La mission d’évaluation et de contrôle (MEC)
Une volonté de retour aux sources du Parlement : la défense du citoyen – contribuable
(Article publié dans le n° 68 de la Revue françaisede finances publiques – décembre 1999)

Daniel HOCHEDEZ
Conseiller à l’Assemblée nationale.

Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique ", la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration " (1). Jetés en 1789 à la face d’une monarchie dont le prélèvement fiscal sur ses sujets se caractérisait assurément davantage par son inéquité que par son poids, ces principes, qui furent, tout au long du XIXème siècle, le levain de la démocratie parlementaire, redeviennent aujourd’hui d’une particulière actualité, quand les dépenses publiques dépassent 54% du produit intérieur brut (PIB).
Certes, au-delà des a priori idéologiques antagonistes, la dépense publique, et son double – quelque peu aminci par les charmes trompeurs du déficit budgétaire –, les prélèvements obligatoires, ne sont pas des notions abstraites et ne se résument ni en une espèce de manne tombée du ciel, ni en une pure et simple évaporation des fruits des initiatives et du labeur des agents économiques. La contribution des citoyens aux charges publiques doit, aujourd’hui, se concrétiser en garantissant la " sûreté ", thème central de la Déclaration de 1789, et en assurant " à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " que décline le préambule de la Constitution de 1946.
A cet égard, nos institutions se sont sans doute fourvoyées : le désir, assouvi hier, refoulé aujourd’hui, de fixer la norme a occulté, dans l’esprit des parlementaires, une fonction essentielle, celle du contrôle, que l’évolution de nos sociétés doit pourtant conduire à privilégier. En effet, dans nos régimes parlementaires, le Gouvernement, périodiquement oint par le suffrage universel et adoubé par sa majorité, confisque, à ce titre, l’essentiel du pouvoir de conception et d’initiative des politiques publiques. Le Parlement reste cependant le lieu où la politique gouvernementale sera exposée, débattue et, subsidiairement, infléchie. Cela est d’autant plus vrai que des contraintes " extérieures " ou " supérieures ", telle la construction européenne, d’une extrême prégnance en matière économique et budgétaire (sans parler du pouvoir monétaire maintenant dévolu à un cénacle d’outre-Rhin), rognent, jour après jour, les marges de manœuvre des gouvernements et, a fortiori, des parlements nationaux.
Dans ces conditions, le meilleur, voire le seul moyen pour ces derniers de concrétiser leur légitimité est l’instauration d’une culture de contrôle, et ce, particulièrement dans le domaine financier, où les citoyens commencent – recommencent ?– à exprimer des attentes précises : "  c’est dans les moments où l’argent public se fait plus rare que le besoin d’en contrôler l’usage apparaît plus que jamais indispensable voire même vital pour la pérennisation de l’organisation collective " (2).
Avec quelque retard par rapport à d’autres grandes démocraties occidentales, notre pays inaugure, en effet, une démarche de type " consumériste " vis-à-vis de la dépense publique. Le poids dans les recettes publiques de la fiscalité indirecte, des cotisations sociales et des contributions prélevées à la source – mécanismes où le " contribuable ne voit pas les ciseaux qui viennent le tondre ", selon la célèbre formule de Joseph Caillaux –, le fait que notre impôt sur le revenu, qui ne présente pas, lui, cette apparente innocuité, épargne plus de la moitié des contribuables potentiels, expliquent sans doute cette " exception française " selon laquelle, longtemps, l’élu a été jugé davantage à l’aune de sa capacité à accroître la dépense – panem et circenses – que sur sa gestion économe des deniers publics.
Aussi bien, sur les décombres d’un contrôle parlementaire défaillant, s’est bâti un système de type administratif – Cour des comptes, contrôle des dépenses engagées, inspections générales, des finances notamment –, système dont la performance s’agissant du nécessaire contrôle de la régularité formelle de la dépense ne saurait pallier l’absence de contrôle d’opportunité et d’évaluation des résultats.
Aujourd’hui, la perspective change : " contrôler réellement, pour dépenser mieux et prélever moins ", cet exergue au rapport du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, constitué en octobre 1998 par le Président de l’Assemblée nationale, M. Laurent Fabius (3), illustre clairement les nouveaux objectifs que le Parlement entend désormais poursuivre.
C’est dans ce contexte (4), et conformément aux conclusions de ce groupe de travail, qu’a été constituée, en février 1999, au sein de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, une mission d’évaluation et de contrôle (MEC) – organe temporaire, dont la reconstitution est prévue au premier semestre de chaque année –, qui représente une tentative originale de placer le contrôle au centre de l’activité budgétaire de l’Assemblée.
Fondée sur le constat unanime de l’incapacité du Parlement à améliorer l’efficacité de la dépense publique, la création de la MEC a été l’occasion de mettre en œuvre de nouvelles méthodes de travail en matière de contrôle budgétaire. Les débuts prometteurs de ce nouvel organe devront cependant être confirmés par l’administration de preuves tangibles de sa capacité à promouvoir les réformes nécessaires.

