Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (2001-2002)

Session ordinaire de 2001-2002 - 52ème jour de séance, 122ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 23 JANVIER 2002

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

MALAISE DES PROFESSIONS DE SANTÉ 2

SOUHAITS DE BIENVENUE AUX PRÉSIDENTS DE
LA KNESSET DE L'ÉTAT D'ISRAEL ET DU CONSEIL LÉGISLATIF PALESTINIEN 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT
(suite) 3

DEVENIR INDUSTRIEL DE LA FRANCE 3

SITUATION DES INFIRMIÈRES 3

AVENIR DU TEXTILE HABILLEMENT 4

REVENDICATIONS DES PROFESSIONNELS
DE LA SANTÉ 5

BLANCHIMENT D'ARGENT 6

VALIDATION DES ACQUIS PROFESSIONNELS 7

RÉGIONALISATION DU TRANSPORT FERROVIAIRE 7

SITUATION DE L'EMPLOI CHEZ LES JEUNES 8

SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES 9

ABATTAGE SÉLECTIF DES BOVINS 9

AIDE JURIDICTIONNELLE 10

SONDAGES D'OPINION 11

AVANT L'ARTICLE PREMIER 18

ARTICLE PREMIER 18

APRÈS L'ARTICLE PREMIER 19

ART. 2 19

PROPOSITION DE LOI COMPLÉTANT
LA LOI DU 15 JUIN 2000 (suite) 21

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 21

AVANT L'ARTICLE PREMIER 28

ART. 2 33

La séance est ouverte à quinze heures.

Top Of Page

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Top Of Page

MALAISE DES PROFESSIONS DE SANTÉ

M. Jacques Le Nay - Le 5 décembre dernier, Pierre-Christophe Baguet vous avait interrogé sur la crise que traversent les professions de santé. Notre collègue soulignait en particulier les difficultés des infirmières et infirmiers libéraux. Vous aviez répondu que le Gouvernement avait pris des mesures pour faciliter l'exercice de ce métier et accroître le recrutement. Pourtant, le mouvement engagé depuis un mois prouve que les insatisfactions perdurent. Ainsi, hier, ces personnels ont exprimé leurs ras-le-bol à constater que leur profession n'est pas reconnue. Les infirmières et infirmiers réclament surtout une revalorisation justifiée de leurs honoraires, ceux-ci n'ont pas varié, semble-t-il, depuis quatorze ans, ils en ressentent un sentiment de profonde injustice. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que ces problèmes relèvent de la CNAM !

Face au désarroi des infirmiers libéraux, quelles propositions entendez-vous faire pour répondre à leur inquiétude et à leurs attentes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je me suis entretenu, précisément, depuis quelques jours, avec les trois syndicats représentant les infirmières et les infirmiers libéraux.

Il est vrai que la demande est forte de revaloriser les rémunérations. Elle donnera lieu à l'ouverture de négociations avec la CNAM la semaine prochaine. Il faudra avancer. Les indemnités horokilométriques des infirmières sont aujourd'hui très en dessous des indemnités accordées aux médecins. L'écart s'est creusé, lorsque le Gouvernement que vous souteniez en 1995 (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) a revalorisé les indemnités horokilométriques des médecins, en oubliant les infirmières. Il y a là, en effet, une injustice à réparer.

Mais il y a en plus la question des quotas d'activité institués en 1994 pour les infirmières. Ils génèrent beaucoup d'incompréhension et ne sont pas très efficaces : il faudra les revoir.

Plus généralement, les conditions d'exercice de ces professions sont délicates, tant nous leur demandons toujours davantage - et dans le service public, et pour les professionnels libéraux. Ainsi, nous leur demandons d'être totalement partie prenante dans la mise en place des services à domicile pour les personnes âgées. Je veillerai, j'en ai pris l'engagement, à ce que les infirmières libérales aient toute leur place dans la mise en _uvre de l'allocation personnalisée d'autonomie. J'ai d'ailleurs demandé à M. Gilles Duhamel, inspecteur général des affaires sociales, de mettre à plat le système pour que nous puissions nous assurer que, des aides à domicile aux aides-soignantes, des kinésithérapeutes aux ergothérapeutes, tous soient bien coordonnés en vue des soins que nous voulons apporter aux personnes âgées.

Nous poursuivons ce dialogue que j'ai engagé il y a un an, nous avons l'intention de l'intensifier, et de traiter le malaise des professions de santé de façon globale et dans la durée.

Top Of Page

SOUHAITS DE BIENVENUE AUX PRÉSIDENTS DE LA KNESSET DE L'ÉTAT D'ISRAEL ET DU CONSEIL LÉGISLATIF PALESTINIEN

M. le Président - C'est avec beaucoup d'émotion que je vous demande de saluer ces hommes de paix et de dialogue que sont M. Avraham Burg, Président la Knesset de l'Etat d'Israël, et de M. Ahmed Qurie, Président du Conseil législatif palestinien, qui ont, à mon invitation, accepté de venir ensemble discuter de la situation extrêmement préoccupante du Proche-Orient. Shalom, Monsieur le Président ; Salam, Monsieur le Président (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent. Quand MM. Burg et Qurie échangent une poignée de mains, les applaudissements redoublent).

Top Of Page

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite)

Top Of Page

DEVENIR INDUSTRIEL DE LA FRANCE

M. Georges Sarre - Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, je voudrais faire un léger retour en arrière. Pendant vingt ans, les contribuables français ont dû financer, à la demande du CNPF d'alors, la sidérurgie française.

Avec la nationalisation de 1982, il fallut encore payer les dettes ; heureusement, la nationalisation fut un succès : Usinor-Sacilor devient le premier groupe sidérurgique européen. Vint le Gouvernement Balladur et la privatisation : retour en arrière. Aujourd'hui, le groupe fusionne avec deux groupes sidérurgiques européens et veut délocaliser son siège social au Luxembourg - ceci est, pour le moins, choquant.

En outre, cette fusion sert de paravent pour la réorganisation des activités : la direction d'Usinor a ainsi décidé la cession et la fermeture de plusieurs sites : dans le Pas-de-Calais, 444 emplois supprimés : dans l'Aisne, 350 emplois sont directement menacés - la cession est cette fois imposée par Bruxelles, sans repreneur à l'horizon. Dans des régions si frappées par le chômage et les restructurations, ces décisions tombent comme un couperet.

Monsieur le ministre, quelle est la politique industrielle du Gouvernement face à la désindustrialisation de la France ?

Un député RPR - Il n'y en a pas !

M. Georges Sarre - M. Lionel Jospin lançait récemment un appel au « particularisme d'entreprise » : où est-il, en l'espèce ? Que compte faire le Gouvernement pour ne pas être considéré aux abonnés absents ?

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - C'est autour d'un groupe français - Usinor - que le leader mondial de l'acier, Arcelor s'est constitué : voilà, pour nous, un motif de fierté. C'est un atout pour la recherche, le développement et l'investissement, pour la tradition française de qualité et de conquête de marchés internationaux.

Cette fusion intervient dans un contexte plutôt négatif pour la sidérurgie internationale : les prix baissent, la surcapacité de production est importante, des mesures protectionnistes de la part des Etats-Unis sont annoncées, une clientèle très concentrée, comme dans le secteur automobile, a en outre des exigences fortes.

Le Gouvernement est extrêmement ferme et exprime une exigence (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) vis-à-vis de l'entreprise : puisqu'il s'agit d'un groupe leader mondial, il ne pourra « laisser tomber », pardonnez-moi l'expression, les deux sites dont vous parlez. Il a une responsabilité dans leur industrialisation, que le Gouvernement exige de voir se traduire dans les faits.

En ce qui concerne le siège social : c'est la France qui aura un rôle majeur dans la vie du groupe Arcelor, du fait de la composition de la direction, de l'actionnariat, du poids du savoir-faire et de la recherche-développement, des investissements réalisés dans notre pays. Le siège social choisi est un compromis, l'entreprise étant à la fois belge, luxembourgeoise, espagnole et française par ses implantations. Le site France, je vous rassure, est très compétitif et souvent choisi par les entreprises internationales du même type.

Je songe aux exemples de Lafarge-Blue-Circle ou Orange-France Télécom (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

SITUATION DES INFIRMIÈRES

Mme Sylvia Bassot - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, comme l'a dit mon collègue de l'UDF, le problème posé par les professions de santé est dramatique. Votre réponse ne nous satisfait pas. Depuis cinq ans, qu'avez-vous fait ?

Plusieurs députés UDF et DL - Rien ! Rien !

Mme Sylvia Bassot - Plus que jamais, après ce qui s'est passé hier, nous sommes tous solidaires des infirmières, nous avons tous ressenti douloureusement la violence qui leur a été opposée.

Vous êtes en train de transformer notre sécurité sociale en véritable insécurité sociale ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Les professionnels de santé, en effet, traversent une crise grave ; les infirmières - dans les secteurs hospitalier, libéral ou scolaire - ne sont pas épargnées. Comment expliquer que les centres de soins, si importants en zone rurale, ne soient plus viables ? Ils ferment les uns après les autres !

La clarification des actes ne permet plus de payer un salaire décent aux infirmières. Tout un réseau social disparaît. À ce régime, il n'est pas étonnant que la pénurie d'infirmières devienne aussi alarmante que la pénurie de médecins, surtout au nord de la Loire.

Docteur Kouchner, Madame Guigou, quand cesserez-vous votre jeu de rôles ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Quand cesserez-vous de tergiverser ? Qu'attendez-vous pour revaloriser les actes infirmiers et réviser des quotas de soins totalement inadaptés aux attentes de la population ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. le Président - Je vous rappelle que Mme Guigou, comme M. Kouchner à qui je vais donner la parole, font partie du Gouvernement de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Un député RPR - C'est de la provocation !

M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé - Sans sortir de mon rôle, je peux vous dire que Mme Guigou et moi avons en commun d'être au service de ce très particulier théâtre qu'est la santé en France, qui ne va pas si mal que ça (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Vous et moi dénonçons les mêmes difficultés, mais nous ne sommes pas d'accord sur les remèdes. Vous nous demandez ce que nous avons fait pour les généralistes et les infirmières. Je ne déroulerai pas un catalogue qui pourrait être déplaisant pour certains (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

En amont, nous avons entièrement revu la formation des généralistes, ce qui n'avait pas été fait depuis le début de l'internat. Celui-ci n'est plus réservé aux spécialistes, ce qui répondait à une revendication majeure des médecins, et vous en verrez les résultats dans quelques années (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). En aval, nous avons, nous, augmenté le nombre de médecins en formation. Il s'élève à 4 700 cette année avec, nous l'espérons, 1 000 de plus bientôt (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Mme Sylvia Bassot - Je vous ai parlé des infirmières !

M. le Secrétaire d'Etat - Le vacarme ne suffit pas ! Il y a aujourd'hui en France 26 436 infirmières en formation. C'est 12 000 de plus que vous n'en aviez. Alors, un peu de pudeur ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Merci d'avoir remarqué que j'avais compris les revendications des généralistes, mais cela ne suffit pas : il faut leur apporter des réponses, et c'est ce qui aura lieu, je l'espère, ce soir. Mme Guigou et moi avons déjà commencé à travailler à l'après-négociation. Demain, notre système de santé, qui est salué partout, et notamment par les Européens qui viennent se faire soigner en France, triomphera pour le bien de tous, y compris le vôtre (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Top Of Page

AVENIR DU TEXTILE HABILLEMENT

Mme Monique Collange - En tant que membre de la commission des affaires étrangères, je voudrais d'abord saluer ce moment émouvant qui vient de voir Palestine et Israël main dans la main (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La filière du textile habillement, qui emploie encore 200 000 personnes en France, a déjà beaucoup souffert et subit aujourd'hui le ralentissement international, la concurrence des pays à bas salaire et l'émergence des pays asiatiques, alors que la Chine a intégré l'OMC. C'est un secteur innovant dont les métiers et les produits se renouvellent profondément, ce qui lui offre de formidables opportunités de développement. Les pouvoirs publics doivent l'accompagner à ce moment décisif.

En Midi-Pyrénées, on compte encore 12 000 salariés dans cette filière. Dans le Tarn et l'Ariège, il s'agit de la première activité industrielle. Que compte faire le Gouvernement pour promouvoir l'innovation, soutenir l'exportation et défendre nos PMI contre la contrefaçon ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Le textile habillement est la deuxième industrie de France, en termes d'emplois offerts, présente dans presque toutes les régions. C'est un secteur d'avenir sur lequel le Gouvernement fonde de grands espoirs et auquel il apporte son appui.

Le groupe d'études des problèmes du textile et de l'habillement, animé par le président Balduyck, a mis en lumière des mesures concrètes : un renouvellement des formations et des compétences, la création d'un centre national à Roanne et bientôt, au lendemain des moments émouvants que nous avons vécus avec Yves Saint-Laurent (Exclamations sur les bancs du groupe RCV), d'une cité de la création et de la mode à Paris, ainsi que la mise en place avec la profession, que je salue pour son dynamisme, d'un réseau des industries du textile habillement qui associera les industriels, les centres de recherche et de formation, les PME et les grandes entreprises et les laboratoires de recherche privés et publics. Ce réseau, qui aura un ancrage régional, permettra de soutenir les initiatives et de développer les produits, les services et les procédés du secteur. La région Midi-Pyrénées y est associée en tant que pôle d'excellence. Le textile a de l'avenir et le Gouvernement conduit une politique industrielle active pour le lui assurer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

REVENDICATIONS DES PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ

M. Alain Cousin - Comme beaucoup, j'ai été indigné de constater que ce n'est que par la force que vous avez répondu aux infirmières. Aujourd'hui, ce sont les généralistes et de nombreux spécialistes qui ont fermé leur cabinet. Depuis deux mois, ils n'ont en effet reçu aucune réponse satisfaisante aux légitimes questions qu'ils vous posaient. Cela traduit le mépris dans lequel vous tenez des professionnels qui passent jour et nuit au chevet des malades, ne comptant ni leur temps, ni leur dévouement. Un fossé considérable semble se creuser entre ceux qui bénéficient des 35 heures et ceux qui travaillent 60 heures par semaine. Pourquoi vous obstinez-vous à ne pas entendre les travailleurs indépendants, commerçants, artisans et bien sûr professions libérales ? Vous donnez aux Français le sentiment que les salariés bénéficient d'un traitement particulier. Ne vous contentez pas de dire que ce n'est pas vrai, vous avez l'occasion de le démontrer (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le Gouvernement a donné aux professionnels de la santé des moyens sans précédent, et sans faire aucune discrimination (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Dans les hôpitaux, 760 000 personnes ont vu revaloriser leur carrière et leur formation, ainsi que les infirmières des cliniques privées, qui gagnaient 20 à 30 % de moins que leurs collègues du public. Pour les libéraux, nous avons revalorisé les actes de la nomenclature, pour les infirmières en 1999 et pour les médecins dès 1998 : nous avons augmenté les tarifs des visites en urgence, des visites aux personnes âgées dépendantes, des visites de nuit et des actes de petite chirurgie effectués par les généralistes.

