Accueil > Documents > Dossiers > Groupes industriels

    SOMMAIRE

DEUXIÈME PARTIE DES STRATÉGIES MONDIALISÉES QUI LAISSENT LES
ÉTATS DÉMUNIS (SUITE)

III. - UNE UTILISATION TRÈS CONTESTABLE DES AIDES PUBLIQUES 1

a. - les aides destinées spécifiquement aux PME sont marginales 2

1. - La notion de PME est au demeurant difficile à appréhender 2

2. - Les aides aux PME sont circonscrites à des cas d'espèce 3

3. - Les sommes en cause sont de faible ampleur. 7

b. - l'essentiel des aides va mécaniquement aux grandes entreprises 8

1. - La PAT profite d'abord à celles-ci 8

2. - Les crédits mobilisés par les différents plans-emplois leur ont été principalement
destinés 11

3. - Les grands groupes apparaissent comme les principaux bénéficiaires des aides
publiques à la recherche 12

4. - Des restitutions communautaires inégalement réparties 22

c. - l'extreme discrétion des groupes auditionnés ne saurait occulter l'intérêt
que leurs dirigeants portent aux aides publiques. 23

1. - Un discours lénifiant 23

2. - Une absence injustifiable de précisions chiffrées 26

IV. - LE CONTRÔLE LACUNAIRE DES POUVOIRS PUBLICS 27

A. - Les contrôles de l'état sont nombreux mais peu adaptés 27

1. - Des organes de contrôle prestigieux 27

2. - Les ministères et organismes donateurs 34

3. - Un contrôle peu efficace et inadéquat 41

b. - des collectivités locales qui font preuve de négligence 46

1. - Des chambres régionales des comptes dotées de pouvoirs de contrôle relativement
étendus 46

2. - Les résultats des observations des chambres régionales des comptes 53

    DEUXIÈME PARTIE
    DES STRATÉGIES MONDIALISÉES
    QUI LAISSENT LES ÉTATS DÉMUNIS
    (SUITE)

    III. - UNE UTILISATION TRÈS CONTESTABLE DES AIDES PUBLIQUES

Il est de bon ton de souligner dans certains milieux que les aides publiques vont en priorité aux PME-PMI. Or une étude précise montre que les aides qui leur sont spécifiquement destinées occupent en fait une place marginale.

a. - les aides destinées spécifiquement aux PME sont marginales

1. - La notion de PME est au demeurant difficile à appréhender

Il n'existe pas de définition unique de la PME. Les critères retenus diffèrent selon les textes législatifs ou réglementaires instituant des dispositifs d'aides en leur faveur.

La Commission européenne donne pour sa part une définition des PME reposant sur trois critères : nombre de salariés, chiffre d'affaire et indépendance. Une entreprise moyenne compte moins de 250 personnes et a un chiffre d'affaires annuel inférieur à 40 millions d'euros, soit 262,29 millions de francs, ou un bilan annuel inférieur à 27 millions d'euros, soit 177,05 millions de francs. Une petit entreprise emploie moins de 50 salariés et son chiffre d'affaires est inférieur à 7 millions d'écus, 45,9 millions de francs, ou son bilan annuel inférieur à 5 millions d'écus, 32,79 millions de francs. Toutes les deux doivent être indépendantes : elles ne doivent pas être détenues à plus de 25 % du capital ou des droits de vote par une grande entreprise.

    M. Merolla, directeur général adjoint de la direction générale chargée de l'industrie auprès de la Commission (DG III), a fait part à la commission d'enquête des difficultés auxquelles tout effort de définition se heurte en Europe : « Même si on essaie de trouver un dénominateur commun, on se heurte au fait qu'une petite ou une moyenne entreprise au Portugal n'aura jamais la dimension d'une petite ou moyenne entreprise en Allemagne ou en France. La réalité régionale empêche de déterminer un dénominateur commun, mais il a fallu fixer des seuils pour appliquer une politique d'incitation ». Quelles qu'en soient les limites, la Commission européenne a donc choisi le pragmatisme, et adopté une définition unique, quoique imparfaite. La France n'a pas fait de même.

En effet, malgré cette définition claire, le rapport annuel rendant compte de l'ensemble de l'effort financier de l'État en faveur des PME, créé par l'article 106 de la loi de finances pour 1996, retient une typologie se référant au seul nombre de salariés : seront considérées comme PME les entreprises de moins de 500 salariés. Ce seuil, différent de celui fixé au niveau européen, est aussi celui qui figure dans de nombreuses statistiques produites par les ministères attribuant des aides.

    Pourtant, les critères d'attribution des aides mentionnent souvent d'autres seuils, tout en précisant que le dispositif est destiné aux PME. Le Fonds régional d'aide au conseil par exemple est présenté comme ayant un objectif PME-PMI mais sont éligibles les entreprises de moins de 500 salariés dont le capital n'est pas détenu à plus de 50 % par une autre entreprise. Deux des critères européens apparaissent, mais avec des seuils différents. De même, la prime régionale à l'emploi est destinée aux entreprises dont le chiffre d'affaire est inférieur à 300 millions de francs ou dont le capital est détenu à plus de 50 % par une entreprise dont le chiffre d'affaire est inférieur à 300 millions.

Dans ces deux cas, une partie des entreprises considérées en France comme PME sont de « grandes entreprises » au niveau européen. Une aide à la réalisation de pépinières d'entreprises concerne les entreprises de moins de 250 salariés, mais dont le chiffre d'affaire annuel est inférieur à 150 millions de francs. L'incohérence règne donc en la matière, le problème se posant surtout lorsque les conditions ne sont pas mentionnées dans le texte fondant le dispositif.

Ainsi, le flou qui entoure la notion de PME n'a ainsi rien à envier à celui qui concerne la définition du groupe. Il rend les évaluations difficiles et les comparaisons impossibles. Elles ne pourraient en effet être justes que s'il était aisé de disposer des effectifs des bénéficiaires d'aides, et du montant des sommes versées, en fonction de la taille des entreprises, pour retenir ce critère simple. Or ce n'est pas toujours le cas.

2. - Les aides aux PME sont circonscrites à des cas d'espèce

La politique en faveur des PME est construite pour répondre à trois orientations : appuyer la création et le développement des entreprises, favoriser la modernisation des entreprises, simplifier les démarches administratives. L'ensemble des ces objectifs ne conduit pas à l'octroi d'aides puisqu'il s'agit prioritairement d'améliorer l'environnement des entreprises.

Neuf ministères participent ainsi au financement de cette politique : pour chacun d'eux peuvent être recensées les sommes destinées aux PME ; sept d'entre eux consacrent une partie de leur budget à des actions destinées spécifiquement aux PME, au sein de l'enveloppe plus large qui leur revient. Sauf au ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, par l'intermédiaire du secrétariat d'État qui leur est consacré, la plus grande part des dépenses effectuées au bénéfice des PME ne le sont pas au travers d'actions leur étant spécifiquement destinées. Globalement, le budget de l'État consacre, dans la loi de finances pour 1999, 81 milliards de francs pour les PME, dont seulement 7,914 milliards pour des actions destinées spécifiquement aux PME. Le montant des aides à proprement parler n'apparaît pas en tant que tel : il est noyé dans celui des différentes interventions, directes ou indirectes, en faveur des PME.

Récapitulation des crédits budgétaires

(en millions de francs)

 

Consommation 1997

DO + CP

Loi de finances pour 1998

DO + CP

Projet de loi de finances pour 1999

DO + CP

Agriculture et pêche

dont actions destinées spécifiquement aux PME

338,52

153,77

313,94

156,04

328,70

160,80

Aménagement du territoire et environnement

dont actions destinées spécifiquement aux PME

238,23

-

228,00

-

218,77

-

Économie, finances et industrie

dont actions destinées spécifiquement aux PME

3.179,94

2.849,9

3.670,58

3.288,1

3.317,73

2.845,0

- charges communes et comptes spéciaux du Trésor

dont actions destinées spécifiquement aux PME

1.119,10

963,10

1.741,00

1.580,0

1.280,00

1.122,0

- industrie

dont actions destinées spécifiquement aux PME

1.594,67

1.420,6

1.541,48

1.320,0

1.655,8

1.341,1

- commerce et artisanat

dont actions destinées spécifiquement aux PME

466,17

466,17

388,10

388,10

381,90

381,90

Recherche

dont actions destinées spécifiquement aux PME

252,20

70,00

307,00

65,00

359,00

75,00

Équipement, transports et logement

dont actions destinées spécifiquement aux PME

63,57

9,00

49,79

8,50

54,79

5,19

Emploi et solidarité

dont actions destinées spécifiquement aux PME

84.125,50

3.261,1

78.642,60

3.360,0

76.496,15

4.773,3

Défense

dont actions destinées spécifiquement aux PME

64,00

-

199,30

23,00

219,30

17,30

Culture et communication

dont actions destinées spécifiquement aux PME

34,85

34,85

34,35

34,35

37,95

37,95

Tourisme

dont actions destinées spécifiquement aux PME

0,90

-

0,90

-

0,60

-

Total ministères

88.297,71

83.446,46

81.032,99

dont actions destinées spécifiquement aux PME

6.378,67

6.935,01

7.914,54

    Source : annexe au projet de loi de finances consacrée à l'effort financier de l'État en faveur des petites et moyennes entreprises

    Ce tableau, qui distingue les aides spécifiquement destinées aux PME de celles accordées aux PME mais ouvertes aux entreprises de toute taille, montre bien que les dispositifs spécifiquement destinés aux PME n'occupent qu'une place marginale, même si leur part varie selon les ministères. Nous les avons déjà rencontrés au gré de la présentation des aides poursuivant tel ou tel objectif. Les principaux, à l'exception du soutien au commerce extérieur, déjà présentés en tant que tels, sont résumés dans le tableau qui suit :

Principaux dispositifs d'aides spécifiquement destinées aux PME

Objectif

Intitulé

Autres conditions

Coût ( en millions de francs)

Aménagement du territoire

Fonds d'aide à la décentralisation

__

18,27 (ch.44-10) et 20,5 (ch.65-00)

 

Fonds national de développement des entreprises

Localisation en zone PAT, TRDP ou ZRU

Pas de dotation budgétaire

 

Aide aux artisans, commerçants et aux activités de service

Moins de 30 salariés, dans de petits bassins d'emplois

22,4 en 1997

 

Aides fiscales et exonérations de charges, dans le cadre de la LOADT

Zonage particulier

La charge, supérieure à 10 milliards, est répartie entre l'État et les collectivités locales

 

Aide à l'immobilier d'entreprise

Localisation en zone PAT tertiaire hors zone PAT industrie

n.d.

Emploi

Exonération de charges à l'embauche du 2e au 5e salarié

Localisation en ZRR ou en ZRU

500

(ch.44-77, art.41)

 

Exonération au titre des 50 premiers salariés

Localisation en ZFU

600

(ch.44-77, art.42)

 

Prime régionale à l'emploi

Chiffre d'affaire, et celui de la maison mère, inférieurs à 300 millions de francs

43 en 1994

Recherche et développement

Procédure ATOUT

Entreprise saine, de moins de 2 000 salariés

212

(ch.64-92, art.20)

 

Régime ANVAR

2 000 salariés et/ou de moins de 10 milliards de chiffre d'affaires

16,6 (ch.44-04, art.40) et 668 ,5 (ch.66-02, art.10)

 

Subventions du Fonds régional d'aide au conseil

Aide au recrutement des cadres

__

83,63 (ch.64-92, art.11)

 

Subventions du FD-PMI

PME hors secteurs exclus

282,47 (ch.64-92, art.11)

Sources : ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, ministère de l'Emploi et de la Solidarité, ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie

Il existe bien un grand nombre de dispositifs réservés aux PME : ils sont concentrés dans les domaines où la taille de l'entreprise pose des problèmes particuliers, pour la recherche essentiellement, ou lorsqu'elle constitue une chance, pour l'aménagement du territoire et l'emploi qui sont favorisés par la souplesse des PME - elles emploient 68 % des salariés -. La plus grande partie des aides reçues par les PME relève en fait de dispositifs, qui ne leur sont pas spécifiquement destinés, et qui peuvent donc bénéficier aussi à des grandes entreprises et à des entreprises appartenant à un groupe.

3. - Les sommes en cause sont de faible ampleur.

Les PME occupent une place essentielle dans l'économie française : 8,7 millions de salariés y sont employés, elles dégagent 63 % de la valeur ajoutée. Elles sont le lieu privilégié de la création d'emploi : celui-ci a stagné dans les grandes entreprises entre 1980 et 1992, alors qu'il a augmenté de 7,7 % dans les PME, essentiellement grâce aux créations nettes d'entreprises. Elles disposent d'un secrétariat d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Pourtant, les sommes qui leur reviennent par le biais d'aides, que ces dernières leur soient spécifiquement destinées ou pas, demeurent relativement modestes.

Le rapport annexé à la loi de finances pour 1999 consacré à l'effort financier de l'État en faveur des PME évalue le montant de l'effort global de l'État à 81 milliards de francs, dont 12,49 milliards de francs pour la partie chiffrée de son important volet fiscal. Il précise qu'il convient d'y ajouter les sommes provenant de financements locaux ou européens : dans le cadre des contrats de plan État-régions, les conseils régionaux se sont engagés sur des mesures en faveur du développement des PMI pour un montant d'environ 3 milliards de francs pour une période de cinq ans (1994-1999) prolongée d'une année ; les aides européennes aux PME atteignent un montant de 180 millions d'euros (1,180 milliard de francs) pour la période 1997-2000.

Indépendamment de toute volonté politique, les PME profitent moins de certains dispositifs que les grandes entreprises. Il en est ainsi par exemple des aides accordées dans le cadre de plans sociaux : ces derniers ne sont obligatoires que dans les entreprises de plus de cinquante salariés, c'est-à-dire dans les moyennes entreprises. Les petites entreprises ne sont pas soumises à cette obligation, même si elles licencient simultanément dix salariés ou plus : elles sont seulement tenues de proposer un convention de conversion qui permet au salarié qui l'accepte de devenir stagiaire de la formation professionnelle pendant six mois. Cette procédure n'est assortie d'aucune aide aux entreprises, qui doivent au contraire verser l'indemnité compensatrice de préavis à l'ASSEDIC. Les dispositifs d'accompagnement des plans sociaux ne bénéficient donc pas aux petites entreprises, malgré le nombre considérable d'emplois, et de licenciements, qu'elles représentent.