I.- LA GENÈSE DE LA MEC : LE CONSTAT UNANIME DES CARENCES PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE CONTRÔLE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE ET D’ÉVALUATION DE SON EFFICACITÉ

Comment faire en sorte que le citoyen-contribuable " en ait pour son argent ", c’est-à-dire bénéficie de services publics à la mesure des impôts qu’il a acquittés ? Telle était la " feuille de route " du groupe de travail qui s’est réuni, à l’automne 1998, autour du Président Laurent Fabius. Après avoir entendu une vingtaine de personnalités très diverses, ce groupe a présenté, début 1999, sous la plume de son rapporteur, M. Didier Migaud, Rapporteur général de la Commission des finances, un constat et des propositions qui ont recueilli un large consensus parmi ses membres, représentant tous les groupes politiques de l’Assemblée.

A. Un constat unanime

Le groupe de travail s’est d’abord attaché à analyser l’évolution récente de la problématique budgétaire, notant que la maîtrise de la dépense publique est devenue un des éléments majeurs du discours politique. Si la dépense publique n’est pas, fatalement, inefficace, son efficacité doit être mesurée en permanence, car la mondialisation de l’économie conduit à une compétition croissante entre les nations. Or, le rapport coût-efficacité des services publics est un élément important de la compétitivité d’un Etat, dans un contexte marqué par une relative explosion de la dépense publique.
Soucieux de privilégier les dépenses favorables à la croissance, le groupe de travail a appelé à une programmation de la dépense sur plusieurs années et à une généralisation de l’évaluation des résultats. Il a ensuite observé que " le Parlement ne contribue pas fortement à l’amélioration de l’efficacité de la dépense publique ", non pas tant en raison d’une absence de pouvoirs, mais plutôt par défaut de volonté politique. Certes, la lisibilité, la crédibilité et la sincérité des comptes publics sont insuffisantes, mais surtout, les prérogatives destinées à permettre le contrôle budgétaire, en particulier les pouvoirs des rapporteurs spéciaux de la Commission des finances, sont sous-utilisées ; en outre, l’évaluation, procédure consistant à mesurer les résultats d’une politique, mais non à se prononcer sur son bien fondé, reste encore étrangère à la culture du Parlement, d’ailleurs dépourvu, en ce domaine, de réels instruments. Le groupe de travail dresse, à cet égard, un bilan sévère du fonctionnement de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques créé en 1996 (5).

B. Des propositions consensuelles

Le regard lucide ainsi porté par les parlementaires eux-mêmes sur les carences de leur action en matière de finances publiques a conduit le groupe de travail à formuler un ensemble très complet de propositions tendant à placer l’évaluation et le contrôle au cœur de la fonction budgétaire du Parlement (6).
Les premières propositions sont, en quelque sorte, à usage interne : elles relèvent de la compétence de l’Assemblée elle-même. La plus directement opérationnelle, la création de la mission d’évaluation et de contrôle, s’inspire de l’expérience de la Chambre des communes britannique, où le Committee of public accounts met en œuvre, en liaison avec le National audit office, homologue de notre Cour des comptes, des procédures d’évaluation dont les résultats sont remarquables.
Le groupe de travail a donc invité la Commission des finances à constituer en son sein, dans le cadre de l’article 145, alinéa premier, du Règlement de l’Assemblée nationale, une mission, qui serait élargie, en fonction des sujets, aux rapporteurs pour avis des autres commissions. Cette mission aurait pour objet de procéder, chaque semaine, durant tout le premier semestre, à l’audition de responsables politiques et administratifs sur la gestion de leurs crédits et de mener des investigations approfondies sur quatre ou cinq politiques publiques.
Les auditions seraient préparées, en liaison étroite avec la Cour des comptes, par des missions de contrôle sur pièces et sur place. Les investigations devraient, selon le groupe de travail, être menées dans un esprit non partisan, dans la mesure où c’est l’administration qu’il s’agit de contrôler, beaucoup plus que le Gouvernement. Dans ce contexte, la présidence de la mission serait exercée conjointement par le Président de la Commission des finances et par un membre de l’opposition, ses travaux étant animés et coordonnés par son Rapporteur général.
C’est sur la base de ce schéma, qui a recueilli l’assentiment de l’ensemble des membres du groupe de travail, que la MEC a été constituée dans la semaine suivant la présentation du rapport de M. Didier Migaud.

