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Session ordinaire de 2001-2002 - 51ème jour de séance, 120ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 22 JANVIER 2002

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

HAUSSE DES LOYERS 2

DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
SUR LA LOI RELATIVE À LA CORSE 2

RTT A L'HÔPITAL 4

OÙ VA LA FRANCE ? 5

GARDIENS D'IMMEUBLE 6

INSÉCURITÉ 6

SÉCURITÉ DES ÉTABLISSEMENTS
POUR PERSONNES ÂGÉES 7

RÉPARTITION DE LA DOTATION SUPPLÉMENTAIRE
DES HÔPITAUX 8

CONGÉ DE PATERNITÉ 8

AVENIR D'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE 9

LICENCIEMENTS CHEZ VALEO 10

VIOLENCES URBAINES 10

RECONNAISSANCE DU 19 MARS 11

EXPLICATIONS DE VOTE 11

BIOÉTHIQUE 15

EXPLICATIONS DE VOTE 16

PROPOSITION DE LOI COMPLÉTANT
LA LOI DU 15 JUIN 2000 20

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 26

La séance est ouverte à quinze heures.

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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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HAUSSE DES LOYERS

Mme Janine Jambu - Se loger et pouvoir payer son loyer : voilà le premier souci de millions de locataires du parc social comme du parc privé. Dans le contexte de hausse des prix qui suit le passage à l'euro, alors que les inégalités et la précarité de l'emploi perdurent, la hausse des loyers ne peut que les inquiéter. La répercussion de la progression de 4,8 % de l'indice du coût de la construction par les bailleurs privés et la sortie, pour ce qui concerne les bailleurs sociaux, de deux années de gel des loyers vont en effet grever encore le budget des familles modestes. Les plus démunies risquent de basculer dans la spirale infernale : dette de loyer, suspension de l'aide personnalisée au logement, expulsion. Tout doit être fait pour éviter cela et garantir à chacun le droit à un toit - c'est-à-dire à un loyer supportable.

Madame la Secrétaire d'Etat au logement, lors du débat budgétaire, je vous avais demandé d'être vigilante quant à l'évolution des loyers et de prendre des mesures de contrôle et d'encadrement dans les deux secteurs. Quelles dispositions mettez-vous en _uvre en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste)

Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement - Les hausses de loyer préoccupent évidemment le Gouvernement.

Pour le HLM, l'accord signé en 2000 a prévu le gel des loyers en 2000 et 2001, puis une sortie progressive et raisonnable de ce gel à partir de 2002. Le monde HLM tient sa promesse : l'augmentation des loyers avoisine à ce jour l'inflation et seuls 5 % des locataires pourraient subir une hausse supérieure à 2,5 %. Les préfets ont des consignes strictes et demanderont un réexamen des loyers dont la progression excède 2,5 %.

Par ailleurs, le deuxième étage de la réforme des aides à la personne, en vigueur depuis le 1er janvier, accroît de plus de 2,5 % à 5 % selon les revenus l'aide à la personne. La charge des locataires de HLM ne sera donc pas alourdie. Dans le même but, nous avons revalorisé, pour la première fois depuis de nombreuses années, le forfait charges.

L'indice de la construction a progressé de 4,8 % : c'est une bonne nouvelle pour le bâtiment, une nouvelle moins réjouissante pour les locataires. J'ai donc chargé un inspecteur général de l'équipement de me proposer à la fin du mois un nouvel indice d'indexation des loyers combinant plusieurs paramètres, plus stable et plus proche des coûts des bailleurs et du niveau de vie des locataires (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

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DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA LOI RELATIVE À LA CORSE

M. Henri Plagnol - Monsieur le Premier ministre, vous venez d'être censuré pour la troisième fois par le Conseil constitutionnel. Après le financement des 35 heures et les licenciements, voici venu le tour de la Corse. Mais vous ne pouvez ici plaider ni la bonne foi, ni la surprise. Tous les manuels d'instruction civique précisent en effet que la souveraineté appartient au peuple et le pouvoir législatif à notre Assemblée, qui ne peut le déléguer à une région. Vous avez donc agi délibérément. Vous vous êtes beaucoup vanté d'être l'homme qui dit ce qu'il fait et qui fait ce qu'il dit, mais tout au contraire, vous faites des promesses que vous savez ne pas pouvoir tenir vis-à-vis de votre propre majorité. Vous avez inventé une curieuse façon de légiférer : introduire systématiquement dans vos projets de loi des dispositions inconstitutionnelles pour apaiser soit l'aile gauche de votre majorité - c'était le cas sur les licenciements - soit, plus grave, les nationalistes corses.

Cette méthode conduit finalement vos interlocuteurs à la désillusion, qu'il s'agisse des salariés victimes des plans de licenciement, qui se sont sentis trompés, ou des nationalistes corses qui se sont retirés du processus de Matignon. Le marché de dupes que vous avez proposé n'a fait qu'attiser la violence.

M. le Président - Venez-en à votre question.

M. Henri Plagnol - Ainsi s'expliquent sans doute les attaques inadmissibles et d'une violence sans précédent dont font l'objet les décisions du Conseil constitutionnel. Ma question est simple : pouvez-vous vous engager à être à l'avenir plus respectueux du droit et dans l'immédiat à faire cesser les attaques contre le Conseil constitutionnel, dont les décisions s'imposent à tous pour garantir le pacte républicain et les principes fondamentaux de notre démocratie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je vous répondrai en premier lieu, à propos des censures du Conseil constitutionnel qui nous affecteraient, que je ne sais si nous sommes mauvais juristes ou si nous faisons exprès d'être censurés par le Conseil constitutionnel, ce qui serait paradoxal, mais qu'en tout cas, le Gouvernement que je dirige et la majorité qui vote actuellement les lois ont été censurés 23 fois en quatre ans et demi par le Conseil constitutionnel, et les gouvernements de MM. Balladur, puis Juppé 27 fois en quatre ans (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste). Si nous ne sommes pas d'assez bons juristes, vous ne vous êtes pas montrés plus performants !

M. Thierry Mariani - Il reste deux mois !

M. le Premier ministre - Ma deuxième observation touche à un problème important : le sens même que l'opposition donne aux décisions du Conseil constitutionnel. Vous avez dit vous indigner des attaques portées contre lui ou plus exactement contre ses décisions. Constatez que le Premier ministre que je suis et mes ministres se sont interdit tout commentaire sur ces décisions (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Mais il y aurait moins de chances qu'elles fassent l'objet d'une critique politique si vous ne vous réjouissiez pas vous-mêmes bruyamment de décisions qui devraient être fondées sur le droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Je vous interroge donc : selon vous, les décisions du Conseil constitutionnel sont-elles prises au regard de la constitutionnalité des lois ou constituent-elles des sanctions politiques pour les lois du Parlement ? Je ne pense pas que vous ayez intérêt à insister en ce sens (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Troisième observation : j'ai peine à saisir la cohérence de vos positions sur la Corse.

Le président de l'Assemblée de Corse, qui appartient à l'opposition, et le président de l'exécutif de l'assemblée territoriale de Corse, qui appartient également à l'opposition, ont approuvé, parce qu'ils la jugeaient intelligente (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL), la position qui a été la nôtre (Mêmes mouvements). Je vous rappelle que cinquante députés de l'opposition ont voté en faveur de ce texte en première lecture. Ils auraient certainement poursuivi en ce sens si la perspective des élections ne vous avait conduits à faire pression sur eux pour qu'ils ne maintiennent pas leur accord (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR).

J'ai entendu le président du Sénat, M. Poncelet, recommander d'aller, dans la République, vers l'autonomie. Quelle est la cohérence de cette position, alors que nous proposions, pour la Corse, moins que l'autonomie ? J'ai entendu M. Fillon, membre du RPR, déclarer qu'il n'était pas tant opposé à cette disposition qu'au fait que nous ne la proposions pas pour toutes les régions de France ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) Ce qui serait bon pour les régions de France, y compris celles qui ne le demandent pas, serait donc mauvais pour une région qui le demande ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Enfin, M. Méhaignerie a déposé une proposition de loi - que la majorité a votée - visant à autoriser l'expérimentation constitutionnelle. Monsieur Méhaignerie, si vous la soumettiez aujourd'hui au Conseil constitutionnel, vous seriez censuré !

Quant au projet sur la Corse, débattu en pleine transparence, appuyé par l'essentiel des élus de Corse, soutenu par une partie de l'opposition, et je l'en remercie, en première lecture, il tend au développement de la Corse, et à la prise en compte de son identité culturelle par des efforts en faveur de la langue corse, il tend à répondre à un problème politique posé depuis 25 ans par une démarche évolutive au sein de la République. Vous devriez nous aider à essayer de le résoudre plutôt que de continuer vos arguties sans poids ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

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RTT A L'HÔPITAL

M. Jean Pontier - Quel bon moment nous venons de passer !

L'incontestable avancée sociale que représente la RTT se traduit paradoxalement par des réponses complexes, très techniques et peu comprises des personnels : reports et étalements pluriannuels, compensations par corps statutaires d'appartenance, il y a comme un bégaiement, en particulier s'agissant de l'ouverture de nouveaux postes budgétaires.

Ainsi le centre hospitalier de ma ville de Tournon, qui espérait entre 12 et 14 emplois supplémentaires, ne sera doté que de 2,68 postes en 2002 ; de même l'hôpital de Saint-Félicien sera le plus mal loti du département, avec la création de 2,63 emplois. Des exemples de ce genre, chaque parlementaire peut en faire état. Les agences régionales de l'hospitalisation ne peuvent répartir que ce dont elles disposent. De même les directeurs d'hôpitaux ne peuvent en l'état conclure avec les représentants du personnel au titre de la RTT des accords vraiment satisfaisants.

Ce qui semble avoir manqué, c'est une pédagogie permettant de dégager une ligne directrice claire.

Au total, dans quelles conditions l'application de la RTT va-t-elle se décliner dans la fonction publique hospitalière, alors que vont commencer le recrutement et la formation sur 3 ans de plusieurs dizaines de milliers d'infirmières ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - La RTT à l'hôpital est l'aboutissement d'un an de travail...

M. Thierry Mariani - On voit le résultat !

Mme la Ministre - ...puisque c'est le 15 janvier 2001 que j'ouvrais les négociations qui se sont conclues par le protocole du 27 septembre dernier.

Ce protocole apporte des avantages substantiels aux 760 000 personnels de l'hôpital : jusqu'à 20 jours de congés supplémentaires ; l'assurance de disposer de deux jours de repos consécutifs par semaine, dont un dimanche sur deux ; l'assurance que les pauses sont incluses dans le temps de travail, que des bornes maximales sont fixées aux rythmes de travail du personnel ; et surtout l'assurance pour ceux qui travaillent la nuit de ne pas dépasser 32 heures et demie. Ces avantages concrets peuvent être expliqués et compris.

S'ajoute la création de 45 000 emplois décidée par le Premier ministre, sans précédent ni équivalent, et accompagnée d'un plan de recrutement sur 3 ans pour faire face à la pénurie due à une réduction drastique des recrutements il y a 4 ans dans les écoles d'infirmières. Martine Aubry et Bernard Kouchner ont repris en 1998 ces recrutements, nous les avons amplifiés en 2000, et nous en sommes à 8 000 par an. D'ici 3 ans nous aurons ainsi comblé tous les postes vacants et recruté ces 45 000 agents (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les accords sur les 35 heures sont en cours de négociation : 120 ont déjà été conclus, ce qui correspond à 20 % des personnels. Ce matin, l'Assistance publique des hôpitaux de Paris a signé un accord qui couvre 70 000 agents. L'hôpital de Rouen a fait de même.

L'accord sur la RTT s'ajoute à la revalorisation des carrières et des rémunérations inscrite dans le protocole de mars 2001, qui s'applique à partir de ce mois-ci. Enfin nous avons accordé aux hôpitaux 11,7 milliards de francs supplémentaires sur deux ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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OÙ VA LA FRANCE ?

M. Jean Proriol - Dans une France qui recule au douzième rang sur quinze au palmarès européen de la richesse par habitant, les fractures intérieures se creusent dangereusement. La fracture sociale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) s'aggrave. Qui le dit ? Pas l'opposition, mais un ancien ministre de votre gouvernement et candidat à la présidence de la République (Bruits) : « Aujourd'hui il y a devant Lionel Jospin une fracture sociale qui s'accroît tous les jours ». La fracture sanitaire s'amplifie avec des grèves en cascade : lundi les hôpitaux, mardi les infirmières, mercredi les médecins... bref la France est au SAMU, c'est-à-dire aux urgences (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Quant à la fracture sécuritaire, c'est l'explosion de la délinquance et de la criminalité. Qui le dit ? Pas nous, mais tous les professionnels, et toutes les images, à la télévision, en témoignent. Les incendies de voitures deviennent un mode rodéo d'expression courante : Strasbourg, régions lyonnaise et stéphanoise, et même une bonne ville d'Auvergne de 24 000 habitants, Le Puy, n'a pas été épargnée vendredi dernier (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

L'inaction, la passivité et même l'impuissance du Gouvernement rendent quasi quotidiens les actes qui, voilà peu de temps encore, étaient exceptionnels. Et souvent ce sont les plus modestes qui sont les premières victimes ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Au-delà des beaux discours oubliés - celui de Villepinte des 24 et 25 octobre 1997, le plan Jospin sécurité-délinquance juvénile du 27 janvier 1999...

