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TOME III (volume 2)
IBM France

Audition de la direction
Audition des syndicats

Audition de la direction

Audition de MM. Bernard DUFAU
Président directeur général d'IBM France,

Michel ANTOINE,
Directeur des relations humaines,

Louis-Marie LAUNAY,
Directeur des services financiers et de gestion et

Gilles RAGUENEAU,
Directeur des relations extérieures

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mars 1999)

Présidence de M. Jean ESPILONDO, Vice-président

MM. Bernard Dufau, Michel Antoine, Louis-Marie Launay et Gilles Ragueneau sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Bernard Dufau, Michel Antoine, Louis-Marie Launay et Gilles Ragueneau prêtent serment.

M. Bernard DUFAU : Je me propose en introduction de présenter la compagnie IBM, son effectif, son implantation, ses principales stratégies et ses défis puis je répondrai à vos questions.

IBM France est une société anonyme, filiale d'une société américaine installée en France depuis 1914 et plus précisément à Paris. Elle est toujours restée filiale à 100 % de IBM corporation.

Notre chiffre d'affaires, de 32 milliards de francs, se décompose en deux parties. La première, réalisée avec des clients français, s'élève à 19 milliards de francs. La seconde correspond aux produits que nous vendons à nos filiales, en Italie, en Espagne, qui les revendent au client final. Le montant total est la somme des chiffres d'affaires, qui se consolident pour constituer celui de la société.

Le chiffre d'affaires à l'exportation tourne autour de 12 milliards de francs.

Notre effectif est de l'ordre de 19 500 personnes, dont 2 100 à temps partiel.

Nous sommes implantés géographiquement, pour l'activité commerce et services, à Paris et dans six grandes régions françaises : l'Est à Nancy, le Nord à Lille, l'Ouest à Nantes, le Sud-Ouest à Bordeaux-Toulouse, la Méditerranée à Marseille et Rhône-Alpes.

Nous avons un centre administratif important à Orléans, à Sainte-Marie exactement, et trois sites de production et de développement. Le plus important est à Corbeil-Essonnes avec 2800 personnes. Le second est à Montpellier, le troisième à La-Gaude.

En termes de parts de marché - en France et dans le monde -, nous sommes au premier rang, le deuxième est Bull. Compaq est en train de le rattraper et Hewlett-Packard n'est pas loin, chacun réalisant 8 à 9 milliards de chiffre d'affaires.

Le nôtre, globalement, se décompose en trois grandes activités.

Premièrement, la vente de matériels, allant du poste de travail de type PC jusqu'aux systèmes informatiques et serveurs importants : elle représente 42 % du total.

Deuxièmement, les logiciels qui représentent 21 %.

Troisièmement, les services, la maintenance, l'entretien, la mise en place d'écriture de programmes, la gestion des parcs informatiques représentent près de 37 %.

En conséquence, le matériel représente 42 % et le « non-matériel » 58 %. C'est un changement important par rapport aux cinq ou six dernières années où le matériel représentant alors 60 %.

Nous investissons, en France de façon très importante. Nous avons réalisé en 1995/1996 - en particulier à Corbeil-Essonnes - plus de 3,5 milliards de francs.

Nous consacrons un effort important en faveur de l'éducation, qui représente 8 % de la masse salariale.

Nous sommes conduits à commercialiser nos offres et nos produits, à travers nos propres sources d'une part et un réseau de partenaires d'autre part. 35 % du chiffre d'affaires d'IBM est commercialisé à travers ce dernier. Il représente un peu plus de 500 entreprises, correspondant à 7 ou 8 milliards de francs.

IBM a connu un succès continu avec une croissance du chiffre d'affaires et du profit pendant de très nombreuses années, entre 1960 et 1980 avec une position très forte sur le marché.

Puis est apparu un phénomène considérable : l'ordinateur personnel. IBM n'a pas immédiatement intégré dans son action commerciale l'impact que représente le poste de travail et le fait que les individus souhaitaient s'en équiper. Nous avions toujours une approche centralisée autour des directions informatiques et ceci nous a conduits, petit à petit, à nous couper de la demande du marché.

Notre gestion était bonne, nous réalisions des résultats et les clients nous faisaient confiance sur le plan des prix. Mais notre compétitivité a commencé à s'éroder. Les prix des équipements microinformatiques sont devenus particulièrement attractifs par rapport à ceux des offres centralisées et traditionnelles. Nous avons donc été confrontés au cours des années quatre-vingt-dix à une perte sensible de marché et à une érosion de notre compétitivité. En termes de prix, nous étions trop chers, en termes d'organisation trop lourds et pas assez dynamiques.

Nos résultats ont été affectés et nous avons été obligés de prendre des mesures draconiennes. Nous avons commencé à réaliser des pertes importantes en 1992/1993 ; elles étaient paradoxalement nécessaires puisqu'elles ont conduit la compagnie à changer sa vision, ses projets et son positionnement sur le marché.

IBM était très orientée vers les produits « finis matériels » ; maintenant, elle développe plutôt de la technologie et surtout se préoccupe de faire en sorte qu'elle soit bien utilisée chez les clients. Elle s'occupe donc beaucoup des applicatifs des projets des clients pour utiliser les matériels et logiciels.

Ce changement a conduit IBM à effectuer des redéploiements importants de ressources. Les employés affectés à la production sont allés vers les services et l'entreprise a fait en sorte de se redéployer dans ce domaine. Elle a réalisé des investissements et mené de grandes restructurations dans le domaine de la production, afin que les prix s'alignent sur ceux du marché.

Aujourd'hui, notre activité de services est celle qui emploie le plus grand nombre de personnes : 9 000 à 10 000. Nous avons embauché, en 1997, 1 600 collaborateurs, en 1998, 1 700.

Parallèlement, nous avons été conduits à avoir des plans d'adaptation de ressources afin que nos prix de revient soient compétitifs par rapport à ceux du marché.

Nous sommes aujourd'hui sur un marché complètement mondialisé, les microprocesseurs sont tous identiques quels que soient les pays. Il faut donc avoir une approche économique de centralisation et de prix très poussée.

L'approche d'IBM a changé. Nous n'avons plus les mêmes références pour dégager des excédents dans les activités de services ou de matériels. Au niveau des services, nous faisons moins d'investissements mais le niveau de marge est plus faible. Le changement culturel a été assez profond pour que les compétences nécessaires se développent et que nous soyons compétitifs sur le marché français, notamment sur celui des services.

Aujourd'hui, nous sommes assez bien positionnés : nous sommes en France la première société de services, devant des sociétés comme Cap Gemini ou Atos. Nous avons été conduits d'ailleurs, en début d'année, à concentrer l'ensemble des filiales au sein d'IBM.

Notre vision du futur est très optimiste. Nous sommes sur un marché porteur où se produit une révolution, au moins aussi importante que celle des années 80, liée à Internet, aux réseaux et à la communication.

De nombreuses entreprises et administrations, dans tous les domaines (éducation, pouvoirs publics), sont concernés. Cette révolution va modifier, dans l'industrie, beaucoup de métiers. Des activités seront créées autour des portes d'accès aux réseaux.

Les entreprises, qui vivent d'activités d'intermédiation ou avec une valeur ajoutée faible, se trouveront confrontées à un risque de remise en cause.

C'est une opportunité pour les petites entreprises puisqu'il sera possible, avec de bons produits, de vendre dans le monde entier sans installer des services commerciaux.

Nous avons mené une campagne publicitaire très importante autour du commerce electronique (e-business) que nous conjuguons différemment selon les entreprises.

Les gens pourront travailler avec d'autres, en partageant les mêmes projets, sans bouger. Il sera possible de simplifier les relations de l'entreprise avec ses clients, ses fournisseurs. Le commerce électronique se développera. Cette direction est prise et va entraîner des changements fondamentaux.

Nous essayons de jouer dans ce domaine un rôle de leader car nous pouvons être, pour nos clients, un partenaire complet, maîtrisant beaucoup d'éléments du puzzle.

C'est ce qu'ils attendent, de plus en plus, d'ailleurs.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de réseau de partenaires. J'aimerais que vous reveniez sur cette notion, pour expliquer comment il fonctionne et les avantages que vous en tirez, vous et le réseau lui-même.

Il existe un décalage entre les résultats d'IBM France et ceux d'IBM Corp. Comment l'expliquez-vous, qu'il s'agisse du chiffre d'affaires ou de la rentabilité financière ? Il est plus ou moins important, mais il est notable.

La rentabilité financière du groupe, par ailleurs, est inférieure à celle d'IBM Corp., en dépit des mesures de restructuration prises au milieu des années 90. Allez-vous, en France, réduire encore vos effectifs ? Si oui, comment ? Sinon, avez-vous l'intention de procéder à un développement sur certains des marchés ou segments que vous avez évoqués ?

J'observe qu'IBM France ne procède plus à des versements de dividendes. Cependant, la maison mère perçoit des redevances de l'ordre de 7 à 8 %. A quoi correspondent-elles ? A quel niveau se situent-elles pour IBM France, IBM Italie et pour les différentes filiales d'IBM Corp. ?

M. Bernard DUFAU : Il existe un décalage entre IBM France et IBM Corp. parce que, pour IBM France, il n'y a pas une vision unique des résultats face au marché mais un mélange entre une partie liée aux clients et une partie liée à quelques activités très spécifiques de production.

Les chiffres français ne reflètent pas la totalité du cycle de production d'IBM Corp., mais seulement quelques éléments. Certains ont un poids très fort dans le chiffre d'affaires externe d'IBM France, comme par exemple les mémoires, alors que pour IBM Corp. ils ne sont qu'une partie de la totalité du résultat.

IBM France est en effet « positionnée » sur les mémoires et les grands systèmes, puisqu'elle est responsable de la production de mémoires et des grands systèmes pour l'ensemble de l'Europe.

Nous avons été conduits à prendre des mesures draconiennes pour faire en sorte que cette activité devienne plus profitable, plus rentable. Il faut garder à l'esprit qu'entre le 1er janvier 1997 et aujourd'hui, le prix des mémoires sur le marché a été divisé par 12. Je ne sais pas si aucune autre activité a connu une telle évolution ! Nous portons, dans les résultats d'IBM France, la fabrication à un certain prix et la vente à un autre, beaucoup plus faible, ce qui explique que nous ayons réalisé des pertes dans cette activité-là.

M. le Rapporteur : Comment expliquez-vous ce phénomène ?

M. Bernard DUFAU : Je citerai trois éléments.

Le premier est technologique. On sait fabriquer de plus en plus de composants de mémoires sur une plaque de silicium. La recherche a fait des progrès fantastiques.

Deuxièmement, pour fabriquer des mémoires, il faut des unités de plus en plus grandes qui écoulent énormément et cette industrie est affectée d'un fort mouvement de concentration. Aujourd'hui, il existe six grands fabricants de mémoires dans le monde, tous sont asiatiques. Nous ne nous maintenons que parce nous voulons fabriquer des mémoires pour nos propres produits.

Troisièmement, la dévaluation compétitive des monnaies asiatiques a joué en notre défaveur.

M. le Rapporteur : Malgré tout, vous souhaitez conserver, en France, l'usine de mémoires pour l'ensemble de l'Europe ?

M. Bernard DUFAU : Nous estimons que cette usine demeure compétitive en dépit de son environnement. Nous nous sommes naturellement posé cette question : n'aurions-nous pas intérêt à acheter les mémoires à l'extérieur ?

La maîtrise technologique demeure un objectif stratégique. Pour les mémoires de dernière génération, nous voulons « être dans le coup » ; mais il vrai que nous achetons aussi des mémoires « tout-venant » sur le marché.

Les restructurations aux États-Unis et dans les autres pays du monde se sont déroulées beaucoup plus vite qu'en France, en raison des différences d'environnement. Il n'y a pas, proportionnellement, le même impact immédiat en pertes et en baisses d'effectifs en France et dans d'autres pays. Mais ceux qui ont réagi le plus vite ont pu rapidement augmenter leurs résultats.

M. le Rapporteur : Quels sont les résultats pour l'ensemble du groupe ?

M. Bernard DUFAU : Ses effectifs ont diminué beaucoup plus vite qu'en France et il a amélioré ses résultats plus rapidement.

M. le Rapporteur : Le fait que vous ayez résisté davantage à cette évolution pose-t-il, à l'intérieur d'IBM Corp., des difficultés particulières ?

M. Bernard DUFAU : Je suis très interrogé sur ce sujet. Je pense qu'une des qualités d'IBM Corp. est de comprendre les marchés sur lesquels elle évolue. Elle connaît l'environnement de la France, les lois sociales, les pratiques et essaie de faire en sorte que ses objectifs soient atteints, mais elle tient compte aussi de nos contraintes.

C'est toutefois un sujet de préoccupation. Quand de nouvelles opportunités se présenteront, IBM Corp. peut envisager de les réaliser dans d'autres pays, où il y a moins de difficultés.