Bien sûr, il faut encore faire davantage, et c'est l'objet des négociations actuelles. Mais on ne peut que constater un contraste flagrant entre aujourd'hui et l'époque où vous exerciez les responsabilités (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). En 1995, vous avez voulu passer à un système coercitif avec des sanctions financières, qui a eu les résultats que vous savez. Depuis, nous avons profondément changé les relations entre l'Etat et les professionnels, qui sont aujourd'hui fondées sur la confiance et sur un contrat partagé. C'est ce que nous continuerons à faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Top Of Page

BLANCHIMENT D'ARGENT

M. Jean-Pierre Brard - Depuis 1997, des mesures très utiles ont été adoptées sur notre proposition contre la fraude fiscale. Des pratiques de blanchiment d'argent ont été mises en évidence en Suisse, à Monaco, au Lichtenstein, au Royaume-Uni et au Luxembourg par les rapports de MM. Peillon et Montebourg. Il ne s'agit de rien moins que du recyclage de l'argent de la drogue, de la prostitution, des sectes et du vol.

Je ne peux donc que m'étonner des paroles de compassion prononcées par le ministre de l'économie et des finances à l'égard du principal dirigeant d'un important établissement bancaire mis en examen. Cet établissement s'était interrogé sur les risques qu'il courait en violant les règles de la République sur le blanchiment d'argent, et certains de ses responsables étaient allés traiter ces affaires à l'étranger. C'est sciemment qu'ils ont enfreint la législation. J'ai vu de même, en me rendant dans des paradis fiscaux...

Un député RPR - Bravo ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - ...pour travailler sur la fraude fiscale, que de nombreux établissements bancaires français étaient présents dans ces pays. Notre pays doit se montrer exemplaire. Nous avons voté la loi sur les nouvelles régulations économiques, qui contient des dispositions tendant à renforcer la lutte contre le blanchiment. Quand ses décrets d'application seront-ils publiés ? Et comment faire pour que les établissements bancaires s'engagent dans cette lutte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste)

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - Vous venez d'évoquer le travail de MM. Peillon et Montebourg (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Je suis d'accord avec vous : avant de juger nos partenaires, nous devons être sûrs que la France lutte de manière efficace contre le blanchiment.

Vous avez souligné l'engagement du Gouvernement dans ce domaine. Cette question a été une préoccupation de la présidence française de l'Union européenne et nous avons joué un rôle actif dans la révision de la directive antiblanchiment. Au sein du G7, cet engagement est reconnu.

Les décrets d'application de la loi sur les nouvelles régulations économiques sont en cours de signature. Certains ont déjà été signés. Ceux qui portent sur le blanchiment le seront très prochainement.

S'agissant des dirigeants du secteur bancaire mis en examen, le Gouvernement n'a pas l'habitude de commenter les procédures judiciaires en cours.

Il faudra tirer toutes les conséquences de cette affaire. Le cas échéant, notre législation sur les paiements internationaux par chèque devra s'adapter. Une négociation est en cours avec la commission bancaire. Elle a pour objectif l'établissement d'un code de bonne conduite, qui ne nécessitera pas d'ajustements législatifs.

Je veux rappeler que le délit de blanchiment, comme tout délit, suppose une intention. On ne peut être condamné que pour avoir sciemment commis les faits incriminés.

La lutte contre le blanchiment requiert la coopération de tous. Les banques jouent un rôle essentiel. Nous resterons vigilants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

VALIDATION DES ACQUIS PROFESSIONNELS

M. Jean-Jacques Denis - Madame la secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, la validation des acquis de l'expérience est une nouvelle avancée qui s'ajoute aux importantes réformes menées depuis cinq ans.

Il s'agit d'un progrès social, puisque les intéressés pourront faire valider un parcours professionnel non reconnu auparavant. Dans ma circonscription, de nombreuses personnes souhaitent s'inscrire. Où en est la préparation des décrets et quand ceux-ci seront-ils publiés ? Quels moyens le Gouvernement consacrera-t-il à ce dispositif ? Et comment les demandeurs seront-ils reçus et orientés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle - Je confirme que les demandes sont déjà nombreuses.

La loi a été promulguée le 17 janvier. Je n'oublie pas que je m'étais engagée, pendant son examen, à préparer les décrets en amont. C'est bien ce qui a été fait. Les cinq décrets sont prêts et ils seront transmis au Conseil d'Etat la semaine prochaine.

S'agissant des moyens, l'Assemblée a voté dans le budget pour 2002 un crédit de 4,5 millions d'euros pour la constitution d'un réseau de lieux d'accueil. Il a été décidé de réaliser un répertoire général des certifications et de créer un site spécifique. L'ensemble des organismes de validation, dont l'Éducation nationale, se préparent. Un responsable a été nommé dans chaque université. Un effort de promotion sera fait dans la presse régionale et des dépliants seront disponibles dans les quatre mille lieux d'accueil. Je suis très heureuse de cette avancée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

RÉGIONALISATION DU TRANSPORT FERROVIAIRE

M. Philippe Martin - Monsieur le ministre des transports, de grandes incertitudes risquent de compromettre le processus de régionalisation des transports ferroviaires de voyageurs. Votre ministère doit veiller au maintien des dessertes sur les grandes lignes, afin de garantir un service public de proximité dont la disparition ferait supporter aux régions des charges supplémentaires. La mise en service du TGV-Est ne doit pas se traduire par une diminution du trafic grandes lignes, ni par l'abandon de certaines dessertes. L'arrivée du TGV-Est va imposer une profonde restructuration de l'offre en matière de transport express régional. De lourdes charges risquent d'être transférées aux régions, sur lesquelles va aussi peser le renouvellement du matériel vétuste.

Il faudrait aussi faire connaître vos décisions sur l'avenir des ateliers SNCF. Le personnel ne peut être laissé dans l'incertitude.

Puisque vous pouvez débloquer des sommes importantes pour calmer dans l'urgence certaines professions, quels moyens comptez-vous mettre à la disposition des régions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Vous avez raison, la décentralisation du transport ferroviaire de voyageurs est en _uvre. Expérimentée, espérée, souhaitée, elle se réalise. Elle vient même de franchir une nouvelle étape, puisque cinq nouvelles régions sont entrées ce matin au conseil d'administration de la SNCF. Moins de deux mois après la publication des décrets, dix régions sont déjà concernées. Leurs exécutifs sont en outre de sensibilités différentes.

Nous avons procédé à une véritable décentralisation : nous avons transféré des compétences et non des charges. La contribution de l'Etat a augmenté de 30 % en un an et de 70 % par rapport à 1997 : 1,5 milliard d'euros est ainsi transféré aux régions.

Cette réforme ne menace pas ce qui fait l'identité de notre service public ferroviaire. Contrairement à ce qui s'est fait en Angleterre, il n'est pas question de le privatiser. Dans la région Champagne-Ardenne, le matériel roulant est plus vétuste qu'ailleurs. Aussi avons-nous relevé davantage les crédits de l'Etat à la région. Quant aux incidences avec le TGV, la loi prévoit des négociations entre la SNCF et la région (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Top Of Page

SITUATION DE L'EMPLOI CHEZ LES JEUNES

Mme Marie-Françoise Clergeau - Madame la ministre de l'emploi, nous avons été surpris par les propos de l'opposition au sujet de l'accès des jeunes à l'emploi et de leur autonomie. Le Gouvernement a pourtant obtenu de bons résultats. Le chômage des jeunes a été réduit de moitié ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Il était avant 1997 deux fois supérieur à la moyenne mondiale. Cette exception française justifiait d'ailleurs qu'on parle de fracture sociale. Mais les gouvernements Balladur et Juppé n'ont d'autre bilan en la matière, que la tentative d'instituer un sous-SMIC pour les jeunes, le fameux CIP, retiré suite à la mobilisation des intéressés.

Dans la continuité de l'action engagée par Martine Aubry, le Gouvernement a ouvert un vaste chantier pour aider les jeunes à entrer sur le marché du travail. Beaucoup a été fait : je pense à notre politique volontariste en faveur de la croissance, à la création des emplois-jeunes, au programme TRACE et à la récente création des bourses d'accès à l'emploi. Il faut continuer.

Quel est l'impact de ces mesures sur l'emploi et l'insertion des jeunes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le Premier ministre, en 1997, avait promis de prendre ce problème à bras le corps. Il a tenu parole (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Nous avons remis 210 000 jeunes sur le marché du travail, alors qu'il y avait 600 000 jeunes chômeurs en 1997. Entre ces deux chiffres, il y a une différence radicale de méthode : les précédents gouvernements n'avaient trouvé à offrir aux jeunes que le « SMIC jeunes » de sinistre mémoire. On sait la réponse qui leur a été apportée. Au contraire ce gouvernement a pris des initiatives radicales en faveur de l'emploi des jeunes. Tout d'abord les 35 heures, qui ont créé quelque 400 000 emplois, ont aussi bénéficié aux jeunes. Ensuite le programme emplois-jeunes a profité à 350 000 d'entre eux, puisque je viens de signer avec le maire de Dijon le trois cent cinquante millième contrat. Les deux tiers des jeunes qui sont sortis des emplois-jeunes ont trouvé leur place sur le marché du travail. Les autres ont passé avec succès des concours de la fonction publique. Vous le savez, dans notre programme de pérennisation des emplois-jeunes, nous avons défini des concours de troisième voie dans la fonction publique nationale et locale, et, grâce à la validation des acquis, tous ces jeunes trouveront un débouché. Et n'oublions pas le programme TRACE créé pour les jeunes les plus en difficulté. Nous avons décidé cette année de doubler le nombre de ses bénéficiaires et de créer des bourses d'accès à l'emploi pour leur assurer une rémunération.

Par ailleurs, je me rendrai vendredi à Dijon où se réunissent les missions locales, dont le rôle est fondamental. Depuis 1997, j'ai plaisir à le souligner, nous avons multiplié leurs moyens, et nous avons créé pour elles 410 postes cette année. Car nous ne nous contentons pas de mettre en place des mesures : nous nous soucions aussi, trois ans après, de leur évaluation. Et nous n'entendons pas nous arrêter là : nous avons en projet un contrat d'autonomie jeunes, car, au-delà de ce que nous avons fait pour leur emploi, nous pensons que les jeunes ont droit à l'autonomie et aux moyens de celle-ci (Applaudissements bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe communiste).

Top Of Page

SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES

M. Yves Deniaud - Ma question s'adressait à M. le ministre des finances : en son absence je la pose à Mme Parly. Jusqu'au dernier jour de la discussion budgétaire, vous avez affirmé comme certaine une prévision de croissance de 2,5 % pour 2002. Aujourd'hui rien ne va plus et le discours change brutalement : vous annoncez une importante révision à la baisse, que vous ferez connaître le 4 février. Vous avez en effet réuni la commission des comptes de la nation un mois plus tôt qu'à l'habitude, ce qui est suspect pour ce qui est de la fiabilité des résultats. Durant tout l'automne vous avez nié l'évidente faiblesse de la croissance française, et bâti un budget bidon sur des prévisions fantaisistes. Le déficit prévu pour 2002 va exploser, comme par ailleurs le chômage. Tout cela parce que vous n'avez pas été sincères. Vous avez une chance de vous rattraper : allez-vous enfin dire la vérité aux Français sur l'état réel de notre économie ? Pouvons-nous être assurés, lors du grand débat démocratique du printemps, de dialoguer sur des bases statistiques certaines, comme dans tous les autres grands pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - Je m'avoue un peu étonnée. Si vous aviez passé plus de temps avec nous lors de la discussion budgétaire, vous auriez pu m'entendre, tout comme le ministre des finances, expliquer pourquoi nous avons maintenu une prévision de croissance à 2,5 %, avec une hypothèse basse à 2,25 %, et comment nous allions nous efforcer de mettre en place, non pas une hypothèse, mais un objectif pour 2002 : avoir la meilleure croissance possible (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Pour cette raison, nous avons annoncé le 16 octobre un plan de consolidation de la croissance, avec notamment le doublement de la prime pour l'emploi (Mêmes mouvements ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Celle-ci a contribué à consolider la consommation des ménages, et c'est pourquoi la France a connu en 2001 une meilleure croissance que tous les autres pays européens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Les derniers chiffres de l'INSEE font apparaître pour décembre une progression de 0,3 % sur les biens de consommation, alors que cet institut prévoyait une baisse de 0,3 %.

Vous demandez quand le Gouvernement dira la vérité. Mais précisément ce gouvernement dit la vérité sur la situation des finances publiques. Pour 2001, nous avons annoncé dès le printemps que la croissance ne serait pas de 3,3 %, et dès juillet qu'il y aurait des moins-values de recettes fiscales. En matière de transparence, je ne crois donc pas que nous ayons beaucoup de leçons à recevoir. En revanche, si vous critiquez beaucoup, vous proposez peu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

ABATTAGE SÉLECTIF DES BOVINS

M. Michel Vergnier - Monsieur le ministre de l'agriculture, la commission d'enquête parlementaire sur l'ESB, dont je fus le rapporteur, avait inclus dans ses recommandations l'abattage systématique des troupeaux, mais tous ses membres ont souhaité que cette mesure puisse être revue et qu'on puisse s'orienter vers un abattage sélectif. Les mesures mises en _uvre depuis, notamment les tests systématiques, nous paraissent en effet apporter une sécurité suffisante. Nous étions donc favorables à un abattage sélectif, tout en mesurant les difficultés liées à une telle décision, que vous avez fait précéder, comme c'est votre habitude, d'une large concertation. L'AFSSA a rendu son avis, et le Conseil national de l'alimentation s'est exprimé. Quelle est aujourd'hui la position du Gouvernement ?

