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TOME III (volume 2)
Crédit Agricole

Audition de la direction
Audition des syndicats

Audition de la direction

Audition de MM. Jean-Pierre LORENZI,
Directeur central chargé des ressources humaines du CREDIT AGRICOLE,

Marc CHICHERY,
Directeur général adjoint de la fédération nationale,

Jean-Paul CHIFFLET,
Directeur des relations avec les caisses régionales et

Dominique MOREAU-FERELLEC,
Secrétaire fédéral de la fédération nationale

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 avril 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Marc Chichery, Jean-Paul Chifflet, Dominique Moreau-Ferellec et Jean-Pierre Lorenzi sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Marc Chichery, Jean-Paul Chifflet, Dominique Moreau-Ferellec et Jean-Pierre Lorenzi prêtent serment.

M. Jean-Paul CHIFFLET : Après avoir présenté l'organisation du Crédit agricole et communiqué quelques chiffres, j'évoquerai les mouvements d'organisation qui se sont déroulés au cours de ces dernières années.

Je tiens d'abord à insister sur l'organisation de type mutualiste du Crédit agricole ainsi qu'à sa présence relativement soutenue sur le territoire national : avec quinze millions de clients, notre groupe comprend 5,5 millions de sociétaires, hommes ou des femmes qui, lorsqu'ils réalisent un crédit de 500 000 francs souscrivent des parts sociales pour 5 000 francs et deviennent ainsi sociétaires. A ce titre, ils participent à l'assemblée générale et à la vie du Crédit agricole. Ils élisent également les conseils d'administration des 2 773 caisses locales, réparties sur l'ensemble du territoire national et contrôlées par 36 425 administrateurs.

Les caisses régionales, au nombre de cinquante trois, soit 8 000 bureaux, répondent aux besoins des clients. Banque mutualiste de plein exercice, comme l'exprime la loi bancaire, chacune d'elles forme une entité juridique qui exerce sa propre responsabilité, même si l'organisation sociale est encadrée par une convention collective.

Chacune de ces caisses régionales est dirigée par deux personnes : le président, élu par les caisses locales, et le directeur général, désigné par le conseil d'administration de la caisse régionale en question. Au titre de la loi bancaire, ces deux dirigeants sont chargés de déterminer l'orientation et l'activité de la dite caisse régionale. Bien entendu, toutes les caisses régionales ont un conseil d'administration et des partenaires sociaux. Elles publient un bilan, et ont leur propre compte de résultats : il n'y a donc pas de centralisation au niveau national.

La caisse nationale du Crédit agricole est une société anonyme dont le capital est détenu à 90 % par les caisses régionales, et à 10 % par le personnel. Elle joue trois rôles majeurs.

D'abord, elle est caisse centrale : elle centralise les circuits financiers, elle récupère l'ensemble de la collecte effectuée par les caisses régionales, puis redistribue des avances qui permettent à ces dernières de réaliser des prêts pour l'ensemble des clients.

Ensuite, elle est organe central. A ce titre, elle assure la cohésion du réseau ainsi que son bon fonctionnement. En outre, elle bâtit des offres commerciales. Dans un souci de cohésion du réseau, elle assure, ainsi que le prévoit la loi bancaire, la solvabilité de la liquidité de l'ensemble du groupe. Lorsqu'une caisse régionale est défaillante ou rencontre des difficultés, la caisse nationale intervient pour apporter le soutien du groupe Crédit agricole.

Enfin, la caisse nationale exerce des activités propres. Ainsi, nos filiales nationales sont organisées en fonction des principales lignes de métiers des services financiers : Crédit agricole Indosuez pour l'international et les grandes clientèles ; Sofinco pour le crédit à la consommation ; Indocam, pour la gestion d'actifs ; Pacifica, pour l'assurance dommages ; Prédica, pour l'assurance vie ; Ucabail pour le crédit-bail, pour ne citer que nos principales filiales.

L'autre instance nationale du groupe est la fédération nationale du Crédit agricole qui joue le rôle de chambre professionnelle où les propositions et les réflexions sur les stratégies développées émises par les caisses régionales sont discutées et transformées en propositions pour l'ensemble du réseau.

Cette instance détient tout ce qui relève de la négociation sociale pour le compte des caisses régionales. La convention collective du Crédit agricole pour les caisses régionales est ainsi gérée par la fédération nationale.

A la fin de l'année 1998, le bilan de notre groupe s'élèvait à 2 562 milliards de francs pour un total collecté de 2 800 milliards de francs et un total de crédits de 1 368 milliards de francs.

Le produit net bancaire (PNB), quant à lui, s'élève à 83 milliards qui proviennent, à 80 %, de la banque de proximité et, à 20 %, de la banque grande clientèle. Les charges de fonctionnement - 54 milliards -, sont des charges de personnel à hauteur de 54 %. Notre niveau de provision s'élève pour l'exercice 1998, à neuf milliards de francs, et le résultat fiscal à 12 300 milliards, pour un montant de charges fiscales de huit milliards, payé au titre de l'impôt sur les sociétés, auquel il faut ajouter deux milliards de francs d'impôts locaux.

On parle souvent du « monopole » du Crédit agricole. Aujourd'hui, le seul monopole qu'il exerce est constitué par les dépôts des notaires. Il s'élèvent à vingt milliards de francs et sont rémunérés à 1 %. Ils sont consacrés au financement du fonds d'allégement des charges (FAC) qui vise à diminuer l'endettement des agriculteurs.

Le monopole des prêts bonifiés, quant à lui, a été supprimé en 1990.

J'en viens aux mouvements d'organisation de ces dernières années.

Le nombre des caisses régionales est passé, au cours de ces dix dernières années, de 94 à 53. Notre objectif est de le limiter à 45. Les rapprochements entre les différentes caisses régionales ont été effectués en prenant en compte les volets juridique, financier et informatique. Cependant, l'ensemble des dirigeants des caisses régionales a accordé une importance toute particulière au volet organisationnel et social. Aucun licenciement n'a été effectué, et dans tous les cas, nous avons préservé les sites. Nous avons privilégié les mobilités fonctionnelles, en demandant aux personnes de changer de métier, tout en conservant le même lieu de travail. Ces personnes ont dû consentir à des efforts de formation relativement importants. Par ailleurs, le Crédit agricole continue à favoriser la promotion interne, élément majeur de sa dynamique sociale.

Les systèmes d'information régionaux sont en cours d'évolution, car ils constituent un élément fort du système bancaire. De 94 systèmes d'information, nous sommes passés à 35, et nous pensons les réduire à cinq ou huit d'ici 2005, de manière à ce que notre organisation nous permette de mettre en avant une réactivité plus grande et plus forte vis-à-vis de nos clients.

Pour prendre l'exemple du groupement informatique propre Inforsud, il constitue l'une des trois première entreprises de l'Aveyron et fait travailler environ 1 000 personnes, conformément à la volonté des caisses de la région de conserver dans ce bassin d'emploi une dynamique relativement soutenue.

Enfin, comme les médias s'en sont fait l'écho, nous portons un intérêt au dossier du Crédit lyonnais : nous serons, dans les jours qui viennent, intéressés à l'ouverture de ce dossier.

M. JEAN-PIERRE LORENZI : Notre groupe comprenait, à la fin de l'année 1998, 86 100 personnes, dont la plupart - 70 680 -, travaillent dans les caisses régionales. La caisse nationale, quant à elle, comptait, fin 1998, avant l'intégration de Sofinco, 1 521 personnes.

L'essentiel des effectifs de la caisse nationale - 8 300 personnes - se trouve en France. Les autres - 7 000 personnes - travaillent surtout en Europe : 2 300 dans la zone Europe, à l'exception de la France ; plus de 1 000 en Amérique du nord ; 1 100 au Proche-Orient et dans les pays méditerranéens ; 400 dans le sous-continent Indien ; 1 962 en Asie, et une centaine en Afrique.

S'agissant de l'organisation sociale, nous ne disposons pas d'un système centralisé de gestion des ressources humaines, ce qui peut expliquer que dans la centralisation des chiffres, il n'y ait pas autant de précision que dans des secteurs bancaires plus centralisés.

Le cadre social du Crédit agricole est organisé par une convention collective, renégociée entre 1985 et 1987 à la fédération nationale du Crédit agricole. Pour l'ensemble des caisses régionales, contrairement au secteur bancaire, nous disposons d'une convention collective qui a été retravaillée avec les partenaires sociaux au cours des dernières années.

La caisse nationale dispose, quant à elle, d'une convention collective propre, négociée en 1990.

M. Marc CHICHERY : Quelques mots sur l'histoire sociale des dix dernières années. La convention collective des caisses régionales recouvre l'ensemble de ses caisses, les services centraux de titres, la fédération nationale du Crédit agricole et l'institut de formation IFCAM. Le tout représente 70 600 salariés.

Au cours des dix dernières années, nous avons conclu avec les organisations syndicales une vingtaine d'accords dont certains ont été élaborés sous l'égide des pouvoirs publics, notamment le contrat de progrès et la carte pour l'emploi. Le Crédit agricole a donc une tradition de dialogue permanent avec les organisations syndicales. En outre, tous les engagements pris par le Crédit agricole lors de l'élaboration de chartes avec les pouvoirs publics ont été tenus.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué le regroupement de vos systèmes d'information. De quelle manière envisagez-vous sa mise en place en termes d'aménagement du territoire ? La répartition retenue sera-t-elle cohérente ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : En effet, nous souhaitons regrouper nos 35 systèmes d'information en cinq à huit systèmes. Notre singularité, élément majeur de notre organisation, est la proximité. Nous entendons continuer à y rester fidèles, afin de ne pas perdre nos racines. L'organisation des systèmes d'information régionaux, que nous mettons en place, consiste à les regrouper en maintenant des équipes informatiques dans chacun des sites existants, mais en les spécialisant.

Admettons, par exemple, que trois caisses régionales se regroupent afin de créer un seul système d'information. Jusqu'alors, chaque caisse régionale avait en propre une équipe qui s'occupait des titres, une des crédits, et une du bancaire. Pour l'ensemble de ces trois caisses régionales, nous voulons créer un seul système d'information qui nous permettra de mettre en place une équipe unique qui s'occupera à la fois des titres, des crédits et du bancaire. L'équipe s'occupant du bancaire travaillera ainsi dans l'ancien pôle de la caisse régionale, et ainsi de suite. Les équipes qui jusqu'alors étaient pluridisciplinaires, se spécialiseront donc sur un pôle donné.

M. le Rapporteur : Il s'agit donc d'une logique de fonction et d'efficacité. Ne se traduira-t-elle pas par une diminution du nombre des emplois ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Je ne le pense pas, même si une diminution légère des emplois n'est pas totalement exclue. Ce que nous voulons, c'est mettre en place des équipes plus étoffées et plus spécialisées en augmentant leur niveau de compétences dans tel ou tel domaine, afin d'éviter de subir une concurrence française aujourd'hui, mais européenne, voire internationale demain.

M. le Rapporteur : Vous avez fait état de la possibilité d'une opération par laquelle le Crédit agricole deviendrait « partenaire » du Crédit lyonnais. Quelles sont les ambitions de votre groupe dans cette opération ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Notre ambition est de participer au groupement d'actionnaires et de partenaires stables, comme le propose le cahier des charges, de mettre en place un partenariat avec le Crédit lyonnais, fondé sur les crédits à la consommation, le factoring et le crédit-bail, notamment. Nous entendons inscrire ce partenariat dans la durée. A cet égard, le Crédit agricole a toujours démontré dans le passé qu'il inscrivait ses dossiers dans le long terme.

La décision n'a pas encore été prise définitivement. Nous avons l'habitude de travailler à fond les dossiers et quelques questions majeures - je pense en particulier aux recours juridiques - n'ont pas encore été résolues. Si nous décidons finalement de nous engager sur cette voie, c'est que nous aurons constaté qu'elle est ouverte pour permettre une inscription dans la durée.

M le rapporteur : Se retrouver avec des réseaux concurrents n'est-il pas un obstacle ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : C'est une difficulté qui doit être gérée, mais qui présente un avantage pour nous, car nos groupes sont très complémentaires. Le Crédit lyonnais, en effet, est très présent en milieu urbain, alors que le Crédit agricole l'est faiblement. A l'inverse, le Crédit agricole est bien implanté en milieu rural, contrairement au Crédit lyonnais.

Nous pensons donc que nous avons intérêt à être présents dans le Crédit lyonnais, plutôt que nous retrouver en concurrence avec lui, d'autant plus que des banques étrangères pourraient s'intéresser au dossier.

M. le Rapporteur : Il s'agit donc d'un rapprochement de précaution.

M. Jean-Paul CHIFFLET : En effet, nous estimons que le système bancaire connaîtra des évolutions en Europe dans les dix ans qui viennent.

M. le Rapporteur : Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer, à l'Assemblé nationale, le statut actuel du Crédit agricole lors de la discussion sur les caisses d'épargne. Vous semble-t-il constituer un obstacle dans le cadre des opérations de rapprochement, de prise de participation, voire pour d'autres étapes encore ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Nous considérons que notre statut est un atout majeur. Nos décisions, en effet, font l'objet d'un débat et d'une large participation. Les différents acteurs s'expriment sur le terrain, dans les caisses régionales et les caisses locales.

Néanmoins, ce statut peut présenter un inconvénient dans la partie « effet de levier » par rapport à des entreprises tournées vers la capitalisation boursière. A nous de faire en sorte d'être encore plus performants, plus réactifs et plus proches des réalités, de trouver un bon équilibre dans le mutualisme, entre l'économique et le social. Comme en témoigne notre action dans la vie de tous les jours, nous ne prenons pas nos décisions à « l'anglo-saxonne ». Ainsi, des fusions de caisses régionales ne se sont jamais traduites par des licenciements. Or, nous entendons assumer nos responsabilités, aujourd'hui et demain. C'est pourquoi nous voulons progresser en la matière pour continuer à faire face dans l'avenir, afin d'être présents sur l'ensemble du territoire.

M. le Rapporteur : Quel bilan tirez-vous de l'opération d'intégration d'Indosuez dans le Crédit agricole ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : L'exercice 1998 nous a déçus, puisque nous avons essuyé des pertes significatives en Asie et en Russie. Cela dit, comme l'ensemble de nos confrères français, européens ou internationaux, nous sommes réduits à connaître de telles situations. Nous espérons qu'il y aura un peu moins de nuages et de ciels sombres dans les autres secteurs économiques.

Au demeurant, nous avons pris nos précautions, et au cours de l'année 1998, nous avons passé de fortes provisions sur certains secteurs d'activité. Le résultat annuel du Crédit agricole Indosuez est déficitaire de deux milliards de francs, et ce, après qu'il a passé plus de quatre milliards de provisions, à la fois sur l'Asie et sur la Russie. La situation est donc délicate, mais comme nos origines sont agricoles, nous pensons que ne n'est pas parce qu'il y a un orage de grêle qu'il ne faut plus cultiver son champ. Entre la banque de proximité et une banque internationale, nous pensons trouver un équilibre dans les années à venir.

M. le Rapporteur : Le rapprochement avec le Crédit lyonnais a-t-il des incidences sur cet aspect ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Il devrait nous permettre de renforcer nos présences dans les continents cités par Jean-Pierre Lorenzi, sur lesquels nous devons faire preuve d'un positionnement plus fort.