M. le Président - Posez votre question !

M. Jean Proriol - ...le discours des assises de la police de proximité du 30 mars 2000 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), devant tous ces discours, le spectacle de la réalité est d'une infinie tristesse (Mêmes mouvements). Quel bilan, alors que le rideau de la fin de partie se déchire ! (Mêmes mouvements)

Ma question est courte : où va la France ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - A l'évidence, elle va vers deux élections, ce qui explique la tonalité de votre question (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). A cette occasion, nous irons volontiers vers un débat de vérité (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Le revenu par habitant en France a diminué de 9,6 % entre 1993 et 1997 en moyenne (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR), alors qu'il a progressé faiblement, de 0,6 % entre 1997 et 2001 (Mêmes mouvements). Les chiffres sont là. Si un écart s'est creusé avec nos partenaires, cela s'est produit pendant que vous étiez aux responsabilités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

En second lieu, nous avons entendu avec intérêt évoquer à nouveau, à l'occasion d'un déplacement, le thème de la fracture sociale, qui avait occupé beaucoup de place en 1995, qui avait totalement disparu entre 1995 et 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), et qui opère une résurgence fugitive. Ainsi, le nombre de RMistes a augmenté de 50 % de 1993 à 1997, et il a commencé à diminuer l'an dernier. La CMU, l'allocation personnalisée à l'autonomie, les emplois-jeunes, ont été décidés par nous. Alors, vous ne devriez pas venir sur ce terrain ! (Interruptions sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Sur la sécurité, je serai bref tant vous y revenez quand vous êtes dans l'opposition. Nous traitons de front les problèmes de sécurité ; nous avons défini une démarche et dégagé des moyens. Sur ce sujet aussi, le débat viendra. Mieux vaudrait rappeler que la sécurité est l'affaire de tous (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR), plutôt que de dédouaner l'ensemble des auteurs des actes d'insécurité. Nous débattrons de ce sujet le moment venu, et l'on verra que là encore nos résultats supportent la comparaison avec les vôtres quand vous étiez aux responsabilités (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; « Hou ! » sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

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GARDIENS D'IMMEUBLE

M. Alain Cacheux - Le 30 décembre dernier, le Gouvernement rendait obligatoire par décret la présence d'un gardien par immeuble de 100 logements sociaux, dès cette année dans les quartiers sensibles, et l'an prochain pour l'ensemble du parc HLM.

Les associations de locataires, bien qu'elles aient salué cette mesure, s'inquiètent de sa répercussion possible sur les charges locatives, compte tenu de la sortie du gel des loyers. Comment le Gouvernement entend-il inciter les organismes HLM à ne pas aggraver la contribution des locataires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement - Le Gouvernement a en effet jugé utile de prendre un tel décret pour enrayer la tendance générale à supprimer les emplois de gardiens, qui contribuent pourtant à la qualité de vie et à la tranquillité des habitants en veillant au bon entretien des immeubles et au respect des règles communes. Afin d'aider les bailleurs sociaux à créer de tels emplois, la loi de finances comporte une mesure d'exonération du foncier bâti d'un montant de 120 millions d'euros, soit l'équivalent de quelque 5 000 postes. La convention de gestion qui sera conclue à cet effet stipulera que leur coût ne devra pas être imputé sur les charges locatives ; j'ai demandé aux préfets de s'assurer du respect de cette disposition. Enfin, nous avons mis en place, avec mes collègues chargés de la formation professionnelle et de l'enseignement professionnel, des formations initiales et continues de gardiens d'immeubles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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INSÉCURITÉ

M. Lucien Degauchy - Une fois de plus, les statistiques de la délinquance sont accablantes pour vous (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) et très préoccupantes pour les Français (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). En ville, des dizaines de voitures sont incendiées chaque fin de semaine, des meurtres gratuits sont commis, et même, récemment, une attaque à la voiture-bélier à proximité du ministère de la justice ! (Exclamations sur divers bancs) Les campagnes ne sont plus en reste, et les gens y ont de plus en plus peur. Le nombre des infractions constatées ne cesse d'augmenter, jusqu'à dépasser, pour la première fois, les quatre millions par an !

Ne me répondez surtout pas que c'est lié à la fréquence des dépôts de plaintes, ou à celle des vols de téléphones mobiles : ce serait risible, alors que nos concitoyens vivent dans la crainte d'être victimes de vols, de cambriolages ou d'agressions de toute sorte. Il est temps que vous vous remettiez en question, que vous compreniez que votre méthode est parfaitement inefficace. Quand mènerez-vous enfin une politique sérieuse de lutte contre la délinquance ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - Ce sujet mérite mieux que des interpellations caricaturales et de l'agitation démagogique (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le débat sur la violence, ses causes et les réponses à y apporter ne saurait se résumer à des statistiques dont chacun connaît l'impuissance à rendre compte d'une réalité complexe. C'est pourquoi le Gouvernement a confié à MM. Pandraud et Caresche une mission dont les conclusions vous seront communiquées bientôt. C'est aussi pourquoi il a pris de nombreuses initiatives pour agir sur la délinquance elle-même et sur ses causes, notamment grâce aux contrats locaux de sécurité et à la police de proximité (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), mais aussi, et je vous invite à ne pas négliger ces éléments, aux nouveaux outils, juridiques et financiers, que donnent à la police et à la gendarmerie la loi sur la sécurité quotidienne et le budget 2002.

S'il est vrai que les chiffres de 2001 sont en augmentation, le fait que cette augmentation ait été moins forte au second semestre qu'au premier montre que cette politique commence à porter ses fruits (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Quand les effectifs augmentent, quand le nombre des locaux de police augmente aussi et que l'accueil des victimes est mieux assuré, il n'est pas étonnant que les faits constatés soient plus nombreux. Et quand des actions ciblées s'attaquent à ceux qui brûlent des voitures ou qui contrôlent l'économie souterraine, il ne faut pas s'étonner non plus que leurs réactions soient parfois violentes - mais fallait-il pour autant ne pas le faire ? Non, bien sûr !

Le Gouvernement ne fera preuve d'aucune faiblesse (Mêmes mouvements). Quant à vous, n'alimentez pas la peur des Français, alors que vous êtes incapables de faire la moindre proposition crédible pour répondre à leur attente ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

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SÉCURITÉ DES ÉTABLISSEMENTS POUR PERSONNES ÂGÉES

Mme Martine David - Le département du Rhône a été endeuillé, le 2 janvier, par une tragédie qui a ému la France entière : 12 personnes âgées ont en effet trouvé la mort dans l'incendie d'une maison de retraite. Le personnel de l'établissement et les pompiers ont tout fait pour sauver le plus grand nombre de vies, les dispositifs de sécurité étaient conformes, semble-t-il, aux normes en vigueur, mais les fumées toxiques ont été fatales aux personnes dont la mobilité était la plus réduite. Une enquête est en cours, et il ne nous appartient pas d'anticiper sur ses conclusions, mais ne convient-il pas d'envisager d'ores et déjà de nouvelles mesures de sécurité pour mieux prévenir ce type de risque et mieux protéger les personnes les plus vulnérables ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)

Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Le Gouvernement témoigne à nouveau sa sympathie aux familles et aux proches des victimes. Je me suis rendue moi-même sur place par deux fois, et m'y suis fait confirmer que la commission de sécurité n'avait pas relevé d'anomalies majeures. Deux enquêtes, administrative et judiciaire, sont en cours, mais il conviendra, au-delà de leurs conclusions, de réfléchir aux implications de la grande vulnérabilité de nombreux pensionnaires de ces établissements. Il semble, par exemple, que l'on néglige trop souvent les exercices de sécurité et d'évacuation, au motif qu'ils risqueraient de s'en inquiéter, alors que ce pourrait être, au contraire, un moyen de les rassurer. D'une façon générale, notre réflexion sur l'évolution éventuelle des normes de sécurité devra tenir compte de deux nécessités contradictoires : celle de protéger la vie, mais aussi celle de ne pas la contraindre à l'excès (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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RÉPARTITION DE LA DOTATION SUPPLÉMENTAIRE DES HÔPITAUX

M. Etienne Pinte - Les manifestations des infirmières hospitalières, des internes, des médecins généralistes, des agents hospitaliers, des infirmières libérales aujourd'hui, ne doivent pas nous faire oublier qu'un grand nombre d'établissements hospitaliers sont, depuis de longs mois, en cessation de paiements. Cela vous a conduit, Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, à accorder, à titre exceptionnel, plus 180 millions de francs à une quarantaine d'établissements franciliens, mais un tiers de cette somme va à trois établissements situés en Seine-Saint-Denis, département où vous envisagez, semble-t-il, de vous présenter aux prochaines élections législatives (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les 37 autres établissements d'Ile-de-France n'auront reçu, en moyenne, que 3 millions de francs. Cette répartition est scandaleuse ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

L'hôpital de Versailles se débat, quant à lui, avec un déficit de 35 millions ! J'ai alerté votre ministre délégué à la santé, par lettre, de la situation catastrophique de cet établissement ; je n'ai pas même reçu un accusé de réception ! Je l'ai appelé trois fois ; il ne m'a ni pris au téléphone, ni rappelé ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Que comptez-vous faire pour rétablir l'équilibre entre tous les établissements en cessation de paiements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Vous faites allusion à la répartition de la dotation supplémentaire d'un milliard de francs votée par cette Assemblée à la fin de l'année dernière, et qui a permis, en effet, d'attribuer 25 millions de plus à l'hôpital de Saint-Denis, 20 millions de plus à celui de Montreuil (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), 28 millions à l'hôpital de Bordeaux et 50 millions à celui de Cannes. Nous avons réparti ces crédits entre les hôpitaux qui en avaient le plus besoin. J'ajoute que cette majorité a également augmenté les dotations du fonds de modernisation des établissements hospitaliers et du fonds d'indemnisation, permettant d'accroître les crédits d'investissement et de fonctionnement des hôpitaux.

Quant à vos attaques personnelles concernant Bernard Kouchner, permettez-moi de les trouver absolument inacceptables (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Lui et moi veillons à répondre très précisément aux questions que nous recevons. Si vous nous adressez une question écrite, vous aurez une réponse écrite (Huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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CONGÉ DE PATERNITÉ

Mme Françoise Imbert - Le congé de paternité, issu de la dernière conférence de la famille, est entré en vigueur au 1er janvier. Il est une illustration de la rénovation progressive de la politique familiale qui est en _uvre depuis quatre ans, et qui s'attache à l'accueil de la petite enfance, à la revalorisation du rôle des parents et à l'égalité entre le père et la mère.

Cette mesure novatrice a suscité de nombreuses demandes. Disposez-vous déjà d'éléments sur son début d'application ? Comment répondre à la forte demande d'information émanant des jeunes parents ? (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées - Je suggère aux députés de l'opposition d'écouter la réponse, eux qui n'ont pas voté ce congé de paternité qui fait pourtant partie des mesures de la loi de financement de la sécurité sociale très appréciées des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Cette mesure, qui offre une quinzaine de jours rémunérés aux nouveaux pères, aurait dû être votée sur tous les bancs. Un numéro d'appel d'information a été mis en place. Il a déjà reçu 32 000 appels. Depuis le 1er janvier, 400 congés de paternité ont été pris, ce qui implique que les employeurs ont dispensé les demandeurs du mois de préavis.

Ce nouveau dispositif s'inscrit dans une réforme d'ensemble du droit de la famille, qui remet l'enfant au c_ur de la structure familiale et lui donne le droit d'être élevé à égalité par sa mère et son père. Il sera conforté par le renforcement de l'autorité parentale, par la création de la garde alternée, par l'accès des pères à tous les documents scolaires, par le soutien aux familles en situation précaire et enfin par la reconnaissance solennelle conjointe du père et de la mère avant la naissance, au cours de laquelle les responsabilités des parents leur sont rappelées. Ce Gouvernement est fier de la politique familiale qu'il conduit. Ses principes fondateurs permettent de mieux protéger les enfants, de garantir le respect de chacun et d'améliorer l'exercice de l'autorité et de la responsabilité parentales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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AVENIR D'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE

M. Philippe Auberger - Dans quelques jours, EDF va publier des résultats particulièrement décevants. Il est donc temps pour le Gouvernement de préciser les orientations qu'il compte suivre. La France a été un des derniers pays à ratifier la directive européenne sur l'ouverture du marché de l'électricité, dont la Commission européenne évoquera le calendrier à Barcelone les 15 et 16 mars. Dans ce cadre, il semblerait que le ministre de l'économie ait proposé au Premier ministre d'accepter l'ouverture totale à la concurrence du marché des professionnels, en échange du maintien du monopole d'EDF pour la fourniture d'électricité aux particuliers. Qu'en est-il ? En tout état de cause, comment se fait-il que le Parlement n'ait pas été informé ?

Par ailleurs, M. Fabius a laissé entendre qu'il était favorable à l'ouverture du capital d'EDF. Un autre ministre avait pourtant averti qu'il ne fallait pas confondre ouverture du capital et ouverture du marché. Quelle est donc la position du Gouvernement ? Vous avez refusé à EDF d'augmenter ses tarifs en 2002 et ponctionné ses ressources dans la loi de finances. Comment l'entreprise peut-elle financer sa croissance ?

Enfin, le président d'EDF a proposé au comité central d'entreprise une nouvelle organisation des services qui a été rejetée par 25 de ses 30 membres, et notamment par tous les syndicalistes. Comment le Gouvernement entend-il donc poursuivre le dialogue social au sein de cette entreprise de service public ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Si j'ai bien compris, votre question porte sur EDF (« Bravo ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). En ce qui concerne les choix à faire pour les années à venir, les candidats aux prochaines échéances électorales feront chacun valoir leur point de vue. Pour l'instant, le Gouvernement entend suivre la position qu'il a définie jusqu'à la fin de la législature.

En ce qui concerne la politique actuelle du Gouvernement, lorsque la direction de l'entreprise nous a interrogés sur l'évolution des prix, nous ne nous sommes pas montrés favorables à une augmentation. Si vous défendez une position contraire, Monsieur Auberger, vous vous en expliquerez auprès des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Cela n'a pas empêché EDF de se développer et de conquérir des positions fortes en Europe, grâce à ses performances, à la valeur de ses salariés comme de ses dirigeants et au soutien que le Gouvernement lui a apporté chaque fois que l'entreprise l'a sollicité.

S'agissant du dialogue social, de notoriété publique il est exemplaire. Il est de la responsabilité du chef d'entreprise de proposer des réorganisations. Celle-ci n'a pas été acceptée, mais j'y suis, à titre personnel, favorable.

Bref, EDF est une entreprise compétitive et un grand service public. Nous avons bien l'intention de faire en sorte que cela continue. Vous voulez nous faire croire que les problèmes s'aggravent, mais il n'en est rien : ce sont seulement les élections qui approchent... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Plusieurs députés RPR - Ce n'était pas la question !

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LICENCIEMENTS CHEZ VALEO

M. Jean-Paul Nunzi - Valeo, équipementier automobile présent dans 27 pays et employant 70 000 salariés, décide brutalement de délocaliser sa production de câblages, entraînant le licenciement de 5 000 personnes. En Europe, 2 500 sont en cours, dont 1 440 en France et 641 à la Bastide-Saint-Pierre dans mon département. Le groupe ne propose aucune perspective de reconversion de ses sites, ce qui en dit long sur la réalité des objectifs de refondation sociale si chers à M. Seillière, principal actionnaire de Valeo. « En avant » certes, mais vers la Malaisie, le Mexique et le Maroc !