Nous demandons d'autre part qu'une solution soit trouvée pour les bêtes accidentées : ici encore nous ne souhaitons pas qu'elles soient systématiquement abattues, mais qu'une forme de commercialisation puisse être trouvée, avec bien sûr un avis vétérinaire autorisé, ou que ces bêtes soient indemnisées comme celles concernées par l'ESB. Quelle est la position du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Il y a quelques années les scientifiques ont en effet recommandé l'abattage systématique du troupeau pour chaque cas d'ESB. Depuis nous avons progressé dans la connaissance, et constaté que dans ces troupeaux les cas d'ESB étaient peu nombreux. Nous avons interrogé les scientifiques sur la possibilité de mesures moins traumatisantes pour les éleveurs. Le Gouvernement a toujours dit qu'il était prêt à agir ainsi, mais uniquement quand il disposerait d'un avis explicite des scientifiques en ce sens. Nous l'avons depuis quelques jours, puisque l'AFSSA préconise un abattage sélectif en épargnant les bêtes nées après le 1er janvier 2002. Cela peut paraître récent et peu sélectif, mais il fallait intégrer dans le dispositif les mesures prises en 2001. En outre cette mesure épargnera un nombre de bêtes croissant à mesure que le temps passera. Ce qui signifie que la maîtrise de la situation nous permet d'entrer dans un scénario de sortie de crise. Nous avons consulté hier le Conseil national de l'alimentation, et dès que nous aurons son avis nous entrerons en consultation interministérielle pour parvenir à une décision.

Quant aux animaux accidentés, nous allons aussi alléger le dispositif.

L'AFSSA estime que, compte tenu des tests, les animaux âgés de moins de deux ans présentent un risque quasiment nul. Elle a donc proposé qu'ils ne soient pas abattus. Un arrêté en ce sens est en cours de rédaction. Ainsi tous les efforts des éleveurs, des pouvoirs publics et des services vétérinaires font que nous allons pouvoir, avec le feu vert des scientifiques, engager un scénario de sortie de crise (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Top Of Page

AIDE JURIDICTIONNELLE

M. Bernard Birsinger - En décembre 2000, Madame la Garde des Sceaux, les avocats avaient fait grève pour la réforme de l'aide juridictionnelle et l'accès de tous à la justice. Le barreau de mon département était en pointe dans ce mouvement. C'est qu'en Seine-Saint-Denis 55 % des affaires traitées par le barreau le sont dans ce cadre, et ce taux atteint 80 % dans certains cabinets qui sont au bord du dépôt de bilan. Comment parler de justice pour tous si l'on n'est bien défendu que lorsqu'on a de l'argent ? C'est une question démocratique essentielle. Comment parler de sécurité quotidienne quand certains n'ont pas les moyens de faire valoir leurs droits ? Depuis le mouvement de décembre 2000, les barêmes de l'aide juridictionnelle ont été relevés, de sorte que 40 % des familles y ont accès au lieu de 27 %. Les avocats sont à nouveau en mouvement parce que les engagements pris n'ont pas été tenus, à savoir un arrêté fixant le nouveau barème de leurs rémunérations, et le dépôt d'un projet de loi réformant l'aide juridictionnelle. Comptez-vous tenir ces engagements avant la fin de la présente session ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Il est vrai que le mouvement des avocats a été largement suivi, et qu'il l'est à nouveau. Et il est logique que votre groupe, comme l'ensemble de la majorité, soit attentif à notre action en faveur de l'accès de tous au droit et à la justice ; je salue M. Brunhes, rapporteur de la loi qui a ouvert la voie dans ce domaine. Un projet de loi a été élaboré à la suite d'un rapport de M. Bouchet, président d'ATD-Quart Monde. Un décret déterminera ensuite les clés de rémunération des avocats. Je comprends l'impatience de ces derniers ; ils demandent que le décret soit négocié avant la loi, ce qui n'est pas habituel. Mais ce que nous pouvons déjà leur dire, c'est que nous prendrons en compte exactement la situation que vous avez décrite. Nous avons débloqué quelque 60 millions d'euros en deux ans. Or nous nous rendons compte aujourd'hui que dans votre barreau, où 50 % à 80 % des affaires sont traitées par l'aide juridictionnelle, les avocats ont beaucoup de difficulté à amortir leurs charges, alors que la situation est bien différente dans les barreaux où 3 % et 4 % des affaires seulement relèvent de l'aide juridictionnelle. Les avocats devraient prendre avec nous le temps de se dire qu'entre eux aussi l'égalité et la justice devraient prévaloir. Pour bien soutenir les populations en difficulté, les avocats doivent être bien rémunérés, mais en tenant compte aussi de la sociologie des départements. C'est ce que je leur propose, dans une négociation difficile mais ouverte. L'accès au droit et à la justice vaut aussi pour les barreaux et les avocats eux-mêmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de Mme Lazerges.

PRÉSIDENCE de Mme CHRISTINE LAZERGES

vice-présidente

    Top Of Page

    SONDAGES D'OPINION

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi modifiant la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion.

Mme la Présidente - Le rapport de la commission des lois porte également sur la proposition de loi de M. Bernard Derosier et plusieurs de ses collègues relative aux conditions de publicité des résultats de sondages de nature électorale.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - L'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 interdit la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage d'opinion ayant un rapport direct ou indirect avec une élection ou un référendum pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci. Cette interdiction, assortie d'une sanction pénale, est cependant de plus en plus fréquemment détournée.

Tout d'abord, la loi de 1977 ne s'applique pas aux organes de presse situés hors du territoire national. Ceux-ci peuvent diffuser sur leurs sites Internet les résultats de sondages effectués dans la semaine précédant le scrutin. Ce fut le cas lors de l'élection présidentielle de 1995, où fut diffusé un sondage portant sur le second tour du scrutin. Lors des législatives de 1997, certains médias indiquèrent même à leurs lecteurs les adresses de sites Internet étrangers livrant les résultats de ces sondages.

À ces situations de fait s'est ajoutée une difficulté juridique. Saisis de recours fondés sur l'incompatibilité de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 et de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - qui consacre le droit de toute personne à la liberté d'expression, celui-ci incluant la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées -, le Conseil d'Etat en 1995 et 1999 et la Cour de cassation en 1996 avaient jusqu'alors débouté les requérants.

Un récent revirement de jurisprudence de la Cour de cassation est toutefois intervenu. Par un arrêt rendu le 4 septembre 2001, celle-ci a en effet jugé qu'« en interdisant la publication, la diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage d'opinion en relation avec l'une des consultations visées par l'article premier de la loi du 19 juillet 1977, les textes fondant la poursuite instaurent une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l'article 10-2 de la convention ». Il en résulte que la méconnaissance des dispositions de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 ne peut plus, aujourd'hui, faire l'objet d'une sanction pénale, quel que soit le moment de la diffusion du sondage.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a, pour sa part, fait observer dans sa recommandation du 23 octobre 2001, que la diffusion de sondages interdits pourrait être considérée par le Conseil constitutionnel comme de nature à altérer la sincérité du scrutin et avoir donc d'importantes conséquences électorales. Le juge de l'élection est en effet naturellement attentif à tout ce qui peut affecter le comportement des électeurs et la diffusion de sondages pendant la période d'interdiction pourrait, en cas de faible écart de voix notamment, valablement motiver l'annulation d'un scrutin.

Le présent projet de loi substitue à l'interdiction d'une durée d'une semaine prévue par l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977, une interdiction qui ne commencera à courir qu'à compter de la veille du scrutin, soit le vendredi à minuit. Cette interdiction s'appliquera également aux sondages ayant déjà fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin.

Cette réduction à deux jours de l'interdiction conjugue les deux exigences fondamentales de la sincérité du scrutin et de la liberté d'expression en obéissant, mieux que précédemment, au principe de proportionnalité.

Par ailleurs, la date limite de l'autorisation de publication des sondages ainsi retenue correspond à la clôture de la campagne audiovisuelle. En effet, l'article L. 49 du code électoral interdit « à partir de la veille du scrutin à zéro heure, de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen audiovisuel tout message ayant le caractère de propagande électorale ». Cette date correspond également à la fin de la campagne de l'élection présidentielle. Il serait paradoxal, si toute interdiction disparaissait, qu'en publiant et en commentant des sondages, les médias puissent poursuivre le débat électoral alors même que les candidats seraient privés de tout droit de réponse.

Pour des raisons évidentes, notamment pratiques, la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant le vendredi à minuit pourra continuer. L'objet de la loi n'est en effet ni de contraindre les gestionnaires de sites Internet à supprimer de leurs archives accessibles au public des informations relatives à des sondages, ni de faire cesser la mise en vente des publications, hebdomadaires par exemple, parues les jours précédents.

Enfin, la notice que l'organisme sondeur doit adresser à la commission des sondages devra désormais lui être transmise avant publication ou diffusion, alors que jusqu'à présent, il suffisait qu'elle le soit à l'occasion de celles-ci. En effet, en l'absence de toute condition de délai posée par la loi, les instituts de sondage ont naturellement tendance à déposer cette notice après la publication. Cette pratique, qui ne facilitait pas l'intervention éventuelle de la commission pour faire publier en temps utile une mise au point ou une rectification, l'empêcherait totalement dans les 48 heures précédant le scrutin.

En déposant ce projet, le Gouvernement n'ignore pas les travaux parlementaires qui l'ont précédé. Plusieurs propositions de loi ont été déposées, certaines même adoptées en première lecture dans chacune des deux chambres. Elles visaient souvent le même objectif, en des termes différents. Je pense notamment à la proposition de votre rapporteur, Bernard Derosier. Tous ces travaux ont nourri notre réflexion.

Ce projet de loi, s'il diffère de ces propositions, a pour seule ambition de résoudre dans un consensus que j'espère le plus large possible et des délais compatibles avec la proximité des échéances électorales, un problème dont tout le monde convient et qui rend indispensable l'intervention urgente du législateur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Derosier, rapporteur de la commission des lois - Par ce texte, le Gouvernement nous propose de mettre en conformité le droit et la réalité.

Qui douterait de l'importance des sondages dans notre société ? Qu'il s'agisse de la qualité d'un produit, d'un fait de société, de la nécessité ou non d'un équipement collectif, l'opinion comme les décideurs souhaitent être confortés par un sondage.

Les sondages électoraux sont bien sûr ceux qui retiennent le plus l'attention du monde politique et des médias. Personne n'en nie la valeur indicative... sauf peut-être lorsqu'ils ne sont pas favorables. Ils permettent les commentaires des spécialistes - ou prétendus tels - au point qu'on se demande parfois s'il est vraiment nécessaire que le vote ait lieu tant les conclusions péremptoires de certains arrivent à convaincre certains de nos concitoyens que les résultats sont acquis. Il nous faut donc trouver le point d'équilibre entre la nécessaire liberté d'information et l'exercice de la démocratie.

La loi du 19 juillet 1977 a eu le mérite d'instaurer un régime d'ensemble en ce domaine. La commission des sondages a ainsi vérifié si les méthodes utilisées par les instituts étaient rigoureuses et objectives, propres à aider, dans la sérénité, les électeurs à se déterminer. En cas de manquements aux règles de déontologie, elle avait le pouvoir de faire publier des mises au point dans les médias. Des sanctions pénales pouvaient également être mises en _uvre.

Cependant, l'évolution des technologies de l'information a rendu nécessaire une modification de la législation. La diffusion de sondages sur Internet dans la dernière semaine précédant les élections a marqué les esprits lors de la dernière élection présidentielle. Elle a fait apparaître une inégalité entre les électeurs dans la connaissance de l'information et a porté atteinte à la sincérité des élections.

C'est d'ailleurs cette dernière analyse qui a été retenue par la Cour de cassation dans sa décision du 4 septembre 2001. La Cour de cassation a ainsi pris le contre-pied de la position encore aujourd'hui défendue par le Conseil d'Etat qui faisait prévaloir strictement les dispositions de la loi de 1977, au risque de conduire à une annulation de certaines élections lorsqu'un sondage a été diffusé au cours de la dernière semaine précédant les élections. Ces positions antinomiques ne doivent pas perdurer ; le législateur est ainsi appelé à intervenir. Le Sénat, en proposant d'introduire un nouveau dispositif dans le projet de loi « Démocratie de proximité » n'a pas justifié autrement cette adaptation.

Cependant, la diffusion des sondages pose d'autres problèmes, plus fondamentaux.

Quel est le rôle des sondages dans le fonctionnement de la démocratie, dans l'information juste et objective de nos concitoyens ?

La Cour de cassation s'est fondée, pour repousser les poursuites intentées contre un quotidien national, sur l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui garantit la liberté d'opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées.

La démocratie repose sur la transparence. Or, de nombreux sondages sont réalisés dans la dernière semaine précédant un scrutin considéré. Ils circulent, et contribuent à favoriser certains au détriment du plus grand nombre. N'étant pas publics, ils autorisent toutes les interprétations et alimentent tous les débordements. Pour éviter qu'il en aille ainsi, il faut rendre aux médias écrits et audiovisuels la plénitude de leur droit d'informer

La question de savoir si le sondage influence le citoyen n'est donc pas la bonne. Il faut détecter, très en amont, le rôle qu'ils jouent sur les responsables politiques, faiseurs et suiveurs d'opinion. Les compétences bien définies et les missions importantes de la commission des sondages sont autant de garanties qui permettent cette ouverture.

Mais les sondages ne font pas l'élection. Que le résultat des votes populaires nous plaise ou nous déplaise, la confrontation finale avec la décision des citoyens est le seul exercice de santé démocratique qui vaille. C'est ce dernier aspect que le projet de loi qui vous est présenté tend à faciliter, en repoussant la date d'interdiction de publication des sondages et en améliorant les conditions d'intervention de la commission des sondages.

Quelques amendements seront proposés, inspirés par les travaux du Sénat et par la proposition de loi dont je suis l'auteur. Ils ont un objectif essentiel : renforcer la transparence et donc protéger davantage la démocratie.

La commission des lois a adopté le projet du Gouvernement à l'unanimité. C'est ce que je vous invite à faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Maxime Gremetz - Nous sommes amenés à modifier la loi du 19 juillet 1977 aux termes de laquelle « pendant toute la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant son déroulement sont interdits par quelque moyen que ce soit la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage ». Le présent projet de loi repousse cette interdiction au vendredi minuit, veille du scrutin.

La situation était en effet devenu ubuesque et la réglementation quelque peu hypocrite puisque l'avènement des nouvelles technologies de communication avait multiplié les moyens de la tourner. Une modification s'imposait donc.

Avant de se pencher à nouveau sur l'opportunité du maintien d'un tel délai - ou de sa suppression -, je rappelle que la loi de 1977 avait été considérée par les députés communistes comme une loi de circonstance. Auparavant, les sondages pouvaient être publiés jusqu'au samedi soir minuit. En 1977, les députés communistes avaient exprimé leur attachement à toutes les libertés et s'étaient opposés à « toute mesure d'interdiction constituant une entrave à la liberté d'expression et au droit à l'information ». Nous maintenons cette appréciation.