M. le Rapporteur : Vu de l'extérieur, on a le sentiment que l'on entre dans une phase d'importantes opérations. Je pense, en particulier, à votre rapprochement avec le Crédit lyonnais, ou à l'offre publique d'échange lancée par la BNP. Certains, par ailleurs, souhaitent voir se mettre en place des pôles financiers publics. Vous avez évoqué la probabilité de nouvelles opérations dans le domaine bancaire. Peut-on d'ores et déjà en avoir une idée ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : En 1989, dans le projet de groupe, l'ensemble des caisses régionales, la fédération et la caisse nationale avaient mis en avant leur volonté d'être les meilleurs dans le domaine de la banque de proximité, tout en étant une banque universelle, à vocation européenne. Le crédit est certes important en France, mais il ne représente que 3 % du marché européen. Nous estimons que la banque n'échappera pas à ce qui arrive à d'autres organisations et que nous serons amenés à progresser au niveau européen. Personnellement, je pense que cela passera par des rapprochements de banques européennes.

Les choses ont évolué très rapidement dans le système bancaire ces derniers mois. Nous n'avons pas d'idées préconçues ou d'orientations particulières : nous faisons en sorte d'être prêts à vivre ces événements pour ne pas avoir à les subir.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de la restructuration de certaines caisses. Vous soutenez que votre objectif reste la proximité. Or, on a le sentiment d'une réduction du nombre de caisses, et d'un éloignement par rapport à la population. Les prochaines étapes vont-elles se traduire par une nouvelle diminution ? Quelles sont vos perspectives ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Je ne partage pas votre analyse. J'ai d'ailleurs vécu sur le terrain trois rapprochements de caisses régionales : nous avons organisé nos pôles de distribution en maintenant la proximité qu'offrent les caisses locales ou régionales et avec une association de caisses locales par département et des agences proches du terrain. Dans le cadre de l'aménagement du territoire, nous avons d'ailleurs doté certaines localités - je pense en particulier, pour prendre l'exemple de la région lyonnaise, à Bourg et à Mâcon -, de compétences très pointues, qui n'existaient pas auparavant. Je pense qu'elles assurent une certaine pérennité, compte tenu du niveau de compétence acquis dans une spécialité donnée, et apportent de la matière grise, de la qualification supplémentaire et une élévation du niveau de chacun des hommes et des femmes concernés.

M. le Rapporteur : La manière dont vous avez procédé en matière de réorganisation des agences est un peu en contradiction - mais c'est une contradiction à votre avantage, je le reconnais -, avec ce qui s'est passé chez vos partenaires de l'AFB qui ont souvent eu une autre attitude.

M. Robert PANDRAUD : J'ai l'impression, pour ma part, que votre groupe a cherché à réduire les séquelles d'une histoire, car certains dirigeants avaient leur propre logique et leur propre sensibilité.

Les difficultés que vous avez rencontrées devaient tenir davantage aux administrateurs et aux présidents qu'au personnel, que vous avez su ménager. Certaines réorganisations ont été plus douloureuses : chez vous comme en politique, il est toujours difficile de priver quelqu'un de sa présidence, quelle soit locale, départementale ou régionale.

Pour ma part, je trouve que le travail réalisé a été bien fait, et je vous rappelle, mes chers collègues, que nous n'avons jamais entendu parler de difficultés sociales majeures lors de la réorganisation du Crédit agricole.

M. Jean-Pierre LORENZI : Je veux revenir sur la proximité. Finalement, il existe deux « juges de paix » : d'abord, les structures organisationnelles qui ont été conservées ; ensuite, l'évolution des effectifs sur le terrain. Ceux-ci, lors du rapprochement des caisses régionales, ont plutôt augmenté. Il n'y a donc pas eu affaiblissement de l'effort commercial et du contact avec les clients à l'occasion du rapprochement de certaines caisses, mais respect des bassins d'emploi. Ce que Jean-Paul Chifflet a décrit au sujet de l'informatique s'est également passé dans le cadre des anciens sièges de caisses regroupées : pour maintenir les agents sur leur lieu de résidence, on a préféré leur assurer une formation lourde visant à les spécialiser dans un métier différent, plutôt que d'avoir à mettre en oeuvre des mouvements importants qui auraient provoqué des départs.

Nous avons donc mis en avant une politique qui, en refusant les licenciements, donnait aux salariés la possibilité de continuer à travailler sur leur lieu de résidence.

M. le Rapporteur : Le Crédit agricole est une banque de proximité pour les exploitants agricoles, mais progressivement, il semble que vous aspiriez à devenir une banque de proximité sur tout le territoire national.

Etant élu local depuis plusieurs années, je constate qu'un patron de PME ou de PMI rencontre de nombreuses difficultés pour obtenir les financements et les prêts nécessaires. En quoi votre approche du problème est-il différent de celle de vos concurrents ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : On dit que les banques prêtent soit trop, soit pas assez. Or, plus une banque prête d'argent, plus elle en gagne. Un banquier cherche donc à prêter le maximum d'argent, car plus il en prêtera, plus il rentabilisera son opération. Bien entendu, il ne le fera que dans la mesure où il disposera de fortes probabilités que cet argent soit bel et bien remboursé à la caisse régionale. Comme la marge d'un crédit s'élève à 1 %, nous ne pouvons pas nous tromper plus d'une fois sur cent.

Vis-à-vis des PME et des entrepreneurs - exploitants agricoles, commerçants, artisans, professions libérales -, chaque caisse régionale dispose de sa propre organisation de terrain et peut s'engager jusqu'à des montants, limités tant par la loi bancaire que par l'étendue de ses fonds propres. Les délégations existent au niveau de chaque agence, et surtout, nous nous appuyons sur des élus présents dans les caisses locales, qui nous apportent leur point de vue sur la qualité des hommes ou des femmes. Pour une PME, c'est la qualité de celui qui décide d'entreprendre dans une région qui nous paraît l'élément déterminant. C'est pourquoi notre réseau de caisses locales est important, car il nous apporte un point de vue et une analyse complémentaire. Face à des organisations non mutualistes, sans caisses locales, je pense que c'est un avantage significatif pour la distribution du crédit.

Par ailleurs, nos caisses régionales sont dotées d'un conseil d'administration, composé par des élus, agriculteurs à 70 %. De même, nos caisses locales et régionales comportent un comité des prêts, et lorsque des techniciens ou des technocrates présentent des dossiers, ils doivent accepter l'effort de se faire comprendre et de répondre à des questions simples, proches de la réalité et du bon sens, qui sont bien souvent les meilleurs critères pour la distribution d'un crédit.

L'apport des caisses locales, proches du terrain, et l'existence du comité des prêts nous donnent des éléments supplémentaires par rapport à nos concurrents non mutualistes.

M. Robert PANDRAUD : Votre organisation permet une meilleure connaissance du terrain et une plus grande rapidité de gestion. Elle donne un peu l'impression d'une banque de notables, mais des équilibres sont à trouver.

La séparation entre la caisse nationale et la fédération nationale du Crédit agricole est-elle historique ou logique, car du point de vue d'un organigramme technocratique, elle ne paraît pas évidente ?

M. Jean-Pierre LORENZI : Jean-Paul Chifflet vous a rappelé les missions de la caisse nationale. La fédération, quant à elle, est le lieu du consensus de notre groupe, c'est l'endroit où les présidents et les directeurs de caisses régionales déterminent les orientations, en collaboration avec les équipes et les dirigeants de la caisse nationale.

M. Robert PANDRAUD : Les mêmes hommes dirigent-ils les deux instances ?

M. Jean-Pierre LORENZI : Non, ce ne sont pas exactement les mêmes hommes.

M. Robert PANDRAUD : Cependant, j'imagine qu'il existe un tronc commun.

M. Jean-Pierre LORENZI : La fédération nationale et la caisse nationale ont leurs propres dirigeants. Il y a bien dualité de dirigeants, même si, à une certaine période, le président Barsalou a été à la tête des deux instances. Un équilibre s'établit et engendre le dynamisme de notre groupe.

Pour notre part, la dualité ne nous paraît pas contradictoire, même si, comme dans tout groupe décentralisé, il y a parfois débat.

M. Robert PANDRAUD : Je vais être plus précis. Vous nous avez rappelé que vous alliez participer à la privatisation du Crédit lyonnais. Juridiquement, quelle instance prendra la décision ? Bref, qui commande votre système, la fédération nationale ou la caisse nationale ?

M. Jean-Pierre LORENZI : C'est une excellente question !

M. Jean-Paul CHIFFLET : En effet !

M. Marc CHICHERY : C'est une question de fond, liée à notre histoire. Notre organisation est totalement singulière par rapport au système traditionnel bancaire et au système capitaliste classique : nos présidents et nos directeurs de caisses sont tous administrateurs au sein des structures nationales. Il s'agit là d'une particularité souvent méconnue. Autrement dit, des présidents et des directeurs de caisses régionales siègent au conseil d'administration de la caisse nationale ainsi que dans les conseils d'administration de l'ensemble de nos filiales. Lorsqu'une décision est prise, cela signifie donc qu'un consensus s'est préalablement établi.

Dans les faits, il existe une telle étroitesse de relations entre les personnes présentes dans toutes les structures que lorsqu'un problème est mis sur la table, un consensus a déjà eu lieu à force de discussions. Au Crédit agricole, il faut débattre d'un problème avant qu'une décision soit prise. Ce système peut paraître un peu lourd, mais il est extrêmement efficace pour un groupe comme le nôtre, décentralisé mais uni.

M. Jean-Pierre LORENZI : D'un point de vue pratique, le conseil d'administration de la caisse nationale, où siège d'ailleurs le président et le secrétaire général de la fédération du Crédit agricole, prend les décisions.

M. Dominique MOREAU-FERELLEC : Le Crédit agricole vit sous un régime parlementaire, à cela près que nous fonctionnons selon la règle de l'unanimité plutôt que selon une règle majoritaire. La caisse nationale détient un pouvoir d'initiative et d'exécution. La fédération, quant à elle, représente le parlement de notre groupe où se débattent les orientations dont elle s'autosaisit ou qui lui sont proposées par la caisse nationale. Elle statue ensuite sur ces orientations.

Concrètement, un dossier comme celui du Crédit lyonnais est proposé par la caisse nationale et sera débattu par le parlement des présidents et des directeurs généraux des caisses régionales qui seront appelés, dans l'hypothèse où une telle opération serait réalisée, à apporter leur soutien financier.

Nous avons donc un équilibre des pouvoirs.

M. Robert PANDRAUD : D'un point de vue juridique, si je comprends bien votre système, vous formez une coopérative, ...

M. Dominique MOREAU-FERELLEC : ... Une association de coopératives !

M. Robert PANDRAUD : Cela signifie qu'un autre organisme bancaire ne peut pas tenter une offre publique d'achat ou d'échange sur le Crédit agricole, la réciproque n'étant pas vraie.

M. Jean-Paul CHIFFLET : Tout à fait !

M. Robert PANDRAUD : C'est un avantage assez prodigieux !

M. Jean-Paul CHIFFLET : Notre statut est à la libre disposition de nos confrères.

M. le Rapporteur : Compte tenu de votre statut, un autre organisme bancaire ne peut donc pas tenter d'opérations sur le Crédit agricole. Or, on nous rétorque souvent qu'une entreprise peut être fragilisée du fait d'une surface, d'un périmètre ou de moyens trop limités, et qu'elle a intérêt à s'agrandir plutôt que de courir un risque.

Dès lors, quel risque le Crédit agricole court-il ?

M. Robert PANDRAUD : Il risque de perdre des clients !

M. Jean-Paul CHIFFLET : Il risque d'avoir des charges de fonctionnement plus importantes que son chiffre d'affaires ou son produit net bancaire, donc de perdre de l'argent et de se retrouver en faillite.

M. le Rapporteur : C'est la raison pour laquelle vous êtes actuellement la troisième banque italienne.

M. Jean-Paul CHIFFLET : Nous participons, en effet, au capital Banca Intesa à hauteur de 25 %, banque qui, aujourd'hui encore, occupe la trosième position en Italie.

M. Alain COUSIN : Vous avez évoqué votre logique d'efficacité, légitime lorsqu'il s'agit d'une entreprise, et de votre souci louable d'éviter les licenciements. Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi d'opérer sur le métier de l'assurance dommage au travers de votre filiale Pacifica ?

Pour ma part, j'ai le sentiment qu'il s'agit d'un métier complément différent. Or, votre souci de la compétence et de la qualification de vos personnels ne semble pas apparaître dans le secteur de l'assurance. Des efforts particuliers ont-ils été réalisés ? Quel est le statut des collaborateurs qui travaillent dans cette filiale ?

Nous avons, au sein de cette commission, le souci de l'aménagement du territoire. Votre organisation et votre histoire montrent que vous êtes au coeur de ces préoccupations. On parle beaucoup des sociétés de capital-risque, en déplorant qu'elles ne disposent généralement pas des capitaux suffisants pour que le système fonctionne correctement. Au plan des caisses régionales, vous détenez des sociétés de capital-risque. Est-ce le résultat d'une volonté politique forte de la caisse nationale, relayée au niveau des caisses régionales ? Vos sociétés de capital-risque ne sont-elles pas plutôt une sorte d'alibi ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Le lancement du Crédit agricole dans le domaine de l'assurance dommage répondait à une préoccupation majeure. Nous travaillons en zone rurale, certains bureaux ne comprenant que deux personnes ; nous aurions pu, il y a cinq ans de cela, fermer plusieurs d'entre eux pour les intégrer à ceux de l'agglomération voisine où une dizaine de personnes s'occupent du dossier bancaire. Or, nous avons fait le choix de la diversification, et nous nous sommes demandé quel service supplémentaire de tels bureaux pourraient apporter. Après une enquête de marketing auprès de nos clients, nous avons constaté qu'ils étaient prêts à nous confier, en plus de leur argent et de leur patrimoine, l'assurance de ce dernier. C'est pourquoi nous avons décidé de nous lancer dans l'assurance dommage.

Pour l'avoir vécu dans des régions, je témoigne que nous avons maintenu deux ou trois personnes dans des bureaux ruraux du fait de la mise en place de ce nouveau métier qui a amené un complément d'efficacité dans cette zone géographique. En outre, cette opération nous a permis de rester proches du terrain.

M. Jean-Pierre LORENZI : Nous nous sommes lancés dans l'assurance dommage parce qu'il y avait là une complémentarité dans le service à rendre à la clientèle.

L'aspect emploi a été important dans cette décision. Nous avons choisi de ne pas avoir un réseau spécifique, contrairement aux assureurs traditionnels, mais de distribuer de l'assurance par notre réseau, dans le cadre de notre statut. C'est pourquoi, dans le document que nous vous avons adressé, vous ne trouverez pas identifié la formation à l'assurance, bien que cet aspect soit important : pour faire de l'assurance, en effet, il faut être agréé au terme d'une formation obligatoire, et nos agents doivent obtenir un certificat.

Par ailleurs, nos filiales d'assurance sont en quelque sorte les usines de production de l'offre d'assurance et de règlement des sinistres. Elles ont le statut de sociétés d'assurance, et donc, la convention collective de ce secteur s'y applique.

Pour conserver l'emploi, notre démarche a donc consisté à distribuer de l'assurance dans le cadre de nos statuts. Plusieurs points de vente, qui rencontraient des difficultés à poursuivre leur activité, ont ainsi été renforcés.

M. Jean-Paul CHIFFLET : Le Crédit agricole reste prudent sur la question du capital-risque. Il sait prendre des décisions en matière de crédits, puisqu'il en accorde chaque année pour des centaines de milliards de francs. Nous savons prendre les décisions envers les entrepreneurs, mais nous n'avons pas développé de manière systématique les sociétés de capital-risque, parce que nous estimons que la majorité des dossiers peuvent être traités par notre organisation régionale et locale. Au plan national, l'Union d'études et d'investissements prend des parts dans des sociétés, et quelques filiales basées dans les caisses régionales - des sociétés financières - traitent de la question du capital-risque.