Les aides qui sont proportionnelles aux investissements vont aux plus gros investisseurs, donc pas aux PME, même si l'existence de plafonnements limite cet effet. Ce problème se pose pour les aides à l'investissement proprement dit, mais aussi pour les aides à l'aménagement du territoire et pour les aides à la recherche et au développement, ce qui justifie la création de dispositifs spécifiques dans les deux derniers domaines.

b. - l'essentiel des aides va mécaniquement aux grandes entreprises

1. - La PAT profite d'abord à celles-ci

Les conditions d'octroi de la PAT en font un dispositif destiné aux entreprises d'une taille importante. En effet, ne peuvent en bénéficier que les entreprises présentes dans certaines zones où elles créent vingt emplois et investissent au moins vingt millions de francs hors taxe (article 3 du décret du 6 février 1995). Ces seuils écartent délibérément un grand nombre de PME.

Le rapport fait au nom de la commission des finances par M. Alain Rodet, rapporteur spécial sur le projet de loi de finances pour 1999, et consacré à l'aménagement du territoire, a obtenu du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement des informations détaillées sur l'utilisation des crédits alloués à la PAT au cours de l'année 1997. Elles combinent les données concernant la PAT et les statistiques des aides accordées au titre du Fonds d'aide à la délocalisation (FAD) dans la mesure où ces deux aides sont soumises à l'examen consultatif du comité interministériel d'aide à la délocalisation (CIALA). Le chapitre 64-00 du budget du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement bénéficie pour 1999 de 320 millions de francs d'autorisation de programme, comme pour 1998, et de 315 millions de crédit de paiement, soit 5 millions de moins que pour 1998.

Le CIALA a examiné 228 dossiers (200 demandes de PAT, 28 pour le FAD) en 1997, et en a retenu 188. Selon le ministère, ses délibérations ont été marquées par trois traits : « la priorité accordées aux investissements d'entreprises présentant un caractère marqué de mobilité internationale », la prise en compte des « conséquences des restructurations des sites de défense » et enfin « une sélectivité rigoureuse des dossiers acceptés, tenant compte des impératifs budgétaires ». Le premier souci montre bien que la PAT ne vise pas seulement à attirer des investissements d'une zone développée du territoire national vers une zone en retard, mais bien à favoriser l'implantation d'entreprises étrangères. Le ministère souligne le fait que la PAT « demeure l'instrument d'aide financière privilégié des grandes entreprises » : les dossiers présentés par les groupes représentent, selon le ministère, 68 % des dossiers bénéficiaires de primes, 79 % des emplois et 85 % des investissements.

M. Jean-Louis Guigou, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, insiste sur le fait que la PAT n'est pas adaptée aux PME et a été conçue pour aider les grandes entreprises, ce qui justifie l'existence de niveaux minimaux d'investissements (20 millions de francs) et de créations d'emplois (20 emplois pour la situation la plus fréquente) pour pouvoir en bénéficier. Il souligne le fait qu'un abaissement de ces seuils ne lui semble pas pertinent :

« Par ailleurs, nous aimerions, je le répète, pouvoir verser la PAT au minimum à partir de la création de quinze emplois et donc baisser les seuils. Mais il faut prendre garde ! A certains parlementaires et à certains ministères, tel celui de la Ville, qui aimeraient que nous descendions ce seuil beaucoup plus bas, je dis que dans les quartiers dégradés où il convient de créer des emplois pour trois ou quatre personnes, ce n'est pas à la PAT - laquelle serait, pour des emplois de proximité, un marteau-pilon - qu'il faut avoir recours ».

Le ministère insiste sur la place éminente de la PAT parmi les éléments pris en compte par les investisseurs étrangers avant toute décision d'implantation : « En 1997, 32 % des projets primés, représentant 40,3 % des emplois aidés et 70 % des investissements, ont été le fait d'entreprises étrangères ». La part des créations d'entreprises (par opposition aux extensions) dans les dossiers présentés par les investisseurs étrangers est beaucoup plus forte (47 %) que la moyenne (36 %) et la création de plus de 3 000 emplois leur est associée. Ce dernier chiffre doit être rapproché des 15 365 emplois induits par l'ensemble du dispositif : ces 3 004 emplois apparaissent peu nombreux, en particulier au regard des 70 % d'investissements. L'affirmation de l'importance de la PAT aux yeux des investisseurs étrangers, naturelle de la part du ministère chargé du dispositif, ne semble pas confirmée par les chefs d'entreprises auditionnés par la commission d'enquête, qui, en accord d'ailleurs avec les professeurs d'université et les hauts fonctionnaires, mettent surtout l'accent sur les qualités particulières de la France comme lieu d'implantation et marché, l'influence des aides étant estimée marginale.

Selon M. Jean-Luc Vigreux (CGT) citant un rapport du cabinet Secafi-Alpha, le groupe Bolloré aurait pourtant reçu à l'occasion de la délocalisation au Havre du siège de sa filiale Delmas différentes aides publiques pour des montants élevés :

« - du Fonds d'aide à la décentralisation, 80 000 francs par salarié ;

«  - au titre de la Prime d'aménagement du territoire, 100 000 francs par salarié transféré ;

« - une exonération de la taxe professionnelle sur cinq ans ;

« - des aides à l'immobilier sous forme de subventions (...) à hauteur de 25 % de l'investissement (...).;

« - la prise en charge par les collectivités locales de 50 % des coûts de formation.

« Selon le rapport, non démenti jusqu'à ce jour, les aides atteindraient 100 000 francs [par emploi] hors aides Acomo ».

La PAT est en fait l'objet de critiques notoires de la part des responsables politiques et économiques. Des aménagements de procédure ont déjà été adoptés par le CIALA. Mais une réforme plus globale ne peut être évitée : dès 1996, dans son rapport public annuel, le Conseil d'État avait présenté des observations critiques sur ses règles d'octroi, jugées trop peu rigoureuses au regard de l'inégalité de traitement à laquelle la prime conduit, entre des personnes objectivement placées dans la même situation économique. De plus, la Commission européenne a demandé une réforme de la carte PAT, censée entrer en vigueur le 1er janvier 2000, en même temps que la nouvelle tranche de fonds structurels européens. Parallèlement, le gouvernement a engagé une réflexion sur la réforme de la PAT elle-même. Interrogé par le rapporteur spécial, le ministère a indiqué les « pistes de travail » suivantes : 

«  - soutien aux grands projets d'investissement internationalement mobiles ;

« - soutien à des investissements modestes se réalisant dans des zones peu industrialisées du territoire ;

« - ouverture au secteur des services industriels fortement créateurs d'emplois, tels que les centres d'appels et la logistique ».

L'accent sur les grands projets serait donc maintenu, ce qui se traduirait par un maintien, voire un renforcement de la part des primes revenant à des groupes.

2. - Les crédits mobilisés par les différents plans-emplois leur ont été principalement destinés

Le rapport Péricard-Novelli portant sur les aides à l'emploi évaluait le montant des moyens budgétaires consacrés à la politique de l'emploi à 133 milliards de francs en 1995, en intégrant les apports du Fonds social européen, et à 139 milliards en 1996, hors les aides du FSE, et sans compter les fréquentes dérives de 15 à 20 milliards de francs par an, le budget de l'emploi étant largement évaluatif.

Or, il apparaît que la plus grande partie de ces sommes revient aux groupes. Dans son rapport au Président de la République de novembre 1997, la Cour des comptes a mis en évidence cette situation à propos des aides accordées dans le cadre de l'accompagnement par l'État des plans sociaux des entreprises. Elle constate ainsi des abus certains : « Des entreprises paraissent être tentées de s'abonner aux conventions nationales négociées par la délégation à l'emploi. Plus des deux tiers des allocations spéciales du FNE accordées par celle-ci l'ont été à 12 entreprises qui se sont adressées au moins trois fois en six ans au fonds national de l'emploi, et qui ont couvert leur sureffectif à 41 % par des préretraites totales, dans des conditions du droit commun dans un tiers des cas ».

La mise en cause est ensuite encore plus directe : « L'examen des conventions d'AS-FNE conclues au niveau national par la délégation à l'emploi de 1990 à 1995 met en évidence la tendance à l'abonnement de certaines entreprises. Vingt-quatre d'entre elles se sont adressées au moins trois fois en six ans au FNE. Elles représentent à elles seules plus de 40 % du total des conventions signées et plus de 79 % des AS-FNE accordées par la délégation durant cette période. Les neufs groupes qui ont licencié par ce moyen plus de 1 000 salariés âgés ont été à l'origine de plus de 15 % des entrées en préretraite toutes origines confondues, locales ou nationales ». La Cour en conclut que « les aides au titre de l'allocation spéciale du FNE se concentrent ainsi sur un nombre limité d'entreprises » et que, du fait de ces pratiques, « l'exigence de reclassement imposée à l'employeur par le législateur et la jurisprudence est dès lors transférée à l'État à qui il est demandé, chaque année, de prendre en charge des salariés dont l'âge de la retraite est ainsi avancé ». Certains groupes se déchargent ainsi de leurs responsabilités sur l'État en abusant de dispositifs destinés à un usage ponctuel.

L'effet mécanique de l'exonération de charges patronales sur les bas salaires, qui n'est soumise à aucune condition particulière, se traduit par le fait que les entreprises les plus grandes et les moins généreuses envers leurs salariés soient aussi celles qui bénéficient des exonérations les plus importantes. M. Vaugeois, chef du service Études et Relations sociales du groupe Promodès, indiquait ainsi que, pour le groupe, cet allégement de charges constituait « la mesure la plus pertinente » et se traduisait par une « aide » de 107 millions de francs en 1998, dont 45 millions de francs pour les hypermarchés Continent, soit 5 % de la masse salariale hors charges, et 19 millions pour les supermarchés Champion, soit 8 %.

En revanche, les grandes entreprises et les groupes sont loin d'abuser des dispositifs de formation en alternance assortis d'aides, certes, mais imposant des contreparties en matière de formation. Cette situation a été remarquée devant la Commission par M. Daniel Mathieu de la délégation à l'emploi et à la formation professionnelle qui a souligné le poids des petites entreprises dans ce domaine : seuls 25 % des contrats de qualification sont conclus dans des entreprises de plus de 50 salariés, ce qui n'est le cas que de 10 % des contrats d'apprentissage. Il a fait allusion à la volonté de l'État de remédier à cette situation : « le gouvernement a souhaité, en liaison avec les partenaires sociaux, développer le recours aux contrats d'insertion en alternance ou à l'apprentissage dans les grandes entreprises, notamment par des discussions directes avec certains groupes d'importance nationale », déplorant que « les résultats aient toujours été limités ». Même si « aucun moyen spécifique n'a été engagé pour accompagner les grandes entreprises dans ce type de démarche », on ne peut que constater le manque d'empressement des groupes à participer à un effort de formation nécessaire à la pérennité voire à l'accélération de la croissance économique, manque d'empressement qui contraste avec le « discours citoyen » tenu par la plupart des PDG auditionnés par la Commission.

Il apparaît ainsi que les aides à l'emploi sont très prisées par les groupes lorsqu'elles facilitent les opérations de restructuration ou allègent la masse salariale, mais ne sont guère recherchées quand elles exigent des contreparties réelles.

3. - Les grands groupes apparaissent comme les principaux bénéficiaires des aides publiques à la recherche

Nous avons vu la diversité et la complexité des dispositifs d'aides à la recherche-développement (R&D). Malgré l'existence de mesures destinées spécifiquement aux PME, l'essentiel des sommes relevant de cet objectif revient aux grandes entreprises, et même aux groupes.

Le crédit d'impôt-recherche est présenté comme ayant un effet redistributif important en faveur des petites entreprises, comme le montre M. Henri Guillaume dans son rapport : les entreprises de moins de 50 millions de chiffres d'affaires réalisent 7 % des dépenses globales de R&D et obtiennent 23 % des crédits d'impôt consentis au niveau national ; celles dont le chiffre d'affaires est compris entre 50 et 500 millions de francs représentent 17 % des dépenses et 29 % du CIR ; enfin, les entreprises de plus de 500 millions de francs de CA totalisent 76 % des frais de recherche mais ne bénéficient que de 48 % du crédit d'impôt.

L'attribution des dotations du Fonds de la recherche et de la technologie reflète aussi un certain déséquilibre, mais dans des proportions moindres :

Evolution des dotations du FRT (ch.66-04), par type de bénéficiaires

(en millions de francs)

Type de bénéficiaires :

1994

1995

1996

Total 1990-96

Entreprises de plus de 2000 personnes

230

188

265

2 558

Entreprises de 200 à 2000 personnes

25

8

18

91

Entreprises de moins de 200 personnes

11

92

110

1 265

Source : Rapport de mission sur la technologie et l'innovation, Henri Guillaume (mars 1998)

La différence de définition des catégories d'entreprises ne permet pas une comparaison rigoureuse mais il ne fait guère de doute que les PME bénéficient proportionnellement de plus d'aides provenant du FRT que les entreprises de grande taille. Le diagnostic est pourtant tout autre lorsque l'on prend en compte non plus des dispositifs ponctuels, mais l'ensemble de l'effort de financement de l'État au profit de la recherche : la concentration des financements apparaît alors dans toute son ampleur, comme Henri Guillaume le souligne.

Son analyse reprend celle de l'Observatoire des sciences et des techniques (OST), élaborée à partir de l'enquête recherche et développement du ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, consacrée aux sources de financement de la R&D des entreprises en 1994. Trois catégories d'entreprises sont distinguées :

A : l'ensemble des firmes appartenant à un grand groupe industriel français ayant des relations de fournisseur avec le ministère de la Défense, soit une dizaine de « têtes » de groupes (Thomson SA, Alcatel-Alsthom, Aérospatiale, le SNECMA, Lagardère-Matra, Dassault, la Cie des Signaux, la SFIM, la SNPE, Labinal, Sextant, la SAGEM, le GIAT, Intertechnique) ;

B : l'ensemble des firmes appartenant à un groupe industriel n'ayant pas de relations significatives avec la Défense, et les filiales de groupes étrangers ;

C : l'ensemble des firmes faisant de la R&D et n'appartenant pas à un grand groupe industriel.

Les résultats de cette enquête sont résumés dans les tableaux suivants :

Destination, selon le type d'entreprises, des financements de la R&D
exécutée en 1994

(en  %)

Type d'entreprises

Contrats Défense

GPT

Civils

Crédits incitatifs

Financement par le groupe

Financement par autres entreprises

Financement propre

Total

A

97,6

86,3

25,4

28,8

70,3

22,1

36,1

B

1

11,3

38,8

68,6

14,1

58,9

49,7

C

1,3

2,4

35,8

2,7

15,5

19

14,2

Volume (en Mds F)

11,7

8

3,5

21,5

7,3

83,8

135,8

Source : Rapport de mission sur la technologie et l'innovation, Henri Guillaume (mars 1998)

    Origine, selon le type d'entreprises, des financements de la R&D, exécutés en 1994

(en  %)

Type d'entreprises

Contrats Défense

GPT civils

Crédits incitatifs

Financement par le groupe

Financement par autres entreprises

Financement propre

Volume
(en Mds F)

A

23,3

14

1,8

12,6

10,5

37,8

49

B

0,2

1,3

2

21,8

1,5

73,1

67,5

C

0,8

1

6,5

3

5,9

82,8

19,3

Total

8,6

5,9

2,6

15,8

5,4

61,7

135,8

Source : Rapport de mission sur la technologie et l'innovation, Henri Guillaume (mars 1998)

Les tableaux suivants détaillent la liste des principaux bénéficiaires des aides ART depuis 1985. On constate que le groupe Rhône-Poulenc en a été le principal bénéficiaire, à hauteur de 785,5 millions de francs cumulés - c'est-à-dire plus que Renault (274,9 millions de francs), PSA (265,5 millions de francs) et le GIE Renault-PSA (91,2 millions de francs) réunis.

