TOME III (volume 1)
Perrier Vittel

Audition des syndicats

Audition de MM. Dominique BLANCHOT et Jacques FERRER,
Délégués syndicaux de la CGC,

André BOURGUIGNON et Jean-Pierre DORGET,
Délégués syndicaux de FO

Michel DORMOY et Arthur STAUB,
Délégués syndicaux de la CFDT et

Georges NICOLET et André OLLIER,
Délégués syndicaux de la CGT

chez PERRIER VITTEL

(extrait du procès-verbal de la séance du 10 mars 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Dominique Blanchot, André Bourguignon,, Jean-Pierre Dorget, Michel Dormoy, Jacques Ferrer, Georges Nicolet, André Ollier et Arthur Staub sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Dominique Blanchot, André Bourguignon,, Jean-Pierre Dorget, Michel Dormoy, Jacques Ferrer, Georges Nicolet, André Ollier et Arthur Staub prêtent serment.

M. André OLLIER (C.G.T.) : M. le président, Messieurs, je voudrais, au préalable, me réjouir de la mise en place de cette commission d'enquête que nous avons appelée de nos voeux, non pour jeter une quelconque suspicion sur la démarche des grands groupes mais pour apporter à la représentation nationale un éclairage sur certaines de leurs pratiques. Je me réjouis donc qu'elle ait vu le jour.

Mon propos sera très bref parce que je pense que les questions-réponses seront beaucoup plus riches et intéressantes. Néanmoins, je voudrais rappeler que l'OPA du groupe Nestlé sur Perrier a eu un impact majeur sur la situation économique et sociale de toute la région. La prise de contrôle s'est effectuée en 1992 ; comme cette entreprise n'était pas communautaire mais de droit suisse, il fallait obtenir l'aval du gouvernement français pour que cette OPA puisse aboutir. Elle a donc eu lieu même si la Commission européenne, dans le cadre de la concurrence, a émis quelques réserves et imposé que le groupe Nestlé, devenant propriétaire de Perrier, cède un certain nombre de ses sources pour ne pas se trouver en situation de duopole avec Danone.

Je dirais que cela a été le début de la déstructuration du groupe Perrier avec toutes les conséquences que l'on connaît. Bien sûr Volvic a été cédé, puisque c'était l'exigence de Bruxelles, mais aussi un certain nombre d'entreprises telles que Vichy, Roquefort, Saint-Yorre, Thonon... On peut donc dire que le groupe Perrier a été démantelé.

S'il est tout à fait légitime que la Communauté européenne fasse preuve d'une telle vigilance en terme de concurrence, je crois aussi que devrait être exercée une surveillance de l'impact social lorsqu'il y a des rachats, des fusions, des absorptions, car ce n'est jamais neutre. Nous, représentants des salariés, regrettons que ce ne soit pas le cas. Nous avions pourtant tiré le signal d'alarme, dans la mesure où nous étions tout à fait conscients du fait que, en entrant dans un groupe agro-alimentaire de la dimension de Nestlé, nous allions vivre des restructurations répondant à une recherche d'économies d'échelle et, malheureusement pour nous mais aussi pour la région, les faits nous ont rapidement donné raison : nous avons payé très cher le démantèlement du groupe en terme d'emploi, mais aussi en termes économiques et en coût social.

Je ne m'attarderais pas sur tous les plans sociaux dont vous avez entendu parler. Il y en a eu quatre au niveau de l'entreprise, dont un qui a été annulé par la Cour d'appel de Paris. On compte, à ce jour, 1 000 emplois perdus, sans compter les 350 suppressions prévues dans le plan qui se déroule actuellement.

Nous ne sommes pas systématiquement opposés à tout plan de restructuration : une entreprise vit et doit s'adapter. A ce titre, je ne contesterai pas le fait que l'affaire du benzène a porté un coup à l'entreprise et que le premier plan pouvait, à la limite, se concevoir puisque nous étions passés d'une production de 1 milliard 200 millions de bouteilles à près de 800 millions. C'était donc une perte importante que nous ne pouvions pas contester.

Mais on ne pouvait pas imaginer qu'à partir de ce premier plan, qui a eu lieu en 1993, on assisterait à un enchaînement systématique de plans sociaux, pratiquement au rythme d'un tous les deux ans. Autant le premier n'avait pas fait l'objet de critiques (ceux qui habitent dans notre région peuvent en témoigner et je ne crois pas qu'on ait alerté les hommes politiques sur le plan social de 1993), autant tous ceux qui se sont succédé depuis étaient purement et simplement des restructurations stratégiques nullement justifiés par une situation économique.

Nous vous avons fourni un certain nombre de documents*, y compris une enquête réalisée par le CANES, qui est un groupe d'actionnaires minoritaires chez Nestlé, mais qui porte aussi un regard social sur le management de l'entreprise. Je ne m'étendrai pas sur ce point, mais vous verrez qu'il n'approuve pas les choix qui sont faits, ce qui est particulièrement révélateur.

A l'heure où le débat fait rage sur ce que pourrait être la retraite après 42 ans de cotisation, je voudrais souligner qu'on assiste dans ces plans à des aberrations pour le moins surprenantes. Dans celui que nous avons connu en 1995, tous les salariés de 53 ans ont été placés en dispense d'activité, l'entreprise leur assurant jusqu'à 56 ans une préretraite d'attente à hauteur de 70 % de leur salaire. Mais, dans le même temps, du personnel saisonnier a été embauché tous les ans pour une période qui variait de quatre à six mois.

Si on calcule bien le coût, payer 70 % de leur salaire à des personnes qui restent chez elles et, parallèlement, embaucher en CDD dans le cadre d'emplois saisonniers, ne me semble pas présenter d'intérêt économique. Je crois que c'est plus la volonté de recourir à tout prix à des emplois précaires qu'une raison financière. C'est une aberration.

Je rappellerai que l'Etat avait accordé, par dérogation, des allocations spécifiques du FNE à partir de 56 ans alors que le droit commun est à 57 ans et 2 mois.

On assiste là à des dérives qui nous conduisent à penser qu'une entreprise comme la nôtre use et abuse de plans sociaux et que c'est devenu, chez elle, une stratégie de management. Elle le fait ensuite payer à la collectivité tout entière dans la mesure où, d'une part, les FNE sont en partie financés sur des fonds publics et que, d'autre part, s'y ajoutent ensuite des coûts sociaux dans la mesure où l'on voit aujourd'hui les gens privés d'emploi demander à bénéficier des aides sociales de nos communes et de nos conseils généraux. Sans être excessif, je crois qu'il y a lieu d'évaluer l'opportunité d'un plan de restructuration, avant de donner des fonds pour le financer. Cela nous paraît être une demande extrêmement importante.

Comme j'ai vu que la commission avait abordé ce point dans ses travaux, je voudrais aborder ce que nous allons appeler «l'affaire Baraka» qui a constitué une tentative de délocalisation de la marque Perrier. J'ai ici une petite bouteille qui en témoigne : voilà l'eau Baraka et voilà la petite bouteille Perrier. Elles sont quasiment semblables. Je crois qu'on a usurpé la marque, même si le mot Perrier figure au dessus de la marque Baraka. Il est vrai que notre direction a dû vous dire qu'il a été mis un terme à cette tentative. Il n'en demeure pas moins que, lorsque vous demandez aujourd'hui un Perrier en Egypte, on vous apporte une bouteille de Baraka en vous affirmant que c'est du Perrier égyptien !

C'est ce qui nous fait parler d'une délocalisation déguisée. Je ne sais pas ce que pourra traduire la commission dans son rapport mais il me semble qu'il convient d'entreprendre quelque chose en matière de protection des marques et notamment de tout ce qui est patrimonial, attaché à une région. Nous avons élaboré des documents sur ces questions.