Nous avons connu des malheurs dans les sociétés de capital risque lorsque nous avons travaillé avec des organisations régionales ou départementales qui ont voulu nous associer à leurs initiatives dans ce domaine, et nous avons dû essuyer les plâtres.

Cela dit, le Crédit agicole cherche à financer le développement économique et rural en particulier, et s'il y a des pistes nouvelles à suivre, nous nous y intéresserons.

M. Robert PANDRAUD : Etes-vous soumis, comme les autres organismes bancaires, au contrôle de l'action du Trésor ou de la Banque de France ?

Avez-vous un système de contrôle interne ? Si c'est le cas, en êtes-vous satisfaits ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un « cimetière des éléphants », comme ceux que l'on connaît parfois dans la fonction publique, et que M. Haberer a décrit dans son dernier ouvrage ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Bien entendu, nous sommes soumis au contrôle de la commission bancaire. Ce matin même, j'ai reçu un courrier de cette commission nous rappelant à l'ordre, parce que, en finançant la caisse de mutualité sociale agricole, une caisse régionale avait dépassé les normes.

La commission bancaire mène également des missions prolongées avec cinq ou six personnes. Lorsqu'une caisse régionale rencontre des difficultés, nous recevons un rappel à l'ordre sur sa solvabilité, et le groupe caisse nationale doit y répondre.

M. Jean-Paul CHIFFLET : Du fait de notre organisation en réseau, l'organe central de notre entreprise a un rôle de contrôle sur l'ensemble.

Enfin, je peux vous assurer que notre inspection générale n'est nullement un « cimetière des éléphants ». Elle est constituée de jeunes éléphanteaux aux défenses longues... Une grande majorité de personnes qui passent quatre ou cinq ans à l'inspection générale sont ensuite cadres de direction dans une caisse régionale. Il s'agit donc d'un lieu de passage pour les jeunes âgés de 25 à 30 ans, en formation, et pleins d'ambition...

M. Robert PANDRAUD : Le recrutement est-il direct ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Oui, mais certaines personnes ont déjà travaillé quelques années dans des services d'unité des caisses régionales.

L'inspection générale de notre groupe est donc plutôt considérée comme une source de promotion interne majeure, et de nombreux directeurs régionaux des caisses régionales en sont d'anciens membres.

M. le Rapporteur : Vous avez été amenés à faire un certain nombre d'investissements dans le cadre du passage à l'euro. Cette charge imposée vous a-t-elle empêchés de réaliser d'autres investissements que vous aviez prévus dans d'autres domaines ?

Par ailleurs, les opérations sur les restructurations de caisses se font-elles uniquement sur les fonds du Crédit agricole ? Existe-t-il des financements externes ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : L'euro a limité le développement d'autres actions, parce que nous avons dû y consacrer nos forces, ainsi qu'à la préparation du système informatique à l'an 2000. Cela dit, l'énergie consacrée doit nous apporter de la souplesse en Europe. Il s'agit donc d'un investissement qui, pour l'heure, a freiné d'autres développements, mais qui, à l'avenir, sera porteur.

Par ailleurs, jusqu'en 2002, nous aurons à nous consacrer à la mise en place de l'euro, et nous aurons à accompagner nos clients dans cette évolution : nous devrons, par exemple, répondre aux problèmes posés par le volume et le poids des billets et de la monnaie qu'il faudra distribuer et transporter dans les bureaux.

Les restructurations du Crédit agricole ont bel et bien été réalisées en interne, et nous n'avons pas eu connaissance d'aides ou d'accompagnements. Mais dans la vie, il faut avoir les moyens de sa politique et assumer ses propres responsabilités. Nous tenons à conserver le plus longtemps possible notre autonomie.

M. le Président : Votre groupe participe au capital de plusieurs sociétés situées sur le territoire européen. Quel regard portez-vous sur les mouvements de fusion que l'on observe dans le secteur bancaire ? On voit arriver un certain nombre d'outils de gestion d'actifs. Votre participation au capital d'autres banques et la diversification de votre activité sont-elles des choix d'ordre stratégique ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Nous n'avons pas d'avis quant aux mouvements de fusion dans le secteur bancaire, ni de commentaires à formuler. Les choses vont évoluer et il faut être prêts à s'adapter, et l'on se garderait bien de porter une appréciation sur le sujet. Faisons d'abord bien ce que nous avons à faire !

Néanmoins, nous constatons que l'environnement bancaire national - et international - va changer. Nous devons donc prendre en compte l'évolution des équilibres dans notre organisation et dans notre travail de tous les jours.

S'agissant des outils de gestion d'actifs, des fonds internationaux se déplacent à des vitesses extraordinaires - c'est vrai - et sont capables de faire et de défaire des entreprises entières, et ce, sur des analyses de gestion quelquefois à court terme. C'est un sujet majeur. Nous disposons d'outils de gestion d'actifs qui, s'ils sont importants sur le territoire national, sont encore bien modestes à l'échelle internationale. Stratégiquement, nous estimons donc que la gestion d'actifs est un élément majeur pour l'avenir, et nous essayons de nous préparer aux évolutions. Néanmoins, pour l'heure, nous n'avons pris aucune disposition.

M. le Président : Votre intérêt pour le Crédit lyonnais ou des banques étrangères, en Allemagne ou en Italie, n'est-il pas une façon de participer au mouvement de fusion, de façon à consolider votre place dans le secteur bancaire ?

La diversification de vos participations vous aide-t-elle à supporter l'arrivée des fonds de pensions ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : Pour le moment, nous sommes à l'abri de l'évolution des fonds de pensions, puisque nous ne disposons pas de véhicules cotés sur le marché. Nous ne sommes donc pas concernés par ces mouvements de fonds.

L'une de nos filiales, Indocam, gère des actifs. C'est à ce titre que nous considérons que la gestion d'actifs est un outil relativement stratégique vis-à-vis de l'environnement économique. Mais lorsque nous avons des gérants, nous établissons des philosophies pour chacun d'entre eux, en termes de détermination, d'orientations et de prise de position sur les marchés.

S'agissant de notre prise de participation en Italie, elle s'est faite sur la sollicitation des banques italiennes. Nous avons des atouts dans notre jeu, et il n'est pas impensable qu'en Europe, nous devions céder certains atouts pour en reprendre d'autres. Pour ma part, je considère qu'en France, il vaut mieux avoir quelques banques qui disposent d'assises solides, car s'il y a un jour une fusion entre une banque française et une banque allemande plus puissante, on sait immédiatement comment cela se traduira en terme de pouvoir.

C'est pourquoi il faut se préparer à être présent et fort sur ces sujets.

M. le Rapporteur : Le Crédit agricole est-il présent dans des groupes industriels ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : En effet, nous sommes présents au sein du groupe Suez et du groupe Bouygues à hauteur de 3 %. Nos participations ne sont pas nombreuses, mais quatre ou cinq d'entre elles sont significatives.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui détermine vos prises de participation ?

M. Jean-Paul CHIFFLET : La partie spéculative et les relations établies avec le groupe concerné. Suez en est une bonne illustration. Nous avions établi des relations avec ce groupe depuis longtemps, et avec la création de Crédit agricole Indosuez et l'acquisition de Sofinco, nous nous sommes retrouvés partenaires.

M. Marc CHICHERY : En dehors des participations nationales, il existe dans quelques départements, des participations régionales, au seul motif économique. Les interrelations dans une région donnée entre le développement du département et le partenaire industriel sont telles que le Crédit agricole a estimé qu'il fallait aider le partenaire industriel à asseoir son développement à la fois local, mais aussi national, voire international.

Lorsque des entreprises de taille départementale ont voulu s'étendre sur tout le territoire, et lorsque l'enjeu économique local était important, beaucoup de caisses régionales ont pris des participations dans ces entreprises, sans l'intermédiaire de sociétés de développement.

M. le Rapporteur : Nous avons évoqué les problèmes du capital risque, mais d'autres structures de développement existent. Je fais partie de ceux qui pensent qu'il faudra bien arriver un jour à mettre en place des structures ayant pour objet non pas uniquement d'aider ceux qui aspirent à se développer, mais déjà de contribuer à la bonne santé de ceux qui existent, en réunissant aussi bien des fonds publics que des fonds non publics, de façon à permettre à certaines PME et PMI, d'échapper aux contraintes qui les ligotent.

Etes-vous prêts à participer à ce type d'opérations, dans un dispositif pluraliste ? Ou préférez-vous jouer en interne et avoir votre propre appréciation des choses ?

M. Marc CHICHERY : Au plan local, il n'existe pas de doctrine. Notre connaissance du terrain est telle que si l'équipe de la caisse régionale - les administrateurs -, et l'équipe de direction estiment qu'il existe un enjeu important pour le développement de la région, ils se décideront de façon autonome. Ce n'est pas l'existence d'autres partenaires qui provoquera la décision du Crédit agricole qui tient avant tout à son autonomie de décision.

L'histoire du Crédit agricole a été celle d'une conquête progressive de compétences sur l'ensemble du territoire. Lorsqu'a débuté le financement des entreprises, la tentation a été forte de s'adosser à des acteurs régionaux. Sans vouloir porter de jugement, nous nous sommes rapidement aperçu qu'un bon dossier était celui sur lequel nous devions avoir nous-mêmes notre opinion, indépendamment de celle des autres.

M. Jean-Paul CHIFFLET : Comptez sur nous pour prendre de bonnes dispositions sur de bons dossiers ! S'il y a une aide publique, tant mieux pour l'entrepreneur, mais ce n'est pas ce qui nous décidera à intervenir. En matière de financement, il ne faut pas tout mélanger, sinon on risque de provoquer des catastrophes à la fois pour les fonds publics, pour la banque et pour l'entrepreneur.

M. le Président : Vous avez parlé de l'indépendance de décision des caisses régionales. Or, vous occupez la troisième position sur le marché du prêt aux collectivités locales. Du fait de l'addition de chaque caisse régionale, vous devez, dans certaines régions, être très largement en tête.

M. Jean-Paul CHIFFLET : Nous occupons, en règle générale, la troisième position dans l'ensemble des régions. C'est une question de marge. Pour les collectivités locales, si vous travaillez à 0,10 %, vous emportez le marché, mais si vous passez à 0,30 %, vous échouez. Pour l'instant, le Crédit agricole n'a pas voulu descendre à des prix qui paraissent anormaux au régard du travail réalisé. Nous maintenons donc nos positions à un niveau de marges moyen : nous ne prenons donc pas de marchés de manière plus significative, mais nous estimons que nous assurons efficacement les services que nous rendons à certaines communes qui nous sont proches et sur lesquels nous nous inscrivons dans la durée.

Il faut également distinguer les petites collectivités locales des grandes. Celles-ci prennent des options sur des encours significatifs, qui se chiffrent en centaines de millions de francs. Parfois des banques allemandes proposent de leur prêter à 0,10 % ou 0,05 % de moins que nous. De par notre réseau de proximité, nous sommes plus près des petites collectivités locales.

Audition des syndicats

Audition de MM. Michel COTTEREAU et Hubert GOULLON,
Délégués syndicaux de la CFTC,

Guy DENARNAUD et Jean-Claude SAINT LAURANT,
Délégués syndicaux de la CGT,

Michel FOURNIER et Mme Marie France SCELLES,
Délégués syndicaux du SUDCAM (solidaire unitaire démocratique Crédit agricole mutuel) et

MM. Christian FERRARESE et Patrick JACOB,
Délégués syndicaux de la SNIACAM (syndicat national indépendant des agents du Crédit Agricole mutuel)

au CREDIT AGRICOLE

(extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 1999)

Présidence de M. Robert PANDRAUD, Président d'âge

MM. Michel Cottereau, Guy Denarnaud, Christian Ferrarese, Michel Fournier, Hubert Goullon, Patrick Jacob, Jean-Claude Saint-Laurant et Mme Scelles sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Michel Cottereau, Guy Denarnaud, Christian Ferrarese, Michel Fournier, Hubert Goullon, Patrick Jacob, Jean-Claude Saint-Laurant et Mme Scelles prêtent serment.

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : Les études que nous avons menées à partir de conseils économiques et sociaux régionaux tels que celui de Basse-Normandie ont permis de constater que les banques les plus rentables étaient celles qui restaient les plus proches du terrain. Les résultats de 1998 confirment en effet que les banques mutualistes sont les plus performantes. Au sein du Crédit Agricole, c'est le cas des caisses les plus impliquées dans l'économie locale. Cependant, cela n'empêche pas nos dirigeants de prôner le retrait de l'économie locale dans les départements où le Crédit Agricole est dominant et de mettre en oeuvre une stratégie consistant à entreprendre des regroupements, des fusions, des redéploiements vers des pôles urbains, ce qui revient à banaliser le Crédit Agricole. Celui-ci se refuse à prendre des risques dans le financement de l'économie locale mais il n'hésite pas à le faire sur les marchés les plus spéculatifs ; l'affaire des fonds LTCM en est une illustration. Or, le taux de croissance du produit net bancaire (PNB) du Crédit Agricole, qui est de 4,4 % en tant que banque de proximité, n'est que de 2,2 % au niveau global en raison de la contre-performance du Crédit Agricole Indosuez.

Le recul nous permet également de constater que la mutualisation du Crédit Agricole a levé le contrôle public qui lui était jusqu'alors imposé à travers sa Caisse nationale. À cet égard, on observe depuis plusieurs années de lourdes pertes enregistrées par différentes caisses régionales : celles de la Dordogne et de l'Yonne, notamment qui ont respectivement perdu 300 millions et plus d'un milliard de francs. Dynabourse, filiale du Crédit Agricole, a été sanctionnée par le Conseil des marchés financiers pour fraude dans l'offre publique d'achat d'Alliance sur les AGF et s'est vue condamnéE à une amende de 80 millions de francs, la plus forte jamais infligée par cette instance, ainsi qu'à une interdiction d'activités de six mois. Cette condamnation fait actuellement l'objet d'un appel devant le Conseil d'État.

L'activité du Crédit Agricole est marquée par un abandon relatif de son rôle dans le financement de l'économie au profit de ses activités financières. Ainsi, dans les caisses régionales, le taux de réemploi de la collecte en crédits, qui est la base même de l'activité de la banque, a fortement chuté pour passer, en dix ans, de 70 % à 55 % et, au niveau national, l'encours de la collecte qui atteint 2 800 milliards de francs progresse de 8 % alors que l'encours de crédits, avec 1 368 milliards de francs, ne progresse que de 6,3 %. L'acquisition d'Indosuez par le Crédit Agricole suscite de nombreuses interrogations, y compris dans les milieux financiers. Il faut rappeler que son coût d'achat est de 11,85 milliards de francs et que ses pertes nettes s'élèvent à 2,1 milliards pour 1998. Sur deux ans, ce sont 8,3 milliards de provisions qui ont été inscrits. À ces coûts directs s'ajoute l'apport des activités de la Caisse nationale du Crédit Agricole qui a posé le problème du transfert du personnel.

Après dix années d'une mutualisation que nous analysons comme une privatisation, on remarque donc une course à la rentabilité. Le résultat net a été multiplié par trois en dix ans et les exigences de rentabilité vont croissant alors que le coefficient d'exploitation du Crédit Agricole était inférieur à celui des autres banques. Les charges d'exploitation sur PNB sont plus faibles que chez ses concurrents (65 %) mais les frais de personnel, qui baissent encore en 1998 pour atteindre 57 %, ne cessent de décroître dans les produits d'exploitation du Crédit Agricole. La rentabilité des fonds propres progresse quant à elle toujours plus rapidement : 10,1 % en 1998 contre 8,8 % en 1997, et ces fonds propres ont eux-mêmes augmenté de près de 10 % (9,7 %), passant de 122,8 à 134,7 milliards de francs.