Erreur! Liaison incorrecte.

En 1994, les grands groupes liés à la Défense et leurs filiales percevaient selon l'OST 98 % des crédits militaires, mais aussi 86,3 % des contrats des grands programmes civils et le quart des crédits incitatifs. Ils étaient donc destinataires de 83 % des 23,2 milliards de francs de financement public, alors qu'ils effectuaient de l'ordre du tiers de la dépense de R&D des entreprises et employaient le tiers des chercheurs en entreprises. Cette analyse brute doit être tempérée par l'incidence de la part importante des dépenses de développement constatées dans certains secteurs industriels, et notamment l'aéronautique où elles représentent plus de 80 %. De plus, cette photographie ne tient pas compte du rôle important de redistribution que jouent ces groupes par leur sous-traitance vers les PMI et le cas échéant par leur collaboration avec la recherche publique. Il n'en demeure pas moins que c'est aux grands groupes qu'est destiné l'essentiel des financements publics : l'effet redistributif du CIR et du FRT n'apparaît pas d'un grand poids.

L'analyse détaillée menée par M. Henri Guillaume auprès des entreprises conforte cette idée. Il établit une ventilation des financements publics par taille d'entreprise et en fonction de l'appartenance à un groupe industriel.

    Répartition du financement public par taille d'entreprise, en 1995

     

    Dépenses de recherche

    (en MdsF)

    Financement public

    (en MdsF)

    Taux d'aide moyen estimé

    Grandes entreprises :

    (>2000)

    dont filiales groupes

    Autres

    64,2

    61,6

    2,6

    11,8

    11,8

    0,02

    18,4 %

    19,1 %

    0,6 %

    Entreprises moyennes :

    (200-2000)

    dont filiales groupes

    Autres

    32,5

    24,3

    8,2

    2,5

    2,0

    0,5

    7,7 %

    8,4 %

    5,5 %

    Petites entreprises :

    (<200)

    dont filiales groupes

    Autres

    12,6

    4,5

    8,1

    1,1

    0,5

    0,6

    8,8 %

    10,1 %

    8,1 %

    Total :

    Dont filiales groupes

    Autres

    109,2

    90,4

    18,8

    15,4

    14,3

    1,1

    14,1 %

    15,8 %

    6,0 %

    Source : Rapport de mission sur la technologie et l'innovation, Henri Guillaume (mars 1998)

La recherche menée dans les entreprises non filiales de groupe représente, avec 18,8 milliards de francs, 17,2 % du total (dont 10,8 milliards dans les entreprises grandes ou moyennes). On retrouve là une des caractéristiques du tissu industriel français par rapport à ses concurrents allemands ou américains : le faible poids économique des entreprises moyennes (entre 200 et 2000 salariés) et des grosses (plus de 2000 personnes) PMI indépendantes.

Une autre conclusion importante réside dans le traitement plus favorable des filiales de groupe quelle que soit leur taille, l'écart par rapport aux entreprises indépendantes étant le plus fort pour les grandes et moyennes entreprises.

Si le rapport Guillaume ne rend compte des aides de l'ANVAR que depuis 1990, c'est-à-dire depuis qu'elles ne peuvent plus être accordées à des groupes, l'Agence nous a elle-même fourni des chiffres qui montrent bien la part énorme des aides qui ont été reçues par de grands groupes. Les chiffres cumulés de 1981 à 1998 sont donc d'autant plus frappants qu'ils couvrent en fait les montants attribués aux groupes entre 1981 et 1989 seulement.

Erreur! Liaison incorrecte.

Ce sont de tels constats qui conduisent M. Henri Guillaume à commenter ainsi les conclusions de son rapport : « La concentration des financements est un phénomène connu ou supposé connu, mais en dressant le bilan global, j'avoue avoir été surpris par son ampleur ».

4. - Des restitutions communautaires inégalement réparties

Les aides octroyées dans le cadre de la politique agricole commune prennent la forme de restitutions calculées en fonction de l'écart entre les prix mondiaux et les prix communautaires garantis. Auditionné par la commission d'enquête, le représentant du ministère de l'Agriculture a indiqué que les trois caractéristiques principales de ces restitutions : 

« Elles sont d'abord 100 % communautaires, financées en totalité sur le budget du FEOGA-garantie.

« Elles s'adressent ensuite à tous types d'entreprises, donc aux grands groupes. Il s'agit d'entreprises de l'agro-alimentaire qui, pour exporter sur le marché mondial, et compte tenu des prix du marché mondial et de leur secteur d'exportation, ont besoin de bénéficier d'une subvention à l'exportation.

« [Enfin], si les aides sont versées à des entreprises, leur financement vise, en réalité, à soutenir le cours des matières premières agricoles qui, de fait, ne sont pas exportées par les agriculteurs, mais par des entreprises de négoce ou de première transformation. Les aides sont donc très particulières puisque si elles sont bel et bien destinées aux entreprises, le bénéficiaire réel est l'agriculture française ». 

Ces aides, gérées dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce, ont fait l'objet d'âpres négociations lors du cycle de négociations commerciales multilatérales d'Uruguay (Uruguay Round) et sont strictement encadrées par les accords de Marrakech, puisque leur gestion prévoit un plafonnement du montant des restitutions.

Le tableau ci-contre vient illustrer le propos de M. Stéphane Le Moing, qui a rappelé à la commission que « de fait, le système n'est pas discriminant entre grandes et petites entreprises. Exporter des matières premières pour lesquelles il faut compenser la différence entre un prix communautaire et un prix du marché mondial constitue l'unique critère ».

En matière sucrière, on constate ainsi que les groupes Saint-Louis sucre et Eridania Begin-Say ont bénéficié en 1998 respectivement de 1 130 et 1 010 milliards de francs de restitutions ; en d'autres termes, les deux premiers producteurs ont concentré 70,1  % du total des restitutions obtenues par les dix premiers sucriers nationaux (3 052 milliards de francs).

Les restitutions dans les secteurs céréalier et laitier apparaissent de moindre ampleur et plus faiblement concentrées. Dans les céréales, les huit premiers producteurs bénéficient de transferts dont les montants sont proches, compris dans un rapport de 1 à 1,5. S'agissant des produits laitiers, les quatre premiers producteurs reçoivent 59,4  % des aides - parmi lesquels Nestlé France, à hauteur de 212,8 millions de francs.

c. - l'extreme discrétion des groupes auditionnés ne saurait occulter l'intérêt que leurs dirigeants portent aux aides publiques.

1. - Un discours lénifiant

A entendre les dirigeants des grands groupes, les aides apparaissent en général inutiles et mal venues.

M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, a été particulièrement clair sur ce point :

«  Nous n'avons plus aucune illusion sur les aides. Croire qu'elles constituent un gain net, allons ! Soyons sérieux ! D'un côté, il y a tout ce que les entreprises versent, au titre de l'IS, de la TP, des cotisation sociales ; de l'autre côté, on nous le reverse sous conditions. Alors, très honnêtement, je vais droit au but, le MEDEF le déclare solennellement "ne nous prenez pas les ressources, ne nous versez pas d'aide».(...)

« Au nom des entreprises, je vous le dis très clairement, supprimez les aides, ceci sera infiniment meilleur pour l'emploi que tous les circuits, que ces 43 ou 45 dispositifs d'aide à l'emploi qui ont été accumulés au cours du temps, qui sont à l'origine d'effets pervers, dont personne ne connaît éventuellement les véritables effets. »

C'est un point de vue très proche qui est exprimé par M. Francis Mer, PDG d'Usinor : 

« En réalité, je ne crois pas que nous touchions de subventions. C'est d'ailleurs parfaitement normal : l'argent du contribuable est gaspillé dans ces subventions et les aides actuellement distribuées pour la création d'emplois. Il faudrait à mon avis supprimer tout cela, en réaffecter une partie à des actions plus ciblées et utiliser le solde pour réduire le déficit budgétaire, de façon à la contenir dans des proportions plus raisonnables. Je ne suis absolument pas convaincu que ces subventions soient efficaces, y compris celles qui concernent l'emploi ».

L'ensemble des dirigeants n'est pourtant pas unanime, comme en témoigne l'opinion de M. Thierry Jacquillat, représentant de la Commission des affaires économiques de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris qui, s'il en appelle à « une évaluation réelle et sérieuse des aides », souligne néanmoins leur utilité :

« Il est clair que les interventions publiques peuvent être objectivement utiles au tissu productif et, partant, à l'emploi, notamment quand elles consistent à organiser ce que les économistes, dans leur jargon, appellent les économies externes qui consistent simplement à mettre à la disposition des entreprises, mais surtout des PME, des moyens utiles à leur croissance qu'elles n'auraient pas la possibilité de développer en interne. Je pense en particulier à certaines formes de soutien à la recherche ou à la formation, sans oublier bien entendu les infrastructures qui constituent, non pas une aide, mais une responsabilité première de la puissance publique ».

Pour ce qui concerne les groupes auditionnés, les situations varient, de celle de M. Pierre Blayau, PDG de Moulinex, qui justifie les aides par les contreparties qui les conditionnent et affirme que « sans l'accompagnement financier des pouvoirs publics, (il) n'aurait jamais pu réduire le temps de travail de 5 500 salariés à 33h15 », à celle de Hewlett Packard France, dont l'un des représentants syndicaux, M. Gilles Eymery, de la CFDT, explique que « HP ne tient pas à avoir de subventions afin d'éviter d'avoir à rendre des comptes : l'autofinancement, et donc l'indépendance qu'il permet vis-à-vis des tiers, est l'un des principes cardinaux de Hewlett-Packard. Ainsi, le passage aux 35 heures s'effectuera sans aides publiques et les contrats de cessation progressive d'activité ne seront pas reconduits ».

Dans les faits, les situations apparaissent moins contrastées.

Tous les groupes ont eu à conduire des plans sociaux et la plupart d'entre eux n'ont pas méprisé les aides, importantes étant donné le volume du personnel licencié, que la puissance publique a mis à leur disposition mais sans que nul ne sache, qu'il s'agissent des entreprises ou de la puissance publique, les montants effectivement attribués dans ce cadre.

M. Jean-René Fourtou, PDG de Rhône-Poulenc, ne méconnait pas l'aide à la recherche que son groupe a obtenu dans le cadre du programme BioAvenir mais il en minimise la portée :

« Le groupe n'est pas particulièrement à la recherche des aides publiques. L'aide la plus significative dont nous ayons bénéficié a été accordée dans le cadre de BioAvenir. L'État a investi environ 500 millions de francs, dont approximativement 300 millions de francs en aides directes et le reste sous forme de mise à disposition d'institutions de recherche publiques ; pour sa part, Rhône-Poulenc a contribué à hauteur de près de trois fois de montant ».

Or ce groupe est l'un des principaux bénéficiaires des aides à la recherche accordée en France puisque le ministère de l'Industrie le place en tête de la liste des bénéficiaires d'aides du fonds de la recherche technologique entre 1985 et 1998, avec plus de 785 millions de francs d'aides reçues dans ce seul cadre.

C'est dans le même état d'esprit que M. Bernard Dufau, PDG d'IBM France, évoque les sommes reçues pour soutenir la recherche : 

« En 1996, lorsque nous avons réalisé un investissement de 5 millions de francs, nous avons reçu une subvention du ministère de l'Industrie de 50 millions de francs, au titre de la recherche et du développement ».

Mais il n'en annonce pas moins son intention de réitérer sa demande dans le cadre des nouveaux investissements que le groupe projette de réaliser, à Corbeil, accompagnés de 1 150 suppressions d'emplois :

« Je vais être franc avec vous : je vais solliciter des aides pour le projet que je présente au titre de la recherche et du développement parce que nous allons apporter à cette usine l'une des dernières technologies ; Siemens, à travers Inphenium, va apporter également des technologies nouvelles. Je pense que j`ai donc autant de légitimité que d'autres entreprises en France pour demander ce genre d'aide ».

L'influence exercée par l'octroi de la prime à l'aménagement du territoire dans la délocalisation du siège de l'entreprise Delmas de la région parisienne au Havre est un autre point contesté. M. Vincent Bolloré en minimise lui aussi le rôle, après avoir souligné l'intervention d'autres critères. L'attribution de la PAT a-t-elle été déterminante ?

« Je vais vous faire une réponse très honnête : oui et non. Non sur le fonds. Personne n'aurait eu de prime, on aurait sans doute choisi Le Havre de toute façon, mais à partir du moment où tout le monde reçoit des primes, nous n'avions aucune raison de nous en priver : nous sommes un groupe français qui emploie des salariés et paie des impôts, pourquoi n'aurions nous pas pu en profiter ?

Oui, cela a joué mais, franchement, si vous supprimiez toutes les primes, nous ne serions pas les premiers à nous plaindre... Cela représente quelques millions de francs qui ne sont pas très importants pour nous... »

Or cette analyse est contestée par les représentants syndicaux du groupe qui on d'ailleurs fourni à la commission d'enquête une copie du rapport réalisé par un cabinet de conseil : il montre que c'est Le Havre qui obtiendrait le plus d'aides, et c'est ce site qui a finalement été retenu... Mme Annie Pelletier, déléguée CGC de Delmas, l'a affirmé : « A propos de la délocalisation, sans les aides de l'État et de l'Europe, je pense que le projet « Cap client » n'aurait pas été viable. De toute façon, aucun salarié de Paris ne se serait déplacé au Havre, sans les aides de la DATAR ». Son collègue de la CFDT, M. Dominique Bouffenie, regrette que « les aides de la DATAR (aient) facilité le déménagement », et, de ce fait, la suppression des 300 postes disparus à cette occasion.

2. - Une absence injustifiable de précisions chiffrées

Hormis le groupe Moulinex dont on trouvera un état des subventions reçues en annexe du procès verbal de l'audition de son PDG (cf tome III), aucun groupe n'a été en mesure de présenter une liste précise des aides versées par la puissance publique.

Seuls deux autres groupes ont fourni des éléments. Il s'agit de Nestlé France, qui a reçu un peu plus de 2 milliards de francs de subventions entre 1993 et 1998 à plusieurs titres qui sont précisés, et de Hewlett Packard, qui n'a touché qu'environ 2,3 millions de francs d'aide entre 1992 et 1998, dans le cadre des dispositifs d'incitation à l'embauche.