II.- LA MEC AU TRAVAIL : UNE AVANCÉE PROMETTEUSE DES MÉTHODES DE CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

La MEC est exemplaire de ce que le Parlement peut faire dans sa sphère et avec ses moyens propres : préconisée le 27 janvier 1999, la création de la MEC est intervenue dès le 3 février.
Le rapport d’information rendant compte des travaux menés au premier semestre de 1999 a été publié le 7 juillet 1999 (7).
Ses débuts, jugés prometteurs du point de vue de la méthode, ont appelé quelques observations, tendant à prolonger l’effort de rénovation du contrôle parlementaire que traduit la création de cet organe.

A. Une réelle volonté d’innovation

Deux particularités distinguent la MEC : d’abord, une volonté certaine de dépasser les clivages politiques, ensuite, une démarche nouvelle, appuyée sur l’expertise de la Cour des comptes.
La composition même de la MEC rompt avec les règles non écrites du parlementarisme majoritaire " à la française ". La coprésidence est un exercice inédit, que la MEC a permis d’inaugurer. Statutairement coprésidée par le Président – socialiste – de la Commission des finances, M. Augustin Bonrepaux, et un représentant de l’opposition, M. Philippe Auberger – RPR –, la MEC n’a pas été composée à la proportionnelle, mécanisme traditionnel d’attribution des responsabilités dans nos assemblées, mais en faisant place à chacun des groupes, placés sur un pied d’égalité (8). L’objectif était effectivement de dépasser les réflexes inhérents à une certaine conception du parlementarisme majoritaire – qui traverse les alternances –, selon laquelle il n’est pas de meilleure chaussure que le " godillot " emboîtant systématiquement le pas au Gouvernement.
Le " copilotage " de la MEC, qui s’est traduit non seulement par l’alternance des coprésidents au fauteuil présidentiel lors des réunions, mais aussi – et c’est l’essentiel – dans la préparation de celles-ci, s’est accompagné d’un effort de transparence. Les auditions ont été publiques, retransmises sur la chaîne parlementaire câblée et ouvertes à la presse.
Les travaux de la MEC ont été marqués par une approche non partisane. Choisis en commun, traités dans un cadre privilégiant le pluralisme, les sujets retenus étaient au cœur du débat politique : autoroutes, police, aides à l’emploi, formation professionnelle, les aspects techniques et financiers, réels, n’ont pas occulté les enjeux politiques.
La qualité des débats au sein de la MEC doit beaucoup à la volonté de parité et de transparence mise en œuvre par ses fondateurs, ainsi qu’au choix que la mission a fait de s’appuyer sur la réflexion et l’action des rapporteurs spéciaux de la Commission des finances et pour avis des autres commissions (9).
On a pu également noter une tonalité nouvelle, avec la vivacité du questionnement des personnes entendues (10), avec la volonté de dépasser les clivages politiques et une approche fondée sur une expertise objective et pluraliste.
L’appui de la Cour des comptes a été, à cet égard, essentiel. Outre le support documentaire fourni par ses rapports, l’institution de la rue Cambon a donné corps au rôle d’assistance que lui assigne la Constitution (11) : " Systématiquement représentée, à chaque séance, par le Président de la chambre compétente, la Cour a participé activement aux réunions préparatoires des débats, tenues à huis-clos, suggérant des thèmes de réflexion aux membres de la MEC, donnant un aperçu de ses travaux, évoquant les enquêtes en cours, réservant la primeur de ses rapports à la MEC, comme ce fut le cas pour le rapport de juin 1999 sur la politique autoroutière, aiguillant les membres de la MEC pour les questions posées au cours des auditions, suggérant des pistes de réforme… " (12).
Cette expertise, ainsi que la minutieuse préparation, à huis clos, des auditions de la mission, ont permis de garantir une certaine objectivité de la démarche évaluatrice, qui peut se résumer par la question suivante : " Ce qui est fait atteint-il ses objectifs et l’atteint-il au moindre coût ? ".
On observera enfin que l’implication des membres de la MEC dans les travaux de la mission aura fait mentir les observateurs souvent enclins à dénoncer une certaine vacuité du pouvoir parlementaire (13).
Du point de vue de la méthode, cette première expérience paraît donc prometteuse, même si des progrès restent à accomplir.