M. le Rapporteur : Le maintien de cette recherche et la fabrication des mémoires haut de gamme en France, est-ce dû aux aides publiques, en matière de recherche et de développement qui seraient plus intéressantes dans notre pays?

M. Bernard DUFAU : Les critères de décision ne sont pas liés à l'aspect fiscal ou aux aides publiques. Ces éléments interviennent peut-être à un moment donné, mais la question de fond est la suivante : voulons-nous faire des mémoires pour des raisons stratégiques ? n'y a pas un seul endroit où il y a autant de compétences, de savoir-faire, de rendement qu'à Corbeil-Essonnes. Il faudrait des différentiels très importants pour ne plus les utiliser. Les investissements, en termes d'équipements des laboratoires, sont extrêmement élevés.

Ce n'est pas parce, à tel endroit, une subvention est plus élevée que les installations existantes sont transférées. Notre activité prend en compte beaucoup d'éléments, en particulier, le savoir-faire. A partir d'une tranche de silicium, selon la maîtrise du processus, les rendements peuvent aller jusqu'à 50 % de bonne mémoire à 70 % voire 80 % mais peuvent plafonner à 20 %. Si les rendements sont maîtrisés à 70 %, il est possible de tirer avantage de cette performance dans les arbitrages entre sites. J'ai passé beaucoup de temps à argumenter, dans ma propre entreprise, autour de ce thème ; je peux donc être précis dans ma réponse.

M. le Rapporteur : Peut-on avoir communication des montants de vos aides ? De la même manière, vous avez des pourcentages conséquents consacrés à la formation de vos personnels, ce qui est tout à votre honneur. La société IBM est connue pour son effort en la matière. Est-ce que, par ailleurs, dans le domaine de la recherche et du développement, les aides que vous obtenez des différentes collectivités pourraient nous être communiquées ?

M. Bernard DUFAU : Oui. Elles ne sont pas de nature à changer les orientations des investissements.

M. le Rapporteur : Le groupe va-t-il encore réduire ses coûts ? Si oui, comment ?

M. Bernard DUFAU : Oui, constamment. Tout part du marché. Nul n'a une politique de réduction des coûts pour le plaisir. L'acheteur, aujourd'hui, cherche un produit de qualité et peu coûteux. Nous sommes tous des acheteurs et nous sommes indifférents au lieu de fabrication. Le marché choisit l'entreprise qui sait proposer le ratio performance/prix/qualité le meilleur.

Dans la mesure où nous sommes, en plus, dans un métier à fort contenu technologique, il y a matière à baisser régulièrement les coûts, en particulier, du matériel. La norme est de 20 % par an, au moins pour les dix prochaines années.

Pour nous, la baisse des coûts est une question de survie. Ce fut notre problème en 1990 : nous n'avions pas su adapter suffisamment nos coûts et nos prix et nous nous sommes trouvés à côté du marché. Il faut donc que nos prix s'adaptent en permanence.

M. le Rapporteur : Nous avons rencontré d'autres interlocuteurs. Certains disent : « Arrêtons les aides ! Que l'État, les collectivités locales s'occupent de gérer ce qu'ils ont à gérer et laissent les entreprises s'occuper de leurs affaires. » Même si vous avez laissé entendre que le montant des aides n'était pas essentiel, est-ce que leur disparition changerait votre approche ? J'ai cru comprendre que vous n'envisagiez pas de quitter Corbeil-Essonnes, mais Montpellier.

M. Bernard DUFAU : Nous n'avons pas eu un centime d'aide à Montpellier.

M. le Rapporteur : J'ai cru comprendre que vous aviez quelque intérêt pour l'Irlande.

M. Bernard DUFAU : L'Irlande existe, comme la France. C'est un fait.

M. le Rapporteur : Connaissant un petit peu les atouts de ce pays, nous pensons que des critères autres que celui de la formation des Irlandais ont probablement joué.

M. Bernard DUFAU : Oui, la compétitivité. Je pourrai vous donner tous les détails.

M. le Rapporteur : Si demain, la France ou la Communauté européenne met fin aux aides, quelle serait votre réaction ?

M. Bernard DUFAU : Nous serons ravis.

M. Gilles RAGUENEAU : En supposant que les autres paramètres soient également alignés. En Irlande, il y a une différence sensible entre la panoplie fiscale et la panoplie sociale. Mais si tout est harmonisé, ce sera idéal.

M. Bernard DUFAU : Une société internationale perd du temps en discutant de ces sujets.

Sur le fond, nous rêvons d'avoir un monde beaucoup plus transparent, car il ne l'est pas. Quand un industriel s'adresse à certains pays, ceux-ci répondent : «Fiscalité en Irlande, 10 %. En France, 41%». Les calculs sont très vite effectués.

Si je n'avais pas ces discussions sur les taux de fiscalité et comme sur d'autres, nous pourrions en avoir sur ce qui est bon, fondamentalement, pour le marché et l'individu, en termes de qualité.

Quand ce sera le cas en Europe, ce sera très bien. Elle pourra enfin être unie pour se battre contre l'Asie et le reste du monde.

M. le Rapporteur : Les redevances à IBM Corp. ?

M. Bernard DUFAU : Nous avons une politique identique dans toutes les filiales du monde avec une transparence complète. Nous avons les mêmes règles en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en France, en Australie et au Japon.

Nous payons un certain nombre de royalties, sur les produits que nous vendons, à la IBM Corp., selon des règles précises et connues.

Nous participons ainsi à l'activité de recherche et de développement d'IBM Corp., qui elle-même redistribue cet argent sur les sites de recherche nationaux. Par exemple, le financement de La-Gaude est, en partie, lié à cette redistribution.

La recherche et le développement dans le monde représentent 6 à 7 % du chiffre d'affaires d'IBM, soit 5 milliards de dollars. Le financement vient des royalties sur les ventes de matériels. Les matériels et les logiciels nécessitent des recherches, en amont, avec un tel financement.

M. le Rapporteur : Et si vous essayez de faire une balance, quelle est-elle pour la France ?

M. Bernard DUFAU : Je pense que nous devons verser plus que ce que nous recevons. La couverture est de 60 à 70 %.

Les centres de développement sont connus. Ils sont installés dans certains pays du monde. Nous avons la chance d'en avoir un en Europe, qui se trouve en France.

Nous bénéficions, plus que d'autres pays, des royalties. Ceci est peut-être dû à l'histoire. L'installation d'IBM étant ancienne en France, par rapport à d'autres filiales européennes, nous avons un poids industriel et de développement plus fort que la moyenne.

M. le Président : Dans le cas, par exemple, de l'arbitrage concernant la délocalisation de l'activité de l'usine de Montpellier vers l'Irlande, qu'est ce que cela représente ? Vous dites que les aides comptent peu pour vous, et nous comprenons le cheminement de votre pensée ; mais par ailleurs, nous constatons qu'en Europe, si cette question est si importante, c'est parce que nous ne nous trouvons pas sur un territoire unifié.

Par rapport aux aides de différentes natures octroyées par l'État et les collectivités locales, quel est le pourcentage correspondant dans le cas bien précis de l'Irlande?

M. Bernard DUFAU : Au niveau des aides spécifiques pour le budget de recherche-développement, l'aide à l'éducation ou les taxes locales, l'écart n'est pas très grand entre la France et les autres pays.

Il est significatif, par contre, dans deux domaines : les impôts et les charges sociales. Plus l'activité de main-d'_uvre est grande et plus les écarts sont sensibles, mais ils ne sont pas dus aux aides. Le calcul, au départ, est plus contrasté et plus en défaveur de la France.

Nous avons toujours une usine à Montpellier. Nous y fabriquons des grands systèmes. Soixante personnes sont parties en Irlande pour des raisons économiques afin de centraliser, au niveau de l'ensemble des fabrications, l'assemblage final. Mais le reste de la fabrication demeure à Montpellier.

Vous avez posé des questions sur le marché. Nous avons la volonté de croître, comme le marché en France de 10 à 11 % par an. Pour cela, nous allons mettre l'accent sur les services, à hauteur de 20 %, comme les trois dernières années. Pour les logiciels, nous devrions atteindre une croissance à deux chiffres. Celle du matériel est très liée à celle du monde des ordinateurs individuels, le reste n'étant pas globalement significatif.

Au niveau mondial, nous avons pris la décision d'être très peu présents sur le marché domestique mais davantage sur celui des entreprises petites, larges ou moyennes. Ce segment de marché ne connaît pas la même croissance que le marché domestique. L'évolution sera tout de même favorable en 1999.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté que vous n'avez pas procédé à une optimisation fiscale très poussée. Quel système d'impôts avez-vous avec la maison mère et les filiales ?

M. Louis-Marie LAUNAY : Nous payons des impôts dans chaque pays selon sa législation. Il existe des conventions internationales également entre pays, pour éviter la double imposition.

Sur le plan local, nous procédons toujours par intégration fiscale. Nous ne publions qu'un seul résultat global, afin que les décisions individuelles ne soient pas viciées par des intérêts particuliers d'entreprises, qui chercheraient à optimiser certains résultats, ne serait-ce qu'au plan du personnel, par exemple pour la participation.

Nous sommes un groupe non seulement français mais international. Il y a une intégration fiscale sur le territoire, une déclaration fiscale en règle avec la législation et qui est contrôlée régulièrement, et des conventions internationales aux États-Unis. Il y a plus ou moins de paiements d'impôts, en fonction de l'assemblage individuel des pays.

M. le Rapporteur : Vous dites que vous avez réduit considérablement les effectifs dans certains domaines. Dans les services, avez-vous bénéficié de subventions ou d'aides ?

M. Bernard DUFAU : Nous avons bénéficié en 1994 de l'aide de l'État pour des départs en FNE. Ils ont représenté 15 % de la totalité de nos dépenses. Donc IBM a payé l'essentiel du coût des départs en préretraite - soit près de 5 milliards de francs.

M. le Rapporteur : Les groupes ont tendance à se débarrasser un peu des problèmes, en trouvant dans les sites, les régions ou les bassins d'emplois, une PME, une PMI ou une autre entreprise qui acceptent, en échange d'un chèque, l'intégration de quelques personnes. Que penseriez-vous d'un système qui ferait obligation à l'entreprise d'adopter une attitude citoyenne par rapport à celle qui, pour satisfaire ses actionnaires, est amenée à réduire ses coûts et se débarrasser de cette charge que représente le personnel ?

M. Bernard DUFAU : Nous constituons une entreprise très citoyenne. Notre programme de préretraite nous coûte cher. Une personne de 55 ans qui doit travailler encore 7 ans, est payée tous les mois. Elle n'ira pas à l'ANPE, car elle reste salariée d'IBM ; elle n'est pas à la charge de l'État et reçoit plus de 50 % de son salaire.

C'est la formule que nous appliquons à l'essentiel du personnel. Elle coûte beaucoup mais elle résulte de notre décision. Ces personnes qui approchent de la fin de leur carrière doivent être prises en compte. Certaines peuvent évoluer, d'autres pas ; certaines ont travaillé pour nous pendant plusieurs années.

M. Michel ANTOINE : Nous avons 19 000 actifs et 3 000 personnes payées à 65 % sans travailler. De la date du départ entre 52 et 55 ans jusqu'à la retraite à taux plein - donc pendant sept ou huit ans -, elles touchent 65 % de leur salaire en moyenne, financés entièrement par IBM. Cela pèse beaucoup et nos partenaires le disent dans les discussions il est vrai. Pour l'essentiel, ces personnes ne pouvaient pas se reconvertir. Elles étaient d'ailleurs volontaires : deux tiers ont refusé de faire l'effort de se former, parfois pendant un an, pour passer d'un service de production à un autre de vente ou de développement de logiciels.

Vous demandiez la différence de coûts entre IBM Corp. IBM France : les départs dans les autres pays ont coûté beaucoup moins cher.

Les salariés sont attachés à IBM, pour des raisons qui se comprennent : l'éducation - 3,2 % de la masse salariale accordés au comité d'entreprise - la mutuelle, la protection sociale.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous revenir sur les réseaux d'entreprises ?

M. Bernard DUFAU : Ils sont liés à la valeur et au prix de nos produits. Quand on fait des offres à des clients, elles méritent une visite, des relations commerciales, un lien.

Entre 40 et 50 % de nos offres ont une valeur unitaire comprise entre 20 kF et 50 kF.

Nous ne pouvons plus nous payer des réseaux en quantité suffisante pour rencontrer les clients. Nous passons donc par des professionnels dont c'est le métier. Installés dans toute la France, ils nous achètent les matériels et les revendent avec un service associé, un logiciel. Ils sont près des clients.

Nous faisons appel à des réseaux déjà installés, qui développent leur activité et leur chiffre d'affaires avec IBM. Nous veillons à leur qualité et nous assurons qu'ils ont une formation sur nos produits et du personnel. Ce sont des partenaires d'IBM et ils peuvent faire des propositions au nom d'IBM. 