Nous craignons que la prise de participation du Crédit Agricole accentue rapidement ce phénomène de « financiarisation ». Selon M. Douroux, l'objectif est d'en faire un véhicule coté pour lever des capitaux sur les marchés financiers et financer la croissance externe du groupe, ce qui conduit à contourner le statut coopératif et mutualiste de la banque. Dès lors, quelle valeur de protection ce statut, que l'on semble considérer comme une panacée, peut-il avoir ? En effet, il n'a pas empêché le Crédit Agricole d'évoluer vers des activités purement financières.

S'agissant de la distribution des aides publiques, dans laquelle le Crédit Agricole a pris historiquement une part importante, elle a, selon nous, toujours souffert d'un manque de contrôle et de transparence. Nous considérons qu'il s'agit d'un détournement de la mission de service public à laquelle le Crédit Agricole était astreint. Ainsi, dans le secteur productif, les quotas, la surproduction laitière et céréalière, la mise en jachère ou la crise du chou-fleur puis celle du porc en Bretagne ont eu des effets identiques : des producteurs mis en difficulté, un Crédit Agricole artificiellement enrichi et des dirigeants épargnés.

M. le Président : La parole est ici tout à fait libre, sauf en ce qui concerne les questions intéressant la Corse dans la mesure où une instruction judiciaire est en cours. Je compte donc sur votre discrétion en la matière.

Le Crédit Agricole participe activement à une concentration du système bancaire alors que certains experts jugent que les banques françaises sont déjà trop centralisées et que les fusions ne créent pas forcément de valeur. Les usagers de cette banque attendent d'elle une activité de proximité qui a longtemps été son atout majeur et a permis son développement. Or, la proximité n'est pas liée à la taille, bien au contraire. De plus, les entreprises refusent souvent de dépendre d'une seule banque en raison du risque d'exploitation que cela représente. Si l'offre bancaire nationale et locale devient trop faible, les clients importants seront donc tentés de faire appel aux banques étrangères. Une trop grande concentration des banques françaises est ainsi susceptible d'ouvrir un boulevard à la concurrence étrangère au lieu de les placer en position dominante sur le marché européen. En France comme à l'étranger, les mariages peuvent être douloureux et l'expérience américaine montre de nombreux échecs. Il faut rappeler à cet égard que les implantations anglaises en France n'ont pas toujours été couronnées de succès.

Enfin, des banquiers internationaux jugent le système bancaire français comme l'un des meilleurs du monde : particulièrement bien informatisé, il est plus productif, tout en étant moins rentable, parce que moins coûteux pour l'économie. A notre sens, la question essentielle est donc la suivante : ne doit-on pas privilégier l'efficacité économique et sociale par rapport à la rentabilité financière ?

M. Guy DENARNAUD (CGT) : En ce qui concerne la Dordogne, l'instruction est terminée ; pour ce qui est de l'Yonne, je crois qu'un commissaire aux comptes est encore suspecté de ne pas avoir fait correctement son travail, mais nous n'en parlerons pas. Quant à la Corse nous n'en parlerons pas mais nous aurions pu citer sept ou huit caisses régionales du continent qui n'avaient rien à envier à la caisse insulaire en matière de malversations. En effet, le Crédit Agricole, c'est-à-dire la première institution financière française, n'est plus soumis à aucun contrôle. La Caisse nationale est officiellement chargée de ce rôle, mais elle contrôle des caisses régionales dont elle est la filiale. Le problème est donc d'ordre général. Or, il ne faut pas oublier que le Crédit Agricole a été créé avec l'argent de la collectivité : n'étant pas une société commerciale, il a été exonéré d'impôts, la bonification des prêts était toujours calculée sur la collecte la plus chère - l'État abondant ainsi peut-être plus qu'il n'aurait dû la bonification - et il bénéficiait d'un certain nombre de privilèges en contrepartie de ses missions de service public.

S'agissant des conséquences sociales des orientations de la banque, le projet de groupe, présenté à grand renfort de publicité par les dirigeants, avait pour objectif de diminuer les emplois de 1 à 2 % sur l'ensemble du territoire jusqu'au doublement des résultats. Cet objectif n'ayant pu être atteint, on fait valoir aujourd'hui que le Crédit Agricole crée des emplois. En réalité, le chômage est passé au premier plan de la scène politique et il est devenu très difficile pour un maire ou un préfet d'accepter que le Crédit Agricole supprime un siège dans des villes comme Tulle, Avignon, Montpellier ou Perpignan, où le taux de chômage atteint 20 à 25 %. C'est donc pour des raisons politiques que la volonté de supprimer des emplois n'a pu être concrétisée. Mais elle est toujours présente et, à propos de la publication des résultats de la caisse de Nancy, par exemple, qui a fusionné en conservant les trois sièges, l'Est Républicain titrait : «Crédit Agricole : la rentabilité à marche forcée. 75 personnes n'ont pas été remplacées en 1998, le résultat net s'améliore de 30 %, et ce n'est pas fini.» Cette gestion qui vise à diminuer les coûts est dramatique, non seulement pour les salariés, mais aussi pour la clientèle et pour les collectivités locales dont le Crédit Agricole est, après la Caisse des dépôts et consignations, le premier bailleur de fonds.

En 1991, nous avons écrit à Mme Aubry, alors ministre du travail, une lettre dans laquelle nous dénoncions l'utilisation abusive par le Crédit Agricole des exonérations de charges sociale sur les bas salaires. Celui-ci considérait en effet comme un bas salaire tout salaire inférieur au SMIC ; il incluait donc dans cette catégorie les salaires versés aux titulaires d'un emploi à temps partiel. Une telle pratique a ensuite été empêchée par la loi, mais le Crédit Agricole, première entreprise française en termes de bénéfices, s'est servi de tous les moyens à sa disposition pour profiter de ces exonérations.

M. Patrick JACOB (SNIACAM) : Vous me pardonnerez l'aspect décousu de mon exposé mais il complétera ce que vient de dire mon collègue.

Le Crédit Agricole est très bien implanté et dispose des meilleurs ratios. Or, s'il se comporte comme une banque moderne, ses statuts sont anciens. J'approuve entièrement ce qu'a dit mon collègue à propos de la financiarisation des activités du Crédit Agricole mais, contrairement à lui, je ne crois pas que la banque se désengage de ses activités de proximité. Certes, son statut est toujours mutualiste, mais le nom de Crédit Agricole est devenu un nom purement commercial et son mutualisme se résume aujourd'hui au recrutement des dirigeants par cooptation. Ainsi la Caisse nationale a-t-elle pris sa part dans ce véritable Monopoly que sont les concentrations bancaires (rachat de Sofinco, d'Indosuez, demain du Crédit Lyonnais) et dispose aujourd'hui de participations parfois importantes qui sont qualifiées de stratégiques. Le Crédit Agricole raisonne donc comme n'importe quelle banque privée : tout projet est envisagé sous l'angle de la rentabilité et de la compétitivité, de l'évolution des ratios et du rating international. Il se comporte au quotidien comme s'il était en difficulté alors qu'il gagne beaucoup d'argent.

Sur un plan local, la situation des caisses régionales est très variable. Certaines sont grandes, d'autres petites ; certaines sont rurales, d'autres urbaines ; certaines, avec plus de 50 % des parts de marché - je pense notamment à l'ancienne caisse régionale du Gers aujourd'hui fusionnée - sont même le premier employeur du département.

Certaines sont riches, d'autres sont proches de la faillite. Les fusions intervenues se soldent selon nous par un échec, non seulement parce qu'elles ont donné naissance à des ensembles hétéroclites ignorant des réalités géographiques et économiques, mais aussi parce qu'elles ont été réalisées en fonction des amitiés ou, pire encore, des inimitiés. La première fusion naturelle s'est faite sous la pression des pertes. Ce fut le cas de la caisse d'Alsace qui, sur le continent, est la seule caisse régionale au sens géographique du terme. Les autres résultent de découpages parfois invraisemblables. Ainsi, fusionner la caisse de l'Ariège, historiquement tournée vers Toulouse, avec celle des Pyrénées-Orientales est une aberration. Pour les mêmes raisons, on peut s'étonner de la fusion de la caisse du Gers avec celle de Pau ...

M. le Président : C'est vrai aussi pour les tribunaux administratifs.

M. Patrick JACOB (SNIACAM) : ... ou de celle du Tarn avec celle du Tarn-et-Garonne. En réalité, il s'agissait d'isoler la caisse de Toulouse pour des motifs d'inimitié personnelle. Toutes les fusions se font, ou ne se font pas, sur des critères de ce type. De plus, elles sont décidées par des personnes qui ont aujourd'hui 66 ans et qui n'en subiront pas les conséquences, comme nos jeunes collègues, en 2030.

Mme Marie-France SCELLES (SUDCAM) : Nous allons partir d'un historique du Crédit Agricole avant d'axer notre exposé sur l'évolution en cours.

Avant sa privatisation, le Crédit Agricole était un établissement semi-public soumis à la tutelle de deux ministères (celui de l'agriculture et celui de l'économie et des finances), disposant d'une structure nationale (la Caisse nationale du Crédit Agricole) et d'une structure régionale (caisses départementales et parfois régionales) complétée par des caisses locales ayant pour champ d'activité la commune ou le canton. Ces entités avaient, et elles conservent, un statut coopératif relevant du code rural. Elles étaient politiquement gérées par des administrateurs-sociétaires issus, pour la plupart, de l'agriculture et du monde rural ainsi que par des professionnels et des gens du terroir avant que les technocrates ne leur confisquent le pouvoir.

Cette structure et la répartition du pouvoir qui en découle faisaient du Crédit Agricole l'outil efficace d'une politique agricole et économique pragmatique menée sur l'ensemble du territoire. C'est ainsi que les pouvoirs publics pouvaient aider les jeunes agriculteurs ou les jeunes artisans ruraux à s'installer ; il suffisait pour cela que l'État prévoie une enveloppe prenant en charge une partie des taux d'intérêt des prêts bonifiés que le Crédit Agricole distribuait pour l'achat de terres, de locaux professionnels ou de matériel.

Les pouvoirs publics pouvaient également agir sur les cultures, tant sur leur quantité que sur leur qualité, en octroyant des prêts pour la plantation, l'arrachage, l'orientation de l'élevage, etc. Enfin, et ce n'était pas le moindre de leur rôle, ils pouvaient agir sur l'aménagement du territoire et lutter contre la désertification en accordant des prêts bonifiés ou sur-bonifiés dans des régions défavorisées comme les zones de montagne.

Le Crédit Agricole était donc l'outil efficace d'une politique définie par les pouvoirs publics grâce à son réseau, à ses compétences, à ses administrateurs, hommes et femmes de terrain animés d'un esprit mutualiste. Il pouvait agir sur l'homme et l'environnement.

Sa privatisation a marqué un changement de cap lourd de conséquences. Structurellement, nous assistons à des fusions de caisses régionales : 95 il y a quelques années, elles ne sont plus que 53 aujourd'hui, avec les effets que cela entraîne sur le tissu économique et la vie sociale des départements concernés.

Cette évolution prive de plus en plus le Crédit Agricole de son rôle de levier sur l'économie locale. Devenu entreprise capitalistique, il gère ses affaires avec pour principal objectif de faire des profits. Il faut reconnaître que, dans ce domaine, il est très efficace puisqu'il a dégagé plus de 35 milliards de bénéfices nets ces quatre dernières années et 12,3 milliards en 1998. Même si réaliser des bénéfices n'est pas un mal en soi, il est intéressant de voir comment le Crédit Agricole est parvenu à ce niveau de résultats.

Il convient de préciser ici la difficulté de notre tâche syndicale compte tenu du peu de pouvoirs dévolus au comité de groupe : une seule réunion par an, des informations souvent tardives et insuffisantes qui ne permettent pas un suivi des dossiers complexes, et pas de consultation préalable aux décisions prises au niveau national. Néanmoins, nous avons constaté que le Crédit Agricole, banque de masse et de proximité, continue de creuser l'écart entre riches et pauvres par ses pratiques tarifaires. Ainsi, concernant la tenue des comptes, la taxation est importante pour les incidents de paiement (rejets pour provision insuffisante à l'encontre des moins aisés) ; la taxation des services porte essentiellement sur les petits épargnants tandis que les plus importants bénéficient d'exonérations ; enfin, les taux différentiels de prêt sont toujours en la défaveur du client pour lequel le risque est prétendument le plus élevé.

Ces résultats ne seraient pas non plus possibles sans la stabilisation des charges de personnel obtenue par une stagnation des salaires : aucune augmentation n'a eu lieu en 1998 et le coefficient d'embauche prévu dans la convention collective est actuellement inférieur au SMIC. L'augmentation du nombre des postes pourvus se fait par le biais de CDD qui représentent actuellement 10 à 15 % des effectifs. De plus, le Crédit Agricole a effectué une partie de ses restructurations avec l'aide de l'État : le contribuable a en effet participé, par le biais de conventions du FNE, à la résolution du problème posé par la pyramide des âges.

Enfin, le Crédit Agricole assure une partie de son résultat par le placement de la collecte monétaire sur le marché financier à court terme à hauteur de 30 % environ. Cela en dit long sur son rôle politique.

Ces quelques éléments expliquent en partie les profits colossaux réalisés par le Crédit Agricole qui ne compte pas s'arrêter en si bon chemin puisqu'il axe sa politique sur la conquête de nouveaux marchés en s'appuyant, ces deux dernières années, sur l'acquisition d'Indosuez pour les marchés externes et de Sofinco pour les prêts à la consommation et le marché interne. Pour l'avenir, les dirigeants de la Caisse nationale du Crédit Agricole affichent clairement leur volonté de trouver une solution qui leur permette d'être présents sur le marché financier, ce qui conduira nécessairement à la recherche de toujours plus de bénéfices qui seront versés en dividendes aux actionnaires. Cette évolution signera la fin du Crédit Agricole mutualiste et des valeurs qui lui étaient attachées, si toutefois elles sont encore d'actualité.

SUD souhaite proposer à la commission que le Crédit Agricole, comme l'ensemble du réseau bancaire, soit mis en situation de consentir des prêts à des taux légèrement supérieurs à l'inflation afin de participer à la relance économique, qu'il prenne en compte la notion de pays afin de participer à l'aménagement du territoire - je pense ici aux fusions - et s'implique dans la politique de création d'emplois. A cet égard, compte tenu de l'échec de la négociation du 13 avril sur la réduction du temps de travail et du refus de la direction de s'inscrire dans le cadre de la loi Aubry pour ne pas être contrainte de créer des emplois, nous souhaitons que la seconde loi Aubry permette aux organisations syndicales de négocier une réduction du temps de travail créatrice d'emplois pour contribuer à un développement harmonieux. Si une entreprise qui a dégagé plus de 12 milliards de bénéfices en 1998 ne crée pas d'emplois dans le cadre de la réduction du temps de travail, qui pourra le faire ?

M. Hubert GOULLON (CFTC) : Chacun sait que le Crédit Agricole s'est bien développé ces dernières années avec le rachat d'Indosuez et de Sofinco et le renforcement de sa participation dans la banque italienne Intesa. D'après le directeur général de la Caisse nationale du Crédit Agricole, il s'agit maintenant d'assimiler ces opérations. Cependant, les dirigeants restent ouverts aux opportunités qui peuvent se présenter en France ou à l'étranger. Pour notre part, nous ne sommes pas favorables à la poursuite sans fin de la croissance externe et nous estimons que les dernières acquisitions du groupe Crédit Agricole lui confèrent désormais des compétences dans tous les secteurs d'activités et que son champ d'intervention est celui d'une banque universelle. Dans un environnement caractérisé par la mondialisation des économies, des marchés financiers et l'arrivée de l'euro, la taille actuelle du groupe lui permet de jouer un rôle suffisamment important. Le ministre de l'économie et des finances lui-même citait récemment le Crédit Agricole comme un grand réseau financier d'importance mondiale et d'origine française. Compte tenu de la dimension actuelle du groupe, nous ne percevons pas l'intérêt, ou l'avantage compétitif, qui résulterait d'une acquisition du Crédit Lyonnais, mais nous en redoutons les conséquences fâcheuses pour l'emploi.