Je voudrais également dire un mot sur la fiscalité. Je sais que nos collègues de Nestlé France, que vous avez entendus tout à l'heure, ont dû l'aborder et que d'autres ici le feront également, mais je noterai simplement que, selon une étude assez fine réalisée par nos experts, depuis le rachat par Nestlé du groupe Perrier, ce sont plus de 2 milliards de francs d'impôt qui n'ont pas été payés par le seul biais de ce que j'appellerais les filialisations et provisions de tout type qui permettent de déduire de l'impôt un certain nombre de sommes et de résultats.

Je finirai enfin en proposant un certain nombre d'orientations qu'il nous semble indispensable de suivre :

C'est, premièrement, le recours suspensif des CE et des CCE concernant tout projet mettant en cause l'emploi lors d'opérations de rachat d'entreprises, de fusion, d'absorption, de restructuration, de délocalisation et d'externalisation.

Au sujet des externalisations, je voudrais dénoncer une idée reçue. On prétend volontiers que l'opération est finalement neutre car des PME et PMI récupèrent les emplois perdus. Je dirais, premièrement, qu'on arrache à un corps social des salariés qui ont une histoire dans une entreprise ; deuxièmement, qu'ils sont repris par des petites entreprises sous-traitantes qui, pour obéir à la loi du marché, pratiquent des salaires qui sont de 30 % inférieurs à ceux que recevaient auparavant les salariés. S'ajoute à cela une fragilisation des situations parce qu'on sait très bien que si, dans un premier temps, le groupe confie le marché à la nouvelle entreprise, cette dernière devra ensuite répondre à des appels d'offre et offrir les prix les plus bas, faute de quoi elle perdra son client.

Les grandes entreprises ne créent pas aujourd'hui d'emplois et ce sont les PME-PMI qui en créent, mais elles le font sur les décombres des restructurations des grandes entreprises et ce n'est pas neutre.

Pourraient aussi être retenus dans le rapport définitif de votre commission les orientations suivantes :

- exiger l'avis favorable préalable du CE et du CCE avant toute attribution de fonds publics, ainsi que le contrôle continu de l'utilisation de ces fonds ;

- assurer une totale transparence des aides perçues dans leurs différentes composantes (Europe, État, collectivités territoriales). A cet égard, l'opacité est complète ; on n'est pas en mesure, au niveau d'une représentation des travailleurs, de dire combien nos entreprises ont perçu au titre des diverses aides ;

- donner aux institutions représentatives du personnel des moyens de contrôle. Elles doivent être destinataires des décisions administratives concernant les aides perçues. En cas de non-conformité, nous pensons qu'il faut des sanctions appropriées ;

- créer des comité d'entreprise mondiaux : les comités d'entreprise européens ont vu le jour mais cela ne suffit pas au niveau d'une entreprise transnationale comme la nôtre parce qu'elle suit une stratégie mondiale. Se réunir à Genève, comme nous le faisons, pour n'avoir qu'une approche sur l'Europe ne permet pas d'appréhender globalement la dimension de notre entreprise.

Je crois - et ce n'est pas rêver que déjà poser des jalons pour l'avenir - que, face à des entreprises transcontinentales, il faut élargir la compétence du comité d'entreprise européen au niveau mondial. Cela nous paraît être une évidence.

- enfin et surtout - ce n'est pas demander beaucoup puisque cela existe dans nos CE, dans nos CCE et dans le comité de groupe -, il faut qu'on puisse bénéficier de l'assistance d'experts au niveau du comité d'entreprise européen parce qu'on ne peut pas comprendre les stratégies de groupes aussi puissants que le nôtre sans l'assistance d'experts-comptables, d'experts en stratégie et en gestion. Le texte européen ne prévoit pas cette possibilité. Certains groupes en bénéficient comme le groupe Danone mais il ne faut pas oublier que Danone est d'origine française. En ce qui nous concerne, l'assistance d'experts est, pour l'instant, refusée, comme dans la plupart des groupes.

Voilà ce que je voulais dire en introduction et très succinctement parce que résumer ce que nous avons vécu à la source Perrier depuis l'OPA de 1992 serait trop fastidieux : j'ai évoqué les points essentiels.

M. Georges NICOLET (C.G.T.) : Je voudrais intervenir à propos de ce que nous venons de connaître à Contrexéville, où est établi Perrier Vittel France, où a été mené un plan de restructuration industriel et adoptée une nouvelle matière de fabrication des bouteilles, le PET.

A la suite de ce plan industriel qui a été mis en oeuvre de 1995 à fin 1998, nous avons aussi connu une réduction d'horaire à 35 heures qui a préservé 19 emplois seulement, sans augmenter les coûts puisqu'il y a eu un gel des salaires de 2 %.

Le plan PET prévisionnel prévoyait une suppression de 325 emplois à Contrex et Vittel et, selon les chiffres que nous avait remis la direction à l'époque, la masse salariale prévisionnelle était de 270 000 francs par salarié.

Sur un retour d'investissement, que j'ai évalué sur cinq ans, le gain pour la masse salariale lié à la suppression des emplois représente 311,175 millions pour Contrexéville et 127,575 millions pour Vittel.

Le total de la réduction des emplois amène à un chiffre total de 438 millions de francs.

Le projet initial prévoyait de fabriquer des bouteilles de 40 grammes environ, ce qui supposait 4 à 6 grammes de gains sur trois ans, ces gains se chiffrant à 6 000 tonnes au total, au prix moyen de 8 500 francs la tonne.

Le gain annuel atteint ainsi 52 millions de francs, soit, sur cinq ans, 260 millions de francs auxquels s'ajoutent les gains de productivité.

Un investissement global de 600 millions de francs était prévu, et a été pleinement réalisé : de 1995 à 1998, à Contrex et Vittel, 611,3 millions ont été investis. Je dirais même que le plan PET, par ses réductions d'emplois et les gains de matières premières, avait un but lucratif pour l'employeur puisqu'il permettait de dégager une plus-value de 87 millions de francs.

M. André BOURGUIGNON (F.O.) : Nous voudrions apporter certaines précisions, notamment sur le prétendu sureffectif qui existerait dans nos sociétés, alors que le nombre de CDD est de plus en plus important et qu'on voit même apparaître des emplois intérimaires, ce qui est une réalité nouvelle.

En fait, la fusion répondait à un motif fiscal et s'est traduite par le démantèlement de nos entreprises, la perte de Pierval et des Abattilles, c'est-à-dire de sociétés qui ont été absorbées dans Nestlé ou qui ont été vendues.

Seul le facteur économique est pris en compte et non le facteur humain.

En 1995, nous avons vécu sur le site Est un plan social qui représentait environ 330 suppressions d'emplois, sans compter les dispositifs ARPE, et prévoyait quelques embauches en CDD, une réduction d'horaire et le passage progressif de 39 heures à 37 heures et demi, puis à 35 heures, cela avant même l'adoption de la loi Aubry.

Malheureusement, on parle à nouveau de plan social aujourd'hui. On nous en annonce un pour 1999 sur des services satellites - le golf et d'autres activités qui ne sont pas directement liées à notre production -, ce qui devrait certainement représenter encore une centaine d'emplois. Leur nombre n'a pas cessé de diminuer depuis 1993 dans le groupe, malgré des embauches de CDD en 1996, à la suite d'une grève.

On transfère de plus en plus ces emplois vers des entreprises avec lesquelles on renégocie continuellement les prix à la baisse, si bien que ces entreprises, qui ont créé les emplois pour assurer les premières commandes, sont contraintes de licencier parce que leur chiffre d'affaire diminue.

