No 2362
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 mai 2000.
DÉCLARATION
DU GOUVERNEMENT
sur les orientations
de la présidence française de l’Union
européenne,
par M. Lionel JOSPIN,
Premier ministre,
Union européenne.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Au moment où notre pays se prépare à la présidence de l’Union
européenne, il est naturel que le Gouvernement présente au Parlement
les enjeux, les lignes de force et les priorités de la présidence
française. Je le fais aujourd’hui à l’Assemblée nationale au nom
du Gouvernement. Ces priorités ont été élaborées collectivement par
celui-ci, puis examinées et arrêtées avec le Président de la
République.
Il y a cinquante ans, jour pour jour, la France prenait l’initiative
de ce qui allait devenir l’Union européenne. La «
déclaration Schuman » que nous commémorons aujourd’hui, le
traité de Paris sur la Communauté européenne du charbon et de l’acier,
puis le traité de Rome, l’Acte unique, les traités de Maastricht et
d’Amsterdam : autant d’étapes dans la réalisation de l’idéal
visionnaire qu’une poignée d’hommes ont voulu, sur les leçons et
dans les ruines du fascisme et de la guerre, fonder pour sceller la
réconciliation entre l’Allemagne et la France, établir la paix entre
les nations d’Europe et bâtir, dans la prospérité, une communauté
de destin.
A l’heure où la France s’apprête à assumer, à compter du 1er
juillet prochain, la présidence du Conseil de l’Union européenne,
nous pouvons mesurer l’œuvre accomplie en un demi-siècle : l’Europe
est libre, l’Europe est en paix, l’Europe est unie. Elle s’est
affirmée comme un modèle d’intégration sans équivalent dans le
monde, un modèle que bien des peuples, bien des pays nous envient, et d’abord
les treize pays candidats qui aspirent à nous rejoindre au sein de l’Union.
De cette grande aventure collective, notre pays a été l’un des
artisans majeurs. Il a contribué à façonner les traits qui sont
aujourd’hui ceux du visage de l’Europe. A l’heure des choix, la
France a toujours su faire avancer cette entreprise commune, de façon
pragmatique mais résolue.
Le gouvernement que je dirige a apporté sa pierre à l’édifice.
Depuis près de trois ans, il a pris une large part des nouvelles
orientations qui ont été décidées pour rapprocher l’Europe de ses
citoyens, pour en faire un espace de croissance économique mais aussi
de cohésion sociale.
La France va exercer la présidence à un moment décisif. Des
perspectives historiques s’ouvrent avec la fin de la coupure de l’Europe,
qui se concrétiseront par l’élargissement de l’Union. Mais de
réelles interrogations se font jour quant au fonctionnement d’un
ensemble qui comptera progressivement vingt, vingt-cinq, peut-être
trente membres, quant à son avenir en tant qu’organisation politique,
quant à sa capacité à peser dans les affaires du monde.
Répondre à ce défi exige qu’avec nos partenaires nous redonnions du
sens à la construction européenne, un sens qui paraît parfois s’estomper
et que je voudrais à présent affirmer devant vous.
L’Europe est une union de nations, une union librement et pleinement
consentie par les peuples. Loin d’être la négation de la nation,
elle en est le prolongement et l’approfondissement. Les affaires
« européennes » ne sont plus des affaires
« étrangères », le débat européen n’est pas
une donnée externe au débat national. La France existe pleinement,
mais ne peut être séparée de l’Europe.
L’Europe est un modèle de civilisation, une civilisation fondée sur
la rencontre de cultures qui, par le dialogue, s’enrichissent et se
fécondent, une civilisation où la démocratie, la liberté - les
libertés - s’épanouissent.
L’Europe doit être un espace de croissance, une croissance mise au
service de l’emploi et de la cohésion sociale. L’Europe doit, dans
cette perspective, reconquérir une prééminence technologique,
favoriser la créativité, défendre ses intérêts collectifs dans la
compétition mondiale, contribuer à une globalisation maîtrisée. L’Europe
est, pour nous, un ensemble où les luttes sociales ont fait avancer la
conquête de l’égalité et de la justice, et où la performance
économique est indissociable du progrès social.
Voilà ce qu’est pour nous l’Europe, notre Europe.
