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    SOMMAIRE

DEUXIÈME PARTIE DES STRATÉGIES MONDIALISÉES QUI LAISSENT LES
ÉTATS DÉMUNIS)

I. - LES TURBULENCES DE LA MONDIALISATION 1

a. - mondialisation et globalisation financière 1

1. - Une économie sans frontières 1

2. - L'inquiétante globalisation financière 4

b. - une france menacée dans une économie ouverte 5

1. - Des groupes plus soucieux de rentabilité que d'investissement 5

2. - Un emploi fragilisé 8

    DEUXIÈME PARTIE
    DES STRATÉGIES MONDIALISÉES
    QUI LAISSENT LES ÉTATS DÉMUNIS

    I. - LES TURBULENCES DE LA MONDIALISATION

a. - mondialisation et globalisation financière

1. - Une économie sans frontières

La mondialisation constitue l'un des éléments structurants de l'évolution économique internationale au cours des cinquante dernières années. Alors que la crise des années vingt marque le temps du repli et de la fermeture aux échanges, les Trente glorieuses ont au contraire impulsé une dynamique de forte croissance du commerce qui ne s'est pas démentie depuis.

    a) L'essor du multilatéralisme

Cette dynamique s'est d'abord nourrie du démantèlement progressif et multilatéral des obstacles au libre-échange, dans le cadre de l'accord général de réduction des tarifs douaniers (GATT).

Le rapprochement des principes de non discrimination - si deux pays réduisent bilatéralement leurs barrières douanières, cette concession doit être automatiquement étendue aux autres pays (art. Ier) - et de réciprocité - un pays qui reçoit une concession tarifaire doit faire de même avec son partenaire (art. XXVIII) - aboutit à priver les parties contractantes de l'essentiel de leur souveraineté commerciale alors que certains État conservent les instruments d'une politique unilatérale (sections 301 et super-301 de la légalisation commerciale américaine).

Les principaux cycles de négociation (Kennedy Round de 1964 à 1967, Tokyo Round de 1973 à 1979 et Uruguay Round de 1986 à 1993) ont ainsi abouti à un abaissement progressif des protections tarifaires et non tarifaires et à l'intégration au sein du libre échange mondial de secteurs économiques jusque là préservés : agriculture, textile et services.

    b) L'Europe du marché unique

La construction européenne ne représente qu'une expression territorialisée de ce mouvement profond de l'économie mondiale.

L'Europe des communautés du charbon et de l'acier (CECA) et de l'énergie atomique (CEEA) était une Europe solidaire, que ses fondateurs avaient construite comme un rempart contre le retour des égoïsmes nationaux. Nul n'a oublié l'appel lancé par Robert Schuman : « L`Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera pas réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ».

Cette Europe s'est progressivement transformée en espace de liberté sans contraintes, où les États se bornent à organiser la circulation des capitaux, des services et des entreprises. Les jalons en sont connus :

· le traité de Rome du 25 mars 1957 ;

· l'Acte unique européen des 17-28 février 1986 ;

· le traité sur l'Union économique et monétaire signé à Maastricht le 7 février 1992 ;

· le Pacte de stabilité et de croissance (Dublin, 1996) qui impose aux États membres de limiter leur déficit budgétaire sous peine d'amende à verser à la Banque centrale européenne.

    c) Des flux d'investissement direct en progression rapide

Le développement des investissements transnationaux constitue l'une des données caractéristiques d'une économie mondialisée. Le professeur Élie Cohen a souligné que la circulation des flux d'investissements directs (IDE) a longtemps été organisée, pour l'essentiel, entre pays développés : « Lorsque l'on considère les flux directs d'investissement, c'est-à-dire ceux qui contribuent directement aux créations d'activités, on constate que jusqu'en 1992, environ 85 % des investissements directs étaient réalisés par des pays développés dans des pays développés. Les principaux bénéficiaires des flux directs d'investissement étaient les pays développés. En 1992, les huit premiers pays destinataires de flux directs d'investissement étaient des pays développés ». Mme Anne Le Lorier, au nom de la direction du Trésor, a ajouté « [qu'il] n'existe pas de forte corrélation entre les pays d'accueil ou d'origine des investissements directs et nos flux commerciaux. Si je prends l'exemple de l'Allemagne, notre premier partenaire commercial, peu d'investissements allemands sont réalisés en France, qui réalise elle-même peu d'investissements en Allemagne ».

