Accueil > Documents > Dossiers > Groupes industriels

TOME III (volume 2)
Hewlett Packard France

Audition de la direction
Audition des syndicats

Audition de la direction

Audition de MM. Yves COUILLARD,
Président de HEWLETT PACKARD France,

Pierre FANTOBO,
Directeur des ressources humaines,

Alain RIOULT,
Directeur juridique et

Christian WAUQUIEZ,
Directeur administratif & financier

(extrait du procès-verbal de la séance du 6 avril 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Yves Couillard, Pierre Fantobo, Alain Rioul et Christian Wauquiez sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Yves Couillard, Pierre Fantobo, Alain Rioul et Christian Wauquiez prêtent serment.

M. Yves COUILLARD : Hewlett-Packard est une société américaine créée en 1939 et arrivée en France en 1963-1964. Son histoire est naturellement marquée par une succession de réussites, d'échecs et de tâtonnements qui ont fait de HP France ce qu'il est aujourd'hui.

La France constitue le quatrième marché informatique mondial avec 32 Mds  : telle est la raison principale qui a conduit et conduit encore Hewlett-Packard (HP) à investir et opérer dans notre pays.

Le territoire national bénéficie d'une main d'_uvre de haute qualité, innovante, créative, loyale vis-à-vis de son employeur - ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres pays comme les États-Unis - et persévérante sur les dossiers et sujets lourds. Un certain nombre de formations sont d'excellent niveau, par exemple dans le domaine des télécommunications.

Comptent également dans cette implantation hors du pays d'origine les compétences acquises au fil des dossiers. L'usage de HP Corp. est en effet de laisser aux équipes gagnantes la propriété des savoir-faire qu'elles ont su développer au cours du temps. C'est ainsi que les responsabilités mondiales relatives aux ordinateurs de bureau (PC, personal computer) sont demeurées à Grenoble, puisque ce site peut s'enorgueillir d'avoir constamment réussi à positionner HP au niveau où il se trouve aujourd'hui. Il n'est donc pas dans nos habitudes de délocaliser des responsabilités mondiales quand les sites sont performants.

L'ensemble de ces caractéristiques est important car nous travaillons dans un secteur d'innovation et avons besoin de nous appuyer sur des éléments culturellement profonds.

Quel est le poids économique de Hewlett-Packard ? Nous représentons sur un plan mondial 47 Mds $ de chiffre d'affaires, un profit de près de 3 Mds $ et environ 124 000 salariés. En France, nous avons clos l'année 1998 au 31 octobre avec 30,9 Mds F de chiffre d'affaires (soit une croissance de 25 %) et un volume d'emploi proche de 4 900 personnes. Nous avons considérablement renforcé nos effectifs, puisqu'un salarié sur quatre est entré dans la société au cours des trois dernières années. Toutefois, cette croissance est le solde net de créations d'activité mais aussi d'arrêt ou de ralentissement d'autres activités.

L'agrandissement de nos sites industriels de Grenoble et L'Isle d'Abeau est en cours et représente un investissement de près de 350 millions de francs, dont la dernière tranche interviendra vers le mois d'octobre 1999. La qualité de nos sites en France est du même niveau que celle de nos sites implantés ailleurs dans le monde. Je voudrais également signaler que la France dispose de la plus grande usine de production de PC de Hewlett-Packard Corp. ainsi que du principal centre de formation de ses employés à L'Isle d'Abeau.

Nos implantations sont motivées par des paramètres très clairs. Le site de Grenoble a été installé au début des années soixante-dix parce qu'il existait dans la ville une université très performante. Les deux villes en compétition lors de la prise de décision étaient Toulouse et Grenoble, pour les mêmes raisons de forte disponibilité de ressources universitaires.

Nous avons installé en 1985 à L'Isle d'Abeau une deuxième unité de production pour des raisons logistiques. Cela permettait en effet d'être à la fois proche de Grenoble et des n_uds logistiques de la région lyonnaise (aéroport de Satolas).

Nos implantations en région parisienne ou dans les grandes villes résultent simplement de la proximité de nos clients et non d'autres considérations.

Les implantations sont délicates à modifier : il faut tenir compte du poids des effectifs et des savoir-faire, d'autant que le groupe ne pratique pas - contrairement à d'autres - la chasse aux primes.

En toute hypothèse, les risques sont répartis à travers les 130 pays dans lesquels HP Corp. opère dans le monde.

Nous procédons également à une mutualisation des risques en Recherche et développement (R&D). Nous sommes l'un des grands investisseurs du secteur, aux côtés d'IBM, Microsoft et Intel qui disposent de budgets de R&D avoisinant les 3 Mds $ annuels. Ce sont donc des budgets considérables, la maison mère HP Corp. centralisant le risque au prix d'une collecte de royalties auprès des utilisateurs des résultats de ses recherches.

Je tiens à souligner que nous sommes actuellement la neuvième société française par le nombre de brevets déposés, selon les derniers chiffres publiés (1996) - soit 326 brevets. J'observe que les dix premières sociétés qui déposent des brevets en France sont des sociétés étrangères et qu'elles participent ainsi, fut-ce indirectement, à la création de la richesse nationale.

Une gestion de trésorerie centralisée nous permet enfin de mettre les entités opérationnelles à l'abri des risques de change, qui peuvent être extrêmement lourds quand on opère à travers le monde. Le groupe maintient de fortes liquidités bancaires car HP Corp. a pour principe, depuis sa création, de ne pas s'endetter : c'est la raison pour laquelle les quelques crédits figurant au bilan font référence à des opérations provisoires et sans conséquences.

Les aides publiques auxquelles nous avons accès sont relativement faibles. Notre politique n'est pas guidée par la recherche de primes, bien que nous en bénéficiions naturellement quand des programmes en génèrent.

Le résultat de notre présence en France est tout d'abord le maintien et le développement de l'emploi : aux plus de 5 000 postes directs, il faut ajouter les embauches chez nos partenaires en amont ou en aval, dont nous faisons un usage très important.

Il apparaît que nous avons dépensé en France en 1997 829 MF en R&D, soit 0,7 % de l'ensemble de la R&D française privée toutes industries confondues : le chiffre est relativement conséquent et méritait d'être noté.

Nos contributions au monde éducatif sont importantes. Nous avons signé en décembre des accords de partenariat avec le ministère de l'éducation nationale et les académies de Versailles et Lyon, pour aider notamment ces dernières à élargir l'utilisation de l'informatique dans le cursus d'enseignement. Ces académies sont parmi les plus importantes de France, celle de Versailles comptant plus de 100 000 enseignants.

Nous avons des accords avec de nombreuses grandes écoles comme HEC, l'École des mines et l'École centrale de Lyon, l'École supérieure de commerce de Grenoble, l'ENSIMAG, l'ENSERG, l'École des arts et métiers etc. Nous avons également lancé des programmes en direction des écoles secondaires et primaires - souvent en liaison avec Microsoft - afin de permettre aux organismes de formation des maîtres de tester l'informatique dans un cadre scolaire.

Sur le plan philanthropique, Hewlett-Packard dépense en Europe près de 100 MF chaque année, qui viennent s'ajouter aux efforts déjà consentis et dont les deux tiers vont au monde éducatif.

Du point de vue de l'insertion internationale de la France, je déplore l'insuffisance de candidats à l'expatriation. C'est un sujet auquel nous sommes sensibles, puisque nous comptons environ 300 étrangers travaillant en France contre une cinquantaine de Français à l'étranger. Nous aimerions naturellement que cette balance soit beaucoup plus équilibrée.

Concernant notre contribution aux finances de l'État et des collectivités locales, nous versons des impôts tout à fait conséquents, qui se comptent en centaines de millions de francs.

S'agissant de l'avenir, l'Europe se construit très vite et est une réalité vécue au quotidien dans notre société. Il nous semble pourtant qu'un décrochage existe entre le monde politique de la plupart des pays et la sphère économique telle que nous la ressentons.

Dans ce nouvel espace, les entreprises ne peuvent se maintenir longtemps sans compétitivité suffisante.

Nous assistons donc à une mise en concurrence des sites dans le cadre des nouvelles activités, les localisations se faisant progressivement vers tel pays plus accueillant ou plus compétitif. Si le Parlement n'y prend pas garde, nous aboutirons à des spécialisations des pays par activité qui seraient dommageables. Ce scénario apparaît malheureusement plausible, compte tenu de la difficile prise de conscience des parlementaires des différents pays européens.

Une autre évolution accélère la disparition des frontières dans nos activités : le commerce électronique, qu'on l'appelle e-business, e-services etc. C'est un facteur de transformation profond et rapide, qui constitue un nouvel enjeu pour les acteurs du monde politique.

L'externalisation des activités s'inscrit quant à elle dans le cadre normal du recentrage sur les meilleurs savoir-faire, compte tenu de la nécessité de conserver à l'entreprise une taille raisonnable. Si nous intégrions l'ensemble des activités de nos partenaires en amont et en aval, la société compterait peut-être trois cents ou quatre cents milles personnes. Nous ne sommes pas convaincus que nous saurions gérer un groupe de cette taille : chacun a observé ce qui est arrivé à IBM quand la société a franchi le seuil des 400 000 personnes dans le monde. Dans notre secteur, les savoir-faire n'existent pas pour que de tels géants se développent. Un constat différent s'imposerait dans des mondes plus traditionnels où certains groupes dépassent les 500 000 personnes : ils constituent néanmoins des exceptions et leur réussite nécessite beaucoup de talents en matière de gestion.

Par ailleurs, le marché développe constamment des pôles de compétences disponibles pour tous et plus compétitifs, ce qui constitue un facteur puissant d'externalisation des activités. A partir du moment où existent des compétences et une compétitivité meilleures que les vôtres, il vous est impossible de ne pas y faire appel.

L'harmonisation européenne en matière d'aides publiques nous paraît impérative, dans le cadre naturellement d'une certaine flexibilité en matière d'aménagement du territoire vis-à-vis de zones défavorisées.

On n'insistera de même jamais assez sur le secteur éducatif, meilleur remède existant pour relever l'employabilité des salariés et lutter contre le chômage.

Il faut également favoriser l'emploi hors de France : au vu des ratios relatifs à l'Allemagne ou au Royaume-Uni, il est théoriquement possible de doubler le nombre de Français travaillant à l'étranger. J'ai moi-même exercé des responsabilités chez Hewlett-Packard à l'extérieur de la France. J'ai pu voir combien de personnes venant du monde anglo-saxon travaillaient dans nos équipes et ai toujours déploré de ne pas voir suffisamment les Français postuler pour se rendre hors de leur pays.

Au final, une aide publique différencie toujours en plus ou en moins la France ou une région. Si elle existe, elle doit récompenser les acteurs qui apportent une contribution au pays ; quand on définit des axes de développement pour la France, il faut essayer que les incitations récompensent les acteurs qui aident à atteindre ces objectifs. Par exemple, il n'existe toujours pas de formule permettant de bénéficier d'un impôt sur les sociétés ou d'une taxe professionnelle allégés en fonction de la création d'emplois : les bons acteurs ne sont pas récompensés de leur participation active à l'amélioration de la situation française.

Je suis convaincu que la France peut développer une économie florissante. Encore faut-il qu'elle le souhaite vraiment et qu'elle travaille sur les contraintes identifiables : prélèvements obligatoires, charges, taxe professionnelle et imposition marginale des hauts revenus. Elle doit également réduire les contraintes administratives pesant sur la flexibilité de l'emploi et l'interruption des contrats, car les activités innovantes souffrent par définition d'une moindre visibilité et d'une volatilité plus importante.

Nous n'avons, dans ce cadre, pas d'états d'âme par rapport à la réduction du temps de travail. Au contraire, nous avons montré à différentes reprises que nous savions prendre des initiatives dans ce domaine. La norme reste cependant la pratique dans le reste de l'Europe et ce que font éventuellement certains pays en dehors de celle-ci. A ce titre, il nous semble que l'approche actuelle n'est pas apte à être étendue à des populations de plus en plus larges.

Je regrette enfin que le dispositif français actuel ne présente pas une offre compétitive sur l'attraction des sièges sociaux et les programmes de stock-options, même si certains membres du Gouvernement s'y emploient activement.

L'investissement étranger en France représente aujourd'hui 32 % de la production. Pour combien de temps encore ?