B. Une procédure que ses promoteurs jugent encore perfectible

Tirant les leçons d’un semestre de fonctionnement de la MEC, le Rapporteur général de la Commission des finances a présenté une série de suggestions, afin de remédier aux premières difficultés ressenties par ses membres (14).
M. Didier Migaud a d’abord souhaité que l’aspect évaluatif des travaux de la MEC soit renforcé. S’étant mise au travail avec célérité, la mission a, en effet, privilégié une démarche " classique " de contrôle par rapport à l’évaluation, qui, elle, doit tendre à apprécier dans quelle mesure une politique publique remplit ses objectifs.
Le Rapporteur général a donc appelé à rompre avec ce tropisme, invitant la MEC à devenir un commanditaire d’évaluation, non seulement en passant elle-même des commandes à des organismes extérieurs, mais aussi en développant une coopération accrue avec la Cour des comptes. Celle-ci, longtemps en situation de monopole, a, en effet, développé une logique propre de contrôle… et de communication. Sans exciper de l’article L 132-4 du code des juridictions financières, qui permet aux commissions des finances des assemblées de requérir des enquêtes de la Cour, le Rapporteur général a souhaité un renforcement de la coordination de son programme de travail avec celui de la MEC. Il s’agit là de canaliser une synergie affirmée dans la consultation, en tendant vers ce que le Président de l’Assemblée nationale qualifiait d’" alliance nouvelle [...] qui saura marier l’impartialité et l’expertise des institutions supérieures de contrôle à la légitimité et au pouvoir réformateur des Parlements " (15).
Deuxième thème retenu par le Rapporteur général de la Commission des finances : repenser les domaines d’investigation de la MEC, qui doit, à ses yeux, se concentrer sur des thèmes plus précis, l’ampleur d’un thème tel que les aides à l’emploi ayant révélé, souligne-t-il, des difficultés pour mettre en œuvre, à bref délai, une réflexion exhaustive.
Le dernier axe de réflexion présenté par M. Didier Migaud est relatif à l’amélioration de l’impact budgétaire des propositions de la MEC. Conscient de ce que ces propositions n’étaient susceptibles d’avoir que " de faibles impacts budgétaires à court terme ", le Rapporteur général a défini ainsi les orientations qui lui paraissaient nécessaires pour promouvoir les solutions définies par la MEC. Il a d’abord appelé l’administration à mettre en place un véritable contrôle de gestion de la dépense publique (comptabilité analytique, indicateur de résultats et d’objectifs, audit interne, rapports d’activité). Ensuite, iconoclaste, il a demandé que les parlementaires puissent " transférer la dépense là où elle paraît la plus efficace ". Il s’agirait, en fait, de réviser l’article 40 de la Constitution, pour permettre aux parlementaires de proposer, entre les charges, une compensation qui n’est, pour l’instant, admise qu’entre les recettes, ce qui est sans doute l’une des explications de la complexité de notre fiscalité, champ résiduel de l’initiative des élus en matière financière. On ne saurait cependant oublier que cet élément de rationalisation du parlementarisme, a été mis en œuvre dès la IVème République avec la " loi des maxima ", inspirée d’un standing order de 1713 de la Chambre des Communes britannique.
Quoi qu’il en soit, la procédure mise en œuvre au printemps 1999 apparaît positive. Il reste à voir si elle a véritablement permis aux parlementaires de peser sur la réalité budgétaire.