Pour les autres, les informations sont lacunaires et imprécises. C'est la cas du groupe Bolloré, à qui ont été versés près de 95 millions de francs de subventions d'exploitation entre 1993 et 1998, sans que la liste détaille pas à quel titre les différentes entreprises du groupe en ont bénéficié. Par ailleurs, ce chiffre n'est guère cohérent avec celui donné par son PDG au cours de son audition, qui évaluait les subventions à 60,825 millions de francs entre 1991 et 1997.

Usinor indique avoir reçu plus de 186 millions de francs de subventions d'investissement et 638 millions de francs de subventions d'exploitation entre 1990 et 1998, mais ne fournit aucun détail sur leur ventilation par entreprise du groupe et par dispositif d'aide.

Les autres groupes n'ont donné aucune réelle information sur les montants reçus, la direction se contentant généralement d'affirmer qu'ils sont insignes.

Face à cette ignorance déclarée, il est apparu encore plus étonnant à la commission d'enquête que l'administration soit elle-même incapable d'indiquer les montants d'aides publiques accordées aux différents groupes. Dans ce grave dysfonctionnement, quelle est la part de responsabilité de la puissance publique ?

    IV. - LE CONTRÔLE LACUNAIRE DES POUVOIRS PUBLICS

A. - Les contrôles de l'état sont nombreux mais peu adaptés

1. - Des organes de contrôle prestigieux

    a) La commission des finances de l'Assemblée nationale

Il convient de commencer par le Parlement, qui n'est pas à l'abri de toute critique. Son existence même trouve son origine dans ses pouvoirs financiers, consistant à voter le budget mais aussi à contrôler son exécution. C'est traditionnellement la commission des finances qui est plus particulièrement chargée de cette tâche dans chacune des Assemblées : à ce titre, elle a pour mission d'assurer le suivi des aides publiques et de faire les critiques qui s'avèrent éventuellement nécessaires.

Mais cette fonction de contrôle, pourtant essentielle, semble remplie de manière très imparfaite. C'est un bilan sévère que le groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, initié et présidé par le Président Fabius, dresse dans son rapport de janvier 1999 sous-titré Contrôler réellement, pour dépenser mieux et prélever moins. Il constate que « le Parlement n'utilise que très partiellement ses pouvoirs de contrôle », et ce à toutes les étapes de l'exercice budgétaire.

S'appuyant sur de nombreux témoignages, le rapporteur, Rapporteur général de la commission des finances, M. Didier Migaud, déplore les conditions d'examen des lois de finances rectificatives, comme des lois de règlement : « Hormis les projets de loi de finances rectificative de printemps, lesquels traduisent souvent un infléchissement de la politique gouvernementale, l'examen du collectif budgétaire à l'automne ne permet pas, en dépit des efforts entrepris depuis une quinzaine d'années par la Commission des finances, de conduire un examen approfondi de l'utilisation des crédits ». De même, « hormis quelques exceptions, l'examen du projet de loi de règlement illustre l'absence de contrôle approfondi des dépenses budgétaires par notre Assemblée ».

Il note qu'« il n'y a que très rarement un suivi, tout au long de l'année, de l'utilisation des crédits dont les rapporteurs spéciaux sont en charge » et que ces derniers « ne font usage que très rarement de leurs pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place ». Ce sont pourtant eux qui seraient les mieux placés pour contrôler les aides de l'État aux entreprises puisqu'ils sont chargés de suivre le budget d'un ministère ou d'une partie de ministère, et, à ce titre, susceptibles de contrôler les aides accordées par l'administration qui en dépend.

L'étude des différents rapports spéciaux concernés permet de confirmer l'essentiel du constat dressé par le Rapporteur général de la commission des finances, même si des exceptions existent. Le caractère souvent global des enveloppes budgétaires tient en fait les rapporteurs spéciaux relativement éloignés de l'utilisation réelle des fonds publics : il suit l'évolution des lignes budgétaires sans évaluer l'efficacité de leur utilisation.

Seuls les dysfonctionnements les plus visibles sont en général soulignés : c'est notamment le cas de ceux de la PAT, qui est l'objet de critiques et d'un appel à la réforme. Les rapporteurs spéciaux font éventuellement appel à la vigilance des administrations concernées, comme c'est le cas dans le rapport spécial consacré à la formation professionnelle, à propos des formations en alternance, mais les critiques radicales sont rares, sinon inexistantes : la plupart du temps, les suggestions de modification des dispositifs sont mineures, telle celle relative à l'introduction d'une embauche de docteurs comme condition pour bénéficier du CIR, proposée par le rapporteur spécial en charge de la Recherche. Les lourds engagements sectoriels de l'État ne sont en revanche nullement critiqués dans le rapport spécial sur l'Industrie, et il n'est pas même fait allusion à leur efficacité sur les secteurs visés.

Sur ce point, le rapport de M. Didier Migaud souligne la pénurie d'instruments mis à la disposition du Parlement pour évaluer l'efficacité de la dépense publique : les notes d'impact, destinées à évaluer a priori les effets administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des mesures envisagées, demeurent largement insuffisantes, les simulations en matière fiscale sont rarissimes, les résultats des procédures d'audit internes ou externes et les rapports de contrôle par les corps d'inspection, portant sur l'efficacité des politiques menées et sur l'organisation et la gestion des ministères ne sont pas transmis au Parlement. Enfin, l'Office d'évaluation des politiques publiques, institué par la loi du 14 juin 1996, s'avère peu efficace, en dépit de ses atouts réels. Depuis que ces critiques ont été rendues publiques, il a réalisé, sous la direction de M. Gérard Bapt, un intéressant rapport consacré à un bilan des aides aux entreprises en matière d'emploi.

Les causes des imperfections du contrôle de la commission des finances sont plurielles : il s'agit sans doute d'un phénomène culturel et politique, accentué par le caractère inadapté des contrôles et par une faible coopération avec la Cour des comptes, jusqu'à l'institution récente de la Mission d'évaluation et de contrôle.

Au sein de la commission des finances, cette dernière est composée de deux représentants titulaires et d'un suppléant par groupe politique, coprésidée par le Président de la Commission et un membre de l'opposition, le Rapporteur général coordonnant ses travaux. L'association des rapporteurs pour avis et des membres de l'opposition aux travaux de cette mission vise à entraîner une réelle dynamique.

La fonction de contrôle doit être complétée par un exercice d'évaluation ex-post des politiques publiques portant sur ses résultats et non sur son bien-fondé. Le travail de préparation des auditions se fait en étroite collaboration avec la Cour des comptes.

    b) La Cour des comptes

Alors que la loi du 16 septembre 1807 chargeait principalement la Cour des comptes de juger les comptes rendus par les comptables des deniers publics, le deuxième décret du 1er septembre 1936 fait du contrôle de la comptabilité administrative de l'État une activité distincte du jugement des comptes : ce contrôle est rapidement étendu à une série d'organismes parmi lesquelles figurent les organismes bénéficiaires de subventions de l'État, depuis le décret-loi du 20 mars 1939 (article 5), qui y soumet les associations et fondations dont plus de la moitié des ressources sont constituées par des subventions d'État.

Confirmée et élargie par la loi du 22 juin 1967 et par l'article 45 de la loi 12 avril 1996, cette compétence est reprise à l'article L.111-7 du code des juridictions financières qui dispose : « La Cour des comptes peut exercer, dans des conditions fixées par voie réglementaire, un contrôle sur des organismes qui bénéficient du concours financier de l'État, d'une autre personne soumise à son contrôle ainsi que la Communauté européenne ».

Cette compétence est donc définie de manière très large et permet à la Cour d'exercer un contrôle sur les entreprises bénéficiant d'aides ou subventions de l'État, mais aussi des collectivités locales et de l'Union européenne. L'article 133-3 du code des juridictions financières précise la répartition des compétences entre Cour et chambres régionales : « Lorsque les établissements, sociétés, groupements et organismes, quel que soit leur statut juridique, auxquels les collectivités territoriales ou leurs établissements publics apportent un concours financier supérieur à 10 000 francs (...) relèvent du contrôle de plusieurs chambres régionales ou territoriales des comptes , la Cour des comptes est compétente pour assurer la vérification de leurs comptes ». En principe, et nous y reviendrons, ce sont donc les chambres régionales qui contrôlent les comptes des entreprises bénéficiant de fonds publics.

Même dans les cas où la loi prévoit expressément la compétence de la Cour, les comptables des organismes concernés, n'étant ni des comptables publics, ni des comptables de deniers publics, ne sont pas soumis à sa juridiction : le contrôle est donc extrajuridictionnel. De plus, il demeure exceptionnel et facultatif : il dépend de la Cour elle-même de l'exercer, en considération tant de l'intérêt qu'il peut présenter que des moyens qu'elle peut y affecter. Cette possibilité d'un suivi fin de l'utilisation des aides publiques par les entreprises est donc très rarement utilisée. Comme nous le verrons à propos de certains ministères, la Cour des comptes exerce plus sa vigilance sur les conditions de suivi des aides par les administrations qu'elle ne l'assure elle-même dans le cadre de ses compétences, et en tout état de cause, elle le fait a posteriori.

    c) Le Conseil de la Concurrence

Créé par la loi du 19 juillet 1977, le Conseil de la concurrence a été réorganisé par l'ordonnance du 1er décembre 1986 « relative à la liberté des prix et de la concurrence ». Son rôle est exclusivement consultatif, la consultation étant, selon les cas, facultative ou obligatoire.

L'article 5 de l'ordonnance dispose que : « Le Conseil de la concurrence peut être consulté par les commissions parlementaires sur les propositions de lois ainsi que sur toute question concernant la concurrence. Il donne son avis sur toute question de concurrence à la demande du Gouvernement. Il peut également donner son avis sur les mêmes questions à la demande des collectivités territoriales, des organisations professionnelles et syndicales, des organisations de consommateurs agréées, des chambres d'agriculture, des chambres de métiers ou des chambres de commerce et d'industrie, en ce qui concerne les intérêts dont elles ont la charge ». Dans tous ces cas, l'intervention du Conseil est donc subordonnée à une demande qui ne présente aucun caractère obligatoire, mais qui peut émaner d'organes variés, ce qui accroît les occasions de consultation. Celles-ci sont néanmoins limitée par le domaine d'intervention du Conseil qui est celui des « questions concernant la concurrence », notion qui peut être entendue de manière plus ou moins large.

Les domaines dans lesquels la consultation du Conseil est obligatoire sont limités et précisément énumérés à l'article 6 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : « Le conseil est obligatoirement consulté par le gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : 1. De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; 2. D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; 3. D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente». C'est dans ce cadre que le ministre de l'Économie, ministre des Finances et de l'Industrie, est dans l'obligation de saisir la Conseil de la concurrence s'il a l'intention le limiter le champ d'une opération, voire de l'interdire, au nom du respect de la concurrence.

La portée de cette obligation de demande d'avis par le Ministre ne doit pourtant pas être surestimée. Comme l'a souligné M. Frédéric Jenny, vice-président du Conseil de la Concurrence, au cours de son audition par la commission d'enquête, plusieurs limites sont à prendre en compte :

- lorsque le chiffre d'affaires des entreprises impliquées dans la concentration dépasse 5 milliards d'écus, soit 32,787 milliards de francs, l'opération, qui doit obligatoirement être notifiée, relève exclusivement du contrôle de la Commission européenne, même si elle n'a de conséquences que dans un seul État membre ; ni le Ministre, ni le Conseil de la Concurrence ne peuvent donc intervenir.

- Lorsque l'opération n'est pas « de dimension communautaire », deux cas de figures se présentent en France, dans la mesure où la notification n'y est pas obligatoire : si la concentration n'a pas été notifiée, le ministre de l'Économie peut à tout moment, pendant dix ans, décider de la contrôler, et éventuellement de l'interdire ; si l'opération a été notifiée, le Ministre dispose d'un délai de deux mois pour renvoyer l'affaire au Conseil de la Concurrence, et un délai de six mois pour prendre sa décision après avis du Conseil. Dans un cas comme dans l'autre, le ministre n'ayant nullement obligation d'effectuer un contrôle, le Conseil n'est pas nécessairement saisi.

- Sa saisine est d'autant moins systématique qu'elle n'est obligatoire que si le Ministre envisage de prendre une décision limitant ou interdisant l'opération ;

- Enfin, l'avis du Conseil, même obligatoire, n'est qu'un avis simple, non contraignant. M. Jenny met néanmoins en avant son caractère public : « la décision ministérielle, si tant est qu'il y ait décision, doit être publiée au Journal Officiel aux côtés de l'avis du Conseil de la Concurrence. Si le ministre ne suit pas l'avis, il se trouve alors dans l'obligation d'expliquer pourquoi ».

L'avis du Conseil serait ainsi plus contraignant dans les faits que les textes ne le prévoient. Mais comme le ministre peut toujours choisir de ne pas engager de contrôle, le Conseil n'a guère d'occasion de s'exprimer. M. Jenny le confirme en précisant que le Conseil n'est saisi que de neuf à dix projets de concentration chaque année. S'il estime que le caractère non obligatoire de la notification pose problème (« ce système n'est pas aussi satisfaisant que celui de la notification obligatoire »), les difficultés dépassent cet aspect puisque, même lorsque la concentration a été notifiée, le ministre de l'Économie peut choisir de ne pas exercer de contrôle, privant le Conseil de la concurrence de toute compétence : cette possibilité n'existe pas pour les concentrations de dimension communautaire puisque la notification et la décision sont obligatoires au niveau européen. Un grand nombre d'opérations réalisées en France échappe donc ainsi à tout contrôle, si le ministère des Finances le juge préférable, à moins que la dimension communautaire ne soit atteinte.

    d) La Banque de France

Nous abordons ici le rôle de la Banque de France dans la mesure où elle dispose des moyens nécessaires à un suivi systématique des aides accordées aux grandes entreprises. Elle ne remplit pas à proprement parler de fonction de contrôle, mais constitue un observatoire de l'économie qui en fait une source d'informations particulièrement précieuse.

Cette fonction d'observatoire est à la fois la condition et la conséquence du rôle que la Banque de France joue dans la politique monétaire, en promouvant la stabilité des prix, et des relations qu'elles entretient, par l'intermédiaire de ses succursales, avec l'ensemble de l'environnement économique.

Entendu par la commission d'enquête, M. Guy Castelnau, directeur des entreprises à la Banque de France, a présenté les quatre outils principaux dont elle dispose pour suivre la situation des grandes entreprises et des groupes : le fichier bancaire des entreprises nationales, la cotation, la centralisation des risque bancaires et la centrale des bilans.