Mesdames et messieurs les députés, la France souhaite conduire une
présidence ambitieuse tout en l’inscrivant dans la continuité des
travaux de l’Union européenne. Dans cette perspective, le
Gouvernement, comme organe politique collégial, et chacun des ministres
qui le composent seront pleinement mobilisés pour assurer la
responsabilité qui nous est confiée. Ce sera le cas, plus
particulièrement, du ministre des affaires étrangères, Hubert
Védrine, qui présidera le Conseil, et de Pierre Moscovici, ministre
délégué chargé des affaires européennes, qui représentera la
France.
Trois axes guideront la présidence française : une Europe au service
de la croissance et du plein emploi ; une Europe plus proche des
citoyens ; une Europe plus efficace et plus forte.
Premier axe, une Europe au service de la croissance et du plein emploi.
Nous nous y étions engagés devant les Français, nous avons mis ces
questions au cœur de l’action européenne : à Amsterdam, avec la
résolution sur le pacte de solidarité et de croissance ; à
Luxembourg, avec la première réunion du Conseil européen consacrée
à l’emploi ; à Cardiff, en mettant l’accent sur la réforme
économique ; à Cologne, enfin, avec l’idée d’un pacte européen
pour l’emploi.
Depuis Vilvorde, monsieur le député, il y a 700 000 chômeurs de moins
en France 1 million d’emplois créés.
Nous entendons bien, au-delà de tel ou tel accident industriel ou
social, continuer dans cette voie. Je suis heureux que vous vous en
réjouissiez.
C’est dans le même esprit que nous soutenons l’action de la
présidence portugaise, dont je tiens à saluer ici l’excellent
travail. La conjugaison de nos efforts nous a permis de définir, lors
du Conseil européen de Lisbonne, un objectif stratégique qui répond
à celui que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du
plein emploi à l’horizon de la décennie. Pour y parvenir, une
croissance annuelle moyenne de 3 % est devenue une référence commune
aux Quinze.
Dans cette perspective, nous allons travailler à la mise en œuvre des
propositions concrètes adoptées à Lisbonne.
Notre première priorité sera l’adoption d’un « agenda
social ». La modernisation économique en Europe est
inséparable du renforcement du modèle social européen. S’il faut,
certes, satisfaire aux exigences de la compétition économique
mondiale, nous n’entendons pas renoncer au modèle de société que
nous avons construit depuis un demi-siècle. Une Europe plus forte, plus
compétitive, c’est aussi une Europe au service de la justice sociale.
Je souhaite donc que le contenu de cet agenda soit ambitieux : une
protection sociale élevée, un droit adapté aux évolutions de l’organisation
du travail, une politique de l’emploi qui tienne compte des mutations
de l’appareil industriel, la lutte contre l’exclusion et contre
toutes les formes de discrimination.
A cette fin, nous définirons un programme de travail à l’horizon de
cinq ans avec la Commission européenne et tous les acteurs concernés :
gouvernements, Parlement européen, partenaires sociaux, milieux
associatifs.
Notre deuxième priorité est le renforcement du pôle économique que
nous avons contribué à créer, à côté du pôle monétaire
représenté par la Banque centrale européenne. Symbole de l’identité
européenne, l’euro a contribué fortement à notre stratégie
collective de croissance et d’emploi, comme l’a rappelé tout à l’heure,
en réponse à une question, le ministre de l’économie et des
finances, Laurent Fabius.
L’euro a, jusqu’à présent, d’autant mieux joué ce rôle qu’il
repose sur des fondements solides : la croissance de la zone euro s’accélère,
les pressions inflationnistes sont contenues, les transactions courantes
sont en excédent, le pouvoir d’achat des citoyens européens est
garanti.
L’euro a joué le rôle de « bouclier » qu’on
attendait de lui, mettant ainsi l’Europe a l’abri des désordres
monétaires internes.
Au-delà du problème du rapport entre le dollar et l’euro, j’insiste
sur ce rôle essentiel de la monnaie européenne, qui, je le rappelle, n’est
pas encore la monnaie concrète, en billets et en pièces, de tous les
Européens. Je suis d’ailleurs convaincu - c’est plutôt une
intuition économique qu’un raisonnement catégorique - qu’une
partie de ses difficultés actuelles tient au fait qu’elle n’est pas
encore possédée par les centaines de millions d’Européens.