M. le Rapporteur : En résumant la situation de façon lapidaire, je dirais que jusqu'aux années 1990 - en particulier dans votre région d'origine en France (Grenoble) - votre implantation privilégiait un réseau de sous-traitants, une coopération avec les entreprises locales et même avec des centres d'aide par le travail (CAT).

Un net infléchissement de votre stratégie se fait sentir à partir du début des années 1990. Des évolutions technologiques se font jour à travers la standardisation du coût des composants et la progression rapide du poids de la R&D ; on constate également l'obsolescence accélérée des matériels et logiciels, au point qu'on puisse se demander si elle n'est pas auto-entretenue.

Mon sentiment est que votre groupe, comme d'autres sociétés du secteur, souhaite se désengager de la production en sous-traitant et externalisant un certain nombre d'activités.

Cela commence en 1994 avec la cession de l'atelier d'assemblage et de montage des composants sur carte à Grenoble : deux cents salariés sont externalisés à cette époque et une centaine de postes internes supprimés. Cinq ans après, qu'est-il advenu des statuts, salaires et emplois des salariés externalisés ? Que sont-ils devenus et quel a été l'impact économique et social parmi les sous-traitants de HP ?

D'autre productions de Hewlett-Packard en Europe ont-elles été transférées chez SCI ? Quel est le solde européen global en termes d'emplois, c'est-à-dire le bilan des pertes chez HP et des créations correspondantes chez SCI ?

M. Yves COUILLARD : Même en 1990, nous avions au-delà de la région grenobloise de nombreux partenaires à travers le monde : HP France ne travaille pas en dehors du territoire national de façon récente. Il est bien connu que la région Asie-Pacifique est depuis longtemps le fournisseur d'un grand nombre de sous-ensembles, écrans et composants électroniques divers et variés.

Je suis certain que cela existait déjà en 1990 dans le domaine des achats.

La sous-traitance que vous évoquez correspond à l'apparition de groupes spécialisés dans certaines activités très particulières. Nous n'avons aucune raison de nous priver de leur savoir-faire puisqu'ils développent des masses critiques allant bien au-delà des nôtres et sont capables d'exécuter pour différentes sociétés des tâches similaires à des coûts extrêmement compétitifs.

SCI est à ce titre un bon exemple. Il s'agit d'une grande société internationale avec laquelle HP développe de nombreuses activités en partenariat. Comme le Wall street journal vient de le publier, SCI a de meilleures performances financières que Hewlett-Packard, ce qui montre que ce groupe se porte bien dans sa spécialité.

Plus généralement, nous assistons à l'émergence constante dans le monde de l'informatique de nouvelles compétences du fait de la segmentation des marchés et des volumes considérables qui s'y traitent. Des sociétés se spécialisent et sollicitent un groupe comme le nôtre pour obtenir des fabrications : c'est le jeu de l'offre et de la demande. Nous avons inversement décidé de développer notre site de production de L'Isle d'Abeau, alors même que nous avons à Singapour un autre site de production de PC.

Il n'existe pas d'offres compétitives dans tous les secteurs. Nous estimons qu'il est souhaitable d'avoir dans tel ou tel pays une fabrication qui soit sous notre contrôle, même si progressivement la segmentation des marchés permet d'externaliser une ou plusieurs phases de la production chez des fournisseurs spécialisés. A partir du moment où le marché offre une alternative plus compétitive que la production interne, il n'y a aucune raison de s'interdire d'y faire appel. De toutes façons, la concurrence le fera immédiatement ; rester passif conduirait au contraire à perdre des parts de marché, parce que les produits sont devenus trop chers.

M. Pierre FANTOBO : Le bilan global de l'emploi entre Hewlett-Packard et SCI est malaisé à établir, car SCI n'est qu'un partenaire. Nous savons toutefois que ce groupe a créé sur le site de Grenoble plus de cent emplois permanents depuis qu'il a repris notre activité, en sus des deux cents collaborateurs HP qu'il a repris.

Je crois savoir également que SCI a recours à l'emploi flexible sous forme de CDD et de missions d'intérim, mais j'ignore dans quelle proportion.

M. le Rapporteur : Pourquoi votre taux d'intérim est-il si important ?

M. Yves COUILLARD : La réponse à cette question est liée aux spécificités du monde de l'innovation.

Notre production est confrontée à un triple niveau d'incertitude.

Le premier tient au niveau élevé du taux de renouvellement des produits informatiques. Pour vous donner un exemple, le chiffre d'affaires de HP dans le monde se fait chaque année à plus de 60 % avec des produits qui ont moins de deux ans : cela signifie que l'ensemble de la gamme a été renouvelé tous les cinq ans et que nous sommes donc une société différente tous les cinq ans.

S'y ajoutent les problèmes de saisonnalité de l'activité - à l'instar de l'industrie du jouet, des légumes ou des fruits. Il faut savoir que le rapport entre mois creux et mois élevés se situe de 1 à 2, alors qu'il était encore de 1 à 3 il y a trois ou quatre ans ; les mois de ventes fortes sont les mois de fin d'année (novembre et décembre) et les mois faibles sont mai et juin.

Deuxième niveau d'incertitude : les changements hebdomadaires de production.

Nous avons signé en 1995 un accord de flexibilité annualisée qui permet d'ajuster les volumes de production à la semaine. Or les techniques utilisées d'une ligne de produits à l'autre sont très variables : on n'utilise pas pour une ligne de portables la même main d'_uvre que lorsqu'on fabrique des stations de travail haut de gamme, des terminaux ou des calculatrices de poche.

Comme nous avons une très large gamme de produits, le programme est modifié toutes les semaines en fonction de la demande puisque nous ne fabriquons qu'en fonction de nos débouchés.

Le troisième facteur d'incertitude réside dans l'introduction des produits nouveaux. Un produit nouveau appelle une gamme de production ad hoc et donc une utilisation de la main-d'_uvre différente par rapport à l'existant.

Nous devons ainsi gérer en permanence et en parallèle ces trois niveaux d'incertitude, sous la contrainte que la visibilité n'excède guère deux ans dans notre industrie : cela signifie que nous ne sommes absolument pas certains d'exister encore dans telle ou telle ligne de produits dans deux ans.

Nous avons donc proposé au ministère du travail de réfléchir à la mise en place de contrats à durée déterminée d'une durée de trois ans. Nous sommes en effet prêts à convertir les contrats d'une partie de nos intérimaires en CDD de trois ans, et soutenus sur ce point par M. Christian Pierret, secrétaire d'État à l'industrie. Le Gouvernement compte dans ses rangs des défenseurs d'approches de cette nature.

Il doit être bien clair que si la France ne se dote pas de dispositifs de flexibilité plus substantiels, qui sont nécessaires pour nos industries, les nouvelles activités de production iront ailleurs. Dès l'instant où d'autres pays d'Europe offrent une flexibilité amplifiée répondant à nos besoins, nous réfléchissons nécessairement à la localisation de certaines de nos activités hors de France.

M. le Rapporteur : Quelle est la part de la main-d'_uvre dans le coût d'un PC ?

M. Yves COUILLARD : Le prix d'un PC correspond toujours à de la main-d'_uvre. Par exemple, la fabrication de puces s'inscrit dans des cycles fortement consommateurs de main-d'_uvre.

Les fondeurs de silicium utilisent pour eux-mêmes des dizaines de milliers d'emplois. Les tranches de silicium sont ensuite transformées en puces, dans des usines de la zone Asie-Pacifique où cette intégration représente des dizaines de milliers de postes. Nous les importons ensuite à Grenoble et les assemblons en produits plus complexes, ce qui représente encore des milliers d'emplois supplémentaires.

La fabrication de capots de plastique correspond elle-même à des centaines, voire à des milliers d'emplois etc. Bref, un prix n'est toujours qu'une somme d'emplois.

L'enjeu pour un pays comme la France réside dans la question suivante : quelle « part du gâteau » voulons-nous attirer dans ce pays ? Pourquoi les fondeurs de silicium et les assembleurs de puces ne sont-ils pas plus nombreux en France et privent ainsi notre pays - ou d'autres pays européens - de dizaines de milliers d'emplois ?

Il y a trois ans, nous avons monté en Irlande une usine de têtes de jets d'encre pour nos imprimantes, qui représente aujourd'hui 1 600 emplois. Il n'a jamais été proposé de réaliser un tel investissement en France, pour des questions fiscales mais aussi pour des questions de flexibilité de l'emploi - en raison du cahier des charges de cette usine.

Le président d'une société française que je suis, ne peut que souffrir de ne pas pouvoir attirer des emplois. C'est la raison pour laquelle je suis actif au sein de la délégation aux investissements étrangers. Des emplois potentiels existent, passent et aboutissent ailleurs : il faut les faire aboutir en France...

M. René MANGIN : ... et en Europe.

M. Yves COUILLARD : L'Allemagne n'est pas compétitive dans beaucoup de cas. Hewlett-Packard y investit très peu à cause du prix de la main-d'_uvre et du poids de la fiscalité. D'autres pays d'Europe sont en revanche extrêmement attractifs, que vous connaissez bien.

M. le Rapporteur : Vous avez fait remarquer que HP France était en bonne santé, les ressources financières s'étant accumulées en raison de bons résultats depuis 1996.

Quelles sont les raisons qui poussent HP France à se constituer un « trésor de guerre » ? Peut-on envisager qu'une réduction de capital intervienne afin de faire remonter de la trésorerie à la maison mère ?

M. Yves COUILLARD : La question m'a déjà été posée par les représentants de la CGT au comité central d'entreprise. Je vais donc vous faire la même réponse qu'à ces derniers.

Je vous rappelle que la trésorerie de Hewlett-Packard est gérée mondialement, de sorte que si nous souhaitons faire des investissements excédant la capacité de financement de la filiale locale, cela ne pose aucun problème : HP Corp. apporte les financements nécessaires.

Pourquoi assistons-nous actuellement à un développement de la trésorerie locale ? Cela ne résulte d'aucune stratégie miraculeuse, mais du fait que le groupe n'est aucunement incité sur le plan fiscal à faire remonter ses dividendes.

En revanche, des placements financiers très compétitifs peuvent être opérés en France, si bien que nous gardons un argent dont nous n'avons pas besoin aujourd'hui. Nous ferons remonter les dividendes le jour où nous aurons besoin de cet argent.

J'ai bien précisé aux représentants sociaux de ne pas voir dans notre démarche une stratégie quelconque. Il s'agit simplement d'une gestion de trésorerie mondialisée.

M. Christian WAUQUIEZ : En d'autres termes, dans la mesure où nous ne sommes pas incités fiscalement à remonter nos dividendes aux États-Unis aujourd'hui, le groupe a décidé de garder ses disponibilités en France.

M. Yves COUILLARD : Il faut rappeler que nous avons bénéficié au cours des dernières années de taux de croissance supérieurs à la moyenne de croissance du groupe mondial.

Nous avons la chance que les produits fabriqués en France comptent parmi ceux qui connaissent les plus forts taux de croissance (PC et informatique pour les télécommunications). Nos amis du Royaume-Uni et d'Allemagne ne s'appuient pas sur une croissance industrielle de même nature ; ils ne bénéficient donc pas de ce différentiel de croissance par rapport au groupe et ne disposent pas d'un même volant de trésorerie.

Cependant, c'est le hasard qui veut cela. Le fait que nos lignes de produits fonctionnent bien aujourd'hui n'augure rien pour l'avenir.

M. le Rapporteur : Ne trouvez-vous pas qu'il réside dans ces éléments une certaine contradiction ? Hewlett-Packard France est en très bonne santé et conserve ses liquidités en fonction du marché financier ; les produits dont vous avez l'initiative en France ont du succès, d'où les résultats en question. Or vous avez dit précédemment que ce n'est pas en France que vous auriez pu envisager d'implanter l'usine irlandaise et que notre pays n'est plus compétitif dans un certain nombre de domaines. On trouve ici un salariat, des charges sociales et une fiscalité que vous décrivez comme très lourds - voire intenables... alors que c'est en France que votre entreprise enregistre d'excellents résultats !

M. Yves COUILLARD : Je comprends votre raisonnement. Il n'en demeure pas moins vrai que cet équilibre est très fragile...

M. le Rapporteur : ... quoiqu'il dure depuis quelques années.

M. Yves COUILLARD : Deux mille de nos cinq mille salariés travaillent pour le marché domestique parce que le marché français est là et pas ailleurs. Ils continueront à progresser en fonction de son développement, que je crois prometteur dans la mesure où les individus vont s'apercevoir de l'intérêt de l'informatique dans la vie courante et celle des entreprises.