III - la mise en œuvre des conclusions de la MEC : UN PREMIER BILAN EN DEMI-TEINTE

Les conclusions présentées par la MEC sur les quatre thèmes ayant fait l’objet de ses travaux du premier semestre de 1999 se veulent opérationnelles. On observera – fait assez rare dans le fonctionnement des organes parlementaires, caractérisé, par définition, par la prégnance des clivages politiques – que ces conclusions ont fait l’objet d’un large consensus, l’opposition marquant essentiellement sa différence en exprimant une attente quelque peu sceptique sur la capacité de la mission à peser vraiment sur les décisions à venir  (16).
Si la mission s’est voulue réaliste et opérationnelle dans ses conclusions, il est encore trop tôt pour porter un jugement sur l’efficacité de la procédure inaugurée en 1999.

A. Les propositions sectorielles de la MEC : un ensemble de mesures qui se veulent opérationnelles

— Sur le thème de la politique autoroutière (17), après avoir analysé les modalités de financement des équipements autoroutiers, fondées sur une sorte de fuite en avant permise par l’" adossement " (attribution des concessions à des sociétés finançant les investissements nouveaux grâce aux recettes procurées par ceux en service), mécanisme remis en cause par la Commission européenne, la MEC s’est inquiétée de la dégradation de la trésorerie et de l’endettement des sociétés concessionnaires. Elle a invité à un changement global de la politique des transports, qui doit être fondée sur un schéma national des infrastructures, permettant de définir les priorités compte tenu des disponibilités budgétaires, un vote du Parlement devant, en 2000, arrêter un schéma complet d’infrastructures de transport. La MEC a appelé, dans cette attente, à ne lancer aucun projet nouveau. Elle a souhaité également le développement d’un " nouvel objet autoroutier " (liaison rapide ayant des caractéristiques techniques proches de l’autoroute, mais moins coûteuse). Regrettant " l’absence totale d’unité de l’Etat ", la mission a préconisé la mise en place d’une instance interministérielle d’instruction des projets autoroutiers, pour assurer une meilleure prise en compte des divers intérêts publics en jeu : impact financier, environnement, aménagement du territoire, politique des transports. Enfin, la remise en ordre, qu’elle appelle de ses vœux, de la fiscalité pesant sur le secteur, peut, à ses yeux, aller jusqu’à la suppression de la taxe sur les concessionnaires d’autoroutes.
— S’agissant de la gestion des effectifs et des moyens de la police nationale (18), la principale constatation de la MEC est la sous-administration de la police : un grand nombre de policiers sont affectés à des tâches de simple gestion, assurées, par voie de conséquence, à un coût budgétaire démesuré, ce qui nuit au bon exercice de la mission sécuritaire de base de cette administration, dont le budget total est proche d’une trentaine de milliards de francs en 1999. La mission a donc formulé diverses propositions, articulées autour de l’objectif principal de " mettre sur la voie publique " le maximum de policiers actifs. Selon la MEC : certaines tâches de gestion doivent être externalisées ; les horaires de travail des policiers doivent être contrôlés ; le paiement des heures supplémentaires doit prendre le pas sur les récupérations, celles-ci désorganisant les services de police ; le régime indemnitaire doit être mieux ciblé ; l’indemnité de fidélisation aux zones difficiles doit être versée dès la prise de fonctions, et ce, dans des zones plus réduites qu’actuellement ; les projets de redéploiement entre police et gendarmerie et la restructuration des différents services de police doivent être poursuivis ; le recours aux adjoints de sécurité doit être maîtrisé. Elle appelle , en outre, à des mesures destinées à faciliter la mobilité au sein des administrations, afin de permettre d’y puiser , au profit de la police nationale, les agents administratifs nécessaires.
— Sur les aides à l’emploi (19), la MEC a d’abord souligné la difficulté d’apprécier la dépense pour l’emploi, ainsi que l’incertitude des évaluations des différents dispositifs d’aide publique, et a appelé à systématiser et à approfondir l’évaluation de cette politique. S’agissant des propositions de réforme, la mission a regroupé ses conclusions autour de quatre thèmes : mettre un terme au financement public trop systématique de préretraites sans embauche compensatrice ; restreindre les effets d’aubaine, en préconisant à la fois de réduire de moitié la durée de l’exonération de cotisations patronales de sécurité sociale pour l’embauche d’un premier salarié et de supprimer le crédit d’impôt pour création d’emplois ouvert aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ; repenser la réglementation communautaire des aides d’Etat et le soutien communautaire aux activités innovantes ; recentrer la définition des aides à l’emploi, pour distinguer celles relevant de l’aide à la création d’emplois de celles répondant à un objectif d’accompagnement des restructurations ou d’aide à la réinsertion des demandeurs d’emploi en difficulté.
— Enfin, en ce qui concerne l’utilisation des crédits de la formation professionnelle , thème traité par un rapporteur appartenant à l’opposition (20), les propositions de la mission s’organisent autour de quatre axes. La mission a insisté d’abord sur la nécessité d’une restructuration de l’Association pour la formation professionnelle des adultes, sur le renforcement indispensable de sa coopération avec l’Agence nationale pour l’emploi et le développement d’un suivi statistique fin du devenir de ses stagiaires. Concernant la collecte des ressources publiques, elle a souhaité une augmentation des effectifs affectés au contrôle, l’institution de bilans patrimoniaux systématiques des organismes collecteurs et un toilettage des règles d’imputation des dépenses de formation, appelant, pour ces contrôles, à une intervention de la Cour et des chambres régionales des comptes. S’agissant de la gestion des partenaires sociaux et des régions, elle a proposé la modernisation des modalités de financement du " paritarisme ", c’est-à-dire du fonctionnement des organisations professionnelles et syndicales, et la création d’une instance de coordination des actions de formation réalisées à l’échelon régional. Elle a souhaité enfin que le bilan social des entreprises permette aux comités d’entreprise d’évaluer la qualité des formations, estimant qu’il faut encourager la création de référentiels de prix et de bonnes pratiques, afin de subordonner la commande publique à la délivrance d’une accréditation.
Il reste à voir dans quelle mesure ces propositions ont été suivies d’effets.