En tout cas, ce rôle de protection contre les spéculations monétaires
internes, l’euro l’a déjà joué aujourd’hui.
Au regard de ces atouts majeurs et forts du potentiel de croissance de
la zone euro, nous ne pouvons pas être satisfaits de l’évolution
actuelle de son cours. Nous devons donc renforcer le rôle de
« l’euro 11 » et veiller à la coordination de nos
politiques économiques, avec le souci d’assurer une meilleure
visibilité de la politique économique de la zone euro et de l’autorité,
naturellement politique, la conduisant. Nous y contribuerons sous notre
présidence.
Nous nous efforcerons également, en dépit de réticences bien connues,
de faire avancer l’harmonisation fiscale nécessaire au bon
fonctionnement du marché unique et à la lutte contre la concurrence
déloyale. L’Europe doit aussi mettre en œuvre de nouvelles régulations
économiques, et, pour cela, hâter l’organisation de la scène
financière internationale, à travers notamment l’adoption de la
directive sur le blanchiment des capitaux, en soutien de l’action
menée dans le cadre du G7. Nous poursuivrons la lutte contre la
criminalité organisée en favorisant le rapprochement des dispositions
juridiques relatives au dépistage et à la confiscation d’avoirs d’origine
criminelle ou provenant de centres off-shore.
Notre troisième priorité est de placer l’Europe à la pointe de la
société de l’information. Pour nourrir sa croissance et retrouver le
plein emploi, l’Europe doit s’affirmer comme le continent de l’innovation.
Nous soutiendrons la création d’entreprises innovantes grâce au
capital-risque. Au profit de la compétitivité de nos entreprises, nous
encouragerons l’Internet de deuxième génération, ainsi que les
contenus et les services européens. Nous nous emploierons à faire
progresser l’adaptation du cadre réglementaire européen aux
exigences de la société de l’information. Dans le même temps, il
nous faut préserver la cohésion sociale face à la menace de
« fracture numérique ». Nous progresserons vers l’objectif,
prévu à Lisbonne, d’un raccordement de toutes les écoles à l’Internet
d’ici à la fin 2001.
Notre quatrième priorité sera la construction d’un véritable espace
européen de la connaissance. Celle-ci est d’autant plus indispensable
que c’est par l’éducation que les jeunes Européens acquerront les
références culturelles communes indispensables à l’émergence d’une
citoyenneté et d’une Europe politiques. L’Europe, dans sa
diversité, est forte de son système éducatif comme de sa recherche
fondamentale et appliquée. Elle dispose ainsi d’atouts décisifs dans
la compétition économique internationale. Mais nous devons encore
étoffer les échanges et la confrontation des idées, des pratiques et
des techniques. C’est pourquoi il reviendra à notre présidence de
définir une démarche permettant de lever les obstacles qui demeurent
encore à la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs
au sein du continent. L’objectif pourrait être de multiplier par dix,
en cinq ans, le nombre d’étudiants en mobilité.
Les priorités que je viens d’évoquer se traduiront par des
programmes de travail dont la mise en œuvre dépassera naturellement le
second semestre 2000. Mais elles amplifieront la réorientation de l’Europe
vers la croissance et l’emploi que nous avons voulue depuis trois ans.
Le deuxième axe de notre présidence est de construire une Europe plus
proche des citoyens, c’est-à-dire une Europe qui réponde à leurs
préoccupations.
Au premier rang de celles-ci figurent sans aucun doute la santé
publique et la protection des consommateurs. Nous avons tous à l’esprit,
en particulier, le dossier de la « vache folle ». Je
souhaite que nous puissions jeter les fondations d’une «
autorité alimentaire européenne indépendante », telle que
la Commission européenne, sur notre suggestion, l’a préconisée dans
son « Livre blanc sur la sécurité des aliments ».
La France cherchera aussi à faire progresser la réflexion sur le
principe de précaution, en s’appuyant sur les travaux que nous avons
menés au plan national. Elle s’attachera à ce que des mesures
concrètes soient adoptées pour renforcer l’étiquetage des
organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des filières.