Concernant nos activités industrielles, je rappelle très souvent au maire de Grenoble que si notre « usine » emploie entre 2 400 et 2 500 personnes, ce site n'a plus rien à voir avec une usine au sens conventionnel du terme ; je l'ai d'ailleurs invité à me prévenir s'il voyait un camion y entrer ou en sortir, dans la mesure où toute production a disparu. Nous n'y faisons que du marketing international, de la R&D et de l'ingénierie, en collaboration avec des partenaires extérieurs et d'autres sites.

Nous avons en revanche un vrai site de production à L'Isle d'Abeau.

Quel que soit le contexte actuel, il faut mener à bien ces activités dans la mesure où la valeur des personnes prime de très loin sur leur coût.

Nous pourrions attirer toutes ces personnes ailleurs, mais les Français sont peu mobiles et nous n'avons pas encore trouvé de recette miracle pour les faire travailler massivement dans d'autres contextes.

Nous poursuivons nos efforts en matière de R&D et de cartes à puce et venons d'annoncer un renforcement des activités de recherche fondamentale pour le monde du PC, ce qui correspond à une dizaine de personnes qui constitueront une cellule supplémentaire sur le sol français. La France est bien située dans ces activités et nous devons développer la production de PC en France et en Europe du sud, réserve faite de la tête de pont établie en Hollande pour des raisons de coût logistique.

M. le Rapporteur : L'implantation en Hollande appartient-elle à Hewlett-Packard ?

M. Yves COUILLARD : Il s'agit d'un site totalement sous-traité mais dont l'engineering est entièrement piloté depuis L'Isle d'Abeau et Grenoble.

M. le Rapporteur : Quel est l'avantage de sous-traiter la production ?

M. Yves COUILLARD : SCI a présenté une offre compétitive et nous avons décidé de travailler avec eux sur ce type de production.

M. le Rapporteur : Les entreprises et les groupes se concentrent de plus en plus sur leur c_ur de métier. J'ai donc le sentiment que vous devenez de plus en plus un concepteur et un assembleur par le transfert total de la production à l'extérieur.

M. Yves COUILLARD : Du point de vue d'une société comme Intel, qui fabrique des éléments de silicium, Hewlett-Packard est un sous-traitant : elle nous vend sa production et peut estimer que toute l'intelligence est dans ses produits et non dans ce que nous faisons. Nous considérons pour notre part qu'elle est un fournisseur, que nous sommes la pièce maîtresse et qu'il y a toujours quelqu'un en aval. Les sociétés comme SCI peuvent à leur tour considérer que l'activité noble est la fabrication des lignes de produits et qu'elles ont, à ce titre, des fournisseurs en amont et des clients en aval.

Cela illustre la segmentation des marchés. Ceux-ci atteignent aujourd'hui des tailles considérables et chacun se trouve un métier noble dans l'ensemble de la chaîne de valeur. Pensez-vous que Carrefour s'estime sous-traitant de ses fournisseurs ? Certainement pas ! Il a développé des savoir-faire absolument uniques dans la distribution, à tel point que lorsque nous lui vendons nos produits pour commercialisation, nous faisons jeu égal avec lui. Il n'a pas d'état d'âme par rapport au fait que ce n'est pas lui qui conçoit les produits ; après tout, il gagne bien sa vie.

Les chaînes de valeur se développent en tous sens et chacun se trouve dans une position qu'il estime noble pour son avenir et les emplois qu'il crée. Un maillon de la chaîne n'est pas plus valorisant qu'un autre, entre la matière première et le client final qui consomme le produit. Chacun s'insère à un stade du processus en fonction de ses compétences, de son origine et de son histoire mais nous ne traitons pas avec nos fournisseurs et clients dans le cadre d'une relation de supériorité ou d'arrogance. Nous sommes tous partenaires d'une même chaîne de valeur.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé précédemment du site de production en Irlande. Comment les prix de transfert sont-ils établis et décidés ?

M. Yves COUILLARD : Entre sociétés différentes, l'offre et la demande se concrétisent par un contrat qui fixe les conditions de prix, de paiement, de livraison, de logistique etc. La négociation s'opère dans le cadre d'une mise en concurrence et tel ou tel est retenu en fonction de critères de choix variables.

Entre sociétés du groupe Hewlett-Packard, il est de règle que les relations doivent être établies comme si les parties contractantes appartenaient à des mondes différents afin d'éviter toute distorsion de compétitivité. On appelle cela le « arm length principle » - maintenir entre les partenaires » la distance d'un bras ». Telles sont les règles générales.

Les prix de transfert sont étudiés de très près par la direction générale des impôts et observés également par la Commission des communautés européennes. Nous travaillons en toute transparence avec ces administrations et n'avons jamais fait l'objet de remarques particulières sur nos pratiques.

M. le Rapporteur : La décision a récemment été prise de scinder votre société en deux. S'agit d'un nouveau démarrage ou d'un recentrage pour parvenir à la croissance du titre boursier ? J'ai cru lire en effet que les marchés financiers ont les yeux de Chimène pour HP depuis l'annonce de cette division.

M. Yves COUILLARD : Hewlett-Packard a soixante ans et ne s'est illustré dans les trente premières années de son existence que dans la mesure physique, son métier d'origine.

Les années récentes nous ont fait entrer dans le monde de l'informatique et de l'imagerie. Cela a d'ailleurs tellement bien fonctionné que nous sommes aujourd'hui la deuxième société d'informatique du monde et que l'informatique représente 84 % de notre chiffre d'affaires.

Dans ces conditions, les personnes du monde de la mesure, qui n'ont jamais démérité et sont toujours restées au premier rang sur leur marché, se retrouvent de plus en plus « assises sur un strapontin ». Leur position est très inconfortable car la direction de la société se préoccupe prioritairement de ce qui génère 84 % de son chiffre d'affaires et non du reste.

Par ailleurs la communication externe du groupe HP, dans tous les pays y compris en France, s'exprime essentiellement autour du pôle Informatique et non du pôle Mesure. Ce dernier souffre donc d'un désavantage comparatif vis-à-vis de concurrents qui ont la mesure physique pour seule activité et sont parfois spécialisés dans certains types de mesures uniquement.

Il faut enfin savoir que le « business model » de chaque activité est totalement différent.

Le pôle Mesure réalise 16 % du chiffre d'affaires pour 37 % des emplois de Hewlett-Packard ; plus d'un salarié sur trois travaille pour lui. Pourquoi un tel écart ? Parce que le pôle Mesure est beaucoup plus propriétaire sur le plan technologique, qu'il compte moins de partenaires en amont et en aval, qu'il fait peu appel à des fabricants de sous-ensembles et qu'il s'illustre dans la vente directe par projet - et non dans la vente de masse avec une multitude de partenaires, comme cela se passe actuellement dans l'informatique.

La différence entre ces deux univers est très perceptible et rend délicate la cohabitation de mondes aux intérêts et modèles de fonctionnement totalement différents. Nous sommes cependant obligés, pour des raisons d'intégration et d'harmonisation, d'appliquer un minimum de règles communes à tous, qui consomment un temps et des énergies plus utiles ailleurs.

Les actionnaires ont donc fini par admettre, au fil des ans, qu'il y aurait un avantage très clair à donner aux deux pôles une chance nouvelle de croissance sur leur marché. La séparation donnera aux investisseurs une meilleure lisibilité des performances : ceux-ci sont aujourd'hui dans l'impossibilité de retrouver au sein des informations financières diffusées par la société HP les ratios du monde de l'informatique et ceux du monde de la mesure, même au prix d'un retraitement des données comptables.

Nous sommes convaincus que ces deux pôles une fois séparés connaîtront une meilleure croissance demain. Je dis bien : « ces deux pôles », car le pôle Informatique est aujourd'hui pénalisé du fait d'harmonisations obligatoires à l'intérieur du groupe avec le pôle Mesure et inversement.

M. le Rapporteur : N'avez-vous pas le sentiment que le pôle Mesure connaîtra des difficultés quand il n'aura plus le drapeau HP pour le porter ?

M. Yves COUILLARD : Un certain nombre de journalistes nous posent cette question.

Il faut savoir que les changements de nom s'opèrent très bien dans le monde actuel. Dans le domaine de la technologie, un exemple très connu est l'éclatement d'ATT en 1996 entre Lucent et NCR. Lucent est une très grande société, mondialement connue dans le secteur des télécommunications et qui n'a aucun état d'âme par rapport à son nom ; elle a su se reconstruire une crédibilité totale en peu de temps et sa notoriété est même supérieure à la nôtre dans la plupart des pays.

Nous avons de même connu en France des changements de nom sans aucun effet négatif : par exemple, Danone et Vivendi. Au contraire, la perte du nom d'origine est souvent l'occasion d'un dynamisme renouvelé des équipes en place.

M. René LEROUX : La masse salariale et le rapport des frais de personnel au chiffre d'affaires évoluent en sens inverse au cours des six dernières années. Comment pouvez-vous l'expliquer ?

M. Yves COUILLARD : Le facteur majeur est ce que l'on appelle le « product mix », qui correspond à l'explosion de nos exportations au cours de la même période, constituées à plus de 80 % par des ordinateurs personnels. Ce phénomène explique le changement au fil des ans des facteurs contribuant au chiffre d'affaires.

Dans les années récentes, le facteur le plus significatif sur le plan des ventes domestiques en France a été l'explosion de la commercialisation des PC et imprimantes par la grande distribution, dont les cycles de vente sont beaucoup plus « partenaires » que les ventes d'ordinateurs haut de gamme à très forte intensité en main-d'_uvre.

Pour un chiffre d'affaires donné, le product mix conduit aujourd'hui utiliser moins de main-d'_uvre qu'il y a cinq ans ; cela peut évoluer rapidement, du fait de l'arrivée dans nos métiers d'activités nouvelles comme l'infogérance et le conseil (consulting), très consommatrices de main-d'_uvre. Ces phénomènes viennent alimenter le flux d'embauches de ce que l'on appelle l'entité commerciale du groupe.

M. René LEROUX : Etes-vous confiant pour le passage de l'an 2000 ? Les difficultés liées au bogue des horloges internes vont-elles vous conduire à recruter des salariés supplémentaires ?

M. Yves COUILLARD : Il n'y a malheureusement plus personne à embaucher pour ces activités. Comme vous le savez, le marché informatique connaît un déficit compris entre 10 000 et 15 000 personnes. A ce titre, les sociétés qui n'ont pas démarré leur programme « An 2000 » auront beaucoup de difficultés à trouver des équipes pour travailler sur leur cas. Je crois même savoir que certains ministères ont lancé des appels d'offre auprès de plus de dix sociétés, sans qu'aucune soit à même d'y répondre.

La société Hewlett-Packard est bien positionnée sur ce marché. Les cabinets de consultants extérieurs disent même que nous sommes l'une des sociétés les plus professionnelles vis-à-vis de ses clients dans l'approche du passage de l'an 2000.

Notre inquiétude concerne les quelque 40 % de PME-PMI qui ne se sont pas saisies du dossier à ce jour. Je ne vois pas qui pourra travailler pour elles ; j'aimerais prendre ce marché, mais je n'aurais pas les ressources pour y faire face.

M. le Rapporteur : Vous disiez qu'il manque en France entre 10 000 et 15000 personnes sur le marché informatique. Cela signifie que si un effort conséquent était fait en matière d'implantation d'écoles et d'universités, ces spécialistes de niveau Bac+2 à Bac+5 trouveraient à être embauchés.

M. Yves COUILLARD : Certainement.

Vous devez avoir à l'esprit ce ratio très important qu'est le taux d'investissement informatique par habitant : il équivalait en France en 1997 (derniers chiffres publiés) à 538 , ce qui est assez voisin de l'Allemagne (511 ) ou du Royaume-Uni (536 ). Ce taux est aux États-Unis de 956  par tête - soit presque le double - et nous n'avons pas assisté à la réduction de cet écart au cours des trois dernières années, en dépit de certaines déclarations.

Or je suis absolument convaincu que la France peut atteindre ce niveau. Nous rencontrons certes un certain nombre d'obstacles pour y parvenir, le moindre n'étant pas la lenteur de la prise de conscience de l'intérêt de l'outil informatique ; je crois cependant que les Français sont foncièrement des hommes de technologie, comme ils l'ont démontré dans maints secteurs industriels. L'informatique ne doit donc pas poser de problème particulier.

