales, comme certains voudraient le faire croire.

Décentralisation encore lorsqu'il s'agit de rendre obligatoires les SAGE, dans certaines circonstances, pour gérer l'eau au plus près du terrain.

Décentralisation toujours lorsque la loi permet aux EPTB d'être les maîtres d'ouvrage des SAGE.

Décentralisation aussi quand les communes voient croître leurs capacités d'intervention dans le domaine de l'assainissement et quand les départements voient leur rôle conforté par l'intermédiaire des SATESE.

Cependant c'est certainement dans le domaine de la gestion des cours d'eau que la décentralisation va trouver sa nouvelle expression. En particulier, l'Etat va pouvoir transférer aux départements et institutions interdépartementales non seulement la gestion mais également la propriété d'une partie de son domaine public fluvial.

Tout cela réduit à néant le procès d'intention instruit par une partie de l'opposition !

« D » comme démocratie. Celle-ci suppose le respect de plusieurs principes : participation, information, responsabilisation des citoyens usagers, transparence de la gestion et enfin, et surtout, droit égal pour tous à l'usage normal de l'eau.

Aujourd'hui l'accès à l'eau potable n'est pas garanti à tous en France. Certes, la loi dispose que « le service de distribution assure à toute personne en situation de précarité, un accès à l'eau suffisant pour assurer sa santé et son bien-être » mais la « charte solidarité-eau » qui doit aider les plus démunis à faire face à leurs factures d'eau ne fonctionne pas ou fonctionne mal. L'abandon de créance est une aumône, et non un véritable droit à l'eau qui ne peut que prendre la forme d'une aide permanente relevant de la solidarité nationale et bénéficiant à tous les titulaires de la CMU. Cette aide couvrirait une partie de la facture d'eau grâce à une taxe prélevée pour moitié sur les factures de tous les usagers et pour l'autre moitié sur les services de distribution, sans possibilité pour eux de la répercuter sur les prix.

Monsieur le ministre, ce débat est aujourd'hui ouvert. Sachez que nos choix sont attendus avec impatience et anxiété par les associations d'aide aux plus démunis.

Pensons également à tous ceux qui ne sont pas reliés à des adductions d'eau potable car le coût du raccordement serait insupportable en raison de la dispersion de l'habitat et des contraintes géographiques. Ainsi, comme je l'ai constaté, en Basse Ardèche à l'invitation de notre collègue Stéphane Alaize, seule la solidarité nationale, à travers le FNSE, peut subvenir à de telles dépenses.

Si la transcription de la directive ne change pas les habitudes françaises de gestion, elle crée en revanche une nouvelle obligation, celle de consulter le public pendant 6 mois avant la révision des SDAGE.

Il y a démocratie et transparence lorsque la loi rend obligatoire l'information et la consultation de la commission consultative des usagers sur toutes les questions portant sur l'organisation des services, leur prix et leur qualité.

Il y a transparence quand elle favorise le retour à la régie ou limite la durée des contrats d'affermage sans remettre toutefois en cause les durées d'amortissement des investissements lourds, ou encore quand elle oblige les délégataires à rembourser en fin de contrat les sommes provisionnées qui n'auraient pas été utilisées.

Il y a responsabilisation des collectivités territoriales lorsque la loi en fait les seules redevables de la redevance de pollution, à charge pour elles de se doter de moyens d'assainissement efficaces.

Il y a responsabilisation des usagers quand on oblige à équiper tous les nouveaux appartements de compteurs individuels.

Il y a responsabilisation des agriculteurs quand on ne taxe les engrais que sur leur part excédentaire, réservant largement la possibilité d'une gestion raisonnée.

Enfin, cette loi est une loi de démocratie et de responsabilité par la possibilité qu'elle offre aux usagers de contractualiser entre eux pour des programmes de gestion quantitative qui leur permettront de payer l'eau moins chère.

D'autre part, face à un marché oligopolistique - sinon à un duopole -, il faut qu'une autorité réelle et incontestable contrôle les contrats de délégation de service public et apporte tous les éléments d'information nécessaires à un dialogue plus équilibré. Tel est le rôle prévu pour le Haut Conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement - mais je suis persuadé que ce rôle peut encore être renforcé.

« D » comme développement durable : dès son article premier, la loi pose le problème de la récupération des coûts des services liés à l'eau. Cette notion fait évidemment référence au principe pollueur-payeur. Toute activité humaine est source de pollutions qui doivent trouver leur contrepartie : installation de moyens de dépollution, paiement d'une taxe, recours à des méthodes de culture et d'élevage moins polluantes, application de périmètres de protection autour des captages... Plusieurs articles de la loi font ainsi référence à des servitudes d'utilité publique, et la commission de la production a repris dans un article additionnel les propositions du rapport de M. Fleury.

Nous avons déjà noté la possibilité offerte aux usagers de contractualiser entre eux pour des programmes de gestion quantitative qui garantissent en période d'étiage un bon fonctionnement du milieu et une réalimentation suffisante des nappes. Il faut voir là la volonté de garantir la pérennité des activités ainsi qu'un équilibre écologique satisfaisant.

Il en est de même avec les redevances nouvelles pour modification du régime des eaux. Là encore, il s'agit d'inciter sans compromettre les activités économiques. La redevance pour imperméabilisation sera ainsi affectée d'un coefficient qui permettra de prendre en compte les équipements de rétention d'eau. Quant aux zones de stockage d'eau, collectée en période de pluie et réutilisée en période d'étiage elles ne seront taxées qu'à partir de 500 000 m3.

La nouvelle loi ne vise pas à créer de nouveaux impôts afin de taxer tout et tous, y compris ceux qui font de réels efforts, mais elle doit réprimer les abus. Si le principe pollueur-payeur doit être fortement réaffirmé, il ne peut être séparé de son corollaire, qui est le principe non pollueur-non payeur.

Il faut que les agences de l'eau puissent réellement contrôler les déclarations sur lesquelles seront assises les redevances et il faut renforcer les moyens des la police de l'eau. Sur ce sujet, des progrès peuvent encore être faits.

Cette loi est une loi d'intérêt général. Décentralisation, démocratie et développement durable en sont les maîtres mots. Ce texte est-il parfait ? Certes non et le travail que nous commençons devra l'améliorer.

Pour Saint-Exupéry, « la terre sur laquelle nous vivons n'est pas un héritage de nos parents mais un prêt que nous font nos enfants ». Sachons donc nous montrer dignes de ce qu'ils attendent de nous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Tavernier, rapporteur pour avis de la commission des finances pour les titres II et III - Transparence, démocratie, solidarité... tels sont les trois principes qui fondent ce projet visant à compléter et à actualiser les deux grandes lois de 1964 et de 1992. Celles-ci avaient en effet donné à la politique de l'eau un cadre juridique particulièrement novateur, mais qui s'est révélé à l'expérience insuffisant.

Longtemps perçue comme un don du ciel disponible sans limitation, coulant librement aux fontaines de nos villes et villages, l'eau apparaît aujourd'hui comme un bien mesuré et menacé. L'eau de source est rarement potable et les poissons éprouvent des difficultés à survivre dans les rivières. Il convenait donc que le Parlement légifère afin de protéger un bien collectif, essentiel à la vie des hommes, mais soumis à une pollution dramatique.

Mais l'eau est aussi un enjeu économique, financier et politique considérable. Chaque année, les dépenses dans le domaine de l'eau et de l'assainissement s'élèvent à plus de 15 milliards 250 millions d'euros : autant que pour l'ensemble du réseau routier. Les dépenses d'investissement approchent les 4 600 millions d'euros. Le coût de renouvellement de ce patrimoine est estimée à près de 200 milliards d'euros, soit 3 200 euros pour chaque Français.

La consommation moyenne d'un ménage, évaluée à 120 m3, représente un coût annuel moyen de 312 euros, ce qui met le prix du litre d'eau à 0,26 centime d'euro.

Est-il scandaleux qu'une famille dépense, en moyenne, un peu moins d'un euro par jour pour sa consommation d'eau et pour ses besoins en assainissement ? Un litre d'eau pompé, transporté, stocké, livré à domicile, traité après usage, revient environ 80 fois moins cher qu'un litre d'eau en bouteille et quatre cent fois moins qu'un litre d'essence.

En réalité, ce qui fait problème n'est pas seulement le montant de la facture, mais sa forte augmentation au cours des dernières années et la légitimité de cette augmentation. La jungle des prix de l'eau et l'opacité qui entoure sa gestion ont fait naître une très forte exigence de transparence et d'équité. La mission d'évaluation et de contrôle de notre assemblée s'est saisie de ce dossier en février-mars 2001. Son rapport et les propositions adoptées par la commission des finances rejoignent très largement les préoccupations qui s'inscrivent au travers du titre II.

L'exigence de transparence est d'autant plus forte que plusieurs scandales ont conduit à mettre en jeu la responsabilité pénale des maires et des groupes industriels avec lesquels ils traitent. « Quand l'eau finance les médias », titrait récemment un journal du soir. Le fait a été démenti mais il reste que la gestion de l'eau a permis la constitution des deux plus grands groupes industriels français. Les bénéfices ainsi engrangés leur ont même permis de diversifier leurs activités et de partir à la conquête du monde !

Il est donc légitime que le consommateur s'interroge sur la relation qui peut être établie entre la facture qui lui est présentée et le service qui lui est rendu ...