Une autre préoccupation majeure est l’accès de tous à des services
publics de qualité, respectant pleinement les impératifs de
continuité, de fiabilité et d’égalité.
La présidence française sera donc l’occasion d’un travail de
réflexion sur l’importance des services d’intérêt général en
Europe.
Dans le domaine de l’environnement, la présidence française s’efforcera,
lors de la conférence de La Haye de novembre 2000, de faire franchir à
l’Europe une étape déterminante dans la mise en œuvre du protocole
de Kyoto visant à lutter contre l’effet de serre. La conférence
préparatoire, qui se tiendra à Lyon, la ville de M. le Premier
ministre Raymond Barre, en juillet prochain, constituera, à cet égard,
une échéance importante. Je suis heureux de rappeler, à cette
occasion, que la France a été le premier pays européen à avoir
adopté un programme national de lutte contre l’effet de serre.
Pour ce qui concerne la sécurité des transports, je souhaite - comme
je l’avais dit immédiatement après le naufrage de l’Erika -
que notre présidence permette l’adoption d’un ensemble cohérent et
concret de mesures tendant à l’amélioration de la sécurité du
transport maritime. Nous viserons aussi de réelles avancées dans l’harmonisation
des temps de travail dans le transport routier.
La maîtrise de la politique d’immigration et du droit d’asile
intéresse légitimement nos concitoyens. Elle justifie qu’une action
concertée soit entreprise à l’échelle européenne. Des orientations
importantes ont été décidées en octobre 1999, lors du Conseil
européen spécial qui s’est tenu à Tampere, en Finlande. J’entends
que notre présidence en engage la mise en œuvre pour ce qui concerne,
en particulier, la délivrance des titres de séjour de longue durée, l’harmonisation
des conditions d’accueil et le renforcement de la lutte contre l’immigration
irrégulière.
Quant à la réalisation d’un espace judiciaire européen, qui était
également évoqué tout à l’heure, la multiplication de situations
souvent dramatiques - par exemple les enfants de couples binationaux
divorcés - appelle l’adoption, sous notre présidence, de mesures
visant notamment à la reconnaissance mutuelle des jugements et des
décisions judiciaires. Cette reconnaissance mutuelle sera également
importante pour nos entreprises. Plus largement, nous devrons aussi
progresser vers la création d’un réseau judiciaire européen.
Dans un autre domaine, celui du sport, il faut que le second semestre
2000, qui sera riche en événements - je pense au Tour de France, au
championnat d’Europe de football ou aux jeux Olympiques de Sydney -
doit donc être l’occasion de renforcer l’efficacité de l’action
européenne contre le dopage.
Au-delà, une déclaration pourrait être adoptée au Conseil européen
de Nice pour affirmer, dans le droit communautaire, la spécificité et
le rôle social de ce secteur.
Enfin, nous devons préparer les Français et les Européens à la mise
en circulation de l’euro.
Certes, le passage pratique à l’euro relève d’abord de la
responsabilité des Etats et des gouvernements, et nous y veillerons
pour ce qui nous concerne. Néanmoins, nous devons, sans attendre,
accorder, au plan communautaire, une attention particulière à la
préparation de cette échéance. Nous devons mettre en place un
échange plus étroit d’informations et une meilleure coordination
entre les Etats membres afin de préparer concrètement l’introduction,
en janvier 2002, des billets et des pièces en euro.
Répondre aux préoccupations des citoyens de l’Europe, mesdames,
messieurs les députés, c’est aussi veiller à ce que leur sécurité
collective à l’échelle du continent européen soit assurée.
Notre présidence sera ainsi l’occasion de confirmer la perspective
historique que nous avons ouverte depuis près de deux ans avec l’ébauche
d’une Europe de la défense. On se souvient des débats qui, sur ces
mêmes bancs, ont conduit, dans un tout autre contexte historique, à l’échec
de la Communauté européenne de défense, en 1954. Je vous invite à
mesurer le chemin parcouru depuis cette date. Notre pays a joué depuis
quelques mois un rôle essentiel pour donner à la défense européenne
des perspectives crédibles.
Nous entendons mettre à profit notre présidence pour préparer le
passage aux structures définitives de cette Europe de la défense.