Ce développement suppose que suffisamment de personnes travaillent dans le secteur. Or nous connaissons actuellement un déficit de capital humain. Il est donc très important que plus de personnes reçoivent des formations sur ces technologies afin qu'elles soient demain les acteurs du développement économique du pays. De surcroît, si le cadre réglementaire atteint le niveau compétitif constaté dans d'autres pays, il pourra exister en France une économie fantastique : notre pays a tout pour réussir.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué précédemment une certaine flexibilité du marché du travail et des CDD de trois ans en lieu et place de l'intérim. Avez-vous d'autres propositions de cette nature ? Jusqu'où peut aller selon vous la flexibilité ? Que représentent les 35 heures chez HP ?

M. Yves COUILLARD : Nous avons passé en 1982 un accord fixant la durée hebdomadaire du travail à 36,40 heures. Nous appliquons depuis 1995 un accord de flexibilité avec annualisation pour nos activités de production à L'Isle d'Abeau (32,5 heures), qui est le modèle préféré du ministère si j'en juge par l'abondante littérature parue à son propos depuis dix-huit mois.

Aujourd'hui, les 35 heures ne posent pas de problème particulier pour les populations des collèges 1 et 2, qu'elles soient déjà au-dessous de ce seuil ou que l'effort à faire puisse être géré raisonnablement.

Nous sommes en revanche inquiets pour nos cadres, qui représentent plus de 60 % de nos emplois. Comme je vous l'ai dit, nous excellons en France en R&D, marketing international et ingénierie. Si ce pan d'activité devenait non compétitif par rapport à d'autres pays européens ou aux États-Unis, je serais mis dans l'impossibilité de continuer à le développer en France.

Je crois cependant que le Gouvernement nous a entendus et que le ministère du travail a bien perçu les enjeux de maintien d'activités stratégiques en France. On pourrait s'orienter vers des dispositifs plus souples pour les populations susceptibles d'être pénalisées par un accord strict sur les 35 heures. Cela serait plus acceptable pour le maintien et le développement des emplois en France.

M. le Rapporteur : Vous versez un certain nombre de redevances à votre maison mère. Comment sont-elles calculées ?

M. Yves COUILLARD : Le principe de base est la mutualisation des risques de l'investissement en R&D.

Deux scenarii sont en théorie imaginables : soit laisser chaque pays et chaque filiale locale investir dans des programmes de R&D et en tirer ou non d'éventuel profits, en fonction des résultats obtenus ; soit centraliser et mutualiser la prise de risque, en continuant avec les équipes de recherche là où elles se trouvent de par le monde. Cette seconde configuration aboutit à payer l'investissement en R&D là où il se fait ; en échange, lorsqu'une filiale utilise les résultats de ces travaux, elle paie des royalties sur les productions.

Tel est le schéma retenu chez Hewlett-Packard. Nous facturons à la maison mère les activités de R&D en France, mais quand nous utilisons certains savoir-faire du groupe - par exemple dans le cadre de productions à L'Isle d'Abeau - elle nous soumet à des redevances en contrepartie, à due concurrence de l'usage que nous faisons de ces connaissances. Ce schéma est totalement validé par l'administration des impôts et la Commission européenne.

M. le Rapporteur : Quel est le statut fiscal de ces redevances ?

M. Christian WAUQUIEZ : Elles sont considérées comme des refacturations de services.

M. le Rapporteur : Le solde de ces mouvements est-il positif ou négatif pour la France ?

M. Christian WAUQUIEZ : Les refacturations dans le domaine de la R&D s'élèvent à 780 MF environ, tandis que nous avons payé 715 MF de redevances. Le solde est donc légèrement bénéficiaire pour la France.

M. le Rapporteur : Quel est votre plus gros actionnaire ?

M. Alain RIOULT : Ce sont les employés.

M. Yves COUILLARD : Les actionnaires clairement identifiés sont les deux familles d'origine Hewlett et Packard et les premiers dirigeants du groupe (top management), environ à hauteur de 20 %. Tout le reste est en Bourse.

M. le Rapporteur : Ces dirigeants sont-ils obligatoirement actionnaires de l'entreprise ?

M. Yves COUILLARD : Ils reçoivent régulièrement des options et des actions. C'est la raison pour laquelle ils détiennent des titres dans des proportions relativement élevées.

Au niveau mondial, ils représentent quelques pour-cent du capital de HP Corp., qui compte environ un milliard d'actions et dont la capitalisation avoisine les 70 Mds $.

Les familles fondatrices et leurs fondations représentent entre 15 et 18 % de l'actionnariat. Tout le reste se trouve à la Bourse de New-York, seul endroit où la société soit cotée ; les tentatives de cotation en Europe n'ayant jamais donné de résultats probants, elles ont été précocement arrêtées.

Participent à l'actionnariat tous ceux qui le souhaitent. Plus de la moitié des employés de Hewlett-Packard en font partie et bénéficient d'accès privilégiés à travers des plans d'achat d'actions, des distributions et des incitations sous forme de taux privilégiés.

M. le Rapporteur : HP France est-il coté en Bourse à New-York ?

M. Yves COUILLARD : Nous sommes filialisés, même si quelques individus comme moi sont actionnaires pour des raisons réglementaires. Sinon, les capitaux se trouvent totalement dans la maison mère.

M. le Rapporteur : Les aides reçues sont-elles celles qui sont normalement versées dans le cadre du dispositif de soutien public à la recherche ?

M. Yves COUILLARD : Oui. C'est un bon dispositif, que je vous encourage à faire prospérer car il correspond bien aux savoir-faire français.

Il est possible aujourd'hui d'attirer dans beaucoup d'industries des pôles de recherche en France. Il ne faut pas être timide face au déploiement de cet excellent outil, même si son plafonnement reste à mon sens trop bas : il s'est en effet toujours situé aux alentours de 40 millions de francs et mériterait d'être revalorisé, voire déplafonné.

Nous sommes également satisfaits de la déconnexion de la masse salariale et du calcul de la taxe professionnelle - même si, dans les premières années, des sociétés comme la nôtre constatent plutôt une augmentation qu'une réduction de la taxe et doivent attendre la cinquième année pour voir un résultat. Le groupe des présidents de sociétés étrangères établies en France travaillant avec M. Jean-Daniel Tordjman dans le cadre de la délégation aux investissements étrangers, a d'ailleurs clairement fait savoir au ministre de l'économie sa satisfaction à ce propos.

Cependant, le taux de l'impôt sur les sociétés demeure un peu élevé par rapport à ce qui se fait ailleurs - même si ce sont les charges sociales qui sont les plus pénalisantes. Globalement, il existe un écart d'environ vingt points en matière de prélèvements obligatoires entre les États-Unis (26-27 %) et la France (46-47 %).

M. le Président : Vous partagez l'analyse d'autres dirigeants sur les charges pesant sur les entreprises - taxes locales, impôt sur les sociétés ou charges sociales.

Vous soulignez par ailleurs l'effort consenti par les pouvoirs publics en matière de R&D : 3 % du PIB lui sont consacrés en France, dont un peu plus d'un point à la seule charge de l'État.

Les préretraites FNE et le dispositif ARPE sont pris en charge par votre société sans aides publiques mais vous avez perçu 1 MF au titre de la politique de l'emploi. Cela pose la question de l'équilibre entre ce que l'État et les collectivités locales reçoivent en prélèvements obligatoires, d'une part, et ce qu'ils dépensent en soutiens aux entreprises sous forme de formation, de politiques de l'emploi etc., d'autre part.

Vous avez indiqué que certains pays allaient probablement, si nous continuons sur la même trajectoire, se spécialiser par type d'activité. Certains économistes tiennent des propos identiques : les personnes travaillant dans les domaines de l'innovation, de la création, de la direction d'entreprise, dans les services publics et les services aux personnes ne rencontreront pas de problème majeur, la difficulté résidant dans la concurrence directe entre travailleurs en matière de travaux répétitifs. Ce que vous avez indiqué, par exemple, sur la production des microprocesseurs ne peut que confirmer cette inquiétude, sachant qu'elle ne se fait pas en France à cause des conditions de production.

M. Yves COUILLARD : Il faut tenir compte dans ce domaine du facteur non négligeable que représente l'utilisation de l'intelligence. Comme je l'ai dit, les individus sont depuis longtemps très innovants et créatifs en France.

Je suis convaincu, comme nombre de mes collègues, qu'une partie de cette intelligence est utilisée à automatiser au-delà du nécessaire ou à ne pas créer un certain nombre d'activités utilisatrices de main-d'_uvre. Parce que les prélèvements obligatoires sont trop élevés, ne peuvent se développer normalement tout en restant compétitives que des activités hautement automatisées, donc peu utilisatrices de main-d'_uvre.

L'intelligence sert à développer l'automatisation, qui consomme moins de main-d'_uvre, ce qui génère plus de charges pour ceux qui travaillent, donc des charges sociales plus élevées, etc. On ne sort pas de la boucle : le système s'autoalimente.

Nous le voyons très clairement à travers les taux d'utilisation de main-d'_uvre de part et d'autre de l'Atlantique. Un grand groupe d'électronique, qui participe à nos travaux dans le cadre de la délégation aux investissements étrangers, possède en France et aux États-Unis deux établissements de même taille et de même profitabilité ; la main-d'_uvre représente en France 50 % de moins qu'aux États-Unis à résultats de production égaux, parce que l'usine française, pour survivre et générer la même profitabilité, a historiquement sur-automatisé son activité.

M. le Président : Le niveau de salaire n'est pas nécessairement le même.

M. Yves COUILLARD : Il s'agit de produits vendus sur les marchés mondiaux. Le prix de commercialisation est donc le même au final.

De tels exemples existent également dans le domaine de la grande distribution. De grandes sociétés de distribution de produits ont souvent en France 30 % de personnel en moins que des sociétés similaires aux États-Unis, parce qu'elles doivent fonctionner autrement pour obtenir le même résultat économique.

Vous avez peut-être eu l'occasion de vous pencher sur une étude récente d'un chercheur du CNRS, dont le résultat est spectaculaire : si la France fonctionnait sur le modèle des États-Unis, cela représenterait 5 millions d'emplois supplémentaires dans les secteurs de la distribution, de l'hôtellerie et du tourisme. Les emplois ne se situeraient donc pas dans des secteurs tels que les nôtres, où la compétitivité mondiale est totale et où l'on partage constamment des savoir-faire entre différents sites mondiaux.

Les grands bassins d'emplois potentiels relèvent prioritairement des activités de service, que l'on ne parvient pas à développer en France de la même façon qu'ailleurs du fait des prélèvements obligatoires.

M. le Président : Si vous occupiez la place du législateur, sur quels postes feriez-vous porter les économies permettant d'alléger les coûts de production ?

M. Yves COUILLARD : Je crois qu'il faudrait accepter, dans certains secteurs, des taux d'imposition ou des prélèvements sociaux différents.

L'approche française, qui consiste à appliquer la même règle en tous temps et en tous lieux, serait naturellement remise en cause. Sinon, il faut qu'on m'explique comment le tourisme et la distribution, par exemple, créeront les 5 millions d'emplois qui dorment dans ces secteurs avec de tels niveaux de TVA, d'impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle...

M. le Rapporteur : Si les prélèvements obligatoires baissent dans un certain nombre de secteurs, il faudra les augmenter dans d'autres.

M. Yves COUILLARD : Non, parce que ces emplois n'existent pas aujourd'hui : la création d'activités nouvelles n'est pas pénalisante pour les activités déjà présentes.

Si vous voulez attirer des industriels consommateurs de main d'_uvre en France, faites les annonces administratives adéquates ; les groupes mondiaux réorganiseront leur stratégie en fonction de ces dernières. L'Irlande s'est mise à bénéficier des investissements massifs qu'elle connaît aujourd'hui en l'espace de quelques années.

Nous payons tous, aujourd'hui, cette stratégie agressive. Il faut donc savoir rétablir les balances à un moment donné : c'est la raison pour laquelle je dis que l'harmonisation fiscale européenne est nécessaire sauf à s'enfoncer dans une impasse. On est en train d'empiler dans certains pays des activités au-delà de tout équilibre raisonnable, au point que cela en devient ridicule. Pourquoi la France ne se sert-elle pas et ne décide-t-elle pas de créer une deuxième Irlande ?