Le site de La Bastide-Saint-Pierre est performant. Il dispose de salariés compétents et d'un savoir-faire reconnu. La loi de modernisation sociale adoptée en juin impose que l'entreprise contribue au maintien de ce site. Les salariés, les habitants et les élus se sont mobilisés pour rappeler leurs responsabilités aux actionnaires de Valeo. Qu'envisagez-vous de faire pour éviter que les conséquences de la décision de Valeo ne soient trop graves ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Le Gouvernement comprend la mobilisation des salariés. L'activité concernée est celle du câblage. Je vous propose d'abord de vérifier les informations économiques fournies par Valeo. L'entreprise prétend que les prix de production ne sont plus compatibles avec les exigences toujours plus dures des constructeurs automobiles. Il faut s'en assurer. Par ailleurs, l'entreprise s'est donné 18 mois pour élaborer des solutions de reclassement professionnel et de développement de nouvelles activités. Nous ne resterons pas inactifs durant ce délai. La loi de modernisation sociale permet aux représentants des salariés d'agir et Mme Guigou et moi allons veiller à ce qu'elle soit appliquée, notamment en ce qui concerne son volet préventif. Nous veillerons aussi à ce que Valeo respecte sa promesse de ne procéder à aucun licenciement sec et à ce que des activités de substitution soient créées dans des sites proches. Nous entretiendrons aussi le dialogue avec les organisations syndicales pour trouver des solutions humaines compatibles avec l'idée que nous nous faisons du progrès social (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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VIOLENCES URBAINES

M. Jean-Marie Bockel - Monsieur le Premier ministre, les violences urbaines qui ont récemment secoué la ville dont je suis maire ont subi un coup d'arrêt grâce à la présence dissuasive des forces de l'ordre. Merci.

Nous pouvons maintenant travailler dans la durée pour prévenir le renouvellement de telles violences. Outre le renforcement indispensable des moyens de la police judiciaire et du Parquet, je demande le soutien des pouvoirs publics pour combattre l'absentéisme scolaire, en mettant en cause éventuellement la responsabilité des parents (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), et pour constituer des groupes locaux de traitement de la délinquance en temps réel (Mêmes mouvements). C'est dans ces conditions que je pourrai renouveler le contrat local de sécurité (Mêmes mouvements).

Je sais que vous avez pleinement conscience de ces enjeux (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) et que la sécurité au quotidien figure parmi vos priorités. Sur le terrain, c'est dur, très dur. Mais nous gardons confiance dans les engagements que vous avez pris pour réduire cette souffrance sociale. Merci de votre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Je vous remercie de poser cette question (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR) en décrivant votre expérience réelle, c'est-à-dire ce qui fonctionne et que nous pourrions améliorer.

Devant une situation de violence brutale, les forces de l'ordre ont réussi à ramener le calme, mais il faut maintenant voir plus loin. Après douze interpellations, deux jeunes sont encore détenus pour des faits particulièrement graves.

Si nous parvenons avec la police, la justice, mais aussi les collectivités locales, à mettre en place des points-relais pour aider les parents à reprendre pied et à offrir aux jeunes des possibilités de rupture avec leur milieu quand c'est nécessaire, alors oui, en nous appuyant sur les groupes de prévention de la délinquance, nous pouvons réussir.

Quand on étudie bien les chiffres, sans les exagérer, on constate que partout où les collectivités locales ont mis en place à la fois des solutions d'urgence et des moyens de suivi, la délinquance n'augmente plus, et parfois recule.

Les jeunes ont besoin de rencontrer la loi, d'affronter la punition, mais ils ont aussi besoin d'être ensuite repris en charge avec leurs parents (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

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RECONNAISSANCE DU 19 MARS

M. le Président - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur la proposition de loi de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues relative à la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie.

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EXPLICATIONS DE VOTE

Mme Chantal Robin-Rodrigo - La loi du 18 octobre 1999, qui reconnaît que les événements d'Algérie étaient bien une guerre - et quelle guerre ! - a rétabli dans leur dignité tous ceux qui ont été impliqués dans ce conflit - appelés du contingent, Harkis, Pieds-noirs.

La République française a beaucoup tardé à effectuer cette reconnaissance. Il est temps de la prolonger par un acte de mémoire.

En proposant ce texte, les députés RCV ne cherchaient pas à bâtir un modèle unique d'explication de la guerre d'Algérie. Certaines outrances entendues dans le débat donnent à penser que beaucoup aimeraient instrumentaliser l'Histoire. Ils font fausse route.

La guerre d'Algérie a coûté la vie à 30 000 de nos concitoyens, très jeunes pour la plupart. Leurs noms sont gravés dans la pierre des monuments aux morts, aux côtés de ceux des deux guerres mondiales. Dans mon département, les Hautes-Pyrénées, le bilan est impressionnant, tout comme l'est la constance avec laquelle leurs compagnons d'armes entretiennent leur souvenir. Il convient donc que la nation dédie une journée à la mémoire de toutes les victimes, civiles et militaires, de cette guerre.

Cette journée ne peut être que celle de la signature des accords d'Evian, le 19 mars. Nul n'ignore que des hommes et des femmes sont tombés, des deux côtés, après la sonnerie symbolique du clairon. Mais le 19 mars cristallise la volonté de mettre fin à un conflit qui a engendré trop de victimes, auxquelles nous devons rendre hommage autrement qu'à la sauvette.

C'est l'occasion aussi de tendre la main aux Harkis, traités depuis quatre décennies comme des boat-people. Nous leur devons réparation.

L'opinion est favorable à cette initiative. Trois Français sur quatre selon des sondages, plus de la moitié des conseils municipaux, les 343 députés qui ont signé des propositions de loi identiques, cela constitue une majorité suffisante pour que la représentation nationale confirme l'adhésion manifestée par 98 % des Français au référendum sur les accords d'Evian (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) organisé par le général de Gaulle.

Cette journée nationale permettra de tirer les enseignements du passé. Cet acte de mémoire, nous le devons à notre jeunesse.

Une telle reconnaissance devrait aussi mettre un terme aux polémiques avec l'Algérie et nous permettre de l'aider à édifier un Etat stable et moderne.

La grande majorité des députés RCV voteront cette proposition de loi et nous ne doutons pas que le Gouvernement l'inscrira à l'ordre du jour du Sénat (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. Michel Meylan - Sans hésitation, le groupe Démocratie Libérale votera contre la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.

C'est pour nous une question de cohérence, de vérité et d'honnêteté.

Ce débat aurait dû porter sur une seule question : quelle date permettrait au monde combattant de communier dans le même souvenir et de préparer l'avenir ?

Mais pour vous, le problème était tranché : le 19 mars était la seule date. Pas question d'en choisir une autre.

Une fois de plus, il n'y a pas eu de débat. Une fois de plus, notre assemblée cède devant les lobbies et le terrorisme intellectuel d'une minorité (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), tout cela par pur calcul électoral : ce texte, on le sait, ne pourra aboutir avant la fin de la législature.

Les courriers reçus de certaines associations, qui nous font rien moins qu'un procès en extrémisme, me confirment que nous avons raison. A leurs dirigeants, dont certains se trouvent dans ces tribunes, je dis : on ne traite pas ainsi le Parlement !

La reconnaissante de l'état de guerre en Algérie avait été adoptée à l'unanimité. Mais il n'y aura pas d'unanimité sur le 19 mars. Ni à gauche, ni à droite.

Pour beaucoup d'entre nous, pour beaucoup d'anciens combattants, d'appelés du contingent, de familles rapatriées et de Harkis, le 19 mars ne sera jamais la date de commémoration de toutes les victimes de la guerre d'Algérie.

Vous avez gâché une belle chance de rassembler. Avec l'alternance, que nous appelons de nos v_ux, il faudra reprendre ce débat dans des conditions plus sereines. Nous y veillerons (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Alain Néri - En juin 1999, à l'initiative du groupe socialiste de l'Assemblée, le Parlement a adopté à l'unanimité, après un débat d'une grande dignité, une proposition de loi reconnaissant enfin l'état de guerre en Algérie. Cette guerre qui fut trop longtemps une guerre sans nom ne doit pas devenir une guerre sans date pour se recueillir et se souvenir.

Oui, au même titre que les deux conflits mondiaux, la guerre d'Algérie appartient à notre histoire et la troisième génération du feu a droit, elle aussi, à une journée de mémoire.

La tradition républicaine veut que la date retenue soit celle de la cessation officielle des combats, à défaut de la fin de la guerre : c'est le 11 novembre, jour de l'armistice, pour la guerre de 14-18, c'est le 8 mai, jour de la capitulation nazie, pour celle de 39-45.

Pour la guerre d'Algérie, le 19 mars, date du cessez-le-feu, même si ce ne fut pas la fin de la guerre, s'impose comme faisant suite aux accords d'Evian, dont je me permets de rappeler à certains qu'en étaient signataires au nom de la France le général de Gaulle et Michel Debré (Vives exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Président - Ce débat mérite un peu de sérénité et de calme !

M. Alain Néri - Cette décision historique fut ratifiée par le référendum du 8 avril 1962 à une écrasante majorité de 90,7 % des votants, preuve incontestable de la charge émotionnelle et symbolique du 19 mars pour toute une génération (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Cette date est chargée d'une double signification au c_ur d'une tragique histoire qui s'étend avant et après. Pour les uns, elle marque l'accélération du drame et des déchirements cruels. Je pense particulièrement à nos compatriotes Pieds-noirs et Harkis (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Pour les Pieds-noirs, ce fut l'abandon de la terre qui les a vu naître et grandir, l'abandon de leurs cimetières, l'abandon de leurs racines (Mêmes mouvements).

Pour les Harkis, qui n'envisageaient pas d'autre avenir que dans la France, le choix de leur fidélité à la France fut lourd de conséquences. Les uns, honteusement abandonnés, furent odieusement massacrés en Algérie, les autres, parqués dans des camps, subirent des conditions d'accueil inacceptables en France (Mêmes mouvements).

Pour les autres, les soldats et leurs familles, pour tous ceux qui eurent vingt ans dans les Aurès et qui surent se dresser pour défendre et sauver la République dans un superbe élan civique et patriotique, ce fut l'espoir du retour en France dans leur famille - et il n'en était pas une qui n'ait un fils, un époux, un parent engagé dans ce drame (Mêmes mouvements).

Nul ne doit être oublié. Car pour tous ce fut la guerre, qu'il convient d'inscrire dans la mémoire collective française. Le vote solennel que nous avons demandé est l'occasion de poser un acte de réconciliation et de concorde nationale (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Oui, il faut nous rassembler pour partager ensemble un moment de recueillement.

Le 19 mars, réunis au pied des monuments aux morts dans la même ferveur, nous devons rendre hommage à toutes les victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie. C'est cela aussi la grandeur de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Yves Fromion - Le groupe RPR a exprimé le 15 janvier les raisons qui le conduisent à s'opposer à cette proposition de loi.

Mme la rapporteure a affirmé lors du débat que cette guerre est difficile à comprendre tant elle semble prendre en défaut les valeurs de la République. Peut-être a-t-elle raison ; mais alors, pourquoi la République imposerait-elle aux principales victimes de ses propres errements d'être à jamais, le 19 mars, cités à la barre du tribunal de l'histoire ? Pourquoi le devoir de mémoire devrait-il se nourrir d'une injustifiable humiliation de nos armées chaque 19 mars ? Pourquoi impliquerait-il d'infliger des violences supplémentaires aux Harkis et à leurs familles, qu'on condamnerait en quelque sorte à se souvenir que le 19 mars 1962, les combattants de l'ALN, qui allaient devenir leurs bourreaux, furent autorisés à rentrer sur le sol algérien, d'où l'armée française les avait écartés ? Pourquoi trouverait-il une légitimité particulière dans le fait d'imposer à nos concitoyens Pieds-noirs cette date, la seule qu'ils ne peuvent accepter ? Pourquoi la République devrait-elle trouver des victimes expiatoires, pourquoi cet acharnement ?

On a tenté de nous expliquer que le 19 mars s'apparentait au 11 novembre et au 8 mai : comment peut-on occulter qu'il y a eu en Algérie après le cessez-le-feu trois à quatre fois plus de morts dans les effectifs combattants que pendant la période des hostilités ? Comment Mme la rapporteure peut-elle parler à propos du 19 mars de « victoire de la raison sur la folie meurtrière » ?

Les auteurs de la proposition de loi ne se conforment pas à la tradition républicaine de l'unanimité nationale dans le choix des commémorations officielles. N'en déplaise à certains, l'unanimité ne se décrète pas, elle se gagne. Il est vrai que pour l'obtenir, il faut souvent une patience et une persévérance qui ne sont pas compatibles avec les échéances électorales. C'est sans doute ce qui a conduit le Gouvernement à inventer l'unanimité à 70 %...

Par respect pour ceux qui ont perdu la vie en Algérie, par respect pour tous les anciens combattants, nous refusons cette palinodie. Nous devons faire confiance au monde combattant pour dire à la Nation ce qui doit être fait. Aucun gouvernement ni aucune majorité parlementaire ne sauraient priver de leurs droits et de leurs responsabilités les anciens combattants, qui de leur côté ne sauraient oublier qu'ils incarnent l'unité de la Nation.

Personne ne met en doute la nécessité de commémorer la fin de la guerre d'Algérie, mais il appartenait au Gouvernement de rechercher les voies d'un consensus sur une date. Il ne l'a pas fait, car proposer une autre date que le 19 mars eût été désavouer M. Jospin, qui dans cette affaire apparaît comme un diviseur de la Nation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Jean Vila - Le 10 juin 1999, notre assemblée, après un débat de haute tenue, a voté massivement la loi reconnaissant la guerre d'Algérie. La nation doit également affirmer sa volonté d'honorer dignement la mémoire des victimes civiles et militaires en leur dédiant une journée nationale du souvenir et du recueillement.

Le 15 janvier dernier, il y avait unanimité sur l'idée qu'il fallait choisir une date. Pour les guerres de 14-18 et de 39-45, les dates retenues sont tout naturellement celles du cessez-le-feu (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Ces dates sont chacune porteuses d'un message particulier : le 8 mai symbolise, beaucoup plus qu'une victoire militaire, la fin du fascisme hitlérien ; un Président de la République a osé le supprimer comme jour férié et chômé, mais son successeur l'a rétabli.