M. Arthur STAUB (C.F.D.T.) : Je suis délégué CFDT de l'établissement de Vittel. Avant de commencer, j'aurais une précision à demander à M. le Président sur la notion de secret. Divulguerait-on un secret en publiant les propos que nous avons tenus ? C'est un point de droit sur lequel j'aimerais bien avoir une réponse.

M. le Président : Le secret frappe évidemment d'abord les parlementaires membres de la commission d'enquête. Nous n'avons pas le droit, sous ce régime, de faire part de ce que nous entendons avant la publication du rapport. En ce qui vous concerne, vous êtes également tenu de ne pas communiquer les documents émanant de la commission mais il est évident que nul ne serait en droit de vous reprocher d'avoir tenu, sous le régime du secret, des propos qui viendraient à être rendus publics dès lors que la commission agissant sur mandat de l'Assemblée nationale déciderait de les publier.

M. Arthur STAUB (C.F.D.T.) : Très bien, merci.

En ce qui concerne l'établissement de Vittel, je soulignerais que Nestlé est actionnaire depuis 1969, mais c'était un actionnaire dormant. En 1986, Nestlé a décidé de prendre la majorité du capital de Vittel en devenant propriétaire de 52 % du capital. En 1991, par une OPA, Nestlé a acheté la totalité des actions de Vittel et, en 1992, a pris le contrôle de Perrier par une nouvelle OPA. Nous avons vécu à ce moment-là déstructuration et découpage : un établissement, qui s'appelait Pierval et qui comptait 200 salariés, dans l'Eure, a été cédé pour répondre aux exigences de la Commission de Bruxelles et une centaine de salariés de la force de vente ont été retirés des effectifs de Vittel ; un établissement, les Abatilles, employant une vingtaine de salariés près de Bordeaux, a été cédé ; et nous avons connu, en 1996-1997, la fusion-absorption de Vittel SA par la Générale de Grandes Sources qui était, en fait, Perrier et qui a conduit à l'adoption du nom Perrier Vittel France.

La brièveté des délais ne nous a pas permis d'apporter des réponses au document que vous nous avez communiqué. Nous avons donc concentré notre attention sur la question des effectifs, ainsi peut-on lire : « Les baisses d'effectif en France sont dues avant tout à des mesures prises sur les sites de Vergèze et de Vittel ».

Je ne pense pas que ce soit exact ; on ne peut pas comparer les modifications d'effectif entre les établissements de Vergèze et de Vittel. C'est donc quelque chose qui ne correspond pas à la réalité.

On lit également, à propos de « La structure de qualification sur les trois principaux sites », que : « La structure de qualification de Vittel apparaît la plus élevée avec un poids relatif des ingénieurs cadres et des ETAM plus important que le site de Vergèze ».

Là aussi, je pense que le rédacteur du rapport a dû prendre des éléments de découpage des qualifications, de découpage de collèges, qui n'ont strictement rien à voir avec les qualifications professionnelles des personnes.

Et enfin, concernant les CDD, je découvre une notion nouvelle (on parle en effectif moyen interne) : on fait état à Vittel de 515 CDD en 1994, 529 en 1995 et 673 en 1996. J'ignore d'où viennent ces chiffres, que j'ai vainement essayé de retrouver dans les bilans sociaux. Est-ce l'addition de la totalité des contrats qui ont été signés ? Cela veut-il dire que, lorsqu'un salarié est sous CDD, conformément à la loi, pour un remplacement d'une semaine, on compte un contrat, et qu'on en compte un autre quand il revient pour assurer un autre remplacement tout aussi bref ?

On ne sait pas très bien à quoi correspondent ces chiffres et cela mériterait d'être précisé. Si nous en avions eu le temps, nous aurions fait parvenir une communication écrite pour signaler nos interrogations et aurions cherché nous mêmes les éléments figurant dans le bilan social.

M. le Président : Une communication écrite pourra nous être adressée à la suite de cette rencontre, si vous souhaitez nous faire parvenir des questions, des observations ou des renseignements complémentaires que nous n'aurions pas eu l'opportunité ou le temps d'aborder ce soir. Ceci est valable pour l'ensemble des organisations syndicales. Je tiens à préciser que ce qui figure dans le rapport de la commission d'enquête provient de différentes sources, et notamment des documents fournis par les organisations syndicales.

M. Arthur STAUB (C.F.D.T.) : Très bien. En tout cas, cette information n'a pas été donnée par la CFDT de Vittel.

En ce qui concerne le rapport lui-même, il y a trois points sur lesquels je voudrais attirer l'attention de la commission :

- la notion relative de sous-capitalisation de Perrier Vittel France qui me paraît être un point important pour les raisons que je vais expliquer ;

- les délocalisations-externalisations et ce que nous qualifions nous-mêmes d'utilisation abusive de l'article L.122-12 du Code du travail ;

- l'emploi précaire enfin, qui me semble être le point le plus important.

L'idée d'une sous-capitalisation de Perrier Vittel France est assez commune dans l'analyse de l'activité de la Générale de Grandes Sources. C'est une réalité, ce dont atteste le fait qu'en juillet 1991, cette dernière a dû prendre des initiatives pour reconstituer son capital. L'opération a dû être renouvelée en décembre 1993 : le rapport d'expertise que nous avions fait faire par notre cabinet lorsque Vittel devait être absorbé par Générale de Grandes Sources dit ainsi : »  ... soulignant que les capitaux propres de la société GGS sont devenus inférieurs à la moitié de son capital social la plaçant devant l'obligation légale de les reconstituer ».

Le rapport Sécafi Alpha qui a été fait au même moment attire l'attention sur cette insuffisance de capitalisation en disant que cela entraînera pour Vittel une absence de participation pour les salariés pendant plusieurs exercices alors que nous avions auparavant un système de participation qui existait depuis très logtemps.

Nous nous sommes interrogés et nous avons interpellé la direction sur ce problème. La réponse a été une « volée de bois verts » : on nous a expliqué que les modalités qui ont été choisies répondaient à la volonté de ne pas payer un impôt non dû et qu'il s'agissait simplement d'un acte de bonne gestion. C'est parce que nous avons été absorbé que nous avons perdu, entre autres, cet avantage de la participation. La direction nous a affirmé que toute autre décision lui aurait naturellement été reprochée parce qu'elle n'aurait pas protégé les intérêts de la société et par là, entre autres, ceux de son personnel.

Le rapport que vous avez adressé fait état à plusieurs reprises d'investissements industriels strictement supérieurs à la capacité d'autofinancement du groupe depuis 1994 :

« Les investissements financiers de Perrier et Vittel ont été particulièrement importants sur les quatre derniers exercices. Ils ont dépassé le montant des investissements industriels, aboutissant à une charge financière considérable ».

Il faut souligner que cette situation est exceptionnelle à Vittel où nous avons plutôt l'habitude de produits financiers dans notre compte d'exploitation que de charges.

Pour conclure sur cet aspect de la sous-capitalisation de Perrier Vittel France, nous nous demandons si, compte tenu de la dimension de la société, il ne serait pas possible de lui imposer d'avoir un minimum de surface financière, de façon à ce qu'elle ne soit pas continuellement en situation de déficit, sachant que tout le déficit est répercuté au niveau du siège et fait échapper la holding à l'impôt.

Deuxième point : les externalisations. Nous en avons connu concernant les activités de ménage et de gardiennage. Nous avons également vécu le recours à l'article L.122-12, et je voudrais attirer l'attention des parlementaires présents sur le fait que cet article du Code du travail qui en est un des plus anciens - il date de la première guerre mondiale et est une survivance du droit allemand - visait à protéger les salariés afin que leur contrat de travail soit préservé lorsqu'un employeur cède une activité.