Nous restons d'autant plus attachés au statut coopératif et mutualiste du Crédit Agricole que nous assistons depuis quelques années à une interpénétration croissante entre les banques mutualistes et les banques AFB. L'emploi est notre préoccupation essentielle. Comme le ministre de l'économie, nous sommes favorables à la construction d'un secteur financier français fort et dynamique à condition qu'elle soit au service de la croissance et de l'emploi.

A la suite des fusions, les directions font état de sureffectifs dans les caisses régionales, mais il faut souligner - et nous nous en félicitons - qu'aucune n'a mis en place des plans sociaux accompagnés de licenciements économiques. En revanche, par le biais de dispositifs locaux de préretraites, on assiste au départ de salariés âgés de 55 ans et plus sans que systématiquement les embauches compensatrices aient lieu à raison d'une embauche pour un départ. Enfin, l'actualité récente nous confirme que la FNCA refuse toujours de s'engager, au nom des caisses régionales, à créer des emplois dans le cadre de la loi Aubry. A ce sujet, les propos tenus le 27 janvier dernier par le rapporteur de la délégation patronale étaient sans équivoque : «Sur le moyen terme, la perspective d'un maintien des emplois constituera déjà un résultat social dont le Crédit Agricole pourra être fier ». Cet objectif suppose un surcroît de productivité considérable par rapport à la concurrence, donc un accroissement du PNB.

M. le Président : Avant de passer la parole à M. le Rapporteur, j'aimerais vous demander qui a en charge la politique sociale. Si nous avons bien compris ce qui a été dit hier soir, ce n'est pas la Caisse nationale mais la Fédération nationale du Crédit Agricole.

M. Hubert GOULLON (CFTC) : Logiquement oui.

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Je voudrais d'abord rappeler qu'à l'origine, le Crédit Agricole a été conçu parce que les banques capitalistes étaient incapables d'apporter au problème du financement et de la modernisation de l'agriculture. Cette banque s'est donc constituée sur une base mutuelle pour permettre à ces productions de se faire au meilleur coût possible. Dès lors, comment les banques mutualistes peuvent-elles caracoler en tête des banques françaises du point de vue de leurs résultats si ce n'est grâce à leurs activités de proximité ?

Pour répondre précisément à votre question, le Président, la FNCA est l'organe politique des caisses régionales parce que la Caisse nationale n'était, à l'origine, qu'un service du ministère de l'agriculture. Créée en 1920, elle se trouvait d'ailleurs dans ses locaux.

M. le Président : C'était un établissement public, n'est-ce pas ?

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Par la suite, elle a été transformée en Établissement public industriel et commercial (EPIC), entamant ainsi la privatisation du Crédit Agricole. A l'époque de la loi dite de mutualisation - mais qui procède en fait à la privatisation -, un parlementaire a déclaré qu'il ne comprenait pas pourquoi l'État se dessaisissait de l'outil de mise en application de sa politique agricole.

Dès sa création, le Crédit Agricole est un être bicéphale : d'un côté, la fédération des caisses régionales représentait l'organe politique de ces caisses - présidé généralement par les agriculteurs et la technostructure qui, depuis, a pris le pouvoir - et de l'autre côté, la Caisse nationale du Crédit Agricole réunissait les représentants du ministère de l'agriculture, du ministère de l'économie et des finances, le contrôleur d'État, etc. Aujourd'hui, la FNCA a racheté la Caisse nationale et nous nous rendons compte, en tant que syndicats, qu'ils se répartissent les rôles. C'est pourquoi nous souhaitons que le comité de groupe regroupe la CNCA et la FNCA afin de permettre un dialogue social sérieux.

Malheureusement, la CFDT ne nous a pas suivis. Actuellement, nous avons affaire à un comité de groupe «croupion» car le statut d'EPIC du Crédit Agricole le dispensait de mettre en place une telle instance. On a donc créé une Commission nationale de concertation, dépendant uniquement de la FNCA, qui est une sorte de comité de groupe sans avoir les pouvoirs de celui-ci. En revanche, la Caisse nationale a mis en place un comité de groupe.

Il existe donc deux structures dans lesquelles nous menons des discussions identiques mais avec des personnes différentes : d'un côté, les dirigeants de la Caisse nationale - MM. Barsalou et Douroux - de l'autre, ceux de la FNCA - M. Bué et l'appareil politique des caisses régionales. Cette structure bicéphale est un héritage de l'histoire. Sur un plan purement statutaire, la Caisse nationale est la filiale des caisses régionales, ce qui la place dans une position de dépendance vis-à-vis de la FNCA. La distinction n'est donc plus aussi marquée que par le passé.

Lors du vote des lois portant création du Crédit Agricole en 1895, Jean Jaurès a décrit à la tribune de la Chambre des députés ce que le Crédit Agricole allait devenir s'il était créé de cette manière. L'avenir lui a donné raison : le Crédit Agricole portait en germes ce qu'il est devenu effectivement. Ce développement a été possible à cause de la convergence des intérêts d'une «base» usée et de ceux de l'État qui voulait développer l'agriculture. Il ne faut cependant pas oublier que c'est la collectivité nationale qui a fourni au Crédit Agricole une part très importante de ses fonds propres, beaucoup plus importante que celle qui a été apportée par les caisses régionales à la suite de la privatisation.

Les fusions sont décidées par la Caisse nationale mais, bien que le Crédit Agricole soit devenu ce qu'il est grâce à son implantation régionale, elles obéissent à une philosophie rigoureusement opposée aux principes originels. Actuellement, suivant en cela un effet de mode qui a cours dans le monde banquier, le Crédit Agricole travaille à saper ce qui a fait sa richesse en se distanciant du réseau bancaire des particuliers qui est encore la seule activité bancaire rentable. Si les fusions sont valables aux États-Unis ou ailleurs, elles constituent une hérésie en Europe. De plus en plus d'experts reconnaissent d'ailleurs qu'elles n'ont pas d'autre utilité que celle de produire des plus-values pour les actionnaires. Or, ce n'est pas le rôle du Crédit Agricole. Certes, on ne peut pas, sauf désaccord idéologique, reprocher à des entreprises capitalistes de fusionner pour gagner plus d'argent, mais le Crédit Agricole, organe collectif et mutuel, ne peut s'inscrire dans une telle logique aux dépens de son environnement.

M. Michel FOURNIER (SUDCAM) : Chaque caisse régionale est une personne morale de statut coopératif et, en tant que telle, est amenée à négocier avec les syndicats. Or, elles ont, dans leur ensemble, délégué une partie de leurs pouvoirs de négociation à la Fédération nationale du Crédit Agricole, si bien que chaque salarié se trouve soumis à une convention collective négociée pour partie au niveau national avec la Fédération et, pour partie, au niveau de chaque caisse régionale.

M. le Président : En matière de protection sociale, êtes-vous affiliés au régime général ou à la Mutualité sociale agricole ?

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Nous relevons tous de la Mutualité sociale agricole puisque nous sommes des salariés agricoles.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous me dire quel est le montant des aides du FNE perçu par le Crédit Agricole ?

Vous avez dit, Mme Scelles, que le Crédit Agricole «était» un outil efficace : pouvez-vous nous donner des exemples de la réduction de son rôle au plan local, que vous avez tous déplorée ?

Vos dirigeants estiment qu'ils sont toujours au service du développement local, avec les précautions que cela suppose. Je leur ai suggéré à cet égard de mettre en place des organismes paritaires de cofinancement mais ils n'ont pas eu l'air très enthousiaste. Quels exemples pouvez-vous me donner d'une prudence des dirigeants qui serait telle qu'elle empêcherait de concourir au développement local ?

J'aimerais également que vous reveniez sur les départs en préretraite sans compensation par des embauches.

Enfin, votre direction nous a parlé hier de la mise en place de cinq à huit systèmes d'information, ce qui n'est pas sans rapport avec l'aménagement du territoire. Je leur ai donc demandé s'ils étaient répartis d'une manière géographiquement judicieuse de façon à tenir compte de l'importance des différentes régions ou groupes de régions. A l'évidence, ce n'est pas la démarche qui est suivie et j'aimerais avoir votre sentiment sur cette organisation nouvelle.

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Les dirigeants du Crédit Agricole sont attentifs à l'aménagement du territoire dans la mesure où cela représente des marchés potentiels. Cela dit, je dispose d'une lettre du Président de la caisse régionale du Jura, adoptée par le conseil d'administration et rédigée au moment de la fusion, qui répond à la contestation de cette fusion par la C.G.T., majoritaire dans cette caisse ; lettre selon laquelle un conseil d'administration n'a pas à se préoccuper de l'environnement local pour prendre les décisions qu'il estime bonnes pour l'entreprise. M. Douroux peut donc parler du nouveau mutualisme, il a reconnu récemment de manière officieuse qu'on avait raison de parler de privatisation.

Pour ce qui est de la politique sociale, notamment des préretraites, elle est négociée à deux niveaux. De la même manière que, dans le secteur bancaire par exemple, il existe une négociation de branche au niveau de l'Association française des banques, puis une négociation propre à chaque banque, on trouve à l'intérieur même du Crédit Agricole ce système de double négociation. En effet, une négociation nationale a lieu au niveau de la FNCA soit pour définir des articles de la convention collective, soit pour établir des accords-cadres, puis chaque caisse régionale mène ses propres négociations. Cette structure atypique fait du Crédit Agricole à la fois un groupe d'entreprises et une branche, ce qui complique un peu la compréhension de son fonctionnement par les personnes non averties.

Hier, toutes les organisations syndicales ont refusé de signer l'accord sur la réduction du temps de travail. En effet, les dirigeants tentent de nous tromper en prétendant créer 10 300 emplois en trois ans car ce chiffre correspond au taux de remplacement. Et il faut aussi tenir compte de l'accélération des départs en préretraite qui s'explique par le fait que le personnel du Crédit Agricole se situe davantage, à hauteur de 35 à 40 %, dans la tranche des 40-50 ans que dans celle des 19-25 ans. Il existe dans les caisses régionales de très bons accords pour les départs en préretraite : les personnes concernées partent avec 75 % de leurs derniers salaires.

M. le Rapporteur : A quel âge partent-ils ?

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : A 55 ans.

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Partent en fait à 55 ans ceux qui bénéficient de bons accords, ce qui n'est pas le cas dans toutes les caisses. Pour les autres, la retraite est à 60 ans au Crédit Agricole.

M. le Rapporteur : Ces départs sont-ils volontaires ?

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Dans le cadre des accords de préretraite, oui.

M. Jean-Claude SAINT LAURANT (CGT) : Dès lors que les salariés peuvent partir à 55 ans avec plus de 70 % de leur salaire, tous choisissent de le faire.

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Ce qui est terrible pour l'entreprise et pour ceux qui restent, d'ailleurs.

M. le Rapporteur : Malgré cela, la pyramide des âges est inversée.

M. Guy DENARNAUD (CGT) : Quand on prévoit 10 300 embauches, cela peut faire plaisir à Mme Aubry en termes d'effet d'annonce ...

M. le Rapporteur : L'État finance-t-il ces départs ?

M. Guy DENARNAUD (CGT) : En général, non.

M. Patrick JACOB (SNIACAM) : La Caisse nationale a également prévu un système de départ en préretraite à 54 ans avec 70 % du salaire. Il s'est difficilement mis en place parce que les salariés n'ont pas réalisé tout de suite ce que cela représentait. Puis, avec les années, ils ont prévu une épargne de précaution, conservé des participations au lieu de les dépenser, souscrit un Prêt épargne logement, et ils se sont progressivement habitués à l'idée de partir, non pas à 60, mais à 54 ans. L'un des enjeux de la négociation que nous menons dans le cadre de la loi Aubry, à la fois avec la Caisse nationale et avec la Fédération, concerne la fin de ce système de préretraite. On veut en effet globaliser les embauches contre les retraites- cela concerne les 10 300 emplois dont nous venons de parler - et beaucoup de nos collègues, qui attendent la reconduction du plan arrivant à échéance le 31 décembre 1999, craignent qu'elle n'ait pas lieu.

M. Hubert GOULLON (CFTC) : Si, dans mon exposé, j'ai abordé l'existence de dispositifs locaux de préretraite, c'était pour présenter un mode de traitement des sureffectifs. Je n'ai pas fait allusion au FNE ; on y a eu ponctuellement recours dans telle ou telle caisse, mais nous n'avons pas d'information particulière à ce sujet.

M. le Rapporteur : Une partie des salariés souhaite, pour diverses raisons, partir aux alentours de 55 ans, ce qu'ils font sur la base de plans de préretraites qui ont été négociés auparavant. Et l'État ne participe pas à ces opérations qui ont pour objectif de «dégraisser» le Crédit Agricole dans la mesure où il n'est pas prévu de procéder à des embauches compensatoires. Nous avons donc bien affaire à une diminution des effectifs par le départ des plus âgés, qui sont également ceux qui coûtent le plus cher.

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : Pour prendre un exemple précis, entre 1985 et 1998, les effectifs de la caisse du Calvados sont passés de 800 à 650 personnes, uniquement par le système des préretraites. Il est d'ailleurs intéressant d'observer que rien ne se fait sans contrepartie : cette caisse finançait 33 % de l'économie du département, elle n'en finance plus que 27 %.

M. le Rapporteur : Ce sont également des choix d'orientation qui, comme vous l'avez dit, consistent à privilégier le développement externe plutôt que le développement local.

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : Cela s'accompagne également de la fermeture de bureaux : dix en ce qui concerne le Calvados.

Mme Marie-France SCELLES (SUDCAM) : Vous avez évoqué le système d'information et, à ce propos, il faut savoir que chaque caisse régionale était une entité indépendante, une entreprise à part entière. Chacune d'elles a donc mis en place le système d'information qu'elle jugeait bon.

Il s'est avéré que certaines caisses régionales n'ont pas bénéficié de la rentabilité escomptée et que l'examen de leurs charges a fait ressortir que l'informatique y pesait d'un poids particulier. Elles ont alors décidé de s'en libérer en cherchant à réaliser des économies d'échelle qui se sont faites soit par le partage du système informatique avec une caisse voisine, soit par la création d'un groupe d'intérêt économique indépendant du Crédit Agricole et chargé de mettre un système informatique à la disposition d'une ou plusieurs caisses. De ce fait, le nombre de systèmes d'information a diminué et la Caisse nationale a longtemps utilisé ces économies d'échelle comme le moteur des fusions. Dans un premier temps, les fusions se sont donc faites avec les caisses régionales en difficulté - ce fut le cas de la caisse d'Alsace -, puis elles se sont faites avec des caisses rentables - celles, par exemple, de l'Orne et de la Manche. Aujourd'hui, le problème demeure et on assiste en quelque sorte à une prise de pouvoir sur les caisses régionales qui pouvaient jusqu'alors s'auto-gérer grâce à leurs systèmes indépendants. La création de structures plus larges et l'imposition d'un système d'information commun à plusieurs caisses permettent de les contrôler. L'objectif est désormais de n'avoir plus que cinq à huit systèmes d'information régionaux.