Le fichier bancaire des entreprises nationales recueille les informations concernant trois catégories d'entreprises :

- les entreprises dont le chiffre d'affaires atteint 5 millions
de francs ;

- celles dont le risque bancaire atteint 2,5 millions de francs ;

- celles qui appartiennent à un groupe identifié.

M. Guy Castelnau précise que ce fichier, dans lequel figurent également « les entreprises aidées », regroupe 2,6 millions d'entreprises « soit la quasi totalité des sociétés anonymes et près de 70 % des sociétés anonymes à risques limités ». Mais il ne cache pas les limites de cet instrument.

Tout d'abord, le fichier n'est pas centré sur les groupes et ne permet pas une analyse spécifique les concernant, même s'ils « font l'objet d'une attention toute particulière compte tenu du volume des crédits en cause ». D'autre part, comme son nom l'indique, il ne recense que les entreprises françaises, négligeant donc les groupes internationaux même s'ils contrôlent des entreprises nationales. Lorsqu'elle éprouve le besoin de disposer de renseignements sur des groupes de nationalité étrangère, la Banque de France doit recourir aux services de cabinets d'experts étrangers. Enfin, le fichier recueille seulement les données financières, publiées au niveau du siège du groupe, mais ne traite pas des données concernant l'emploi, qui font l'objet de déclarations par établissement. Cette différence de niveau d'approche rend très difficile la mise de jour de corrélation entre la situation financière d'une entreprise et sa contribution en faveur de l'emploi.

La cotation constitue un autre instrument à la disposition de la Banque de France, mais qui s'avère peu utile pour nos travaux. Entièrement axée sur la sûreté des banques, elle prend en compte une série d'éléments : évolution de la situation financière de l'entreprise, régularité de ses paiement, montant de ses engagements, existence de poursuites judiciaires, mais ne considère ni les données relatives à l'emploi, ni la situation conjoncturelle, ni l'attribution d'aides publiques, ces dernières n'entrant en ligne de compte qu'au titre du solde final. Tout au plus la banque centrale peut-elle constater que la cote de crédit des entreprises ne cesse de s'améliorer avec leur taille.

Créée par une décision du Conseil national du Crédit du 7 mars 1947, la centralisation des risques bancaires permet de recenser mensuellement les encours de crédits aux entreprises dont le chiffre d'affaire dépasse 500 millions de francs : ce seuil est différent de celui retenu par l'INSEE et ne tient nul compte de l'appartenance éventuelle de l'entreprise à un groupe. La caractère confidentiel des données ne permet que la publication de données agrégées qui ne sont pas dépourvues d'intérêt. Il apparaît ainsi que les encours de crédit des grandes entreprises ont progressé de plus de 20 % au cours des trois dernières années tandis que ceux des PME ont diminué de près de 10 %, ce qui confirme l'un des éléments qui ont conduit à la création de cette commission d'enquête. Les grandes entreprises, qui participent au premier chef au mouvement de destructions d'emplois, bénéficient de toute évidence des faveurs du système bancaire français, au détriment des PME, qui sont pourtant unanimement considérées comme les seuls pôles de création d'emplois aujourd'hui.

Enfin, la centrale des bilans rassemble depuis 1969 une documentation économique et financière de source comptable concernant les entreprises, au nombre de 34 000 actuellement, qui acceptent de participer à cette centralisation. La mise en place d'un dossier individuel d'entreprise offre une grille de lecture qui permet d'apprécier le comportement de l'entreprise et d'en suivre l'évolution dans le temps. L'étude portant sur les bilans de 1997, publiée en 1998, montre que l'activité des grandes entreprises a crû plus vite que la moyenne nationale tandis que les effectifs s'y sont seulement maintenus alors qu'ils ont progressé dans les PME. Ces informations sont intéressantes mais présentent l'inconvénient de ne pas distinguer les grandes entreprises indépendantes des groupes.

M. Guy Castelnau souligne la richesse de l'utilisation éventuelle de ces instruments au service du suivi des aides aux entreprises : « la structure de fichiers de la Banque de France est prête à collecter ce type d'informations dans la mesure où il suffirait de codifier les entreprises aidées et d'avoir connaissance des emplois créés par les entreprises ayant bénéficié de ces aides. Mais si l'architecture est là, il n'en demeure pas moins que sa mise en place représente un coût administratif qui doit être pesé au regard de l'ampleur des aides elle-même (près de 5 % des encours bancaires, soit entre 300 et 400 millions de francs selon ses propres estimations) et de l'enjeu politique que seule la Commission est en mesure de déterminer ».

2. - Les ministères et organismes donateurs

    a) Les administrations du travail

Alors qu'au niveau central c'est la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle qui est chargée de la plupart des aides aux entreprises au sein du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, les services déconcentrés sont composés des directions régionales et départementales à l'emploi et à la formation professionnelle (DREFP et DDEFP). Les inspecteurs du travail, qui dépendent de ces dernières, sont chargés d'exercer le contrôle sur le terrain.

Ils sont compétents pour tout ce qui concerne le respect du droit du travail au sein des entreprises : ils constatent les infractions au code du travail, conseillent salariés et patrons et prennent certaines décisions administratives. Leurs relations permanentes avec les entreprises les placent en excellente position pour assurer le contrôle de l'utilisation des aides publiques à l'emploi. Or, il apparaît qu'ils ne remplissent guère cette mission pourtant indispensable si l'on considère les sommes impressionnantes que ces aides atteignent.

C'est essentiellement dans le cadre des plans sociaux que les inspecteurs du travail peuvent intervenir, mais de manière indirecte. L'autorisation administrative de licenciement, créée par la loi du 3 janvier 1973 ayant été supprimée par la loi du 3 juillet 1986, le rôle de l'administration a été réduit, mais pas totalement aboli : la directive communautaire du 17 février 1975 exige en effet le maintien d'un minimum de contrôle, au moins dans le cas de licenciements collectifs. La loi du 30 décembre 1986, dite loi « Séguin », limite son action au contrôle du respect de la procédure tandis que la loi « Soisson » du 2 août 1989 permet à l'administration de présenter toute proposition pour compléter ou modifier le plan social, « en tenant compte de la situation économique de l'entreprise » (article L. 321-7 du code du travail).

Les inspecteurs du travail ont reçu une compétence plus large par la loi « Aubry » du 27 janvier 1993 qui institue le plan de reclassement et charge l'administration de veiller à sa pleine application. Elle peut notifier à l'entreprise la carence d'un plan au contenu insuffisant (articles L. 321-7, alinéa 3 et L. 321-5 du code du Travail), ce qui constitue une alerte lancée en direction de l'employeur pour l'inciter à améliorer la situation afin de prévenir le risque d'un contentieux judiciaire. Ce rôle d'observateur actif a été considérablement réduit par la jurisprudence : le constat de carence n'a pas d'incidence directe sur l'appréciation de la pertinence du plan par le juge judiciaire (chambre sociale de la Cour de cassation, 3 décembre 1996, Framatome) et l'absence de constat de carence ne lie pas les tribunaux judiciaires, qui peuvent annuler l'ensemble de la procédure pour insuffisance des mesures de reclassement.

Ce contrôle de la réalité de l'effort de reclassement consenti par l'entreprise est donc relativement théorique, et relève surtout du contentieux judiciaire. La collectivité est pourtant directement concernée dans la mesure où, si l'entreprise, en particulier lorsqu'elle appartient à un groupe dont la situation financière n'est pas précaire, ne finance pas des mesures de reclassement, la charge en revient automatiquement à la collectivité qui va devoir indemniser les nouveaux chômeurs et les aider à trouver un emploi. Mais, même dans les cas, les plus fréquents, où l'entreprise participe reclassement, l'État intervient également par l'intermédiaire des aides diverses et nombreuses qu'il lui accorde dans ce cadre. Or, il semble que l'administration ne contrôle pas suffisamment l'engagement financier de l'État dans les plans sociaux.

Comme nous l'avons dit, cet engagement s'effectue très souvent par le biais de conventions signées par l'État et l'entreprise, à l'exemple des conventions de préretraite FNE. Elles supposent des engagements de la part des entreprises, engagements dont l'administration devrait veiller au respect. Pourtant, le contentieux du non-respect des conventions assurant le financement des mesures d'accompagnements apparaît inexistant, ce qui témoigne certainement d'un contrôle lacunaire. La Cour des comptes s'est montrée particulièrement critique à cet égard dans son rapport public pour 1997 : elle dénonce le manque de contrôle et les abus auquel ce dernier conduit, en particulier de la part des groupes, dans la mesure où nous avons vu quelle part considérable des aides au reclassement leur revient.

Nous avons donné des exemples évidents d'usages excessifs, par les groupes, de ces dispositifs coûteux. S'ajoute à ce problème celui du règlement de leur part de cofinancement des dispositifs. Pour ce qui est des conventions signées entre les entreprises et l'État dans le cadre des AS-FNE, la Cour constate que « trois seulement des cinq conventions signées entre 1990 et 1994 avec une grande entreprise étaient soldées au 15 novembre 1995 alors qu'elles auraient dû l'être toutes. A la même date, aucune des conventions conclues avec une autre société n'avait été soldée. Les sommes indûment conservées par l'entreprise s'élevaient alors à 289,7 millions, part salariale comprise ». Elle dénonce le « manque d'intérêt pour le contrôle des engagements contractés par les entreprises » dont les services déconcentrés du ministère de l'Emploi font preuve.

Ces engagements ne sont d'ailleurs pas uniquement financiers. Les conventions d'allocation spéciale stipulent ainsi, par exemple, que l'entreprise s'engage « à soumettre ses embauches sous contrat à durée déterminée d'une durée supérieure à trois mois à l'accord préalable de l'autorité administrative compétente », dans tous les établissements concernés et « pendant une période s'étendant de l'admission du premier bénéficiaire aux douze mois suivant la notification du licenciement du dernier bénéficiaire ». Une pénalité est prévue en cas d'embauche sans accord. Le contrôle des embauches devrait permettre de s'assurer du bien-fondé de l'octroi des aides publiques et éviter que des salariés partants ne soient remplacés aux mêmes postes. Or la Cour dénonce les lacunes de ces contrôles « dans de nombreux dossiers » et indique que « les services interrogés soulignent la difficulté de vérifier dans les grandes entreprises que le recrutement ne porte pas sur un poste supprimé dans le cadre d'un plan social ». Des milliers d'embauches ont donc lieu sans autorisation tandis que les refus d'autorisation sont extrêmement rares (la Cour mentionne qu'une seule direction départementale du travail a fait état de tels refus).

De même, alors que l'ARPE impose des embauches compensatoires, les responsables de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) reçus par la commission d'enquête ont dû reconnaître qu'ils n'étaient « pas en mesure de faire une actualisation de la situation de l'intéressé, à l'intérieur de l'entreprise », ce qui veut dire que la personne embauchée pour compenser un départ en ARPE peut être licenciée, ce qui est illégal, sans que l'UNEDIC soit en état d'exercer le moindre suivi. Les partenaires sociaux ne sont sur ce point pas plus efficaces que les directions départementales de l'emploi.

D'une manière générale, l'enquête de la Cour des comptes montre que « les services déconcentrés concernés suivent mal l'exécution des plans sociaux », les instruments dont ils disposent n'étant pas suffisants. L'information sur les plans sociaux ne fait pas l'objet d'un traitement spécifique de la part du ministère de l'Emploi. Les données recueillies sont fragmentaires et souvent contradictoires : elles émanent de l'UNEDIC, du réseau des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), de la direction de l'animation de la recherche, des étude et des statistiques (DARES), des DDTEFP et ne se recoupent guère. Au plan national, aucun moyen fiable ne permet de distinguer, parmi les dépenses budgétaires et les aides publiques, les licenciements liés aux plans sociaux ; aucun chiffrage des aides publiques accordées au titre du FNE par entreprise n'existe, sinon ponctuellement.

A la suite de l'étude critique publiée par la Cour des comptes, une circulaire de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité du 11 juillet 1997 appelle préfets et directeurs régionaux et départementaux à la vigilance sur l'utilisation de ces instruments, en particulier sur deux points. Il est souligné que « la mobilisation des conventions du FNE doit tenir compte de la taille des entreprises, de leur situation financière et de la nature des licenciements. En particulier, elles n'ont pas vocation à accompagner des licenciements d'anticipation ou destinés à améliorer la compétitivité d'entreprises en bonne santé ». De plus, l'accent est mis sur la nécessité de « veiller particulièrement à l'amélioration du suivi par les représentants des salariés et par l'administration de l'exécution du plan social et des conventions du FNE ». La prise de conscience des abus auxquels se livrent en particulier les groupes est donc bien réelle, mais elle ne s'accompagne pas directement d'un accroissement des moyens à la disposition de ceux qui sont chargés de les combattre.

L'exemple des mesures d'accompagnement des plans sociaux montre ainsi que non seulement certains groupes abusent des dispositifs, mais qu'en plus, ils ne se pressent guère pour payer à l'État la part qu'ils lui doivent et ne respectent pas toujours les engagements qu'ils ont pris. Cela reflète à la fois la mauvaise volonté des entreprises et un réel manque de suivi de la part des services de l'État.

    b) Les services du ministère de l'Industrie

Le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie octroie, nous l'avons vu, de très nombreuses aides par différentes voies : directement au travers des secrétariats d'État à l'Industrie et aux Petites et Moyennes Entreprises et de la direction des relations économiques extérieures (DREE), indirectement par le biais notamment de l'ANVAR dont elle assure la tutelle conjointement avec le ministère de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie.

L'hétérogénéité des formes que prennent ces aides et des objectifs qu'elles poursuivent, la diversité des services chargés de leur gestion rendent impossible la mise en place d'un système de contrôle unifié. Chaque service ou organisme agit donc comme il l'entend.

Une partie importante des mécanismes de soutien aux exportation organisés au sein de la DREE relève d'une logique d'assurance. Ce n'est le cas ni des Protocoles financiers ni des aides du Fonds d'aide aux études et au secteur privé (FASEP), pour lesquelles des efforts d'évaluation ont été faits.

Les Protocoles financiers sont évalués a priori et a posteriori : dans un premier temps, un expert indépendant apprécie les perspectives commerciales offertes par les projets ; après réalisation, les corps d'inspection du ministère ou des cabinets privés analysent l'incidence des projets financés et mènent des études transversales sur la portée qu'ils ont eu pour un pays, un secteur d'activités ou une entreprise ayant bénéficié de plusieurs protocoles.

Comme le FASEP ne fonctionne que depuis septembre 1996, les projets achevés sont encore peu nombreux, ce qui rend difficile l'appréciation de l'incidence effective des financements. Cependant, la DREE s'apprête à mettre en place un dispositif de suivi et d'évaluation de leur impact qui sera fondé sur une enquête et une mise à jour périodique par la direction et les postes d'expansion économique qui portera sur les déroulement des prestations financées par le FASEP et la satisfaction des bénéficiaires locaux, les suites données par ces derniers aux études, le positionnement des entreprises françaises sur les projets initiés suite aux études financées par le FASEP. L'efficacité d'une évaluation repose en effet essentiellement sur le suivi régulier de l'aide.

    c) L'aménagement du territoire

Le poids financier de la Prime d'aménagement du territoire (PAT) et le fait qu'elle bénéficie prioritairement aux groupes, comme nous l'avons montré, justifient l'intérêt que la commission d'enquête lui a porté.