Or pour éviter d'avoir à respecter les contraintes liées aux plans sociaux, les grands groupes préfèrent ne pas licencier et externaliser certaines activités ; le groupe Nestlé ne licencie donc personne, mais le souci de se concentrer sur le coeur de son métier le conduit simplement à se séparer de la gestion des palettes, de la charge du ménage, de l'activité gardiennage, de l'entretien du golf, etc. et le salarié suit tout simplement cette activité, en vertu de l'article L.122-12, puisqu'il serait considéré juridiquement comme démissionnaire s'il refusait, et c'est le repreneur, qui n'a pas la surface financière que peut avoir un groupe comme Nestlé, qui doit se charger d'effectuer les licenciements jugés nécessaires, et on ne pourra pas mettre à la charge de ce repreneur qui est souvent une PME ce que les pouvoirs publics pourraient exiger de la part d'un groupe comme Nestlé dans le cadre d'un plan social.

Notre ami Georges Nicollet, délégué CGT de Contrexéville, a attiré l'attention sur un aspect de ce problème relatif à l'activité palettes. Certes les magistrats sont de moins en moins dupes des agissements des sociétés et, dans le cas de Contrexéville où la direction de Nestlé à décidé d'externaliser une activité palettes en utilisant le L.122-12, la Cour d'appel de Nancy a pris hier une décision qui rejoint celle de la Cour d'appel de Nîmes, et les magistrats dans leur motivation ont déclaré que « l'entité permettant la mise en oeuvre de l'article L.122-12, alinéa 2, du code du travail, qui, appliqué en l'espèce (à l'activité de transport palettes), servirait plutôt à externaliser des contrats de travail qu'une activité ». Cela constitue une avancée énorme.

Le troisième point qui nous tient le plus à coeur, c'est l'emploi précaire auquel on a fréquemment recours à Vittel.

Trois cas peuvent se présenter :

- le remplacement d'un salarié malade, ce qui est conforme au code du travail et nous paraît tout à fait normal ;

- l'emploi saisonnier qui répond à une activité effectivement saisonnière à Vittel ;

- les surcroîts d'activité et les tâches exceptionnelles, ce qui est plus inquiétant.

graphique
Depuis trois ans, l'utilisation de l'emploi précaire se poursuit durant la période octobre, novembre, décembre alors que l'activité est habituellement basse.

Les salariés en CDD sont tentés de demander une requalification des contrats comme la loi le prévoit. A la suite d'une modification importante apportée à la législation, il est maintenant possible d'obtenir une procédure accélérée afin de passer directement devant le bureau de jugement, qui doit prendre la décision dans le délai d'un mois.

Mais les conséquences de la requalification obtenue par cette voie sont nulles. Elles consistent, pour l'entreprise, à se dédouaner de ses obligations en payant un mois de salaire au titre de la procédure, et éventuellement un mois ou deux mois de salaire au titre d'une rupture du contrat de travail qui pourrait être considérée comme abusive ainsi que des dommages et intérêts, mais ce n'est en aucune façon une obligation de réintégrer le salarié dans l'emploi.

Or, quand des salariés travaillent depuis des années dans le cadre des emplois précaires et qu'ils ne souhaitent qu'être embauchés, il est évident qu'ils ne peuvent en aucune façon prendre le risque d'une action devant le conseil des prud'hommes. S'ils obtiennent gain de cause, Nestlé leur paiera le mois de salaire et les dommages et intérêts que le conseil des prud'hommes aura éventuellement bien voulu leur allouer, mais il ne les embauchera jamais plus !

A Vittel, je suis actuellement en mesure d'accompagner plusieurs dizaines de salariés dont je suis quasiment certain de la décision de requalification de leur contrat de la part du juge, et pourtant je ne le fais pas et j'essaie de calmer leur démarche à cause de ce risque. Ne pourrait-on pas faire en sorte que la législation donne au juge le pouvoir d'ordonner la réintégration effective dans l'entreprise, sous astreinte, avec pour le salarié une protection du type de celle dont bénéficie une femme enceinte, comme cela existe déjà dans le code du travail, et ce, en fonction, bien sûr, de la dimension de l'entreprise, de ses possibilités, de la situation de l'emploi ? Ces actions pourraient à ce moment-là être envisagées avec une certaine sérénité.

M. Dominique BLANCHOT (C.F.E/C.G.C.) : Je rappellerai que Perrier Vittel englobe 65 marques présentes de l'Egypte au Brésil en passant par la Chine et par la Pologne.

Je commencerai par parler des cadres en vous rappelant les éléments les plus connus.

La population de cadres ne cesse d'augmenter en France. Elle est très individualiste, pas très combative, et elle se met rarement en grève. Toutefois, elle profite d'avantages acquis.

Je vais commencer par l'exemple de Vittel où sont employées 1 000 personnes, dont 150 cadres en 1992, contre 70 aujourd'hui.

On a donc établi un plan défensif de passage aux 35 heures qui s'est traduit, pour de nombreux salariés parmi lesquels des cadres, par 17 jours de repos supplémentaires par an. La plupart des cadres prennent ces jours ; sinon, ils les thésaurisent. Ces jours ne sont donc pas perdus ; ils partiront plus vite en retraite et permettront ainsi de nouvelles embauches.

On peut donc dire que, les 35 heures, ça marche, même si la loi n'a pas été assez directive.

Cependant, la direction refuse de vérifier les horaires de travail des cadres au nom du système du « forfait ». La puissance de Nestlé est telle qu'à Vittel, il peut en fait ignorer impunément le Code du travail, les recommandations de l'inspecteur du travail et la jurisprudence sans que nous, syndicalistes, puissions rien y faire.

Pour ce qui concerne notre point de vue relatif au fonctionnement des groupes, prenons un exemple : ce sont les bénéfices de Contrex et ceux de Vittel qui, d'une certaine manière, compensent les pertes de Perrier. En toute légalité, Nestlé s'affranchit d'une grande part de l'impôt en se plaçant au niveau du groupe. Mais il raisonne aussi par établissement. Par rapport à des ratios très théoriques, on peut peut-être dire que Perrier a un sureffectif qui reste à définir. A partir de cette affirmation, la direction raisonne individuellement par établissement, ce qui explique qu'on en soit au troisième plan social, 1 300 personnes ayant été exclues du système sur un site qui en comptait 2 400 lors du rachat de Perrier.

Le troisième exemple me concerne aussi bien que mes collègues : Vittel fait des bénéfices depuis de nombreuses années. Nous recevions auparavant une participation de 10 000 francs par an ; l'effet groupe a aujourd'hui pour conséquence la disparition de la participation.

Je voudrais aussi vous parler de l'avenir et du projet d'eau Nestlé, qu'on trouve dans la presse sous le nom de Nestlé pure life. Je rappelle que le Français consomme à peu près 120 litres d'eau par an et que la bouteille coûte 3 francs. L'eau étant lourde et vendue à bas prix, il n'est pas rentable de l'expédier sur de longues distances.

La nouvelle idée de Perrier Vittel et du groupe Nestlé consiste à produire l'eau sur place en se servant de l'image de marque de Perrier Vittel comme cela a été fait avec Baraka en Egypte. L'objectif est de trouver une source locale située à proximité des usines Nestlé existantes, de préférence près d'une grande ville, de traiter l'eau, de la purifier - on obtient ainsi de l'eau distillée - et de lui ajouter ensuite les éléments désirés (calcium, magnésium, sodium, etc.). On fabrique en fait une eau synthétique mais de qualité.