Les sondages participent à l'information des électeurs, au même titre que les autres sources d'information. Ils ont un impact sur l'électeur dont on peut penser qu'il va les utiliser et non être utilisé par eux si l'on reconnaît sa maturité.

Les années ayant passé, nous bénéficions d'un certain recul pour apprécier l'utilisation des sondages et leurs effets. Pensons notamment aux dernières élections municipales... Nous sentons tous que la manière dont les questions sont formulées, appelle, par exemple, une rigueur déontologique. Il importe que les instituts de sondages respectent les règles qui s'imposent qu'il s'agisse de la publication des informations ayant trait au nom du commanditaire, la méthode de constitution des panels, des conditions dans lesquelles sont posées les questions ainsi que de leur diffusion dans leur intégralité.

Je rappelle toutefois que la commission des sondages a souligné combien elle est placée dans une situation difficile faute de moyens suffisants.

Par ailleurs, les sondages ont été désacralisés auprès d'un public conscient de leur utilisation parfois intempestive : ils n'ont pas de valeur absolue, le risque d'erreur existe. La commission des sondages reconnaît l'existence d'une marge d'erreur pouvant atteindre 3 à 4 %.

Pour nous, au-delà des sondages, la question importante est celle de la démocratie, de la pratique du pluralisme, des conditions dans lesquelles l'égalité de traitement entre les différents partis politiques est assurée.

Les sondages participent à la vie démocratique ; ils doivent continuer à remplir leur rôle de photographie de l'opinion à un moment donné.

Il ne s'agit donc pas de les diaboliser, mais bien plutôt de veiller au bon usage que l'on en fait. Il ne faut pas faire dire aux sondages plus qu'ils n'en disent ; l'interprétation que l'on en donne, en revanche, pose problème : un point gagné ne signifie pas une hausse de popularité, mais si la même personne gagne un point chaque mois pendant une longue période, la courbe ainsi formée devient alors significative.

Les sondages apparaîtront d'autant moins comme un moyen de manipulation que les autres supports d'information gagneront en pluralisme - je veux évoquer ici les passages dans les médias en dehors des temps réglementaires édictés pendant la campagne officielle.

Au demeurant, si ce n'est pas le sondage en soi qui influence l'électeur, une réglementation demeure nécessaire afin de respecter son libre choix, principalement le jour du scrutin.

Aujourd'hui, évoquer l'influence des sondages pour reculer la date à partir de laquelle ils sont interdits, c'est reconnaître leur utilité pour l'électeur qui souhaiterait émettre un vote stratégique. Nous ne voyons pas d'objection à ce que l'on retienne comme date la fin de la campagne électorale officielle, qui se clôt le vendredi à minuit. Toutefois, le Conseil d'Etat a pointé les difficultés d'application de ce texte : hebdomadaires publiés en milieu de semaine encore en vente le week-end, sites Internet conservant l'affichage jusqu'au jour du scrutin, discrimination en province entre quotidiens du soir et du matin.

N'y-a-t-il pas là un risque de discrimination d'autant que la campagne officielle une fois terminée, les candidats n'ont plus le droit de répondre ? La réduction de la durée de l'interdiction peut-elle d'ailleurs suffire à rendre le texte compatible avec la convention européenne ? N'y-a-t-il pas des risques de transgression de même nature qu'avec le texte de 1977 ?

Nous pensons qu'un temps de réflexion est nécessaire. Respecter l'électeur, c'est créer toutes les conditions d'une bonne circulation de l'information et provoquer des débats sur les vraies questions qui touchent sa vie quotidienne. Dans une telle démarche, dès lors qu'elle est pluraliste, le sondage retrouverait une place à sa juste mesure.

M. Francis Delattre - Ce projet a pour vocation à la fois de valider une pratique et de nous mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation et avec la convention européenne des droits de l'homme.

La loi du 19 juillet 1977, qui interdit la publication, la diffusion et le commentaire de sondages d'opinion dans la semaine précédent une élection, visait à mettre tous les candidats à égalité. Elle n'a plus aujourd'hui la même utilité.

Le développement des nouvelles technologies de la communication, et notamment d'Internet, fait que l'on peut consulter des sondages en ligne. Ils peuvent aussi figurer dans la presse étrangère, qui publie ces informations jusqu'au jour même de l'élection.

Par ailleurs, l'interdiction de diffusion des sondages a été jugée incompatible avec les articles 10 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme par la Cour de cassation.

Dans son arrêt du 4 septembre 2001, celle-ci la juge discriminatoire dans la mesure où les modes modernes de diffusion permettent à des organes de presse situés hors du territoire national de diffuser des sondages alors que les organes nationaux se le voient interdire. La Cour se fonde sur l'article 14 de la convention, aux termes duquel la jouissance des droits et libertés doit être assurée « sans distinction aucune ».

De son côté, l'article 10 de la convention garantit la liberté d'expression, sauf exceptions justifiées telles que la protection d'une personne mise en cause ou l'impartialité de la justice par exemple. La diffusion des sondages d'intentions de vote ne fait à l'évidence pas partie de ces exceptions.

Cette décision est un véritable revirement jurisprudentiel. La Cour, comme le Conseil d'Etat, soutenait jusque-là la position inverse. Ce revirement va dans le sens de la liberté d'information.

Intéressons-nous maintenant au fond.

Les sondages tentent de rendre compte avant les élections des intentions de vote. Ils mesurent la disposition d'esprit de la population. Même si des tentatives de manipulation sont possibles, ils constituent un outil démocratique très important dans la mesure où ils permettent d'appréhender la situation dans son ensemble et les rapports de force, conduisant chacun à mesurer l'impact de son rôle et à assumer sa responsabilité.

Le calme qu'a voulu instituer le législateur en 1977 avait pour but de ménager à l'électeur une période propice à la réflexion personnelle. Vingt-cinq ans plus tard, ce délai paraît trop long. C'est pourquoi le texte d'aujourd'hui entend interdire toute publication d'intentions de vote au-delà du vendredi minuit précédant le jour du scrutin.

Il conviendra toutefois de rester vigilants. Certains directeurs de grands instituts de sondages nationaux ont déjà annoncé leur intention de passer outre, au nom de la liberté d'expression et en vertu de la convention européenne des droits de l'homme. Se verront-ils condamner ou assistera-t-on à l'établissement d'une nouvelle jurisprudence contredisant la loi ?

Aujourd'hui, en effet, la conséquence de l'arrêt de la Cour de cassation est que l'infraction à la loi n'entraîne plus de sanction. Il faut faire en sorte que le nouveau texte ne coure pas le même risque et soit appliqué. Un temps de « silence médiatique » est en effet nécessaire pour permettre à nos concitoyens de faire leur choix en conscience.

Par ailleurs, il est toujours très dommageable de voter des lois inapplicables, qui décrédibilisent le législateur comme les institutions.

Le choix du vendredi minuit comme date butoir vise à concilier le souci de la sincérité du scrutin et les exigences de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme.

Nous approuvons totalement l'interdiction de publication et de diffusion des sondages à partir de cette date, et soutiendrons l'amendement du rapporteur visant à ce que chaque citoyen puisse vérifier la qualité des questions et des réponses, qui peuvent parfois prêter à discussion. En revanche, nous sommes plus réservés en ce qui concerne les commentaires. Cette interdiction risquerait de créer une distorsion entre les médias de type Internet qui pourraient les garder en ligne, et les médias classiques. Nous avons donc déposé un amendement tendant à ce que ceux-ci puissent continuer à commenter les sondages parus avant la date légale d'interdiction.

Les grands patrons de presse ont averti les présidents de groupe : nous devons élaborer une loi applicable ! Si cette inégalité est maintenue, le texte sera attaqué, au titre de la liberté d'expression, devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. Le rejet de notre amendement nous ferait donc réviser notre position en ce qui concerne le vote de la loi. Celle-ci a besoin d'un consensus, tant sur ces bancs qu'avec les groupes de presse, pour ne pas être vidée de sa substance. Je vous propose d'en faire un texte durable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Gilbert Gantier - Ce texte, relativement consensuel, ne semble pas devoir soulever les passions.

La question de l'interdiction de publier des sondages la semaine précédant un scrutin n'est pas nouvelle. Elle resurgit à la même fréquence que les élections. Cette règle fut longtemps la cause d'une certaine inégalité au profit de ceux qui parvenaient à se procurer ces sondages « sous le manteau ».

Cette question se pose toutefois avec une nouvelle acuité aujourd'hui, en raison du développement des nouveaux moyens de communication. Nous sommes entrés dans un monde nouveau, complètement ouvert.

Un seul clic de souris nous ouvre les portes de tous les instituts de sondages, de tous les quotidiens, de tous les commentaires. Cette interdiction paraît donc aujourd'hui désuète, ainsi que contestable en droit puisqu'elle est contraire à l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme.

L'article 11 de la loi de 1977 interdit la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage d'opinion pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin. Cette interdiction est assortie d'une amende de 500 000 F.

Alors que durant de longues années, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation n'avaient pas voulu trancher en faveur du texte européen, le 4 septembre dernier, la Cour de cassation a opéré un revirement. Elle a en effet jugé que cet article instaurait une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui ne sont pas nécessaires à la protection des intérêts énumérés par la convention.

Il résulte de cette décision que la méconnaissance de cet article ne peut plus faire l'objet d'une sanction pénale. Le contexte juridique est désormais incertain et le risque est grand de voir des sondages diffusés la veille et le jour même du scrutin. Modifier la législation est donc inéluctable.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, dans sa recommandation du 23 octobre 2001, et le Conseil constitutionnel ont considéré que la diffusion de sondages la veille ou le jour même d'un scrutin pourrait altérer la sincérité de celui-ci, notamment en cas de faible écart de voix, et amener le juge de l'élection à prononcer de ce fait son annulation.

Tout en tirant les conséquences de l'arrêt rendu par la Cour de cassation, le projet maintient donc le principe de l'interdiction en vue de préserver la sincérité du scrutin.

Désormais, l'interdiction ne commencera à courir qu'à compter de la veille du scrutin, soit le vendredi à minuit. Elle s'appliquera à tous les sondages, y compris à ceux qui auraient fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant cette date. Mais elle ne fera pas obstacle à la poursuite de la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant le vendredi à minuit.

Le groupe Démocratie libérale souscrit pleinement à cette évolution législative salutaire, encore qu'on aurait pu aller plus loin en levant toute interdiction, d'autant que le projet soulève quelques difficultés d'application.

En effet, le samedi et le dimanche, l'interdiction de publication et de commentaire porte également sur les sondages antérieurs : le projet impose donc un silence complet sur les sondages la veille et le jour du scrutin. Or les hebdomadaires publiés en milieu de semaine sont encore en vente le week-end. Des sites Internet peuvent afficher jusqu'au jour du scrutin les résultats de sondages réalisés avant le vendredi minuit. Il y a en outre un risque de discrimination, en province, entre quotidiens du matin et du soir.

Malgré ces risques, vous recevrez le soutien du groupe Démocratie libérale.

M. Christian Estrosi - La loi du 19 juillet 1977 a pour objet de réguler la réalisation et la publication des sondages d'opinion afin de sauvegarder la liberté de choix des électeurs. Elle interdit, dans la semaine précédant le scrutin, la publication, la diffusion ou le commentaire de tels sondages par quelque moyen que ce soit. Elle crée en outre une commission chargée de veiller à l'objectivité et à la qualité des sondages.

La loi est actuellement contournée, en raison du développement des nouveaux moyens de communication.

Cette situation pose le problème de l'égalité des citoyens devant l'information. En effet, tous n'ont pas accès aux sondages préélectoraux.

L'arrêt de la Cour de cassation du 4 septembre 2001 est lourd d'incertitudes, car l'interdiction contenue dans la loi de 1977 serait incompatible avec la convention européenne des droits de l'homme, dont les articles 11 et 14 n'admettent de restrictions à la liberté d'information qu'en cas de « mesures nécessaires répondant à un besoin social impérieux ».

La commission des sondages a reconnu être placée dans une situation difficile. Elle a demandé une modification rapide de la loi de 1977.

Dans son rapport annuel, le CSA s'est inquiété de ces difficultés, qui pourraient mener le Conseil constitutionnel à considérer comme altérée la sincérité du scrutin. Pour Yves Guéna, le président du Conseil constitutionnel, le risque est grand que, dans le nouveau contexte juridique créé par l'arrêt de la Cour de cassation un sondage soit publié le jour même du scrutin. Il a donc souhaité une modification de la législation qui reste fidèle à l'esprit de la loi de 1977.

Il s'agit de porter une atteinte limitée à la liberté d'expression en vue de sauvegarder la liberté de choix des électeurs. Les médias ne pourront plus diffuser de sondages à partir du vendredi minuit. Les sites pourront maintenir les données antérieures à cette limite et les revues sorties avant cette date pourront continuer à être vendues.

La commission, selon la procédure de l'article 88, a repris un amendement au projet relatif à la démocratie de proximité adopté au Sénat, amendement qui lui-même s'inspire d'une proposition adoptée par le Sénat en mai dernier.

La disposition proposée permettrait à la commission des sondages d'exiger une mise au point en cas de violation de la loi, selon des modalités proches du droit de réponse. L'amendement prévoit aussi la possibilité d'une mise au point en cas de réception en France d'un sondage publié à l'étranger.

D'autres amendements ont été déposés par mon collègue Devedjian pour autoriser, au-delà du délai, le commentaire d'informations publiées antérieurement. La commission ne les a pas retenus. Je souhaite qu'elle revoie sa position (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. le Ministre - Ce projet répond aux observations du président du Conseil constitutionnel, qui vient de faire savoir au Gouvernement que des mesures législatives claires lui semblaient souhaitables. Certes, ce dispositif ne peut nous préserver de toute tentative de transgression, nous n'en tirons pas argument pour supprimer toute interdiction. Chacun attend une loi claire garantissant la sincérité du scrutin.

Je ne partage pas l'analyse des orateurs qui ont invoqué le risque d'une rupture d'égalité. Si la presse quotidienne ne peut pas apporter de commentaires à des sondages déjà publiés, il en ira de même pour les autres publications ou les sites en ligne.

J'ai été attentif aux suggestions du rapporteur. Les amendements qu'il a déposés ne sont pas contraires à l'esprit du texte. Ils tendent à l'améliorer en prévoyant le règlement de certains problèmes concrets.

Ce projet ne vise qu'à tirer les conséquences d'une décision de justice et à répondre à la double interpellation du Conseil constitutionnel et du CSA. Il est urgent de légiférer à la veille d'échéances électorales importantes. Mais il ne peut s'agir, dans ces conditions, d'une refonte du droit des sondages.