Quant à la prise en compte des réalités géographiques dans la définition des systèmes d'information, je vous répondrai que si ces systèmes sont référencés, comme le prétendait un intervenant de la Caisse nationale, ils ne le sont qu'en fonction de leur zone d'influence. Cela signifie que les systèmes retenus seront ceux qui auront fait entrer dans leur giron le plus de caisses régionales. La qualité de ces systèmes n'est absolument pas prise en compte.

M. Patrick JACOB (SNIACAM) : Je voudrais ajouter une précision à propos de la relation qui existe entre les systèmes d'information et les fusions. Beaucoup de caisses régionales ont vu dans le rapprochement des systèmes d'information le prélude aux fusions. Or, ces dernières n'étaient pas toujours souhaitées, simplement parce que les caisses régionales acceptent de se rapprocher de n'importe quelle caisse sauf de leurs voisines. La caisse du Libournais, par exemple, a tout fait pour ne pas fusionner avec celle de Gironde ; la caisse de Blois, qui aurait dû fusionner avec celle de Tours ou d'Orléans, a fusionné avec celle de Chartres. Le système d'information a été un élément déterminant de ces différents choix. Certaines caisses ont ainsi adopté un système Bull parce que la caisse voisine disposait d'un système IBM. 

M. le Rapporteur : Vous voulez dire qu'il n'y pas de souci d'unicité dans le choix des systèmes ?

M. Patrick JACOB (SNIACAM) : Il y a une quinzaine d'années, il existait 94 caisses différentes avec 94 directions et 94 systèmes informatiques. Et les rapprochements se sont faits par évitement.

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : Comme mon collègue, je pense que les patrons ont bien compris que les concentrations informatiques représentaient un outil important pour mettre en oeuvre les restructurations. Les fusions ont échoué en raison de l'hostilité du personnel, qui craignait des licenciements, de l'incompatibilité qui pouvait exister entre certains dirigeants régionaux et des protestations des populations ainsi que des élus locaux qui percevaient bien quelles en seraient les conséquences en termes d'emploi. L'informatique est alors apparue comme un moyen imparable, parce que technique, de mettre en oeuvre la restructuration. Au niveau national, le secteur informatique représente 4 000 emplois.

La caisse à laquelle j'appartiens abandonne aujourd'hui purement et simplement son système informatique : l'informatique du Calvados, qui était traitée à Caen, le sera désormais à Paris alors que nous n'avons pas fusionné avec la caisse d'Ile de France. Ce sont soixante emplois d'informaticiens, donc très qualifiés, qui vont ainsi disparaître à Caen. La caisse de la Manche, qui est une petite caisse régionale, a opté dans les années 1990 pour une informatique de pointe décentralisée. En dix ans, 120 informaticiens ont travaillé à construire ce système qui, aujourd'hui, même si ce n'est pas définitif, est également en cours d'abandon. En effet, les caisses de la Manche et de l'Orne ont désormais fusionné avec le Crédit Agricole normand ; celui-ci devrait d'ailleurs logiquement intégrer la caisse de Caen, capitale de la Basse-Normandie mais celle-ci se défend en faisant traiter son informatique à Paris, et Saint-Lô parle de faire traiter la sienne en Bretagne ...

M. le Rapporteur : Que deviennent les emplois ?

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : Les informaticiens vont devoir se reconvertir, c'est-à-dire faire de la vente aux guichets ou du traitement administratif.

M. Guy DENARNAUD (CGT) : C'est un gâchis des compétences.

M. le Rapporteur : Absolument. Je suis sidéré par le fait que la structure coordinatrice de la banque n'ait pas trouvé le moyen de mettre en place un système cohérent et commun à ces différentes caisses. Votre thèse, c'est que cela a fait l'objet d'une démarche volontaire.

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : La force du Crédit Agricole, ce fut précisément sa décentralisation, y compris en informatique.

M. le Rapporteur : Mais le processus de décision peut être décentralisé et proche des clients sans pour autant coexister avec un système informatique incohérent. A l'Assemblée nationale, chaque groupe utilise le même outil informatique.

M. Jean-Claude SAINT-LAURANT (CGT) : Mais en matière d'informatique, l'outil conditionne le travail. A Caen, nous nous sommes aperçu en adoptant le système informatique d'Ile-de-France que celui-ci ne prévoyait rien pour financer des tracteurs.

M. Guy DENARNAUD (CGT) : A titre d'anecdote, des salariés de la Société des vins de France se sont mis en grève au moment du rachat de leur entreprise par Castelvin parce qu'ils craignaient que la société d'embouteillage ne disparaisse. Nous avons donc rencontré le directeur général, M. Jaffré, qui m'a dit qu'un prêt agricole nécessitait l'emploi de douze personnes alors que, pour un prêt à la consommation, huit suffisaient.

Pour en revenir au système informatique, au lieu de créer de nouveaux produits bancaires adaptés aux besoins de la clientèle, on a les a standardisés pour qu'ils puissent s'adapter à l'informatique. Celle-ci constitue la colonne vertébrale d'une entreprise, a fortiori d'une banque, surtout si les produits ont tous été standardisés de manière à être traités, non plus par des êtres humains, mais par la machine. Les employés de banque perdent alors toute d'utilité : leur métier se transforme au fur et à mesure de l'évolution informatique. En revanche, on ne peut pas transférer le savoir. Or, la banque est le métier du risque, comme le disait M. Bloch-Lainé. Je vous citerai l'exemple d'un délégué syndical de la CGT chargé des coopératives des Deux-Sèvres. Pour des raisons de répression syndicale, il a été écarté. Eh bien, les directeurs de coopératives ont fini par réclamer son retour parce que, à la différence des jeunes analystes financiers qui l'avaient remplacé, il savait comment on fabriquait un fromage.

Chaque entreprise s'est développée indépendamment des autres, sous le contrôle de la Caisse nationale qui assurait la péréquation entre les régions riches et les régions pauvres. Quand nos camarades du SNIACAM disent que la fusion était le seul moyen de sauver la caisse d'Alsace, je leur réponds qu'il s'agit d'une méthode capitaliste et non d'une méthode mutualiste fondée sur la péréquation. Lorsqu'une caisse est en difficulté, il faut l'en sortir par la solidarité et le mutualisme : les économies de charge sur les frais de personnel n'ont jamais permis de développer l'appareil productif.

Enfin, le Crédit Agricole était le premier client d'IBM et, à ce jour, certaines techniques informatiques n'existeraient plus en France si cela n'avait pas été le cas. Chaque caisse a développé son propre système informatique et, dans ce cadre, celle de la Manche a créé un outil révolutionnaire qui a permis de créer 80 emplois d'informaticien tout en économisant 20 % des coûts informatiques par rapport aux systèmes construits plus tôt et aujourd'hui dépassés. Pour ces derniers, la Caisse nationale a alors pu reprendre les rênes en prétextant une modernisation informatique pour justifier les fusions. S'agissant de la caisse de la Manche, cela a fait l'objet d'une bataille de plus de dix ans durant laquelle on a cherché à démontrer que son système informatique n'était pas viable. Historiquement, les choses se sont donc passées de la manière suivante : les caisses se sont développées indépendamment, puis la Caisse nationale les y a encouragées en attendant que certaines se fourvoient dans leurs investissements informatiques.

Ces investissements ont une incidence sur l'aménagement du territoire. En effet, c'est parce que la caisse de la Manche a développé des technologies informatiques très novatrices - qui ne datent pas des années 1970, comme celles de l'ensemble du Crédit Agricole - nécessitant l'installation de lignes téléphoniques à haut débit que la Manche a été l'un des premiers départements français à être équipés de ces lignes ultramodernes.

M. Patrick JACOB (SNIACAM) : Il est difficile de se représenter le schéma global de fonctionnement du Crédit Agricole puisqu'il ressemble à une pyramide qui reposerait sur la pointe. En effet, la Caisse nationale est bien la tête de réseau mais elle est aussi la filiale des caisses régionales. M. Douroux est, d'une certaine manière, leur élu mais il est aussi leur patron. A l'origine, la Caisse nationale s'est interdit d'intervenir dans les systèmes informatiques. Les caisses régionales sont à ce point indépendantes qu'il a fallu mettre en avant des pertes (en Alsace, dans la Creuse, l'Ariège ou l'Aude) pour réaliser les premières fusions. De même, si le directeur des Vosges n'a pas encore atteint l'âge de la retraite, on attendra son départ pour déclencher la fusion. Si un collègue souhaite quitter sa caisse pour une autre, il ne se fait pas embaucher dans le service voisin mais il démissionne pour se faire embaucher à cinquante kilomètres de là.

M. le Rapporteur : Je ne cherche pas à porter un jugement - je ne suis pas issu du monde bancaire - mais concernant cet aspect technique, dont il faut reconnaître qu'il masque sans doute des motifs politiques, on peut tout de même penser qu'une mise en cohérence de l'outil était souhaitable, les caisses régionales conservant leur indépendance par ailleurs.

Audition de MM. Johny BERVA et Georges BLOYER,
Délégués syndicaux de la CFDT,

Alain CUZET et Christian SZYDLOWSKI,
Délégués syndicaux de la FGSOA (Fédération générale des salariés des organisations professionnelles de l'agriculture et de l'industrie Agroalimentaire),

Michel FOURNIER et Serge LANTEAUME,
Délégués syndicaux de la CGC et

Christian GARCIA,
Délégué syndical de FO

au CREDIT AGRICOLE

(extrait du procès-verbal de la séance du 14 avril 1999)

Présidence de M. Robert PANDRAUD, Président d'âge

MM. Johny Berva, Georges Bloyer, Alain Cuzet, Michel Fournier, Christian Garcia, Serge Lanteaume et Christian Szydlowski sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Johny Berva, Georges Bloyer, Alain Cuzet, Michel Fournier, Christian Garcia, Serge Lanteaume et Christian Szydlowski prêtent serment.

M. Georges BLOYER (CFDT) : Je prendrai la parole au nom de la CFDT et en qualité de secrétaire du comité de groupe du Crédit agricole.

Sans vous rappeler l'histoire du Crédit agricole, il me paraît cependant indispensable d'en exposer les spécificités.

Le code rural organise bel et bien le Crédit agricole, et le principe de sociétés en coopératives, à capital et personnel variables, a jusqu'à maintenant régi notre banque. C'est un élément important pour prendre en compte les perspectives d'évolution, dont on entend beaucoup parler aujourd'hui.

Le mutualisme et l'aspect rural du Crédit agricole sont encore très profondément ancrés dans les pratiques, même si sa configuration a relativement évolué au cours des dernières années.

Notre organisation actuelle est encore pyramidale. La caisse nationale supervise une bonne partie des relations financières internes au groupe. La fédération nationale du Crédit agricole, quant à elle, regroupe, sur un plan beaucoup plus politique, les intérêts des caisses régionales. L'organisation du Crédit agricole présente donc, selon nous, une « bicéphalie ».

La configuration actuelle du Crédit agricole est celle d'une banque universelle. Après avoir été banque de proximité, banque de masse, banque de détail et banques à réseaux, le Crédit agricole s'est orienté, avec ses nouvelles acquisitions, vers un type de clientèle nouvelle - les grandes entreprises. Avec l'acquisition d'Indosuez, entre autres, nous sommes devenus une banque tournée vers l'international.

Entre le Crédit agricole d'il y a dix ans, et celui d'aujourd'hui, la diversité des métiers constitue, avec celle des conventions collectives, un des traits principaux du groupe.

Le mutualisme caractérisait essentiellement le Crédit agricole. Il se traduisait par une « solidarité » financière entre les caisses régionales, dont la presse s'est souvent fait l'écho. La caisse nationale - organe financier central - avait un rôle très important : à partir du moment où la solidarité financière jouait, les banques en difficulté conservaient leur statut. Cette situation induisait également un certain type de climat social, auquel nous tenions d'autant plus qu'au même moment, les personnels relevant des grandes banques connaissaient, en matière sociale, une réduction d'effectif relativement importante. Or, de 1986 à 1995, l'évolution des effectifs du Crédit agricole a été légèrement supérieure à 2,5 %.

Votre rapport fait clairement ressortir que nous sommes aujourd'hui en situation de rentabilité financière, en disposant d'un certain volant de fonds propres qui nous permet d'envisager, sous certains aspects, l'avenir favorablement.

Tous les éléments que je viens de rappeler constituent, du point de vue de la CFDT, la force principale du Crédit agricole.

L'avenir nous amènera peut-être à émettre un certain nombre d'interrogations. Quelle sera la position du Crédit agricole face au Crédit lyonnais ? Après avoir acquis Indosuez, puis Sofinco, avec des participations relativement importantes en Italie, quelques participations au Portugal et en Amérique du Nord, il nous paraît important que, dans la définition de sa politique et de ses moyens, le Crédit agricole opère un temps de pause, ce que nous avons rappelé publiquement lors de la dernière assemblée générale de la caisse nationale.

Qu'on nous comprenne bien. Nous ne voulons pas dire que nous ne souhaitons plus voir le Crédit agricole s'étendre dans l'avenir. Mais aujourd'hui, au vue des évolutions relativement importantes des dernières années, il nous semble bon qu'il envisage une pause. D'ailleurs, s'il fallait souhaiter un projet industriel au Crédit agricole, nous préférerions qu'il nous propose de bonnes conditions quant à la mise en place d'une réduction du temps de travail - dossier on ne peut plus au goût du jour.

Au-delà du Crédit lyonnais, certains de nos voisins européens auraient des vues sur le Crédit agricole, que ce dernier partagerait. On sait également que l'application stricte du code rural entraîne certaines limites, comme l'interdiction pour le Crédit agricole de faire appel à l'épargne publique. En 1988 et 1989, on parlait de privatisation, lorsque la caisse nationale est sortie de son statut d'établissement public. Il ne s'agissait alors que d'une mutualisation, les caisses régionales ayant racheté de manière interne et fermée le capital de la caisse nationale.

Aujourd'hui, sont menées des réflexions sur la mise en place d'une structure qui pourrait être cotée en bourse. Nous voulons, à ce sujet, appeler l'attention de nos dirigeants : s'ils souhaitent bel et bien la mettre en place, il faut que cette structure puisse éviter les risques d'une tentative d'offre publique d'achat par d'autres structures françaises ou étrangères.

On entend aussi souvent dire que le monde bancaire français bouge beaucoup. Pour nous autres salariés, il est étonnant, parfois même inquiétant, d'être confrontés à certaines situations : il suffit qu'un groupe tente une OPA pour que son voisin, très peu de temps après, en réalise une autre, et qu'un troisième se trouve amené à tenter une opération encore plus importante que les deux premières. Cette recherche de la dimension financière la plus grosse ne se fonde jamais sur une analyse préalable, sérieuse et suffisante des conséquences sur l'emploi.

Le Crédit agricole dispose de moyens élevés certes, mais qui, eu égard à ses opérations, sont relativement limités. Autant l'aspect rural pouvait être un élément favorable dans le fonctionnement de l'ancienne configuration du Crédit agricole, autant il risque de représenter un handicap quand le Crédit agricole, demain, se retrouvera confronté aux stratégies de groupes qui évoluent dans la finance nationale et internationale depuis beaucoup plus longtemps. Je ne veux pas dire qu'il existe un problème de compétence au Crédit agricole, mais comme le monde agricole, il a besoin de temps pour réagir. Or, aujourd'hui, nous ne sommes pas sûr qu'il dispose de la force nécessaire pour se lancer dans la gestion de groupes financiers multinationaux.