Les machines opérationnelles - des distillateurs - débitent actuellement 10 m3 par heure, ce qui représente, à raison de cinq jours par semaine sur trois équipes, 50 millions de bouteilles par an pour une très petite installation.

L'eau distillée peut être enrichie en ions pour devenir l'équivalent de l'eau de Contrex ou de n'importe quelle autre eau.

Il s'agit ensuite de la transporter, par des citernes adaptées, jusqu'aux lieux de consommation, de l'embouteiller et de la vendre.

Toutes ces pratiques sont actuellement interdites en France. Elles sont malheureusement courantes aux USA où on trouve déjà de l'eau purifiée, fabriquée de manière synthétique et transportée. D'autres, comme Pepsi Cola, Coca Cola et Danone l'ont bien compris, et la Générale des Eaux s'engage elle aussi sur cette voie. Il est vrai qu'il vaut mieux vendre de l'eau à 3 francs la bouteille de 1 litre et demi qu'à 20 francs le m3 au niveau des eaux d'adduction !

Pour l'heure, cela se déroule loin de chez nous, mais on sait que les réglementations peuvent évoluer, et qu'elles ont déjà commencé à le faire. Comment savoir ce qu'il se passera demain en France ?

Je terminerai par une interrogation plutôt que par une conclusion sur la stratégie Nestlé, pour rappeler que 200 000 personnes travaillent dans le groupe à travers le monde. La politique est celle de l'acquisition et du développement. Où cela va-t-il s'arrêter ? Pour moi Nestlé devient une puissance « militaire » potentielle presque supérieure à Boeing ou à IBM puisqu'il alimente en grande partie la population de certains pays. Que se passerait-il demain si Nestlé décidait de ne plus livrer d'eau ou de cesser d'alimenter avec des produits de base un pays donné, qui en a vraiment besoin ? Nestlé est vraiment devenu un « État dans l'État ».

M. Jacques FERRER (C.F.E/C.G.C.) : On vient de parler « d'État dans l'État », ce qui me sert de transition. C'est effectivement de superpuissance dont il s'agit aujourd'hui, même si tout le monde n'en a pas également conscience. Je vais aborder cinq points :

- Le premier, c'est la crise du management. Ces grands groupes sont si puissants qu'ils n'ont même pas besoin d'être dirigés par des gestionnaires particulièrement brillants. Beaucoup de travaux de recherche parle d'une véritable crise du management.

En effet, les salariés des sites sont de plus en plus considérés comme sources de contraintes sociales, et donc comme des charges, plutôt que comme des partenaires sociaux, c'est-à-dire des ressources, et cela bien qu'un certain discours privilégie la ressource humaine. Il y a donc tout un champ de contradictions entre la façon dont il est de bon ton de considérer l'homme individuellement et le fait de le traiter, d'un point de vue collectif, comme une charge. On oublie alors volontiers la notion de ressource humaine. Les grands groupes témoignent en fait d'un excès de calcul économique à trop court terme.

Quelles actions votre commission pourrait suggérer ? J'aurais plusieurs propositions à vous indiquer et notamment faire évoluer certains instruments dépassés de la mesure de la performance. Toutes les décisions sont prises selon un critère de performance : celle qui est affichée par la direction, la performance réelle, la performance cachée..., ce qui est source de malentendus.

- Deuxième point : pour ce qui concerne la valorisation des marques, désormais la priorité des grands groupes, nous souhaiterions avoir la possibilité de faire en sorte que la valorisation des sites, et donc des salariés qui y travaillent, soit un engagement contractuel des grands groupes. Je dirai tout à l'heure comment cette action pourrait s'articuler et comment cet engagement et ce partenariat pourraient se construire avec la puissance publique, étant entendu qu'il ne s'agit pas de soutenir des activités vouées à disparaître, mais simplement d'insister pour que la stratégie de valorisation des marques se traduise par la valorisation des sites qui en sont à l'origine, car, si on n'y prend garde, ces sites pourront même disparaître et les marques être valorisées à l'extérieur, comme à travers Baraka, en ayant perdu tout lien avec le site initial.

Il y a donc un partenariat à construire et on vous présentera tout à l'heure une proposition sur la manière de réaliser cela.

- Troisième point : la fiscalité. Je ne reviens pas sur l'utilisation que l'entreprise fait de la fiscalité. Je veux surtout dire que le taux de fiscalisation de Nestlé n'est pas, à l'heure actuelle, le plus condamnable qui soit en France pour les grands groupes. Il est aux alentours de 35 % . Coca-Cola est déjà à 15 % et son intention est de baisser de plus en plus ce taux à travers l'utilisation de paradis fiscaux.

On vous a parlé de l'eau Nestlé ; on peut parier qu'un montage intelligent sera bâti grâce à elle et que, par ce montage, des paradis fiscaux seront impliqués et qu'on verra le taux de fiscalisation rejoindre celui de Coca-Cola.

L'action proposée consisterait à utiliser une fiscalité adaptée pour réguler certaines de ces très grandes entreprises. Sous quelle forme ? Prenons l'exemple des plans sociaux : certaines charges de restructuration pourraient être déductibles si leur nécessité ne fait pas de doutes et si l'entreprise démontre qu'elle a mené le traitement social dans les règles. Cela serait plus efficace que la construction juridique actuelle qui est très complexe mais ne prévoit pas de contrôle du respect des engagements pris. Il me semble absolument nécessaire de mettre en place une telle phase de contrôle.

L'utilisation d'un instrument fiscal permettrait de rompre certains cercles vicieux ayant trait justement à cette déductibilité des charges de restructuration qui accélère le processus puisque, du point de vue d'un certain type d'actionnariat dominant, il est bien évident que la ressource financière à très court terme que procure ces charges déductibles n'est pas négligeable.

- Quatrième point : les externalisations et opérations de fusion. M. Ollier a déjà dénoncé la thèse selon laquelle elles seraient neutres ; je préciserai que non seulement ces opérations ne sont pas de simples transferts des grands groupes vers les PME mais que des gains internes sont attendus par ceux qui prennent ces décisions, même s'ils sont parfois très faibles. Dans la mesure où elles en tirent des gains, comment reprocher aux entreprises d'y avoir recours ?

Mais elles induisent des coûts externes souvent très élevés.

Ce n'est donc pas parce que l'entreprise de départ ignore ces coûts qui sont supportés par l'extérieur qu'ils n'existent pas.

On voit donc qu'il y a là un déséquilibre qu'il conviendrait de rétablir. Perrier, qui a subi l'OPA de Nestlé il y a cinq ans, a abandonné les soft drinks juste après, alors qu'il s'était engagé à les garder. On est bien placé pour savoir que la France n'a pas profité de cette OPA malgré les promesses qui avaient été faites. Les groupes décident donc de leurs hypothèses de croissance bien plus qu'il ne les subissent. Il est en fait très facile de mettre Perrier en déficit si on le décide.

Il faudrait trouver un certain nombre de moyens - et il en existe - pour freiner ce processus. Les freins à ce type d'externalisation pourraient être comparables à ceux de la régulation qu'apporte le conseil de la concurrence au moment des OPA. Je regrette beaucoup - et on pourrait y penser pour les prochaines OPA, surtout quand il s'agit d'un groupe étranger - qu'aucun contrat ne soit passé à ce moment-là. La France a donné son autorisation sans contrepartie alors qu'un conseil qui protège les consommateurs, celle de la concurrence, accorde son agrément en fonction des engagements pris par le groupe.

Le groupe Perrier a été démantelé parce que c'était une condition pour l'obtention de l'agrément, condition nécessaire pour éviter une position dominante. Mais je souligne que la notion de position dominante rencontre certaines limites. Le conseil de la concurrence a en fait accepté un certain type de position dominante en contrepartie d'un accroissement de « bien-être économique ». Pourquoi ne pas inclure une clause sociale dans cette notion ?