B. Une capacité de peser sur la décision qui reste à renforcer

Force est de constater que le projet de loi de finances pour 2000 ne traduit que parcimonieusement les conclusions de la mission d’évaluation et de contrôle. Il est vrai que le calendrier habituel de préparation du budget ne permet guère de prendre en compte des éléments survenant à la mi-juillet, comme ce fut le cas pour les conclusions de la MEC, rendues publiques le 7 juillet 1999.
— Certes, s’agissant des crédits de la police nationale, le Rapporteur général de la Commission des finances, M. Didier Migaud, peut observer que " le projet de budget pour 2000 intègre des dispositions qui répondent à certaines des recommandations formulées par la mission " (21), soulignant notamment les redéploiements d’effectifs et de moyens en direction des départements " sensibles ", les transformations et créations d’emplois au bénéfice de l’administration et de la police scientifique et technique, l’engagement d’une expérience tendant à substituer aux récupérations le paiement des heures supplémentaires, pour travail de nuit et de dimanche, le développement de la gestion informatique des personnels, ainsi que les prémices de l’externalisation de certaines tâches, comme la maintenance automobile ou informatique. Le Rapporteur général tempère cependant quelque peu cette impression favorable, observant que " la philosophie générale exprimée par la MEC n’est pas vraiment prise en compte " (22). En effet, alors que la mission appelait de ses vœux des réformes à budget constant – " dépenser mieux " –, notamment en les gageant sur des crédits de personnel, où la pyramide des âges permet de dégager des marges de manœuvre, le ministère de l’intérieur et de la décentralisation a, pour l’essentiel, conditionné leur mise en œuvre à l’inscription de crédits supplémentaires.
— Quelques mesures sont également annoncées en matière de formation professionnelle : l’article 70 du projet de loi de finances pour 2000 propose ainsi de centraliser les excédents financiers du " capital de temps de formation ". L’affectation de ces disponibilités au budget de l’emploi, à hauteur de 500 millions de francs, permet de réduire, à due concurrence, les crédits destinés au financement de l’indemnité compensatrice forfaitaire à l’apprentissage. De même, le ministère de l’emploi et de la solidarité a annoncé des décrets tendant à resserrer les conditions d’appréciation des disponibilités excédentaires des organismes de collecte au titre de l’alternance et du congé individuel de formation , ainsi qu’à rendre plus transparent le financement de l’apprentissage. Incontestablement, ces mesures techniques participent de la rationalisation du financement de la formation professionnelle à laquelle la MEC a appelé.
— En revanche, au titre de la politique autoroutière, on notera que, contrairement aux observations de la mission, qui s’est interrogée sur la suppression de la taxe sur les concessionnaires d’autoroutes, le Gouvernement propose, à l’article 33 du projet de la loi de finances, de majorer de 12,5% le taux de cette taxe. Malgré qu’elle en eût, la Commission des finances de l’Assemblée nationale a avalisé cette disposition offrant quelque 295 millions de francs de ressources supplémentaires au ministère de l’équipement, des transports et du logement (23), M. Jacques Barrot la qualifiant de " pied de nez aux travaux de la MEC ".
— Plus positif, semble, en l’état, le bilan en matière d’aides à l’emploi, les parlementaires ayant d’ailleurs, au-delà des premières propositions gouvernementales, mis en application ce bon vieux principe selon lequel " on n’est jamais si bien servi que par soi-même ". Le projet de loi de finances pour 2000 témoigne d’un resserrement du dispositif relatif aux préretraites, même si l’effort reste encore limité, avec une diminution de l’ordre de 10% des dotations. Dans ce domaine, les députés eux-mêmes ont voulu assurer ce que l’on pourrait qualifier de " service après-vente " de la MEC : la Commission des finances de l’Assemblée nationale a, en effet, adopté, en se fondant sur les conclusions de la mission, un amendement tendant à supprimer le crédit d’impôt pour création d’emplois, dont celle-ci a constaté l’inefficacité (24).
Certes, l’Alphée n’a pas tout emporté dans ses flots, vers l’oubli, mais le pot de terre de la logique parlementaire peine encore à briser le pot de fer des certitudes du Gouvernement et, surtout, de la technostructure.