M. Jean-Pierre Brard - Et sur celui qu'il rend à M. Messier !

M. le Rapporteur pour avis - L'eau appartient à la nation et depuis la Révolution française, la responsabilité de la distribution en eau potable incombe au maire. Depuis la loi du 3 janvier 1992, c'est également la commune qui est chargée de l'évaluation et du traitement des eaux usés. Le maire est responsable de la qualité du service et des tarifs. A tous égards, l'eau constitue donc un enjeu majeur de la démocratie locale. Chaque année, le maire est tenu de présenter un rapport sur la gestion du service public de l'eau et de faire voter un budget afférent. Or le décalage entre ces principes républicains et la réalité est saisissant : la maîtrise du service par les élus reste à démontrer ; l'information de l'usager reste à inventer ! L'opacité des méthodes de gestion des sociétés concessionnaires ou fermières est unanimement dénoncée. Constituant un véritable oligopole, elles échappent - comme l'a révélé la MEC - à la concurrence. Dans son rapport public de 1997, la Cour des comptes a dénoncé le manque de clarté de leurs pratiques et l'insuffisance des contrôles qui s'exercent à leur endroit.

Pour améliorer la situation, le texte prévoit la création d'un Haut Conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement ; il doit concourir à renforcer l'information des usagers comme des collectivités et il y a donc tout lieu de s'en féliciter. Parallèlement, le droit de chacun d'accéder à la ressource pour la couverture de ses besoins vitaux est affirmé. Il est donc proposé de mettre fin aux coupures brutales et aux mécanismes de cautionnement par trop contraignants. Ces mesures de solidarité vont dans le bon sens, de même du reste que l'ensemble des dispositions de ce titre auxquelles la commission des finances reproche simplement une certaine frilosité. Sous réserve de l'adoption des amendements qui tendent à l'améliorer, elle a donc émis un avis favorable à son adoption.

Le titre III, également soumis à la sagacité de la commission des finances, est le plus attendu et le plus critiqué. Son intitulé est du reste trompeur car il ne réforme pas les agences de l'eau, lesquelles ont démontré leur efficacité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL). Il n'est donc pas question de les mettre en cause. Seules quelques évolutions relativement mineures sont proposées. Désormais, les programmes pluriannuels des agences seront soumis au vote du Parlement.

En revanche, le projet modifie profondément les redevances qui constituent la principale ressource des agences de l'eau. Aujourd'hui, celles-ci perçoivent essentiellement deux redevances, fixées selon des modalités très variables d'une agence à l'autre. Le texte propose de les remplacer par cinq redevances portant sur la pollution de l'eau, le réseau de collecte, l'excédent d'azote, la consommation d'eau et la modification du régime des eaux.

En précisant les règles que devront observer les agences pour fixer les taux de chacune de ces taxes, le projet entend mieux faire respecter le principe pollueur-payeur. En effet, dans le système actuel, les ménages paient l'essentiel de la redevance. Les activités agricoles, dont les conséquences peuvent être catastrophiques pour l'environnement, ne participent que très faiblement.

Le calcul des assiettes et l'établissement des taux des cinq nouvelles taxes seront encadrés par la loi.

La seule véritable innovation du texte porte sur la création d'une redevance pour excédent d'azote. Les difficultés rencontrées pour définir et arrêter cette taxe explique le temps exagérément long d'incubation du projet de loi.

Cette taxe répond à une exigence européenne et, surtout, à la nécessité de mettre un terme à la pollution des nappes phréatiques et des rivières par les nitrates d'origine agricole. Seuls seront taxés les nitrates non absorbés par les plantes. L'objectif de la loi est donc essentiellement pédagogique et préventif. Le but ultime du projet est que la taxe soit sans objet, les agriculteurs n'utilisant que les quantités nécessaires à leurs productions.

La fiscalité écologique sur le secteur agricole est de loin la plus sensible, même si son rendement, de l'ordre de 46 à 53 millions d'euros, ne sera pas très élevé Aux données techniques et économiques s'ajoutent des considérations psychologiques et politiques. Les motions de procédure seront à cet égard éclairantes. Comment aborder un tel dossier avec sérénité ?

Il est vrai que notre agriculture est engagée dans une course effrénée à la production (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR) qui entraîne une sur-consommation d'engrais et de pesticides.

Certes, notre agriculture est l'une des plus performantes au monde et elle contribue fortement à l'équilibre de notre balance commerciale (« Il fallait commencer par là ! » sur les bancs du groupe du RPR). Mais si nous sommes le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, nous sommes aussi le deuxième utilisateur d'engrais et si les performances techniques et économiques sont remarquables, le coût pour l'environnement et les dangers pour la santé sont tout aussi inquiétants.

La course aux rendements conduit l'agriculture à dépenser toujours plus d'argent pour produire. Il en résulte une situation de surproduction qui entraîne une baisse des prix. Pour assurer ses dépenses de production et maintenir son revenu, l'agriculteur doit produire encore davantage. Ainsi entre 1960 et 1994, la consommation française d'engrais chimiques a doublé et celle des phytosanitaires a été multipliée par huit, cependant que la production agricole triplait.

Les agriculteurs apparaissent autant comme les victimes que comme les acteurs d'une politique ignorante de ses conséquences environnementales.

C'est dans ce contexte que doit être appréhendée la redevance sur les excédents azotés qui vise seulement à réduire les pratiques nuisibles à l'intérêt général. Elle devrait accompagner une réorientation de la politique agricole commune vers l'objectif d'un développement plus durable.

Telles sont les observations qu'il m'appartenait de formuler, au nom de la commission des finances, sur les titres II et III du projet de loi portant réforme de la politique de l'eau. Ceux-ci ont fait l'objet d'un avis globalement favorable, sous réserve des amendements que je soumettrai à notre assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-François Mattei et des membres du groupe DL une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91-4 du Règlement.

M. Marc Laffineur - La discussion sur le projet de loi sur l'eau qui débute aujourd'hui est assez virtuelle car chacun sait qu'elle n'ira pas à son terme ; tellement virtuelle d'ailleurs qu'elle a bien failli ne pas avoir lieu compte tenu des querelles internes de la majorité, lesquelles se sont finalement soldées par un arbitrage du Premier ministre. Cela signifie bien que le contenu politique de ce texte dépasse largement sa portée juridique. Ce qui compte n'est pas tant ce qu'il contient que les images qu'il veut véhiculer : celle d'un Gouvernement qui veut donner l'impression qu'il est soucieux d'écologie, celle d'un Premier ministre qui travaille jusqu'au bout malgré sa probable candidature aux élections présidentielles, celle, enfin, d'un tandem Voynet-Cochet qui tente désespérément de présenter un bilan positif après cinq années chaotiques.

Cinq années qui n'auront pas suffi à faire émerger une grande loi écologique. Cinq années ponctuées par des arbitrages gouvernementaux rendus systématiquement à l'encontre de votre ministère, Monsieur Cochet. On retiendra à ce titre l'autorisation de mise en culture du maïs transgénique, la baisse des taxes sur le gazole, la reprise des transports des déchets nucléaires et, surtout, les déboires de la TGAP, pour partie annulée par le Conseil constitutionnel et, pour le reste, finançant les 35 heures. Cinq années d'une gestion pointée du doigt par la Cour des comptes qui dénonce l'opacité des comptes de votre ministère et la sous-consommation chronique des crédits qui lui sont affectés. Le bilan du ministre de l'environnement est donc bien maigre ! Et exceptés l'abandon du projet du canal Rhin-Rhône et la fermeture de Superphénix, les mesures écologistes sont plutôt rares (« Ce n'est pas le sujet ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Aux projets avortés s'ajoutent ceux qui ne verront jamais le jour : ainsi en est-il de la grande loi sur la transparence du nucléaire. Alors que l'écologie est en France une préoccupation partagée par tous... (Murmures sur les bancs du groupe communiste) vous n'avez réussi qu'à susciter la division partout où vous êtes passé, sans pour autant mener à bien les ambitions que vous vous étiez fixées. Ainsi en va-t-il du projet de loi sur la chasse, qui non seulement vous a valu les foudres des chasseurs, mais qui doit faire l'objet de rectifications continuelles par décrets pour devenir applicable et conforme au droit européen.

Aujourd'hui, soucieux de solder votre bilan, vous entamez une course contre la montre pour présenter avant votre départ un texte emblématique de votre action et de la puissance que vous aviez voulu incarner. Las, ce texte fait l'unanimité contre lui ! Tous le dénoncent : les organisations professionnelles agricoles - réunies au sein du Conseil de l'agriculture française, les grandes entreprises françaises de distribution d'eau...

M. Jean-Pierre Brard - Parbleu !

M. Marc Laffineur - Vous devriez comme moi être fier de leur existence, ne serait-ce que parce qu'elles ont créé des dizaines de milliers d'emplois. Mais les adversaires de ce texte figurent d'abord dans les rangs de votre majorité ! La pression exercée par vos alliés socialistes pour qu'il ne soit pas présenté au Parlement avant les élections a bien failli l'emporter et je ne m'attarderai pas sur la levée de boucliers de vos troupes au sujet de la réforme recentralisatrice des agences de bassin. L'opposition à ce projet était telle que le Gouvernement et les socialistes l'ont contrecarré par voie d'amendements à la loi de finances, introduisant un contrôle du Parlement sur les agences de l'eau. Or cette mesure, entrée en vigueur le 1er janvier 2002, vide de sa substance l'essentiel du projet de loi !

M. le Rapporteur - Mais elle a été retirée ! Il faut suivre !

M. Marc Laffineur - Un de vos anciens collègues, de votre groupe, ne dénonçait-il pas d'ailleurs un texte vidé de son ambition ? Il s'agit bien en effet d'un projet de loi rétréci comme une peau de chagrin après trois longues années de tractations et dix-sept versions successives (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), d'un texte essentiellement destiné à réconcilier les composantes de la majorité plurielle. Il n'y parvient du reste que maladroitement puisqu'il ne sert ni les revendications jusqu'au-boutistes des écologistes les plus fervents, ni les intérêts des agriculteurs, qui, pour la plupart, se sont déjà engagés dans des démarches volontaires de réduction de leurs pollutions. Comme à votre habitude, vous stigmatisez une catégorie de la population française sans chercher à mettre en _uvre des solutions conformes à l'intérêt général.