Lorsqu'on met en avant la nécessité d'une pause, il suffit d'examiner le résultat 1998, présenté par Crédit agricole Indosuez : une perte de 2 milliards, après 5 milliards de provision, est un élément supplémentaire qui nous amène à dire que la pause est absolument nécessaire, d'autant plus que juste avant l'acquisition d'Indosuez par le Crédit agricole, nous étions parvenus à éviter un plan social. Or demain, il n'est pas exclu que soient décidées des économies d'échelle, se traduisant par des économies sur la masse salariale, non sans conséquences sur le personnel.

M. Michel FOURNIER (CGC) : Qu'est-ce qui a fait la réussite d'un groupe comme le Crédit agricole, qui est venu tardivement au métier de la banque ? Quel est aujourd'hui la situation de ce groupe ? Quelles interrogations pour les cadres et l'ensemble de salariés sur l'avenir et l'évolution du Crédit agricole dont je tiens à rappeler l'attachement très fort de son personnel et de ses élus ? Telles sont les questions auxquelles je vais tenter de répondre.

Une autre façon de faire de la banque, fondée sur l'humanisme, telle est la clé de la réussite du Crédit agricole qui s'est créé par réaction aux autres banques du siècle dernier. Face au monde de la banque et de la finance, les hommes, nos administrateurs, nos salariés, étaient au centre de nos préoccupations, ce qui témoignait d'une vision humaine de ces activités.

Par ailleurs, nous avons réussi à créer un groupe décentralisé, mais également uni, mettant en avant une vision commune et proche du terrain.

Ainsi, grâce au mutualisme, nous avons été les premiers à nous intéresser à la mensualisation, aux « salariés-ouvriers-employés », tout en étant une banque de masse.

Ces éléments expliquent l'attachement viscéral des salariés au Crédit agricole, eux qui ont vécu il y a vingt-cinq ans cette belle réussite avec une certaine fierté.

Aujourd'hui, dans un contexte économique mondialisé, notre groupe a évolué. L'étape principale a été franchie au congrès de Strasbourg qui a pris acte de l'opération de fusion des caisses régionales. Nous sommes ainsi, dans la sérénité, passés de quatre-vingt quatorze, à cinquante trois caisses régionales. Si cette opération s'est bien déroulée d'un point de vue social, les repères ont été modifiés, et il a fallu investir fortement sur les projets d'entreprises, et donner un sens à cette restructuration. Aujourd'hui encore, on dispose d'une cartographie des caisses régionales qui n'est pas forcément régie par des contingences économiques ou de marchés, et il existe encore quelques petites caisses régionales, comme celle des Vosges.

Le Crédit agricole est ainsi devenu une banque universelle, qui a aussi très bien réussi dans l'assurance. Il est également présent sur le secteur international, et le rachat d'Indosuez lui a permis de mieux se positionner en Amérique du Nord et au Japon, en particulier.

La rentabilité financière du Crédit agricole est élevée. C'est une fierté pour tout le monde, d'autant plus que les résultats progressent chaque année, que les fonds propres sont importants et que son trésor de guerre lui permet d'agir sur le marché, avec des acquisitions et une croissance externe.

Dans le même temps, l'emploi a été maintenu dans toutes les catégories. Le Crédit agricole, depuis une dizaine d'années, a donc su devenir un groupe important qui pèse dans l'économie.

J'en viens à l'avenir du groupe.

Aujourd'hui, on se demande souvent quelle est la bonne dimension d'un groupe. Et lorsqu'on sait que la réussite appelle la réussite, et qu'on nous reproche de ne pas être assez gros par rapport à nos concurrents européens, nos dirigeants ont la tentation d'aller toujours plus loin. Cela peut se justifier au regard de la situation bancaire actuelle, mais, compte tenu de notre structure mutuelle, disposons-nous des moyens nécessaires à une croissance externe qui s'effectuerait sans échanges de titres ?

Une réflexion est menée sur ces questions et conduira certainement à des solutions. Mais comment faire partager cette vision aux administrateurs à l'origine de la création du Crédit agricole et qui en sont, à travers les caisses locales et les parts sociales, les propriétaires ? Comment maintenir cette unité du groupe ? Comment le faire comprendre aux salariés, et en particulier, à l'encadrement, qui se pose de nombreuses questions sur le sens et la finalité de la situation ? Ne pourrait-on pas opérer dans la sérénité, avec un retour sur investissement qui nous serait chiffré et démontré, avec un projet commun, où nos directeurs de caisses régionales seraient parties prenantes, afin de ne pas avoir l'impression que la démarche est orientée de Paris ?

Nous sommes des provinciaux, ne l'oublions pas. Et dans l'avenir, j'ai peur que nos clients qui nous font encore confiance s'inquiètent. Le Crédit agricole doit donc mettre en oeuvre une réflexion stratégique et expliquer ce qu'il entend faire, car il ne s'agit pas de choisir une croissance parce que les autres font de même.

Il est important que le Crédit agricole soit puissant dans la zone euro. Aujourd'hui, c'est vrai, nous y sommes insuffisamment présents, et l'apport du Crédit lyonnais pourrait faciliter notre implantation en Europe du Nord.

Au plan social, nous rencontrons un problème - le dossier des 35 heures en est un bon exemple - quant à l'harmonisation des statuts du personnel, puisque certains relèvent de la caisse nationale, certains, de l'AFB, et d'autres, de l'assurance. Il faut aborder le dossier stratégique de la réduction du temps de travail avec un objectif d'emploi, afin de préparer les nouvelles générations aux évolutions, et jouer un rôle plus citoyen. Or, aujourd'hui, on constate que nos dirigeants ont tendance à se satisfaire des dispositions prévues par l'accord signé par l'AFB, ce qui constitue un recul et même, à nos yeux, un véritable échec. Pour assurer la réussite du Crédit agricole, les salariés ont beaucoup donné, et aujourd'hui, ils travaillent plus souvent quarante cinq heures par semaine que trente neuf.

Une entreprise, encore une fois, n'est pas uniquement faite de capitaux : elle est d'abord constituée par ses clients et ses salariés.

Qu'on nous entende bien : nous ne disons pas qu'il ne faut pas évoluer. Seulement, compte tenu de la surface financière du Crédit agricole, nous pouvons, si nous le voulons, mener à bien un développement financier, commercial et économique continu, tout en assurant une réussite sociale. Nous nous sommes délibérément inscrits dans ce schéma, et nous n'acceptons pas de sacrifier l'aspect social et la valeur humaine, au profit de quelques points de croissance supplémentaires.

J'en viens à l'aménagement du territoire.

La grande réforme du Crédit agricole s'est faite en maintenant nos agences et nos caisses régionales dans le territoire. Le tissu local des caisses régionales, à quelques rares exceptions près, a été conservé. Pour combien de temps encore ? On peut se le demander, d'autant plus qu'une réforme en profondeur aura bientôt lieu à propos des réseaux externalisés, dans la distribution. Cela s'appelle la banque à accès multiple. La banque, en effet, constitue un flux d'information, est peut bel et bien se développer sans relations interpersonnelles. Dès lors, la tentation est grande, pour des raisons uniquement financières, de mettre en place des relations via les nouvelles technologies de l'information. Pour autant, si ces nouvelles technologies sont importantes, elles doivent être dirigées par des hommes et des femmes.

Au fond, quelle est la finalité du système ? De douze milliards de résultat, on peut très bien imaginer passer à quinze, et pourquoi pas à dix-huit.

M. Michel FOURNIER (CGC) : L'objectif de nos dirigeants est de peser sur les charges pour obtenir le maximum de résultats.

Une banque sert à financer les acteurs économiques, nous ne l'oublions pas, mais nous pensons aussi qu'elle doit jouer son rôle en matière d'emploi.

Pour conclure, un changement en profondeur est perceptible au Crédit agricole, qui se traduit dans le style de management, notamment : nous sommes de plus en plus centrés sur les résultats et la production. Certes, c'est normal, mais le Crédit agricole avait une dimension complémentaire : l'importance attachée aux hommes. Le Crédit agricole de demain, s'il veut continuer à se développer, doit le faire avec ses clients, ses élus et ses salariés.

M. Alain CUZET (FGSOA) : Comme la FGSOA ne constitue pas une confédération, je tiens à vous présenter notre organisation. La fédération générale des salariés des organisations professionnelles de l'agriculture et de l'industrie Agroalimentaire regroupe différentes branches du secteur agricole, entre autres, MSA Crédit agricole et les coopératives.

Nous sommes très attachés aux valeurs du Crédit agricole, valeurs que nous espérons conserver le plus longtemps possible. Nous sommes tous plus ou moins issus d'un milieu agricole, et tout ce qui concerne le Crédit agricole nous touche.

Ma préoccupation principale est relative au développement des banques, et aujourd'hui, il suffit que le dirigeant d'une banque décide d'en absorber une autre, pour que le dirigeant de cette dernière ait envie d'en avaler une troisième. J'ai donc peur que la fable de la grenouille et du boeuf ne devienne une réalité.

S'agissant du thème de votre commission, je ne crois pas que le Crédit agricole ait jamais usé ou abusé des aides de l'État. Ainsi, nous n'avons pas demandé à bénéficier du dispositif incitatif de la loi Aubry, et nous entendons bel et bien mettre en place les 35 heures avec nos moyens. Notre personnel, par ailleurs, part en préretraite avec notre propre financement, sans aides de l'État jusqu'à présent. Enfin, l'essentiel des formations ont été réalisées au Crédit agricole, et nous reversons même des excédents par rapport aux sommes récupérées pour la formation. Si le Crédit agricole occupe la place qui est la sienne, il ne le doit donc pas aux aides de l'État.

S'agissant de l'aménagement du territoire, le Crédit agricole est présent partout, mais malheureusement il est en concurrence déloyale - et je pèse mes mots - avec des établissements publics comme la Poste. Il serait donc sage de donner les mêmes moyens à tous, alors que cette dernière utilise les agences postales comme pieds à terre.

Par ailleurs, le Crédit agricole me semble apporter largement sa pierre à l'édifice de l'aménagement du territoire. Les résultats sont là pour le prouver : nous sommes le principal pourvoyeur de prêts à l'habitat, et nous commençons à nous implanter dans l'assurance. Nous regrettons d'ailleurs d'être en concurrence avec Groupama, alors que nous avons les mêmes administrateurs.

Quant au volet emploi, le Crédit agricole a su conserver ses emplois, et malgré les restructuration des caisses régionales qui se sont regroupées, on constate même une augmentation globale de 2,5 % des emplois.

Pour l'avenir, il est certain que les banques devront s'externaliser. Certaines opérations d'externalisation s'opèrent sous forme de participation. Mais à part Indosuez, où le Crédit agricole a connu quelques soucis du fait de la crise économique en Asie, je pense que les investissements réalisés en Italie ou au Portugal n'ont pas été mauvais.

Par contre, les vues du Crédit agricole sur le Crédit lyonnais me gênent plus. Mon jugement est très réservé, mais il ne s'agit que d'une opinion personnelle. J'espère que le Crédit agricole ne fera pas fausse route en décidant d'investir quelques milliards de francs au Crédit lyonnais.

M. Christian GARCIA (FO) : Je tiens d'abord à rappeler le contexte international bancaire, en examinant les conséquences des fusions et des concentrations dans les systèmes bancaires.

Mes observations concernent essentiellement l'Europe et la France, et s'appuient sur quelques considérations touchant le prétendu modèle américain, dont la présentation est souvent erronée.

Contrairement à une idée reçue, les États-Unis sont le pays des petites banques et non des grandes concentrations bancaires. Les réseaux de distribution du crédit sont extrêmement variées et morcelées. Sur 8 900 banques commerciales actuelles, seulement 380 disposent d'un bilan de plus de 1 milliard de dollars, soit 930 millions d'euros.

La banque américaine moyenne reste donc une petite entreprise, et la législation continue de limiter strictement les concentrations bancaires : aucune banque ne peut représenter plus de 30 % des dépôts dans un seul État, et plus de 10 % des dépôts au niveau national.

Depuis quelques années, l'Europe bancaire ne cesse de se concentrer, et le mouvement s'intensifie ces dernières semaines, notamment en France et en Italie. En Europe, un seul établissement peut dominer son marché domestique. Et si la BNP réussit son opération avec la Société Générale et Paribas, le nouvel ensemble détiendra 15 % du marché national.

Quelles sont les conséquences de ces grands mouvements de fusions ?

D'abord, rien ne permet d'affirmer aujourd'hui que les grandes banques sont plus performantes que les petites, et que l'économie est mieux financée par de grandes structures que par des petites. Ainsi, 52 % des fusions réalisées dans les années 1990 ont créé de la valeur pour l'actionnaire, ce qui signifie que 48 % ont échoué sur ce plan. En outre, plus les transactions sont importantes, plus elles risquent d'échouer. De surcroît, les fusions entre banque opérant sur le même marché ne peuvent réussir qu'avec la fermeture de guichets redondants, et donc des suppressions d'effectifs. Les choses se compliquent si les partenaires de la fusion sont de taille égale, et non si c'est une grande structure qui en absorbe plusieurs petites. Dans les cas d'égalité, en effet, si des différences surgissent au sein du haut management, la fusion est un échec, car le facteur humain est la clef de la réussite. Or, il est un peu oublié dans les grosses fusions.

Les fusions ont, en général, un coût social élevé. Les réductions de coût et d'effectifs sont nécessaires pour ne pas risquer de perdre des parts de marché, et l'aménagement du territoire ne constitue pas une préoccupation bancaire, malheureusement. Dans les quatre prochaines années, 200 000 emplois bancaires pourraient disparaître en Europe. A cet égard, il serait temps de cesser d'inquiéter les salariés par des menaces de licenciement. En France, jusqu'à présent, les rapprochements d'institutions financières n'ont conduit qu'à des ajustements limités, mis à part dans le cas du Crédit lyonnais. L'étape suivante s'annonce plus difficile pour plusieurs raisons. Compte tenu des exigences élevées des marchés financiers, les passages à l'euro et à l'an 2000 rendent très délicates des fusions des systèmes informatiques. Les renégociations des conventions collectives et les négociations sur la réduction du temps de travail ne sont pas encore achevées.

J'en viens au Crédit agricole.

Banque essentiellement rurale à l'origine, il a franchi un virage, comme l'a rappelé mon camarade de la CGC, en 1989, date à laquelle ont eu lieu la mutualisation et les fusions des caisses régionales.

Quant aux regroupements, si on peut considérer qu'il s'agit d'une première tentative de fusion, ils se sont passés sans difficultés sociales, puisqu'il n'y a pas eu de licenciements. Au contraire, les effectifs ont progressé depuis 1989 malgré la réduction de près de moitié des caisses régionales. Mais il ne faudrait pas qu'après 2002, les nouvelles vagues de fusions entre les caisses régionales non encore fusionnées, ou le regroupement de caisses déjà fusionnées, se traduisent par une bataille de pouvoir entre certains directeurs non formés dans le sérail du Crédit agricole, et certains jeunes « technocrates » qui ne seraient pas formés dans le milieu rural et mutualiste du Crédit agricole.

Pour notre part, nous sommes très attachés au triptyque « salarié, élus locaux, clients » du Crédit agricole. En France, ne l'oublions pas, le Crédit agricole était une banque de premier plan. Elle a voulu s'internationaliser - ce n'est pas toujours une mauvais chose -, mais l'opération n'a pas été une réussite totale. Indosuez sera très certainement difficile à digérer, et comme l'ont remarqué certains intervenants, la pause est peut-être nécessaire. Ainsi, au lieu du rachat d'une part du Crédit lyonnais, nous regrettons qu'un regroupement entre Groupama et le Crédit agricole n'ait pas eu lieu : actuellement, ces deux entreprises formeraient peut être le premier groupe de banques et d'assurance en France, et seraient de véritable assureurs « sociaux », ce qui n'est pas le cas des groupes d'assurance qui se mettent en place.