Vos suggestions, toutefois, méritent de retenir l'attention. Ces amendements auraient justifié un travail d'expertise et une consultation, mais je comprends vos préoccupations. En outre, considérant l'ancienneté et la qualité des travaux parlementaires à ce sujet, je ne peux me résoudre à opposer des avis défavorables à vos amendements. Leur examen me donnera l'occasion d'apporter les précisions nécessaires. Je pense que, de la sorte, nous pourrons légiférer dans un large consensus.

La discussion générale est close.

Mme la Présidente - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Top Of Page

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - L'amendement 3 de la commission vise à rendre plus transparentes les conditions d'élaboration des sondages. L'article 2 de la loi de 1977 énumère une série d'obligations. Je propose d'en ajouter une : mentionner le droit de toute personne à consulter la notice déposée à la commission des sondages.

M. le Ministre - Je comprends l'intérêt de l'amendement du point de vue de la transparence. Mais je m'interroge sur l'usage que l'on pourrait en faire, au risque de se substituer à la commission des sondages elle-même. J'aimerais que le rapporteur élucide ce point. En tout état de cause je m'en remettrai à la sagesse de l'Assemblée.

M. le Rapporteur - La commission des sondages a un rôle, qu'elle remplit bien, et qu'il n'est pas question de remettre en cause. Mais par ailleurs les citoyens, et les journalistes, peuvent souhaiter en savoir plus sur les conditions d'élaboration des sondages : ce sera un surcroît de transparence.

L'amendement 3, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - Dans le même esprit, je propose par l'amendement 4 de poser en principe le droit de toute personne à consulter les notices méthodologiques auprès de la commission des sondages.

M. le Ministre - C'est un amendement de cohérence. Sagesse.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté.

L'article premier ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - L'amendement 5 a pour but de garantir une bonne information des citoyens. Il dispose qu'à l'occasion de la diffusion d'un sondage les questions posées ne peuvent faire l'objet d'une nouvelle formulation, mais doivent être reproduites intégralement.

M. le Ministre - Ici encore je comprends votre objectif, sans sous-estimer les difficultés que peut comporter cette obligation pesant sur les organes de presse. Son intérêt me semble toutefois l'emporter sur ses inconvénients : avis favorable.

L'amendement 5, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 6 a pour objet d'élargir un peu la composition de la commission des sondages. Elle comporte aujourd'hui d'éminents membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Je propose de leur ajouter deux personnalités qualifiées désignées en Conseil des ministres.

M. le Ministre - La composition actuelle de la commission apporte toutes les garanties en fait de compétence et d'indépendance. En outre, la commission peut déjà désigner des personnalités qualifiées comme rapporteurs. Et, compte tenu de la nature quasijuridictionnelle de ses décisions, il est préférable qu'elle ne soit composée que de magistrats. Sagesse.

L'amendement 6, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

ART. 2

M. Francis Delattre - Avec l'amendement 1 nous souhaitons éviter des distorsions entre médias, notamment entre Internet et la presse écrite, en particulier celle qui paraît le samedi. Le texte actuel lui interdit tout commentaire, même sur un sondage publié avant le vendredi à minuit. Il faut éviter que demain la loi soit battue en brèche, et que les errements que nous avons connus se reproduisent dans quelques semaines.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas retenu cet amendement. Ce n'est pas que nous repoussions une idée qui irait à l'encontre des grands principes que nous défendons. Mais faut-il légiférer pour autoriser le commentaire ? Celui-ci est libre par nature, dans une démocratie, et il n'y a pas lieu d'inscrire cette évidence dans la loi.

M. le Ministre - L'article 11 de la loi du 19 juillet 1977, ainsi que le projet du Gouvernement, a pris soin de ne pas distinguer entre publication, diffusion et commentaire d'un sondage. Certes un commentaire peut porter sur des informations déjà connues, sans en apporter de nouvelles. Mais il peut être malaisé dans la pratique de distinguer diffusion et commentaire. On ne peut commenter des chiffres sans les citer. Or ils peuvent être déjà connus, mais passés inaperçus : en pareil cas le commentaire est le prétexte de la diffusion. Je suis donc défavorable, d'autant que, je le crois, les organes de presse sont à égalité dans la mesure où l'information publiée les jours précédents n'est pas différente de celle qui est publiée le samedi.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - Vous dîtes, Monsieur le rapporteur, que le commentaire est libre par nature. Pourtant votre texte l'interdit expressément : je lis au II de l'article 2 que « cette interdiction est également applicable aux sondages ayant fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin » : comprenne qui pourra !

Mais je veux revenir sur ce paragraphe II, dont je propose la suppression par l'amendement 2. Tout d'abord, nous devons être reconnaissants envers la Cour de cassation pour son revirement de jurisprudence, sans lequel immanquablement nous aurions été condamnés par la Cour de Strasbourg. Mais avec votre texte je crains fort que nous soyons derechef condamnables. En effet, l'article 10 de la convention européenne, qui pose le principe de la liberté d'expression, de communication et de réception, admet des limites à ce principe. Il énumère ces limites : cette énumération est limitative, et nul ne peut y ajouter. Qu'y trouve-t-on ? La sécurité nationale ; l'intégrité du territoire ; la sûreté publique ; la défense de l'ordre ; la prévention des crimes ; la protection de la santé et de la morale ; la protection de la réputation et des droits d'autrui, relativement à la diffusion d'informations confidentielles ou aux garanties d'autorité et d'impartialité du pouvoir judiciaire. Aucun de ces items ne s'applique à votre interdiction, de sorte que nous allons nous acheminer à nouveau vers une condamnation. J'espère que la Cour de cassation le dira avant la Cour de Strasbourg, car ce serait moins humiliant. Mais le plus raisonnable serait que nous-mêmes ne nous mettions pas en infraction en légiférant de la sorte.

J'ajoute qu'une fois de plus nous sommes dans l'exception française. Il est absurde de vouloir empêcher la réitération de ce qu'a déjà été écrit ! On en est presque à brûler des livres... Vous pourrez le lire sur Internet, et dans tous les journaux étrangers diffusés en France. Ferez-vous saisir La Gazette de Lausanne, Monsieur le ministre ? Votre mesure est donc discriminatoire à l'encontre de la presse française, et conduira notre pays à subir une humiliation à Strasbourg.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas retenu l'amendement 2. Il est vrai que je suis allé un peu vite en disant que le commentaire était libre. J'ai voulu parler du commentaire général produit par un commentateur. Reste le problème d'un sondage particulier et de son commentaire. C'est ce que le I de l'article interdit la veille et le jour du scrutin, et M. Devedjian ne remet pas en cause cette disposition. Que peut-il se passer dans la presse française le samedi, voire le dimanche ? Qu'un quotidien du samedi ou du dimanche publie et commente un sondage. Il tombe alors sous le coup du dispositif que nous examinons. Il peut aussi arriver qu'un quotidien paru le samedi - et non pas daté de ce jour mais paru la veille - publie un commentaire sur un sondage déjà publié. Ce fait-là ne tombe pas sous le coup du I de l'article 2. En revanche, autoriser la publication de sondages le samedi et le dimanche au prétexte que les journaux concernés seraient parus le vendredi ou seraient d'origine étrangère, comme la Gazette de Lausanne, nous conduirait pour finir à ne pas légiférer et à laisser la jurisprudence faire le droit. Monsieur Estrosi, vous faites des gestes qui me font croire que je suis confus. Je m'en tiens donc au rejet de l'amendement.

M. le Ministre - La loi du 19 juillet 1977, dans son article, interdit la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage. Nous pourrions considérer que cette formulation suffit à tout, puisqu'elle a une valeur absolue. Le Gouvernement estime pourtant préférable de préciser la portée de cette interdiction. C'est pourquoi le II de l'article 2 dispose que l'interdiction s'applique également aux sondages déjà publiés, diffusés ou commentés avant le début de la période d'interdiction. Il s'agit bien d'appliquer aux sondages et à leurs commentaires des règles analogues à celles qui valent pour l'expression publique des candidats dans la presse. Votre amendement, Monsieur Devedjian, a pour effet de remettre en cause l'interdiction elle-même. Ce serait s'écarter de la proportionnalité entre la liberté d'expression et la sincérité du scrutin. L'interdiction sur deux jours fixée par le projet préserve cette proportionnalité.

Enfin, votre rédaction ne respecte pas la préconisation exprimée par le président du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement rejette donc votre amendement.

M. René Dosière - D'autant plus que la Gazette de Lausanne n'existe plus !

M. le Ministre - Les sondages en ligne resteront possibles, mais sans aucun commentaire nouveau après vendredi minuit. De même, les périodiques publiés au plus tard le vendredi soir et comportant des sondages pourront rester à la disposition des électeurs comme pour l'Internet. Nous assurons ainsi l'équilibre nécessaire entre la liberté et l'équité. Restons-en là.

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 7 adopté par la commission s'inspire fortement des positions exprimées par le Sénat, au cours de la discussion du projet relatif à la démocratie de proximité que vous défendez actuellement, Monsieur le ministre.

M. le Ministre - Eh oui !

M. le Rapporteur - Ce dispositif trouve bien sa place dans le texte que nous examinons.

M. le Ministre - Il s'agit en effet de préciser les conditions de publication et de diffusion des mises au point demandées par la commission des sondages. Pourquoi en réserver l'application aux quinze jours précédant le scrutin ? Mieux vaudrait allonger le délai.

M. le Rapporteur - Le Gouvernement fait voir ainsi sa capacité à bien gouverner le pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Il serait sage en effet de porter de deux semaines à deux mois la période d'application du dispositif. C'est ce que je propose, convaincu que les sénateurs y seraient favorables.

L'amendement 7, rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 2, modifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 3 et 4, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 17 heures 35, est reprise à 17 heures 50.

Top Of Page

PROPOSITION DE LOI COMPLÉTANT LA LOI DU 15 JUIN 2000 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues complétant la loi du 15 juin 2000.

Top Of Page

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Christian Estrosi - Après votre petite loi sur la sécurité quotidienne, après quelques mesures de lutte contre le terrorisme proposées en catimini, après un chèque en blanc signé aux gendarmes et aux policiers pour masquer votre absence de politique, vous nous proposez aujourd'hui de modifier la loi Guigou relative à la présomption d'innocence. Toutes les mesures contenues dans ces textes ne sont pas contestables, nous en avons d'ailleurs approuvé certaines. Mais ô combien dérisoires sont-elles par rapport à la gravité de la situation !

Certes, votre discours sur la sécurité a évolué mais dans le même temps, le fossé n'a cessé de se creuser entre vos propositions, votre politique et les attentes des Français en ce domaine. La sécurité constitue en effet la première des libertés. Ce droit fondamental n'est malheureusement plus garanti aujourd'hui dans notre pays, et ce sont les plus modestes, les plus fragiles de nos concitoyens qui en sont les premiers privés : les jeunes, victimes des violences scolaires, les personnes âgées, les habitants des cités, otages de véritables guérillas urbaines... Tout comme celui des voitures incendiées qui depuis des mois éclairent les nuits de nos villes, le front de l'insécurité progresse, sapant chaque jour davantage notre pacte républicain.

La montée de l'insécurité angoisse nos concitoyens. Or, qu'avez-vous fait pour endiguer cette évolution ? Rien ou presque. Votre bilan, fruit d'une politique pénale laxiste, est accablant. En cinq ans, la violence s'est banalisée et plus aucune parcelle du territoire nationale n'est épargnée, avec plus de cinq millions d'actes de délinquance par an. Les zones de non-droit se sont multipliées ; le taux d'affaires classées sans suite atteint 80 % quand celui des affaires élucidées plafonne avec difficulté à 25 % ; les décisions de justice ne sont pas exécutées.

La loi sur la présomption d'innocence n'est pas étrangère à cette situation. À la veille d'échéances électorales décisives pour notre pays, vous avez certes organisé un grand tapage médiatique autour des propositions de M. Dray pour tenter de faire croire que trois mesurettes, comme un coup de baguette magique, suffiraient à rétablir la sécurité. La situation était déjà catastrophique au 1er janvier 2001, date d'entrée en application de la loi. Et depuis, la délinquance a encore progressé de 11 %, comme les statistiques l'établiront bientôt. Ne laissons donc pas croire à nos concitoyens que les mesurettes que vous nous proposez aujourd'hui inverseront la tendance.

La loi sur la présomption d'innocence n'est certes pas responsable de tous les maux de notre société. Mais elle a ajouté à votre absence de détermination à proposer une politique pénale sans concession. Toutes les procédures supplémentaires inutiles que vous avez imposées aux forces de l'ordre ont été ressenties par elles comme un profond sentiment de défiance à leur égard dans le même temps qu'elles renforçaient chez les délinquants, non pas même un sentiment, mais bien une culture de l'impunité.

L'application de cette loi a provoqué un grand désordre judiciaire depuis un an. Plus de soixante-dix « dysfonctionnements » ont été recensés, dont certains ont eu des conséquences dramatiques. Ce que d'aucuns nomment pudiquement « dysfonctionnements » n'est autre qu'un grave manquement de la justice à son devoir de protéger les citoyens.

Face à des libérations en chaîne de délinquants, à Bordeaux, Lyon, Marseille..., l'opposition n'a cessé de réclamer que cette loi soit substantiellement modifiée. Celle-ci a en effet profondément déséquilibré le rapport de forces entre les délinquants et les forces de l'ordre. Policiers et gendarmes ont ressenti comme une offense à leur dignité ce texte dont certaines dispositions constituent de véritables messages de défiance à leur égard. Leur action s'est trouvée entravée, jusqu'à en être paralysée. Obligation d'enregistrement des gardes à vue de mineurs, droit au silence pour les personnes gardées à vue, nouvelles contraintes de procédure en début de garde à vue, autant de dispositions inacceptables pour nos policiers et nos gendarmes. J'ai visité ce matin encore des locaux de garde à vue. Tous les policiers que j'ai rencontrés m'ont dit leur colère devant ce qu'ils considèrent comme des dispositions vexatoires à leur encontre.

Comment ne pas être choqué par l'obligation d'enregistrer les gardes à vue de mineurs alors même que le parquet n'est pas équipé du système adéquat de décryptage de ces enregistrements ?

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - L'enregistrement n'a pas été prévu pour cela !