Le projet de loi que vous nous présentez ne traite en rien du sujet fondamental de la qualité des ressources et se borne à des considérations étroitement techniques. Par exemple, vous ne cherchez pas à aider les agriculteurs à polluer moins, ce qui est pourtant la seule solution pour qu'ils continuent à produire et contribuent au développement économique de régions comme la Bretagne.

L'eau est aujourd'hui un enjeu majeur. Les Français ont de moins en moins confiance dans sa qualité, sentiment que justifie le dépassement fréquent des normes. Selon l'Institut français de l'environnement qui a effectué 700 000 analyses, 94 % des cours d'eau sont pollués par des pesticides.

Une étude du fonds mondial de la nature laisse entendre que nous pourrions avoir atteint un point de non-retour en raison de la quantité élevée de nitrates et de pesticides dans l'eau, et la France est souvent condamnée sur ce problème.

Les Français accepteraient de payer l'eau plus cher, pour assurer sa qualité, s'ils avaient la garantie d'une gestion transparente. Cela suppose une facture compréhensible et un comptage individualisé de la consommation.

M. Pierre Ducout - C'est justement prévu.

M. Marc Laffineur - Je m'occupe de la distribution d'eau dans une agglomération de 260 000 habitants, je connais le sujet. Je n'ai d'ailleurs pas dit que dans le texte tout était mauvais, loin de là (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Malheureusement ni sa philosophie générale ni maintes de ses dispositions ne sont à la hauteur de ce qu'on attendrait.

La transparence, c'est aussi celle de la gestion par les agences et les maîtres d'ouvrage et des prélèvements opérés par l'Etat. Le consommateur doit connaître le coût réel du service. Le texte ne comporte rien à ce sujet et le rapport de M. Tavernier sur le prix de l'eau reste lettre morte.

Ce texte manque cruellement d'ambition politique, ne crée aucune dynamique nouvelle, ne réforme rien en profondeur. Il se réduit à un simple effet d'annonce quelques mois avant les élections. Elaboré dans la confusion, incohérent, il est inconstitutionnel sur bien des points : autonomie des collectivités locales, liberté d'entreprendre, égalité, responsabilité individuelle, autant de principes constitutionnels bafoués.

Surtout, Monsieur le ministre, vous célébrez curieusement le vingtième anniversaire des lois de décentralisation, en présentant un texte profondément jacobin, quoique vous en disiez.

Aujourd'hui, les agences de l'eau peuvent faire varier les redevances en fonction des conditions locales ; vous opérez une véritable nationalisation de l'eau en transférant au Parlement la fixation des assiettes et des taux de référence et la détermination des priorités nationales des agences, qui perdent toute autonomie. Notre système de gestion, admiré en Europe, a pourtant servi de modèle pour la directive cadre sur la gestion des ressources en eau. En total désaccord avec celle-ci, vous recentralisez à l'extrême.

Pourtant, les pouvoirs publics n'ont jamais obtenu de résultats probants dans la reconquête de l'eau, comme le soulignent les rapports du Commissariat général au plan et de la chambre régionale des comptes de Bretagne. Selon les experts, la politique de l'Etat manque de cohérence et, au regard des investissements considérables consentis pour lutter contre la pollution, l'amélioration est infime. Par exemple faudra-t-il passer par la loi pour modifier le traitement des boues ? Confier l'autorité sur les districts à un préfet plutôt qu'à un élu ou un responsable de bassin est aussi un choix politique. Le Gouvernement prétend avoir une approche décentralisée et européenne. Son texte est à l'opposé.

Pour justifier cet encadrement législatif, vous invoquez le principe « pollueur-payeur ». Les professionnels de l'agriculture sont désormais unanimes à en reconnaître la nécessité. Créer une redevance pour excédent d'azote est pertinent, mais les modalités d'application de cette mesure vont à l'encontre du principe « non pollueur-non payeur » : les agriculteurs respectant de bonnes pratiques paieront la redevance comme les autres. De plus aucun lissage de la taxe n'est prévu en cas d'aléas climatiques ou de crise sanitaire.

M. François Sauvadet - Voilà un point important.

M. Pierre Ducout - On a voté une mesure en commission !

M. Marc Laffineur - C'est toute une profession que vous sanctionnez et non un comportement dommageable. Vous faites supporter une charge nouvelle à l'agriculture française dans un contexte de crise et de concurrence exacerbée (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

Votre application du principe « polleur-payeur » est contraire à la directive européenne, laquelle permet une adaptation aux réalités de chaque district et prend en compte de nombreux facteurs. Vous, vous fixez une assiette de redevance identique dans tous les bassins et vous taxez de la même façon l'utilisation industrielle, agricole ou domestique de l'eau. Or l'égalité de traitement implique de traiter différemment des situations différentes. Les agriculteurs devront payer 100 millions d'euros de plus qu'aujourd'hui pour l'eau d'irrigation. Vous taxez un facteur de production, non un comportement, au risque de déstabiliser des filières entières. Vous ne prenez d'ailleurs pas en compte la spécificité de certaines formes d'irrigation ni la restitution de l'eau au milieu. Les usagers étant tous traités de la même manière, le prix de l'eau est uniformisé sur tout le territoire.

Pour me résumer, les agriculteurs devront payer l'eau plus cher, payer la redevance sur l'excédent d'azote et aussi la taxe générale sur les activités polluantes. Si vous aviez voulu punir toute une profession, vous ne vous y seriez pas pris autrement. Dans la même logique de sanction, vous donnez au préfet le pouvoir d'instaurer des servitudes publiques sur les terrains agricoles en bordure de cours d'eau et d'interdire certaines pratiques agricoles.

M. Pierre Ducout - Mais la commission a modifié cela !

M. Marc Laffineur - Je m'adresse au ministre, sur le texte du Gouvernement. Prévenir les inondations est louable. Mais ne vaut-il pas mieux le faire par la concertation que dans l'arbitraire ? Et qu'en est-il de l'indemnisation du préjudice lié à ces servitudes, par exemple pour les exploitants en faire-valoir direct ? Votre projet ne le dit pas.

Le monde agricole a pris conscience de la nécessité de préserver la ressource en eau. Au lieu de l'aider à évoluer vers de bonnes pratiques et vers une gestion collective de l'eau, ce projet ne fait que réglementer, contraindre, sanctionner.

Vous préférez rendre plus complexe la réglementation, et vous vous obstinez à taxer. Ce faisant, vous refusez de vous attaquer aux causes du mal, et de dire que la qualité de l'eau ne s'améliorera pas aussi longtemps que les pratiques ne se modifieront pas.

M. le Ministre - C'est pourtant exactement ce que j'avais cru dire !

M. Marc Laffineur - Un autre motif d'irrecevabilité tient à la rupture d'égalité devant les charges publiques introduite par le texte selon le mode de gestion. Le Conseil d'Etat n'a-t-il pas jugé, le 8 novembre 2000, que la distorsion de concurrence ainsi établie faisait peser une charge indue sur les usagers de l'eau produite en gestion déléguée ?

On constate par ailleurs une violation flagrante du principe de libre administration des communes, le projet prévoyant la limitation de la durée des concessions.

M. le Rapporteur - Avez-vous lu le texte ?

M. Marc Laffineur - Cette contrainte privera les agglomérations de la maîtrise du risque et freinera l'investissement privé. Dans le même temps, les usagers devront supporter des charges plus fortes, car non étalées. Le Conseil économique et social avait d'ailleurs formulé, le 15 novembre 2000, un avis défavorable sur la limitation arbitraire de la durée des contrats, soulignant qu'une telle mesure aurait pour conséquences d'augmenter les prix tout en diminuant les prises de risque et la recherche de gain de productivité. Quant au Conseil de la concurrence, il exprimait l'avis, le 31 mai 2000, qu'une durée trop courte aurait des effets néfastes sur la concurrence, le délégataire sortant étant outrageusement favorisé, au détriment de sociétés concurrentes qui auraient le plus grand mal à présenter des offres acceptables. Et le texte ne traite ni du mode de gestion du renouvellement des installations, ni de la répartition des responsabilités entre gestionnaire et délégataire... On ajoutera que pour traiter efficacement de la sécurité - notamment alimentaire - l'opérateur doit maîtriser l'ensemble de la chaîne de production, ce qui suppose de réduire le nombre des intervenants au minimum.

L'atteinte aux prérogatives des collectivités locales est une fois encore manifeste lorsque le texte crée un Haut Conseil des services publics de l'eau, doté de pouvoirs de contrôle allant jusqu'au contrôle sur pièces. Qu'est-ce d'autre qu'une tutelle ?

Et l'autonomie des collectivités locales est une nouvelle fois mise à mal par l'interdiction qui leur est faite de procéder à des coupures d'eau. Certes, nul ne saurait priver d'eau les plus démunis (« Ah ! »sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV), mais ce n'est bien sûr pas de cela qu'il s'agit puisque mon département en tout cas et bien d'autres, je suppose, ont déjà mis au point des dispositifs d'aide à ceux, de bonne foi, qui ne peuvent pas payer l'eau. Ceux-là ne sont pas visés par les coupures d'eau, pratique dissuasive qui tend à mener les payeurs à résipiscence. Interdire les coupures d'eau, c'est déresponsabiliser les citoyens et faire peser une menace sur la gestion de l'eau. C'est, surtout, comme je l'ai dit, porter une nouvelle fois atteinte au principe de la libre administration des communes.