M. le Rapporteur : Il existe des zones franches un peu partout mais je ne suis pas certain que ce soit la solution à tous nos maux.

Vous disiez que les emplois créés par des effets d'annonce permettraient d'équilibrer les pertes de recettes fiscales, mais c'est un pari important.

M. Yves COUILLARD : Cela fonctionne pourtant : regardez ce qui se passe en Écosse, en Hollande, en Belgique ou à Londres.

M. le Rapporteur : Cela fonctionne dans certains domaines, mais je ne suis pas certain que les résultats soient probants en matière sociale et dans d'autres secteurs - en particulier au Royaume-Uni.

Il est vrai que la chute du chômage est un élément significatif et intéressant, mais il est également vrai que l'évolution des conditions de vie des Britanniques n'est pas celle que l'on serait en droit d'espérer dans un grand pays.

M. Yves COUILLARD : Des emplois sont créés.

M. le Rapporteur : A quel prix ! Le SMIC est à 30 F de l'heure.

M. Yves COUILLARD : Un certain nombre de Français se rendent néanmoins au Royaume-Uni pour trouver un emploi.

M. le Rapporteur : C'est vrai de ceux qui ont un niveau de formation très élevé. Les autres n'ont aucune chance.

M. Yves COUILLARD : Le service des Français à l'étranger du ministère des affaires étrangères publie des statistiques. Il apparaît qu'entre 1992 et 1997, les effectifs de travailleurs qualifiés ont augmenté dans la région de Londres de la façon suivante : cadres et professions intellectuelles + 25 % ; techniciens  + 9 % ; employés + 119 % - soit au total 24 % d'emplois créés en cinq ans.

M. le Rapporteur : Il faudrait regarder ces chiffres d'assez près.

Vous avez procédé à des investissements importants à L'Isle d'Abeau. L'une des conditions était-elle la mise en concurrence avec d'autres sites et une autre l'instauration d'une forte flexibilité ?

M. Yves COUILLARD : Il nous fallait rester proches de Grenoble puisque c'était le site unique de production et de savoir-faire industriel en France. Par ailleurs, nous devions nous situer sur un n_ud autoroutier et être à proximité d'un aéroport. Ceci limitait le champ des possibles et a vite orienté vers la région lyonnaise et celle de Satolas.

Les autorités régionales nous ont apporté ce que nous attendions, c'est-à-dire une grande efficacité logistique vis-à-vis du sud de l'Europe, qui est la destination principale de nos productions - quoique nous ayons pendant de nombreuses années alimenté tout le reste de l'Europe.

L'Isle d'Abeau était et reste très bien placée.

M. le Rapporteur : Avez-vous mis différents sites en concurrence au plan européen ?

M. Yves COUILLARD : Non. Il avait été décidé en 1985 de choisir un emplacement en France.

M. le Rapporteur : Étant à Grenoble, vous auriez pu partir de l'autre côté de la frontière - par exemple à Milan.

M. Yves COUILLARD : Les flux logistiques ne sont pas simples et il aurait fallu passer par les tunnels.

M. Pierre FANTOBO : Il avait été tenu compte du fait que le site de Grenoble arriverait très rapidement à saturation compte tenu des perspectives de croissance à long terme. Nous avons donc préféré identifier dans une périphérie suffisamment proche un autre site industriel susceptible d'héberger nos activités.

Les critères évoqués ont été passés au crible pour savoir si le site de L'Isle d'Abeau était approprié. Je me souviens à cet égard avoir rencontré en 1988 les dirigeants européens d'Apple, qui recherchaient une implantation en Europe continentale et étaient venus voir le site de L'Isle d'Abeau. L'affaire n'a malheureusement pas été conclue et j'ignore où ils sont allés s'implanter.

M. le Rapporteur : Finalement, vous êtes dans une situation enviable.

Vous avez des perspectives de développement encourageantes pour plusieurs années : vous disiez vous-même que la consommation par habitant en France des produits qui vous concernent ou vous intéressent représente le tiers de ce qui se fait aux États-Unis.

De même, vos résultats financiers rendraient jalouses maintes entreprises et je suppose que la rétribution des actionnaires est à la hauteur nécessaire.

Vous bénéficiez de gains conséquents sur les marchés financiers que, compte tenu du peu d'intérêt que présenterait leur transfert vers les États-Unis, vous pensez garder sur le territoire européen ou national.

En dépit de tous ces avantages, se développent au sein de votre entreprise des pratiques de recours à l'intérim et au travail précaire pour des personnels même qualifiés - ce qui se justifierait mieux de la part d'une entreprise d'un secteur en difficulté comme le textile.

N'est-il pas possible de faire comprendre à ses propriétaires que l'entreprise a d'autres rôles à jouer que celui de simple rétributeur des actionnaires ? En effet, une entreprise est en priorité l'expression des personnes qui y travaillent.

Les actionnaires doivent être rétribués mais sans surenchère, alors qu'on a le sentiment que la rentabilité est devenue l'élément prioritaire urbi et orbi, qu'elle guide actions et décisions et que l'on n'adapte qu'ensuite, éventuellement, la stratégie de l'entreprise et sa façon de fonctionner à cet objectif ultime.

M. Yves COUILLARD : Ce que vous pouvez percevoir de l'extérieur comme une certaine pérennité de l'entreprise ne se vit pas de la même façon de l'intérieur, les choses changeant très vite.

Au cours des vingt dernières années par exemple, seuls deux des dix premiers acteurs du monde informatique ont survécu. Tous les autres ont été rachetés, ont disparu ou se sont dirigés vers d'autres activités.

Vous avez pu observer également que les dernières années ont été particulièrement vigoureuses en matière de restructurations et que certains groupes ont lâché prise, dont un groupe national qui s'est diversifié dans d'autres activités mais a bien des difficultés à se trouver un avenir.

Ces restructurations ont concerné des groupes comme Nixdorf et Olivetti. Apple a plongé la tête sous l'eau, avant de reparaître avec un avenir incertain. IBM a mordu la poussière pendant des années, mais il est à nouveau très présent. Digital Equipment a dû jeter l'éponge et être racheté par Compaq, qui a enregistré des pertes faramineuses l'an dernier.

En dépit de sa prospérité retrouvée, IBM a déclaré récemment avoir perdu 1 milliard de $ en 1998 sur son activité PC.

L'herbe n'est pas aussi verte qu'on peut le croire de l'extérieur. Les enjeux sont considérables et la survie de Hewlett-Packard est remise en cause tous les trimestres. Vous avez peut-être vu que les 25 % de croissance des années 1996 et 1997 ont disparu. Nous avons enregistré au cours des deux trimestres du deuxième semestre 1998 respectivement 5 et 4 % de croissance sur le plan mondial ; nous terminons l'année 1998 à 10 % de croissance, mais seulement grâce aux 15 % du premier semestre.

Cette croissance ne s'élève qu'à 3 % pour le premier semestre 1999, ce qui montre que l'incertitude est très présente dans le groupe. Il faut être prudent pour man_uvrer un navire avec 125 000 personnes à bord et un chiffre d'affaires qui approche les 50 Mds $. Rien n'est jamais acquis - même en France - puisque nous connaissons depuis ces derniers mois un retournement important de croissance du chiffre d'affaires.

Nous marchons sur des sentiers étroits où la compétition est féroce. Nous n'avons pas de visibilité au-delà de deux ans, nous ignorons ce que deviendra à cet horizon chaque ligne de produits. Même si nous pouvons penser qu'une société de soixante ans d'existence a des chances raisonnables d'être encore là dans cinq ans, je ne suis aucunement sûr que ce sera le cas au-delà.

M. le Rapporteur : Qu'en serait-il si la France ne versait aucune aide, notamment dans le domaine de la recherche ?

M. Yves COUILLARD : Nous ne prenons jamais de décision en matière d'investissement sur la base de dispositifs d'incitation ponctuelle. Tant mieux s'ils existent, mais nous ne saurions modifier une stratégie à long terme pour un simple avantage fiscal. En revanche, nous étudions très attentivement les engagements pris par le pays en termes de contributions et de charges sociales : nous savons qu'il s'agit là de contraintes structurelles qu'il nous faut intégrer dans nos analyses.

M. le Rapporteur : J'ai cru comprendre que les aides reçues au moment de l'investissement à L'Isle d'Abeau n'ont pas été déterminantes dans votre choix. La décision a été emportée par la proximité d'universités et la présence d'un réseau autoroutier et d'un aéroport.

Pourriez-vous néanmoins nous dire quel a été le coût de L'Isle d'Abeau et quelles aides ont été reçues à cette occasion, pour l'implantation elle-même et en matière d'emploi ?

M. Yves COUILLARD : J'étais à l'époque directeur financier de HP France et ne me souviens pas avoir encaissé des sommes très importantes.

M. Christian WAUQUIEZ : Nous avons bénéficié de quelques millions de francs d'exonération de taxe professionnelle, liée à des créations d'emplois sur le site. Je donnerai les chiffres exacts.

Audition des syndicats

Audition de MM. Fabrice BRETON,
Délégué syndical de la CFTC,

Michel DEMOULIN,
Délégué syndical de FO,

Gilles EYMERY,
Délégué syndical de la CFDT,

Patrick NOWAK,
Délégué syndical de la CGC/CFE et

Christian PILICHOWSKI,
Délégué syndical de la CGT

chez HEWLETT PACKARD France

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 avril 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Fabrice Breton, Michel Demoulin, Gilles Eymery, Patrick Nowak et Christian Pilichowski sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Fabrice Breton, Michel Demoulin, Gilles Eymery, Patrick Nowak et Christian Pilichowski prêtent serment.

M. Patrick NOWAK (CGC) : Je suis délégué syndical central chez Hewlett-Packard depuis quatre ans.

Le constat qui s'impose est que HP met en place une gestion d'entreprise répondant à des impératifs financiers plutôt qu'une gestion d'entreprise à taille humaine, comme elle le fut jadis.

De ce point de vue, la scission de l'entreprise en deux parties me semble révélatrice. Quatre-vingts personnes de l'entité industrielle voient leurs postes disparaître et ne savent pas ce qu'elles vont devenir. Selon toute vraisemblance, l'entreprise se prépare à faire application de l'article L. 122-12 du code du travail relatif à la cession d'activité puisque ces salariés seront conduits à travailler désormais pour un sous-traitant.

Une réorganisation de la micro-informatique se prépare avec un regroupement de trois divisions qui pose le problème de 190 personnes à reclasser.

Dans les négociations actuelles sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, l'entreprise ne semble vouloir ni du volet offensif, ni du volet défensif de la loi. Le syndicaliste s'interroge : se préoccupe-t-on vraiment de ce que vont devenir les salariés ?

Hewlett-Packard fait aujourd'hui un appel massif aux formes d'emploi précaires. Le taux d'intérim dans l'entreprise est au-dessus de la moyenne autorisée par la loi, comme le prouve l'exemple de l'Isle d'Abeau - 827 intérimaires sur un effectif de 1000 (et 600 dans la seule entité grenobloise).

Il m'est difficile de me prononcer sur la gestion financière du groupe, car je ne suis ni financier, ni comptable. Je me demande cependant si les bénéfices confortables qui sont réalisés, sont réellement répartis entre les salariés étant donné le poids minime des frais de personnel dans le total des comptes. Je reste convaincu que l'entreprise est plus soucieuse du cours de son action que de la productivité de ses salariés et de la répartition des fruits de leur effort.

M. Fabrice BRETON (CFTC) : J'ai constaté que l'État verse assez peu d'aides à Hewlett-Packard - de l'ordre de 1 million de francs. L'entreprise préfère préserver sa liberté de gestion plutôt que de solliciter des aides.

La réflexion en cours sur les 35 heures se heurte rapidement, comme dans beaucoup d'entreprises, au problème fondamental de la mesure du temps de travail : Hewlett-Packard ne souhaite ni mesurer ce temps, ni le payer ou le faire récupérer. Son rêve est d'avoir des forfaits sans horaires : cela correspondrait à une flexibilité maximale de l'emploi et permettrait de se dispenser de toute embauche.

Si l'action de l'État a pour finalité d'éradiquer le chômage, c'est donc moins par l'octroi d'aides que par le respect de la législation existante que l'objectif sera atteint. La non application de certains éléments du droit social est une réalité que nous constatons au jour le jour dans notre entreprise - mais je ne pense pas qu'il s'agisse là de pratiques spécifiques au secteur électronique-informatique et crois au contraire que cette déviance est assez largement partagée.