Grâce au rapprochement de ses forces armées, il faut que l’Europe,
fidèle à son attachement à la paix et au respect du droit
international, puisse assurer sa sécurité et participer à la
prévention des conflits à travers le monde. Le déploiement réussi de
l’Eurocorps au Kosovo en est un jalon. Il nous faut aller plus loin. C’est
à cela que nous travaillons, semaine après semaine, en étroite
coordination avec nos partenaires. Si nous y parvenons au cours du
second semestre 2000, nous aurons franchi une étape décisive dans la
construction d’une Europe politique.
Mesdames et messieurs les députés, pour que nous puissions mener à
bien ces priorités, pour que nous puissions faire progresser le modèle
européen, pour que l’Europe soit au service de tous ses citoyens et
qu’elle soit ressentie comme telle par tous, il est indispensable que
l’Union européenne fonctionne mieux. Il s’agira là du troisième
axe de notre présidence.
Nous voulons une Europe plus efficace et plus forte.
Si, depuis quinze ans, elle a su franchir des étapes décisives - l’achèvement
du marché unique, la création de l’euro -, elle n’a pas, en
revanche, échappé à la critique d’être une construction souvent
élitiste et tournée avant tout vers l’économie et le commerce en
négligeant, du moins jusqu’à une période récente, les questions
pourtant essentielles du chômage, de la pauvreté et de l’exclusion.
Par ailleurs, la question de son fonctionnement et de l’efficacité de
ses mécanismes de prise de décision a été posée, tout
particulièrement dans la perspective de l’élargissement.
Les sentiments de nos concitoyens à l’égard de l’Europe sont
mêlés. D’une part, l’adhésion à l’Europe ne se dément pas,
elle se renforce, même ; d’autre part, l’incompréhension du
fonctionnement et de certaines actions de cette Europe va croissant.
Nous percevons tous cette contradiction. Les citoyens transposent
logiquement au niveau européen l’exigence de transparence et d’efficacité
dans l’action publique qu’ils formulent à l’égard des
gouvernements nationaux. Ils veulent que la construction européenne
sorte de l’opacité technocratique qui lui est souvent reprochée.
Les citoyens d’Europe entendent que l’Union se recentre sur ces
préoccupations qu’ils expriment en particulier à travers leurs élus
au Parlement européen et dans les Parlements nationaux. Ils veulent
aussi que les compétences de l’Union et celles de chacun des Etats
soient mieux définies.
C’est ce que doit permettre une reconnaissance plus grande du principe
du subsidiarité. Des avancées novatrices doivent être faites dans
cette direction.
Ils veulent surtout connaître et choisir l’avenir où les conduit la
construction européenne. Ils veulent, en un mot, que l’Europe soit
effectivement dirigée, gouvernée et contrôlée dans l’esprit et
selon les règles des démocraties parlementaires.
Renforcer l’adhésion au projet européen, conforter le sentiment d’appartenance
de nos concitoyens à une communauté de destin, une communauté fondée
sur des valeurs partagées, régie par des principes démocratiques et
conduite par des acteurs responsables devant les peuples, tel sera le
cap politique de notre présidence.
Une occasion nous sera donnée de consacrer cette communauté de valeurs
en faisant aboutir, à la fin de l’année 2000, le projet de Charte
européenne des droits fondamentaux.
Le moment venu, c’est-à-dire dans les dernières semaines de notre
présidence, nous verrons à quel contenu aboutira l’instance - à
laquelle participent le Parlement européen et les parlements nationaux
- chargée aujourd’hui de la rédaction de cette Charte. Il sera alors
plus aisé de préciser le statut juridique de ce texte. Nous ne
convaincrons les citoyens d’Europe de l’intérêt de cette Charte
que si nous montrons qu’elle consacre une démarche avant tout
politique, visant à rendre les institutions européennes plus sensibles
à leurs préoccupations : liberté et justice, croissance et emploi,
santé et sécurité, égalité des chances, environnement. La Charte
saura alors trouver, sinon nécessairement son intégration dans les
traités, du moins sa place dans la conscience politique des européens.
Mais, pour prendre corps, cet idéal de valeurs partagées doit être
porté par des institutions aussi démocratiques, légitimes et
efficaces que possible. C’est pourquoi le second semestre de l’année
2000 sera un moment clé pour la réforme des institutions de l’Union
européenne.