M. Christian Estrosi - Comment ne pas être choqué par l'interdiction faite aux policiers de menotter les mineurs pendant la garde à vue, fussent-ils des colosses ? Imaginez-vous une jeune officier de police, fluette, dont seuls les galons à son épaule mais non le physique peuvent éventuellement impressionner... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Il peut en être de même d'un officier de sexe masculin. Les imaginez-vous, disais-je, face à un caïd de 14 ou 15 ans, colosse d'un mètre quatre-vingt-dix ou plus, d'une violence inouïe, qu'ils n'ont pas le droit de menotter ? Je ne sais si vous avez l'occasion, Madame la Garde des sceaux, de visiter des locaux de garde à vue...

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Oh, si !

M. Christian Estrosi - Mais telle est la situation que vivent aujourd'hui les policiers.

Comment ne pas être choqué de la véritable course contre la montre qui leur est imposée pendant la première heure de garde à vue ? En une heure, les policiers doivent rédiger dix procès-verbaux pour prouver leur bonne foi ! J'ai ressenti, chez eux, l'angoisse de commettre une erreur de procédure. Quinze minutes de retard après l'heure fatidique de transmission de la ratification de garde-vue au parquet ont récemment conduit à libérer un cambrioleur, auquel les policiers ont été contraints de restituer son butin ! On peut s'interroger sur la déliquescence de notre État de droit face à de telles absurdités procédurales...

Il est scandaleux que l'« outrage à un policier ne soit pratiquement plus jamais sanctionné par une procédure pénale alors même que, selon les chiffres de votre ministère, ce genre d'infraction a augmenté de 116 % depuis 1991 ! Une lettre d'excuse type, à l'usage des délinquants, reproduite à des milliers d'exemplaires, vient narguer les policiers victimes de ces outrages quotidiens. Ce n'est plus supportable ! Nous devons déclarer la guerre à la délinquance : alors, évitons de décourager chaque jour un peu plus ceux qui luttent contre elle !

D'autre part, cette loi ne s'accompagne pas d'effectifs supplémentaires. La possibilité d'interjeter appel de décisions de cours d'assise impliquerait pourtant pour chaque session d'assises dix policiers supplémentaires par jour ! Si l'on ajoute les effets dévastateurs des 35 heures, qui coûteront l'équivalent de 10 000 fonctionnaires de police par an, on mesure la faiblesse des moyens dont dispose la police.

Nous nous devons d'apporter aux forces de sécurité toute la considération qu'elles méritent. On attendait donc une grande loi, exprimant une réelle prise de conscience ; on attendait au moins une réforme profonde des articles les plus contestables de la loi du 15 juin 2000. Hélas, une fois de plus, il n'en est rien. À lire les journaux, on aurait pu croire que les six articles de cette proposition de loi allaient rendre la tâche des policiers plus facile. Hélas... Malgré le tapage médiatique que vous avez orchestré autour du rapport de M. Julien Dray, le compte n'y est pas. Vous appliquez un cautère sur une jambe de bois. Ce rapport a été commandé dans l'urgence ; pour colmater les brèches, vous avez appliqué une rustine au lieu d'entamer des travaux durables de consolidation.

Sur les seize propositions du rapport Dray, ce texte n'en retient que quatre - et la cinquième, relative à l'appel des acquittements par le parquet, vous a été imposée.

Nous avons proposé d'étendre cette possibilité à tous les arrêts d'acquittement et la commission des lois l'a accepté. C'est une avancée considérable pour l'égalité des armes ; pour le reste, il y a tromperie sur la marchandise.

Ces menus aménagements ne changent rien à la situation actuelle, car ils ne proposent rien pour l'autre côté de la chaîne pénale : la justice, dans cette proposition, brille par son absence. Ces modifications ne vont-elles pas provoquer un goulot d'étranglement ? Sans moyens supplémentaires, les parquets ne pourront pas absorber plus que les 590 000 affaires actuelles.

Quelles solutions, pour que la police et la justice remplissent leur rôle auprès des citoyens ? Quatre priorités doivent être dégagées.

La première serait de réviser en profondeur la loi du 15 juin 2000, en particulier sur trois points. Tout d'abord, il faut, dans un premier temps, confier au procureur de la République la responsabilité de la demande de mise en détention afin d'éviter que le magistrat instructeur demeure juge et partie. Robert Badinter avait d'ailleurs souligné les dangers que présentait le système institué par la loi initiale.

Ensuite, il est impératif d'allonger de quelques mois les délais butoirs dans les enquêtes. C'est ce que nous vous proposerons afin de ne pas se trouver en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne.

Enfin, il faut simplifier les contraintes procédurales pour faciliter la tâche des policiers.

La deuxième priorité consiste à réaffirmer l'autorité de l'Etat, à l'inverse de Jack Lang, qui déclarait il y a quelques mois « j'appartiens à une génération qui a contribué à remettre en cause l'autorité ». Pour ce faire, appliquons un principe simple : aucune infraction ne doit demeurer impunie. Ce principe se justifie en vertu d'une profonde exigence républicaine, non d'une idéologie sécuritaire. Césaré Beccaria, dans son traité «Des délits et des peines » souhaitait que « la peine soit prompte et suive de près le délit, afin qu'elle soit juste et utile ». De même, la Cour européenne des droits de l'homme condamne les délais excessifs de notre justice, en raison « d'une lenteur injustifiée ou sans motif plausible », c'est-à-dire au motif qu'un dossier est resté sans actes de procédure pendant de longs mois.

C'est pourquoi nous vous proposons d'étendre la comparution immédiate aux mineurs de 16 ans et au trafic de stupéfiants.

La troisième priorité consiste à mener une politique pénale transparente, efficace et surtout uniforme en tous points du territoire. Or, trop de petites infractions ne sont pas poursuivies dans certains départements, alors que dans d'autres, elles donnent lieu à des condamnations pénales - si bien qu'aujourd'hui, les délinquants ne craignent ni la loi, ni le juge.

L'exemple de la consommation de cannabis en est révélateur. Selon que vous êtes un consommateur lorrain, catalan, provençal ou breton, vous serez ou non poursuivi.

De même, les classements sans suite varient trop selon les tribunaux, au point que les Français ne sont pas égaux selon leur lieu de résidence. À l'échelle nationale, le taux de classement sans suite s'élève à 32,1 % pour les affaires poursuivables, - qui représentent déjà moins de 20 % du total des procès-verbaux dressés -, mais il n'est que de 6,6 % dans la Creuse contre 67,9 % dans la Dordogne. Ce taux est de 81,9 % pour le tribunal de Grasse, mais de 68,2 % pour celui de Nice.

Une telle situation est inacceptable. Il appartient au Garde des Sceaux d'assurer une application uniforme de la loi, conformément au principe démocratique d'égalité.

Il devient donc impératif d'organiser un débat annuel sur la politique pénale de notre pays, afin que nous puissions envisager des mesures adéquates.

La quatrième priorité a trait à la prise en considération des victimes. Toute l'ambiguïté de la loi sur la présomption d'innocence est de protéger les droits de la défense plutôt que de rechercher l'indispensable amélioration de la chaîne pénale. Certes, l'objectif est noble pour toute démocratie, mais il ne peut en aucun cas prévaloir sur la lutte contre la délinquance.

Redonner une pleine efficacité à notre procédure pénale suppose de l'envisager sous les angles judiciaire et policier. Ils ne peuvent se concevoir séparément. Toute la procédure pénale doit tendre au juste équilibre entre la protection de la société et des victimes d'infraction et le nécessaire respect des droits de la défense, sans privilégier ces derniers.

La loi du 15 juin 2000 n'a pas pris en compte les droits des victimes. Avec un taux d'élucidation inférieur à 25 %, des milliers de victimes n'obtiendront jamais la moindre réparation. Pour y remédier, il conviendrait d'étendre à tous les crimes et délits la saisine de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions, qui ne concerne aujourd'hui que les infractions sur mineurs et les infractions sexuelles.

Voyez le déséquilibre existant dans le traitement réservé à une victime et à son agresseur : celui-ci, dès la première heure de garde à vue, a droit à un médecin et à un avocat, alors que la victime est laissée dans un total isolement qui confine au mépris.

En conclusion, soyez attentifs aux propositions de l'opposition au lieu de les rejeter en bloc sans oser les examiner de peur de voir tout votre édifice idéologique s'écrouler.

Cette proposition de loi ne tient pas compte des préoccupations profondes des Français qui ressentent l'insécurité avant tout comme une détresse. Les mesures que vous préconisez et qui ne concernent qu'un côté de la chaîne pénale ne sont pas à la hauteur d'une situation insupportable.

Pour enrayer les phénomènes de violence, il est indispensable de lancer un grand chantier de la sécurité regroupant les ministères de l'intérieur, de la justice, de l'éducation nationale et de la ville mais aussi les parlementaires, les élus locaux et tous ceux qui concourent au maintien du dialogue. Cette proposition de loi est loin de pouvoir apaiser les craintes légitimes des Français. Le groupe RPR vous demande de la renvoyer en commission pour lui donner une tout autre consistance. Notre pays a besoin d'une grande loi pour le rétablissement du pacte républicain, mais en aucun cas d'une somme de demi-mesures (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Antoine Leonetti - M. Estrosi a bien montré ce déséquilibre, profondément ressenti par la population, qui est apparu dans le pays, et qui fait que le droit des victimes est négligé au profit de la défense des présumés coupables. M. Dray et Mme Lazerges ont reconnu que des ajustements devaient être faits, sans remettre en cause l'idée générale de la loi qui est de concilier protection des victimes et présomption d'innocence. Je crois que nous aurions pu y parvenir si nous ne nous étions pas trouvés dans un tel contexte d'urgence, engendré par de réelles difficultés d'application de la loi, bien sûr, mais qui nous gène pour élaborer des propositions.

La majorité a souvent rappelé que les débats sur la présomption d'innocence n'avaient pas été agités et que nous avions participé à certaines propositions. Nous aurions, de même, pu apporter notre contribution à ce réajustement pour aboutir à un meilleur équilibre de la loi. Mais l'urgence, ou alors peut-être le sentiment de détenir la vérité unique, a fait que les propositions de l'opposition ont été entendues, mais sans suite, je pense par exemple au conseil de la réparation, ou alors ne l'ont pas été du tout.

Nous avons encore beaucoup à faire pour aboutir à un texte efficace, et le RPR soutiendra donc avec enthousiasme cette motion de renvoi en commission (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Pourquoi donc doutez-vous de notre enthousiasme ? Avez-vous vraiment l'impression que le travail est terminé et que vos petits ajustements vont faire retrouver sa sérénité au pays ?

M. Gérard Gouzes - Pas vous ?

M. Jean-Antoine Leonetti - Monsieur Gouzes, vous ne suivez pas ma pensée, non pas qu'elle soit complexe, mais parce que vos capacités d'écoute sont réduites (M. Estrosi applaudit). Si vous aviez accepté que nous participions à ce travail de réforme, nous aurions pu être efficaces. En l'état, cette loi reste mauvaise et la réforme, loin de la corriger, vous a obligés à vous renier.

M. Pascal Clément - Si la motion de renvoi en commission peut parfois être une formalité, elle s'imposait aujourd'hui. Poussés par les événements, vous dites avoir eu le courage - bien que ce fût une obligation politique - de remettre sur le métier cet ouvrage et considérez que le toilettage de cinq articles est suffisant. Mais les événements ont montré combien la loi initiale était le fruit d'une idéologie plutôt que d'une analyse, et combien elle est loin de l'équilibre recherché par la convention des droits de l'homme. L'égalité des armes est toujours rompue, au détriment une fois du parquet, une autre de la défense ou encore du juge d'instruction.

Bien sûr qu'il est nécessaire d'affiner ce texte, si ce n'est de repenser la procédure pénale tout entière ! La présomption d'innocence est certes un principe directeur, mais elle ne doit pas servir à tromper les esprits avec des titres accrocheurs très éloignés de la réalité.

M. Jean-Antoine Leonetti - Très bien !

M. Pascal Clément - Le groupe DL se joint donc au RPR pour souhaiter le renvoi de ce texte, non pas pour compléter quelques articles mais pour repenser l'ensemble d'un système arrivé aux limites de l'irréalisme, comme les événements le démontrent hélas quotidiennement.

M. Jean-Marie Bockel - Ce texte fait apparaître un défaut bien français, que nous avions déjà rencontré dans le débat sur l'ordonnance de 1945 : celui de laisser penser que de grands textes de loi vont régler des problèmes quotidiens.

M. Jean-Antoine Leonetti - C'est votre conception, pas la nôtre !

M. Jean-Marie Bockel - Notre démarche, modeste et concrète, vise à surmonter les difficultés que nous avons rencontrées sur le terrain, et elle est d'ailleurs comprise par ceux qui mettront ces dispositions en _uvre. Julien Dray, de façon extrêmement pragmatique, a su s'inscrire dans la philosophie de la loi sur la présomption d'innocence tout en la rendant mieux applicable. Ses propositions ont été complétées par Mme Lazerges et personne ne comprendrait qu'elles fassent maintenant l'objet d'une procédure dilatoire.

Le dialogue que nous menons dans les contrats locaux de sécurité avec les policiers et les magistrats est aujourd'hui compliqué par les difficultés d'application de la loi. Dès qu'elles seront surmontées, le climat s'améliorera. Il est urgent de travailler ensemble sur le terrain plutôt que d'exploiter le problème de l'insécurité. Il est important de rester modeste devant les problèmes actuels, mais des pistes existent, et nous devons nous donner les moyens de les suivre. Des démarches innovantes peuvent être mises en place pour faire reculer l'impunité et apaiser la souffrance sociale de nos concitoyens.

Le vote de ce bon petit texte est donc une urgente nécessité. Le débat qui a eu lieu en commission des lois a été approfondi.

M. Jean-Antoine Leonetti - Il a été bâclé et idéologique !

M. Jean-Marie Bockel - Le renvoi en commission ne nous permettrait pas d'avancer plus loin. Il faut adopter ces ajustements techniques pour les mettre en _uvre au plus vite (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Lionnel Luca - S'il est des textes qui méritent d'être approfondis, c'est bien ceux qui sont pris dans une telle précipitation. Ainsi, un mois avant la fin de la législature, vous nous proposez des « petits » textes...

Mme Nicole Bricq - Mais bons !

M. Lionnel Luca - C'est l'aveu de leur insignifiance et de leur insuffisance. Il ne s'agit que d'un cautère sur une jambe de bois, que d'un rapiéçage, d'un bricolage - M. Estrosi ayant énuméré la succession des textes concernés, on peut même parler de saucissonnage !