Le cessez-le-feu du 19 mars 1962 marque bien l'arrêt officiel de la guerre d'Algérie. Cette date marque la victoire de la paix, gagnée par tous ceux qui ont lutté contre la colonisation et le racisme et pour la fraternité entre les peuples (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Il faut rendre hommage aux soldats du contingent qui n'ont pas craint de refuser les ordres de leurs chefs militaires (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) et qui parfois ont été tués par ceux qui étaient à la tête de l'OAS.

M. Claude Goasguen - Porteurs de valises ! Traîtres !

M. Jean Vila - Le 19 mars 1962, il fallait être appelé en Algérie pour comprendre ce moment de bonheur ; j'y étais.

Le 19 mars est une date qui marque la fin de l'époque coloniale. Mardi dernier, 343 députés ont manifesté leur accord sur cette date, sur tous les bancs de la majorité, mais aussi sur une partie de ceux de l'opposition, mis à part les nostalgiques de l'Algérie française et de la colonisation (Vives protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Les propos de ces derniers encouragent des écrits comme ceux du général Aussaresses et ne peuvent qu'empêcher le consensus de toutes les associations d'anciens combattants, qui souhaitent une officialisation consensuelle du 19 mars (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Jean Vila - Que le mouvement ancien combattant ne cède donc pas à la tentation d'une discussion suicidaire. La défense de ses intérêts, de ceux des victimes de la guerre et de leur mémoire exige respect et tolérance. Pour le monde ancien combattant, le 19 mars doit être tenu pour une victoire de la paix (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous ne pouvons oublier les Pieds-noirs revenus vers la terre de leurs aïeux, arrachés pour toujours à leur terre natale. Ils sont les victimes d'une histoire pétrie de trop de sang, d'oppression, d'exploitation, de mépris et de haine. Nous rendons le même hommage à toutes les victimes, en particulier aux Harkis persécutés jusqu'après l'indépendance.

Les conditions sont désormais réunies (« Non ! » sur les bancs du groupe du RPR) pour officialiser l'anniversaire du cessez-le-feu. La date du 19 mars appartient à notre peuple, à notre histoire, à tous ceux qui sont épris de paix. Nous avons l'exigence du devoir de mémoire. Le groupe communiste et apparentés votera donc ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Rudy Salles - Monsieur le Président, vous avez été très indulgent avec les orateurs de la gauche, qui ont largement dépassé leur temps de parole. Cela ne suffit pas à rendre leur propos pertinent (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. le Président - Vous avez perdu une occasion de vous taire : l'orateur de l'opposition est intervenu six minutes, comme celui du groupe communiste... (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Rudy Salles - Et comme les orateurs précédents... Mais l'incident est clos.

L'indignation du monde combattant depuis l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour n'a cessé de croître. Il est presque unanime pour rejeter cette date du 19 mars que les Algériens célèbrent comme celle de la victoire du FLN sur la France. Le groupe UDF votera donc largement et très naturellement contre ce texte. Il refuse en effet de raviver les tensions nées de la perte de l'Algérie et de dresser les Français les uns contre les autres. Célébrer le 19 mars au même titre que le 8 mai ou le 11 novembre créerait une ligne de fracture quand nous avons besoin de réconciliation. Pour notre groupe, profondément attaché au devoir de mémoire, il faut bien sûr honorer les victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie, mais dans un esprit de rassemblement, seul propice au recueillement et au souvenir. Au nom de tous les morts que l'Algérie connut en quelques mois, la pudeur et le respect doivent être la règle pour tous. Célébrer le 19 mars serait mépriser et oublier ces victimes civiles et militaires assassinées, alors qu'elles furent six fois et demie plus nombreuses que les pertes militaires subies en huit ans.

Nous l'avons vu la semaine dernière, nous ne pouvons trancher sur une mesure de cette importance, qui requiert l'adhésion de l'ensemble de la nation et du monde combattant. La politique ne doit en aucun cas verser dans une polémique indigne des victimes des combats d'Algérie et d'Afrique. En mémoire de ces événements tragiques, la représentation nationale doit rassembler et non diviser. Je vous rappelle, Monsieur le ministre, que vous vous êtes engagé, ici même, le 7 novembre, à ne pas poursuivre l'examen de ce texte sans « une majorité qui transcende les clivages partisans ». La gauche a cité à l'envi le général de Gaulle. Laissez-moi rappeler que François Mitterrand, Président de la République, avait désavoué son ministre des anciens combattants et affirmé que la République ne devait pas commémorer officiellement le 19 mars (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Que le Gouvernement en prenne acte : en l'état actuel il serait inopportun de légiférer sur ce sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

A la majorité de 278 voix contre 204 sur 517 votants et 482 suffrages exprimés, l'ensemble de la proposition de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 35, est reprise à 17 heures, sous la présidence de M. Claude Gaillard.

PRÉSIDENCE de M. Claude GAILLARD

vice-président

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BIOÉTHIQUE

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi relatif à la bioéthique.

M. Alain Claeys, rapporteur de la commission spéciale - Nous achevons aujourd'hui la première étape de la révision des choix du législateur de 1994, comme il en avait décidé.

Le sens de notre démarche n'a pas varié, depuis que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a engagé ce processus. Nous nous sommes tenus à la recherche d'un nouvel équilibre, fondé sur la conciliation d'un contexte scientifique entièrement neuf et la confirmation de principes éthiques intangibles. Ainsi, nous autorisons la recherche sur l'embryon pour permettre aux chercheurs français de développer leurs compétences sur les cellules souches embryonnaires. Notre ouverture est encadrée. La recherche en cause devra poursuivre une finalité médicale ne pouvant être atteinte par d'autres moyens d'une efficacité comparable. Elle concerne les embryons qui ne répondent plus à un projet parental et pour lesquels le couple a expressément fait ce choix.

L'ouverture est également encadrée par la création d'une agence chargée de contrôler le respect des limites fixées par la loi. Dans notre esprit, cette création a toujours été le corollaire de l'autorisation de la recherche sur l'embryon. Loin de se substituer au politique, cette Agence l'aidera à exercer pleinement son rôle. Dans la limite du champ de la recherche que nous aurons défini, l'Agence autorisera les protocoles de recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires. Bien sûr, les ministres pourront suspendre ou interdire un protocole qui aurait été autorisé par l'Agence si le respect des conditions légales posées pour la recherche ne leur paraît pas assuré. Le politique aura donc le premier et le dernier mot. Il appartiendra à l'Agence de l'éclairer sur les évolutions scientifiques et médicales et les modifications législatives souhaitables.

L'assistance médicale à la procréation fait l'objet de deux choix différents de ceux de 1994 : d'abord, autoriser le transfert post mortem d'embryons, en tenant compte des contraintes juridiques, psychologiques et médicales que présente une telle possibilité ; ensuite permettre une évaluation des nouvelles techniques d'AMP, y compris en autorisant la création d'un embryon à cette fin. Le taux d'échec des transferts d'embryons s'élève actuellement à 80 %. Il importe de le réduire.

En ce qui concerne le don et l'utilisation des éléments et produits du corps humain, nous avons décidé d'élargir le cercle des donneurs vivants, au sein des familles, mais aussi à ceux qui deviennent proches du receveur par les circonstances de la vie. Cette démarche qui répond à une approche éthique, prend acte de l'existence de liens qui transcendent la définition du tout biologique.

En contrepartie de cet élargissement, des garanties très strictes sont apportées à l'expression du consentement et à la justification médicale du don. En outre, le suivi des personnes ayant subi un prélèvement sera confié à l'Etablissement français des greffes. Un premier bilan sera dressé dans les quatre ans suivant la promulgation de la loi.

Le législateur national ne pouvait ignorer le contexte international, en particulier sur les risques de marchandisation du vivant. Notre position est claire en ce qui concerne la brevetabilité du vivant. Il doit être clair aussi qu'elle est inséparable d'une action européenne et internationale pour obtenir que les règles du commerce mondial ne permettent plus les brevets de produits, mais seulement les brevets d'application.

Tels sont les choix essentiels que je vous invite à entériner au nom de la commission spéciale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

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EXPLICATIONS DE VOTE

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Sur un sujet si délicat, qui touche au mystère même de l'existence, chacun des membres du groupe UDF votera en son âme et conscience. Je crois cependant pouvoir dire au nom d'une majorité d'entre eux que nous approuvons que la révision des lois de 1994 vienne enfin en discussion, même si c'est au plus mauvais moment, à cheval sur deux législatures.

Cette révision devenait urgente, tant la connaissance a progressé depuis huit ans. Mais cette première lecture, si elle ouvre quelques perspectives, laisse de nombreux problèmes en suspens.

A la pénurie de dons d'organe, le projet répond par une extension sans doute nécessaire, mais qui n'est pas sans risque, du cercle des donneurs vivants. Pourquoi ne pas s'en tenir à une notion élargie de la famille ? Le Conseil d'Etat a souligné qu'une définition des donneurs sur le seul fondement du lien affectif étroit et stable pose des difficultés juridiques majeures. Et pourquoi le don d'organe post mortem a-t-il diminué de 30 % depuis dix ans ? On est pourtant passé dans le même temps de France Transplant, composé de sept personnes, et bénéficiant d'un budget d'un million d'euros à l'Etablissement français des greffes qui fait travailler plus de 80 salariés avec un budget d'environ 20 millions d'euros.

Ne serait-il pas judicieux de revoir, comme en Espagne, l'organisation hospitalière pour que les prélèvements sur cadavre soient revalorisés, et considérés comme une activité médicale à part entière ?

Nous saluons la création d'une Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, à condition que ses missions soient clairement définies, ce qui ne ressort pas de notre débat.

L'encadrement législatif de l'AMP était attendu, et recouvre bien l'ensemble des situations en veillant à la gratuité. Est-il cependant bien raisonnable de permettre de transférer à une veuve les embryons congelés du vivant de son époux ? Ne va-t-on pas au-devant de complications psychologiques et juridiques ?

Pour la recherche, le projet préconise l'utilisation des embryons surnuméraires orphelins, mais aussi la création de nouveaux embryons à partir d'un ovocyte et d'un spermatozoïde à seule fin de recherche, ce qui n'était pas prévu au départ. Et si on lit entre les lignes, l'autorisation du clonage thérapeutique est pour demain. A-t-on vraiment conscience de la gravité de cette décision ? L'embryon ne peut se réduire à sa seule dimension biologique. Le traiter comme un simple matériel de laboratoire ne sera pas sans conséquence sur la représentation que l'on se fait de l'homme. Pourquoi cette hâte à travailler sur les cellules souches embryonnaires humaines, alors que la recherche n'a pas encore abouti chez l'animal ? La logique ne consiste-t-elle pas, par ailleurs, à intensifier les recherches sur les cellules du f_tus mort, du cordon ombilical, ou sur les cellules souches adultes, dont les potentialités apparaissent toujours plus prometteuses ? La fabrication d'embryons humains pour la recherche aujourd'hui, comme la pratique du clonage thérapeutique demain, nécessitent un grand nombre d'ovocytes frais. Comment satisfaire la demande ? Le traitement n'est pas sans danger pour la santé des donneurs.

Mme Yvette Roudy - C'est vrai !

Mme Marie-Thérèse Boisseau - En l'état actuel, les chercheurs français disposeront de peu d'ovocytes français. Devront-ils se fournir dans les pays où le commerce d'ovocytes est bien réel ? Enfin, est-il déplacé de dire ce qui a été tu tout au long de la discussion : derrière cette précipitation se cachent des enjeux financiers considérables. A terme, la recherche sur l'embryon représenterait le quart du marché pharmaceutique mondial.

Voilà quelques-unes des nombreuses questions que nous nous posons, en espérant que le retard pris dans les navettes en raison du changement de législature permette d'y apporter des réponses satisfaisantes. En attendant, la majorité du groupe UDF s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Georges Sarre - La loi que nous nous apprêtons à voter est aussi indispensable qu'attendue. Enfin nous tentons de répondre aux questions que se posent l'opinion, les scientifiques et tous ceux pour qui une conscience éclairée est la condition du progrès. Face aux développements rapides de la science et aux effets d'annonce médiatiques, il est temps que nous disions où et jusqu'où nous voulons aller, que nous fixions les objectifs et les limites.

Le texte tranche certaines questions que celui de 1994 avait laissées en suspens, tels le sort des embryons surnuméraires en l'absence de projet parental ou l'autorisation de mener des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Il était essentiel que nous prenions position sur ces points, afin que notre recherche demeure compétitive et que soit contrecarrée la mainmise des groupes américains, tout en fixant des règles éthiques sans lesquelles la science peut mener aux pires errances. D'indispensables précautions sont prises, en particulier, contre la marchandisation du corps humain, tentation récurrente du capitalisme, qui met en danger les plus faibles et les plus démunis, ainsi que le démontrent toutes les enquêtes sur les trafics d'organes. La France devrait cependant faire preuve d'une vigilance accrue, et élever davantage la voix, contre toute brevetabilité du vivant et toute appropriation par certaines firmes privées d'une partie du patrimoine de l'Humanité.

Le groupe RCV votera, dans sa quasi-totalité, en faveur de ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-François Mattei - La révision de la loi de 1994 s'imposait, et cette première lecture, même si elle a pris un peu de retard, est bienvenue. Je tiens à souligner la qualité des travaux de la mission d'information et de la commission spéciale, et la tenue de nos débats en séance publique, qui se sont déroulés dans une atmosphère d'écoute et de respect mutuels. Les clivages traditionnels ont été parfois dépassés, par exemple sur la filiation post mortem, à propos de laquelle nous avons opté ensemble pour un système plus respectueux de la volonté des morts, ou sur l'interdiction de breveter les gènes - dont nous reparlerons, il est vrai, lorsqu'il s'agira de transcrire la directive de 1998.

Des réserves demeurent cependant. Une belle unanimité s'est trouvée pour interdire le clonage reproductif, mais je regrette qu'il ne fasse pas l'objet d'une incrimination nouvelle, qui aurait marqué symboliquement, notamment vis-à-vis des autres pays, notre volonté de le réprimer. S'agissant des transplantations d'organes, sans doute l'extension du champ des donneurs au-delà du cercle familial est-elle nécessaire, et les précautions prises suffisantes, mais il aurait fallu tirer les leçons de la mauvaise application du principe de consentement présumé des personnes décédées ; j'ai proposé, par exemple, qu'une information soit systématiquement dispensée, et la question posée, aux patients d'une certaine tranche d'âge, mais l'idée n'a malheureusement pas été retenue.