Violation de ce principe et de celui de la liberté d'entreprendre, violation du principe d'égalité devant les charges publiques, atteinte au principe de la responsabilité individuelle... Devant ce florilège, les incohérences et les inconstitutionnalités flagrantes d'un texte sous-tendu par une philosophie centralisatrice et jacobine, je vous demande, chers collègues, de voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Rapporteur - Nous avons entendu parler de tout et de n'importe quoi, les sujets les plus divers ayant été abordés. Mais, curieusement, notre collègue n'a commencé à parler d'inconstitutionnalité qu'en abordant le chapitre des redevances, qui vise précisément à écarter tout risque de ce genre !

Je rappelle d'autre part qu'il existe déjà un préfet coordonateur de bassin : rien n'est donc changé.

Comment, encore, expliquer que les rivières sont polluées par les nitrates et les pesticides et accuser en même temps le Gouvernement de jeter l'opprobre sur une profession. Il n'y a rien d'inconstitutionnel à affirmer que chacun doit prendre sa part de l'effort commun et à dire, aussi, que ceux qui ne pollueront pas ne payeront pas !

Si incohérences il y a, elles sont dans votre intervention, non dans un texte dont je me suis demandé parfois si vous l'aviez lu. Nous sommes tous attachés au principe de la libre administration des communes, mais je rappelle que c'est dans cette enceinte que la loi s'élabore. D'ailleurs, qui peut vraiment s'indigner qu'un Haut conseil des services de l'eau et de l'assainissement contrôle les marchés passés par de petites communes dont on sait qu'elles sont souvent démunies des moyens techniques nécessaires à une juste appréciation des propositions qui leur sont faites ? Cela me semble, au contraire, la moindre des choses ! C'est un droit qui est ainsi donné aux usagers ; où, donc, est l'inconstitutionnalité si fort dénoncée ?

M. Jean Launay - Je constate, après notre rapporteur, que M. Laffineur n'a pas démontré l'inconstitutionnalité d'un texte... qui n'a rien d'inconstitutionnel. Je rappelle aussi à notre collègue que le travail parlementaire commence en commission, ce dont il aurait dû tenir compte dans son exposé. Il aurait ainsi contribué à la revalorisation du Parlement que nous appelons tous de nos v_ux. Qu'il veuille bien se persuader, d'autre part, que l'opposition n'a pas le monopole de la défense des agriculteurs. A dire vrai, ce n'est pas une bonne idée d'en faire des victimes, alors que nous souhaitons qu'ils soient les partenaires de la préservation de l'environnement.

Notre rapporteur l'a dit : il existe déjà un préfet coordonnateur des bassins ; ce n'est donc pas chose nouvelle ! Et n'attendons pas de l'Etat qu'il soit garant de la cohérence des politiques menées ?

La principale controverse porte sur la fiscalité. Elle sera réglée par le futur article L. 213-8 du code de l'environnement. Et il n'y a pas davantage d'inconstitutionnalité dans le titre I du projet que dans le titre II, qui apporte au contraire un progrès réel en posant le caractère industriel et commercial de la distribution d'eau.

Par ailleurs, le caractère local des services publics les fait échapper à la nationalisation, que le préambule de la Constitution de 1946 pose en principe pour les seuls services publics nationaux ou monopoles de fait.

Le Haut Conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement sera sans doute une autorité administrative indépendante, mais à un moindre degré que l'Autorité de régulation des télécommunications ou la Commission de régulation de l'électricité. Le problème de l'inconstitutionnalité ne se pose donc pas. Vous avez enfin évoqué l'égalité des citoyens devant les charges publiques à propos de la réforme des agences de l'eau. Si la redevance azote présente une singularité, le principe d'égalité n'interdit pas d'établir des règles différentes à l'égard de personnes placées dans des situations différentes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Micaux - Le groupe UDF votera cette exception d'irrecevabilité, pour des raisons que je ne détaillerai pas puisque nous allons examiner la question préalable présentée par notre collègue Claude Gaillard. L'objectif de la majorité plurielle se limite à un effet d'annonce : il fallait absolument présenter avant les élections un projet que Mme Voynet reconnaîtrait d'ailleurs difficilement comme son enfant. La démarche est démagogique et électoraliste. Ainsi supprime-t-on le forfait de base ou annule-t-on la dette de ceux qui ne veulent pas payer, ces professionnels du non-paiement que nous connaissons bien (« Chirac ! » sur les bancs du groupe socialiste). Nous dénonçons tout autant l'esprit technocratique de cette loi, qui crée par exemple un nouveau Conseil : merci pour le contribuable.

Nous parlons de principe pollueur-payeur. Renversons donc le raisonnement : ceux qui investissent pour ne pas polluer devraient être encouragés. Mais vous ne songez qu'à désigner des coupables (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Marcelle Ramonet - Il aurait mieux valu dresser un état des lieux technique et économique de la politique de l'eau et élaborer une nouvelle réglementation visant à juguler les points noirs. Cette nouvelle loi aurait ainsi permis de résoudre les vrais problèmes au lieu de remettre en cause une politique de l'eau qui a aujourd'hui valeur de modèle (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Serge Poignant - Le groupe RPR votera cette exception d'irrecevabilité. Ce projet de loi porte atteinte à l'autonomie des agences de bassin. Plutôt que d'aborder l'agriculture sous le seul angle du principe pollueur-payeur, il faudrait revoir l'ensemble de la fiscalité agricole et rappeler les efforts des agriculteurs dans le bon sens. Nos collègues verts vont déposer des amendements excessifs que nos collègues socialistes atténueront, tout cela pour déboucher sur une usine à gaz (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

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QUESTION PRÉALABLE

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, de notre Règlement.

M. Claude Gaillard - Ce projet de loi se fait attendre depuis plusieurs années. Nous attendions donc une grande loi sur l'eau.

M. le Ministre - Vous l'avez !

M. Claude Gaillard - Annoncé par Dominique Voynet, reporté à chaque session, défini dans ses grandes lignes dès mai 1998, il n'a été adopté par le conseil des ministres qu'en juin 2001. Entre temps, plusieurs rapports avaient été produits par le Commissariat général au plan, le Conseil économique et social ou la mission d'évaluation et de contrôle, suivant une technique éprouvée du Gouvernement : laisser mûrir pour certains, enterrer pour d'autres, les sujets qui fâchent ou divisent la majorité plurielle. Voyez le cas d'école des retraites...

M. Jean-Pierre Brard - Quel est le rapport ?

M. Claude Gaillard - La méthode est la même. Pourquoi le Gouvernement attend-il les dernières semaines de la législature pour présenter un texte aussi important ? Ce texte arrive trop tard. Il s'agit donc d'un simple coup politique, du fruit d'une négociation partisane entre Dominique Voynet et le Premier ministre. Mais les problèmes de fond sont laissés de côté.

M. François Sauvadet - Très bien !

M. Claude Gaillard - Il ne s'agit que de donner des gages électoraux aux Verts. D'autres ne sont pas moins sévères que moi, le président du groupe communiste, pour qui ce texte ne fera pas date, le président du groupe RCV, qui n'y voit qu'effet d'annonce et mystification... Quant à notre ami Noël Mamère, il parle de hochet et affirme que nous nageons dans le virtuel : il n'y aura pas de loi, nous nous contenterons d'amuser la galerie pendant quatre jours. Mes propos sont donc modérés !

Ce texte visait à l'origine à transposer une directive-cadre et à assurer la constitutionnalité des redevances de 1964. Autre objectif au moins pour certains, puiser dans les recettes des agences pour alimenter le budget de l'Etat...

Rappelons l'incapacité du Gouvernement à transposer les directives dans les délais normaux. La directive du 23 octobre 2000 détermine les grandes lignes de la gestion des ressources en eau, les Etats membres restant libres des moyens pour parvenir à un bon équilibre écologique d'ici 2010. Son approche par objectifs de qualité est intelligente. Le principe retenu est celui d'une gestion intégrée des ressources par bassin hydrographique, même lorsque ceux-ci sont transfrontaliers. Sur la base de la délimitation de ces bassins, les Etats membres élaboreront des plans de gestion et récupéreront les coûts de tous les services liés à l'usage de l'eau en agissant sur les prix ou en percevant des redevances sur les usagers. Ce mode de gestion globale s'inspire du système français. La directive se substituera, d'ici sept à treize ans, aux sept existantes.

S'agissant des problèmes de constitutionnalité, les redevances existent depuis près de quarante ans et leur inconstitutionnalité est connue depuis bientôt vingt ans sans qu'aucune menace juridique pèse sur elles.

Depuis 1982, la gauche a détenu le pouvoir pendant quinze ans : il y aurait tout à coup urgence ? La directive européenne calquée sur le modèle français propose que les principes de base de gestion de l'eau remontent à l'échelle des bassins versants.

Nous nous trouvons dans une situation paradoxale : au moment de transposer cette directive, notre pays est condamné par les tribunaux français et européens pour défaut de la qualité de son eau. Cette situation est fâcheuse, alors que le modèle français est considéré comme le meilleur en Europe et que le prix de l'eau en France est l'un des plus bas. Dans ce contexte, le projet ne traite pas des problèmes fondamentaux, à commencer par celui de la qualité des ressources.

La réforme des agences de bassin se limite à transformer en un impôt ce qui relève d'un système mutualiste. Entre l'application pure et dure du principe pollueur-payeur et l'intégration d'une pondération mutualiste, un débat permettrait de mesurer les effets de l'une et de l'autre. Mais imposer un dogme est plus facile que d'organiser un débat.