Hewlett-Packard est une société en excellente santé. Désormais, la motivation première des décisions de l'entreprise est unique : la valeur de l'action cotée en Bourse. La scission des activités qui se prépare a pour but exclusif de permettre la comparaison avec des concurrents qui n'ont d'autres activités qu'informatiques.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : Il faut distinguer deux périodes dans l'histoire de l'entreprise Hewlett-Packard.

La première a pour terme le début des années quatre-vingt. L'entreprise est désireuse d'implanter ses activités de recherche, de développement, de production et de commercialisation en France, principalement en région Rhône-Alpes sur les sites de Grenoble et l'Isle d'Abeau. Cette volonté s'appuie sur un développement du réseau de sous-traitance ; le contexte de l'époque permet de réelles coopérations entre les entreprises locales et la multinationale, qui fait bénéficier le tissu industriel rhône-alpin de sa maîtrise technologique. Un volet social est même présent à travers l'appel aux CAT et autres ateliers protégés.

Le début des années quatre-vingts marque une inflexion majeure dans la stratégie de l'entreprise, très liée à l'entrée des fonds de pension dans son capital. Hasard ou coïncidence : les dispositions fiscales sur les fonds de pension aux États-Unis remontent également à cette période.

L'objectif devient de maximiser la valeur de l'action. Le groupe se recentre sur certaines activités et externalise les autres. Ce mouvement de sortie du périmètre a commencé avec les activités d'assemblage : près de 200 salariés ont ainsi été externalisés dans une entreprise de Grenoble.

La conséquence de ces externalisations est la suivante : la richesse créée dans l'entreprise et la valeur ajoutée diminuent du fait de la volonté de maximiser le cours de l'action et d'augmenter le rendement des actionnaires.

On ne peut se satisfaire de cette situation et il faut faire pression sur l'un des éléments. Si la richesse créée diminue mais qu'un bénéficiaire accroît ses exigences, la portion des autres (c'est-à-dire celle des salariés) se réduit. L'entreprise est désormais pilotée par la pression sur ou la baisse de la masse salariale.

J'ai décrit l'aspect économique mais il existe aussi d'évidentes raisons technologiques. Il n'est pas forcément cohérent que toutes les entreprises fabriquent des produits équivalents, mémoires ou processeurs. Il est clair que des économies d'échelle sont possibles et des regroupements tout à fait envisageables. S'il n'est pas complètement aberrant d'avoir un seul fabriquant de sièges automobiles, pourquoi en irait-il différemment dans l'informatique ?

Une des premières conséquences de l'externalisation est une perte des avantages acquis, correspondant aux salaires direct et indirect.

Quand les salariés quittent l'entreprise, ils sont aujourd'hui protégés par l'article L 122-12 du code du travail pendant un an. J'ai une proposition à faire sur ce sujet. Si les raisons de l'externalisation sont d'ordre technologique, pourquoi une perte des acquis ou des salaires direct et indirect ? Il faut donc que la protection des salariés d'un an soit étendue à dix ans ; ainsi le strict motif économique n'aurait plus de raison d'être. Des modifications de périmètre d'entreprise pourront intervenir mais seront uniquement fondées sur les évolutions de la technologie - et non sur la volonté de faire pression sur la masse salariale.

Je voudrais conclure par un commentaire plus général sur le comportement d'une entreprise comme Hewlett-Packard. Il n'y a pas très longtemps, les deux premiers investisseurs français en moyens informatiques étaient EDF et France Telecom. Ces entreprises publiques se fournissaient de manière privilégiée chez le constructeur qui concevait et fabriquait en France - c'est-à-dire Bull.

Il y a eu une volonté politique de briser Bull, l'emploi et la production en France. Les groupes américains comme Hewlett-Packard n'avaient dès lors plus aucune raison de s'acheter une bonne conduite, en se comportant en citoyens modèles et en créant des emplois en France. En vérité, la casse de l'emploi chez Bull a eu pour conséquence la casse de l'emploi dans des entreprises comme Hewlett-Packard ; si des sociétés comme Unisys ou NCR ont fermé leurs sites de production en France, c'est bien à cause de cela.

M. Michel DEMOULIN (FO) : Je voudrais évoquer plusieurs points.

L'histoire industrielle de Hewlett-Packard est marquée d'une série de jalons : le partenariat au début des années 80, puis la sous-traitance, les cessions d'activités et aujourd'hui l'assemblage. Hewlett-Packard ne fabrique plus, mais assemble des composants montés par des intérimaires plus nombreux que les salariés en CDI.

L'étape ultime, en cours de préparation, est la désintégration. La technique nous a été expliquée : en amont les sous-traitants et les fournisseurs de pièces détachées, en aval les partenaires qui vendent les produits Hewlett-Packard. Dans un avenir très proche, ces derniers commanderont des ordinateurs Hewlett-Packard et HP fera appel à ses sous-traitants et à ses fournisseurs pour les livrer directement. Les partenaires assembleront eux-mêmes les machines - leur bâtiment est déjà en construction à l'Isle d'Abeau. Plus un seul ordinateur personnel ne sortira des usines de Hewlett-Packard, qui ne verra que les transferts d'argent.

La politique financière de la filiale Hewlett-Packard France est très simple. Tous les fonds sont transférés à Londres, qui assure leur gestion au niveau européen, voire mondial. C'est tellement vrai qu'il n'y a même plus de directeur financier dans l'entreprise : il a été licencié fin décembre, puisqu'il ne sert plus à rien sinon à transférer des fonds de Paris vers Londres...

Le respect du droit du travail pose problème. Il faut avoir conscience qu'en pratique, on travaille aujourd'hui 45 heures par semaine chez Hewlett-Packard. Les organisations syndicales n'ont pas encore réussi à obtenir une action ferme des pouvoirs publics ou de la justice pour mettre fin à ces débordements ; un renforcement des effectifs d'inspecteurs du travail serait donc absolument nécessaire, car ils sont absorbés par des cas souvent plus graves que ceux dont je parle.

M. Gilles EYMERY (CFDT) : Pour introduire le débat, il est important de tracer un rapide portrait de la société Hewlett-Packard et de son organisation sociale.

Cette entreprise a été bâtie autour d'une idéologie attachée aux opinions, croyances et idées du système économique capitaliste. Ses fondateurs ont construit cette idéologie pour s'adapter et répondre aux situations économiques et sociales existantes à une certaine période aux États-Unis.

Afin d'imprégner l'entreprise de cette idéologie, ils ont élaboré une liste de règles de base qu'on appelle le « HP way » Cette liste a été reprise et interprétée insidieusement depuis quelques années, et même en partie détournée de son sens premier afin de satisfaire aux ambitions de ces nouveaux dirigeants que sont les principaux actionnaires actuels de la société. « Way » se traduit par « chemin » mais par aussi « sens, direction » : les employés doivent suivre le chemin, la direction que la société leur impose.

Cette liste précise les valeurs et principes de gestion à utiliser dans l'entreprise et à l'extérieur. Cet ensemble de règles de conduite a force de loi et est jugé conforme à un idéal auquel le personnel est tenu de se plier, au point que lorsque les lois régissant le travail dans un pays sont contradictoires avec ou divergentes des règles de base de la société, on ne s'adapte pas aux lois du pays mais on essaye par tous moyens de trouver des solutions pour que la loi du pays s'adapte aux règles de Hewlett-Packard.

Tout a été conçu, dans les différents établissements, pour créer une ambiance bon enfant : tutoiement, pause-café gratuite, esprit de famille etc. Le revers de la médaille renvoie plutôt une ambiance de caste et de manipulation. L'employé qui n'adhère pas ou plus à cet esprit est rapidement mis en difficulté : harcèlement moral de la part de ses responsables - parfois de ses propres camarades -, charge de travail alourdie pour le mettre dans des situations intenables, disparition du poste de travail etc. Dans le meilleur des cas, la personne est invitée à se redéployer au sein de la société, où elle doit retrouver du travail seule en postulant comme un candidat extérieur à des postes ouverts sur Internet. C'est le concept de « l'intrapreneur », qui consiste à faire croire aux salariés qu'ils sont acteurs de leur carrière alors que leur condition de subordination à l'employeur reste inchangée ; par ce système, la société tente de se soustraire à ses devoirs et responsabilités légales comme l'obligation de proposer un poste de reclassement. L'individualisme et l'élitisme sont cultivés jusqu'à l'extrême, afin de faire disparaître l'esprit collectif et bloquer la représentativité des organisations syndicales ; ainsi, le système de rémunération repose sur un classement des individus au sein de leur équipe.

Les dirigeants de la filiale HP France ont peu de pouvoir - voire aucun. Les décideurs sont ailleurs : ce sont les investisseurs et les actionnaires. Les organisations syndicales qui viennent négocier ne font souvent face qu'à des chaises vides.

Depuis quelques années, la société délocalise et fait largement appel à la sous-traitance et aux contrats précaires. Cette politique déstructure la classe ouvrière : Hewlett-Packard ne veut pas assumer de responsabilités sociales et fait faire le travail par d'autres, afin de ne pas avoir à engager de ressources pour la gestion humaine.

La société délocalise son savoir-faire et ses compétences en créant de par le monde des établissements à des points stratégiques. Ceci permet d'avoir un faible coût de fabrication et de transport, mais également de mieux prendre en compte et plus rapidement les besoins des clients dans chaque pays. Le personnel compétent est muté à l'étranger, le savoir-faire est donc récupéré par le pays qui fabriquera.

Les sites industriels de Hewlett-Packard étant mis en concurrence, la délocalisation peut également être réalisée pour des raisons économiques - compétitivité insuffisante d'un site ou d'un département - ou politiques - les avantages que HP Corp. retire ne sont plus suffisamment intéressants.

De façon arbitraire, la société externalise toutes les activités qui seraient hors du c_ur de métier du groupe. Mais quel est donc ce c_ur de métier ?

En réalité, le souci du gain le plus élevé pour un moindre investissement conduit Hewlett-Packard à refuser de développer certains secteurs pourtant rentables ; cette situation survient en général au moment où le marché est propice à la «mutualisation». Lorsque la société s'aperçoit qu'une activité a la possibilité de récupérer un marché extérieur tout en ne voulant ni investir ni embaucher, elle choisit d'externaliser : le repreneur va en effet recevoir pour s'établir des aides de l'État et des communes (terrains ou bâtiments cédés pour le franc symbolique etc.) ; il y a aussi des perspectives de gain sur les salaires, puisque le repreneur rémunère sa main-d'_uvre moins cher. L'avantage en investissement évité est donc significatif ; en contrepartie, Hewlett-Packard s'engage généralement à fournir du travail pour une durée prédéfinie (2 ans) afin d'aider la nouvelle entreprise à démarrer.

L'externalisation présente un autre intérêt : la relation de dominant à dominé permet de faire pression sur le repreneur et ses employés pour forcer la baisse des coûts de fabrication et augmenter la flexibilité. Des emplois sont certes créés, mais ce sont en général des emplois précaires à salaire minimum. Les anciens salariés de Hewlett-Packard, avec plusieurs années d'ancienneté, se retrouvent rapidement en porte-à-faux par rapport aux nouveaux embauchés - souvent plus jeunes, donc plus malléables et plus flexibles.

Comme Hewlett-Packard ne pouvait pas baisser les salaires lorsque l'activité était au sein de la société, il se trouve également sous-traiter la gestion sociale au repreneur. A moyen terme, les anciens salariés risquent de perdre leur qualification. Les plus méritants verront leur salaire bloqué pendant plusieurs années ; des pressions pousseront les autres à la démission, à moins qu'ils ne se trouvent licenciés pour diverses raisons.

Il y a là une inégalité sociale majeure : d'un côté, des sociétés puissantes qui s'enrichissent de plus en plus ; de l'autre, de nouvelles entreprises employant du personnel au minimum légal, avec des contrats à durée déterminée et temporaires. Dans ces dernières, l'emploi reste fragile et le personnel est sous-qualifié : les individus s'y appauvrissent financièrement, mais aussi intellectuellement.