Ceci est lié à la nature et à l'évolution du marché. Plus nous irons vers les petites entreprises de 5 à 15-20 personnes (très nombreuses en France), plus nous aurons des offres diversifiées, plus il nous faudra des réseaux d'accompagnement pour assurer la diffusion, la présence et le service. Economiquement, c'est le seul modèle qui fonctionne.

M. le Rapporteur : En l'an 2000, vous allez être amenés à recruter certains collaborateurs. N'auriez-vous pas pu conserver quelques-uns des 3000 qui sont partis pour cela ? Après que ferez-vous ? Les garderez-vous ?

M. Bernard DUFAU : Nous embauchons, essentiellement, en CDI. Le passage à l'an 2000 est un vrai problème, dont il faut s'occuper sérieusement et à temps. Il doit être anticipé pour être traité à la fin de l'année. Je pense, qu'aujourd'hui, en France, une entreprise sur deux l'a fait.

Le problème ne concerne pas uniquement le matériel ou le logiciel. Il est de nature plus vaste ; il touche tous les applicatifs qui tournent autour de ces produits, pas seulement l'informatique mais toutes les applications utilisant une technologie de stockage ou de mémoire. Je pense en particulier à tous les dispositifs de contrôle ou les automates. C'est un domaine vaste ; le réduire uniquement au PC n'est pas exact.

Nous avons annoncé, depuis deux ans, que tous nos produits, matériels et logiciels étaient adaptés à l'an  2000. Les personnes sauront à qui s'adresser pour poser des questions. J'ai écrit à tous mes clients, un par un, pour les informer.

La charge la plus importante concerne l'évolution des applicatifs des clients autour de leurs systèmes.

Certains peuvent faire seuls un diagnostic correct. Ce n'est pas le cas partout, d'où un risque. Il en existe un second pour tout ce qui est dispersé.

A IBM, nous n'avons pas pris la décision d'embaucher beaucoup de personnes pour assurer le passage à l'an 2000 dans les applicatifs. Notre équipe actuelle représente 350 personnes. La demande étant très importante, nous avons beaucoup poussé nos partenaires à la prendre en compte.

Nous n'avons pas, sur le fond, un problème important de positionnement de cet effectif. Nous allons embaucher 7 ou 800 personnes par an dans les trois prochaines années. Ce sont des jeunes qui se réadapteront assez facilement.

M. le Rapporteur : Est-ce que IBM Corp. met en concurrence ses différents sites dans les pays ?

M. Bernard DUFAU : Oui, nous le faisons systématiquement. Pour cela, il faut décider d'avoir en Europe, en Asie et aux États-Unis le même type d'usine. La tendance, aujourd'hui, est d'en avoir une ou deux seulement, mais pas trois.

Dans notre activité, la croissance des effectifs passe par le logiciel et les services. Nous allons assister, dans le domaine purement industriel et technologique, à une décroissance globale des effectifs dans l'ensemble de la profession, donc, à des consolidations. Il y aura une réduction du nombre d'usines et des collaborations avec les concurrents.

M. le Rapporteur : Dois-je comprendre que la concentration sera telle qu'elle conduira les groupes à s'associer ?

M. Bernard DUFAU : Oui. Dans la technologie, il n'est pas inimaginable de s'associer avec des concurrents pour faire des mémoires ou des microprocesseurs. Et il existera, de plus en plus, des accords du type Hitachi-IBM.

Pour ce qui concerne le matériel, la technologie avance rapidement et les trois milliards d'investissement doivent être amortis au bout de trois ou quatre mois. Même des entreprises de la taille d'IBM ne le feront pas seules et auront au départ le même produit.

M. le Rapporteur : La différence se fera alors sur les services...

M. Bernard DUFAU : ... ou sur la recherche et le développement.

La production sera de plus en plus banalisée.

M. le Président : Vous utilisez beaucoup le temps partiel.

M. Bernard DUFAU : Oui.

M. le Président : Cela tient-il à des raisons de gestion particulières à l'entreprise ?

M. Bernard DUFAU : Le temps partiel représente 10 à 11 %. Il est beaucoup utilisé dans les services tertiaire, financier et administratif sans parler de notre personnel féminin.

Je pense que ce phénomène sera de plus en plus intéressant à suivre. Il correspond quelquefois à des cycles d'activité qui ne sont plus linéaires.

Le temps partiel adapté plaît aux salariés. J'ai effectué une enquête, dernièrement, auprès du personnel pour connaître ses aspirations. La plus importante est l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle et tout ce que nous pouvons faire pour améliorer cet équilibre est apprécié.

Un autre concept va se développer : la possibilité de ne plus aller au bureau pour travailler pour son entreprise, communiquer ou téléphoner. Plutôt que d'avoir trois immeubles fixes dans la région parisienne, pourquoi ne pas louer des mètres carrés à la gare de Lyon, dans les lieux de grand trafic, où les personnes viendraient se connecter et travailler dans de bonnes conditions, sans avoir à faire trois heures de déplacement par jour ? La demande est très forte.

M. le Rapporteur : C'est quand même spécifique à votre secteur.

M. Bernard DUFAU : Oui, mais dans cinq ou dix ans, la demande des cadres sera de plus en plus importante.

M. le Président : Dans la prise de décision relative à l'investissement, quel est le poids des structures des différents pays ? Le groupe a-t-il une stratégie globale ou est-elle déconcentrée ?

M. Bernard DUFAU : Elle dépend des activités. Quand il s'agit de couvrir le marché commercialement, les décisions sont locales. Pour les investissements lourds industriels, la décision est mondiale. Pour le développement des nouveaux produits, aussi.

Quand une implantation géographique est concernée, son patron est fortement associé à la décision mais ne se prononcera pas in fine.

M. le Président : Comptez-vous avoir une stratégie de développement très intégrée ou voulez-vous, comme beaucoup, vous reposer sur un nombre plus important et conséquent de sous-traitants ?

M. Bernard DUFAU : Notre sous-traitance est faible. Nous fabriquons ou bien nous achetons ce qui se trouve sur le marché.

M. le Rapporteur : Quelle place donnez-vous au mécénat ?

M. Bernard DUFAU : Nous en faisons parce que nous considérons qu'il contribue à une image plus humaine et citoyenne du groupe. Il ne doit pas être neutre et porter sur des sujets d'intérêt général.

Nous pensons à des activités qui, d'une certaine façon, enrichissent l'esprit ou la connaissance. Nous intervenons de façon plus pragmatique.

Nous nous occupons beaucoup des handicapés. Nous avons embauché des aveugles, notamment. J'ai la volonté de veiller à créer des postes de travail pour eux.

M. le Rapporteur : Vous êtes au-dessus du pourcentage de 6 % ?

M. Michel ANTOINE : Non, mais chaque année, nous avons un quota d'embauche de 3,5 à 4 % de handicapés reconnus par la COTOREP. Notre accord d'entreprise est le plus ancien de France et nous venons de le reconduire pour la quatrième fois. Un centre à La Défense montre tous les matériels que nous avons développés, permettant aux handicapés d'accéder au monde du travail.

Nous menons une politique offensive. Nous avons des techniciens ou des ingénieurs handicapés dans les services, mais nous ne pouvons atteindre le taux légal.

M. Bernard DUFAU : Nous utilisons aussi beaucoup l'apprentissage. D'ailleurs, nous pensons que c'est une technique pour avoir des personnes de qualité.

Réunion de travail venant en complément de l'audition du 16 mars 1999 avec :

MM. Bernard DUFAU,
Président directeur général d'IBM France,

Didier LAMOUCHE,
Directeur du site de Corbeil Essonne,

Gilles RAGUENEAU et
Directeur des relations extérieures

Tim STEVENS,
Directeur des relations humaines

(extrait du procès-verbal de la réunion du 4 mai 1999)

Présidence de M. Jean ESPILONDO, Vice-Président

MM. Bernard Dufau, Didier Lamouche, Gilles Ragueneau et Tim Stevens sont introduits.

M. le Rapporteur : Si j'ai souhaité vous rencontrer à nouveau, c'est que, depuis le 16 mars, date de votre audition par la commission, s'est produit un événement important : vous avez annoncé une opération qui défraie la chronique et entraîne bon nombre de réactions des élus départementaux et régionaux, des représentants du personnel et des syndicalistes.

Dans la mesure où, d'une part, vous n'aviez fait aucune allusion à un plan concernant 1 100 emplois et comportant des opérations lourdes, et que, d'autre part, il s'agit d'un établissement que vous avez vous-même présenté comme moderne et plein d'avenir, nous avons souhaité, M. Alain Fabre-Pujol que M. Espilondo, vice-président de la commission représente cet après-midi, et moi, vous entendre à nouveau. Nous centrerons cette réunion sur l'opération en question, sur la manière dont elle s'organise, sa place dans les objectifs et la stratégie d'IBM, les conséquences sur le site lui-même, sur les personnels qui y travaillent, les réactions et les perspectives d'avenir .

Quelles garanties pouvez-vous apporter quant à la pérennité de la nouvelle structure, avec ses nouveaux actionnaires ? L'accord aurait été conclu pour 99 ans, mais cela ressemble à un v_ux pieux !

M. Bernard DUFAU : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'expliquer sur ce projet, qui concerne donc notre site de l'Essonne, et dont l'objectif est non seulement de le maintenir, mais aussi de le développer dans l'avenir.

Pour parler de ce projet, je dois d'abord vous présenter l'établissement de Corbeil-Essonnes ; c'est une usine de fabrication d'IBM dont la fonction est actuellement de produire des mémoires d'ordinateur - ce sont des circuits binaires - pour le marché mondial. Elle reçoit des commandes de mémoires pour IBM et certaines entreprises extérieures au groupe.

Pour expliquer ce qui se passe à Corbeil-Essones, je serai conduit à vous présenter l'évolution actuelle du marché des mémoires dans le monde.

Trois chiffres doivent être considérés :

Le marché mondial des mémoires devait connaître en 1998 une croissance de plus 10 % ; en fait, il a subi un repli de 10 % ; sur le marché des mémoires, 19 sites mondiaux de fabrication ont été fermés depuis le milieu de 1998, essentiellement pour deux raisons : une situation de surcapacité et surtout la crise asiatique qui a eu deux types de conséquences : elle a entraîné une chute des ventes de mémoires sur le marché asiatique et a conduit à une baisse significative de la valeur des monnaies, en particulier taiwanaise et coréenne, si bien que, sur le marché mondial, le prix des mémoires s'est complètement effondré.

Pour résumer cela, je vous dirais qu'aujourd'hui à Corbeil-Essonnes, la fabrication des mémoires, qui se poursuit, génère 1 million de dollars de perte par jour.

Le marché des mémoires connaît ainsi des difficultés particulièrement graves. Or le site de Corbeil-Essonnes abrite la seule usine de mémoires d'IBM en Europe, usine qui est la plus importante pour la production de mémoires.

Notre objectif a toujours consisté à maintenir ce site en le faisant évoluer vers des productions moins simples. Nous rencontrons une concurrence forte dans le monde pour la fabrication des mémoires, en particulier en Asie, car ce type de produit, appelé « commodité », contient peu de valeur ajoutée. Nous avons toujours pensé que l'évolution qui permettrait à ce site de se développer consisterait à se tourner vers des semi-conducteurs, car ils valoriseraient le savoir-faire de cette usine, tout en intégrant plus de valeur ajoutée.

Le marché des semi-conducteurs est divisé en trois grands blocs :

- le marché des microprocesseurs ;

- le marché des mémoires ;

- et le marché des logiques.

Les circuits logiques sont des circuits qui utilisent des mémoires et des capacités de traitement, mais qui sont surtout adaptés à des besoins spécifiques ; par exemple, on en trouve à l'intérieur des GSM, dans les automobiles. C'est à ce marché que l'usine de Corbeil-Essones doit désormais se consacrer ; nous avons donc annoncé un projet qui va dans ce sens et prévoit des investissements de 3 milliards de francs, ce qui va constituer, dans les prochaines années, le plus gros investissement réalisé en France dans le domaine de la technologie informatique.

Nous effectuerons cet investissement afin de convertir cette usine de la fabrication de mémoires vers celle de circuits logiques. Pour cela, nous avons pensé que notre marché futur serait plus large et plus important si nous nous associons avec un partenaire déjà présent dans le domaine de la logique et susceptible de nous apporter des clients potentiels supplémentaires.

Nous avons décidé de le faire avec Siemens et sa filiale à 100 %, INFINEON, qui s'occupe des composants de Siemens, parce que Siemens a des clients dans l'automobile, tels Mercedès, BMW et Audi, qui sont porteurs d'un large potentiel d'utilisation de circuits logiques, et que Siemens est également très implanté dans le domaine des télécommunications.