Cette réforme est nécessaire, parce que l’Union européenne d’aujourd’hui
ne fonctionne pas bien. Elle est indispensable pour qu’une Europe
élargie puisse encore avancer. S’agissant de la réforme des
institutions, je ne vais pas entrer ici dans leur détail, ce qui
relève d’un débat que le Gouvernement poursuit assidûment avec la
représentation nationale, notamment avec votre délégation pour l’Union
européenne et avec votre commission des affaires étrangères. Je
rappellerai cependant la nécessité de régler trois questions
centrales qui ne l’ont pas été à Amsterdam : rendre à la
commission une taille et une organisation susceptibles de lui permettre
d’assumer son rôle d’impulsion, généraliser - à quelques
exceptions près - le champ du vote à la majorité qualifiée, pour
éviter la paralysie, rendre plus fidèle aux réalités démographiques
le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le
conseil de l’Union.
Je mentionnerai aussi la nécessité de réformes qui, pour ne pas
relever des traités, n’en sont pas moins importantes : elles
concernent, pour l’essentiel, l’organisation et les méthodes de
travail de la Commission et du Conseil.
Il nous faut, en particulier, un Conseil mieux structuré, à même d’exercer
une meilleure coordination des activités de l’Union et assumant l’ensemble
de ses prérogatives par rapport à celles de la Commission européenne
et du Parlement européen.
Nous nous efforcerons donc de conduire à son terme la négociation
engagée au début de l’année sous les auspices de la présidence
portugaise, et qui concerne les réformes strictement indispensables au
fonctionnement de l’Union.
Dans le même temps, afin de faciliter la poursuite du processus d’intégration
europénne, nous devons améliorer, pour le rendre plus souple et plus
efficace, un dispositif institutionnel qui existe déjà dans l’Union,
celui de la coopération renforcée.
Cette approche permet à quelques Etats de coopérer ensemble dans tel
ou tel domaine, ou d’aller plus vite et plus loin dans l’union. L’Union
économique et monétaire en constitue une illustration. Grâce à ces
coopérations renforcées, certains Etats pourront progresser dans l’intégration,
en laissant toujours aux autres Etats membres la possibilité de les
rejoindre à leur rythme.
Cette perspective - nous en sommes tous conscients - est essentielle.
Elle le sera encore davantage dans une Union élargie. C’est là, j’en
suis convaincu, le moyen de poursuivre - en évitant le sempiternel
débat entre modèles fédéral ou confédéral - la démarche
pragmatique qui a toujours prévalu et qui était celle des «
pères fondateurs », démarche seule susceptible de prendre en
compte le caractère évolutif de notre famille européenne.
Je sais que des réflexions plus larges sont en cours. Au-delà du souci
d’éviter la dilution ou la paralysie d’une union très élargie,
comment poursuivre le projet européen ? Quelques idées ont été
lancées : une réforme profonde des institutions de l’Union, qui
redéfinirait les rôles du Conseil, du Parlement ou de la Commission,
voire donnerait lieu à la création d’institutions nouvelles ; ou
bien la constitution, par une « avant-garde » de
quelques pays, d’une fédération d’Etats-nations - un noyau dur -
caractérisée par un surcroît d’intégration ; ou bien encore l’élaboration
d’une Constitution européenne, redéfinissant les compétences et les
modes d’action entre l’Union et les Etats membres.
Ces réflexions, comme le dialogue qu’elles suscitent, sont légitimes
et doivent être poursuivies activement. Elles doivent l’être avec un
degré suffisant de réalisme pour être partagées et avoir des chances
de déboucher. Regarder plus loin, avoir à l’esprit le fonctionnement
d’une Union élargie à une trentaine de membres, ne doit pas pour
autant conduire à bâcler les réformes que nous devons conduire
aujourd’hui et faire avancer concrètement pendant la présidence
française.
Affirmer que ces réformes seront sans doute insuffisantes à long terme
n’est pas faux, mais en tirer prétexte pour essayer de bouleverser l’équilibre
des institutions ne serait pas, à mon sens et aux yeux de la
présidence française, raisonnable.