La création des agences de l'eau en 1964 tendait à organiser une concertation entre les usagers de l'eau de façon à ce qu'ils prennent conscience de la solidarité physique qui les lie et acceptent de la prolonger par une solidarité financière. Un débat serein a permis d'éviter une guerre de religion sur l'eau et d'obtenir le consensus sur un texte qui intéresse tous nos concitoyens. La qualité de l'eau est de plus en plus un sujet d'actualité, que vous réduisez à l'actualité électorale. Vous avez choisi d'éviter l'éclatement de votre majorité plurielle plutôt que de répondre à des questions de fond. Souvenez-vous de l'amendement présenté par Henri Emmanuelli, président de la commission des finances, lors du dernier collectif : il ficelait complètement les redevances, en divisant du reste par deux les recettes, alors que vous étiez précisément en train de négocier l'acceptation de ce projet sur l'eau. Cela ne fait-il pas un peu désordre ?

M. Jean-Pierre Brard - C'est la diversité !

M. Claude Gaillard - Il est vrai que nous avons aussi les nôtres.

Votre texte est donc ambigu, dogmatique et dépourvu d'ambition.

Pourtant les problèmes à résoudre sont nombreux, par exemple la perte de confiance des Français dans la qualité de l'eau du robinet - ils seraient prêts à payer davantage pour la garantir. De fait les normes de potabilité sont dépassées dans de nombreuses communes et les traces de pesticides sont fréquentes dans l'eau du robinet. Les Français estiment que le prix de l'eau est plus justifié que celui du gaz ou du téléphone, comme vous l'avez vous-même indiqué, Monsieur Tavernier.

De même, chacun convient que la qualité de la ressource se dégrade. Les eaux souterraines seront atteintes à terme par la progression inéluctable de substances déjà infiltrées dans le sol. Les dispositifs protégeant les eaux souterraines manquent de cohérence et seul un tiers des captages sont protégés. Il importerait de simplifier les procédures et de renforcer les contrôles.

M. le Rapporteur - Un amendement va dans ce sens.

M. Claude Gaillard - La France est en retard dans l'application de la directive européenne sur le traitement des eaux résiduelles urbaines, et une procédure contre notre pays est en cours. La question des boues est dans une impasse. Dans l'examen d'un budget de l'environnement, j'avais fait allusion à l'éventuelle toxicité des boues provenant des stations d'épuration et recyclées dans les épandages. La presse, à l'époque, faisait état de « vaches folles » qui n'auraient jamais ingéré de farines animales. Mais elles auraient pu consommer des produits végétaux ayant été en contact avec des boues d'épandage. A-t-on déjà fait rechercher des prions dans ces boues déshydratées - et non stérilisées ?

Si on applique strictement toutes les normes de potabilité, le milieu rural devra faire face à un prix de l'eau très élevé en raison de la dispersion de l'habitat.

M. François Sauvadet - Très juste !

M. Claude Gaillard - Cela mérite réflexion. Je continue l'inventaire des problèmes. Il y a trop d'acteurs dans le domaine de l'eau, sept ministères sont concernés. Ce projet était l'occasion de créer une nouvelle structure regroupant l'ensemble de ces acteurs, et capable de dialoguer avec les grands groupes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Sur ce point, Mme Lepage m'avait demandé un rapport... que j'ai rendu à Mme Voynet (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Elle aurait pu le lire, car être dans l'opposition ne signifie pas qu'on ait toujours tort sur tout. J'évoquais la réorganisation des grandes directions et le développement de l'ingénierie privée. Dans cette perspective, les agences de bassin auraient pu devenir des centres de compétence au service des collectivités.

M. le Rapporteur pour avis - C'est ce que nous proposons.

M. Claude Gaillard - Non ; vous avez préféré un Haut Conseil de l'eau. Si j'était méchant, je dirais : encore un « machin », centralisé, dont le véritable positionnement reste flou. Sur les inondations, c'est à la demande des trois groupes de l'opposition qu'une commission d'enquête parlementaire a été créée, intelligemment présidée par Robert Galley ; elle a rendu ses conclusions il y a plusieurs semaines. Or le projet n'en a pas tenu compte. Je rends hommage à la commission de la production, qui s'est attachée à pallier cette carence, alors que se multiplient les inondations d'origine naturelle, qui constituent le premier risque naturel en France, susceptible d'affecter plus de 2 millions de personnes et plus d'une commune sur trois. La commission a formulé des propositions pertinentes pour améliorer le système actuel de prévention et de protection, qui reste bien défaillant.

La problématique de l'eau et de la santé est riche et complexe. Ne faudrait-il pas demander aux agences de l'eau de jouer un rôle d'ensemblier de compétences, ce qui permettrait de donner accès aux connaissances non conventionnelles telles que l'évaluation des risques ou la pharmacologie. Cette problématique eau-santé fait intervenir en effet de nombreuses disciplines scientifiques. Nous pourrions ainsi intégrer les avis des experts dans la préparation du huitième programme afin de lui donner la dimension qui lui manque et de mieux informer sur les risques sanitaires.

Quatre types de polluants ont des effets sur la santé : les perturbateurs endocriniens, les substances médicamenteuses, les algues toxiques et les agents infectieux non conventionnels, sans oublier les pesticides, nitrates et phosphores. L'opinion publique s'inquiète de constater que chaque progrès semble entraîner un effet pervers. Or, le principe de précaution peut conduire au pénal, et il en résulte des attitudes d'extrême prudence. Les agences de l'eau pourraient contribuer à recréer un climat de confiance, en se saisissant de sujets émergents liés à des risques latents, nous l'avons fait dans notre bassin pour les boues urbaines. La notion paralysante de risque zéro pourrait ainsi s'effacer.

Parallèlement aux agences nationale et européenne, ne pourrait-on constituer dans chaque bassin des agences décentralisées, qui seraient des lieux de débat, d'échange et de réflexion à l'abri des clivages politiques ? Elles serviraient de relais aux instances nationales, faciliteraient les discussions avec les scientifiques et contribueraient à restaurer un climat de confiance.

Je plaide donc pour une approche globale, qui passe par une extension des compétences dévolues aux agences de l'eau.

L'école française de l'eau est largement reconnue pour sa compétence, pour les recherches qu'elle a permises, pour son organisation territoriale et pour ses grands groupes industriels. Devançant ses partenaires, notre pays a constamment été imité. Pour maintenir cet acquis, il me semblerait cependant utile de repenser notre organisation intérieure pour être plus efficace à l'extérieur. Je regrette donc que vous n'évoquiez pas dans ce projet la nécessaire évolution de l'Office international de l'eau et des structures qui y sont liées. Vous manquez là d'ambition politique !

Par ailleurs, vous proposez une mesure emblématique, l'interdiction de toute coupure d'eau, qui revient en fait à enfoncer une porte ouverte tout en recentralisant encore un peu plus. Sous couvert de bons sentiments, vous faites de la démagogie, au risque de déresponsabiliser le consommateur...

M. Marc Laffineur - Très bien !

M. Claude Gaillard - Vous refusez de couper l'eau aux personnes et aux familles en situation précaire : soit, mais il existe déjà des mécanismes de solidarité qui permettent de résoudre les cas avérés de difficultés de paiement et les professionnels de l'eau se sont engagés à maintenir aux plus démunis l'accès à l'eau. La grande majorité des industriels délégataires ont interdit à leurs services de couper l'eau aux familles en difficulté. La convention nationale « Solidarité Eau » a par ailleurs été dotée de 50 millions de francs pour éviter de telles situations et permettre à ces familles d'apurer leur dette. Enfin, en avril 2000, l'Etat, l'AMF, la FNCCR et le syndicat professionnel des distributeurs d'eau ont passé une autre convention, portant engagement de maintenir les services de l'eau et de l'assainissement aux abonnés en situation précaire. La disposition proposée ne viserait donc qu'à donner une base législative à la pratique : que ne faites-vous pour une fois confiance aux élus locaux ? En légiférant, vous donnerez raison aux mauvais payeurs et vous déresponsabiliserez les Français.

Je connais le cas d'une ambassade qui ne payait pas son eau : après des années de démarches infructueuses, cette eau a été finalement coupée. Que croyez-vous qu'il advint ? Le Quai d'Orsay s'émut, mais l'ambassade paya. On sait aussi que certains syndics tardent à régler les factures pourtant acquittées par les copropriétaires...

M. Jean-Pierre Brard - Exact !

M. Claude Gaillard - Si vous supprimez ce moyen de pression, les impayés et les fraudes vont se multiplier. N'incitez donc pas ainsi tous ceux qui résident en France à vivre en assistés ! Cette dérive qui oblige la collectivité et les entreprises, non seulement à remédier aux effets de la misère, mais aussi à pallier les défaillances des individus, est des plus dangereuses. En prenant une mesure générale, vous encouragerez les mauvais payeurs et vous découragerez ceux qui règlent leurs factures en dépit de leurs difficultés. Mieux vaudrait conserver un moyen de dissuasion et laisser une marge d'appréciation aux élus locaux, qui doivent, là aussi, assumer toute leur responsabilité.

Ce projet reste muet, d'autre part, sur ce qui touche à la qualité sanitaire de l'eau. Pourtant, la France n'a-t-elle pas été condamnée par la Cour de justice des Communautés, en mars dernier, pour non-respect des directives adoptées sur le sujet ? Les normes de potabilité ne sont pas également observées sur l'ensemble du territoire : selon un bilan établi par le ministère de la solidarité en 1995, 55 % des Français avaient reçu au moins une fois dans l'année une eau non conforme aux normes et, pour 13 %, soit 5 millions de personnes, cette situation s'était produite pendant trente jours ! Or la lutte pour la qualité de l'eau exige un travail de longue haleine, puisque des nitrates répandus voici 20 ou 30 ans sont encore décelables dans les nappes phréatiques...

Vous ne dites rien non plus des boues des stations d'épuration, dont la quantité augmente pourtant.