C'est la première partie du projet : la conversion de cette usine, qui rencontrait des difficultés pour la fabrication des mémoires, vers des circuits logiques, en partenariat avec INFINEON, grande entreprise qui emploie 25 000 personnes dans le monde.

Le deuxième objectif de ce projet - je parle de projet car il doit encore être soumis aux partenaires sociaux -, consiste à faire en sorte que cette nouvelle activité soit pérenne et compétitive à moyen et long termes.

Pour assurer cette pérennité, nous avons étudié naturellement tous les concurrents dans les activités des circuits logiques. Nous avons analysé l'évolution de leurs prix de revient, et leurs projections sur 3 à 4 ans, afin de voir si l'usine de Corbeil-Essonnes serait capable de maintenir des prix de revient compétitifs dans le futur.

Nous en sommes arrivés à deux décisions : la première visait à atteindre, pour la fabrication dans la nouvelle unité que nous allons mettre en place dans Essonne, une taille critique qui correspond en terme de compétitivité au meilleur ratio de coût par rapport au personnel ; la deuxième consistait à provisionner négativement l'amortissement accéléré des équipements qui allaient être utilisés par cette usine ; ceci va nous conduire à provisionner en pertes à IBM 3,5 milliards de francs.

Pour développer le site de Corbeil-Essonnes, nous avons investi 3 milliards de francs et provisionné négativement dans nos résultats, 3,5 milliards de francs de plus.

Troisième point de ce plan, l'aspect social et relatif au personnel : pour que cette usine soit compétitive sur le long terme, nous avons estimé avoir besoin de 1 600 à 1 650 personnes. Aujourd'hui nous en employons 2 700 pour le même type d'activité ; il faut donc effectivement trouver une solution pour environ 1 100 personnes.

Nous allons financer nous-mêmes directement, sans faire appel à aucune aide, les solutions qui permettront aux salariés concernés de trouver une activité.

Quand la presse parle de 1 100 licenciements, elle commet une erreur : dans les faits, on ne va pas licencier 1 100 personnes ; il y a déjà des personnels qui travaillent actuellement à Corbeil-Essonnes et que l'on va utiliser dans d'autres activités d'IBM ; cela est fréquent.

Pourquoi la panoplie de programmes que nous allons proposer au personnel se présente-t-elle sous la forme d'un plan social ? Pour que face à une problématique de business, on s'intéresse au sort des individus : c'est bien là l'objectif d'un plan social.

Nous proposons aux partenaires syndicaux de collaborer à la préparation du projet pour trouver des solutions pour l'ensemble des 1.100 personnes. Nous présentons une panoplie d'offres et estimons aujourd'hui que nous avons de bonnes chances de trouver des solutions pour chacune d'entre elles.

Je résume : nous avions un problème important de compétitivité et de pertes dans l'environnement très spécifique qu'est celui de la production de mémoires ; il se trouve que c'est en France qu'il y avait des productions de mémoires dans le cadre de la stratégie d'IBM et que l'usine était là.

Nous prenons des décisions d'investissement, de provisions, d'accompagnement de plan social, et nous ferons beaucoup, pour faire en sorte de positionner Corbeil-Essonnes pour le futur dans le cadre d'une mission pérenne.

Trois remarques pour terminer :

- les 19 sites fermés dans le monde que j'évoquais concernent des sociétés comme Texas Instrument, Motorola ou Siemens, qui ont fermé des usines en Europe voici peu de temps, en Angleterre notamment ;

- le presse internationale témoigne des plaintes de nos collègues anglais qui déplorent qu'IBM ait abandonné l'Angleterre pour s'installer en France ;

- ce projet va faire de l'usine de Corbeil-Essonnes la seule usine européenne capable de produire des circuits logiques à ce niveau de technologie.

Cette présentation plus équilibrée me semblait nécessaire pour faire contre-poids aux informations relayées par certains articles de presse.

M. le Rapporteur : Quand nous nous sommes rencontrés, le 16 mars, ces décisions avaient-elles été prises ?

M. Bernard DUFAU : Non.

M. le Rapporteur : Comment ont-elles été prises ?

M. Bernard DUFAU : Pour qu'une décision puisse être prise, il fallait au moins que notre partenaire éventuel ait donné concrètement son accord, or, la lettre d'intention - je ne parle pas du contrat, car il n'est pas encore conclu - concernant INFINEON n'a été signée que le 21 avril ; tant que nous n'avions pas de projet, rien n'était fait. Dans le passé, beaucoup de discussions avec des partenaires ont été interrompues à quinze jours de la lettre d'intention, qui n'a finalement jamais été signée ; dans d'autres cas, une lettre d'intention a été signée mais n'a jamais conduit à un contrat en bonne et due forme. Je vous présente les faits et je pourrais vous donner la copie de la lettre d'intention avec sa date, qui prouve ma bonne foi.

M. le Rapporteur : Donc le 16 mars lorsque nous nous sommes rencontrés, vous n'aviez pas de projet de « mariage » avec Siemens.

M. Bernard DUFAU : Nous n'avions pas de projet pour le site de Corbeil-Essonnes car nous ne savions pas quelle décision Siemens allait prendre. Nous disposions seulement de plusieurs scenarios envisageables.

M. le Rapporteur : Cette nouvelle entité va donc appartenir à une filiale de Siemens à 50 % plus un petit peu ...

M. Gilles RAGUENEAU : Plus une action.

M. le Rapporteur : C'est cela ; et à IBM. Siemens n'intervient donc pas directement ?

M. Bernard DUFAU : Non : c'est INFINEON.

M. le Rapporteur : Sera-t-elle cotée en bourse ?

M. Bernard DUFAU : Je pense que oui ; d'après ce que disent les dirigeants de Siemens, ils le souhaiteraient, mais pour le moment, c'est une filiale de Siemens à 100 %.

M. le Rapporteur : La filiale à 100 % de Siemens, une fois cotée en bourse, n'appartiendra plus à 100 % à Siemens.

M. Bernard DUFAU : Siemens restera peut-être majoritaire, je ne sais pas.

M. le Rapporteur : N'avez-vous pas le sentiment qu'il y a là un risque que les pères fondateurs de cette entité, assez rapidement, soient trahis ? L'union est censée durer 99 ans, mais, dès lors que l'on commence à donner des coups de canif dans le contrat dès la première année, il y a peu de chance qu'il aille jusqu'à son terme. Sans aller jusqu'à une durée de 99 ans, la crainte n'existe-t-elle pas de voir assez rapidement disparaître cette entreprise, qui serait relativement autonome par rapport à ses pères fondateurs ?

M. Bernard DUFAU : Je comprends votre inquiétude et peux vous apporter des réponses factuelles.

Je rappelle qu'INFINEON n'est pas une petite société ; c'est une entreprise qui ne vivra que du marché dans lequel elle va se trouver et qui emploie aujourd'hui 25.000 personnes ; c'est la 10ème entreprise mondiale dans son secteur d'activité et elle est plus importante qu'IBM dans le domaine de l'activité micro-électronique.

Deuxièmement, dans le cadre du business case, c'est-à-dire de l'étude technique concernant les volumes économiques des années à venir, les deux partenaires vont prendre des engagements de volumes, et c'est cela le plus important.

Troisièmement, le fait que cette entreprise opère en association avec IBM, ce qui lui assure une stature encore plus grande sur le marché, est de nature lui à apporter des clients nouveaux. Jusqu'à aujourd'hui des clients potentiels n'étaient pas prêts à nous apporter des commandes parce que nous étions IBM, et donc leurs concurrents dans la vente finale du produit ; par exemple, fournir des éléments à Compaq était difficile parce que nous commercialisions directement des produits finis.

Aujourd'hui cette entreprise se positionne en tant que telle, même si elle est compétitive grâce à l'effort financier que nous faisons. Nous pensons qu'elle a plus d'opportunité de réussite dans son marché que si elle était restée intégrée à IBM. 

M. Didier LAMOUCHE : J'apporte des compléments d'information à ce que disait Monsieur Dufau sur les questions que l'on peut être amené à se poser vis à vis de la filialisation par Siemens d'une partie de ses activités relatives aux semi-conducteurs ; les questions que vous avez abordées sont exactement celles que s'est posées IBM dans le cadre de ses discussions avec Siemens.

Nous avons choisi Siemens parce qu'il est déjà notre partenaire depuis fort longtemps sur le site de Corbeil-Essonnes dans le cadre de pratiques de développements conjoints.

En plus, c'est un groupe européen ; voilà pourquoi, pour ce site, Siemens, à mon sens, et je ne suis pas le seul à penser cela, était le meilleur partenaire.

Nous discutons depuis plus d'un an : en octobre 1998, quand Siemens a annoncé son intention de filialiser son activité de semi-conducteurs, la question de la durée que vous venez de soulever était la première posée par IBM.

Nous lui avons demandé quelle était son objectif, ce qu'il voulait faire avec cette filialisation, s'il avait l'intention de rester majoritaire, qui serait aux commandes de cette filiale, de manière à être sûr - même si on ne peut jamais l'être tout à fait - de ce qu'allait être l'avenir du partenaire avec lequel nous souhaitions nous engager. C'est exactement la raison pour laquelle il a fallu plusieurs mois pour, d'une part, nous persuader que nous avions devant nous un partenaire qui serait solide - comme le disait Bernard Dufau, c'est un partenaire plus important que la seule division micro-électronique d'IBM qui n'est que 13ème mondial, alors que cette entreprise occupe le 9ème ou le 10ème rang, avec 25 000 personnes et 4 milliards de francs de chiffre d'affaires - et pour, d'autre part, nous assurer que le management que nous connaissons resterait en place et étudier dans quelles conditions Siemens voulait filialiser son entreprise et à quelle vitesse, quel type de contrat de développement de technologie nous pouvions poursuivre ou maintenir avec eux, etc. : ce sont ces questions qui ont ralenti le processus de décision.

Aujourd'hui, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il s'agit d'un partenaire fiable qui s'engage avec nous de manière sérieuse.

M. Gilles RAGUENEAU : Ou plutôt qui a l'intention de le faire : rien n'est encore signé.

M. Didier LAMOUCHE : En effet.

M. le Rapporteur : Quelle est la teneur du plan social qui concerne le millier d'emplois supprimés dans l'opération ?

M. Bernard DUFAU : C'est une panoplie de propositions car il est fondé sur le volontariat.

Parmi elles, certaines concernent d'abord le redéploiement dans d'autres activités d'IBM qui sont en croissance ou en développement : je rappelle qu'IBM France continue à recruter ; l'an dernier, nous avons embauché 1 600 personnes, l'année précédente 1 500 personnes ; soit 3 100 personnes en deux ans ; cette année, nous prévoyons encore une embauche de 800 personnes.

Nous avons une forte embauche dans des environnements en développement, ce qui correspond à la croissance du marché français en terme de dépenses informatiques, qui est l'essentiel de notre activité.

C'est l'activité de service qui présente le plus de potentialités. Dans le cadre du plan social, nous étudions les compétences individuelles des salariés, cas par cas, pour voir dans quelle mesure certaines personnes, qui sont dans la partie micro-électronique de fabrication pourraient être des candidats tout à fait valables pour, après formation, prendre en charge des activités de service.

Nous regardons aussi dans d'autres domaines d'activité d'IBM France, dans les domaines du support, du secrétariat, dans tous les types d'activités que nous avons dans la région parisienne, si des compétences de salariés qui travaillent aujourd'hui sur le site de fabrication pourraient être utilisées à d'autres activités.

Je rappelle aussi que sur le site lui-même, nous n'avons pas que des activités de production, mais déjà des activités de service et également de développement qui, elles, demeurent et vont continuer à se développer sur le site.

Nous effectuons donc un effort de redéploiement : nous pensons aujourd'hui qu'il pourra concerner à peu près 350 à 400 personnes qui bénéficierons ainsi d'une réelle opportunité. Elles conserveront leur contrat de travail avec IBM et changeront seulement d'affectation comme cela se produit naturellement dans toute entreprise.

Ensuite, nous proposons un programme de préretraites qui sera bientôt annoncé et pour lequel, au vu de la pyramide des âges de l'usine, 400 à 450 personnes, devraient être éligibles.

M. le Rapporteur : A quel âge ?

M. Bernard DUFAU : En l'état actuel du plan, ce sera 50 ans pour les cadres et 49 ans pour les autres. Ces préretraites sont intégralement financées par IBM. Les préretaités vont donc continuer à être payés par notre compagnie, à 70 ou 75 % de leur salaire, et ce jusqu'à la retraite effective et en restant employés d'IBM.

Si je prends ces deux programmes, où finalement, dans les deux cas, il n'y a pas de rupture de contrat de travail, plus de 800 personnes parmi les 1 100 évoquées continuent à appartenir au groupe.