L’Europe va affirmer son unité. Nous devons y être prêts. Les pays
candidats ont façonné l’histoire de notre continent et veulent
partager avec nous une communauté de destin. Ils ont vocation à nous
rejoindre. Certains parmi eux attendent, particulièrement pendant notre
présidence, des décisions importantes concernant, sinon le calendrier
précis des prochains élargissements, en tout cas des choix clairs de
méthode pour la fin des négociations.
Nous devrons répondre à ces attentes, comme je l’ai dit tout
récemment à mes interlocuteurs hongrois à Budapest.
Or l’élargissement soulève des questions fortes. Une Union de trente
membres peut-elle véritablement fonctionner ? Si oui, comment ? Un
ensemble élargi - forcément plus hétérogène - peut-il se doter d’une
politique économique et sociale qui soit cohérente et efficace ?
Je pense que cette dimension ne vous a pas échappé et nous
continuerons, enrichis par ce débat et par vos propositions, à nourrir
cette présidence. Donc, les questions que vous me posez s’adressent
aux autorités publiques françaises. Je ne doute pas qu’elles les
écouteront dans leur ensemble avec attention.
Comment veiller à ce que l’Union, en s’élargissant, ne se réduise
pas à une zone de libre-échange mais reste une véritable communauté
?
Sur toutes ces questions, auxquelles vous êtes sensible, la France doit
s’exprimer d’une seule voix. Souffrez donc que je n’anticipe pas
sur la façon collective dont notre pays élabore sa position durant la
présidence française. Sinon vous seriez fondé - et je ne doute pas
que vous le feriez - à m’administrer d’autres reproches.
Il faut bien préparer l’Union, et de façon sérieuse, au
bouleversement sans précédent qui représentera l’élargissement. C’est
ce que nous avions indiqué, peu après notre arrivée aux
responsabilités, puis, avec l’Italie et la Belgique, au moment même
de la signature du traité d’Amsterdam. C’est ce que l’Assemblée
nationale et le Sénat ont solennellement confirmé en autorisant la
ratification de ce traité. C’est ce qui a été admis par l’ensemble
de nos partenaires. Mais il faut être clair aussi sur le rythme de ces
évolutions : s’il n’est pas question de retarder le processus
historique de l’élargissement, il n’est pas question non plus de
brûler les étapes.
Pour être réussi, le processus d’élargissement doit être
maîtriser. C’est notre conviction. Tel sera le sens des réunions de
la Conférence europée nne qui seront organisées au cours du second
semestre 2000, notamment de celle qui se tiendra, en décembre, à Nice,
avant le Conseil européen. Ces réunions devront être l’occasion de
renforcer encore notre dialogue avec les pays candidats. Ensemble, nous
préfigurerons le cheminement politique qui conduira ces pays dans l’Union,
au terme du processus de négociation qui a été engagé.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, donner à l’Europe
les moyens institutionnels de sa cohérence et de son rayonnement, lui
conférer une volonté politique, contribuer à en faire un espace de
croissance et de plein emploi, lui permettre de prendre toute sa place
sur la scène internationale : voilà les objectifs auxquels nous
voulons, au cours de notre présidence, travailler avec détermination,
en étroite association avec vous.
L’Europe nous a apporté beaucoup depuis cinquante ans et reste une
vraie promesse pour la grande et vieille nation qu’est la France. Avec
l’Europe, notre pays se donne des atouts pour se projeter vers le
monde, pour défendre ses intérêts, pour faire vivre les valeurs qui
fondent son identité.
La présidence à venir nous offre une grande chance : celle de montrer
que notre pays est demeuré fidèle à sa vocation de bâtisseur, à son
ambition de contribuer à l’édification d’une Europe plus unie et
plus forte. Nous avons su, il y a cinquante ans, ouvrir la voie. Sachons
aujourd’hui réunir la famille européenne et lui donner les moyens d’être
un des acteurs majeurs du xxie siècle, en préservant cette
combinaison - véritablement unique - de souverainetés partagées et d’identités
respectées qui fait l’originalité et la fécondité de l’aventure
européenne.
2362 - Déclaration du Gouvernement sur les orientations de la
présidence française de l'Union européenne (mai 2000)
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