Transposant la directive européenne, le projet réforme notamment les outils de planification. S'agissant des SDAGE, c'est une bonne chose : à la fin de juin, on n'en comptait que sept, dont deux dans mon bassin ! Je suis également favorable aux propositions veillant à améliorer la participation du public et des acteurs institutionnels locaux à l'élaboration de ces schémas directeurs.

En matière d'assainissement, la France accuse un réel retard. Aussi peut-on s'inquiéter des dispositions visant à rationaliser les coûts dans ce domaine. L'article 14 ramène de 80 à 50 % le taux plafond de la participation des propriétaires au raccordement à l'égout : mais connaissez-vous beaucoup de conseils municipaux qui fixent cette participation à son plafond ? Pourquoi ne pas leur laisser la responsabilité de fixer le montant du raccordement en fonction de la localisation de la commune et du type d'habitat ? La mesure pèsera en fait sur l'ensemble des usagers.

Vous transférez aux départements la compétence sur les cours d'eau non domaniaux. Vous acceptez la création d'un domaine public fluvial départemental, mais vous refusez aux collectivités la responsabilité d'assurer comme elles le souhaitent le financement de l'assainissement ! Ce transfert de charges, non assorti des crédits correspondants ni de la liberté de choisir les moyens, relève d'une conception décidément bien française de la décentralisation !

S'agissant de la tarification, je partage votre souhait d'interdire les demandes de caution solidaire et les dépôts de garantie ou d'avance, mais je suis beaucoup plus réservé sur les avantages prétendus d'une facturation proportionnelle accrue. Mieux vaudrait plafonner la part fixe à 25 %, par exemple, tout en ouvrant plus largement le champ des charges qu'elle couvre. Les écologistes et les consommateurs sont favorables à une facturation entièrement proportionnelle, mais si celle-ci peut favoriser une consommation économe, elle ne peut que pénaliser les familles nombreuses - mais non les propriétaires de résidences secondaires. Par ailleurs, l'utilisation de l'eau est une question de comportement : pour enrayer sa croissance immodérée, lançons plutôt des campagnes de sensibilisation, en direction des jeunes notamment.

Au reste, la consommation a crû moins que nous ne l'envisagions il y a vingt ans. Certaines collectivités ont trop investi sur la base de prévisions erronées, et le prix du mètre cube a augmenté. Gardons-nous donc de tout dogme : ce n'est pas parce que le prix de l'essence augmente, par exemple, qu'on roule moins...

La redevance assainissement applicable aux usages non domestiques pose également des problèmes aux communes, qui ne disposent pas toujours des éléments techniques nécessaires.

J'en viens à la question - qui vous passionne, Monsieur le ministre - de la durée des contrats de service public. Cela fait bien dans le décor et on peut cogner sur un adversaire bien identifié. A lire le rapport de la MEC, les délégataires sont les grands responsables du prix élevé de l'eau et ils profitent d'un marché oligopolistique pour imposer leur diktat aux collectivités locales. Pour rendre ce marché plus concurrentiel, vous proposez de ramener la durée des contrats de délégation à dix ans. Il convient cependant de rappeler qu'il revient aux collectivités de fixer la durée de ces contrats et le cahier des charges afférent. En limitant la durée des contrats, on risque de décourager les entreprises de répondre aux appels d'offres...

M. le Rapporteur pour avis - Faites leur confiance sur ce point !

M. Claude Gaillard - Je n'en suis pas aussi sûr que vous et le Conseil de la concurrence lui-même a envisagé le risque d'appels d'offres infructueux. Il n'est pas forcément non plus dans l'intérêt du consommateur que les contrats soient de plus courte durée car le délégataire calcule la rentabilité de son offre sur l'ensemble de la période : il risque donc d'ajuster le prix à la hausse. Et de vous à moi, les villes françaises sont loin d'être toutes au même niveau pour ce qui concerne l'état des réseaux. Dès lors, pourquoi imposer à tous cette toise des dix ans, quels que soient l'état de la station d'épuration ou l'âge des réseaux ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Le recours massif à la gestion déléguée du service de l'eau peut avoir de surcroît un effet désastreux pour le partage des compétences. Les collectivités locales, quand elles sont dépourvues d'agents compétents, sont conduites à laisser ces matières aux représentants des entreprises. Pourquoi ne pas créer un corps de l'environnement chargé de la police de l'eau, afin de maintenir ou de recréer une compétence au niveau des collectivités locales ? Ce corps pourrait être formé à partir des agents issus des différentes directions - DDE, DDAF, etc. Déléguer, c'est indispensable, mais il faut savoir rédiger un cahier des charges pour pouvoir négocier ! La proposition d'imposer des contrats types constitue du reste un aveu de faiblesse ! Quoi qu'il en soit, la durée des contrats de délégation tend naturellement à diminuer, comme en témoignent les résultats des enquêtes annuelles de l'ENGREF. Cette évolution favorable s'accompagne en outre d'un renforcement de la concurrence et d'une plus grande vérité des prix - et il y a tout lieu de s'en féliciter. Il revient aux collectivités de fixer la durée des contrats en fonction des risques respectivement assumés par les parties, comme il leur revient de choisir la délégation de service, notamment si des investissements massifs sont nécessaires. J'en parle d'autant plus librement que j'ai toujours voulu rester en régie alors que mon successeur prônait la délégation ! (Sourires sur divers bancs)

Selon l'IFEN, le taux de remplacement des réseaux n'était pas supérieur en 1999 à 0,6 % : cela signifie que le parc vieillit, qu'il y a plus de fuites, que la pollution se diffuse dans les tuyaux. Il faudra donc inévitablement mettre de l'argent si l'on veut lutter contre les pertes d'eau potable. Or, les investissements nécessaires sont d'autant plus conséquents qu'il faut transformer le réseau en permanence. En effet, si le kwh d'électricité délivré aujourd'hui est sensiblement le même qu'en 1970, le mètre cube d'eau ne l'est pas, puisque la composition de l'eau délivrée - ainsi que celle des eaux usées restituées à la nature - change tous les deux ou trois ans, et cela est bien. C'est pourquoi il faut éclairer et dynamiser la politique de l'eau par la promotion du conseil et de l'information plutôt que par une rigidification des modalités de délégation.

J'en viens au Haut Conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement. Sans y être par principe opposé, je considère que les modalités de mise en place prévues dans le texte ne sont pas satisfaisantes. Cette nouvelle instance vient en effet se superposer à toute une série d'organismes de contrôle qui existent déjà, d'où un risque de chevauchement des compétences. Ce Haut Conseil devrait s'en tenir à un rôle de conseil et ne pas donner d'injonction aux présidents de syndicats ou aux exécutifs locaux.

Quant au contrôle de la qualité de l'eau, il peut être exercé par les agences existantes, l'AFSSA ou l'AFSSE. La création d'un Haut Conseil des services publics de l'eau et de l'assainissement pose inévitablement le problème de ses compétences. Il conviendrait sans doute de supprimer la référence aux services publics et d'en faire simplement un « Haut conseil de l'eau et de l'assainissement ».

S'agissant des agences de l'eau, le projet instaure un encadrement législatif des redevances et des programmes pluriannuels d'intervention, et réforme les redevances pour mieux appliquer le principe pollueur-payeur.

Les redevances, considérées comme des « impositions de toute nature », devront être votées par le Parlement, qui fixera les assiettes et les taux de référence ; les taux effectifs tiendront compte de l'état écologique et de la sensibilité des milieux à la pollution.

Le souci des agences est de conserver une certaine souplesse, afin de pouvoir tenir compte des besoins de chaque bassin. C'est pourquoi l'amendement du président Emmanuelli, voté pourtant à l'unanimité, avait suscité de vives réactions (Murmures sur divers bancs). Il aurait conduit à une réduction drastique des recettes des agences et remis en cause des programmes engagés par les collectivités. Le projet de loi offre un compromis acceptable entre le souci d'éviter toute distorsion fiscale entre les différents redevables et celui d'assurer aux agences une certaine souplesse : je vous rends, Monsieur le ministre, hommage sur ce point.

La principale innovation du texte réside dans la création d'une redevance sur les excédents d'azote, qui s'appliquera aux activités agricoles. Elle sera calculée sur le solde des entrées et sorties d'azote et, dans un premier temps, ne sera perçue qu'auprès des exploitations soumises au régime du bénéfice réel. J'y suis pour ma part favorable d'autant que la version finale est infiniment plus raisonnable que celle présentée il y a trois ans par Mme Voynet. Le temps de la concertation aura au moins permis de progresser sur ce point !

Aujourd'hui, sur les 53 milliards perçus par les agences, 85 % proviennent des collectivités, 14 % des industriels et 1 % des agriculteurs ; avec le dispositif proposé, 79 % proviendront des collectivités, 16 % des industriels et 5 % des agriculteurs. Passer, pour les agriculteurs, d'une participation de 1 % à une contribution de 5 %, ce n'est pas rien !

Je suis favorable au maintien partiel du principe de la mutualisation et réservé quant à une application trop stricte du principe pollueur-payeur. Il n'en demeure pas moins - et les agriculteurs me pardonneront de le dire - que pour certains bassins, l'agriculture est un facteur important de pollution et qu'une prise de conscience s'impose pour préserver la qualité de l'eau.

La pollution agricole, qui s'ajoute à la pollution domestique et industrielle, est à l'origine d'une pollution diffuse, provenant des engrais azotés qui libèrent dans les sols des nitrates et des pesticides contenant des micropolluants organiques dangereux pour la santé ; s'y ajoute une pollution bactériologique issue des déjections animales.

L'Institut français de l'environnement a pu estimer que 37 % des ressources en eau sont menacées par la pollution de l'azote contenu dans les nitrates. En mer du Nord, la situation est d'ores et déjà alarmante. Il en va de même en Bretagne, où, la dégradation des cours d'eau appelle un effort de maîtrise de la pollution.