La troisième partie est constituée des programmes volontaires de départs. De nombreuses opportunités se présentent : il est assez curieux de constater que, trois jours après l'annonce du projet, des entreprises de l'Essonne nous ont déjà appelés pour nous dire qu'elles étaient prêtes à embaucher plusieurs dizaines de personnes. Nous avons aujourd'hui des demandes pour permettre qu'un certain nombre de personnels soient repris dans des activités similaires, technologiquement proches, dans la région ; l'idée dans ce domaine serait de proposer aux gens un accompagnement financier, mais aussi, en cas de besoin, sous forme d'antenne emploi, créée sur le site, de formation, d'information, d'utilisation de sociétés spécialisées dans l'out placement, afin de faire en sorte que le solde de 300 à 350 personnes puisse bénéficier de l'ensemble de ces programmes volontaires.

Selon notre évaluation, fondée sur une cartographie des compétences réalisée dans les usines, nous arriverons, à travers ces trois programmes, à proposer des solutions au problème des 1 100 personnes.

M. le Rapporteur : Quel est le coût pour vous du maintien de la rémunération d'environ 450 personnes de 49 ou 50 ans selon les cas, jusqu'à l'âge de la retraite ? Une évaluation a été faite, je suppose...

M. Bernard DUFAU : Oui, bien sûr. Nous savons parfaitement ce que cela va nous coûter.

M. Tim STEVENS : C'est de l'ordre de 300 000 dollars par personne.

M. Bernard DUFAU : 1,4 million de francs ou 1,5 million de francs pour les préretraites, qui présentent le coût le plus élevé ; mais ces personnels ont travaillé pour IBM, ont contribué à son développement. Ils arrivent aujourd'hui à un âge où nous pensons qu'il est plus difficile pour eux de retrouver une activité. Nous avons choisi de leur offrir cette opportunité de départ pour que l'activité du groupe soit compétitive et porteuse d'avenir ; sans cela, nous aurions eu des problèmes de compétitivité sur le marché mondial dans la mesure où nous n'avons pas de concurrent national dans ce domaine.

M. le Rapporteur : 1,5 million de francs par 450 ou 500 personnes, cela fait 750 millions de francs en tout, n'est-ce pas ? Pour, en fait, placer des salariés en inactivité ?

M. Bernard DUFAU : Ils ne seront pas forcément inactifs ; certains sont très actifs dans le monde associatif ou universitaire ; ils sont très présents et sources de richesses.

M. Tim STEVENS : J'ajoute un élément factuel : ces personnes ont parfaitement le droit de retravailler contrairement à celles qui bénéficient des préretraites de l'État du type FNE.

M. le Rapporteur : Sauf chez un concurrent ?

M. Bernard DUFAU : Oui, évidemment : nous n'allons pas payer des gens pour qu'ils travaillent pour la concurrence !

M. Tim STEVENS : Et comme ils restent salariés d'IBM ...

M. le Rapporteur : Les documents dont j'ai eu connaissance mentionnent les 3,5 milliards de francs de provisions négatives, et je ne parle pas des investissements qui me semblent aller de soi...

M. Bernard DUFAU : Nos investissements ne se limitent pas à ceux relevant de ce projet ; je parle ici des investissements faits dans le secteur des mémoires, des circuits logiques aujourd'hui, et ce en France et en Europe.

Je vous rappelle que sur les 160 unités de fabrication qui existent dans les semi-conducteurs dans le monde à l'heure actuelle, il y en a quatre en Europe, tous en France

M. Didier LAMOUCHE : Dont deux à Corbeil-Essonnes.

M. Bernard DUFAU : J'ai vraiment l'impression d'avoir fait le maximum, pas seulement pour IBM, mais aussi pour maintenir une activité développée dans le domaine de la technologie en Europe, et je ne suis pas le seul à être de cet avis. Je ne sais pas si l'on mesure ce que nous avons fait pour maintenir ce site, notamment en terme d'investissement. Certes, cela peut vous paraître naturel d'investir dans la micro-informatique, mais je vous assure qu'acheter aujourd'hui des mémoires sur le marché me coûte nettement moins cher que de les fabriquer dans l'Essonne. Continuer à investir dans ce domaine pour convertir cette usine, c'est un beau projet : nous faisons des provisions, et essayons de traiter le personnel le mieux possible, sans demander d'aide à qui que ce soit. Si nous procédons ainsi, c'est que nous estimons que c'est la meilleure façon de résoudre la situation, en respectant à la fois le personnel et les affaires.

M. Didier LAMOUCHE : Prenons l'exemple de ce que l'on appelle dans notre jargon « des fabs » c'est-à-dire des lignes de production avancée dans le diamètre 8 pouces : une ligne de production coûte en investissement de départ un milliard de dollars, 5 à 6 milliards de francs. Il y en a plus de 80 dans le Sud-est asiatique, dont 43 au Japon, 15 à Taïwan, 15 en Corée, près de 40 aux États-Unis, 4 en France, et sur ces 4, vous en avez deux sur le site d'IBM à Corbeil-Essonnes. C'est ainsi que se situe notre pays dans l'échiquier mondial des lignes de semi-conducteurs.

Bien sûr, investir est nécessaire dans notre métier, mais la plupart des entreprises de ce secteur, qui sont généralement américaines, n'investissent ni en France, ni même en Europe...

M. le Rapporteur : Pourriez-nous préciser les différentes aides apportées au site de Corbeil ? Il semble en effet que l'utilisation de certaines d'entre elles soit contestée.

M. Bernard DUFAU : En 1996, lorsque nous avons réalisé un investissement de 5 milliards de francs, nous avons reçu une subvention du ministère de l'Industrie de 50 millions de francs, au titre de la recherche et du développement. Pour nos efforts en matière de formation, nous avons obtenu une aide du ministère du Travail de 7 millions de francs et une aide du Conseil Régional de 28 millions de francs.

M. Gilles RAGUENEAU : Cette dernière était cofinancée par l'Union Européenne.

M. Bernard DUFAU : Au total, cela fait donc à peu près 85 millions de francs. Je rappelle que sur le site de Corbeil-Essonnes, nous avons payé 250 millions de francs de taxe professionnelle en 1998. Ramené à l'individu, cela correspond à 90 000 francs par employé et par an de taxe professionnelle. Ce sont 250 millions de francs qui vont alimenter les caisses de la région, du conseil général et de la commune.

Compte tenu des investissements que nous allons faire et en tenant compte du fait que la nouvelle assiette de la taxe professionnelle réduit la place des effectifs, nous allons continuer à payer 230 millions de francs de taxe professionnelle pour ce site, ce qui est énorme en comparaison de ce que paient nos concurrents implantés en Amérique ou en Asie.

Nous payons aujourd'hui 257 millions de francs de taxe professionnelle dans l'Essonne  ; c'est un chiffre colossal ! Je ne connais pas une seule autre entreprise qui paie 90 000 francs par personne employée en taxe professionnelle. Cela est dû à l'importance de nos investissements, liés à la haute technologie.

M. le Rapporteur : Quel est le taux pour la commune ?

M. Didier LAMOUCHE : 21 % à Corbeil, 6,7 % au Coudray et nous avons une communauté de communes sur les deux dont le taux est de 5 %.

M. Bernard DUFAU : Même en tenant compte de la modification de l'assiette de la taxe professionnelle, et toute chose par ailleurs, nous payons six à sept fois plus d'impôts en France qu'en Amérique ou en Asie.

M. Didier LAMOUCHE : Lorsque j'ai essayé de les convaincre de poursuivre ce projet dans l'Essonne, mes patrons américains m'ont montré un article de journal d'août 1998 dont le titre est : « Big blue » - c'est IBM - « la Ville réduit les taxes d'IBM ». Les collectivités locales se plaignaient car leurs élus avaient réduit les taxes pesant sur IBM. Cela concerne une usine qui est deux fois plus grande que la nôtre, l'usine de Port Clipsy, qui verse 5 millions de dollars d'impôts par an quand nous payons en France 30 millions de dollars par an pour une usine deux fois plus petite !

M. Bernard DUFAU : Je vais être franc avec vous : je vais solliciter des aides pour le projet que je présente au titre de la recherche et du développement parce que nous allons apporter à cette usine l'une des dernières technologies ; Siemens, à travers INFINEON, va apporter également des technologies nouvelles. Je pense que j'ai donc autant de légitimité que d'autres entreprises en France pour demander ce genre d'aide.

Pour disposer de tous les éléments, nous essayons de nous informer sur les aides que les autres entreprises obtiennent à l'étranger. Les exemples ne manquent pas : en Italie, à Tia Vezano, Texas Instrument a reçu 650 millions de dollars de subsides. En Allemagne, à Dresde, Siemens en a obtenu 450 millions. En Angleterre, à Newcastel, telle autre s'est vu offrir 300 millions...

M. le Rapporteur : Les choses sont difficilement comparables d'un pays à l'autre.

M. Bernard DUFAU : Certes.

M. le Rapporteur : On ne peut pas se contenter de comparer les chiffres. Il y a d'autres avantages à prendre en compte. A l'occasion de l'une des premières auditions, la chambre de commerce de Paris nous avait présenté des statistiques qui prouvaient que les entreprises ne fondaient pas leurs décisions sur les seuls niveaux de fiscalité, mais sur un ensemble d'avantages comparés.

M. Bernard DUFAU : Je n'ai jamais dit que nous ne considérions que les taux d'imposition : nous étudions de nombreux critères. La preuve en est que nous n'allons pas fermer le site de Corbeil-Essones mais y faire des investissements massifs.

Nous sommes confrontés à une concurrence mondiale sur ce marché et essayons de prendre en compte tous les éléments. A Corbeil-Essonnes, nous avons des ingénieurs très compétents et de bonnes infrastructures.

Aujourd'hui, ce qui me semble regrettable, c'est que le choix dans le cadre des appels d'offre ne prenne pas en compte le fait que nous produisons en France. Le problème est le même pour tous les clients qui s'intéressent seulement au rapport qualité-prix sans regarder le lieu de production.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué un instrument dont l'utilisation équivaut à celle d'une aide : la taxe professionnelle. J'ai lu que les 250 millions de francs de taxe professionnelle dont vous parlez étaient le résultat de négociations avec la commune.

M. Bernard DUFAU : Nous avons ainsi évité qu'elle atteigne 500 millions de francs !

M. le Rapporteur : Mais la commune de Corbeil, dont M. Dassault est le maire, n'est pas la seule concernée. Interviennent aussi le département, la région, et un certain nombre d'établissements publics ; vous avez négocié et obtenu, en échange de contreparties je suppose, un abaissement de la taxe professionnelle.

M. Gilles RAGUENEAU : Nous n'avons pas obtenu à proprement parler un abaissement de la taxe professionnelle mais la création d'une zone intercommunale qui est ouverte à toutes les entreprises désireuses de s'y implanter, entre le Coudray et Corbeil-Essonnes.

M. Bernard DUFAU : D'autres zones de ce type ont d'ailleurs vu le jour depuis.

M. Gilles RAGUENEAU : C'est une zone qui est ouverte à qui veut bien venir y travailler et à laquelle s'applique un taux bas, de 5 %. Toute autre entreprise y est bienvenue, car plus nous serons nombreux à payer de la taxe professionnelle sur la commune et sur la zone intercommunale, mieux ce sera. Des programmes prévoient d'attirer d'autres entreprises sur cette même zone, qui profiteront des mêmes taux.

M. Bernard DUFAU : C'est en tenant compte de ce taux bas que nous arrivons à 90 000 francs de taxe professionnelle par salarié !

M. le Rapporteur : J'ai cru comprendre que la contrepartie de la création de cette zone était la promesse de créer 1.000 emplois supplémentaires.

M. Bernard DUFAU : En effet : à l'occasion de la mise en place d'une nouvelle fabrication, nous en avons effectivement créé 1 080.

M. le Rapporteur : A Corbeil ?

M. Bernard DUFAU : Oui, dans l'usine. Nous avons investi 5 milliards de francs pour établir une nouvelle ligne de fabrication qui occupe plus de 1 000 personnes.

M. Didier LAMOUCHE : Dont 500 nouvelles embauches.

M. le Rapporteur : Il y a eu reflux depuis ?

M. Bernard DUFAU : Non, car cette activité continue : heureusement que nous avons mis ces décisions en oeuvre.

M. Didier LAMOUCHE : Sans cela, l'usine serait fermée.

M. Bernard DUFAU : Ce sont ces 1 000 salariés qui se sont ajoutés aux 1 600.

M. le Rapporteur : L'ensemble de l'usine a donc atteint 2 600 salariés?

M. Bernard DUFAU : Aujourd'hui, elle est à 2 700.

M. le Rapporteur : Grâce à ces 1 000 embauches ?

M. Gilles RAGUENEAU : Il s'agissait de 500 embauches.

M. Bernard DUFAU : Tout à fait : nous avons tenu nos engagements sur ce point.

M. le Rapporteur : Maintenant, une nouvelle phase s'ouvre.

M. Gilles RAGUENEAU : Car nous sommes obligés de fermer les fabrications les plus anciennes.

M. Bernard DUFAU : Et nous provisionnons les pertes.

M. le Rapporteur : Une partie de l'établissement et les collectivités locales se retrouvent dans la même situation que précédemment. Les collectivités locales touchent-elles moins de taxe professionnelle qu'auparavant ?