La question des recherches sur l'embryon n'est évidemment pas close, au contraire : au moment où celui-ci entre dans le champ de la médecine, il est nécessaire de mieux le connaître et de mieux le comprendre. Je m'étonne toutefois qu'après avoir affirmé le principe de la limitation des recherches aux seuls embryons surnuméraires, on les autorise plus largement, au détour d'un article relatif à l'évaluation des nouvelles méthodes d'assistance médicale à la procréation.

Enfin, si chacun s'accorde à juger utile la création de l'APEGH, deux ambiguïtés persistent en dépit du travail de clarification opéré par la commission : la composition du conseil d'administration ne garantit pas une bonne représentation de la communauté scientifique et médicale ; les missions mêmes de l'Agence sont renvoyées à un décret, ce qui n'est pas normal.

Le groupe DL, qui laisse entière liberté de vote à ses membres, s'abstiendra dans sa majorité, et souhaite pouvoir émettre un vote positif au terme de la deuxième lecture par la prochaine Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Yvette Benayoun-Nakache - Ce projet est le texte majeur de la législature qui s'achève. Le Gouvernement avait, en le déposant, une triple volonté : encadrer les progrès de la recherche sur l'embryon, mieux contrôler l'utilisation des produits du corps humain, préciser le cadre juridique des examens génétiques. Le législateur partage avec lui le souci de maintenir un équilibre satisfaisant entre le progrès scientifique et le respect des règles éthiques. Nous nous sommes efforcés, tant au sein de la délégation aux droits des femmes que du groupe d'études, en commission spéciale comme en séance publique, d'avancer le plus possible les uns vers les autres, chacun avec ses conceptions éthiques, philosophiques, voire religieuses, dans un esprit de respect que M. Mattei a justement salué. C'est avec une grande émotion que, pour ma part, j'ai participé à ces travaux, et le groupe socialiste votera cette grande loi de la République (Applaudissements sur les bancs groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Michel Dubernard - Le principe de la liberté de vote conduira chacun de mes collègues de groupe à se déterminer en conscience sur un texte qui touche à des valeurs aussi essentielles et reflète les contradictions mêmes de notre société. A la fois éblouie par les progrès de la science et inquiète de ses conséquences, celle-ci attend de nous que nous apportions des réponses, que nous cernions les limites de l'acceptable, que nous jugions les conséquences pour demain des avancées d'aujourd'hui, et ce à partir de nos conceptions d'aujourd'hui et parfois d'hier.

S'agissant des prélèvements d'organes, l'élargissement du cercle des donneurs potentiels n'est pas sans risque, mais il fallait pallier l'insuffisance chronique d'organes prélevés sur des patients en état de mort cérébrale. Il faudra apporter à l'Etablissement français des greffes un soutien accru, afin qu'il soit en mesure de tenir le registre des donneurs vivants dont nous avons décidé la création, et qui permettra au passage de mesurer les risques encourus par les donneurs eux-mêmes.

Certains seront hostiles aux recherches sur l'embryon, du fait des dérives qu'ils redoutent ; d'autres, et c'est mon cas, considèrent que les précautions prises sont suffisantes, et que les perspectives ainsi offertes aux thérapies cellulaires sont considérables. Nous nous retrouvons tous, en revanche, pour condamner le clonage reproductif, qui sera passible désormais de vingt ans de réclusion, et nous avons eu la sagesse collective de ne pas autoriser aujourd'hui le clonage thérapeutique, mais d'attendre qu'ait progressé notre connaissance des cellules souches embryonnaires. Nous saluons enfin la création de l'APEGH, qui assurera la mise en _uvre et le suivi de la loi, évaluera les développements de la science et les protocoles de recherche ; le Parlement devant conserver l'initiative dans un domaine qui touche à la condition humaine elle-même, l'adoption de l'amendement du groupe RPR permettant aux présidents des deux Assemblées de saisir l'Agence est une bonne chose.

Le temps de la loi, celui de la science et celui des m_urs doivent être condensés si l'on veut que la démocratie conserve le sens de la légitimité et que les autorités politiques assument la responsabilité que la nation leur a confiée.

Force est de constater que cette révision a pris un retard considérable. Prévue en 1999, elle ne sera pas votée avant 2003 et appliquée avant 2004, soit dix ans après la loi initiale. Le processus de révisabilité dont nous nous félicitions tous s'avère être un échec. Les membres du RPR souhaitent que le Sénat puis les députés retiennent le mécanisme de législation continue qu'ils ont proposé.

Certains se sont interrogés sur la nécessité de légiférer. La haute teneur des débats et la qualité des échanges, qui ont reproduit les courants qui traversent la société, confirment que cela était indispensable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Roger Meï - La génétique ouvre à l'homme des perspectives extraordinaires, mais peut aussi mettre à mal ses valeurs éthiques. Cette loi encadre de façon équilibrée la recherche. Elle réaffirme avec force notre opposition au clonage reproductif pour l'homme, mais permet la recherche sur les embryons surnuméraires. Elle ouvre un champ de recherche suffisamment riche pour pouvoir repousser le clonage à des fins thérapeutiques à plus tard. L'état de la science nous laisse amplement le temps d'attendre encore quatre ans avant de revoir éventuellement nos positions dans ce domaine.

Un amendement extrêmement important a été déposé par notre groupe et retenu à l'unanimité. Il s'élève contre l'article 5 de la directive européenne, en s'opposant à toute forme de commercialisation du génome humain, patrimoine inaliénable de l'humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). Le gène humain ne deviendra pas une marchandise. Pour la première fois, une loi nationale exprime ce principe. Elle engage la France à demander la révision de la directive et à pousser l'ONU à reconnaître ce principe, et éventuellement à le faire respecter par un tribunal international. Le groupe communiste regrette que cette interdiction de brevetage n'ait pas été étendue à l'ensemble des patrimoines génétiques du vivant. Cela aurait mis un terme à la scandaleuse utilisation des organismes génétiquement modifiés à seule fin de réaliser des profits. Nous dénonçons l'appétit des multinationales pharmaceutiques et agroalimentaires, des officines et des scientifiques qui veulent s'approprier le génome humain.

Le groupe communiste se félicite que le don d'organe soit étendu à une famille plus large, tout en protégeant davantage les donneurs des pressions affectives. Il approuve la création de l'APEGH et la représentation de la société civile et des femmes dans son comité de direction. Il insiste à nouveau sur la nécessité d'un vaste débat public sur ces questions, qui répondrait aux attentes de nos concitoyens.

Je me félicite de la haute qualité des débats qui ont eu lieu et voudrais remercier le président de la commission et son rapporteur pour leur ouverture d'esprit. Le groupe communiste votera cette loi (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

A la majorité de 325 voix contre 21 sur 497 votants et 346 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - Je voudrais remercier le président et le rapporteur, ainsi que tous ceux qui ont animé avec talent un débat nourri, qui aurait pu être fracassant et a préféré être digne, même s'il était parfois tendu sur le plan des idées. Je voudrais aussi rappeler à M. Mattei que les missions de l'Agence ont été précisées par la commission dont il fait partie et que d'autres détails seront ajoutés ultérieurement.

Quant à l'essentiel, c'est-à-dire le progrès des sciences, des opinions divergentes se sont manifestées sur tous les bancs, comme cela est d'ailleurs normal, et nous aurons bientôt l'occasion d'apprécier combien nous avons aidé la recherche. Nous serons fiers d'avoir participé à ce débat et aidé ainsi les malades (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La séance, suspendue à 17 h 40, est reprise à 17 heures 55.

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PROPOSITION DE LOI COMPLÉTANT LA LOI DU 15 JUIN 2000

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues complétant la loi du 15 juin 2000.

M. Julien Dray, rapporteur de la commission des lois - Cette proposition de loi fait suite aux événements survenus dans notre pays en novembre, qui ont donné lieu à de nombreuses manifestations de policiers, et à la mission que m'avait confiée le Premier ministre d'évaluer les difficultés d'application de la loi de juin 1998 pour les officiers de police judiciaire.

Mon rapport, remis en décembre après écoute attentive des partenaires impliqués dans les procédures de garde à vue, met en évidence plusieurs problèmes. Certains sont d'ordre matériel et appellent des solutions pratiques : mise à disposition de locaux appropriés, crédits pour l'alimentation des gardés à vue, etc.

D'autres sont d'ordre juridique : certains points de la loi de juin 2000 suscitent des difficultés d'interprétation et doivent être clarifiés. Les lois, disait Montaigne, tirent leur autorité de l'usage, « elles grossissent et s'ennoblissent en roulant comme rivières ».

Personne ne remet en cause l'apport considérable qu'a représenté pour les libertés publiques la loi du 15 juin 2000. Elle était nécessaire pour mettre notre droit en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme. Elle visait à préserver notre système judiciaire, tout en ouvrant des fenêtres de liberté et en garantissant des procédures équitables et contradictoires pour tous les citoyens. Personne n'a contesté cela au cours des auditions auxquelles j'ai procédé. Les policiers eux-mêmes ne s'en prennent pas à l'esprit de la loi, mais veulent avoir, au contraire, les moyens de bien l'appliquer.

La loi du 15 juin 2000 doit donc être ajustée pour permettre sa pérennisation. Beaucoup de commentateurs ont estimé que le Parlement ne pouvait pas légiférer dans l'urgence. Mais devrait-il rester sourd à l'exposé de problèmes concrets ? S'il refusait de considérer ces questions techniques, le Parlement fragiliserait la loi du 15 juin 2000, dont le contenu risquerait alors d'être remis en cause. Nous servirons les principes de cette loi en ajustant certaines modalités, et c'est l'honneur des responsables politiques de savoir répondre avec sagesse aux demandes qui leur sont faites.

Bien entendu, les ajustements que nous allons opérer ne résoudront pas tous les problèmes, la loi sur la présomption d'innocence n'étant pas responsable du climat d'insécurité que certains s'appliquent à dénoncer. Il y aura certainement dans les semaines à venir un grand débat sur ce sujet dans le pays, et nous y prendrons toute notre part. Quelle est la réalité de la violence, comment la combattre efficacement ? Beaucoup auront des solutions ; en ce qui me concerne je ferai preuve de modestie, considérant qu'il n'y a pas de formule magique pour résoudre des problèmes de société qui renvoient aussi à l'évolution de nos structures familiales et à la place de la culture médiatique dans la formation des consciences.

Le texte que nous vous proposons n'a pas la prétention de révolutionner la procédure judiciaire. Il ne remet pas en cause l'esprit de la loi du 15 juin 2000, bien au contraire.

L'article premier redéfinit les critères permettant le placement d'une personne en garde à vue, actuellement subordonné à l'existence « d'indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». La notion d'« indices » étant délicate, en particulier en matière de délinquance urbaine, les officiers de police judiciaire préfèrent parfois s'abstenir de placer une personne en garde à vue, nous proposons donc de retenir la formule utilisée par la Convention européenne des droits de l'homme, c'est-à-dire d'écrire qu'on peut placer en garde à vue une personne lorsqu'il existe « une ou plusieurs raisons plausibles » de la soupçonner.

Il ne s'agit pas de revenir sur l'intention de la loi du 15 juin 2000, qui était d'empêcher la garde à vue systématique, notamment celle des témoins, mais au contraire de bien distinguer le témoin du suspect. Il appartient à l'OPJ de prendre ses responsabilités.

L'article 2 a donné lieu à beaucoup de discussions, concernant notamment le « droit au silence ».

La loi du 15 juin 2000 a reconnu formellement un principe qui existait auparavant, à savoir la possibilité pour la personne gardée à vue de ne pas répondre aux questions. Ce droit au silence peut poser problème : beaucoup d'officiers de police judiciaire m'ont dit qu'il leur est difficile d'amener un jeune à réfléchir à l'acte délictuel qu'il a commis en commençant par lui annoncer qu'il a le droit de se taire.

Nous proposons donc une nouvelle rédaction, inspirée de celle qui a été retenue concernant l'énoncé des droits par le juge d'instruction lors de la première comparution : la personne a le choix de se taire, de répondre aux questions ou de faire des déclarations. Nous proposons d'ajouter qu'elle « est avisée que son silence est susceptible de lui porter préjudice par la suite ». Cela nous paraît d'autant plus nécessaire que, depuis la loi du 15 juin 2000, les termes des questions posées par les OPJ sont reproduits sur les procès-verbaux, ce qui permet d'éviter les contestations.

Autre problème traité à l'article 2, celui des délais dont disposent les OPJ pour s'acquitter des obligations fixées par la procédure : notifier à la personne les raisons de sa garde à vue ainsi que ses droits - droit de se taire, droit de s'entretenir avec un avocat, droit de faire prévenir sa famille ou un proche, droit d'être examinée par un médecin - ; informer le Parquet, afin que celui-ci puisse jouer son rôle de conseil. Quel temps impartir aux OPJ pour faire tout cela ?

M. le Président - A propos du temps imparti, peut-être pourriez-vous progresser vers votre conclusion...

M. le Rapporteur - Je vais aller plus vite.

La loi ne fixait pas de délai, mais comme elle disposait que l'avocat devait être contacté dès la première heure, on a considéré que tout devait être fait en moins d'une heure. C'est ce que j'ai appelé dans mon rapport le « top chrono ». Les difficultés des policiers pour contacter le Parquet, la famille et l'avocat compromettaient leur travail même. Nous proposons donc de porter à trois heures le délai pour les procédures.

La présence de l'avocat dès la première heure est de fait solennisée ici, et nous rappelons que le Parquet doit être prévenu le plus rapidement possible : c'est une garantie - et non une entrave - pour la procédure.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Très bien !

M. le Rapporteur - La circulaire rendue publique le 10 janvier incitait d'ailleurs les parquets à s'organiser de manière à pouvoir répondre très vite aux officiers de police judiciaire. Dans l'idéal, cela devrait être possible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, grâce à un numéro de téléphone unique. L'information du procureur et la possibilité pour l'avocat de le contacter sont bien des garanties.