Cinquièmement, dans la négociation avec les entreprises, seul l'Etat est habilité à agir. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas ni pour l'environnement, ni pour la protection du consommateur - grâce au conseil de la concurrence -, mais rien n'a été fait dans le domaine social. Les règles qui s'y appliquent devraient être améliorées et mieux appliquées.

- Enfin, si je me réjouis moi aussi de l'existence de cette commission d'enquête, je déplore son caractère éphémère : je pense qu'il serait très utile de mettre en place une structure qui contrôlerait les relations de partenariat entre les grandes entreprises privées et la puissance publique

En conclusion, j'ai reçu la convocation du comité de groupe européen de Nestlé et l'un des points de l'ordre du jour est l'application dans chaque pays du code de conduite adopté par les différentes directions du groupe et qui témoigne de sa culture d'entreprise. Aussi curieux que cela puisse paraître, il y aurait un grand respect pour le pays d'accueil.

M. le Rapporteur : Vous posez la question de la permanence du contrôle. Il est clair qu'une commission d'enquête ne saurait remplir une telle fonction.

Vous venez de dire que la France n'a pas tiré de profit du regroupement entre Perrier et Vittel. Cette affirmation mériterait d'être étayée dans la mesure où notre commission s'intéresse justement aux conséquences des pratiques des groupes sur le territoire français.

Vous avez également évoqué tout à l'heure la volonté de Nestlé de faire baisser le taux de fiscalisation de 35 à 15 % pour arriver à une situation comparable à celle de Coca-Cola. Ce que vous pourriez nous indiquer sur l'utilisation des paradis fiscaux m'intéresse aussi beaucoup.

La CGC a aussi indiqué que Vittel bafouait le Code du travail : pourriez-vous nous donner quelques précisions ?

Je suis aussi intéressé par les deux milliards de francs d'impôt auxquels le groupe a échappé grâce à ses filiales.

M. André OLLIER (C.G.T.) : J'ai produit un document d'analyse qui a été réalisé par nos experts et qui vous le démontrera.

M. le Rapporteur : Vous paraît-il souhaitable et réaliste de créer une procédure qui permette de bloquer les mouvements de concentration, d'externalisation, de restructuration, tout en ne niant pas qu'ils sont parfois nécessaires à la vie de l'entreprise ? Je trouve étonnant que tous les groupes adoptent la même stratégie, quelle que soit leur production.

Imposer à une société un minimum de surface financière, voilà une question intéressante ! La CFDT y a-t-elle réfléchi ?

FO a parlé de plans sociaux au niveau des services satellites. Que sont donc devenus leurs salariés ?

M. André BOURGUIGNON (F.O.) : Une société de nettoyage qui travaille sur le site de Vittel est chargée de l'entretien des bureaux. A l'origine, elle avait une étendue de service importante, mais le contrat qui la lie au groupe est renégocié très régulièrement à la baisse, ce qui fait que cette société est obligée de le répercuter sur le temps de travail de son personnel et même sur ses effectifs. Le résultat est le même que si le groupe avait effectué des licenciements, mais le processus est plus insidieux.

M. André OLLIER (C.G.T) : Sur la question que vous posez et qui me semble essentielle, l'article L.122-12 joue un rôle majeur parce que c'est l'instrument utilisé aujourd'hui pour externaliser les services dont la direction affirme qu'ils n'appartiennent pas au c_ur de notre métier. Mais quel en est le périmètre ? Si on considère aujourd'hui que la personne qui fait de la mécanique ou assure la maintenance sur un groupe d'embouteillage n'appartient pas au coeur du métier, alors plus personne n'en fait partie, mis à part peut-être le salarié qui remplit la bouteille !

M. le Rapporteur : C'est d'ailleurs peut-être l'objectif.

M. André OLLIER (C.G.T.) : C'est sûrement l'objectif.

M. le Président : Peut-être. Mais ne peut-on pas imaginer que cela aille plus loin puisque des entreprises américaines, notamment dans le secteur de l'habillement, affirment que celui qui est devant la chaîne de fabrication n'appartient plus au coeur du métier, et que ce dernier consiste uniquement à gérer la marque ?

M. André OLLIER (C.G.T.) : C'est là un vrai débat. Malgré les deux décisions de justice, il faut se pencher sur le problème au niveau législatif. L'article L.122-12 avait pour but de protéger le salarié en obligeant le repreneur à garder le personnel salarié. Telle était la volonté du législateur.

On nous dit aujourd'hui que nos services périphériques sont des entités juridiques qui peuvent être transférées dans le cadre du L.122-12. Je crois que c'est dévoyer l'esprit même de la loi. Nous vous transmettrons le jugement de la Cour d'appel de Nîmes qui, sur des attendus un peu différents, a empêché l'externalisation de la fabrication de palettes à la Source Perrier pour un motif de fond. En le verrouillant mieux, je crois qu'on pourrait éviter que cet article L.122-12 serve à déstructurer les entreprises, au mépris de la volonté du législateur.

M. Georges NICOLET (C.G.T.) : Ce problème de sous-traitance a été soulevé au dernier comité d'entreprise de l'établissement de Contrexéville. La direction était prête à sous-traiter l'activité concernant la palette pour les bouteilles de 2 litres. Le projet a échoué grâce à notre intervention. Nous avons expliqué que commencer à sous-traiter ce qui constitue vraiment le coeur du métier allait poser des problèmes. Que vont devenir, en effet, tous ces salariés qui travaillent depuis vingt-cinq, trente, voire quarante ans, dans l'entreprise ? On sait très bien que les salaires de la sous-traitance sont au niveau du SMIC et que ce ne sont pas ceux de l'entreprise Perrier Vittel France actuellement.

M. Arthur STAUB (C.F.D.T.) : Sur les pistes évoquées par M. le Rapporteur à l'instant, André Ollier a parfaitement bien expliqué ce qui concerne l'article L.122-12 et je ne le reprendrai pas.

Quant à la surface financière minimum, je suis incapable d'apporter une réponse à l'heure actuelle et même de faire une proposition là-dessus, mais il me semble que si Perrier Vittel France était totalement déconnecté du groupe et de la puissance de Nestlé, il serait contraint d'arrêter de fonctionner parce que sa situation de trésorerie et ses résultats seraient tels que les banques n'accepteraient pas de cautionner l'affaire. Comme il est adossé à un groupe de la puissance de Nestlé, il n'a aucune difficulté pour vivre, comme votre rapport le montre.

Quels que soient les efforts acceptés par le personnel, quelles que soient les restructurations opérées, la sous-capitalisation de cet établissement, étant donnée la façon dont les résultats sont calculés, se traduira par une situation de déficit. La question du minimum de surface financière est donc bien essentielle.

Je voudrais aussi évoquer le problème des contrats à durée déterminée. Les syndicats peuvent effectivement demander la requalification ; il suffit de prévenir les salariés 15 jours avant.

Nous ne nions pas que certains licenciements soient inévitables, mais il y a manifestement des besoins en personnel dans une entreprise comme Vittel, ce dont atteste la présence de salariés en CDD pendant toute l'année. Il faut que le juge, ayant connaissance de cette surface économique et de ces besoins techniques, puisse prendre une décision en vue d'obliger l'employeur à intégrer les salariés. Au cas où l'employeur déciderait ensuite d'enclencher un licenciement économique, nous nous retrouverions dans le fonctionnement normal des instances de représentation du personnel qui démontreraient que tout ceci ne tient pas et qu'il n'y a pas lieu de recourir à ces licenciements économiques.