M. Gilles RAGUENEAU : Non, elle a augmenté.

M. Bernard DUFAU : En fait, le changement vient de la loi. Cet élément mis à part, nous augmentons sans cesse nos investissements, et c'est ce qui importe vraiment. 

M. le Rapporteur : L'évolution de la situation résulte donc de l'utilisation de la loi sur l'intercommunalité qui pose le principe de la taxe professionnelle de zone, mis en _uvre entre Corbeil et le Coudray, sur le terrain de la communauté de communes...

Est-il prévu que les nouveaux investissements soient localisés sur la zone intercommunale ?

M. Gilles RAGUENEAU : Oui, dans la mesure du possible.

M. le Rapporteur : Si l'implantation avait été faite sur la seule commune de Corbeil, le taux aurait été de 21 % : vous paraît-il exorbitant ?

M. Gilles RAGUENEAU : Largement exorbitant.

M. Bernard DUFAU : C'était déjà clair à l'époque des investissements précédents et nous ne l'avons pas caché aux élus locaux. 

M. le Rapporteur : A l'inverse, si le mécanisme de la taxe professionnelle de zone n'avait pas existé dans le cadre de l'intercommunalité, les termes de la discussion avec votre partenaire Siemens n'auraient pas été les mêmes, car le coût de l'investissement en aurait été accru.

M. Bernard DUFAU : Tout à fait, d'autant plus que Siemens a une usine importante dans son pays d'origine, à Dresde, où les conditions dans ce domaine sont particulièrement attractives.

M. Gilles RAGUENEAU : C'est une zone aidée par l'Europe.

M. Bernard DUFAU : Je ne me plains pas des discussions que j'ai avec les élus locaux : elles sont factuelles et claires. Beaucoup considèrent notre projet comme intéressant et indispensable et estiment qu'il faut profiter du fait que nous en avons aujourd'hui les capacités financières.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui a emporté l'adhésion de votre maison mère sur un tel projet ?

M. Didier LAMOUCHE : C'est une excellente question. Si plus d'un an de discussions a été nécessaire, c'est que nous avons dû négocier pied à pied avec notre partenaire, INFINEON, mais aussi avec notre actionnaire IBM ; les arguments ont été aussi difficiles à exposer aux uns qu'aux autres.

Nous avons abouti à la lettre d'intention pour plusieurs raisons. D'abord, INFINEON ne souhaitait pas s'engager seul sur un projet industriel aussi important, complexe et stratégique pour lui. Deuxièmement, depuis quelques années, INFINEON/Siemens s'est engagé avec IBM aux États-Unis, pour le développement des technologies que nous voulons implanter à Corbeil.

M. Bernard DUFAU : Nous avons signé un accord avec Siemens, relatif à l'échange de technologies. L'activité que nous allons développer inclut à la fois la recherche, la technologie, le développement et la production.

M. Didier LAMOUCHE : C'est un partenaire de longue date pour le développement. Les dirigeants de Siemens souhaitaient établir un site de production en Europe pour introduire leur nouvelle technologie logique. Le site de Corbeil-Essonnes était en concurrence avec deux sites : le site anglais, qu'ils ont fermé voici un an, et leur site allemand de Dresde, qui était clairement leur objectif stratégique numéro un.

Ils ont choisi de rester à Corbeil-Essonnes car nous avons un partenariat de production réussi avec eux depuis sept ans et qu'ils sont contents des résultats que nous avons obtenus ensemble : c'est ce qui a été décisif du côté de Siemens.

Côté IBM, les questions sont un peu différentes. Nous avons dû nous battre contre d'autres projets prévoyant notamment la fabrication dans l'est asiatique ou aux États-Unis. Nous l'avons emporté en proposant un partenaire en Europe, Siemens, qui nous permettait immédiatement d'atteindre la taille critique. IBM n'a pu trouver ni un partenaire comparable ailleurs, ni un autre site où les résultats techniques soient aussi bons.

M. Bernard DUFAU : Nous avons été conduits, ce qui prouve que la décision n'a pas été simple, à étudier néanmoins deux autres scénarios dans le détail : un scénario de fermeture et un scénario de vente du site de Corbeil-Essonne. Et ce sont les arguments évoqués par M. Lamouche qui l'ont emporté, car notre corporation estime que le marché européen est dynamique et peut tirer avantage d'une usine énorme.

M. le Rapporteur : Lorsque nous nous étions rencontrés le 16, je vous avais demandé quels étaient les liens entre IBM France et la maison mère aux États Unis et vous aviez parlé de...

M. Bernard DUFAU : De « cost plus » et de royalties.

M. le Rapporteur : Exactement. Le site de Corbeil ne participait donc plus à ces flux à l'égard des États-Unis, si j'ai bien compris ?

M. Gilles RAGUENEAU : Si, mais de façon négative : il coûtait en fait une fortune à l'actionnaire.

M. le Rapporteur : Non seulement ne versait plus de royalties, mais en plus il coûtait à l'actionnaire. Mais malgré cela, votre actionnaire parie sur un retournement de situation...

M. Bernard DUFAU : Il fait ce pari dans le cadre d'une conversion de l'activité.

M. le Rapporteur : Et accepte d'nvestir 3 milliards de francs...

M. Bernard DUFAU : Pas dans les mémoires, mais dans les circuits logiques, ce qui est une autre activité. Ce n'est pas le même marché.

M. le Rapporteur : J'ai bien compris et je reviens à l'une des premières questions que je posais, sur l'ouverture en bourse de votre futur partenaire et sur le risque ou le danger qu'elle peut représenter.

M. Bernard DUFAU : C'est à la fois un risque et une opportunité potentielle. Quand une entreprise de 25 000 personnes et de 4 milliards de dollars de chiffre d'affaires se trouve en situation de se présenter en bourse, c'est forcément pour se développer. Aujourd'hui, les filiales n'ont plus la possibilité de s'appuyer autant qu'auparavant sur des sociétés mères qui pourraient amortir leurs investissements. Plus positivement, c'est aussi un choix qui contraint à être plus efficace, plus concentré, plus actif. Quand on pèse le pour et le contre, on s'aperçoit qu'il vaut peut-être mieux être associé avec une entreprise dont la vie dépend de ce marché qu'avec une entreprise aux activités plus larges, qui pourrait aussi ne pas avoir le même intérêt pour cette activité.

M. le Rapporteur : En fait, cela revient à ce qu'IBM externalise les activités du site de Corbeil-Essonnes.

M. Gilles RAGUENEAU : Non, puisqu'IBM conserve 50 % des parts ; il s'agit plutôt d'un mariage.

M. Bernard DUFAU : Nous associons notre activité concernant les semi-conducteurs. Nous savons qu'il n'est viable à moyen terme que dans le cadre d'un partenariat . Dans les prochaines années, il n'y aura plus 20 entreprises : elles vont se regrouper pour faire face au poids des investissements. IBM avait donc besoin d'un partenaire en Europe, or il y avait peu de possibilités. Siemens présentait de plus l'avantage de nous apporter des clients.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté que beaucoup d'autres groupes se repositionnent fortement sur leur c_ur de métier, celui sur lequel ils ont une rentabilité assurée, confortable et conforme à ce qu'en attendent ses actionnaires, aux dépens d'activités estimées moins rentables. Votre groupe a fait un choix positif, celui de rester en France - nous n'allons pas vous le reprocher ! -, mais cela implique de renoncer à des activités qu'il avait les moyens de maintenir grâce à une situation financière confortable.

M. Bernard DUFAU : Nous pratiquons l'externalisation dans certains types d'activités et tenons compte, en terme de marché et de développement, du fait que beaucoup d'autres entreprises décident d'externaliser leur informatique. Le concept d'externalisation est souvent lié au fait qu'une entreprise ne se sente pas en mesure d'assurer ses activités de logistique, de vente, de livraisons informatiques. Si son métier consiste à vendre mais qu'elle a besoin de mener des recherches pétrolières, elle externalise cette tâche et passe des contrats avec une entreprise dans le cadre de partenariats spécifiques pour assurer ce genre d'activité à un bon prix et un niveau de qualité irréprochable : voilà ce que j'appelle de l'externalisation. Nous le faisons de temps en temps : nous avons confié notre activité de logistique à une société française qui s'appelle Géodis et s'occupe des livraisons, du transport des machines.

Je pars du principe que livrer des machines n'appartient pas au c_ur de notre activité qui est technologique, comme le souligne volontiers notre président mondial. Dans ce marché de la technologie, sur un certain nombre d'activités, nous serons conduits, pour des raisons à la fois d'économie d'investissement et d'accès à un marché plus large - et j'insiste beaucoup car l'aspect volume est très important pour obtenir des prix de revient compétitifs -, à mettre en place des partenariats, ce que nous avons commencé à faire. Il ne s'agit pas d'externalisation dans le sens que je viens d'exposer : dans le cas présent, nous partageons et co-investissons.

M. Gilles RAGUENEAU : Chacun apporte sa technologie.

M. Didier LAMOUCHE : Je souhaite expliquer notre démarche. Derrière ce que vous appelez l'externalisation, se cache une logique industrielle. Nous partons d'un site produisant aujourd'hui des mémoires, composants dits standards, c'est-à-dire utilisables aussi bien dans un PC Compaq, que dans un PC Acer ou IBM, partout dans le monde. Personne ne se soucie de la manière dont ils sont produits : ils sont vendus à un intermédiaire en Asie du Sud-Est, qui les revend lui-même à un assembleur. Nous ne connaissons pas le client final. L'image de marque de la compagnie qui les fabrique est diluée.

Nous voulons donc entrer sur un marché des logiques à plus forte valeur ajoutée où la situation est totalement différente : comme il s'agit de produits spécifiques, il faut un plus grand nombre de clients, et ces derniers viennent tous visiter l'usine, auditer les procédures, vérifier les rendements, s'assurer que ce que l'on fabrique correspond à leurs critères de qualité. Cela est très logique : lorsque Mercedès ou BMW place une puce électronique dans un air-bag et qu'il ne se déclenche pas, son image est ternie. Le constructeur a donc intérêt à savoir où et comment est fabriqué son produit.

M. le Rapporteur : Qui a pris la décision de ce « mariage » ? Pas IBM France ?

M. Bernard DUFAU : Il s'agit d'un investissement important qui doit être approuvé par le board de la Corporation. Je ne pouvais pas prendre une décision sur ce sujet ; on ne fabrique pas pour le marché français, mais pour le marché mondial. Lors de mon audition, je ne savais donc pas qu'elle décision le board allait prendre : il en était à l'étude des trois scénario dont je vous ai parlé.

M. le Rapporteur : Il me semble que vous aviez mentionné une possibilité de regroupements, y compris avec des concurrents.

M Bernard DUFAU : Je l'avais dit et il est même possible que j'ai évoqué la réflexion conduite pour le site de Corbeil-Essonnes.

M. Didier LAMOUCHE : Je voudrais préciser la notion de compétitivité sur le marché des mémoires. Aujourd'hui, dans le monde, une entreprise peut être compétitive sur le marché des mémoires et perdre de l'argent : c'est même quasiment toujours le cas. L'usine de Corbeil-Essonnes est, depuis deux ans, techniquement meilleure sur les mémoires que les autres producteurs ; c'est une des raisons fondamentales pour laquelle nous avons obtenu l'opération de conversion.

Nous sommes compétitifs, techniquement, ce qui ne nous empêche de perdre 1 million de dollars par jour.

Audition des syndicats

Audition de MM. Jacques MARTINET,
Délégué syndical de la CFDT,

Bernard REMEUR,
Délégué syndical de la CFE/CGC,

Emile ROLS,
Délégué syndical de FO,

André YERLES,
Délégué syndical de la SNA,

Daniel ORENES LERMA,
Délégué syndical de la CGT et

Gérard LIGER,
Délégué syndical de la CFTC

d'IBM France

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 mars 1999)

Présidence de M. Jean LAUNAY, Président d'âge

MM. Jacques Martinet, Bernard Remeur, Emile Rols, André Yerles, Daniel Orenes Lerma et Gérard Liger sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Jacques Martinet, Bernard Remeur, Emile Rols, André Yerles, Daniel Orenes Lerma et Gérard Liger prêtent serment.