A cet égard, il n'est que temps que l'Etat assume enfin ses responsabilités. On se plaît à dénoncer la multiplication des élevages porcins et l'accumulation des lisiers qui en découle mais qui, sinon les préfets, délivrent les autorisations ? (Applaudissements sur plusieurs bancs) Il faut arrêter de botter en touche : on ne peut, d'un côté, délivrer des autorisations et, de l'autre, en déplorer les conséquences !

Quant au fonds national de solidarité pour l'eau, il semblerait que l'on n'utilise que 20 % des crédits et plutôt en fonctionnement qu'en investissement. Je souhaite vraiment qu'on évite ce genre de dérive contraire à l'objectif initial.

Le projet contient aussi de bonnes choses, naturellement, quel projet n'en contient pas ? Mais il est silencieux sur des problèmes essentiels, et il est discuté dans un contexte qui fausse le débat. Or la politique de l'eau méritait un vrai débat démocratique. En 1992, j'ai plaidé pour que l'on travaille avec M. Lalonde, ministre de François Mitterrand à l'époque....

M. Jean-Pierre Brard - Vous l'avez bien recyclé (Rires).

M. Claude Gaillard - ...parce qu'à mes yeux, sur l'eau il faut obtenir un consensus. Aujourd'hui vous le l'aurez pas !

Plusieurs députés socialistes - Mais si !

M. Claude Gaillard - Ce projet comporte des contradictions et il manque d'ambition. Je m'adresse ici au ministre de l'environnement pour rappeler un exemple qui gêne : dans le bassin Rhin-Meuse, nous avons augmenté le coefficient de collecte parce que, en gens de l'Est raisonnables, nous voulions anticiper sur la directive concernant les eaux résiduelles urbaines, et surtout pour accélérer la dépollution du Rhin. Avec les Alsaciens, nous avons financé cette reconquête et nous avons gagné. Aussi, quand j'entends expliquer de façon dogmatique que le coefficient de collecte est une mauvaise chose, je trouve cela insupportable.

Au fond l'eau n'est pas votre priorité - je veux dire la priorité de Mme Voynet. Il y a quatre ans et demi, elle déclarait qu'elle ne légiférerait pas sur l'eau. Elle a d'ailleurs tenu parole, puisqu'elle est partie ! (Rires) Mais nous voilà avec ce projet. Nos concitoyens comprennent les enjeux de sécurité sanitaire, veulent une eau de qualité. Le texte aborde le problème par le petit bout de la lorgnette et c'est bien triste.

Au ministre de l'aménagement du territoire, je ferai deux observations. D'abord, le coefficient d'agglomération qui tient compte de la concentration des effluents est un peu une forme de solidarité des gens des villes envers ceux des campagnes, ce n'est pas négligeable. En second lieu, sur la reprise en main par l'Etat, le Président du Sénat lui-même lors d'un colloque a condamné cette recentralisation et analysé le prétendu renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement comme un habillage de cette étatisation. Il le regrettait d'autant plus que notre système de gestion décentralisée de l'eau avait été retenu comme modèle européen.

Mais au fond, cela s'explique : vous vous méfiez des acteurs locaux. Par exemple, quand il prend une douche, soit 50 litres d'eau, un habitant de Saint-Malo paye 1,38 franc, un Parisien 77 centimes. Si à Saint-Malo, le prix est plus élevé, c'est notamment parce que les eaux pluviales sont traitées comme les eaux usées afin de garantir la propreté des plages. Alors laissez donc cette liberté aux élus locaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

C'est maintenant au représentant du Gouvernement que je m'adresse : vous devez porter un projet qui n'est pas le vôtre et assumer ses priorités. Cela m'ennuie un peu pour vous. Ce projet a été retardé, avez-vous dit, à cause de la loi sur l'aménagement du territoire, de celle sur la chasse, puis de celle sur le droit des malades « plus visible électoralement ». Quel bon argument ! Mais vous disiez aussi que désormais avec ce projet, « il n'y aurait plus d'obscurité sur le prix de l'eau ». Je sais qu'avec la gauche on devait passer de l'ombre à la lumière, mais je croyais que c'était passé de mode...

Ce projet a bien du mal à résoudre les difficiles problèmes de l'eau. Se contenter de le déposer à titre conservatoire eût été plus sage afin d'en permettre l'examen dans des conditions normales et démocratiques.

Vous avez dit aussi qu'il offrait une chance historique de réformer la politique de l'eau en France. Oui, mais pour cela, il aurait fallu ne pas tomber dans la démagogie, et, depuis un certain temps, hurler avec les loups contre les agences de bassin, avec une brutalité que vous n'avez peut-être pas mesurée. Il aurait fallu aussi faire le bon diagnostic et reconnaître comme priorités la qualité des eaux, la dépollution et la santé, lier l'eau et la santé, en ajoutant un volet sanitaire au VIIIe programme, proposer une évolution des agences, certes nécessaire, et les armer pour l'avenir. Il aurait fallu surtout accepter la décentralisation, la subsidiarité, l'efficacité que donne la proximité et faire confiance aux élus locaux. Il aurait fallu aussi ne plus diaboliser nos grands industriels, dont nous avons plutôt lieu d'être fiers. On ne résiste pas seulement par la voie législative, mais plus efficacement en reconnaissant la compétence d'élus de terrain qui savent mieux que quelques parlementaires ce que sont leurs besoins. Il aurait fallu encore proposer un début de réforme des grandes administrations s'occupant de l'eau, instaurer une démocratie locale de l'eau au lieu de donner au Parlement les décisions relatives à la gestion de la ressource. Il aurait fallu ne pas oublier que la France est en tête dans le monde grâce à la compétence de ses groupes industriels...

M. le Rapporteur - Ce n'est pas la question.

M. Claude Gaillard - ...et que grâce à la recherche, il existe une école française de l'eau. Son existence donne des devoirs, y compris de solidarité mondiale - à Nancy nous y consacrons quelques centimes par m3. Ce volet international avait sa place dans ce projet.

M. le Rapporteur - Il y est.

M. Claude Gaillard - De même aurait-on pu réfléchir à un grand bassin du Rhin. Mais dans ce projet, il n'y a rien de cela, rien de novateur, rien pour faire évoluer l'Office international de l'eau qui est en difficulté. Si votre projet avait fait tout cela, oui, il aurait offert une chance historique ; mais il témoigne d'un enlisement politicien et partisan qui me conduit à proposer le vote de la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Rapporteur - Par moments j'ai eu plaisir à écouter M. Gaillard car, même indirectement, il a dit beaucoup de bien du projet. A d'autres, je me suis inquiété de l'idée qu'il se faisait du rôle des parlementaires. Sur les boues d'épandage par exemple, comment reprocher au Gouvernement de ne rien proposer alors qu'on n'a présenté aucun amendement ! Et pour le calendrier, quand donc faudrait-il que le Parlement cesse de travailler ? Deux mois, six mois, un an avant les élections ? (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Pendant quatre ans et demi, nous n'avons pas chômé, nous avons voté des textes importants, et chaque projet vient en son temps. Que n'aurait-on pas dit si le Gouvernement n'avait pas présenté celui-ci ! Qu'il avait peur des manifestations, etc. Il le présente, c'est un scandale, ce n'est pas le bon moment ! Il est vrai qu'il y a eu beaucoup de concertation, mais faut-il le regretter ? Et ce n'est pas parce que la loi ne serait pas votée définitivement avant la fin de la session qu'elle devrait disparaître totalement

Je reviens sur vos observations. En ce qui concerne les concessions - à distinguer des contrats d'affermage - lorsque l'investissement est à la charge du délégataire, leur durée ne peut dépasser la durée légale de l'amortissement financier, le texte le dit clairement. Je fais de toute façon confiance aux grands distributeurs pour s'adapter. A Paris, la Lyonnaise et la Générale des eaux ont des contrats de 25 ans et n'investissent pas un centime, puisque chaque centime nécessaire au renouvellement des réseaux est prélevé sur le budget de l'eau ! On ne peut donc parler d'investissements en pure perte, et 25 ans me paraissent une durée normale pour un contrat d'affermage.

Le texte ne remet nullement en cause la mutualisation, contrairement à ce que vous avancez. Quant au « risque de Bruxelles », il me paraît mince : la Commission n'a-t-elle pas accepté le PMPOA tel qu'il lui avait été présenté par le Gouvernement ?

L'amendement de M. Emmanuelli n'était qu'un amendement de sauvegarde, déposé à un moment où le Premier ministre n'avait pas encore tranché, et où nous n'avions pas la certitude que ce projet serait examiné avant la fin de la législature. Il fallait s'assurer que le Parlement aurait à connaître des taux de redevance !

En conclusion, je déplore que cette période pré-électorale nous empêche d'arriver à un accord sur ce texte, qui est aussi équilibré que l'étaient les lois de 1964 et de 1992. Je suis certain que, dans un contexte différent, le consensus se ferait aisément.

M. Claude Gaillard - Il n'y aurait pas eu de texte !

M. le Rapporteur pour avis - On a justifié les motions de procédures, entre autres arguments, par « l'insuffisance de la concertation ». Permettez au président du Comité national de l'eau de s'inscrire en faux contre cette allégation. Ce texte a fait l'objet d'une analyse minutieuse, au terme de laquelle j'ai posé, il y a quelques semaines, la question suivante : « Estimez-vous que le projet, tel qu'il est rédigé, est d'une qualité suffisante pour être discuté par l'Assemblée avant la fin de la législature ? » La réponse du comité, où siègent des représentants des agences de l'eau - dont M. Galley - et des chambres d'agriculture, a été un « oui » unanime ! La concertation a donc eu lieu, et tous les acteurs de la politique de l'eau font confiance au Gouvernement et au Parlement pour qu'ils élaborent une loi répondant aux attentes de nos concitoyens.