Les articles 13 à 16 du décret du 6 février 1995 relatif à la PAT fixent les conditions du contrôle du respect des engagements pris par l'entreprise bénéficiaire :

- l'article 13 subordonne le versement de la prime à la régularité de l'entreprise au regard de ses obligations fiscales et sociales ;

- l'article 14 précise que le premier versement correspond au tiers du montant, chaque versement complémentaire étant « calculé en fonction des emplois créés et des investissements réalisés au moment du versement, déduction faite des précédents versements » ;

- l'article 15 fixe des délais : trois ans pour réaliser les investissements et créer les emplois prévus, éventuellement prolongés de deux ans « en cas de retards imprévisibles et indépendants de la volonté de l'entreprise », les emplois primés doivent être maintenus pendant une période de deux ans suivant la réalisation du programme ;

- l'article 15 prévoit enfin contrôle et sanctions : « Le contrôle de l'exécution des conditions prévues pour l'octroi de la prime est exercé dans les cinq ans suivant le début du programme primé par les services de l'État. L'inobservation de ces conditions entraîne l'annulation ou la réduction de la prime ».

Le dispositif semble donc à même d'éviter les abus grâce au paiement échelonné et au maintien des emplois pendant un délai minimal. Encore faut-il que le contrôle soit réellement exercé, et les sanctions prévues effectivement prises.

Cela ne fait aucun doute selon le délégué général à l'aménagement du territoire, M. Jean-Louis Guigou, auditionné par la commission d'enquête. Il affirme en effet nettement : « Nous verrouillons tout et nous contrôlons tout grâce à l'outil qui est à notre disposition et je n'ai nullement connaissance de turpitudes ou de dysfonctionnements. L'outil que nous avons est un bon outil ». Outre le caractère graduel du versement et l'exigence du maintien de l'emploi pendant deux années au-delà des trois premières, il souligne le fait que les transferts d'emplois entre zones ne peuvent être primés (il affirme qu'il est vérifié « que ce sont bien des emplois nets qui sont créés ») et que seuls les emplois se traduisant par des contrats à durée indéterminé sont pris en compte.

Conscient des objections qui peuvent lui être faites à propos de la disparition de toute garantie de maintien des emplois au-delà de cinq ans, il revient sur les exemples de JVC et Panasonic : «(ils) sont partis de Longwy après y être restés - j'ai contrôlé les dates - pendant huit ans : en huit ans, nous considérons que les richesses créées, les impôts locaux, les taxes professionnelles et les emplois nous ont largement dédommagés des primes versées. Mais on peut comprendre, et on peut admettre en toute logique que la sixième année on nous fasse des infidélités ». Ces deux groupes ont effectivement respecté la loi et rempli les obligations qu'ils avaient acceptées. M. Guigou ne semble pas favorable à un renforcement des exigences pesant sur les entreprises dans ce cadre.

Confiante dans le dispositif de contrôle qui lui avait été décrit, la commission d'enquête a demandé à la DATAR de lui fournir des informations sur les entreprises bénéficiaires de la PAT en 1988, 1993 et 1998 afin d'analyser leur évolution et de mesurer l'impact de la prime en termes d'emplois et d'aménagement du territoire. Or l'obtention de ces informations s'est avérée impossible, non à cause d'une quelconque confidentialité, qui n'aurait de toute façon pas été valablement opposable, mais du fait de l'archaïsme de la tenue de ces données, apparemment informatisées depuis peu. Il est pourtant permis de douter de la qualité d'un suivi qui suppose le maniement régulier de dossiers concernant plusieurs centaines d'entreprises. Tout en nous assurant de la réalité des contrôles dossier par dossier, le Délégué général de la DATAR a ainsi reconnu dans une lettre adressée à votre Rapporteur, datée du 25 mars 1999, que « aucun bilan global ne donc être dressé ».

3. - Un contrôle peu efficace et inadéquat

    a) Des difficultés d'appréhension dues à la déconcentration des crédits et au croisement des financements

    - L'essentiel des attributions d'aides s'effectue au niveau déconcentré

Selon les ministères, ce sont les services régionaux ou départementaux qui sont chargés de traiter les demandes et de gérer les attributions d'aides.

Le principal contrôle est exercé par les comptables publics et présente les trois dimensions que M. Pierre-Louis Mariel, chef du service des études et de la coordination à la direction de la comptabilité publique, a décrites à la commission d'enquête :

- La première est en amont de l'attribution d'aide : les comptables publics ont, notamment au niveau régional, une mission de conseil économique et financier à l'égard du préfet, dans le cadre de la Commission régionale des aides de l'État, la CRA. Ils analysent la situation de l'entreprise et son adéquation avec l'aide et l'objectif poursuivi.

- La décision est ensuite soumise au contrôleur financier en région qui procède au contrôle budgétaire et apprécie la conformité de l'aide au corpus réglementaire.

- Enfin, le trésorier-payeur général, en tant que comptable, procède au contrôle classique de régularité par rapport aux pièces justificatives.

Ces contrôles permettent à la direction de la comptabilité publique de suivre le paiement de toutes les aides publiques accordées directement par l'État, par les collectivités publiques et même par l'Europe, les fonds communautaires étant rattachés, par le système des fonds de concours, à des crédits budgétaires, à l'exception des aides versées par l'ANVAR, l'ADEME et le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA), ces organismes recevant des enveloppes globales.

    - Les aides accordées dans le cadre des contrats de plan État-régions posent des problèmes de contrôle spécifiques

Une partie des aides aux entreprises n'est pas attribuée directement par les différents ministères mais dans le cadre des contrats de plan État-régions. Elles sont alors l'objet de cofinancements entre l'État, les collectivités locales et les fonds structurels européens. Sont actuellement en cours d'exécution les contrats de plan dits de la troisième génération, portant sur la période 1994-1999, à la suite de leur prolongation d'un an en 1996. Leur montant global est de 220 milliards de francs : 77,3 milliards provenant de l'État, 71,1 des régions, le reste émanant des autres collectivités locales et de l'Europe.

Un grand nombre de ministères est impliqué, parmi lesquels les ministères de l'Equipement et de l'Enseignement supérieur occupent une place prépondérante. Nombreux sont les dispositifs qui sont mis en place dans les contrats de plan : les actions de développement industriel régional et les aides à l'artisanat, relevant du ministère de l'Économie et des Finances, les aides au secteur du BTP accordées par le ministère de l'Equipement, les conventions de recherche pour les techniciens supérieurs (CORTECHS) du ministère de la Recherche.

Le fonctionnement des contrats de plan est le résultat des mouvements conjoints de décentralisation et de déconcentration. D'une part la participation des régions est indispensable, d'autre part c'est à l'échelon déconcentré de l'État qu'a été confiée la responsabilité de la définition de la stratégie de l'État dans la région. Informée par les préfets de la ventilation des fonds entre ministères qu'ils déterminent, la DATAR ne peut la modifier qu'à la marge. Le suivi qu'elle doit assurer en est aussi rendu délicat, comme le souligne M. Jacques Chérèque dans son rapport au gouvernement de mai 1998 consacré à la préparation de la nouvelle génération de contrats de plan et intitulé Plus de région et mieux d'État.

Il constate ainsi : « Comme toute dépense publique, les contrats État-régions font l'objet d'un suivi. Toutefois leur amplitude rend celui-ci difficile. Les données ne sont donc disponibles que selon un calendrier annuel très contraint et selon des modalités qui ne répondent pas à toutes les attentes ». La DATAR suit chaque année les délégations de crédit par ministère, qui sont souvent victimes de gels et d'annulations. Mais le parti pris de contrats complets encourageant une vision globale de l'aménagement du territoire régional conduit à des imputations budgétaires sur de nombreuses lignes, multipliant le nombre des administrations gestionnaires jusqu'à atteindre une cinquantaine. Ce suivi est donc très lourd et rendu difficile par le fait que les enveloppes sont pluriannuelles, contrairement aux phases d'exécution de la dépense publique. Le même problème se pose en ce qui concerne les fonds structurels communautaires dont les programmes s'étalent sur six ans.

Au stade de l'engagement des crédits, les préfets de région doivent présenter un bilan trimestriel. Cette tâche apparaît à Jacques Chérèque « vraisemblablement trop lourde pour les moyens techniques et humains dont disposent les secrétariats généraux des affaires régionales (SGAR) au sein des préfecture de région ». Il constate que « les agents ne disposent plus d'aucun temps pour l'analyse et la mise en perspective des dépenses qui permettraient de progresser dans la qualité de l'allocation des ressources d'un contrat à l'autre ».

Le mandatement, c'est-à-dire le paiement effectif, figure également dans les bilans de certains préfets mais « la diffusion de plusieurs indicateurs en même temps (délégations, engagements, mandatements) ne va pas sans poser des problèmes ». De plus « sous des expressions opaques ou utilisées à mauvais escient, telles que « exécution des contrats », des chiffres différents faisant référence à des stades différents, sont cités par les uns et les autres et une certaine incompréhension peut en résulter ». Si le suivi est donc loin d'être parfait, le système d'évaluation n'est pas non plus à la hauteur des enjeux.

Le Commissariat général du plan avait estimé nécessaire l'affectation d'une partie de l'enveloppe du contrat État-régions à l'évaluation de certaines des actions menées dans son cadre. Aujourd'hui un montant de 6/10 000 de la part financée par l'État y est consacré. Il est inscrit sur le budget du Commissariat général du plan qui le délègue à travers les préfets aux instances régionales d'évaluation qui ont été mises en place. Une instance nationale a également été créée : elle s'est réunie une quinzaine de fois et a examiné une centaine de dossiers. Il est intéressant de noter que la plupart concerne la politique de la ville, les aides au développement économique et les procédures de recherche et de transfert de technologie, c'est-à-dire les domaines où sont accordées des aides aux entreprises.

M. Chérèque regrette néanmoins que les instances régionales n'échangent pas le résultat de leurs travaux d'évaluation, et suggère leur mise en réseau ; il déplore aussi que certains crédit d'évaluation soient entièrement épuisés bien avant l'achèvement des contrats. Il propose une solution contre le caractère éclaté des données : « L'année 1999 pourrait être mise à profit pour élaborer, avec l'appui de l'INSEE, un modèle de tableau de bord régional, composé d'indicateurs permettant de suivre les effets des actions qui seront mises en _uvre dans les contrats État-régions ».

    b) L'absence de prise en compte de la réalité des groupes en tant que tels

Interrogés sur la part des aides revenant à des groupes, les différents ministères et organes donnateurs se sont dans leur grande majorité déclarés incapables de répondre. Nous avons vu que la DATAR disposait d'informations les concernant pour ce qui est de la PAT : cette prise en compte ne date que de 1997 de l'aveu même de M. Jean-Marc Le Parco, secrétaire général du CIALA, et elle s'explique par le fait que les groupes constituent le public privilégié de ce dispositif. Ce souci ne se retrouve pas dans les autres cas.

Il faut reconnaître que le flou dans la définition de la notion de groupe ne facilite pas la distinction : il existe pourtant aussi pour celle de PME qui n'en est pas moins très fréquemment utilisée. Il suffit, à la limite, que chacun précise la définition qu'il retient : les différences ne facilitent pas les comparaisons, mais les chiffres obtenus sont néanmoins intéressants.

Au delà de cette difficulté « technique », les administrations justifient le refus d'utiliser cette notion par son caractère inutile. La plupart s'intéresse seulement aux « entreprises », distinguées par leur seule taille ; certaines, comme les administrations du travail, raisonnent au niveau encore plus restreint de l'établissement. L'appartenance d'une entreprise à un groupe n'est donc pas prise en compte, ce qui apparaît pourtant très gênant pour l'octroi des aides publiques. En effet, si la situation d'un établissement, ou d'une entreprise, pris isolément, peut justifier une aide, le fait que l'un ou l'autre fasse partie d'un groupe, et donc puisse compter sur ses apports financiers, est à même de changer considérablement la réalité de sa situation et donc les données du problème.

Or, si les administrations ne sont pas capables de donner des informations chiffrées relatives aux groupes, c'est qu'elles n'ont pas conscience du fait que tel bénéficiaire d'aide appartient à l'un d'entre eux. Cette difficulté a des conséquences aussi dans l'octroi d'aides spécifiquement destinées aux PME dans la mesure où la définition communautaire des PME est retenue : elle mentionne en effet un critère d'indépendance, qui ne saurait être satisfait par une filiale de groupe. En principe, une entreprise recevant de telles aides et qui perd son indépendance doit immédiatement être exclue des bénéficiaires. M. Pierre-Louis Mariel, chef du service des études et de la coordination à la direction de la comptabilité publique, a affirmé à la commission d'enquête qu'il en était ainsi. Le principal contrôle de l'indépendance est effectué au moment de l'attribution de l'aide, lorsque l'entreprise constitue son dossier : « Dans les dossiers qu'elles doivent compléter, les entreprises doivent fournir des éléments sur la composition de leur capital. Il est ensuite procédé à une analyse par nos services ».

Mais ces services sont tributaires du caractère limité des informations dont ils disposent. M. Thierry Lamour, rédacteur au service de l'action économique de la direction générale de la comptabilité publique, souligne le fait que les aides étant accordées par les services déconcentrés des ministères, c'est à eux que revient principalement la tâche de s'assurer au départ que les conditions d'éligibilité sont effectivement remplies. Si le comptable public ne peut apporter la preuve du contraire, il est totalement impuissant : « Si nous n'avons pas d'éléments permettant de dire avec certitude qu'une entreprise n'appartient pas à un groupe ou ne remplit pas les conditions requises, on le fera figurer dans l'avis mais, en tout état de cause, nous ne pourrons pas en préjuger ». Si les entreprises doivent indiquer la répartition de leur capital, le comptable public ne dispose pas d'informations relatives à tout le périmètre du groupe.

Ce dernier est en effet particulièrement délicat à cerner, comme M. Mariel l'a confirmé : « La difficulté réside dans la composition éclatée des groupes avec des prises de participation multiples au travers d'entreprises de taille moyenne. En pareil cas, nous ne sommes pas capables de reconstituer la géographie du groupe. Aucun service de l'État ne peut le faire. Du moins, j'en doute ». Les changements rapides et fréquents de périmètre contribuent à cette relative opacité. Les doutes de M. Mariel quant aux capacités des services de l'État n'ont pas été infirmé par les travaux de la commission d'enquête. En revanche, la Banque de France, qui n'est certes pas un service de l'État, possède les informations nécessaires dans le fichier des entreprises nationales. Les groupes internationaux n'y sont pas recensés, mais le périmètre des groupes français y figure. Ces données pourraient être utilisées par l'administration, si elles n'étaient pas confidentielles, et si elles ne risquaient pas d'entraîner une différence de traitement entre entreprises nationales et entreprises non nationales, les premières pouvant être victimes d'un excès de rigueur.