Qu'on ne s'y trompe pas : la sous-traitance est une position dominant-dominé, loin de la position de partenariat. Il n'y a aucun souci de fidélisation : Hewlett-Packard met les entreprises en concurrence afin de diminuer les prix, gagner en efficacité et accroître la flexibilité. Celles-ci sont soumises à des pressions parfois intenables : pour rester compétitives, elles emploient du personnel malléable à souhait avec des niveaux de salaires très faibles ; pour pallier les problèmes d'irrégularité des commandes, elles utilisent beaucoup de main-d'_uvre temporaire ou transfèrent à d'autres sous-traitants. Les conditions de travail sont à la limite de l'acceptable : le personnel travaille dans des locaux loués et mal adaptés aux besoins ; des impasses sont faites sur la sécurité, le temps de travail effectif etc.

La société Hewlett-Packard utilise également la sous-traitance interne. Une grande partie du personnel de nos divers sites appartient en effet à des sous-traitants venus travailler dans les locaux de la société. Ce personnel se trouve parfois placé dans des situations curieuses, puisqu'il commande du travail à sa propre entreprise - voire à ses concurrents - ou supervise du personnel de la société HP. En revanche, les salaires et avantages sociaux sont bien inférieurs à ceux du personnel HP.

On mène chez Hewlett-Packard une politique de gestion des ressources humaines, non une politique des relations humaines. Les individus y sont considérés comme des marchandises, mesurés comme des stocks et réduits à des « équivalents temps plein ». La crainte engendre de la souffrance au travail : on travaille par objectifs, les heures ne comptent plus - de sorte que le personnel travaille en moyenne entre 40 et 50 heures par semaine, voire plus. Beaucoup perdent de leur identité, car ils n'ont plus de métier mais seulement des missions temporaires comprises entre un et deux ans.

HP ne tient pas à avoir de subventions afin d'éviter d'avoir à rendre des comptes : l'autofinancement, et donc l'indépendance qu'il permet vis-à-vis des tiers, est l'un des principes cardinaux de Hewlett-Packard. Ainsi, le passage aux trente cinq heures s'effectuera sans aides publiques et les contrats de cessation progressive d'activité (CPA) ne seront pas reconduits.

La société met à la disposition de ses employés des outils de formation mais ne poursuit pas une démarche volontaire d'adaptation aux évolutions - sauf dans quelques départements, dans le cadre d'initiatives marginales de développement d'un groupe de personnes. La politique est de laisser chacun assurer sa formation et s'adapter seul : c'est le concept, déjà évoqué, « d'Intrapreneur ». En individualisant les profils et les carrières, l'entreprise sape délibérément l'esprit et les acquis collectifs.

Mes propositions rejoignent celles de mes confrères.

Il faut d'abord adapter et renforcer les moyens de contrôle sur les grandes sociétés nationales et multinationales.

Concrètement, les pouvoirs et moyens des directions départementales du travail et de l'emploi (DDTEFP) doivent s'adapter à la taille croissante des entreprises à contrôler - donc se renforcer. Leur indépendance doit être protégée afin d'éviter toute possibilité de pression ; on peut imaginer la création d'une autorité supérieure qui veillerait au respect des procédures, au temps de traitement des dossiers et à la régularité du travail accompli.

Il faut adapter les compétences des DDTEFP. Les inspecteurs du travail doivent être préparés à intervenir au sein d'une multinationale, ce qui suppose la compréhension des politiques de gestion, des mouvements de capitaux etc. Les inspecteurs attachés aux grands groupes nationaux et internationaux doivent avoir des compétences et des moyens différents de ceux existants pour les PME : pourquoi ne pas disposer de deux inspecteurs dès lors que le site industriel concerné dépasse 1 500 personnes ?

Il convient aussi de créer des postes d'inspecteurs supplémentaires. Les directions départementales du travail et de l'emploi sont débordées et ne peuvent plus - ou difficilement - répondre aux demandes des salariés.

En second lieu, il faut revoir les dispositions légales et réglementaires relatives aux élus professionnels au sein des grands groupes.

Les responsabilités, le niveau de complexité et la charge de travail sont différents par rapport à celle d'une PME. Pourtant, les textes sont identiques quelle que soit la taille de l'entreprise : ainsi du temps de délégation pour la gestion des comités d'établissement, comité central d'entreprise et comité européen. Il faut donner un pouvoir de substitution aux élus professionnels, afin d'aider au respect des lois lorsque les DDTE n'ont pas les moyens nécessaires.

Une autre solution serait la création d'une véritable police du travail, qui se chargerait des interventions sur le terrain à la place des inspecteurs. Les inspecteurs se concentreraient alors sur des actions préventives plus que réactives et cela désengorgerait les tribunaux de première et deuxième instance.

Il faut ensuite modifier et renforcer certains articles du code du travail afin de faire respecter le principe de la non-discrimination au niveau des qualifications et des rémunérations. Le principe « A travail égal, salaire égal » doit être valable au sein de toutes les sociétés d'un même corps de métier. Il s'appliquerait aussi à toutes les personnes travaillant au sein d'une même société, quel que soit leur statut juridique : contrats à durée indéterminée, contrats à durée déterminée, intérimaires, sous-traitants etc. Pour un travail identique, salaires et qualifications doivent être les mêmes.

Le principe devrait être également étendu aux sociétés créées à partir d'une vente d'activité. Il faut interdire de toucher aux qualifications, aux salaires et aux avantages sociaux des personnes « vendues ». Les salaires d'embauche doivent s'aligner sur les salaires des personnes « vendues » pour ne pas créer de déflation ou de discrimination au sein de la société.

Les subventions de l'État et des communes devraient être réservées aux sociétés qui ouvrent un domaine d'activité nouveau ou rencontrent des difficultés réelles. A l'inverse lorsqu'une société se sépare volontairement d'activités rentables, les acheteurs ne doivent pas profiter d'aides de l'État ou des communes - surtout si la société acheteuse ou vendeuse a les moyens de faire les investissements nécessaires. Les aides accordées devraient uniquement bénéficier à la création d'emplois.

M. le Président : S'agissant du recours à l'intérim et d'après les chiffres qui nous ont été communiqués, il y avait 362 intérimaires en 1993 et 843 en 1997 -plus du double en quelques années. J'aimerais donc que vous puissiez nous donner des précisions sur ce sujet, car vos propos demandent à être étayés.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : L'Isle d'Abeau est le seul site de production en France de Hewlett-Packard. En 1993, il y avait 316 CDI et 132 intérimaires ; en 1997, 668 CDI et 965 intérimaires.

Ce sont surtout des agents de production, qui effectuent un nombre limité de missions et sont affectés d'un taux de rotation très élevé. Nous avons essayé de comprendre les raisons de ces mouvements : elles paraissent liées aux conditions de travail et de salaire. Mais comme ce ne sont pas des salariés de Hewlett-Packard, ils n'apparaissent pas au bilan social ou dans les documents d'étude des experts au comité d'entreprise.

En écho à la stratégie d'externalisation poussée des activités de production, l'entreprise ne souhaite manifestement pas intégrer ces salariés et aspire à un transfert vers une autre société. Je n'ai pas de faits tangibles à présenter sur l'Isle d'Abeau. Mais l'usine s_ur construite en Hollande semble en pratique gérée par le sous-traitant SCI ; ce fait nous conduit à penser que le pôle Production de l'Isle d'Abeau partira à son tour très rapidement chez un sous-traitant, ce qui sera un moyen élégant de se décharger du problème de l'intérim.

M. le Président : Vous avez exprimé des doutes sur le respect de la réglementation et sur la qualité du contrôle, non pas du point de vue de la volonté de l'administration française mais de ses moyens et capacités. Il faudrait que vous puissiez nous fournir quelques éléments complémentaires.

M. Fabrice BRETON (CFTC) : Je vais être pragmatique. Le droit dit que l'employeur doit être capable de présenter le décompte du temps de travail de chaque salarié ; ceci n'est pas possible chez Hewlett-Packard puisqu'il n'y a pas d'outils de mesure : de facto, nous sommes donc dans l'illégalité.

Ce temps de travail n'a même jamais été mesuré, jusqu'au jour où des salariés d'une agence de Lyon ont prévenu l'inspection du travail. Celle-ci s'est rendue sur place et a largement distribué des amendes. Depuis cette date, l'entreprise a voulu se mettre en conformité avec la loi en installant un outil informatique de mesure. Ce n'est pas une véritable pointeuse, puisque chacun déclare ses horaires.

Ce système pose deux problèmes. Le premier est que le système est renseigné par défaut : en d'autres termes, sauf saisie de données contraires on peut déjà annoncer à chaque salarié son décompte d'heures au 30 septembre prochain.

Par ailleurs, la hiérarchie a toute latitude pour modifier vos déclarations. Dès lors, la CFTC considère que ces pratiques contreviennent à l'esprit et à la lettre des textes en vigueur.

M. le Président : Avez vous réalisé des démarches à ce sujet ?

M. Fabrice BRETON (CFTC) : Nous essayons d'obtenir l'intervention de l'inspection du travail, mais ce n'est pas toujours aisé : Hewlett-Packard est une société importante et les inspecteurs du travail nous disent qu'ils ne respectent pas eux-mêmes les horaires pour lesquels ils sont payés... Il reste que le non respect du droit applicable en matière de durée du travail constitue une pierre d'achoppement dans les discussions en cours sur les 35 heures et qu'il représente un obstacle à la réduction du chômage.

Au sein de l'entreprise, le temps de travail n'est ni compté ni pris en considération puisque nous travaillons sur objectif. Les postes deviennent eux-mêmes transnationaux : un responsable commercial ou mercatique en charge d'une partie du territoire se retrouve responsable de la moitié de l'Europe, ce qui l'oblige à multiplier les déplacements sur le continent. Pourtant, le coût du temps n'est pas pris en compte : l'absence de mesure du temps de travail réel conduit à imposer des surcharges de plus en plus importantes, sans jamais créer un seul emploi.

M. le Président : Vous parlez d'une baisse apparente des effectifs par le moyen d'externalisations ou d'un surcroît de travail pour chacun. Les tableaux qui nous sont communiqués indiquent au contraire que la France échappe à ce mouvement - avec un nombre de salariés plus important aujourd'hui qu'il y a quelques années - alors qu'une évolution inverse est perceptible sur les sites extérieurs au territoire national. Comment expliquer alors ce paradoxe ? Pourquoi la France échapperait-elle, selon vous, à la baisse générale des effectifs dans le groupe ?

M. Fabrice BRETON (CFTC) : Les usines françaises ont plusieurs missions. Hewlett-Packard est organisée comme une cascade de PME-PMI, qui auraient chacune la responsabilité de sa recherche, de son développement, de sa production et de sa maintenance.

Les emplois créés dans les années récentes sont des emplois hautement qualifiés, qui concernent des ingénieurs. La production souffre en revanche du mouvement d'externalisation que nous dénonçons : le regroupement de trois lignes de produits au sein d'une ligne unique met ainsi en danger environ deux cents emplois.

Quant à l'entité commerciale, son effectif demeure presque constant alors que la productivité y progresse rapidement. En d'autres termes à travail identique, des ressources diminuent.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : Il y a bien au niveau mondial un accroissement des effectifs, puisque le nombre de salariés de Hewlett-Packard Corp. passe de 92 000 en 1992 à plus de 120 000 aujourd'hui.

L'augmentation en France s'explique par la croissance de l'activité. Le site industriel de Grenoble a en effet vocation à porter le développement de l'ensemble de l'environnement des ordinateurs personnels (PC, personal computer), ce qui a justifié certaines embauches. Il n'y a toutefois pas de commune mesure entre une activité qui progresse de 20 à 25 % par an et les - 4 % d'emplois en 1994 ou les + 7 % en 1996.

M. Gilles EYMERY (CFDT) : Je fais partie d'un département qui a beaucoup embauché au cours des dernières années.

Devant l'augmentation des commandes de PC, une répartition des moyens en trois divisions a été opérée et 180 personnes recrutées.

Pour diverses raisons, les trois divisions n'ont pas fonctionné comme on l'espérait. Il a fallu en revenir à une entité unique et donc opérer 180 redéploiements.

M. Patrick NOWAK (CGC) : La société Hewlett-Packard est répartie en deux entités industrielle et commerciale. Les embauches ont été effectuées pour l'essentiel au sein de l'entité industrielle, avec la montée en puissance d'une technologie fortement consommatrice d'ingénieurs. Dans l'entité commerciale, les effectifs sont demeurés sensiblement constants, puisque de 1993 à 1998 ils n'ont augmenté que de 162 personnes.