M. Gaillard, qui a cité les travaux de la MEC, ne peut ignorer, d'autre part, qu'au c_ur du projet se trouve exprimée la volonté de rétablir un partenariat équilibré entre les collectivités locales et les délégataires de service public. Qui peut nier que l'oligopole qui s'est constitué a eu pour conséquence une rupture de l'équilibre ? Pas l'AMF, en tout cas, qui a estimé nécessaire de rédiger un cahier des charges type pour aider les maires, et notamment ceux des communes rurales, qui n'ont pas les moyens techniques suffisants pour engager un dialogue équilibré avec les sociétés délégataires.

La commission des finances, qui souhaite voir l'équilibre rétabli, entend pour cela que les compétences des agences de l'eau soient renforcées, et que les chambres régionales des comptes aident les collectivités locales.

D'autre part, s'agissant de la durée des contrats, nous distinguons ce qui relève de l'investissement et ce qui relève de l'affermage, simple prestation de service. Encore faut-il cependant que, par souci de transparence et d'égalité, les maires aient une connaissance exacte des réseaux. Ainsi, et ainsi seulement, les exigences de service public seront-elles satisfaites (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Marc Laffineur - Le groupe DL votera la question préalable excellemment défendue par notre collègue Claude Gaillard. Je maintiens que l'interdiction faite aux collectivités de couper l'eau aux mauvais payeurs est déresponsabilisante. Comment recouvrerons-nous les impayés ? Et qui réglera ce qu'ils n'ont pas voulu payer, sinon les ménages modestes qui font, eux, l'effort de régler leur dû ?

Que penser, encore, de la facturation uniquement proportionnelle ? Il faut, bien sûr, conserver une partie fixe, sans quoi les familles nombreuses vivant en HLM, à Montreuil ou ailleurs, paieront pour les grands bourgeois propriétaires de plusieurs résidences secondaires ; est-ce ce que vous souhaitez ?

J'en viens à la durée des contrats. Dans mon département, des travaux d'un coût de 80 millions d'euros sont en cours qui visent à reconstruire une usine de traitement aux normes. Bien entendu, l'amortissement est comptabilisé sur 20 ans ! Comment ne pas voir qu'un contrat de 12 ans est une mauvaise chose ?

Enfin, le texte ne tient aucun compte des investissements considérables consentis par les agriculteurs pour réduire la pollution par les nitrates.

Pour toutes ces raisons, le groupe DL votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Pierre Ducout - De ce qu'a dit mon collègue Claude Gaillard, j'ai retenu qu'il était globalement d'accord avec les orientations d'un texte qui vient à son heure, après une très large concertation, à laquelle il a d'ailleurs participé, ainsi que M. Galley.

Un excellent travail a été réalisé, que nous devons maintenant examiner dans le même esprit que celui qui a prévalu pour l'examen de la loi de 1992. Je suis d'ailleurs persuadé que nous trouverons un accord dans le cadre de la CMP, puisque 80 % des intéressés approuvent un projet qui, comme la loi d'orientation sur la forêt, aura un impact environnemental, social et économique.

Quant aux directives, le Gouvernement a toujours fait ce qu'il devait pour les transposer, ici comme pour l'électricité.

Le problème principal est celui de la qualité des ressources. Les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, dont soixante sont en cours d'élaboration, ont ici un grand rôle à jouer. J'entends bien que les agriculteurs polluent et qu'il faut réduire les excédents de nitrates, mais la plupart font de réels progrès. Quant à la guerre de religion que vous évoquez, elle me semble loin de la réalité de notre travail, dont témoignent les lois de 1964 et surtout de 1992.

S'agissant de la durée des contrats, la base de douze ans peut être adaptée à la durée des amortissements. Je précise à notre rapporteur pour avis que les investissements et l'entretien peuvent aussi être très lourds dans le cadre des affermages, et qu'il faudra tenir compte de cette réalité. Vous avez évoqué la perception qu'ont les usagers d'une dégradation de l'eau. Nous avons certes dû augmenter la qualité de chlore dans un contexte délicat, mais dans l'ensemble nos concitoyens restent confiants.

Il faut évidemment aller plus loin pour la protection des périmètres rapprochés. Le problème de l'épuration des eaux usées est réel : de grandes agglomérations comme la communauté urbaine de Bordeaux ont demandé des dérogations aux normes européennes. Notre collègue Guellec avait mis en garde contre un renforcement trop rapide des normes, induisant des hausses de prix faramineuses.

Les boues d'épuration restent un problème : elles font actuellement l'objet d'une concertation avec les agriculteurs.

Mme la Présidente - Je vous invite à conclure.

M. Pierre Ducout - La spécificité du milieu rural est prise en compte. Le Haut Conseil de l'eau, les dispositions relatives au rôle des agences, vont dans le bon sens.

En ce qui concerne la santé, M. Gaillard applique la loi par avance : dans le VIIIe programme, le financement du fonds national de solidarité sur l'eau et les questions de qualité devront être prises en compte.

S'agissant des coupures d'eau, nous avons proposé des amendements afin de ne pas encourager les mauvais payeurs. Nous avons fait un bon travail, et le groupe socialiste repoussera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - L'UDF votera bien sûr la question préalable si bien défendue par notre collègue. La fin de la législature incite aux discours : vous savez que cette loi sera modifiée mais vous vous targuez d'avoir interdit les coupures d'eau. En tant que président de syndicat, je ne me souviens pourtant pas avoir jamais coupé l'eau à quiconque.

Il aurait fallu, comme l'a montré Claude Gaillard, repenser l'ensemble des structures pour améliorer la transparence de la gestion de l'eau. Quant à la redevance imposée aux agriculteurs, ce sera une véritable usine à gaz. Dans les zones à forte densité d'élevage, mieux vaudrait s'attaquer au traitement du lisier. Votre projet va encourager les projets des sociétés d'élevage en Europe de l'Est.

Ce texte renforcera enfin l'étatisation, comme en témoigne le titre III consacré à la réforme des agences.

Nous avons donc toutes les raisons de voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe du RPR).

M. Gérard Saumade - Je m'exprime en mon nom personnel, mais aussi en tant que président du groupe d'études sur l'eau. J'ai admiré l'intervention de M. Gaillard, qui n'a pas cédé à la « langue de bois ». Malheureusement, il a cédé sur la fin à des considérations de politique politicienne...

Il est regrettable que cette loi n'arrive qu'aujourd'hui, alors qu'un travail sans équivalent a été accompli par les parlementaires eux-mêmes. D'ordinaire, ce sont les services qui font la loi. Lorsque j'étais rapporteur de la loi sur les carrières, je me rappelle avoir eu quelques idées claires au début. Mais à la fin je ne comprenais plus rien au texte que je faisais voter (Rires et applaudissements sur divers bancs). Les deux rapporteurs ont fait un travail remarquable. M. Marcovitch est allé sur le terrain, où il a su reconnaître par exemple que les paysans provençaux, loin de polluer, contribuaient à régénérer la nappe phréatique... Je lui en suis reconnaissant. Ce travail considérable doit continuer. Une loi n'est d'ailleurs jamais terminée et les élus locaux peuvent l'enrichir. Mieux vaut donc ne pas adopter ce texte en l'état. En revanche, il faut appliquer strictement la loi de 1992 sur les déchets ménagers car les décharges polluent les nappes phréatiques.

Les boues des stations d'épuration représentent une grave menace. Les grandes entreprises - cet oligopole qui en fait frémir certains, mais qui représentent une richesse pour l'économie française, si du moins nous sommes capables de le contrôler - ont réalisé des études approfondies pour résoudre le problème des boues d'épuration. Non, les paysans ne peuvent pas les épandre sous prétexte qu'en y ajoutant un peu d'herbe on les transforme en compost. Aussi, dans un domaine aussi complexe, la solution la meilleure me paraît-elle être la délégation de service public.

Quant au contrôle, l'exemple américain, au moins sur ce point, pourrait nous inspirer. Les pouvoirs publics doivent se montrer très exigeants sur les résultats à obtenir de l'oligopole, car aucune collectivité locale ne peut se mesurer, au plan juridique, avec Vivendi ou Suez.

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas la question préalable, tout en redisant toute mon admiration à Claude Gaillard (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Robert Galley - J'ai écouté l'exposé de Claude Gaillard avec beaucoup d'attention. Sa compétence, en tant que président du comité de bassin Rhin-Meuse, est universellement reconnue et, dans les domaines technique et d'organisation, sa voix est particulièrement écoutée.

Toutes les critiques qu'il a émises, vous allez les retrouver, même si le travail du rapporteur et de la commission permettra de les atténuer et de gommer certains défauts du texte. Sachez entendre M. Gaillard, d'autant plus quand il a encore l'avantage sur nous tous d'avoir régulièrement affaire aux Länder allemands et aux cantons suisses. Il a raison de regretter l'absence d'une grande loi et d'observer que votre texte est perfectible. Nous attendions une loi telle que dans les instances internationales le modèle français puisse être cité en exemple. Ce ne sera pas le cas. Le travail de Daniel Marcovitch et Yves Tavernier a débouché sur 600 amendements, dont 400 présentés par les rapporteurs. Le projet est donc profondément améliorable. Pour le moment, la question préalable est parfaitement justifiée, et le groupe RPR la votera (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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DÉCLARATION D'URGENCE

Mme la Présidente - Le Premier ministre m'informe que le Gouvernement déclare l'urgence de la proposition de loi portant rénovation des rapports conventionnels entre les professions de santé libérales et les organismes d'assurance maladie.

Acte est donné de cette communication.

Prochaine séance ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 35.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            Louis REVAH


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