M. le Président - Je suis contraint de vous demander de conclure, car votre temps de parole est écoulé.

M. le Rapporteur - Je serai beaucoup plus bref sur les autres articles...

M. le Président - Je vous demande à présent de conclure, et vous savez que je suis un grand libéral...

M. le Rapporteur - Moi aussi - mais pas libertaire ! L'article 3 permet de détenir provisoirement, dans les conditions de la loi du 15 juin 2000, les personnes qui, se trouvant sous le coup d'une procédure judiciaire, réitèrent des actes délictuels passibles d'une condamnation supérieure à deux ans de prison. L'article 4 rappelle que l'autorité parentale qui peut faire échec à une détention provisoire doit être invoquée non devant le juge des libertés, mais devant le juge d'instruction, afin de permettre une vérification pour enquête sociale. L'article 5 rétablit « l'équilibre des armes » pour l'appel des décisions de cours d'assises. Un amendement proposera d'étendre cette faculté à toutes les parties. L'article 6 étend le champ d'application de la loi à Wallis et Futuna, etc.

En guise de première conclusion (Rires) je citerai Balzac : « L'homme ne juge les lois qu'à la lumière des passions ». Nous devons éviter l'excès de passion qui a prévalu dans la loi du 15 juin 2000, afin de préserver la présomption d'innocence tout en respectant les victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Selon Elisabeth Guigou, la loi du 15 juin 2000 aurait pu donner lieu à quatre grandes lois sur la réforme de la procédure pénale, le renforcement des droits des victimes, le recours contre les décisions des cours d'assises et la juridictionnalisation de l'application des peines.

M. Patrick Devedjian - Il eût mieux valu !

Mme la Garde des Sceaux - Dans cette opposition récurrente de l'accusatoire et de l'inquisitoire, nous avons su nous éloigner des modèles extérieurs au profit d'un dispositif conforme à l'évolution de notre propre tradition : nous avons renforcé le contradictoire.

Nous y sommes parvenus en apportant la garantie du double regard du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention, en renforçant la présence de l'avocat au cours de la garde à vue, en créant un recours contre les décisions des cours d'assises, en renforçant les droits des victimes et en élargissant les conditions d'octroi de la libération conditionnelle afin de mieux prévenir la récidive.

Le rôle du Parlement dans ces réformes a été décisif, et nul ne songe aujourd'hui à lui demander de défaire ce qu'il a si bien fait. L'objet de cette proposition de loi est tout autre.

Le Gouvernement a eu pour constant souci de mettre effectivement en _uvre la loi du 15 juin 2000. Les moyens nécessaires ont été créés : 108 postes de juge des libertés et de la détention et 96 emplois de greffiers.

Nous ne pouvions financer par anticipation les réformes issues des débats parlementaires, que je viens de citer, et du texte définitif de 142 articles, mais le budget 2001 a engagé 338,7 millions de francs pour la seule mise en _uvre de la loi. Plus des deux tiers des postes créés sur cet exercice étaient liés à la loi du 15 juin 2000, et 80 emplois de magistrats créés au budget 2002 sont encore dévolus à sa mise en _uvre.

Depuis le début de la législature, le ministère de la justice a créé 7 273 emplois dont 1049 de magistrats, contre 727 au cours des 17 années précédentes.

M. Robert Pandraud - Comment sont-ils formés et affectés ?

Mme la Garde des Sceaux - La moyenne des créations d'emplois de magistrats est supérieure à 200 sur les 5 dernières années, alors qu'elle était inférieure à 50 entre 1995 et 1997.

J'ai toujours dit que l'application de la loi du 15 juin 2000 n'irait pas sans difficultés, certes inégalement réparties. Mais le Gouvernement s'est attaché à les réduire. Et j'ai suivi la mise en _uvre de la loi en confiant trois missions successives d'évaluation à l'inspection générale des services judiciaires. Au vu du premier rapport, rendu en décembre 2000, je vous ai proposé de différer de quelques mois une partie des dispositions relatives à la juridictionnalisation de l'application des peines - ce fut la loi du 30 décembre 2000, issue d'une proposition de M. Dreyfus-Schmidt. Le second rapport, rendu en juin 2001, insistait sur le renforcement des moyens des parquets et des greffes. Ces recommandations ont été suivies.

Les services de la Chancellerie se sont particulièrement mobilisés pour cette loi : alors qu'elle avait été votée le 30 mai 2000, la première circulaire d'application a été diffusée le 31 mai ! L'ensemble des décrets et circulaires pris avec les ministères de l'intérieur et de la défense, a été publié en décembre 2000. Au prix d'efforts considérables de la Chancellerie, des juridictions, des barreaux, de la police, de la gendarmerie, le dispositif a pu entrer en vigueur de façon harmonieuse. Le grand bogue annoncé par certains avec quelque gourmandise ne s'est pas produit !

Des blocages matériels, juridiques ou psychologiques sont certes apparus : la loi du 15 juin 2000 a aussi permis de mesurer l'aptitude au changement de nos institutions. Christine Lazerges décrit bien, dans son rapport sur la loi, intitulé « une chance pour la justice », les efforts que requiert un texte de cette ampleur.

Je me refuse à entrer ici dans la polémique suscitée parfois par ceux qui avaient soutenu la loi - quand ils ne regrettaient pas qu'elle n'aille pas assez loin ! Ces discussions présentent peu d'intérêt : elles sont le plus souvent inspirées par des arrière-pensées transparentes.

Je prendrai simplement l'exemple de la « garde à vue des témoins ». La garde à vue qui est une privation de liberté ne doit s'appliquer qu'aux suspects, puisqu'elle permet de retenir une personne en geôle dans un local de police ou de gendarmerie, après l'avoir fouillée à corps. Peut-on faire subir ce traitement à un simple témoin, dont rien ne permet de supposer, de l'avis même des enquêteurs, qu'il a commis une infraction ?

Vous savez d'ailleurs que la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme exige de réserver ce traitement qu'aux personnes pour lesquelles existent des raisons plausibles de soupçonner qu'une infraction a été commise. Pourtant, n'a-t-on pas honteusement désigné la loi du 15 juin 2000 comme une loi « faite pour les voyous » au motif qu'elle n'autorise pas la garde à vue des témoins ?

On lui a fait jouer indûment le rôle de bouc-émissaire des erreurs de la Justice ou des services d'enquête et des retards budgétaires auxquels le Gouvernement remédie depuis 1997.

L'on a aussi fait un amalgame infondé entre ses dispositions et la hausse de la délinquance.

En réalité, cette loi est une loi pour les libertés et une loi pour les victimes ; elle hisse notre droit au niveau des normes européennes.

Peut-être n'avons-nous pas été assez attentifs, en revanche, aux difficultés que connaissent les policiers et les gendarmes dans leurs missions de police judiciaire. Peut-être avons-nous manqué de pédagogie à leur égard.

Il était donc utile de confier à un parlementaire la mission de recueillir l'avis des professionnels sur l'application de la loi, dans la phase déterminante de l'enquête qu'est le début de la garde à vue. Tel était le sens de la mission confiée à Julien Dray par le Premier ministre, et dont le rapport inspire l'essentiel des dispositions qui vous sont soumises.

Julien Dray a fait un travail de grande qualité. Il a su écouter les policiers et se faire l'écho de leurs préoccupations, de leur souci d'une enquête pénale plus efficace, de leurs problèmes concrets. Il a évoqué leur lassitude devant le manque de moyens et leur souhait de voir dissiper ce qu'ils ressentent comme des incertitudes juridiques. En outre, le rapport contient une proposition de modification sur un autre point : l'appel du parquet sur les arrêts de cour d'assises.

Il appartient maintenant au Gouvernement et au Parlement de tirer toutes les conséquences de ce rapport. Le Gouvernement l'a fait en partie : la plupart des questions relatives à l'application de la loi ont trouvé une réponse dans la circulaire sur la garde à vue que j'ai diffusée le 10 janvier dernier : j'ai abordé là les modalités de l'avis au procureur en début de garde à vue et de la notification des droits des personnes, et rappelé que, si les enquêteurs sont tenus d'accomplir les actes nécessaires à la mise en _uvre de ces droits, la procédure qu'ils dressent n'est pas annulée en l'absence d'exercice de ces droits. Il s'agissait d'un point extrêmement important, sur lequel les policiers étaient très inquiets, craignant parfois - à tort - que la loi ne leur impose une « obligation de résultat ».

Afin de simplifier la tâche des enquêteurs, la circulaire contient des formulaires de notification des droits aux personnes placées en garde à vue, et une « feuille de route » récapitulative leur permettant d'organiser leur travail. L'amélioration des dispositions pratiques, telles que le procès-verbal unique d'avis au procureur lors du placement en garde à vue de plusieurs personnes, et celle de l'organisation des permanences des parquets sont en cours.

La circulaire a été bien accueillie par les magistrats. Avec mes collègues Daniel Vaillant et Alain Richard, nous nous attacherons à ce que les enquêteurs puissent l'intégrer au plus vite dans leur pratique quotidienne. Elle précise également que, pour suivre complètement les recommandations de Julien Dray et éviter une charge supplémentaire aux services d'enquête, le Gouvernement n'étendra pas l'enregistrement audiovisuel des mineurs aux auditions des personnes majeures gardées à vue.

Mais sur certains points, seule une loi pouvait mettre fin, plus rapidement que la Cour de cassation, à l'inquiétude des enquêteurs quant à la validité juridique des actes effectués en début d'enquête.

C'est le sens de la proposition de loi, dont les dispositions, loin de remettre en question l'esprit de la loi du 15 juin 2000, ne procèdent qu'à des ajustements ponctuels de la procédure pénale, destinés à faciliter sa mise en _uvre par la police et la gendarmerie, en commençant par la garde à vue.

La proposition tend à substituer à la notion d'indice, figurant actuellement dans le code de procédure pénale, celle de « raison plausible de soupçonner la personne d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction », notion retenue par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle met fin aux difficultés d'interprétation que rencontraient les enquêteurs pour déterminer les personnes qui pouvaient être placées en garde à vue.

La proposition modifie l'article 63-1 du code de procédure pénale qui précise dans quels délais les enquêteurs doivent notifier ses droits à la personne gardée à vue et accomplir les diligences nécessaires à l'exercice de ces droits. Jamais il n'avait été question d'un délai d'une heure pour les enquêteurs. Pourtant, ils craignaient que leur procédure soit nulle s'ils dépassaient ce délai. Aussi la proposition tend-elle à alléger la charge pesant sur les policiers et les gendarmes au début de l'enquête.

Le droit de toute personne en garde à vue de demander au procureur de la République, six mois plus tard, quelle suite il entend donner à l'enquête ne sera plus notifié qu'en fin de garde à vue et les diligences à accomplir pour prévenir la famille et un médecin devront être accomplies dans un délai de trois heures. Le délai imparti pour prendre contact avec un avocat n'est pas modifié.

Cependant, sur le délai dans lequel l'officier de police judiciaire doit informer le procureur de la République, l'article 2 de la proposition qui supprime l'exigence d'information immédiate, ne semble pas conforme à la Constitution. En effet, en vertu de l'article 66 de celle-ci, l'autorité judiciaire assure le respect des libertés individuelles et le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 août 1993, a jugé que le procureur devait être avisé aussi rapidement que possible. Les amendements à l'article 2 devraient lever toute discussion, en rétablissant l'information immédiate du procureur.

L'article 2 comporte également une formulation nouvelle du droit au silence, dont la loi du 15 juin 2000 avait fixé la notification dans une forme dont on comprend qu'elle puisse gêner les enquêteurs, tant les mots par lesquels un droit est notifié influent sur l'usage que choisissent d'en faire les personnes concernées. Aussi Julien Dray avait-il judicieusement proposé que la formule employée par les enquêteurs reprenne celle qu'utilisent les juges d'instruction lors de la première comparution.

Dire au gardé à vue qu'il a « le choix de se taire, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de faire des déclarations », c'est lui permettre de connaître ses droits de façon neutre, sans influer sur sa décision. Par contre, le caractère dissuasif de la phrase qui suit a pu être critiqué du point de vue des droits de la défense. Je fais confiance au débat parlementaire pour améliorer la rédaction de cette disposition.

S'agissant de la détention provisoire du parent d'un enfant mineur de dix ans, la loi du 15 juin 2000 laisse penser que le seul fait d'exercer l'autorité parentale donne une sorte de crédit sur la liberté dans l'intérêt non de l'enfant mais de la personne poursuivie. Aussi la proposition réserve-t-elle cette disposition au parent qui exerce seul l'autorité parentale.

Par ailleurs, elle oblige à chercher une solution pour la protection de l'enfant que l'incarcération de son père ou de sa mère risque de placer dans une situation difficile. Il me paraît bon que la mesure soit étendue aux mineurs de 16 ans, car nul ne peut prétendre qu'il serait sans conséquence de laisser livré à lui-même un enfant de 14 ou 15 ans, du fait de l'incarcération de celui qui en a la garde.

J'approuve enfin l'obligation, pour le gardé à vue, de révéler l'existence d'un enfant à sa charge au plus tôt de l'enquête, nonobstant le fait que pendant la garde à vue il faut savoir ce que les enfants deviennent.

L'impossibilité de faire appel des décisions d'acquittement des cours d'assises est également apparue comme une source de possibles contradictions lorsque plusieurs accusés comparaissent dans une même affaire et que l'un d'eux est acquitté. En effet les accusés condamnés peuvent faire appel, mais l'accusé acquitté est considéré comme définitivement jugé et devient en appel un témoin à ce qui était son propre procès. Il peut alors faire des déclarations nouvelles, charger ou au contraire venir au secours de ses co-accusés et en définitive provoquer sans grand risque une décision peu cohérente. C'est pourquoi il me semble important qu'au moins dans ce cas le ministère public puisse interjeter appel contre un acquittement, afin de permettre à la cour d'assises d'appel de juger l'affaire dans sa globalité.

La disposition sur les conditions et les seuils de la détention provisoire ne figurait ni parmi les propositions du rapport de Julien Dray, ni dans celui de Christine Lazerges. Mais la détention provisoire a été au c_ur des polémiques sur l'application de la loi du 15 juin 2000, même si les procès instruits contre elle étaient fondés le plus souvent sur des charges erronées. Ainsi, dans l'une des affaires qui a le plus défrayé la chronique, cette loi n'était pas entrée en vigueur et la décision des magistrats ne pouvait même pas être regardée comme anticipant ses dispositions. Au reste, si la détention provisoire avait significativement décru dans les six premiers mois de 2001, elle a désormais retrouvé le même niveau que dans les derniers mois de 2000.