Un graphique fait apparaître le recours à l'emploi précaire de janvier 1991 à octobre 1998, mais par heure travaillée, ce qui est, à notre avis, un élément beaucoup plus significatif que le nombre de personnes. Il met en évidence le surcroît exceptionnel d'activité, le remplacement des malades - en supposant que le motif soit exact -, et l'embauche saisonnière.

Que constate-t-on déjà très brutalement ? De 1991 à 1995, les recours aux CDD épousent l'activité saisonnière, et nous assistons, à partir de 1996, à ce que j'ai appelé une « sédimentation », qui se renforce. Il y a des CDD tout au long des années 1996, 1997 et 1998. Et surtout, les heures effectuées au titre des surcroîts d'activité et de l'exceptionnel sont anormalement importantes. Comment l'entreprise gère-t-elle cela ?

Pour les remplacements, elle est un peu gênée parce qu'il faut bien des absents pour qu'elle puisse conclure un contrat de remplacement mais, comme elle n'a pas assez d'effectif, elle joue sur les contrats saisonniers et, comme elle ne peut pas dire que le phénomène saisonnier existe également au mois de décembre, elle a encore une marge de sécurité qui est le surcroît exceptionnel d'activité, si bien que 30 à 40 % de l'effectif de certains services est en surcroît exceptionnel d'activité. On espère bien réussir par la négociation à faire rentrer dans l'entreprise ces personnes qui viennent de l'extérieur.

Le problème de la requalification pose les difficultés que je viens de dire. Et un juge qui serait mis devant une demande de requalification et qui aurait connaissance de ces chiffres et de ces documents - après, bien sûr, une enquête contradictoire auprès de l'employeur - pourrait obliger ce dernier non pas à verser 10 000, 15 000, ou 20 000 francs de dommages et intérêts, mais à embaucher ce salarié. S'il veut le licencier - ce qui fait partie des prérogatives du chef d'entreprise -, nous nous trouverions dans le contexte du plan social, c'est-à-dire une action complètement différente.

M. Michel DORMOY (C.F.D.T.) : Je voudrais faire une intervention sur la sous-traitance qui est, à mon avis, le mal moderne qui atteint tous les grands groupes.

Je m'adresse à vous, messieurs les parlementaires : ne pensez-vous pas que la politique des bas salaires, qui est pratiquée par les entreprises sous-traitantes, incite de plus en plus les grands groupes à sous-traiter au maximum leurs activités ? Si les entreprises sous-traitantes étaient obligées de payer des salaires décents, proches de ceux pratiqués dans nos entreprises -, je ne pense pas qu'elles pourraient proposer à nos grands groupes des prix de reprise d'activité aussi bas.

On s'aperçoit que, même au niveau des gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, on prend des décisions pour favoriser les bas salaires dans beaucoup de petites entreprises, notamment par des exonérations de charges. Cela peut être un bon moyen pour créer de l'emploi mais, d'un autre côté, à mon avis, cela en supprime dans les grandes entreprises en favorisant la sous-traitance. Je pense qu'il faudrait que vous analysiez bien ce point.

Deuxièmement, certains travaux sont effectués, dans les grandes entreprises, par du personnel handicapé, donc moins productif ; on est donc obligé de rémunérer deux personnes pour un poste où un sous-traitant n'en paie qu'un seul, et au SMIC. Là encore, que fera-t-on plus tard de ces salariés si on n'entreprend rien pour les protéger ? Une loi dit qu'il faut actuellement un certain pourcentage de salariés handicapés, mais c'est beaucoup trop vague et il est trop facile pour une entreprise de compter des handicapés, éventuellement « faux », dans les effectifs. Vous avez la possibilité d'arrêter cette érosion par des lois.

M. le Rapporteur : Je suis favorable à ce que les entreprises soient contraintes d'embaucher des handicapés. La plupart d'entre elles se débarrassent actuellement de cette question en payant une taxe à l'AGÉFIP. Cette dernière croule actuellement sous des recettes qui ne permettent finalement aucun emploi. La loi impose un niveau de 7 % des effectifs. Il faudrait d'ailleurs regarder attentivement comment les grands groupes ou leurs filiales pratiquent dans ce domaine.

La pression qui est exercée par les groupes sur les prix des sous-traitants pose un problème. C'est toujours celui qui propose les prix les plus bas qui est retenu, ce qui constitue une prime à l'entreprise qui pratique des bas salaires. Tout contribue à la pression salariale, qui est considérée comme une des variables d'ajustement. De même, les exonérations de charges sur les bas salaires poussent les entreprises à pratiquer des bas salaires.

Je pense qu'il faut absolument éviter les mesures générales de baisse des charges s'appliquant à tous les salaires au-dessous de 7 000 francs par mois, par exemple. En effet, cela risque d'avoir pour conséquence que tous les salaires seront demain à moins de 7 000 francs par mois dans les entreprises, y compris, à la limite, ceux des cadres ! Cela pose un véritable problème.

M. André OLLIER (C.G.T.) : Les aides entraînent des effets pervers et il faut être extrêmement prudent. Je prendrai un exemple : il existe des aides pour les jeunes et des aides pour les plus de 50 ans. Lorsque vous vous présentez aujourd'hui pour être embauché dans l'entreprise, on commence par vous demander de quels types d'aides vous êtes susceptibles de bénéficier !

En tant que conseiller prud'homal, j'ai rencontré l'exemple d'une dame qui se plaignait d'avoir 40 ans et de ne pouvoir bénéficier d'aucune aide. On s'aperçoit ici du côté pervers des aides à l'emploi. Il me semble qu'on en compte plus d'une soixantaine sur l'espace national, voire 70 ou 80 avec les aides européennes. Je crois que cela mérite une mise à plat parce que c'est vraiment un élément opaque et qui entraîne des effets d'éviction.

M. Georges NICOLET (C.G.T.) : On a l'impression que Nestlé se fixe des standards d'effectif dans ses établissements et qu'on ne verra pas d'évolution de nos ventes tant qu'il ne les aura pas atteints. C'est vrai pour nos trois grandes marques que sont Perrier, Contrex et Vittel, et le volume des ventes s'effondre malheureusement depuis l'affaire du benzène, une baisse d'effectif s'en suivant automatiquement.

Je vais prendre l'exemple de Contrexéville qui a connu une très bonne année 1990, juste avant l'OPA, avec une production de 620 millions de cols. En 1991, il y a malheureusement eu l'affaire du benzène, mais depuis le volume des ventes ne cesse de chuter. Malgré un petit sursaut en 1994 avec +14 %, on arrive difficilement à 488 millions en 1998, tandis que 450 emplois ont été supprimés depuis l'OPA.

On ne connaît pas les objectifs d'effectifs que s'est fixé Nestlé mais on peut imaginer qu'ils soient de 1 000 000 cols par salarié. Le volume des ventes du groupe a augmenté de 2% en 1998 et il n'y a que les grandes marques (Perrier, Contrex et Vittel) qui baissent. Nous pensons que les résultats sont manipulés. Par exemple, nous avons remarqué qu'on ne trouve pas Contrexéville dans tous les points de vente d'eau minérale et je pense qu'il en est de même pour Perrier et Vittel.

M. le Président : Mais on peut très bien imaginer que l'entreprise fasse des choix de stratégie sur ses marques et que le groupe Nestlé privilégie aujourd'hui, dans son développement d'entreprise, une marque plutôt qu'une autre, notamment San Pellegrino et Perrier. Mais vous touchez du doigt la question de savoir si ce n'est pas plutôt une tentative d'harmonisation des taux de productivité de l'entreprise qu'un objectif d'emploi, puisque - si je me souviens bien des négociations concernant le site de Vergèze -, la direction mettait souvent en avant ce qui se passait chez Coca-Cola et Pepsi Cola en indiquant qu'ils étaient à + 10 % ou + 12 % de productivité, et que l'objectif fixé à Perrier Vittel SA était d'atteindre rapidement les mêmes niveaux.