 

Dressant le bilan du fonctionnement de la mission d’évaluation et de contrôle au premier semestre de 1999, le Rapporteur général de la Commission des finances observait que " la MEC n’a pas vocation à déboucher sur le " grand soir " de la révolution budgétaire. [Elle] n’est, en aucune mesure, un " comité de la hache ", destiné, selon une logique robespierriste, à couper systématiquement les crédits de l’administration " (25).
De fait, ce n’est pas à l’aune du " sensationnel " qu’il convient de juger l’expérience. A ce stade, et dans l’attente de la " MEC 2000 " annoncée pour janvier prochain, il semble que la mission ait enclenché une dynamique nouvelle de contrôle.
Elle a d’abord permis de lancer, en les dépassionnant, des débats publics sur des sujets controversés, montrant par là même que le travail parlementaire ne se résume pas à des " gesticulations médiatiques ". La MEC a également placé l’administration dans l’obligation de rendre compte de son action. On ne peut s’empêcher, à cet égard, de voir dans les progrès récemment annoncés par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie en matière de modernisation de la gestion budgétaire une réponse aux travaux de la MEC. Des synergies nouvelles sont, par ailleurs, à attendre de la coopération accrue mise en œuvre entre la Cour des comptes et le Parlement. La MEC aura également permis l’amorce d’une évolution culturelle chez les parlementaires, qui commencent à rompre avec la logique du " toujours plus " de dépenses, qui est longtemps restée la leur, pour s’engager dans une démarche privilégiant une efficacité accrue de la dépense publique.
Surtout, la création de la MEC s’inscrit dans une perspective plus large, visant à restaurer la fonction de contrôle budgétaire du Parlement. Dès cet automne, l’Assemblée met, en effet, en œuvre, pour l’examen des fascicules budgétaires, une procédure expérimentale, dont il est espéré qu’elle permettra de rompre avec le célèbre triptyque d’Edgar Faure " liturgie, léthargie, litanie " : l’approfondis-sement sensible des travaux menés au sein des commissions saisies pour avis, complété par la mise en œuvre d’une procédure de questions écrites budgétaires, devrait permettre de concentrer le débat en séance publique sur l’essentiel. Enfin, une volonté politique se dessine pour moderniser le texte fondateur du droit budgétaire, l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, figée dans un bronze quadragénaire qui mérite d’être, sinon refondu, du moins largement dépoussiéré.