Ces mesures ne résolvent rien. Elles ne répondront pas aux attentes de nos concitoyens, ni à celles de la police et de la justice. Elles ne sont que l'aveu de votre impuissance à appliquer ce que vous vouliez être une « grande loi », avant de préférer élaborer de « petits textes ». Nous avions dénoncé en leur temps ces difficultés d'application. Aujourd'hui, c'est la pression des événements qui vous dicte votre conduite. La police et la gendarmerie sont dans la rue. C'est là que les Français les voulaient, mais pas pour des manifestations ! Les faire défiler est une performance qui ne figure pas à l'actif de tous les gouvernements et des slogans tels que « loi Guigou, loi pour les voyous » devraient attirer votre attention. Pour les forces de l'ordre, la loi Guigou était vexatoire. À l'approche des échéances électorales, vous tentez de la rafistoler.

Vous avez fait appel à un rapporteur qu'on avait un peu oublié dans vos rangs et qui, avec l'ardeur des nouveaux convertis, s'est mis à faire l'apologie des forces de l'ordre, lui dont le passé était plutôt contestataire. Quel retournement !

M. le Rapporteur - Mieux vaut avoir été trotskiste que facho !

M. Lionnel Luca - Les dispositions de sa proposition sont partielles et dérisoires. Elles risquent en outre de se révéler inconstitutionnelles, si bien que vous avez essayé hier de rectifier le tir, en commission.

Plus grave, vous oubliez les victimes, alors que la loi sur la présomption d'innocence devait aussi porter sur leurs droits. L'association des parents d'enfants victimes n'a même pas été reçue par le rapporteur. Elle rassemble pourtant une centaine de familles dont les enfants ont été assassinés. Il est dommage que vous ne les ayez pas entendues, mais cela montre la façon dont vous avez travaillé. Enfin, rien n'est dit des moyens à mettre en _uvre (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Vous voulez une session de rattrapage, mais votre copie n'est pas bonne et elle doit être revue en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. André Gerin - Le groupe communiste ne votera pas cette motion de renvoi en commission.

L'opposition oublie les avancées de la loi sur la présomption d'innocence : le droit de garder le silence, l'interdiction de placer les témoins en garde à vue, la présence d'un avocat dès la première heure...

Par ailleurs, vous mélangez tout, de manière délibérée. De quoi parlez-vous ? De la petite délinquance, du terrorisme, du trafic de stupéfiants ? (« De tout ! » sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Voici ce que proclame la loi en cause : la liberté est la règle et la détention, l'exception.

S'il est vrai que le débat sur les moyens doit s'ouvrir, son enjeu fondamental est d'éviter une justice à deux vitesses (« C'est le cas ! » sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Il faut préserver l'essentiel du texte initial et améliorer le travail d'investigation. Ce n'est pas ce que vous proposez (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. le Rapporteur - Selon M. Estrosi, cette proposition ne répond pas aux préoccupations, mais je n'ai pas compris s'il s'agissait de celles des policiers ou de celles de la population. Connaissant son expérience, je ne pourrai m'empêcher de faire devant lui l'éloge de la justice : de nombreux champions y ont eu recours avec succès (Rires).

M. Jean-Antoine Leonetti - Ne dérapez pas.

M. le Rapporteur - M. Estrosi indique que cette proposition ne retient que quatre points de mon rapport. C'est exact, le reste étant d'ordre réglementaire ou relevant de l'organisation du travail. Nous ne reprenons ici que les mesures du domaine législatif.

Vous dites avoir rencontré de nombreux policiers. Tant mieux : cela vous a sans doute permis de prendre la mesure des enjeux.

M. Jean-Antoine Leonetti - Nous ne vous avions pas attendu pour cela.

M. le Rapporteur - Vous dites que la loi Guigou avait choqué les policiers. Je n'ai pas fait le même constat. Je n'ai pas rencontré de policiers qui mettent en cause les procédures. Ils les considèrent même comme utiles, en ce qu'elles leur apportent des garanties.

Il y avait en effet de nombreuses contestations sur les procès-verbaux de garde à vue. La présence de l'avocat et éventuellement d'un médecin, l'obligation d'informer la famille sont des garanties pour l'officier de police judiciaire, car il ne sera plus possible de contester la valeur des procès-verbaux qu'il rédige.

Le problème réside dans la vitesse d'exécution des procédures. C'est pourquoi nous proposons un délai de latence. Quant aux procédures elles-mêmes, elles ne sont pas remises en question, si ce n'est le droit au silence, que nous proposons de revoir. Mais je rappelle que ce droit préexistait à la loi Guigou.

Au sujet de l'enregistrement des mineurs, je note que, pour une fois, les policiers saluent la qualité du matériel qui leur a été fourni. Ils ont certes protesté contre la lourdeur des formalités et le manque de locaux, mais pas contre l'enregistrement, qui est pour eux une protection.

Vous avez raison de regretter qu'on ne prenne pas assez en considération les victimes. Toutefois, cela ne doit pas relever du ministère de la justice, mais d'une organisation nouvelle dotée de moyens spécifiques. Je souhaite pour ma part qu'il y ait des « correspondants-victimes » dans tous les commissariats.

M. Jean-Antoine Leonetti - Quel dommage d'y penser si tard !

M. le Rapporteur - Monsieur Leonetti, je suis certain qu'en tant que maire vous seriez heureux de travailler avec les forces de police pour mettre en place une telle organisation. Je souhaite que la région vous en donner les moyens, comme elle le fait en Ile-de-France, tandis que vos amis ne font rien !

M. Jean-Antoine Leonetti - Ma région est dirigée par les socialistes.

M. le Rapporteur - C'est pourquoi je pense que vous disposez des moyens nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Nous avons préparé ce texte rapidement, mais nous l'avons fait sans confondre vitesse et précipitation. Un de vos amis, qui a été ministre de l'intérieur, l'a d'ailleurs approuvé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Mme la Présidente - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles de la proposition.

Top Of Page

AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. Christian Estrosi - Mon amendement 31 vise à insérer un article additionnel pour tenir compte de la recommandation du Conseil de l'Europe sur l'intimidation des témoins et les droits de la défense. Elle préconise des mesures particulières en faveur de la protection des témoins en matière de criminalité organisée ou dans le cas où le crime a été commis au sein de la famille.

Le témoignage joue un grand rôle dans la recherche de la preuve. Mais de nombreuses personnes ayant des informations sur ce type d'affaires hésitent à les communiquer à la justice par crainte de pressions éventuelles sur elle-même ou leur famille. Il semble donc opportun d'insérer dans l'article préliminaire du code de procédure pénale une disposition reconnaissant de façon générale les droits des témoins à être protégés contre toutes tentatives de nature à entraver leur témoignage. C'est l'objet de mon amendement 31.

M. le Rapporteur - La question ici posée est déjà pour partie résolue : elle a été traitée, à l'initiative de notre collègue Le Roux, lors du débat sur la loi relative à la sécurité quotidienne. Il n'est donc pas souhaitable que l'amendement soit retenu dans la présente loi, qui a un objet précis.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement a montré son intérêt pour la protection des témoins en introduisant dans la loi sur la sécurité quotidienne des dispositions à ce sujet, prévoyant notamment la possibilité de déposer anonymement. La réflexion se poursuit, en particulier sur la possibilité pour le témoin, dans des cas très graves, de changer d'identité. Mais il me semble excessif d'introduire une telle disposition dans l'article préliminaire du code de procédure pénale. Avis défavorable.

L'amendement 31, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - M. Roman me demandait hier quels points de la loi du 15 juin 2000 me semblaient poser problème au regard de la convention européenne des droits de l'homme : l'amendement 64 porte sur l'un de ces points. Le troisième alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale confie au procureur de la République le soin de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure et ne comportant aucune appréciation. Cette disposition est contraire à la convention européenne, et tout d'abord à son article préliminaire, puisqu'elle ne respecte pas la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités chargées du jugement. En effet, le soin de publier des éléments objectifs est confié à l'autorité chargée de l'action publique. En outre, cette disposition est contraire au principe d'égalité des armes. L'accusation n'est en effet qu'une des parties en procès. Dans toute procédure où le procureur aura rendu publics des éléments qu'il considérait comme objectifs, la partie condamnée pourra aller se plaindre à Strasbourg de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable. Je comprends bien la nécessité d'ouvrir des fenêtres - même si des fenêtres dans un blockhaus, cela s'appelle des meurtrières... Mais je propose de remplacer le procureur par le juge d'instruction. C'est lui qui représente l'objectivité, et si, au regard des nécessités de l'enquête, quelqu'un doit en publier certains éléments, c'est bien lui.

M. le Rapporteur - Je ne suis pas d'accord. Si le juge d'instruction était conduit à diffuser des éléments, même objectifs, il serait fragilisé par les commentaires et les contestations qui ne manqueraient pas d'en résulter. C'est pour préserver son impartialité qu'il vaut mieux maintenir ce rôle au procureur.

Mme la Garde des Sceaux - Il est normal que ce soit le procureur qui puisse faire des communiqués sur une instruction en cours, pour répondre aux communiqués de la défense, et non le juge d'instruction, qui risquerait de perdre sa position d'impartialité s'il doit s'exprimer sur le fond. Il en résulterait aussi un risque de dessaisissement. La disposition actuelle ne porte pas atteinte à l'égalité des armes : la défense peut en effet faire des communiqués quand elle veut, puisque le secret de l'instruction ne s'applique aux avocats que sous réserve des intérêts de la défense. Je souhaite donc que M. Devedjian retire son amendement.

L'amendement 64, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Pascal Clément - A l'initiative de l'Assemblée, la loi Guigou a prévu l'obligation pour le procureur de la République de visiter une fois par trimestre les locaux de garde à vue de son ressort. Mais la loi doit rester la loi. De quoi se mêle-t-on ? Les effets de cette disposition sont évidemment désastreux. Ce que j'aurais vraiment voulu proposer, c'est la suppression de cette disposition. Mais, comme vous semblez attachés à ce type de précision qui n'a rien à faire dans la loi, mais relève de la circulaire, je propose de remplacer la visite trimestrielle par une visite annuelle : c'est l'objet de l'amendement 10 rectifié.

M. le Rapporteur - La commission l'a rejeté, peut-être un peu vite. Nombre de procureurs, notamment en province, m'ont dit qu'il leur fallait dix à quinze jours pour faire le tour chaque trimestre de tous les locaux de garde à vue, ce qui pose un problème. À la différence de M. Clément, toutefois, je crois bon que la loi fasse obligation au procureur d'aller voir ce qui se passe dans ces locaux. D'autant que les relations ne sont pas toujours idylliques entre les parquets et les officiers de police judiciaire : ces visites permettent à chacun de mieux comprendre les conditions de travail de l'autre. À titre personnel, l'idée de fixer à un an la périodicité de ces visites me semble bonne.

Mme la Garde des Sceaux - Le procureur peut aller quand il veut dans les locaux de garde à vue. La loi lui fait obligation d'y aller une fois par trimestre, ce qui est peut-être beaucoup. Nous créons de nombreux postes, mais pas autant que nous le voudrions... Une visite annuelle me semble raisonnable, mais il faut que la loi pose cette obligation. Sagesse.

M. Patrick Devedjian - Je souhaite une précision. Le texte mentionne le « procureur » : cela s'entend-il aussi des substituts ?

Mme la Garde des Sceaux - Le parquet est indivisible.

M. François Colcombet - J'ai été magistrat du parquet, et je sais combien il est utile d'obliger les magistrats à aller contrôler les gardes à vue. Ce n'est pas une de leurs tâches les plus agréables, mais cela fait partie de leur métier. D'autre part les procureurs ont des substituts ; parfois même, dans les grandes juridictions, ils en ont suffisamment. Le problème se pose plutôt dans les petites juridictions, où ce contrôle est plus difficile. Mais il permet d'entrer en contact avec les officiers de police judiciaire, ce qui bénéficie au fonctionnement de l'institution. Je ne crois pas que ce soit une contrainte énorme, et je la crois utile. Il y a tant de magistrats qui ne vont dans les tribunaux de commerce, par exemple, que pour les audiences solennelles... On a espéré élargir cette obligation dans la loi que le Sénat vient de saborder. Puisqu'ils n'iront pas dans les tribunaux de commerce, ils peuvent au moins aller dans les locaux de garde à vue !

M. Gérard Gouzes - Ne faisons pas tout un fromage de cette affaire. On demande aux procureurs cette visite trimestrielle. Mais une circulaire, que cite M. Clément lui-même dans son exposé sommaire, précise qu' « en tout état de cause, le fait que les circonstances locales ne permettent pas à certains parquets de respecter à la lettre la périodicité des contrôles prévus (...) ne saurait constituer une cause de nullité des gardes à vue effectuées ». C'est-à-dire que les procureurs sont incités, encouragés par le législateur à visiter ces locaux une fois par trimestre, ce qui est raisonnable. Je suis opposé à l'amendement.

M. Pascal Clément - Pourtant Mme la Garde des Sceaux a semblé comprendre la nécessité d'être réaliste. Je n'ose croire que votre attitude est systématiquement négative parce que l'amendement vient de l'opposition, ce serait indigne de vous. Si cette disposition reste dans la loi, elle servira à certains pour former des recours. Ne soyez donc pas plus royaliste que le roi ! Vous avez fait de la convention européenne une transcription sottement littérale : n'y persistez pas. J'en appelle au bon sens de mes collègues.

L'amendement 10 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Antoine Leonetti - Je ne cesserai de le dire, l'impunité doit être combattue dès le stade des petits et moyens délits. Or il règne pour eux une totale impunité. Comme vous affectionnez les petits textes, je ferai avec l'amendement 73 rectifié une petite proposition. Elle reprend une proposition de loi de l'UDF qui avait rencontré une écoute attentive de la majorité. M. Gérin me paraît s'être prononcé lui aussi dans ce sens.

Nous pensons que toute infraction doit recevoir une sanction systématique, proportionnée et rapide, en particulier pour les jeunes délinquants. C'est une façon de les éduquer et de les conduire à intégrer la citoyenneté. Cette jeunesse, si on ne l'encourage pas si elle fait bien, si on ne la sanctionne pas si elle fait mal, on la méprise.

Aussi sans me lasser et, je l'espère, sans vous lasser, je défends à nouveau cette proposition, et comme vous m'avez déjà dit « oui », Madame, je suis porté à vous demander « quand ? ».

Tel est l'objet de notre amendement 73 rectifié.

M. le Rapporteur - L'Assemblée a déjà examiné la proposition de M. Leonetti. La réparation est une question capitale. Des avancées ont déjà eu lieu : délégués du procureur, médiation pénale, maisons de la justice et du droit..., d'autant mieux que les régions s'y investissent davantage, n'est-ce pas, Monsieur Devedjian !