M. Emile ROLS (FO) : Représentant le syndicat Force ouvrière d'IBM-France, je vous ai préparé une analyse de l'évolution de ses effectifs. Si j'examine ces effectifs depuis 1991, je remarque que nous étions 20 747 salariés permanents à cette date. Depuis lors, chaque année, ces effectifs sont en baisse constante : nous en arrivons en 1997 à 11 218 personnes, et l'estimation pour 1998 se situe aux environs de 11 000 personnes. Cette évolution s'est faite au détriment des sites de province, particulièrement celui de Montpellier, où nous étions 2 528 en 1990 et seulement 845 en 1996 ; certes, on y note une remontée à partir de 1997 (926), mais ce chiffre est trompeur car il est dû à l'arrivée de l'agence, comptée dans les effectifs du site.

Des plans nationaux ont été mis en place à IBM-France, avec offres sélectives de départ et externalisations (notamment en 1993 : Elyo, LLO, Logisud ou Montpellier Technologies). Ce qu'on a alors appelé le « plan diamant » s'est fait avec le concours des pouvoirs publics. La remontée observée en 1998 et 1999 ne se fonde que sur des estimations alors que les sources sont celles des bilans sociaux et représentent les effectifs permanents de Montpellier. Pour 1999, nous arriverions à un effectif de 1 097 personnes en tenant compte du poids d'IBM Global services car, depuis l'intégration, nous avons ramené des filiales dans les effectifs d'IBM.

Les chiffres sont un peu moins complets pour les autres sites.

A Bordeaux, environ 1 000 personnes en 1991 et 400 aujourd'hui. Comment expliquer une telle variation ? 350 personnes font parties chez Solectron à l'occasion de la vente de l'unité de production de cartes électroniques en 1992, 80 chez Serma en 1994 dans le cadre de la cession des services techniques.

Le laboratoire de La Gaude comptait 1 443 personnes en 1990 et 873 en 1997, date du dernier bilan social connu. D'autres plans sont intervenus depuis, dont les effets en 1997 et 1998 ne sont pas encore connus ou pour l'objet de simples estimations soit environ 110 personnes en moins.

Le site de Boigny a été vendu à Lexmark en septembre 1991 et les 700 personnes qui y travaillaient ont été ventilées comme suit : 400 vers Lexmark, 150 parties travailler en horaires spéciaux le samedi et le dimanche à Corbeil-Essonnes et 250 réparties dans différents sites d'IBM-France par des mutations.

A Saran entre 1993 et 1994, cent personnes environ ont été envoyées chez Donneley et ont perdu le bénéfice de la convention collective de la métallurgie de la région parisienne et ont été soumises à la convention Syntec. De Donneley, elles sont parties chez Modus Média et sont actuellement chez Stream.

A SMA, il reste environ 248 personnes depuis 1993. 900 personnes sont parties chez Axone, dont 350 à SMA. Des délocalisations vers le Royaume-Uni et en Allemagne ont eu lieu, ainsi que des plans d'aménagement de fin de carrière OMD, DFC, RRP, FNE et autres. Notre agence à Orléans a disparu en 1998 au profit de celle de Nantes.

Concernant Télécoverage en 1998 et au début de 1999, 80 emplois ont été délocalisés vers l'Irlande et l'Ecosse.

S'agissant du site de Corbeil-Essonnes, l'évolution des effectifs permanents montre que les 2 932 personnes de 1994 sont devenues 2 842 en 1998. Néanmoins, il ne faut pas oublier la fermeture de la ligne SGL qui touche entre 500 et 600 emplois ou les interrogations sur le contrat IBM-Siemens qui, s'il n'était pas reconduit pourrait toucher 600 emplois.

M. Gérard LIGER (CFTC) : La compagnie IBM-France a vécu deux époques : avant ou après 1990. Avant 1990, le discours d'IBM-France était « IBM-France, bon citoyen », celui de l'entreprise qui embauche, réalise des profits substantiels et offre à ses salariés un statut qui peut sans honte se comparer avec de nombreux autres statuts des salariés français.

Depuis 1991, l'entreprise a été amenée à se séparer d'un certain nombre de ses activités et, parallèlement, a cherché à diversifier son activité vers d'autres secteurs. Elle a ainsi commencé par céder une usine de fabrication de matériels de bureau à Boigny (région orléanaise), vendue « clefs en main » à la société Lexmark. D'autres transferts sont ensuite intervenus à l'usine de Bordeaux, vendue quelques années plus tard à Solectron.

Pour quelques années encore, des accords de coopération existent entre IBM-France et Siemens pour travailler sur les lignes de composants dans l'usine de Corbeil-Essonnes. Mais l'accord peut être remis en cause puisque Siemens a pris des options économiques et techniques qui peuvent l'amener soit à continuer de travailler avec IBM, soit à rompre le travail en commun. Au niveau du site de Corbeil-Essonnes, cela peut être problématique pour un certain nombre de postes de travail : 400, 500 ou 600 emplois seraient remis en question.

Parallèlement, le constructeur de matériel informatique IBM se transforme en société de services. A cette occasion, des accords ont été passés avec d'autres entreprises, l'acquisition la plus importante ayant été le rachat de CGI, une société de services qui comptait 2 500 salariés en France et 2 500 à l'étranger. C'est donc un groupe de 5 000 personnes qu'IBM-France a racheté en plein accord avec la maison-mère IBM-Corp.

Au cours des cinq années qui viennent de s'écouler, la stratégie d'IBM-France a été de travailler avec des partenaires extérieurs. Ainsi doit on comprendre la création d'Axone, société spécialisée dans le « facility management » c'est-à-dire le travail à façon pour les entreprises.

IBM a également été amené à mettre en place un certain nombre de parrainages avec de petites sociétés de service informatique, voire, dans certains cas, à prendre des participations majoritaires dans ses filiales. Au 1er juillet 1998, après une série de négociations, IBM-France a ainsi décidé de rapatrier au sein de la maison-mère huit filiales rassemblées sous le terme d'IGS (Integration system service). Cette réintégration est achevée depuis le 1er janvier 1999.

En dehors des grandes options, je pense que Lexmark a pu bénéficier des deniers de l'État. En effet, le pôle « Imprimantes » d'IBM-France a été détaché et vendu à Lexmark, qui a acheté l'usine de Boigny et un certain nombre de biens hors de France. Je ne sais pas dire si les subventions d'État versées dans cette opération ont été justifiées mais j'observe que l'usine est restée sur notre territoire.

Solectron, entreprise de matériel de cartes à Bordeaux, était sur le point de partir en Irlande. Une négociation tripartite a eu lieu entre IBM, la communauté urbaine de Bordeaux et l'État afin que, grâce à des aides de provenances diverses, l'activité soit maintenue sur le territoire français sous forme d'une filiale indépendante. Aujourd'hui, Solectron (qui ne fait plus partie du groupe IBM) se porte bien et l'activité est restée sur le territoire.

Sur le site de Corbeil-Essonnes, la construction de nouvelles unités a été mise en discussion au niveau mondial : fallait-il, pour des raisons de rentabilité, s'installer en France, en Corée voire dans un pays du Moyen-Orient ? Des discussions tripartites ont eu lieu entre IBM-France et les communes auxquelles l'usine est rattachée, car l'usine dépend de trois communes distinctes, avec des taux de taxe professionnelle différents. Un accord a été passé entre les différents maires pour créer une communauté de communes et, conjointement, réduire le taux de taxe professionnelle. IBM-France a donc pu bénéficier d'une compétitivité améliorée, de sorte que les activités puissent rester en France plutôt que de partir en Corée ou à Singapour.

Des subventions ont été versées par le ministère du travail au titre de la formation. Le conseil régional a dû verser des subventions pour que l'activité de composants à 64 mégabits de la ligne AMF reste en France. C'est fait, même s'il existe des difficultés économiques à l'usine de Corbeil-Essonnes et dans d'autres lignes de composants malheureusement en fin de vie.

Parallèlement, des plans de compression d'emplois pendant quatre ou cinq années ont fait appel à deux financements : les départs ont été financés pour partie sur des deniers d'IBM et pour partie par appel au Fonds national pour l'emploi (préretraites et retraites progressives).

Il peut être inquiétant de travailler dans une multinationale américaine, dont les décisions stratégiques ne se prennent pas en France mais à New-York. Dans cette réorganisation des usines françaises, une partie de l'activité de Montpellier est certes en cours de transfert vers l'Irlande, mais à l'inverse l'usine de Valence en Espagne a complètement fermé et son reliquat de production a été repris par IBM-France à Montpellier voici trois ou quatre ans. Nous sommes dans un groupe qui, au titre des synergies, n'hésite pas à fermer ses usines : quand nous sommes gagnants, nous ne pouvons qu'applaudir, mais parfois nous sommes perdants.

Le même procédé a lieu au niveau des services administratifs car un certain nombre d'activités sont européanisées, voire mondialisées au sein d'IBM-France. Au centre administratif de la région orléanaise sont implantées des activités qui concernent l'ensemble de l'Europe, une partie de l'Afrique et une partie de l'Amérique. Nous avons retiré à ces pays  une partie de leur activité, mais inversement des activités comptables ont été retirées de France pour être effectuées en Allemagne. IBM-France tente de répartir ses activités en fonction des synergies et concentre ses fonctions par pôle. Tantôt elles arrivent en France, tantôt elles quittent la France pour rejoindre un autre pays. Dernier exemple : la trésorerie de l'entreprise. Elle était, il y a quelques années encore, gérée au niveau de chacun des pays ; actuellement, tous les excédents sont gérés en Irlande dans un centre créé pour l'ensemble de l'Europe, les pays apportant leur contribution et bénéficiant des fonds disponibles quand ils en ont besoin.

M. André YERLES (SNA) : Je voudrais présenter mon organisation qui peut ne pas être connue de vous. Nous sommes un syndicat autonome, qui adhère aux objectifs de l'entreprise, je veux parler de la croissance et du profit.

Je voudrais situer mon propos par rapport à vos interrogations. IBM-France a-t-il respecté la loi ? Nous répondons par l'affirmative. A-t-il utilisé les aides à sa disposition ? A l'évidence. Mais n'est-il pas du devoir d'un président de filiale dans l'exercice de ses fonctions d'utiliser les aides qui sont mises à sa disposition par les pouvoirs publics ?

L'analyse ne doit jamais perdre de vue une donnée fondamentale : dans une entreprise aussi compliquée qu'IBM, dès que l'on parle externalisation, délocalisation ou transfert, la question de la nature de l'activité concernée (industrielle ou tertiaire) est immédiatement posée. Il faut alors essayer d'apprécier - ce qui est parfois difficile - les motivations de l'entreprise au regard de ses choix stratégiques. Dans les affaires qui ont été évoquées (Solectron, Lexmark et autres), il est parfois difficile de comprendre la stratégie de l'actionnaire et de dresser un juste bilan des conséquences pour le personnel de l'entreprise.

La période que nous avons vécue a été détestable sur le plan syndical : une entreprise en décroissance, qui connaît des ruptures technologiques, constitue un contexte que je ne souhaite à personne dans l'exercice de son mandat de représentant ou de délégué.

Nous estimons que l'actionnaire IBM Corp., au cours de ces années, a su éviter ce mal absolu que sont les licenciements secs, probablement d'ailleurs grâce aux aides publiques et aux FNE. Je crois que presque toutes les formules ont été utilisées hormis celle-là.

Nous sommes en revanche préoccupés de la situation d'IBM-France par rapport à la situation de l'entreprise IBM-Corp. Cette dernière se redresse, puisque le cours de son action a doublé en deux ans et que les effectifs remontent. Apparemment, IBM-Corp. renoue avec la croissance, alors que la filiale française ne semble pas retrouver la santé. C'est là une source d'inquiétude forte, car il certain qu'IBM-France est dans une situation délicate, ne serait-ce qu'en raison du poids de l'usine de Corbeil-Essonnes. Sur l'avenir de cette usine où plus de 3 000 emplois sont concernés, nous avons une vision de son redressement beaucoup plus prudente que celle de la direction et je suis convaincu qu'IBM-France n'est pas aussi bien portant qu'il y paraît.

Toutefois, je veux rappeler que la globalisation des affaires n'empêche pas que les entreprises de cette nature et de cette taille aient également à globaliser leur responsabilité sociale dans les pays où elles exercent. Aujourd'hui, il est pratiquement impossible d'obtenir une image fidèle et précise de l'organisation des activités à travers le pays dans le cadre de nos mandats aux CE ou CCE. Nous avons des images globales, nous savons comment fonctionne la production, les services ou telle activité mais l'entreprise française est incapable de nous dire : « Voilà le bilan et la vision de toutes ces activités au niveau du pays ». C'est évidemment là une source d'inhibition pour les représentants du personnel que nous sommes.

M. Jacques MARTINET (CFDT) : Je me bornerai à insister sur les points qui m'apparaissent les plus importants concernant IBM-France et suivrai le plan indiqué dans votre note d'orientation p.2.