Le souci du respect du critère d'indépendance dans le cadre de l'octroi de certaines aides n'en est pas moins présent dans quelques administrations : le ministère de la Recherche et l'ANVAR le mentionne. L'essentiel du contrôle a lieu au moment de l'octroi de l'aide : des informations sont demandées à l'entreprise et des vérifications sont effectuées en cas de doute, toujours auprès de l'entreprise. M. Coulomd, du ministère de la Recherche, a précisé au cours de son audition que « un contrôle se fait sur pièce, au fil du temps, et des rapports intérimaires et à l'issu de la convention sont prévus avec les entreprises », mais il reconnaît que la découverte de l'appartenance d'une entreprise bénéficiaire à un groupe ne se traduirait pas nécessairement par des sanctions, l'administration se prononçant « au cas par cas ».

Il apparaît ainsi que seule la direction à l'action régionale et aux petites et moyennes entreprises (DARPMI), particulièrement vigilante sur ces questions, met en oeuvre de réels moyens pour distinguer une PME d'une filiale de groupe. Elle est en effet la seule à utiliser les informations dont dispose la Banque de France. Les aides qu'elles gèrent sont accordées après l'examen des dossiers par les comités régionaux des aides composés de plusieurs membres « parmi lesquels siègent le trésorier-payeur général et un représentant de la banque de France, lesquels sont particulièrement bien dotés de moyens pour savoir si une entreprise est bel et bien contrôlée par un groupe ». Le directeur de la DARPMI précise que ses inspections n'ont révélé des problèmes d'indépendance que dans l'île de la Réunion. L'utilisation conjuguée des différents instruments disponibles semble donc à même de permettre de repérer les filiales de groupe : on peut s'étonner qu'une seule administration y ait recours.

Plus ou moins adaptés, des instruments de contrôle existent donc au niveau national. S'ils peuvent être améliorés, ils doivent surtout être plus systématiquement utilisés. M. Alain Pichon, président de la chambre régionale des Comptes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, a déploré devant la Commission le manque de collaboration entre instruments nationaux et collectivités locales : « Les collectivités locales sont elles-mêmes dénuées d'informations, où n'ont pas forcément le réflexe d'aller les chercher là où elles se trouvent. (...) Et pourtant la Centrale des bilans de la Banque de France, les trésoreries générales, les préfectures, les greffes des tribunaux de commerce disposent de ces renseignements. Ces organismes sont parfois sollicités, mais pas toujours. Le sont-ils qu'ils ne donnent pas systématiquement les informations ». Cette faible collaboration est d'autant plus regrettable que le système de contrôle dont disposent les collectivités locales s'avère peu rigoureux.

b. - des collectivités locales qui font preuve de négligence

1. - Des chambres régionales des comptes dotées de pouvoirs de contrôle relativement étendus

    a) La création des chambres régionales des comptes est une réponse à l'extension des compétences des collectivités locales, notamment dans le domaine économique

    Les lois de décentralisation accordent une plus grande autonomie financière aux collectivités locales, ce qui est le corollaire du principe de libre administration. Cela rend indispensable un contrôle financier qui ne conduise pas à une réintroduction de la tutelle qui a été supprimée. L'institution des chambres régionales des comptes par les articles 84 à 89 de la loi du 2 mars 1982 répond à ce besoin. Leur organisation et le statut de leurs membres ont été définis par les deux lois du 10 juillet 1982, leur fonctionnement a été réglé par le décret du 22 mars 1983 et par celui du 23 août 1995.

    La Cour des comptes était auparavant seule compétente pour statuer sur les comptes de départements et partageait sa compétence avec les conseils de préfecture, puis avec les comptables supérieurs du Trésor, pour statuer sur les comptes des communes et des établissements publics locaux. Désormais, les chambres régionales des comptes sont seules compétentes pour connaître des comptes et de la gestion financière de toutes les collectivités locales et des établissements publics locaux (code des juridictions financières, articles L. 211-1, 211-3, 211-7 et 211-8). Cette compétence s'étend aux établissements publics dont la comptabilité est réglementairement assimilée à celle des communes, notamment aux associations syndicales autorisées. Les chambres régionales des comptes peuvent aussi connaître des comptes et de la gestion financière des organismes, qu'ils soient publics ou privés, auxquels les collectivités ou établissements publics locaux apportent un concours financier supérieur à 10 000 francs, ou dont les collectivités ou établissements possèdent, séparément ou conjointement, la majorité du capital, ou dans les organes délibérants desquels ils ont la majorité des voix, ou sur lesquels ils exercent en fait un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion (article L. 211-4), ainsi que les filiales majoritaires de ces organismes (article L. 211-5) et des organismes qui bénéficient de concours financiers des précédents (article L. 211-6).

    Si les compétences des chambres régionales sur les comptes de l'ensemble de ces organes sont de quatre ordres (contrôle budgétaire, attributions consultatives, fonctions juridictionnelles, contrôle de la gestion), c'est essentiellement par le biais du contrôle de la gestion que les chambres régionales des comptes peuvent surveiller les interventions économiques des collectivités locales : ce contrôle nous intéresse donc au premier chef.

    Les conditions juridiques des interventions économiques des collectivités locales ont été modifiées par la décentralisation. Avant elle, le traité de Rome du 25 mars 1957 avait posé dans ses articles 92 à 94 le principe de la neutralité d'action des États membres de la Communauté et des collectivités la composant. Comme nous l'avons vu, tout ce qui était susceptible d'affecter le libre jeu de la concurrence des entreprises dans les échanges entre ces États était prohibé, certaines dérogations étant néanmoins prévues par le traité.

    Les lois des 7 janvier et 2 mars 1982 ont, en France, défini un nouveau régime juridique d'intervention des collectivités territoriales. Il s'inscrit dans le cadre des principes généraux du droit, dont la jurisprudence doit assurer la sauvegarde : respect du principe de la liberté du commerce et de l'industrie et de l'égalité des entreprises devant la loi. L'État reste seul compétent pour définir et arbitrer les objectifs de la politique économique et sociale de la Nation et, en particulier, de l'aménagement du territoire. Dans ce cadre, les collectivités territoriales, et en premier lieu les régions, disposent d'un pouvoir d'intervention, désormais consacré par la loi, non négligeable.

Nous nous contenterons ici d'indiquer les grandes lignes de ces interventions, qui ont été détaillées dans la présentation des aides publiques par objectif : leur organisation repose sur la distinction entre aides directes et indirectes.

Les aides qualifiées de directes sont limitativement énumérées dans la loi du 7 janvier 1982 (art . L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales) : primes régionales à l'emploi, primes régionales à la création d'entreprises, prêts, avances et bonification d'intérêt accordés à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. Elles sont attribuées par la région dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'État qui détermine les règles de plafond et de zone « indispensables à la mise en _uvre de la politique nationale d'aménagement du territoire ». Le même article dispose que « ces différentes formes d'aides directes peuvent être complétées par le département, les communes ou leurs groupements, lorsque l'intervention de la région n'atteint pas le plafond fixé par le décret ». Les niveaux de collectivité inférieurs ne peuvent donc intervenir dans ce cadre que de manière subsidiaire, et seulement si les aides régionales existent et sont en-deça du plafond.

Les aides « indirectes » peuvent, pour leur part, être accordées par les différentes collectivités territoriales sans que la région ne joue un rôle prééminent. Modifié par l'article 21 de la loi du 12 avril 1996, l'article L.1511-3 du code général des collectivités territoriales dispose que « les aides indirectes peuvent être attribuées par les collectivités territoriales ou leurs groupements, seuls ou conjointement ». Seules les aides à l'immobilier d'entreprise et les garanties d'emprunt sont réglementées de manière spécifique : en ce qui concerne les reventes ou locations de bâtiments, un rabais, limité, ne peut être consenti que dans les zones éligibles à la prime à l'aménagement du territoire. Les autres aides indirectes, comme celles portant sur les terrains, sont libres.

La distinction entre aides directes et aides indirectes est jugée peu pertinente et peu opératoire : le flou qu'elle introduit contribue à rendre très difficile l'évaluation précise du montant des aides versées aux collectivités locales. Mme Martine Laquièze, de la direction générale des collectivités locales, souligne « l'imperfection du recensement des aides puisqu'il n'existe pas de nomenclature des interventions économiques et qu'en conséquence la qualification des aides recensées varie en fonction de l'appréciation de chaque comptable ».

Deux formes d'aides ont fait l'objet de dispositions législatives spécifiques : les garanties d'emprunt et les prises de participation. Les garanties d'emprunt sont régies par les articles L.2252-1 à L.2252-4 du code général des collectivités territoriales, également modifiés en partie par la loi du 12 avril 1996. Est ainsi prévue la définition de ratios prudentiels ayant pour objet de limiter le risque encouru par la collectivité. Les articles 2253-1 à 2253-7 traitent des prises de participation dans le capital de sociétés commerciales, qui, sauf cas particuliers limitativement énumérés, nécessitent une autorisation par décret en Conseil d'État. Enfin, la loi a, dans certains cas, prévu l'intervention des collectivités locales, non plus au profit du développement et de l'emploi, mais de la « protection des intérêts économiques et sociaux des populations », s'agissant d'entreprises en difficultés ou de zones rurales dans lesquelles l'initiative privée est insuffisante ou absente.

Les exonérations de fiscalité locale bénéficiant aux entreprises qui s'implantent ou se développent sur un territoire constituent un dernier aspect des politiques économiques locales. Aux termes des articles 1465 et 1466 du code général des impôts, « dans les zones définies par l'autorité compétente où l'aménagement du territoire le rend utile », les collectivités ont la faculté d'accorder une exonération, partielle ou totale, de la taxe professionnelle aux entreprises qui procèdent sur leur territoire soit à des décentralisations, extensions ou créations d'activités de différentes natures, soit à une reconversion d'activité, soit à la reprise d'établissements en difficultés.

Les collectivités territoriales disposent ainsi d'une série d'instruments, plus ou moins strictement encadrés, qui leur permettre d'accorder des aides d'un montant global élevé : le rapport de la Cour des comptes de 1996, consacré aux interventions des collectivités territoriales en faveur des entreprises, cite les données nationales du recensement effectué par la direction de la comptabilité publique selon lesquelles l'ensemble des aides accordées par les collectivités locales se seraient élevées à 13,3 milliards de francs en 1992 et à 15 milliards en 1993. Ce même recensement, dont les résultats sont publiés dans Les notes bleues de Bercy n°145, indique que le montant était de 14,37 milliards en 1994, de 13,76 milliards en 1995 et de 13,84 milliards en 1996, ce chiffre, étant, de l'aveu de la direction de la comptabilité publique, le dernier disponible. L'importance de ces montants rend absolument nécessaires des contrôles rigoureux, dont le déroulement apparaît incertain dans les faits.

    b) Mais elles utilisent peu les pouvoirs dont elles disposent pour contrôler le bon usage des fonds publics locaux par les entreprises

    L'attribution d'aides par les collectivités locales n'est pas contrôlée exclusivement par les juridictions financières : résultant de décisions des assemblées des collectivités, elle est soumise, à ce titre, au contrôle de légalité que les lois de décentralisation des 2 mars et 22 juillet 1982 confient au préfet. En particulier, elles sont susceptibles de faire l'objet d'un déféré préfectoral, même si cette pratique est très rare dans les faits : entre 1983 et 1987, 0,04 % des déférés ont porté sur cette matière, pourcentage qui aurait plutôt baissé depuis cette date. Toutefois, échappent au déféré préfectoral les décisions de conclure un contrat de droit privé tel qu'une convention de garanties ou de cautionnement (Conseil d'État, 29 décembre 1995, SA « Natio Energie »). Les décisions des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière d'aides aux entreprises peuvent également faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

    Le rapport de la Cour des comptes de novembre 1996 met néanmoins en avant le caractère malaisé de l'exercice de ce contrôle de légalité. Il y voit plusieurs raisons, pratiques et de fond. La première tient à « l'abondance des questions juridiques non clairement résolues » et au fait que les aides sont parfois versées à partir d'un fonds global ou par l'intermédiaire de tiers, leur répartition échappant donc à une délibération des assemblées. La deuxième cause avancée est liée au grand nombre de décisions à analyser, décisions qui peuvent émaner, pour une même opération ou plusieurs opérations liées entre elles, de plusieurs collectivités et de niveaux différents. Mais l'accent est surtout mis sur une raison de fond qui tient au contexte particulier dans lequel s'exerce le contrôle de légalité : les autorités préfectorales, en charge du contrôle, doivent en effet prioritairement apporter leur concours au développement économique local et à la lutte contre le chômage.

    Le domaine des interventions économiques illustre clairement la dualité du rôle du représentant de l'État dans la région ou le département. Comme la Cour le souligne, « celui-ci est appelé à participer activement à la sauvegarde ou au développement de l'emploi, alors que les moyens propres dont il dispose sont limités, et qu'il est dès lors conduit à s'appuyer sur ceux des collectivités territoriales. Il lui est dès lors difficile d'exercer en toute neutralité son contrôle de légalité en cette matière, d'autant que cette légalité s'apprécie au regard de principes d'équilibre nationaux et européens, alors que le préfet, autorité déconcentrée de l'État, est d'abord attentif au développement du territoire départemental ou régional sur lequel il exerce sa responsabilité ». Le préfet est ainsi amené à faire preuve de pragmatisme et de peu de rigueur pour le contrôle d'aides qui, quoique irrégulières, ont pour objectif le développement économique et l'emploi. Cela explique en grande partie comment, de l'aveu de Mme Martine Laquièze, le taux des aides illégales accordées par les collectivités locales peut actuellement atteindre 77 %.

    Si les sous-préfets, préfets et préfets de région exercent une partie du contrôle financier, dans la mesure où le budget des collectivités locales constitue une délibération de leur assemblée transmise obligatoirement au représentant de l'État, les chambres régionales des comptes ont été créées spécialement pour exercer ce contrôle financier. C'est essentiellement par le contrôle de la gestion qu'elles ont la possibilité de suivre les aides aux entreprises. Elles peuvent le faire par le contrôle de la gestion des collectivités locales, à la source donc, ou par le contrôle des organismes non soumis aux règles de la comptabilité publique, parmi lesquels figurent les entreprises ayant bénéficié de plus de 10 000 francs d'aide des collectivités locales en une année.