Comme M. Richard Ziswiller, Mme Anne Le Lorier estime que l'importance des investissements croisés atteste de la vigueur de notre économie et de son attractivité : « En matière d'investissements directs à l'étranger et en matière d'investissements directs étrangers en France, la France est très bien placée, puisqu'elle est quatrième investisseur à l'étranger et troisième pays d'accueil des investissements étrangers dans le monde ».

La présence de flux d'investissements étrangers importants ne s'exerce pas au détriment de l'investissement national : « D'aucuns ont craint que le développement des investissements à l'étranger pèse sur l'investissement en France. Or, les séries statistiques montrent que les deux flux d'investissements évoluent parallèlement. Lorsque l'investissement en France progresse, l'investissement à l'étranger progresse lui aussi ; s'il régresse, l'investissement à l'étranger régresse également. Nous n'avons pas le sentiment d'un effet d'éviction, à savoir qu'un effort d'investissement à l'étranger se fasse au détriment d'un investissement en France ».

Enfin, l'impact de ces flux sur l'emploi en France apparaît positif. Citant des analyses émanant du service d'études statistiques du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, Mme Anne Le Lorier a indiqué que « les exportations françaises correspondent à 3,3 millions d'emplois en France, à savoir que nous perdrions 3,3 millions d'emplois, à défaut de cette performance à l'exportation. L'étude précise du secteur des produits industriels manufacturés stricto sensu fait apparaître un excédent de 52 milliards de francs dans les années 1995-1996, représentant 120 000 emplois. [Par ailleurs, il serait à craindre que les investissements directs] réalisés dans des pays à faible coût de main-d'_uvre se traduisent par un déficit d'emplois en France. Or, ce n'est pas le cas. Si l'on observe les échanges entretenus avec des pays d'Asie très dynamiques, tels que l'Indonésie, la Malaisie ou les Philippines, notre solde commercial est excédentaire. Nous exportons plus que nous n'importons, si bien que les échanges avec ces pays sont créateurs d'emplois en France. Il existe des exceptions, comme la Chine, où force est de constater que notre commerce n'est pas excédentaire ».

2. - L'inquiétante globalisation financière

    a) La montée des déséquilibres internationaux d'épargne

M. Michel Prada, président de la Commission des opérations de Bourse, a rappelé à la commission d'enquête que l'économie mondiale doit aujourd'hui affronter une situation marquée par d'importants déséquilibres internationaux d'épargne : « Nous vivons depuis quelques années - et nous vivrons probablement pendant quelque temps encore - dans un contexte marqué par l'existence d'un phénomène mondial de montée des excédents d'épargne. Ceci résulte du vieillissement de la population et de l'élévation du niveau de vie. Ce phénomène existe aussi bien en Europe qu'au Japon, dans le Sud-Est asiatique ou en Amérique latine. La situation s'analyse de manière un peu différente aux Etats-Unis, mais elle existe également ».

Les pays développés sont confrontés à un phénomène de vieillissement démographique, explicable tant par l'allongement régulier de l'espérance de vie que par la baisse de la fécondité à un niveau qui n'assure plus le renouvellement des générations. Dès lors, la capacité incertaine des régimes par répartition à assurer seuls le maintien du niveau de vie lors de la cessation d'activité conduit à une montée de l'effort d'épargne.

Inversement, les besoins d'investissement demeurent importants, notamment dans les pays en voie de développement et en Europe centrale et orientale. La nécessité de renforcer les infrastructures (réseau routier, transports, éducation etc.) et de moderniser les capacités de production constituent autant de besoins auxquels les capacités nationales sont rarement en mesure de répondre et qui intéressent peu les investisseurs - groupes ou États - sauf si cela permet l'exploitation de richesses.

    b) D'une économie d'endettement à une économie de fonds propres

M. Michel Prada a ensuite observé que « cette épargne, très abondante, s'investit de plus en plus par l'intermédiaire du marché financier des capitaux. Dans la plupart des pays, ce phénomène est également observé depuis une quinzaine d'années, c'est celui de la désintermédiation, constaté pratiquement dans toutes les économies ».