Nous nous trouvons en fait sur la ligne de crête entre un ajustement technique et une modification plus substantielle des principes consacrés par le Parlement il y a peu de temps.

Notre régime de détention provisoire était, avant la loi du 15 juin 2000, souvent archaïque, et sa réforme était unanimement attendue, tant la France faisait figure de mauvais élève de l'Europe. Ce fut une réforme de consensus, fondée sur le principe intangible selon lequel nul ne peut, fût-il récidiviste, être jugé d'avance et que la détention provisoire ne saurait être un substitut à la condamnation, de sorte que les cas dans lesquels la détention provisoire peut être ordonnée ont été revus en fonction du seuil des peines encourues. En conséquence, elle a été interdite pour des délinquants poursuivis pour des atteintes aux biens, d'où peut résulter parfois un sentiment d'impunité, quand ces actes sont réitérés parfois très vite. On dénonce souvent l'exemple d'une personne qui, sitôt relâchée, est à nouveau interpellée pour des faits de même nature.

La proposition tente de répondre à cela en insérant dans l'article 143-1 du code de procédure pénale un alinéa étendant la détention provisoire au mis en examen qui se voit reprocher plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans. Quel que soit le débat qui suivra, cette solution aurait l'avantage de préserver la graduation établie par notre droit entre la gravité des atteintes aux personnes et celle des atteintes aux biens.

Voilà donc un texte qui, sur un nombre restreint de sujets, traduit les demandes de simplification émises par ceux qui, chaque jour, mettent en _uvre les lois que vous votez. Ce débat est aussi l'occasion de s'interroger sur ce qu'est, pour les policiers, pour les gendarmes, pour les magistrats, l'application de la loi pénale.

Dans l'exercice de ces métiers difficiles, chaque décision pose la question de l'équilibre entre la liberté individuelle et la sécurité collective.

C'est par la confrontation de chaque histoire, de chaque procédure particulière avec ces grands principes que l'équilibre peut être trouvé. Ce texte permettra, je pense, de l'atteindre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste).

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Tourret une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91-4 du Règlement.

M. Alain Tourret - La loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, votée à la quasi-unanimité des parlementaires, restera un moment fort de cette législature. Elle permettait à la France de retrouver l'Etat de droit dont elle prétend s'inspirer depuis 1789. C'est bien la France qui affirmait alors à la face du monde, dans l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme, que « tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».

Or, progressivement, la raison d'Etat l'a emporté sur le respect de la liberté, et la présomption de culpabilité a remplacé celle d'innocence.

Il fallut attendre, pour inverser le cours des choses, la loi du 17 juillet 1970, qui transformait la détention préventive en détention provisoire. Le législateur, face à un système judiciaire qui ordonnait toujours plus de placements en détention provisoire, multipliait alors les réformes, depuis la loi du 2 février 1981 jusqu'à celle du 9 septembre 1986, afin de limiter les pouvoirs exceptionnels du juge d'instruction.

Or, ces textes furent les uns et les autres remis en cause, et progressivement le législateur se déjugeait, puisque la loi du 24 août 1993 essayait de restituer ses prérogatives au juge d'instruction. Jusqu'à la loi de juin 2000, le régime de la présomption d'innocence, de la détention provisoire, de la garde à vue, résultait donc d'une stratification de mesures ponctuelles.

Comme le soulignait, sans complaisance, le président Truche, les magistrats ont « d'abord et surtout la culture de la détention », et notre collègue Colcombet, lui-même ancien magistrat, précisait en écho : « La détention provisoire est la forme raffinée et contemporaine de la torture » (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), ce dont je lui donne acte. Cette culture de la détention s'explique par la religion de l'aveu, si chère aux policiers et si prisée des magistrats.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Et si redoutée des avocats ! (Sourires)

M. Alain Tourret - Notre système pénal repose, non sur le droit de la preuve, mais sur l'intime conviction, non sur la légalité des peines, mais sur l'opportunité des poursuites ; système bien peu cartésien, qui laisse tout pouvoir au magistrat, l'opportunité étant la quintessence du pouvoir absolu.

La détention provisoire est conçue comme l'instrument privilégié et banalisé de l'instruction. Il y a une vingtaine d'années, la population carcérale était constituée pour moitié de prévenus. Au début de la présente législature, cette proportion n'était plus que de 41 % ; c'était encore le record d'Europe, car elle ne dépasse pas 25 % en Belgique, en Italie, en Espagne.

Mme Nicole Catala - C'est parce qu'il y a plus de violences chez nous !

M. Alain Tourret - Cela nous a valu des condamnations répétées pour non-respect de la Convention européenne des droits de l'homme. Aussi nous sommes-nous efforcés, dans la sérénité et en dehors de l'urgence, entre juin 1997 et juin 2000, de renforcer d'abord les droits de la victime, ensuite de remédier à la fragilité de l'état du présumé innocent en imposant un cadre juridique plus strict : une garde à vue mieux contrôlée, un statut du témoin assisté, des droits renforcés pour les parties, une détention provisoire moins fréquente et décidée par un juge extérieur à l'instruction, des délais de procédure et de détention provisoire plus raisonnables. Les navettes parlementaires vinrent compléter ce dispositif en instituant l'appel des arrêts de cour d'assises et en judiciarisant les décisions des juges d'application des peines. Nous pouvons être fiers du travail que nous avons effectué alors.

La loi du 15 juin 2000 a été votée à l'unanimité au Sénat, et sans qu'aucune voix négative ne s'élève à l'Assemblée. Elle donnait satisfaction aux députés : à M. Houillon, de DL, qui avait proposé la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, ce dont je lui rends hommage...

M. Arnaud Montebourg - Il n'est pas là pour le recevoir ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL)

M. Alain Tourret - A M. Albertini, de l'UDF, qui voulait contrôler les agissements des policiers lors de la garde à vue, ce dont je lui rends hommage...

M. Jean-Pierre Brard - Il n'est pas là non plus ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Alain Tourret - A M. Hunault, du RPR, qui vota les amendements sur la prise en considération des enfants dans les décisions de mise en détention, ce dont je lui rends hommage...

M. Arnaud Montebourg - Il ne viendra pas !

M. Alain Tourret - Quant aux réticences, elles n'étaient le fait que de ceux qui voulaient un système accusatoire plutôt qu'inquisitoire, à l'instar d'Edouard Balladur.

M. Arnaud Montebourg - Il a disparu ! (Sourires)

M. Alain Tourret - Mme Guigou coupa avec bon sens à cette discussion, en faisant observer que « tout le monde peut avoir recours à la justice accusatoire, comme tout le monde peut aller déjeuner au Ritz »... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) La justice accusatoire est source d'erreurs judiciaires graves et nombreuses, il n'est que d'examiner les décisions rendues par la justice des Etats-Unis - qui est par ailleurs une justice de classe, faite pour les riches et les puissants à leur propre usage (Mêmes mouvements).

Une voix détonante s'est exprimée, il est vrai, lors des explications de vote : celle de M. Devedjian, aux yeux de qui le texte n'était qu'un « avorton sans souffle ni ambition » - vérité définitive assenée à coups de massue par le porte-parole du RPR (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Arnaud Montebourg - Mais où est passé M. Devedjian ?

M. Alain Tourret - Que s'est-il donc passé, depuis le 15 juin 2000, pour que nous soyons amenés à discuter, dans l'urgence et la précipitation, d'un texte bâclé, d'un texte de circonstance qui, s'il n'était que médiocre, ne serait pas inquiétant ? Il est vrai que la France connaît, depuis dix-huit mois, une aggravation de la délinquance (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), et que le besoin de sécurité est devenue la principale préoccupation des Français.

M. Richard Cazenave - Grâce à vous !

M. Alain Tourret - Il est vrai aussi que quelques décisions rendues par des magistrats les ont justement indignés, tant les remises en liberté ordonnées étaient choquantes, pour ne pas dire provocantes. On aurait voulu saboter la loi du 15 juin 2000 qu'on ne s'y serait pas pris autrement ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Renaud Donnedieu de Vabres - C'est la faute aux magistrats, si je comprends bien !

M. Alain Tourret - Certains intérêts corporatistes, certains syndicats de policiers en particuliers (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), ont naturellement embrayé sur une opinion chauffée à blanc par les médias (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Renaud Donnedieu de Vabres - C'est la faute aux médias, maintenant !

M. Alain Tourret - Le Premier ministre a toujours souligné, quant à lui, que la sécurité des citoyens et la lutte contre l'impunité sont des devoirs d'Etat. Nul n'en disconviendra. Il a donc chargé M. Dray d'un rapport d'évaluation de l'application de la loi du 15 juin 2000, tandis que Mme Lazerges rédigeait un autre rapport d'évaluation au nom de la commission des lois.

Il y a deux façons de concevoir le droit : à partir des principes ou à partir des faits divers (Interruptions sur les sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Dans le premier cas, on écrit la loi ; dans le second, on écrit des articles épars sans se rendre compte de leurs implications. La façon de procéder de M. Dray relève à mon sens de la seconde, et va tout à fait à l'encontre de notre tradition juridique. En partant des faits au lieu des principes, on met toute la pyramide judiciaire sur la tête (Nouvelles interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Robert Pandraud - Il a raison !

M. Alain Tourret - On aurait pu à l'évidence, au vu de ces deux rapports, résoudre l'essentiel des problèmes soulevés par les policiers et les magistrats, en prenant de simples circulaires. Or, on a fait un autre choix : dans une sorte de psychose collective, la réalité des faits a disparu derrière un mélange d'irrationnel, de démagogie et de surenchère (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). En déposant une proposition de loi qui est en réalité, chacun l'aura compris, un projet du Gouvernement, déguisé en initiative parlementaire pour éviter la consultation obligatoire du Conseil d'Etat et de diverses autres instances, on diabolise la loi sur la présomption d'innocence, on remet en question son architecture même.

L'insécurité a pourtant, chacun le comprend, d'autres causes (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : le déclin continu de la notion d'autorité, dans la famille comme à l'école (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ; la suppression, voulue par M. Chirac, du service militaire, qui permettait d'imprimer des repères à la société toute entière...

M. Jacques Rebillard - Très bien !

M. Alain Tourret - ...l'exemple du chef de l'Etat lui-même, qui devrait être une personnalité au-dessus de tout soupçon, un modèle d'honnêteté, une référence éthique, au lieu de quoi chacun se demande s'il en est bien ainsi. Ce délabrement moral au plus haut niveau de l'Etat (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), qui vient d'amener un magistrat à démissionner, a conduit The Economist à titrer cruellement, à propos de notre pays : « liberté, égalité, impunité ».

Le texte qui nous est soumis comporte cinq articles qui constituent une indéniable régression par rapport à l'état actuel du droit, et même une régression considérable selon la Commission consultative des droits de l'homme (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), qui a rendu son avis aujourd'hui.

M. Christian Estrosi - Les droits de l'homme selon Tourret, c'est quelque chose !

M. Alain Tourret - Oui, c'est quelque chose auquel je tiens, et dont je souhaite que vous ayez un jour à bénéficier !

L'article 2 prévoit que l'officier de police judiciaire n'est tenu de prévenir le procureur de la République d'une mise en garde à vue que dans un délai de trois heures. Or, l'arrêt rendu le 11 août 1993 par le Conseil constitutionnel, suite à la saisine des sénateurs socialistes, est limpide : les mots « dans les meilleurs délais » doivent s'entendre, selon lui, comme « prescrivant une information qui, si elle ne peut être immédiate pour des raisons objectives tenant aux nécessités de l'enquête, doit s'effectuer dans le plus bref délai possible de manière à assurer la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue ».

Certes, et les auteurs de la proposition de loi en tirent argument, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé de son côté, le 3 avril 2001, qu'un délai de 2 heures 32 correspondait bien à la notion de « meilleurs délais », mais chaque arrêt de la chambre criminelle porte sur un cas d'espèce, et celui-ci était, qui plus est, un arrêt de rejet, non un arrêt de cassation, dont la portée eût été plus grande. Considérons donc l'arrêt de cassation rendu par la même chambre criminelle le 10 mai de la même année : elle a considéré, cette fois, que le fait de n'avoir prévenu le procureur de la République que 3 heures 35 après le début de la garde à vue portait nécessairement atteinte aux droits de la personne gardée à vue. On comprend, dès lors, l'argumentation biaisée des auteurs de la proposition de loi : si la chambre criminelle admet deux heures et demie et repousse trois heures et demie, trois heures peuvent constituer un délai acceptable.

M. Robert Pandraud - Parfaitement !

M. Alain Tourret - Une telle prétention est inacceptable. En passant de la notion de meilleur délai au terme fixe de trois heures, on justifie le fait de ne pas prévenir le procureur de la République pendant ce délai ! Or c'est l'autorité judiciaire qui garantit la liberté individuelle, et non l'officier de police judiciaire. Vous inscrivez dans la loi une période de non droit durant laquelle le pouvoir policier prime sur l'autorité judiciaire. C'est un recul d'un siècle, indigne de la France et à l'évidence contraire à la Constitution.

M. Robert Pandraud - Il plaisante ?

M. Alain Tourret - L'article 3 de la proposition prévoit la mise en détention lorsque la personne mise en examen se voit reprocher plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure à deux ans. Madame la Garde des Sceaux, votre argumentation a été bien faible sur ce point. Vous nous dites vouloir par cet article éliminer les réitérants. Qu'est-ce donc qu'un « réitérant » en droit ?

M. Arnaud Montebourg - Quelqu'un comme M. Chirac, par exemple ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alain Tourret - Cette notion est inexistante sur le plan pénal. Un réitérant n'est pas un récidiviste. Imaginez quelqu'un qui vole deux madeleines, ce qui est passible de trois ans de prison. Il pourra être mis en détention provisoire. Celui qui en vole une, puis en mange une volée par son ami, ce qui constitue un recel, puni de cinq ans d'emprisonnement, le sera aussi. Voilà ceux que vous allez mettre en détention provisoire avec ce texte !

Un député UDF - C'est ridicule !

M. Alain Tourret - Ce n'est que l'application du texte ! Prévoir un régime spécifique de mise en détention pour deux délits est en soi-même une atteinte à la présomption d'innocence consacrée par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et par plusieurs arrêts du Conseil constitutionnel.