M. Jean-Antoine Leonetti - Pour l'instant, c'est la ville d'Antibes qui s'implique !

M. le Rapporteur - Bref, tout un dispositif existe et commence à fonctionner. Il faudra aller plus loin. Mais il est difficile de développer les travaux de réparation, parce que de nombreuses collectivités locales ne sont pas candidates, parce que des administrations sont réticentes face à l'encadrement qu'il faut fournir. Pourtant, pour beaucoup de primo-délinquants, la réparation me paraît bien préférable à l'enfermement. On travaille dans ce sens, et il ne me semble pas utile de créer, comme M. Leonetti le propose, des conseils de réparation pénale. Rejet.

Mme la Garde des Sceaux - Rendre obligatoires des maisons de justice et du droit ne me paraît pas opportun. En effet, l'article 21 de la loi du 11 décembre 1998 permet, mais n'oblige pas, de créer des maisons de justice dans le ressort des tribunaux de grande instance, les autorités locales ayant à se prononcer sur ce point. En 2001, il existait 82 maisons de justice. Suite aux entretiens de Vendôme, 50 autres devraient s'y ajouter dans les deux ans.

Proposer de créer un conseil de réparation pénale repose sur l'idée que l'impunité règne et que les infractions demeurent sans réponse pénale. Il n'en est rien, et il n'y a donc pas lieu de substituer un conseil de la réparation au procureur de la République. En effet, le taux de réponse pénale s'est élevé en 2000 à 70 % au total, et à 80 % pour les mineurs, les classements sans suite étant motivés par des raisons juridiques ou par la très faible gravité des faits.

Les procureurs de la République font donc leur travail, et un conseil de réparation ne réussirait pas mieux. De plus, les mesures de réparation se sont élevées à 12 000 en 2000, et les alternatives aux poursuites à 247 000.

L'essentiel serait en fait d'améliorer la coopération entre les élus locaux, les associations et la justice afin que cette dernière dispose de suffisamment de postes de réparation pénale. Sur ce point, le décret du 1er avril 1992 sera modifié afin de préciser que le conseil départemental de prévention de la délinquance aura pour but d'encourager des mesures alternatives aux poursuites et que tout conseil municipal peut créer un conseil local de prévention pour « proposer aux autorités judiciaires compétentes les modalités concrètes de mise en _uvre des mesures de réparation pénales pour les mineurs ».

Ce que propose le Gouvernement me paraît répondre aux vraies questions. Vous avez en fait satisfaction, Monsieur Leonetti, mais vous ne voulez pas le voir.

M. Christian Estrosi - Contrairement à ce qu'a dit le rapporteur, la proposition de M. Leonetti n'a pas encore été examinée ici, puisque la majorité a refusé de passer à la discussion des articles. Nous avions donc là une formidable occasion de montrer que le Gouvernement et la majorité avaient pour préoccupation majeure d'apaiser l'inquiétude de nos concitoyens sur la culture de l'impunité.

L'amendement de M. Leonetti comporte des mesures dont l'addition apporterait de réelles garanties à nos concitoyens. Faire suivre systématiquement chaque faute d'une punition par réparation correspond vraiment à ce qu'attendent les Français aux prises avec la petite délinquance, celle qui crée le plus de difficultés parce qu'elle sait qu'elle demeure impunie. En effet cette petite délinquance dépasse rarement le stade du procès-verbal, ce qui empêche de faire apparaître le statut de multirécidiviste. On vole une fois, on arrache un sac une seconde fois, on bouscule une vieille dame une troisième fois, et on lui casse le col du fémur... et on en reste au procès-verbal, sans la moindre sanction. Il n'y a donc pas de multirécidivistes, mais ce que les policiers appellent des réitérants. La vraie solution est dans la réparation systématique. Le rapporteur a l'air de douter que les collectivités locales soient prêtes à s'impliquer, tout en faisant référence aux initiatives du conseil régional d'Ile-de-France. Or le conseil général des Alpes-Maritimes finance des bâtiments et des équipements de police et de gendarmerie, et construit exclusivement aux frais du contribuable local un centre d'éducation renforcée pour le tribunal de Nice et un autre pour celui de Grasse, ce qui est sans exemple.

L'amendement de M. Leonetti permet de mieux sanctionner la petite délinquance et d'associer plus étroitement les élus locaux à cette démarche. Laisser passer cette opportunité ne serait pas compris de nos concitoyens.

Mme la Garde des Sceaux - Où allez-vous chercher qu'il y a une culture de l'impunité ? Votre procédé n'est pas loyal ! J'ai toujours dit ici que, chaque fois qu'un jeune « casse la loi », il faut répondre par une sanction.

M. Jean-Antoine Leonetti - Ce n'est pas ce qui se passe !

Mme la Garde des Sceaux - C'est reconnaître la responsabilité et la dignité de ce jeune. J'ai toujours tenu ce langage. Vous dites qu'un jeune qui aurait cassé le col du fémur d'une vieille dame ne subirait qu'une mesure de réparation. Nous ne vivons pas dans le même pays ! Il n'existe pas un magistrat qui s'en tiendrait là face à un acte aussi grave !

M. Christian Estrosi - Cela se produit tous les jours !

Mme la Garde des Sceaux - Le problème n'est pas dans la sanction prononcée pour un petit délit, mais dans l'absence de moyens pour la faire exécuter dans de bonnes conditions. De nombreux juges des enfants nous le disent. Il faut que les collectivités territoriales et les associations joignent leurs efforts pour trouver des lieux adéquats. Voilà ce que nous leur demandons. En revanche, il est hors de question que le pouvoir de prononcer la sanction soit transféré aux élus locaux ; vous en êtes tous d'accord.

Si un jeune commet un acte grave, je n'ai aucun tabou, y compris sur la prison. N'essayez pas d'insinuer que nous regardions sans déplaisir les jeunes commettre des délits dans la rue. C'est une idée folle !

Soyez réalistes, et travaillez avec les associations...

M. Christian Estrosi - Elles sont souvent foireuses !

Mme la Garde des Sceaux - Je vous laisse la responsabilité de cette appréciation ! Agissons tous ensemble pour trouver des lieux de réparation adéquats. Prenez garde à ne pas dériver de la réalité vers de la politique très politicienne.

M. Jean-Antoine Leonetti - Ne dites pas cela. Nous cherchons simplement à combler un hiatus, qui a pour conséquence que les mesures de réparation ne s'appliquent pas.

Je ne peux pas vous laisser dire que je ferais semblant de ne pas voir que nous avons déjà satisfaction, car ce n'est pas vrai. J'ai l'impression que vous n'adopterez jamais les mesures simples et efficaces que nous préconisons. Eh bien, nous les prendrons, nous, dès que nous serons revenus au pouvoir.

M. le Rapporteur - Si le problème était aussi simple à régler que vous le prétendez, il l'aurait été depuis longtemps !

Alors, M. Estrosi nous dit que les associations sont « foireuses »...

M. Christian Estrosi - Certaines d'entre elles, d'ailleurs plutôt celles qui sont proches de vous.

M. le Rapporteur - Le problème tient à la surcharge de travail des magistrats et surtout à la difficulté de trouver des personnes qualifiées pour encadrer les TIG, afin que ceux-ci servent vraiment à éduquer la personne qui a commis une faute.

Les associations ne sont que marginalement concernées par les peines de réparation, du moins pour l'instant car à l'avenir devraient se développer en leur sein des « adultes-relais ». Des enseignants à la retraite pourraient ainsi parfaitement assurer un tutorat auprès de jeunes condamnés à un TIG.

Ne tombons pas dans un débat réducteur. Il y a un vrai problème, de moyens mais aussi de culture car il est en effet plus facile d'envoyer quelqu'un en prison que de lui proposer une peine de réparation.

L'amendement 73 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Antoine Leonetti - L'amendement 14 rectifié est défendu.

M. Christian Estrosi - L'amendement 32, identique, également.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé ces deux amendements qui proposent que le procureur de la République puisse si nécessaire doubler la durée d'une enquête de flagrance, actuellement limitée à huit jours. Les officiers de police judiciaire disposent de prérogatives étendues dans le cadre des enquêtes de flagrance précisément parce que celles-ci sont plus courtes. Avec une durée de seize jours, on changerait de cadre.

Mme la Garde des Sceaux - Avis défavorable également.

Les amendements 14 rectifié et 32, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Patrick Devedjian - L'amendement 66 prévoit que la durée de garde à vue d'un témoin récalcitrant, qui refuserait d'apporter son concours à la police, soit normale, alors que dans le cadre d'une enquête de flagrance, un témoin ne peut pas être retenu plus de quatre heures, ce qui est tout à fait normal. Mais un témoin récalcitrant, sans être un suspect, n'est néanmoins pas un témoin tout à fait ordinaire.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas tout à fait ce que propose votre amendement. En effet, celui-ci permet qu'une personne susceptible de protéger les auteurs d'un délit puisse être placée en garde à vue. Il est satisfait car dans le cas que vous évoquez, il y a « des raisons plausibles » de penser que ce témoin récalcitrant qui protège l'auteur d'un délit a participé au délit, et notre texte permet désormais sur ce seul fondement à l'officier de police judiciaire de le placer en garde à vue.

M. Patrick Devedjian - Si la Garde des sceaux confirme cette interprétation, je suis prêt à retirer mon amendement.

Mme la Garde des Sceaux - Votre amendement est inutile compte tenu de la nouvelle définition, moins restrictive que la précédente, de la notion « d'indice » résultant de l'article premier de la proposition de loi. Sa rédaction pourrait laisser penser qu'il serait possible de placer en garde à vue toutes les personnes qui, de près ou de loin, connaissent l'auteur d'un délit.

M. Patrick Devedjian - Mon amendement ne sera satisfait que lorsque nous aurons voté l'article premier, ce qui n'est pas encore le cas. Mais je le retire bien volontiers.

L'amendement 66 est retiré.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

ART. 2

M. le Rapporteur - Que le procureur soit averti dès la première heure de garde à vue constituait assurément un progrès, tant pour le suivi du déroulement de la procédure que pour la garantie des droits de la personne gardée à vue. Mais en raison du manque de magistrats -on sait à qui il est imputable-, cette disposition a créé de grosses difficultés aux officiers de police judiciaire, les parquets étant bien souvent injoignables. L'idéal serait bien sûr qu'ils puissent être joints sans délai 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 car le dialogue entre police et parquet est indispensable, ne serait-ce que pour qualifier les faits parfois. Mais il paraît impossible d'imposer aux officiers de police judiciaire de réussir à informer le parquet en une heure. Dans l'immense majorité des cas, ils remplissent aujourd'hui cette obligation en adressant une télécopie, mais des contestations sont toujours possibles. Afin de lever cette difficulté, nous proposons donc par l'amendement 75 rectifié que les officiers soient tenus d'informer le parquet « le plus rapidement possible ». Cette proposition raisonnable est de nature à satisfaire aussi bien la police que le parquet, qui n'aura pas l'impression de passer après l'avocat, et écarte tout risque de nullité de la procédure du fait du non-respect d'une obligation, quasiment impossible à remplir dans les faits.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

M. Patrick Devedjian - Nous n'avons pas débattu de l'article premier, qui est pourtant essentiel.

Mme la Présidente - Nous sommes à l'article 2.

M. Patrick Devedjian - L'article premier a des incidences majeures sur l'article 2. Êtes-vous bien conscients qu'en substituant à la notion « d'indice apparent » la formule de la convention européenne des droits de l'homme, c'est-à-dire en remplaçant un élément concret par une considération abstraite, vous avez considérablement élargi la notion de « suspect », partant, les possibilités de placement en garde à vue, et donc adopté une mesure beaucoup plus répressive ?

M. Gérard Gouzes - Vouliez-vous le contraire ?

M. Patrick Devedjian - Non, mais je souhaite que l'Assemblée soit éclairée.

Le contrôle du procureur de la République est donc d'autant plus indispensable, et pour cette raison même.

Vous mesurez ce soir tout l'intérêt de laisser mûrir les textes pour parvenir à la rédaction la plus adaptée - car, aujourd'hui, nous sommes d'accord avec vos propositions sur ce point - et apportez vous-mêmes la preuve qu'hélas, la loi du 15 juin 2000, improvisée, posait plus de problèmes qu'elle n'en résolvait.

M. le Rapporteur - Je vois bien combien la démarche de M. Devedjian est intelligente !

Je ne suis pas d'accord avec le terme « répressif » : la garde à vue n'est pas une mesure de répression. On est rapidement habillé en devenant « le premier flic de France » ou le « Monsieur Répression » !

Je ne considère pas que l'on durcisse les choses : on favorise le travail de clarification. Nous savons tous que les problèmes évoqués sont liés à la délinquance urbaine, à ce que les policiers appellent les « vols de moineaux » : la police intervient, tous se dispersent, on ne sait pas qui est qui. La loi nous empêchait de pouvoir répondre à ces situations - mais sur le fond, sans toucher à la loi, on aurait pu trouver des solutions : possibilité de procéder à des contrôles d'identité, garder les gens pendant quatre heures avant la clarification. Mais il est préférable que l'officier de police judiciaire ait la responsabilité des choses. La présence du parquet à ses côtés est utile : il apprécie la situation, il dialogue, et c'est lui, l'officier de police, qui poursuit son entretien avec la personne qui lui fait face.

Nous arrivons à une procédure équilibrée ; nous redéfinissons mieux la notion de « suspect ».

M. François Colcombet - Nous touchons là un problème intéressant. Chacun sait que nous sommes arrivés à cette formulation - équilibrée en effet - après maintes discussions. Je pense, Madame la ministre, qu'il faudra dire à vos procureurs, dans les circulaires que vous leur adressez, que quand on prévient un avocat, il faut en même temps avertir le procureur, de manière à ce qu'il n'y ait pas de déséquilibre.

En réalité, tout le monde était d'accord sur l'ancienne jurisprudence de la Cour de cassation : l'effet de déséquilibre vient de ce que l'on avertit l'avocat dans la première heure. Vous savez très bien que si l'on prévient l'avocat, seul, on en arrive à démanteler des procédures en cours. Le policier, en prévenant une autorité, doit pouvoir se couvrir en cas de problème quelconque - ainsi, le procureur peut intervenir.

Comme je suis de ceux qui ont crié « casse-cou » sur ce sujet, je tiens à réaffirmer publiquement que l'équilibre trouvé est tout à fait satisfaisant. Je serais heureux, Monsieur Devedjian, que nous votions ce texte tous ensemble.

L'amendement 75 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - A l'unanimité.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Louis REVAH


© Assemblée nationale