Ce constat est partagé par M. Denis Kessler, qui a souligné la « révolution copernicienne » du basculement d'un financement intermédié à une logique désintermédiée : « Nous étions dans une économie d'endettement, d'inflation, de création monétaire et d'entreprises dont le développement était très largement assis sur des ressources bancaires. On faisait jouer l'inflation comme effet de levier, l'État s'endettait, tous les autres acteurs étaient endettés (...). On a changé de modèle, on est entré dans une économie de fonds propres (...). Dans une économie de fonds propres, il faut des investissements rentables, il faut de l'épargne préalable, il faut de l'épargne à long terme, et c'est bien la raison pour laquelle le volume de crédits distribué par les banques est en régression depuis quelques années, alors que les besoins en terme de capitaux longs, notamment en actions, sont en train d'être de plus en plus pressants ».

Parce qu'ils rejettent l'idée de l'utilisation du crédit - avec les moyens de contrôle et d'intervention que ce dernier offrirait -, ces intervenants estiment que le développement des marchés de capitaux constitue le moyen d'assurer à l'économie un financement durable et non inflationniste. Le problème essentiel résulterait donc plutôt dans une volatilité déstabilisante. Le commissaire européen M. Yves-Thibault de Silguy a observé « [qu'une] région comme l'Europe a tout à perdre à aller vers une taxation des mouvements de capitaux. En anglais, on appelle la fuite des capitaux "the fly to quality», c'est-à-dire que l'argent va vers la qualité, à savoir l'Europe et les États-Unis aujourd'hui ». : « la question n'est pas de rendre plus difficile l'arrivée des capitaux, mais de faire en sorte qu'ils s'allouent au mieux, selon des critères objectifs (...) ».

b. - une france menacée dans une économie ouverte

1. - Des groupes plus soucieux de rentabilité que d'investissement

    a) Des groupes aujourd'hui prospères

Le dernier Rapport sur les comptes de la Nation de l'INSEE (1996) atteste que les entreprises françaises sont aujourd'hui prospères.

L'excédent brut d'exploitation des sociétés et quasi-sociétés hors entreprises individuelles (SQS h. EI) progresse de plus de six points entre 1982 et 1996, de 25,6 % à 31,7 % de la valeur ajoutée En contrepartie, la rémunération des salariés, qui représentait 68,8 % de la valeur ajoutée des SQS h. EI en 1982 (57,4 % de la valeur ajoutée des SQS dans leur ensemble) n'en représente plus que 60,2 % en 1996 (53,2 % de la valeur ajoutée de l'ensemble des SQS).

Le taux d'autofinancement est en croissance spectaculaire, puisqu'il passe de 56,1 % en 1981 à 111,6 % en 1996. En d'autres termes, les entreprises sont devenues si florissantes que leurs ressources excèdent leurs besoins, qu'elles dégagent une capacité et non un besoin de financement (134,8 milliards de francs en 1996) et disposent d'avoirs oisifs à placer. Les actifs financiers détenus progressent de 758,9 milliards de francs en 1970 à 19 590,4 milliards de francs en 1996, c'est-à-dire une multiplication par 25,8 en vingt-cinq ans (source : INSEE, op. cit., tabl. 15-11, p. 345). Ils représentaient 40,2 % du total de leurs actifs en 1970 ; ils en constituent 64,4 % en 1996 (+ 24,2 points). Faut-il rappeler qu'entre ces deux dates le nombre de chômeurs passe de 0,5 à 3,2 millions et le taux de chômage de 2,5 % de la population active à 12,4 % ?

La situation française apparaît si florissante que les filiales de groupes étrangers ne rapatrient même plus leurs disponibilités financières chez la société-mère. Telle est notamment la situation que décrit M. Yves Couillard, président-directeur général de Hewlett-Packard France : « La trésorerie de Hewlett-Packard est [en principe] gérée mondialement, de sorte que si nous souhaitons faire des investissements excédant la capacité de financement de la filiale locale, cela ne pose aucun problème : HP Corp. apporte les financements nécessaires. Pourquoi assistons-nous actuellement à un développement de la trésorerie locale ? Cela ne résulte d'aucune stratégie miraculeuse, mais du fait que le groupe n'est aucunement incité sur le plan fiscal à faire remonter ses dividendes [et que] des placements financiers très compétitifs peuvent être opérés en France, si bien que nous gardons un argent dont nous n'avons pas besoin aujourd'hui ».