Les résultats 1998, comme ceux des années précédentes, nous permettaient de renforcer nos fonds propres, de ne pas affaiblir les caisses régionales par le biais d'une augmentation de capital de la caisse nationale, voire d'améliorer l'existant ou les participations dans les banques européennes agricoles et rurales.

Nous somme très attachés aux valeurs du Crédit agricole d'origine, au mutualisme, même si on a tendance à l'oublier dans la pratique. Nous sommes particulièrement attachés à l'implantation du Crédit agricole dans le monde rural, à ces « agences près du peuple », comme on disait jadis. Comme l'a remarqué un intervenant, le développement des banques par téléphones ne pourrait que nuire au Crédit agricole qui perdrait toute notion du contact humain.

M. le Rapporteur : Un intervenant a voulu rappeler que le Crédit agricole n'avait ni usé ni abusé des aides de l'État, mais je tiens à rappeler que ce n'est pas la raison pour laquelle nous avons souhaité vous auditionner. Ce qui nous paraît important, c'est qu'en matière d'aménagement du territoire, le Crédit agricole joue un rôle de proximité essentiel, auquel vous semblez y être très attachés.

Vous avez parlé de plusieurs statuts pour les personnels. Pourriez-vous nous apporter quelques explications sur cette situation ?

J'ai eu le sentiment qu'il n'existait pas d'opposition à l'évolution en cours du Crédit agricole. Il conserve bien son statut de banque de proximité, même s'il existe quelques interrogations sur son attitude à l'égard des PME et des PMI qui conduit parfois à trop de prudence. Certaines initiative, en effet, ne sont pas « aventureuses ». S'agissant du Crédit lyonnais, je n'ai senti, tout au plus, qu'une inquiétude sur les conditions de l'opération. Mais d'après vos dirigeants, j'ai l'impression qu'une sorte d'obligation leur est faite de s'inscrire dans le mouvement, non pas qu'ils craignent une OPA, impossible dans le cadre du statut actuel du Crédit agricole, mais parce que, sans croissance externe, ils risquent de perdre des marchés. Je ne vois donc pas de quelle manière une pause pourrait être envisagée, puisqu'une autre logique s'est mise en place depuis quelques années. Quel est votre sentiment ? Quels sont les moyens à mettre en oeuvre pour conserver votre statut ?

M. Bloyer a parlé de la solidarité financière intercaisse. Pourriez-vous expliciter ce point ? J'avais cru comprendre, pour ma part, que cette solidarité n'allait pas de soi.

M. Alain CUZET (FGSOA) : Elle est statutaire !

M. le Rapporteur : M. Garcia a souligné qu'il fallait cesser de menacer les salariés de licenciements. Or, hier soir, les dirigeants du Crédit agricole n'y ont fait aucune allusion. Existent-il des menaces plus précises ?

M. Michel FOURNIER (CGC) : Aujourd'hui, les systèmes ont pris le pas sur les individus, sur les projets, les orientations et donc sur la valeur des hommes. Certes, on peut penser que le Crédit agricole est pris dans la spirale actuelle et qu'il doit faire comme tout le monde. Mais je considère que cette réponse n'est pas valable. Si le Crédit agricole ne licencie pas, puisqu'il n'existe pas de plan de licenciement, la relation sociale est néanmoins tendue, et au nom d'une logique de système, elle pourrait se dégrader davantage.

Je crois à la valeur des hommes et à la politique. C'est pour cela que, dans notre société avancée, il faut poser les bonnes questions. Dans le domaine bancaire, la notion du mutualisme demeure bel et bien fondamentale et moderne, car elle comporte une dimension humaniste et le principe de la non rentabilité du capital à outrance. Cela dit, ne faisons pas du mutualisme comme certains qui sont adossés à un groupe capitaliste.

Dans le monde rural moderne d'aujourd'hui, le Crédit agricole, banque mutuelle, agricole et rurale, reste une banque moderne.

M. Alain CUZET (FGSOA) : S'agissant des différents statuts existant au Crédit agricole, la caisse nationale était régi, il y a encore quelques années, par une convention différente de celle des caisses régionales. Le fait de racheter des établissements bancaires ou financiers a eu pour conséquence d'introduire des personnels à statut AFB. De même, lorsqu'on s'est intéressé à l'assurance, il a fallu intégrer les conventions propres à ce métier. Par ailleurs, certains fonctionnaires sont détachés de différents ministères à la caisse nationale. C'est une situation qui nous ennuie, car les personnels qui relèvent du statut de la caisse nationale sont aujourd'hui minoritaires, et la convention propre de cette caisse risque de se trouver en minorité.

M. Serge LANTEAUME (CGC) : Le système du Crédit agricole est un peu particulier, puisqu'il existe, au sein des caisses régionales, deux conventions collectives, l'une s'appliquant aux cadres de direction - qu'ils gèrent entre eux - et l'autre s'appliquant aux autres salariés, discutée avec les cadres de direction. Le statut de ces deux conventions n'est pas tout à fait identique.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous préciser cela ?

M. Alain CUZET (FGSOA) : Les cadres de direction ont leur propre convention.

M. Serge LANTEAUME (CGC) : Les cadres dirigeants au Crédit agricole - les directeurs généraux, les sous-directeurs et les directeurs adjoints de chaque caisse régionale - sont régis par une convention collective particulière - la convention collective des cadres de direction - qu'ils négocient entre eux. Celle-ci, en leur octroyant certains avantages, est totalement déconnectée de la convention collective des autres salariés de l'entreprise. Cette ambiguïté commence à devenir pesante : dans le cadre des fusions, la convention collective des cadres de direction génère certains avantages substantiels.

M. le Rapporteur : Ces avantages se traduisent-ils sous la forme de mise à disposition d'actions et de rémunérations privilégiées ?

M. Alain CUZET (FGSOA) : On peut le dire comme cela... (Sourires)

M. le Rapporteur : Et il s'agit bel et bien d'une convention collective ?

M. Serge LANTEAUME (CGC) : Oui, il s'agit d'une convention spécifique, propre aux cadres dirigeants.

M. Georges BLOYER (CFDT) : Je veux revenir sur la notion de pause.

Le mouvement d'évolution dans lequel le Crédit agricole s'est engagé est peut-être nécessaire. Il s'agit d'un mouvement relativement rapide et pluridirectionnel, dépassant largement les frontières hexagonales et la zone euro. Avec l'acquisition SOFINCO, un second mouvement a permis d'entrer dans un nouveau métier, celui du financement des crédits à la consommation sur lequel, il y a quelques années, nous avions essayé de mettre en place quelques structures et quelques outils avec un insuccès certain. Des problèmes d'harmonisation se posent donc pour Sofinco et les caisses régionales.

Lorsque le Crédit agricole a acquis Intesa, il n'a pas procédé comme Renault qui, lorsqu'il a acheté Nissan, a placé l'un de ses dirigeants, accompagné d'un staff lui permettant bel et bien de le seconder. Or, le dirigeant nommé par le Crédit agricole à Intesa, est issu de notre sérail, mais il nous paraît un peu isolé.

De même, il a fallu que les résultats d'Indosuez soient négatifs, pour que le Crédit agricole prennent enfin la responsabilité totale du nouveau groupe qu'il avait acheté, car à notre sens, il avait laissé en place une large majorité de l'ancien staff qui certes, était d'une culture différente, mais qui a trop longtemps conservé les rênes.

Je ne suis pas persuadé que nous soyons des banquiers comme les autres. Mes collègues ont rappelé leur attachement au rural. La configuration actuelle du Crédit agricole va certes changer, puisque les hommes d'aujourd'hui devront partir, mais nos dirigeants actuels viennent du monde de l'agriculture, avec toute les qualités que cela suppose. On ne saurait les comparer aux dirigeants des autres groupes financiers, dont la culture est totalement différente.

Quant au contrôle, la caisse nationale disposera-t-elle encore des moyens de contrôle d'un groupe qui prendra 10 % du Crédit lyonnais ? Cela fait quatre ans que l'on pose ce type de questions, et on nous répond toujours favorablement. Nous voulons croire nos dirigeants, mais si les pertes d'Indosuez s'expliquent par la conjoncture propre à l'Asie, nous pensons que cette situation aurait pu être évitée si les rênes avaient été prises plus rapidement par le Crédit agricole.

M. le Rapporteur : L'expérience, l'histoire et le type de fonctionnement du Crédit agricole ne l'auraient donc pas préparé à assurer la croissance sur laquelle il se positionne aujourd'hui ? Il n'aurait pas les moyens de ses objectifs ? En disposant de moyens financiers suffisants, il céderait à un effet de mode ?

M. Georges BLOYER (CFDT) : Tout à fait ! Ainsi, lorsque le Crédit agricole s'est lancée sur le métier des fusions-acquisitions, il s'agissait d'un métier aux antipodes de sa culture. C'est pourquoi nous pensons qu'une pause est nécessaire.

M. le Rapporteur : Néanmoins, cette idée vous paraît-elle vraiment réaliste ?

M. Georges BLOYER (CFDT) : Qu'on nous apporte la preuve que tous les investissements, les fusions-acquisitions, permettent d'assurer une rentabilité aux capitaux propres. Jusqu'à preuve du contraire, notre PNB est assuré pas nos activités traditionnelles et de base et pas du tout par les dernières dépenses de développement qui ont été engagées.

M. Serge LANTEAUME (CGC) : Je veux revenir sur les problèmes d'évolution. La question de la pause est légitime, car il existe des opportunités. En tant que salariés, nous sommes inquiets du développement auquel nous assistons, d'autant plus qu'il n'est pas toujours bien réfléchi. On a l'impression d'un développement réactionnel plutôt que d'un développement effectué dans le cadre d'une stratégie mûrement réfléchie.

A bien examiner les démarches engagées par d'autres groupes, on constate que les développements ont lieu selon des complémentarités déjà existantes. Or, nous nous dirigeons vers des métiers qui ne sont pas les nôtres. Certes, cette démarche peut être intéressante en matière de stratégie globale, mais lorsqu'on est une banque de proximité, et qu'on a l'habitude de servir le salarié, le boucher et le boulanger du village, on ne sait pas forcément monter des opérations de financement international de haut niveau.

Une question nous préoccupe tout particulièrement. Elle relève du domaine politique, car toutes ces fusions, ces courses à la croissance, risquent de conduire à ce qu'il n'y ait plus qu'une seule banque, qu'un gros groupe industriel dans la métallurgie, en position de monopole, et des milliers de chômeurs. Est-ce vraiment la société que l'on veut pour demain ? Je ne le crois pas.

Face a cette situation, l'organisation mutualiste du Crédit agricole est originale. Et comme nous sommes protégés d'une OPA, la pause est possible.

Nos dirigeants estiment qu'on risque de prendre du retard. Mais aujourd'hui, à la lecture des journaux économiques et des livres d'universitaires, on constate qu'il existe une multiplicité de thèses. Qui détient la vérité ? On veut faire comme les autres, mais les autres ont-ils raison ? La sagesse ne serait-elle pas de laisser les autres s'entre-tuer ?

Notre organisation qui pouvait paraître désuète à une certaine époque, reste très originale, et constitue une garantie pour l'emploi.

Par ailleurs la spirale des fusions génère des contraintes. Nous sommes obligés, du fait de notre système, de payer cash et lorsqu'on décide d'acheter Sofinco, nos dirigeants réclament de l'argent aux dirigeants des caisses régionales qui, en conséquence, demandent toujours plus aux salariés. Le système génère donc du stress et une pression, cause des grèves actuelles dans une dizaine de caisses régionales.

Vous avez parlé de menaces de licenciements. Cette possibilité a été évoquée dans certaines caisses régionales, dans le cadre de la mise en place de la réduction du temps de travail. Or, jusqu'à maintenant, nous n'étions pas habitués à cette culture.

Nous devons nous inscrire dans un cadre de développement, générateur d'emploi. C'est pourquoi notre organisation syndicale souhaiterait qu'une pause soit mis en oeuvre, car notre entreprise n'a pas besoin de rémunérer le capital à cinq fois le taux d'inflation, seulement parce que les actionnaires réclament toujours plus ! Le Crédit agricole devrait être une entreprise modèle en matière d'emploi.

Les salariés du Crédit agricole ne s'y retrouvent plus. La dynamique de notre entreprise, provient des hommes et des femmes, salariés du Crédit agricole, qui l'ont assurée, sur le terrain, dans les villages et les communes. Le Crédit agricole, ne l'oublions pas, c'est « le bon sens près de chez vous ». Or aujourd'hui, cet esprit est en train de s'étioler.

Nous sommes viscéralement attachés à cette entreprise, et si elle devenait « capitaliste », nous serions perdus.

Il existe, certes, une opportunité de rachat du Crédit lyonnais, mais devons-nous le reprendre, sous prétexte que d'autres veulent le faire ?

M. Christian SZYDLOWSKI (FGSOA) : Je veux réagir aux propos de M. Lanteaume, car dans les années 1987 et 1988, le Crédit agricole a engagé une série de processus de fusion dans toute la France. Or, si quelques problèmes mineurs se sont posés, convenons que dans la plupart des cas, les fusions n'ont entraîné aucun licenciement.

M. Christian GARCIA (FO) : Lorsque j'ai parlé de la menace de licenciements, je ne pensais pas au Crédit agricole. Mais dans le cadre d'une prise de participation au Crédit lyonnais, à hauteur de 10 %, voire davantage, on risque de rencontrer de nombreux problèmes de licenciements.

Vous avait fait état du rachat inévitable du Crédit lyonnais, mais je pense que le Crédit agricole n'a pas la volonté propre d'entrer au Crédit lyonnais : de nombreux ministres avaient déjà fait pression en ce sens. Or, ceux-ci ne se préoccupent pas des conséquences en matière d'emploi : ils ne s'intéressent qu'à la partie bancaire et financière de l'opération, non à ses aspects sociaux. Le Crédit lyonnais, en effet, a connu de nombreux licenciements, et rien ne dit qu'ils s'arrêteront une fois sa privatisation effectuée.

Dans le choix des investissements du Crédit agricole, il faut donc être attentif et modéré, en n'amputant pas trop les fonds propres, afin que la caisse nationale ne soit pas obligée de faire appel aux fonds des cinquante trois caisses régionales, car s'il l'on avait à faire face à un appel de fonds aussi important que celui effectué pour le rachat de Sofinco, de petites caisses régionales ne pourraient pas supporter l'opération, et seraient alors obligées de fusionner avec d'autres caisses régionales. Il y aurait alors de sérieux risques de licenciements.

M. Alain CUZET (FGSOA) : S'agissant de la solidarité intercaisse, elle s'est vérifiée dans les faits lorsque des caisses régionales se sont retrouvées en difficultés financières, et la caisse nationale les a toujours aidées de manière à ce qu'elles puissent continuer à exister.

M. le Rapporteur : Cela dit, lorsqu'on s'adresse aux caisses régionales pour racheter une banque, elles sont obligées de participer, et certaines risquent de se retrouver en difficulté. Dans cette hypothèse, la solidarité ne jouera pas, et une fusion interviendra.

M. Alain CUZET (FGSOA) : Certes, mais elles ne sont jamais obligées de participer au financement.

M. Serge LANTEAUME (CGC) : Aujourd'hui, si certaines caisses régionales ne peuvent pas verser de fonds à la caisse nationale, la solidarité intercaisse jouera, et les plus importantes paieront pour les autres. Certaines caisses risquent alors de devenir de plus en plus riches, d'autres, de plus en plus pauvres. Dans ces conditions, les caisses pauvres seront inévitablement absorbées.

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