Ce texte est inconstitutionnel pour une troisième raison. La loi avait, pour décourager la récidive, prévu la mise en détention provisoire pour les délits passibles de trois ans d'emprisonnement lorsque la personne mise en examen a déjà été condamnée à une peine sans sursis supérieure à un an. Désormais, le régime est donc plus sévère lorsque l'on commet deux délits concomitants, le seuil étant alors de deux ans, que lorsque l'on récidive après une peine déjà sévère d'un an ferme, auquel cas le seuil est de trois ans ! C'est à n'y rien comprendre, mais c'est en tout état de cause contraire au principe d'égalité contrôlé de manière étroite par le Conseil constitutionnel.

Pour ces trois raisons, je ne crois pas qu'on puisse prétendre que ce texte est constitutionnel. Par contre, il entraînera une régression, notamment en passant de la notion juridique d'indice, à celle, philosophique, de raison. On peut mettre tout ce que l'on veut dans une telle notion ! Vous avez voulu vous aligner sur la Convention européenne des droits de l'homme, mais il s'agit bien évidemment d'une mauvaise traduction du terme anglais ! Des centaines d'arrêts de la chambre criminelle ont défini les « indices ». Le passage à la notion de « raison » permettra d'arrêter des témoins et de les transformer en suspects.

La nouvelle formulation du droit au silence est elle aussi une régression des libertés. 400 000 personnes sont chaque année mises en garde à vue. Croyez-vous qu'il s'agisse de 400 000 délinquants ? Il y a là beaucoup d'individus paumés qui ne savent pas ce qui leur arrive. Croyez-vous que leur dire qu'ils ont le droit de se taire mais que cela leur retombera dessus n'est pas une pression ?

Pour toutes ces raisons, le parti radical de gauche m'a demandé de soutenir cette exception. Ses désaccords avec le Gouvernement en matière de justice sont anciens. Nous n'avons jamais suivi votre position en ce qui concerne l'indépendance des parquets, d'autant que son corollaire, la responsabilité, n'a jamais été obtenu. L'autonomie existe, mais sans responsabilité. Et quand on voit les décisions disciplinaires qui sont rendues, on peut rester dubitatif ! Des dossiers disparaissent et on est relaxé. Un magistrat divulgue des informations de façon invraisemblable à Nice et il ne reçoit qu'une réprimande... Pourquoi pas la croix d'honneur ?

Nous avions soutenu avec enthousiasme le texte du 15 juin 2000. Nous regrettons profondément que, dans l'affolement des élections, on ait suivi les oukases de certains syndicats de policiers qui n'en attendaient pas tant. Ne laissons pas se creuser un fossé entre la gauche sécuritaire et la gauche morale. Les humanistes, auxquels j'appartiens, sont conscients du droit à la sécurité, mais ils n'abandonneront jamais les principes de la Déclaration des droits de l'homme. La présomption d'innocence est un concept fragile et cette proposition de loi la met à mal. Je vous demande donc de la déclarer non conforme à la Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. le Rapporteur - Je voudrais d'abord revenir sur l'idée que légiférer en urgence ne pourrait donner que de mauvais produits. Mais pourquoi le Parlement ne pourrait-il pas répondre à une situation avérée ? Le Parlement auquel vous faites référence est-il sourd ou refuse-t-il de répondre aux questions qu'on lui pose ? Et vous vous plaignez que nos concitoyens se désintéressent de la politique !

M. Arnaud Montebourg - Il a raison !

M. le Rapporteur - C'est au contraire l'honneur d'un responsable politique que de discuter en permanence avec les citoyens et d'être à leur écoute. Je vous ai demandé en commission des lois si le rapport d'évaluation était juste. Vous avez reconnu qu'il était de qualité. Aurions-nous dû l'enterrer malgré les questions qu'il pose ? Quel aurait été le sentiment de ceux qui ont émis certaines critiques, et comment aurait évolué la situation ?

Vous qui êtes aujourd'hui, un ardent défenseur de la loi du 15 juin, pourquoi n'êtes-vous pas allé rencontrer les policiers qui manifestaient ? Il est facile de venir donner des leçons après la bataille ! Moi, j'ai expliqué à l'époque aux policiers pourquoi il s'agissait d'une bonne loi et je ne fais aujourd'hui que répondre concrètement aux questions qu'on me pose. Ne faites donc pas référence à une « gauche morale », opposée à une « gauche sécuritaire ». Personne ne peut s'attribuer la morale. La morale se trouve dans nos actes et je pense qu'elle se retrouve aussi dans ce texte. Vous battez la campagne en disant que ce texte est inconstitutionnel, mais êtes-vous donc le dépositaire de la Constitution ? C'est le Conseil constitutionnel qui décidera. Pour l'instant, les avis juridiques sont partagés, et je peux en opposer un à chacun de vos arguments. Nombre de procureurs m'ont dit que la question des trois heures n'était pas un enjeu constitutionnel et qu'ils ne comprenaient pas ce débat.

Ne vous attribuez donc pas ce magistère constitutionnel. La loi n'est d'ailleurs pas aussi rigide que vous le dites. Les grands principes doivent en effet savoir répondre aux situations concrètes, et c'est ce que fait ce texte. Tant de passion n'est vraiment pas nécessaire dans cette discussion. Si vous étiez si attaché à la loi du 15 juin, vous auriez mieux fait de la défendre au bon moment (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine David - Le texte du 15 juin est une bonne loi, que nous devons conserver. C'est en effet la première fois, depuis des décennies, qu'un texte balaye l'ensemble de la procédure pénale. Il nous met enfin en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme, qui nous a valu d'être tant de fois condamnés. Cette loi a été longuement mûrie, et elle est le fruit d'un dialogue constructif entre le Gouvernement et les deux assemblées : les trois quarts des articles adoptés sont d'origine parlementaire. Mais l'actualité a révélé des dysfonctionnements dans sa mise en _uvre, qui contrarient le travail des forces de l'ordre sans rien apporter à la présomption d'innocence. Il s'agit d'effets pervers que nous ne pouvions pas prévoir et que nous n'avons évidemment pas voulus.

L'honneur du législateur est de savoir concilier les principes dont il s'inspire et les réalités auxquelles il est confronté. Les vertueuses déclarations d'intention qui s'obstinent à nier les conditions d'application d'une loi me rappellent la définition que donnait Péguy de la philosophie idéaliste de Kant : « Elle a les mains blanches mais elle n'a pas de mains ».

Il n'y a pas dans cet hémicycle les vrais défenseurs de la présomption d'innocence d'un côté, face à ceux qui lui tourneraient le dos, mais plutôt ceux qui condamneraient la loi en la maintenant en l'état et ceux qui vont la pérenniser en l'améliorant. Il ne s'agit que d'aménager certaines modalités d'applications du texte, en suivant les propositions faites par Julien Dray au terme d'un travail mené sur le terrain avec sérieux et compétence. Ses recommandations sont mesurées et pragmatiques, elles n'ont rien de révolutionnaire (Sourires sur les bancs du groupe socialiste).

Comment peut-on dire que cette simple retouche est anticonstitutionnelle ? Cette casuistique ne nous abusera pas. Je vous invite à repousser l'exception d'irrecevabilité, afin d'entamer sans tarder l'examen de la proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Devedjian - M. Julien Dray a tort de s'énerver, car, comme il l'a dit lui-même, son texte est modeste. Vous avez cité Montaigne, c'est bien ; je citerai Montesquieu qui disait qu'il ne faut toucher à la loi que d'une main tremblante.

La loi du 15 juin 2000, votée avec beaucoup de bonnes intentions, mais aussi de précipitation...

M. Jean-Pierre Brard - Vous la votâtes ! (Sourires sur divers bancs)

M. Patrick Devedjian - J'y reviendrai !... Cette loi a créé un certain nombre de dysfonctionnements parce qu'elle se situe à mi-chemin entre la logique inquisitoriale, fort ancienne dans notre droit, et la logique de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est pourquoi l'opposition a adopté l'attitude qu'elle a eue lors du vote. Monsieur Brard, Monsieur Tourret, il n'est pas vrai que la loi ait été adoptée à l'unanimité. Selon les Journal officiel, lors du vote par scrutin public en première lecture, - le seul auquel on puisse se référer car les autres votes ont eu lieu à main levée, chacun peut donc raconter ce qu'il veut (Exclamations et interruptions sur les bancs du groupe socialiste) - il y a eu 108 voix contre et 133 abstentions, ce qui fait un total de 241 députés de l'opposition qui n'ont pas voté cette loi (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Gérard Gouzes - Vous trouviez qu'elle n'allait pas assez loin !

M. le Président de la commission - C'est la dernière lecture qui compte !

M. Patrick Devedjian - L'objection de M. Tourret quant à la constitutionnalité mérite qu'on s'interroge. Mme la Garde des Sceaux l'a rappelé à juste titre, la décision du Conseil constitutionnel du 11 août 1993 sur la saisine du procureur est très claire. Cette décision prise d'ailleurs contre la droite, suite à un recours des sénateurs socialistes, dit que le procureur doit être saisi « dans le plus bref délai possible ».

Sous réserve de l'amendement annoncé, l'article que vous proposez est donc sans doute inconstitutionnel.

Néanmoins, le RPR votera contre l'exception d'irrecevabilité car la proposition veut remédier à des dysfonctionnements réels, dus à un manque d'expérimentation : il faut dire que sur certains points, comme l'appel contre les décisions des cours d'assises, vous avez changé trois fois d'avis !

Mme la Garde des Sceaux - Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis !

M. Patrick Devedjian - En ce cas, vous êtes très intelligents !

M. Jean-Pierre Brard - Vous êtes orfèvre !

M. Patrick Devedjian - Nous estimons qu'il est urgent de réparer ces dysfonctionnements, dus à des difficultés techniques et parfois à l'angélisme : or, M. Tourret ne propose rien. Nous voterons contre sa motion.

M. Jean-Pierre Brard - Chacun aura apprécié la modestie de M. Devedjian, qui se réfugie dans l'absence pour ne pas exprimer d'opinion.

On a cité Montaigne, Balzac, Péguy, Montesquieu, mais l'intervention de M. Tourret me faisait penser plutôt aux Misérables de Victor Hugo ou au film Apocalypse now ! (Rires sur divers bancs)

M. Tourret nous a déjà fait le coup de brandir la Déclaration des droits de l'homme lorsque j'ai proposé de voter un identifiant unique pour combattre la fraude. M. Tourret s'est alors répandu dans les médias, qualifiant ma proposition de liberticide, et il a usé du même argument à cette tribune.

Plusieurs députés RPR - C'est un règlement de comptes !

M. Jean-Pierre Brard - Mais au moment du vote, M. Tourret n'était plus là. Aujourd'hui, il recommence.

Il n'est pas digne d'opposer la gauche sécuritaire à la gauche morale. Je suis l'élu d'une circonscription où la population est très mélangée. Le droit à vivre en paix chez soi doit être reconnu.

La loi de juin 2000 est une bonne loi, mais des ajustements sont nécessaires, vu l'application parfois étrange qui en a été faite. Selon M. Tourret, il faut choisir entre légiférer à partir de principes ou à partir de faits divers. Mais je le soupçonne de le faire plutôt à partir d'intérêts corporatistes...

L'exception d'irrecevabilité est infondée car les problèmes posés ne sont pas virtuels et ils ont des conséquences concrètes sur la vie de nos concitoyens. Il y a donc lieu de débattre de ce texte, y compris pour l'améliorer, d'autant qu'il ne remet pas en cause la présomption d'innocence. Le groupe communiste votera contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pascal Clément - Alain Tourret, qui appartient à la majorité, a paradoxalement défendu une exception d'irrecevabilité contre une proposition de loi du groupe socialiste.

Ma première réaction a été de penser que le parti socialiste ne serait pas très heureux d'être débordé sur sa gauche. Mais ensuite, je me suis rendu compte que M. Tourret rendait un très beau service à la majorité en laissant croire que le réalisme aurait enfin touché le Gouvernement et le PS. Vous avez été, cher collègue, manipulé malgré vous et vous êtes en train de réaliser la prophétie du président de l'Assemblée nationale en 1981, qui annonçait une alternance entre les différentes tendances du parti socialiste !

Il est piquant de voir M. Tourret défendre l'idéologie, malgré l'échec retentissant de la loi de juin 2000, au lieu de tenir compte des réalités quotidiennes.

M. Dray nous dit qu'il nous propose les ajustements nécessaires. Nous montrerons tout à l'heure que non, mais en aucun cas nous ne pouvons aller dans le sens de M. Tourret ! En effet ce qu'on peut reprocher au texte initial, c'est de constituer une transcription rigide, pour ne pas dire sotte, des principes de la Convention européenne des droits de l'homme, qui ont été mal compris. Cette rigidité a donné les résultats que l'on sait. Au lieu de la conserver, comme le voudrait M. Tourret, nous devons bien plutôt respecter l'esprit de la Convention. Ajuster quelques articles de la loi ne suffit pas, tant s'en faut, mais il est ridicule de parler d'inconstitutionnalité.

M. Tourret prouve qu'il y a débat à gauche entre ceux qui ont peut-être commencé à comprendre qu'ils sont dans l'erreur et ceux qui probablement ne le comprendront jamais, mais nous ne le suivrons pas !

M. Jean-Antoine Leonetti - J'ai écouté M. Tourret avec beaucoup d'attention. Je me suis un petit peu ennuyé dans la première partie. Six madeleines à avaler, cela commence à faire beaucoup, et la comparaison m'a parue un peu caricaturale...

En revanche, il était intéressant d'entendre M. Tourret expliquer qu'il se sentait trahi. D'autres devraient éprouver le même sentiment, qui hier répondaient par un angélisme total à ceux qui, hier, disaient que cette loi serait difficile à appliquer parce qu'elle nécessitait beaucoup de moyens. Aujourd'hui, Jean-Pierre Chevènement étant parti, on a trouvé quelqu'un pour crier haut et fort : M. Dray. Pour compenser, on a demandé à M. Tourret de défendre une exception d'irrecevabilité, pour affirmer la main sur le c_ur que les droits de l'homme sont bien ancrés à gauche.

En vérité, la majorité va se renier sans pour autant corriger les effets pervers de cette loi. Elle abat ce qu'elle avait porté aux nues, sans remédier aux dysfonctionnements résultant d'une transcription mal comprise de la Convention européenne. Elle oublie que les forces de l'ordre sont garantes des droits de l'homme. C'est pourquoi nous voterons contre la motion de M. Tourret, tout en comprenant son indignation.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 35.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              Louis REVAH

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

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