    La gestion des collectivités locales est contrôlée sur le fondement de leurs comptes, transmis aux préfets dans la quinzaine suivant leur approbation par le conseil élu. La loi du 5 janvier 1988 fonde le contrôle des chambres régionales, saisies par le préfet, sur la vérification des comptes à « l'emploi régulier des crédits, fonds ou valeur » (art. L.211-3 du Code des juridictions financières).

    Le contrôle de l'usage que les entreprises bénéficiaires font des aides reçues est assuré dans le cadre du régime de contrôle des organismes non soumis aux règles de la comptabilité publique, parmi lesquelles figurent certaines entreprises ayant bénéficié d'aides. En effet, l'article L.211-4, modifié par la loi du 12 avril 1996, dispose que : « La chambre régionale des comptes peut assurer la vérification des comptes des établissements, sociétés, groupements et organismes, quel que soit leur statut juridique, auxquels les collectivités territoriales ou leurs établissements publics apportent un concours financier supérieur à 10 000 francs ou dans lesquels ils détiennent, séparément ou ensemble, plus de la moitié du capital ou des voix dans les organes délibérants, ou exercent un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion ».

    Cette disposition ne concerne donc ni toutes les entreprises recevant des aides, ni les seules entreprises. Le seuil de 10 000 francs exclut du contrôle la myriade de petites entreprises qui sont aidées pour des sommes modiques : on peut le regretter, dans la mesure où ces aides ajoutées les unes aux autres peuvent atteindre au total des montants importants, mais le contrôle de leur usage serait dans la pratique difficile à mener ; là ne réside pas la plus grave lacune du système législatif même si on peut s'étonner que le contrôle prévu soit le même quel que soit, au delà de ce minimum, le montant des aides perçues. La définition large qui est donnée des organismes susceptibles d'être contrôlés dans ce cadre va bien au-delà des seules entreprises, le mot n'apparaissant pas dans le texte : ces dernières ne sont donc pas l'objet d'un traitement spécifique. La référence à la part de capital détenu par la collectivité locale renvoie au régime de la prise de participation, qui ne prévoit pas d'autre contrôle.

    Le contrôle des chambres régionales des comptes sur les organismes non soumis aux règles de la comptabilité publique s'exerce sur décision du président, prise après avis du commissaire du gouvernement, qui est notifiée aux représentants légaux de ces organismes (art. L. 211-8 du code des juridictions financières ; décret du 23 août 1995, art.121, 2e alinéa) ; cette décision fait connaître les exercices sur lesquels portera le contrôle et le rapporteur qui en est chargé. Le contrôle porte simultanément sur les comptes et sur la gestion. Lorsque l'organisme est bénéficiaire de subventions qui ne dépassent pas la moitié de ses ressources, le contrôle est limité aux opérations comprises dans le compte d'emploi de cette subvention ; si ce compte ne peut être présenté, ou si la subvention excède la moitié des ressources de l'organisme bénéficiaire, le contrôle porte sur toute la gestion de celui-ci (décret du 23 août 1995, art. 122).

    Le problème se pose désormais moins au niveau de la publicité faite autour des observations de la chambre, que sur la question de sa saisine : c'est son président qui enclenche le contrôle, après avis du préfet. Ce dernier ne peut donc être directement à l'origine de la saisine, même s'il a tout loisir d'informer le président de soupçons relatifs à l'usage de certaines aides par tel ou tel organisme : nous avons évoqué les réticences des préfets face au contrôle de légalité des interventions économiques des collectivités locales, il est peu probable qu'ils se montrent nettement plus exigeants pour ce qui est d'un contrôle de gestion dont ils ne sont de toute façon pas directement chargé. De plus, le président de la chambre n'est jamais obligé de demander un contrôle, tandis que les textes n'imposent aucune fréquence de contrôle minimale : des entreprises peuvent donc recevoir des aides, éventuellement élevées, de collectivités locales, pendant des années, sans être jamais soumises au contrôle des chambres régionales des comptes.

    La mise en _uvre de ce contrôle semble suffisamment rare pour que M. Alain Pichon, président de la chambre régionale des comptes de provence-Alpes-Côte d'Azur, ne pense pas à l'évoquer : « lorsque les chambres régionales interviennent, elles le font pour s'exprimer sur la qualité de la gestion des collectivités locales et non sur le comportement des groupes et, si les bénéficiaires d'aides publiques, directes ou indirectes, peuvent être parfois critiqués, ceux-ci ne sont pas l'objet même de nos observations ».

    Il mentionne ainsi le contrôle des chambres sur les comptes des collectivités locales, mais nullement les pouvoirs qu'elles détiennent pour suivre l'usage fait par les entreprises des aides publiques.

2. - Les résultats des observations des chambres régionales des comptes

A la demande de la commission d'enquête, les chambres régionales des comptes lui ont adressé un certain nombre des observations portant sur les aides publiques. Elles ont été faites dans le cadre du contrôle du budget des collectivités locales qui les ont accordées, et non à la suite de l'étude des comptes d'emploi des entreprises.

    a) Des aides dont la licéité est douteuse

Les exemples fournis par les observations des chambres régionales des comptes ne manquent pas mais nous évoquerons seulement quelques cas révélateurs.

Le département de la Seine-Maritime a versé, de 1990 à 1992, au total 45 millions de francs de subventions au profit de la société Exxon Chemical-Polymères S. N. C. , filiale d'Exxon Chemical-France, pour l'implantation de deux unités nouvelles de production de polypropylène et de polyéthylène sur le site de Port-Jérôme, par l'intermédiaire du syndicat mixte pour le développement industriel de Port-Jérôme.

Cette opération s'intègre dans un projet plus vaste d'un coût total de 2,5 milliards de francs comprenant une unité de production de polyéthylène de 220 000 tonnes/an, une unité de production de polypropylène de 140 000 tonnes/an et l'extension du vapocraqueur déjà existant (production d'éthylène : 400 000 tonnes/an), avec la perspective de voir 250 emplois se créer en 2 ans.

L'opération a d'ailleurs en outre bénéficié d'une aide de la DATAR de 100 millions de francs ainsi que du Fonds national de l'emploi de 10 millions de francs. L'intérêt de l'investissement semble difficilement contestable, d'autant qu'il dépasse probablement très largement le cadre de la Seine-Maritime. La chambre régionale des comptes de Haute-Normandie constate néanmoins, dans sa lettre d'observations de gestion du 30 avril 1996, que l'aide publique a représenté 35  % de l'investissement, soit sensiblement plus que les 25  % légaux.

    b) Des aides bénéficiant parfois à des entreprises florissantes

Toute la philosophie des interventions économiques des collectivités locales, selon le v_u du législateur, consiste à soutenir les petites et moyennes entreprises innovantes et ne s'intéresse aux grandes que de façon marginale. Pourtant, on relève que des entreprises appartenant à des groupes de taille nationale ou internationale, aux résultats florissants, reçoivent l'aide des collectivités.

A cet égard, l'exemple d'une filière française d'un groupe américain installé dans les Ardennes apparaît particulièrement probant1.

Selon la fiche établie par les services de la région, il s'agit de l'extension à Donchery (Ardennes), d'une entreprise de composants automobiles, atteignant 64,3 millions de francs d'investissements et entraînant la création de 136 emplois supplémentaires sur un effectif atteignant déjà 494 salariés.

Le conseil régional attribue donc à la chambre de commerce et d'industrie de Sedan, constructeur des nouveaux locaux dont la société va bénéficier, une avance remboursable sans intérêts d'une durée de huit ans et s'élevant à 3,6 millions de francs (convention du 25 janvier 1993). Le projet d'extension de l'usine a été présenté aux décideurs locaux comme devant se réaliser, soit dans les Ardennes, soit en Espagne : d'après les responsables du projet, il importait donc que les collectivités publiques s'engagent financièrement pour retenir l'établissement en France.

Mais une note insérée dans le dossier produit par les services de la région lors du contrôle par la chambre régionale des comptes, précise que si la direction américaine de l'entreprise en cause envisageait le transfert du site outre-Pyrénées, la direction française tenait en revanche fermement à ce que l'opération se réalise dans les Ardennes et présentait sur ce sujet des arguments de logique économique et industrielle convaincants.

Il semble donc que l'éventualité d'une délocalisation ait davantage relevé d'une démarche destinée à réclamer un peu plus d'aides publiques que d'une menace sérieuse.

Au-delà de ce problème, on peut se demander pourquoi un groupe international de cette taille bénéficie d'un financement public. La même remarque vaut pour un autre groupe américain qui a reçu des aides importantes pour son usine de Charleville-Mézières, évaluées par les services de la Commission des Communautés européennes à 37,95 millions de francs (lettre de la Commission au ministre des affaires étrangères du 27 septembre 1991).

    c) Des engagements en matière d'emploi mal vérifiés ou inexistants

Dans le cas de la ville de Cany-Barville2, la perspective de l'embauche de cent cinquante personnes (avec une perspective de trois cents emplois à moyen terme) a incité la commune à investir massivement dans l'installation d'une unité de production de la société William-Saurin.

L'intervention de la commune s'est concrétisée par la réalisation de travaux d'adaptation et d'extension de l'atelier relais initial, souvent effectués après l'installation de l'entreprise afin de répondre précisément à ses attentes.

Les travaux d'adaptation initiaux, réalisés pour l'essentiel en 1988, ont coûté à la collectivité 4,8 millions de francs hors dépenses d'ingénierie. Dès 1988 cependant, la société demandait une intervention de la ville pour procéder à une première extension, dont le coût total réglé en 1989 et 1990 s'est élevé à 9 036 millions. Une nouvelle extension est programmée en 1990 et réalisée immédiatement, pour un montant de 7,1 millions de francs. En quatre années, les travaux réalisés sur la demande de la société et en fonction de ses besoins spécifiques se sont donc élevés au total de 23,9 millions de francs en incluant les marchés d'ingénierie et les frais connexes.

    Le financement de cette opération a été assuré, selon les indications figurant aux comptes administratifs de la commune, par des subventions du district à hauteur de 2 millions de francs, le recours à l'emprunt pour 13,8 millions de francs, l'autofinancement de la commune pour 4,4 millions de francs et le remboursement de la TVA pour 3,8 millions de francs. Cette dernière source de financement soulève d'ailleurs immédiatement le problème de sa régularité au regard des dispositions de l'article 2 du décret n° 89-645 du 6 septembre 1989 relatif au Fonds de compensation de la TVA, qui excluent expressément ce type d'immobilisation du champ d'intervention du Fonds (investissement destiné à une activité assujettie à la TVA, c'est-à-dire la location de locaux industriels).

De surcroît, la chambre régionale des comptes a constaté que l'aménagement personnalisé des locaux n'a pas constitué le stade ultime de l'intervention de la collectivité. Celle-ci a en effet accepté de prendre en charge un équipement spécifique appartenant au matériel de production de l'entreprise, puisqu'il s'agit de la fourniture et du montage d'une cabine insonorisée d'un montant de 296 000 francs. L'investissement a été entièrement autofinancé par la collectivité et ne figure pas dans le contrat signé entre les deux partenaires pour la location-vente de l'usine.

Ces efforts n'ont cependant pas été couronnés de succès puisque cinq années seulement après son installation, la société ayant décidé une refonte de ses structures de production, le site de Cany employant 135 personnes a été purement et simplement fermé.

Les conséquences de cette affaire ne se sont probablement pas limitées là : l'expansion prévue des activités de William Saurin fut en effet une des données importantes prises en compte en 1990 dans une étude technique destinée à déterminer l'importance des travaux d'extension de la station d'épuration réalisés par la ville de Cany. Cette extension était destinée à porter la capacité de la station à 30 000 équivalents habitants, l'ancienne installation calculée pour 15 000 équivalents habitants s'avérant insuffisante pour supporter l'accroissement quantitatif et qualitatif des rejets des industries agro-alimentaires. La perspective de voir les rejets de William Saurin passer de 210 à 1 000 m3/jour et atteindre ainsi plus du tiers des rejets totaux des cinq plus importantes usines concernées n'a pu que jouer un rôle considérable dans l'appréciation des besoins. Par conséquent, même si l'extension de la station devenait une nécessité, les dépenses réalisées par la collectivité dans le cadre de cet investissement qui lui a coûté 13,1 millions de francs entre 1990 et 1993, sont au moins en partie à mettre au passif de l'opération William Saurin qui a logiquement imposé une installation surdimensionnée.

    d) Des procédures de contrôle non appliquées

Dans la région Champagne-Ardennes, les conventions établies entre la région et les bénéficiaires de ses aides mentionnent expressément qu'un recensement des emplois relevant des contrats à durée indéterminée doit être annuellement effectué par le directeur départemental du travail compétent et porté à la connaissance du directeur général des services de la région. Examinant les principales opérations soutenues par le conseil régional au cours des années récentes, la chambre régionale des comptes (lettre d'observations de gestion du 10 juillet 1996) a constaté qu'aucune de ces pièces n'a pu lui être produite et que la clause relative aux effectifs n'est donc pas respectée.Les auditions auxquelles la commission a procédé ont révélé une situation inquiétante.

L'exigence de rentabilité financière immédiate et maximale conduit les groupes à restructurer, délocaliser ou externaliser leurs activités. Ces exigences sont souvent fort éloignées de toute logique industrielle durable. Les produits financiers constituent des éléments de plus en plus importants dans les résultats des groupes, avec des conséquences sur la nature et l'importance des investissements. Les effets en termes d'emploi, de qualifications et d'aménagement du territoire sont toujours dommageables, souvent dramatiques.

Les pouvoirs publics à l'échelon local, national ou européen distribuent des aides dans le cadre de dispositifs opaques, peu contrôlés et fréquemment redondants. L'effort public se trouve ainsi transformé, en pratique, en subsides implicites à ce qui peut s'apparenter à une économie de rente.

Le renforcement des moyens et la coordination des dispositifs d'information et de contrôle sont, sans doute, d'une urgente nécessité.

Mais l'enjeu véritable n'est-il pas ailleurs ? A une conception de l'entreprise qui, finalement, aurait pour premier - et seul ? - objectif de servir la rentabilité demandée par l'actionnaire, ne faut-il pas, face aux enjeux sociétaux qui sont posés, introduire la citoyenneté, la responsabilité sociale, des droits nouveaux pour les personnels et une plus grande transparence ? Au-delà de l'entreprise, n'y-a-t-il pas là un défi pour les territoires concernés et notre société elle-même ?

Ces préoccupations, présentes chez beaucoup des interlocuteurs et tous les responsables syndicaux auditionnés, inspirent les propositions d'orientation présentées par la commission.

Cliquer ici pour revenir au sommaire du tome I
Cliquer ici pour revenir au sommaire général du rapport

1

chambre régionale des comptes de Champagne-Ardennes, lettre d'observations de gestion du 10 juillet 1996.

2

Lettre d'observations définitives de la chambre régionale des comptes de Haute-Normandie du 18 juin 1996.