Au sein de Hewlett-Packard France, les - 28 de 1993 sont devenus + 467 en 1998. L'entité industrielle se trouve donc confrontée au problème du reclassement de près de deux cents ingénieurs.

M. le Président : Aucun d'entre vous n'a parlé du pôle Mesure.

M. Fabrice BRETON (CFTC) : Ce pôle, qui est à l'origine de la fondation de Hewlett-Packard et constituait la totalité de son activité, n'en représente plus aujourd'hui que 15 % et emploie 35 000 personnes.

Hewlett-Packard souhaite se comparer à ses compétiteurs dans le secteur informatique. Mais lorsque les analystes financiers divisent le chiffre d'affaires total par le nombre de personnes qui le réalisent, ces trente-cinq mille postes pèsent lourdement sur le résultat final.

Nos experts financiers au comité central d'entreprise avaient prédit depuis trois ans la scission des deux activités qui intervient aujourd'hui.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : La séparation en deux pôles Informatique et Mesure est la conclusion logique du recentrage sur un objectif de croissance du titre boursier : la CGT le dit aussi bien que la presse économique spécialisée comme Les Echos.

Dans cette partition, la France a l'avantage de ne pas avoir sur son territoire de sites de production d'instruments de mesure, à la différence de l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne.

M. Michel DEMOULIN (FO) : Une précision : les 78 000 employés du nouveau pôle Informatique réaliseront 40 milliards de dollars de chiffre d'affaires, alors que les 45 000 salariés du pôle Mesure ne représenteront que moins de 8 milliards de dollars. En d'autres termes, Hewlett-Packard se sépare de 45 000 emplois mais seulement de 8 milliards de dollars de chiffre d'affaires. La croissance du groupe étant de l'ordre de 20 % par an, les 40 milliards de dollars d'aujourd'hui seront 48 milliards demain : en se séparant de 45 000 employés, Hewlett-Packard ne perd que la variation de son chiffre d'affaires en un an.

Hewlett-Packard a confié la gestion de la totalité de ses usines de fabrication informatique au groupe SCI. Après la scission, le rôle industriel de Hewlett-Packard n'existera donc plus.

M. Patrick NOWAK (CGC) : La partition au sein de Hewlett-Packard est un v_u des financiers : l'informatique d'un côté et la mesure d'un autre, ce qui permet de comparer des « choux avec des choux » et non des « choux avec des carottes ».

Il a été clairement annoncé en comité d'entreprise et comité central d'entreprise que l'objectif de Hewlett-Packard est de se hisser au niveau de Dell. L'informatique du groupe connaîtra donc inéluctablement une réorganisation et une filialisation de ses activités.

M. Alain COUSIN : Vous avez expliqué que les emplois de production étaient plutôt à la baisse alors que les emplois d'ingénieurs étaient plutôt à la hausse. J'ai cru comprendre que cela était lié au poids de la recherche et développement (R&D), puisque vous êtes dans un métier où la durée de vie des produits est extrêmement courte. J'ai d'ailleurs le sentiment que c'est là une tendance lourde, qui n'est pas propre à l'entreprise Hewlett-Packard mais liée à l'activité générale du secteur.

Vous expliquez aussi que 180 personnes vont devoir être reclassées et qu'elles sont plutôt des ingénieurs. Comment se fait-il donc que des ingénieurs soient frappés, compte tenu des exigences d'un secteur aussi fortement évolutif sur le plan technique ? Y aura-t-il des licenciements ? Quels dispositifs spécifiques l'entreprise se prépare-t-elle à mettre en place ?

Vous avez indiqué aussi que la société délocalisait : est-ce à l'étranger ? Quels sont les métiers les plus concernés ?

M. Gilles EYMERY (CFDT) : Les ingénieurs à reclasser font partie de la division particulière des personal computers.

Les délocalisations concernent surtout le savoir-faire et la compétence en R&D : les produits développés à Grenoble, dont le groupe est très satisfait, partent vers les États-Unis.

C'est aussi un problème d'économie. Les départements sont mis en concurrence chaque année : celui qui a réalisé les meilleurs bénéfices gagne une récompense alors que le dernier risque d'avoir des difficultés ou d'être fermé.

M. Alain COUSIN : D'une manière générale, les délocalisations semblent aller de pair avec la possibilité de bénéficier de compétences identiques à coûts moindres.

Or vous dites que les ingénieurs quittent l'Isère pour les États-Unis parce que c'est leur savoir-faire qui intéresse. Selon vous, où leur départ trouve-t-il donc son origine ? N'est-ce pas de nature à rendre, d'une manière générale, l'entreprise plus performante ?

M. Gilles EYMERY (CFDT) : L'envoi de compétences à l'étranger est flatteur, mais il a pour corollaire la disparition de métiers comme la fabrication de circuits intégrés. De même, le groupe veut fermer le centre de tests de Grenoble après y avoir investi plusieurs millions de dollars.

M. Alain COUSIN : Combien y a-t-il de cadres français expatriés ?

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : Je n'ai pas de chiffres à présenter. Je combats en revanche l'illusion selon laquelle le reclassement des cadres passe par leur expatriation : on n'a proposé qu'à cinq unités sur une dizaine un travail aux États-Unis et seules deux ou trois l'ont accepté.

Il est vrai que les disparitions d'emplois dans l'entreprise et autres externalisations ne touchaient jusqu'à présent que des non cadres. C'est la première fois dans l'histoire de l'entreprise que celle-ci doit affronter un reclassement de cadres à un niveau aussi important - 10 % de la population, soit 200 cadres sur 2 000. Je considère qu'il n'y a pas volonté de la direction de dialoguer véritablement pour avancer sur ce dossier et qu'au contraire le flou règne.

M. Gilles EYMERY (CFDT) : L'implantation dans un pays est une question d'opportunité : il s'agit d'être proche des clients.

M. Michel DEMOULIN (FO) : Je reviens sur les délocalisations. Sur un plan industriel, il n'y a jamais eu de délocalisations directes de la fabrication de la France vers l'étranger, mais beaucoup de délocalisations indirectes : à partir du moment où l'activité est vendue ou sous-traitée, l'étape suivante est l'appel à un sous-traitant de second rang ou l'achat à l'extérieur. Je prends l'exemple des claviers : quand Hewlett-Packard s'est implanté en France, il a fabriqué les claviers ; ensuite il les a sous-traités en France ; désormais ils viennent de Corée. La délocalisation de la production est donc toujours indirecte.

S'agissant des ingénieurs, il ne s'agit pas de délocalisation mais plutôt d'un mouvement de retour à la centralisation en un seul lieu.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : On peut parler d'une véritable gestion de l'obsolescence des carrières chez Hewlett-Packard.

La formation dans cette industrie, qui évolue très vite sur le plan technique, est quantité négligeable : jamais de plan pour le personnel de production, qui aurait pu se reclasser ou se reconvertir dans des tâches administratives. Au bout de quelques années, lorsque la cinquantaine approche, les individus sont dépassés et découragés par la technologies. Que faire de ces salariés ? Certes, il n'y a jamais eu de licenciements... en apparence ; mais dans le bilan social, apparaît une gestion des départs volontaires de l'entreprise.

M. Fabrice BRETON (CFTC) : Vous avez demandé pourquoi il n'y avait pas de départs dans la production à l'Isle d'Abeau. L'explication est simple : pour l'essentiel, les tâches sont traitées par des intérimaires.

M. Patrick NOWAK (CGC) : Sur le site de production de l'Isle d'Abeau, on compte 827 intérimaires pour 1 100 personnes environ - soit un rapport de 70 %. La technique est très simple : au terme d'un contrat de 18 mois, l'intéressé repart dans sa société d'intérim ; trois mois plus tard, il est repris parce qu'il connaît les méthodes Hewlett-Packard et qu'il n'est plus nécessaire de le former.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : Le phénomène est identique à Grenoble, où beaucoup d'intérimaires se mêlent aux salariés permanents : environ 600 personnes sur 3 000 sont des intérimaires.

L'entreprise, qui se situait dans une logique de production, doit maintenant gérer la non-production afin d'éviter les problèmes sociaux que poserait la séparation d'avec un millier de salariés. Le recours à l'intérim permet d'éviter l'application de l'article L. 122-12 du code du travail, puisque les intéressés n'appartiennent pas à l'entreprise.

Celle-ci souhaite donc que la production et l'assemblage soient effectués par une autre entreprise, mais dans ses murs. C'est là son projet industriel... En 1993 à l'Isle d'Abeau, il y avait 307 CDI et 132 intérimaires ; en 1997, 668 CDI et 965 intérimaires et les chiffres pour 1998 sont du même ordre de grandeur. Le document sur lequel vous prenez appui globalise l'ensemble de l'intérim, quand je limite mon propos aux seuls sites industriels ; il est d'ailleurs vrai qu'il y a beaucoup moins d'intérimaires sur les sites commerciaux.

M. le Président : Est-il possible d'avoir un éclairage sur les évolutions salariales ?

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : L'évolution de la masse salariale présente plusieurs aspects. La moyenne d'âge, aujourd'hui de 37 ans, a relativement peu changé au cours de deux ou trois dernières années et les nouveaux entrants compensent le vieillissement général.

D'un point de vue quantitatif, la part des salaires dans le chiffre d'affaires a été divisée par deux depuis 1993. La part des salaires dans la valeur ajoutée de l'entreprise, c'est-à-dire dans ses richesses, atteignait 54 % en 1994 ; en 1998, elle n'est plus que de 43,7 %. L'entreprise s'enrichit globalement mais la répartition entre les salaires, d'une part, les investissements et la rémunération du capital, d'autre part, s'opère de plus en plus en défaveur des salariés.

La masse salariale évolue donc très faiblement par rapport à la progression du chiffre d'affaires et à la création de richesse par l'entreprise.

M. Fabrice BRETON (CFTC) : Les mouvements internationaux de personnel sont appelés à rendre les données difficiles à interpréter. De plus en plus de salariés seront échangés avec des pays étrangers, au prix d'une amputation de leur salaire dans le pays d'origine.

Le bilan social nous indique le montant des dix plus hauts salaires de Hewlett-Packard. D'après ce que disent les dirigeants, leur salaire n'a pas augmenté de manière aussi significative que l'indicateur le laisse penser et ils le déplorent : cela s'expliquerait par l'accueil d'un cadre étranger.

M. Michel DEMOULIN (FO) : L'augmentation de la masse salariale doit être relativisée. En 1997, cette masse a augmenté de 9,1 % alors que les effectifs ont progressé de 7,9 % : la différence globale est donc faible.

Lors de la dernière négociation salariale, on nous a en revanche indiqué l'augmentation moyenne des 90 plus hauts salaires de Hewlett-Packard France : celle-ci était comprise entre 9 et 10 %. L'essentiel de l'augmentation concerne ainsi les salaires élevés des cadres supérieurs et des dirigeants de l'entreprise.

M. Gilles EYMERY (CFDT) : Un système interne récompense les meilleurs performances, sur la base d'un classement où il y a dix perdants pour un gagnant. Pour une minorité très bien payée, une masse de salariés doit se contenter de salaires assez médiocres.

M. le Président : Pourriez-vous nous éclairer sur les mouvements financiers et notamment les redevances entre Hewlett-Packard France et la maison mère ?

M. Michel DEMOULIN (FO) : Les redevances peuvent permettre des évasions de capitaux. Nous sommes incapables de nous prononcer sur leur légitimité mais nous savons qu'elles sont regardées de très près par les services fiscaux.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : Compte tenu des négociations entre la filiale française et la société mère, les mécanismes de redevances nous échappent.

La société a ainsi rapatrié en 1998 200 millions de francs de redevances versés en trop sur les dix premiers mois de l'année. A deux mois de la clôture, les résultats nets prévus étaient de 800 millions de francs. Le résultat est en fait arrêté à 1 milliard de francs. On a demande les motifs de cette correction : l'explication tient au retour de 200 millions de francs en raison d'une renégociation des redevances, probablement pour des raisons fiscales.

M. Michel DEMOULIN (FO) : Hewlett-Packard Corp. paie la recherche et le développement, dans tous les pays. En contrepartie, tous les brevets et inventions sont rapatriés aux États-Unis ainsi que les redevances.

M. Christian PILICHOWSKI (CGT) : La propriété intellectuelle est également aux États-Unis, même si la recherche et le développement ont lieu ailleurs.

Cliquer ici pour revenir au sommaire du tome III
Cliquer ici pour revenir au sommaire général du rapport