M. Georges NICOLET (C.G.T.) : Vous n'avez certainement pas tort mais étant à Contrexéville depuis 26 ans, je peux dire que cet établissement n'a jamais été en déficit - il est plutôt à 20 % ou 25 % de marge - mais cela ne nous a pas empêché de perdre 450 emplois depuis l'OPA, et cela risque de continuer.

Comme l'a dit mon collègue de FO tout à l'heure, un projet va certainement bientôt être présenté concernant soit Contrex, soit Vittel, pour accentuer le recours à la sous-traitance des services périphériques (le gardiennage, le ménage...) et améliorer la productivité. Jusqu'à quand cela va-t-il durer alors que nos résultats sont très bons ? Lors d'une réunion, la direction a fixé l'objectif de 5 % de gains de productivité dans le secteur de l'eau, tout en ajoutant que ce serait mieux si on en obtenait 10 % ! Mais où cela va-t-il s'arrêter ? Nous ne connaissions rien de tel avant l'OPA !

J'ai eu l'occasion de voir à la télévision, le 28 février 1999, l'émission de Canal +, le «Vrai Journal» de Karl Zéro : il y avait un reportage qui traitait de la place de Nestlé sur le marché du lait infantile dans les pays sous-développés. A la question qui a été posée par les journalistes, M. Maucher et M. Brabeck, qui sont les dirigeants du groupe Nestlé international, ont affirmé que l'on ne pouvait pas faire de profits si on avait des états d'âme. Alors n'ayons pas d'états d'âme !

M. André OLLIER (C.G.T.) : A propos de la remarque qui vient d'être faite sur le site de Vergèze, on nous a effectivement comparé à Coca-Cola pour ce qui est du taux de productivité. Nous avons fait remarquer qu'il était impossible de comparer des taux relatifs à des entreprises de périmètres totalement différents.

M. Dominique BLANCHOT (C.F.E./C.G.C.) : Je voudrais apporter un petit complément à ce que disait M. Ollier : je crois qu'on connaît malheureusement tous l'objectif final qui est de ne garder que 300 personnes. On sait qu'il y a deux ou trois gros sites en France et, pour les eaux plates, il s'agit de Contrex et Vittel qui comptent chacune 1 000 personnes. Or, une usine en Italie assure une production à peu près équivalente, avec des effectifs de 300 personnes seulement.

On s'est aperçu que Nestlé ne savait pas gérer ses grosses usines parce qu'il y a une force syndicale très forte qu'on ne retrouve pas ailleurs. On peut se demander pourquoi, dans ces conditions, le groupe a voulu racheter des usines comme Perrier, Contrex et Vittel. J'aurais deux réponses : la première, c'est la volonté d'acquérir la marque. Il est très significatif de voir que nous nous appelions, au moment du rachat, Nestlé Sources Internationales, et que nous avons très vite changé ce nom pour celui de Perrier Vittel. Le groupe a récupéré les marques et nous a surtout rachetés pour bénéficier de notre savoir-faire. Il est vrai que le métier de l'eau en France est plus que centenaire. Je suis jeune dans la société, mais tous les anciens et ceux qui les ont précédés maîtrisaient parfaitement cette technique. La direction a même créé ce qu'on appelle un centre de compétence où vous retrouvez quelque 100 à 200 personnes qui représentent le laboratoire, l'assurance qualité, le bureau d'étude, et donc de la matière grise.

M. André BOURGUIGNON (F.O.) : J'ai deux remarques à faire : je ne comprends pas pourquoi des groupes comme Nestlé profitent du prétendu déficit de Perrier pour bénéficier d'avantages fiscaux en France. Pourquoi cette fiscalité ne descendrait-elle pas au niveau de l'établissement ? Perrier est finalement une entité propre, même si elle fait partie du groupe Nestlé. Vittel aussi est une entité propre, elle a vécu suffisamment de temps toute seule. Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas faire redescendre la fiscalité au niveau de l'établissement. Dans un foyer dont les deux conjoints travaillent, on a bien deux lignes de salaire. Si on a des enfants qui travaillent, on rajoute autant de lignes qu'il y a d'enfants. Pourquoi un groupe comme Nestlé n'aurait-il pas l'obligation de révéler ses chiffres, et donc de payer ses impôts, par établissement ? Cela simplifierait beaucoup la fiscalité française.

J'ai aussi une deuxième remarque relative à la grande distribution. C'est un phénomène dont on a entendu parler à Vittel cette année. Il a été question que Vittel facture ses ventes à un groupe de distribution français (Intermarché) en passant par la Suisse afin de les défiscaliser. De la même façon, il est aberrant que des groupes de distribution puissent utiliser cette méthode. Si c'est apparemment quelque chose que Nestlé a refusé à Intermarché pour le moment, il est probable que Leclerc ou un autre groupe de distribution le fasse sous peu. Cela constitue des pertes de recettes fiscales.

M. le Président : Je pense que nous allons en rester là en vous indiquant seulement que les dispositifs d'intégration fiscale que vous avez évoqués ont été abordés avec les syndicalistes de Nestlé lors de leur audition. C'est une des pistes sur laquelle la commission d'enquête va travailler parce qu'il faut qu'on arrive à trouver une méthode qui conduise à des pratiques fiscales plus saines sur le territoire national sans mettre en difficulté, au niveau de la concurrence internationale, des groupes qui sont sur notre territoire. En effet, de tels systèmes existent et leurs mécanismes sont parfois encore plus performants à l'étranger.

Il faut donc qu'on essaie de trouver une solution pour préserver les recettes fiscales sans fragiliser la position des groupes nationaux face à la concurrence internationale. C'est une question d'équilibre .

Comme beaucoup de remarques ont été faites tout au long des auditions sur ce point, je voudrais vous préciser que l'ensemble des chiffres et des documents qui figurent dans le rapport qui vous a été soumis pour préparer cette rencontre sont issus du comité de groupe ou du comité d'entreprise. Ce sont donc normalement des chiffres que vous connaissez dans le cadre des réunions de ces instances. Nous n'avons rien inventé.

M. André OLLIER (C.G.T.) : Ils sont sûrement issus des rapports qui ont été produits par les experts qui nous assistent. Mais comme les comparaisons ne retiennent pas toujours les mêmes périmètres, je crois qu'il est très difficile de rapprocher certains éléments. Il y a même des points sur lesquels on peut relever des contradictions. J'en ai noté une, due tout simplement à la difficulté qu'a eue le rédacteur à travailler : alors qu'il affirme que nous n'avons pas connu beaucoup de restructurations entre 1992 et 1994, il note à la page suivante que, sur 6 962 emplois en 1992, 1 628 avaient disparu en 1997. Cela reflète les difficultés pour constituer, à partir d'informations éparses, un document de synthèse comme celui-là.

M. Georges NICOLET (C.G.T.) : Pour ce qui est des CDD, on peut se rendre compte que le chiffre de 392 est faux. Il aurait peut-être pu y avoir 392 contrats de deux, trois ou cinq jours, une personne ayant peut-être rempli dix ou quinze contrats dans l'année, mais il n'y a pas eu 392 CDD simultanément.

C'est le nombre de contrats mais ce n'est pas le nombre de salariés.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous faire parvenir une note écrite ?

M. André OLLIER (C.G.T.) : Bien sûr.

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