    b) Des performances explicables par la faiblesse de l'investissement

L'évolution de l'autofinancement des entreprises n'apparaît favorable qu'en apparence, car il est largement imputable à la faiblesse de l'investissement productif : le taux d'investissement des sociétés et quasi-sociétés, rapport de la formation brute de capital fixe à leur valeur ajoutée était de 22,2 % en 1971 et 19,4 % en 1980. Il n'est plus que de 15,9 % en 1996. Ce constat est partagé par M. Denis Kessler (MEDEF) : « Je rêverais (...) d'un taux d'autofinancement dégradé, ce qui prouverait que nous serions en train de produire un formidable effort d'investissement, ce qui irait tout à fait dans le sens du développement de l'économie productive [et des] entreprises françaises ».

M. Richard Zisswiller (CCIP) a présenté à la commission d'enquête quelques éléments d'information complémentaires : « le sous-investissement chronique des entreprises françaises durant la décennie écoulée (...) a induit une insuffisante adaptation de l'offre productive nationale et reflète, sans doute, une dégradation de l'esprit d'entreprise dans notre pays. C'est ainsi que le faible effort d'équipement des entreprises durant la décennie 1990 a pesé sur la croissance économique et les créations d'emplois (...) A titre d'illustration de l'importance de ce phénomène, il faut avoir présent à l'esprit que si l'effort d'investissement (mesuré à partir du taux d'investissement) avait été le même en 1998 qu'en 1990, l'investissement actuel, sur les mêmes bases, serait supérieur de 130 milliards de francs courants au niveau estimé pour 1998 (soit + 18 %). [En définitive], la faiblesse de la croissance économique annuelle française pendant cette décennie (+ 1,5 %, ce qui est une des croissances les plus basses, contre + 2,3 % au cours des années 1980) doit beaucoup à cette panne de l'investissement ».

Les médiocres performances de l'investissement français semblent d'abord dues, pour M. Denis Kessler, à la faiblesse de sa rentabilité : « Nous avons encore à l'heure actuelle, en France, une rentabilité des investissements qui est inférieure à la rentabilité de projets identiques poursuivis à l'étranger, ce qui conduit les entreprises multinationales à choisir les endroits dans lesquels les taux de rendement sont les plus élevés ».

L'instabilité législative et réglementaire introduirait par ailleurs un élément d'incertitude préjudiciable, puisqu'elle compromettrait la visibilité économique et financière des projets à moyen terme : « Comment (...) persuader les investisseurs français d'investir alors qu'en permanence on change les règles du jeu fiscal et législatif ? (...) Nous avons passé l'année 1998 à évoquer l'introduction de l'outil de travail dans [l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune] : [croyez-vous vraiment] que les patrons des PME vont se ruer vers l'investissement en se disant que tout ce qu'ils mettront dans leurs entreprises sera immédiatement l'objet d'une taxation supplémentaire ? » Bref, « la seule manière d'obtenir la reprise de l'investissement, c'est d'avoir de la visibilité sur la politique économique, c'est de dire à l'ensemble des entreprises françaises : "allez-y, vous pouvez y aller, on ne changera pas sans arrêt les règles du jeu» ».

2. - Un emploi fragilisé

La performance économique a néanmoins un coût social élevé : au nom de la rentabilité, la création d'emploi industriels progresse faiblement, le cadre de la relation de travail se déforme au profit des formes d'emplois les plus précaires (intérim, CDD).

M. Jean-Christophe Le Duigou (CGT) a résumé cette situation : « Les modes d'évaluation du facteur travail tels qu'ils sont intégrés dans la gestion tendent à donner une vue amplifiée des frais de personnel  et font de leur maîtrise permanente un gage de la performance. Je citerai à ce sujet une phrase du laboratoire d'études sociologiques de l'École Polytechnique : « Quand l'injonction majeure est la restauration ou l'amélioration de la rentabilité et que la mesure de l'emploi se focalise sur sa dimension de coût, il devient un maillon faible, celui sur lequel se porte l'effort de maîtrise des coûts » (...) Il faut sortir de la logique selon laquelle l'emploi est vécu comme un risque que le dirigeant n'assume pas, quitte à se retrouver en situation de sous-effectif et de recourir massivement et structurellement à l'intérim ou aux formes précaires d'emploi ».

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