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(1) Articles XIV et XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
(2) Michel BOUVIER – Éditorial dans cette revue, n° 59-1997, page 3 .
(3)
Rapport du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, Président : M. Laurent Fabius ; Rapporteur : M. Didier Migaud, Assemblée nationale, Les documents d’information, n° 3/99, janvier 1999. Les documents parlementaires cités dans la présente chronique sont en ligne sur le site Internet : " http:// www.assemblée-nationale.fr ".
(4) Participent également de cette démarche privilégiant le contrôle quelques réformes majeures intervenues depuis le début de la décennie :
- adoption, en 1992, de l’article 88-4 de la Constitution, entrouvrant au regard du Parlement l’action gouvernementale dans l’élaboration de la législation communautaire ;
- institution, en 1995, de la session unique de Parlement, assurant la permanence des fonctions parlementaires ;
- adoption, en 1996, de l’article 47-1 de la Constitution, permettant au Parlement de se prononcer et d’exercer son contrôle en matière de financement de la Sécurité sociale.
(5)
Op. cit., pages 117 et suivantes.
(6) Le rapport précité du groupe de travail présente, page 183 et suivantes, un résumé de ces propositions, dont la pierre angulaire serait, à moyen terme, une révision de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, avec pour objectifs d’améliorer la transparence et la signification des comptes publics, de centrer la discussion budgétaire sur l’efficacité de la dépense publique, de rendre l’exécution budgétaire plus respectueuse de l’autorisation parlementaire et de promouvoir une gestion publique à la fois plus souple et mieux contrôlable.
(7) Rapport d’information déposé par la Commission des finances et présenté par M. Didier Migaud, Rapporteur général, Document Assemblée nationale n° 1781.
(8) Outre les membres de droit – Président et Rapporteur général de la Commission des finances, coprésident d’opposition –, la MEC compte, au titre de chacun des six groupes politiques de l’Assemblée, deux représentants titulaires et un représentant suppléant désignés par leur groupe parmi les membres de la Commission des finances.
(9) Les rapporteurs pour avis, respectivement de la Commission des lois pour la police et de la Commission de la production pour la politique autoroutière, ont pris une part active aux travaux de la MEC.
(10) Les quatre annexes thématiques au rapport précité de la MEC présentent le compte rendu intégral des auditions auxquelles la mission a procédé. Le rapport de synthèse de M. Didier Migaud fournit quelques exemples illustrant la vivacité du débat (pages 46 à 51). On observera que les personnes entendues ont été avant tout des gestionnaires, l’audition du ministre responsable n’intervenant qu’à la fin de chaque cycle thématique des travaux de la MEC.
(11) Article 47, dernier alinéa, de la Constitution : " 
La Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances ".
(12) Didier Migaud,
op. cit., page 53.
(13) M. Guy Carcassonne résumait ainsi cette opinion : " 
Ce qui manque au Parlement, ce ne sont pas des pouvoirs mais plutôt des parlementaires pour les exercer " inLes relations de la Cour [des comptes] et du Parlement : ambiguïtés et difficultés ", dans cette revue, n° 59-1997, page 132.
(14)
Op. cit., pages 59 à 65.
(15) Laurent Fabius, intervention prononcée lors de la clôture du IVème congrès de l’EUROSAI (réunion des " cours des comptes " et institutions homologues d’Europe), Paris, juin 1999.
(16) Voir les observations et contributions présentées aux pages 81 et suivantes du rapport précité de la MEC.
(17) Voir l’annexe n°1 au rapport précité de la MEC, par M. Jean-Louis Idiart, député.
(18) Voir l’annexe n°2 au rapport précité de la MEC, par M. Tony Dreyfus, député.
(19) Voir l’annexe n° 3 au rapport précité de la MEC, par M. Gérard Bapt, député.
(20) Voir l’annexe n° 4 au rapport précité de la MEC, par M. Jacques Barrot, député.
(21) Rapport Assemblée nationale n° 1861 de M. Didier Migaud sur le projet de la loi de finances pour 2000 (14 octobre 1999), tome I, volume 1, page 190.
(22)
Ibid, page 191.
(23)
Ibid , tome II, volume 1, pages 663 et suivantes. On observera qu’un amendement présenté par M. Jean-Louis Idiart, tendant, conformément aux conclusions de la MEC, à supprimer le Fonds d’investissement des transports terrestres et des voies navigables, a été retiré, lors de la discussion en séance publique du projet de loi de finances pour 2000 ; le Gouvernement s’est, en effet, engagé à " aller vers la suppression du FITTVN ". (Journal officiel, Débats, Assemblée nationale, 3ème séance du 22 octobre 1999, pages 8022 et suivantes).
(24)
Ibid, tome II, volume 1, pages 358 et suivantes. Cet amendement a été adopté par l’Assemblée nationale (Journal officiel, Débats, Assemblée nationale, 3ème séance du 22 octobre 1999, page 7945).
(25)
Op. cit., page 54.