Pratique des groupes :

a) Délocalisation et externalisations :

La société n'a pas fait de délocalisations à outrance jusqu'à présent, mais les choses changent. Je peux citer plusieurs exemples : les « megaplex » - c'est-à-dire le regroupement à l'extérieur des centres de traitement informatique d'IBM-France (en Angleterre notamment) -, le suivi téléphonique des clients en Irlande ou le transfert d'activité de l'usine de Montpellier en 1998. Nous voyons des inconvénients à ces stratégies d'externalisation et de sous-traitance. Mes collègues ont déjà cité les noms de sociétés externalisées : Solectron , Lexmark, Donneley pour l'imprimerie, Elyo pour les services généraux, LLO pour le transport, Upsys pour la maintenance électronique et DSIE. Il y a d'abord les inconvénients propres à la sous-traitance : les personnes qui partent dans ces sociétés sont soumis à des statuts qui ne sont pas ceux des « IBMers » et ont des conditions d'emploi qui ne sont pas les mêmes. D'autre part, dans certains cas, c'est un cheval de Troie pour des entreprises américaines qui souhaitent s'implanter en France (Solectron et autres).

b) Transferts financiers

Le problème des transferts financiers a été cité. Quand la filiale financière a été transférée à Dublin pour profiter de la fiscalité locale et des taux de change, elle est devenue un centre autonome qui, en jouant sur les taux de change, s'équilibre et fait du profit. Il a été ordonné aux différentes sociétés IBM européennes de transférer leurs trésorerie en Irlande pour que l'ensemble des avoirs des filiales y soit géré. Nous n'avons malheureusement pas tous les renseignements pour savoir comment se passent les transferts et la façon dont les États les examinent.

Deuxième observation : les royalties. Je citerai le cas du rapatriement de l'argent à la maison-mère. Par exemple, nous bénéficions de logiciels développés aux États-Unis dans des laboratoires américains et nous acquittons donc une redevance pour financer ces laboratoires. Toutefois, lors de la présentation des chiffres par des experts au CCE, nous constatons que les taux de rapatriement diffèrent des taux moyens des autres entreprises : notre conseil le cabinet Secafi-Alpha nous a indiqué que si toutes les entreprises appartenant à des groupes ou détenant des filiales dans différents pays procèdent ainsi, il observe que les chiffres d'IBM-France divergent totalement des taux moyens des autres entreprises dans le même cas. C'est donc une manière de rapatrier l'argent qui, d'après nous, n'est pas totalement transparente.

Autre moyen utilisé par la filiale : les ventes au sein du groupe de machines produites en France à l'usine de Montpellier (et peut-être en partie à Corbeil-Essonnes). A une époque, les prix de ventes internes d'IBM-France représentaient un élément totalement dénué de transparence car le prix variaient du simple au double d'une année sur l'autre. C'est une manière de faire transiter l'argent entre pays et ce sont des circuits qui, à notre échelle, sont difficiles à contrôler.

Une dernière observation sur le rachat de CGI. Nous nous sommes interrogés sur les conditions de ce rachat car, malgré nos questions en CCE, des doutes subsistent : il se serait en effet perdu 1,5 Mds F dans l'opération. Nous n'avons jamais eu de réponses claires sur cette affaire et nous souhaiterions les avoir.

2°) Efficacité des aides versées aux groupes.

a) L'emploi

Mes collègues ont déjà souligné que le nombre de salariés d'IBM-France a diminué.

L'entreprise perçoit des aides indirectement par le biais des crédits d'impôts dues aux provisions faites pour restructuration. Chaque fois qu'un plan social est effectué (c'est-à-dire depuis 1991) cela supprime la participation, de sorte que depuis six ans nul n'en bénéficie. Ceci constitue un gain direct pour l'entreprise. En définitive, je suis persuadé qu'à chaque plan social, IBM-France gagne de l'argent ! En n'accordant rien à la participation, IBM-France récupère un mois de salaire sur chacun les 18 000 employés de la société ; elle a vite fait de rattraper alors les sommes qu'elle accorde aux personnes qui partent en fin de carrière !

Au niveau de l'emploi, des aides ont été accordées. L'opération « diamant » a été montée à Montpellier en 1993 avec des aides publiques, pour un montant de 14 millions de francs (IBM-France ayant participé à hauteur de 10 millions de francs). Un environnement a été créé autour de l'usine de Montpellier, afin que de nouvelles entreprises puissent s'y installer. Ceci a permis à IBM-France de réduire ses effectifs en 1993.

S'agissant d'AMF à Corbeil-Essonnes, les aides fournies à l'époque étaient importantes car la taxe professionnelle a été réduite de 21,3  % à 5 %. Le chiffre de 52 millions de francs au total a été avancé - je vous le donne sous toutes réserves. En tous cas, une campagne massive a eu lieu dans la presse, IBM-France ayant déclaré avoir investi 5 milliard de francs et avoir l'intention de créer 3 000 emplois sur la région. Je me souviens de clichés du président-directeur général visitant les lieux avec l'actuel ministre des Finances. En réalité, nous nous apercevons aujourd'hui que 600 emplois sont menacés (et peut-être 600 autres), ce qui fait que le bilan des 3 000 emplois à créer se soldera par probablement 1 200 suppressions. Je crois donc qu'il conviendrait de se pencher sur ce dossier, compte tenu des sommes considérables octroyées par les pouvoirs publics.

b) Aménagement du territoire et créations de richesses sur le territoire national.

Nous avons parlé indirectement d'aménagement du territoire puisque les effectifs de Montpellier, de Bordeaux et d'autres lieux cités ont diminué. Il reste toutefois qu'IBM-France est implanté partout en France.

3°) Propositions :

Sous l'angle des propositions, nous pensons qu'avant de donner des aides de manière indistincte, il convient d'étudier la santé financière des entreprises demanderesses. Je veux dire par là que les restructurations ont bon dos et que, jusqu'à preuve du contraire, même si IBM-France a rencontré des difficultés à cause d'un marché moins porteur, IBM-France et IBM-Corp ont toujours été bénéficiaires. Donc, plutôt que de donner indistinctement des aides aux entreprises en bonne santé et à celles qui sont défaillantes, il serait éminemment souhaitable de distinguer ces deux catégories.

Il faut aussi faire appliquer la loi. Cela paraît bizarre, mais il faut le rappeler. Pour lutter en faveur de l'emploi au niveau de notre entreprise, les syndicats doivent avoir des informations précises et sûres. Or nous sommes certains que l'entreprise ne donne pas toute l'information au CCE lors des restructurations. Nous avons actuellement l'exemple de la partie de notre réseau rachetée par ATT. Le nombre de personnes touchées est connu, certains cadres savent qu'ils devront partir mais aucune information précise ne leur a été délivrée. Que leur sera-t-il proposé ? Nous l'ignorons.

J'ajoute que les cadres effectuent des heures supplémentaires dont l'enregistrement n'est pas établi. Nous avons d'ailleurs fait intervenir l'inspection du travail à ce sujet, car ces heures supplémentaires s'effectuent au détriment de l'emploi. Il est anormal, dans des périodes telles que nous les vivons actuellement, qu'il soit constaté et admis par tout le monde chez IBM-France que les cadres (qui composent 80 % des effectifs) travaillent en moyenne 45 heures par semaine. Il est facile de faire une règle de trois pour connaître le nombre d'emplois que l'on pourrait sauver si le droit était respecté.

Là aussi, appliquer la loi est très important.

M. Daniel ORENES LERMA (CGT) : Nous tenons à remercier l'Assemblée nationale de la création de cette commission et de votre initiative de nous consulter.

L'entreprise IBM-France est concernée par tous les sujets que vous abordez. Le syndicat UFICT-CGT d'IBM-France que nous représentons ici, s'efforce de défendre l'emploi, les rémunérations et les conditions de travail des salariés en fonction des modestes moyens dont il dispose.

En revanche, la représentation nationale dispose de moyens permettant de faire évoluer les dispositions fiscales et le droit du travail. Nous nous attacherons donc à formuler des demandes constructives.

1. Comme le rappelle justement votre commission « depuis 1985 environ, la mondialisation de l'économie a entraîné en France des restructurations et des mutations sociales importantes. » Dans le cadre de cette mondialisation, la seule priorité pour la direction d'IBM-France est de servir ses actionnaires par tous les moyens : l'équivalent d'une action de 1993 valait plus de 208 $ en 1998 alors qu'elle en valait 51 le 12 avril 1993. Pour contribuer à faire quadrupler le cours de l'action, la direction d'IBM-France a organisé des réductions massives d'emplois.

Nous demandons donc que soit donné au comité d'entreprise et au comité central d'entreprise un pouvoir de décision sur les questions concernant l'emploi.

2. Votre commission est chargée « de procéder à l'examen de certaines pratiques à la limite du droit, voire franchement déviantes ».

Nous avons été conduits à demander un contrôle fiscal sur le dossier des provisions, car la direction refuse de donner aux représentants du personnel des explications complètes sur les provisions passées à une époque récente, soit 6 milliards de francs en 1992, 2 milliards de francs en 1993, 3 milliards de francs en 1994 et 2 milliards de francs en 1995.

Nous demandons que soient identifiées les provisions excessives en imposant aux employeurs de communiquer au comité central d'entreprise tous les documents demandés par les représentants du personnel.

3. C'est à juste titre que votre commission se préoccupe « des dysfonctionnements apparus dans l'utilisation des fonds publics ».

L'argent public a servi en particulier pour financer massivement l'usine IBM de Corbeil-Essonnes. En particulier, la taxe professionnelle a baissé à la suite de la création d'une zone d'activité économique par la communauté de communes, où s'est implantée la filiale AMF d'IBM-France. Néanmoins, cette manne supplémentaire n'a pas empêché la direction d'IBM-France de réduire les 4 000 salariés de 1986 à 2 400 en 1997. Ce sont encore plus de 400 emplois qui ont été supprimés en 1998.

La direction d'IBM-France déclare qu'elle est incapable de fournir l'effectif des CDD. A Essones, un nombre très élevé de CDD a été utilisé pour mettre en route cette ligne AMF, si bien qu'aujourd'hui il y a presque autant de CDD que de CDI. Depuis, leur nombre a légèrement réduit.

Nous demandons que soit donné un pouvoir de contrôle de l'usage des fonds publics au comité central d'entreprise et au comité d'entreprise.

4. Votre résolution prévoit « d'enquêter sur les pratiques des groupes multinationaux pour ce qui concerne les transferts financiers ».

Nous avons évoqué les rachats d'entreprises par IBM-France. Avec CGI, 4 milliards de francs sont partis aux États-Unis au titre du paiement d'actions dont IBM Corp. contrôle totalement l`émission. Cette nouvelle pratique permet l'exportation de la marge brute de l'entreprise avant imposition et fait apparaître des flux financiers qui nous échappent totalement.

Nous demandons d'interdire l'achat d'une entreprise en exportant de la monnaie en contrepartie d'actions d'une société apparentée étrangère.

5. C'est à juste titre que votre commission « juge indispensable de vérifier que les entreprises s'estiment impliquées dans le développement durable des régions et dans la lutte pour la résorption du chômage ».

Nous avons évoqué l'usine de Boigny qui employait 800 personnes et a été vendue, l'établissement de Bordeaux dont le personnel a été réduit de façon drastique, l'usine de Montpellier avec 2 900 personnes dans les années 90 et seulement 600 personnes en 1997 etc.

S'il ne s'agit pas de délocalisations au sens strict, il y a bien en pratique chez IBM-France des délocalisations de personnel. Des activités commerciales ou même industrielles sont transférées et les salariés obligés de « se promener » d'un endroit à l'autre. A cette occasion plusieurs abandonnent, ce qui permet de faire disparaître de l'emploi.

Parallèlement la direction d'IBM-France tente de justifier ces réorganisations par la crise des mémoires DRAM, alors même que le marché des mémoires de qualité continue sa progression. C'est là un véritable scandale : alors qu'il y a deux ou trois ans les restructurations avaient été justifiées par le fait que la concurrence divisait par quatre le prix des mémoires DRAM, on observe qu'en réalité IBM fabrique aujourd'hui 20 % de sa consommation (pour garder la maîtrise de la technologie) tout en achetant ailleurs les 80 % supplémentaires dont il a besoin. En perdant quatre fois le prix sur les 20 % que nous produisons, nous gagnons de l'autre côté sur les 80 % que nous achetons. Bref, c'est un faux problème de dire que la baisse du prix des mémoires fait perdre de l'argent sur les ventes alors qu'il est largement récupéré en achats.

Nous demandons que la mission des commissaires aux comptes soit étendue à la défense de l'emploi. Actuellement, ceux-ci se contentent de certifier que les comptes ne lèsent ni les fournisseurs ni les actionnaires, mais ils n'ont pas de commentaire à faire sur les opérations nuisibles aux salariés.

6. Vous constatez que « la responsabilité sociale des groupes n'a jamais été aussi peu assurée » en particulier « pour le développement des ressources humaines ». De 22 000, nous sommes passés à 8 000 emplois à certains moments. Dans le processus, plus de 16 000 postes ont été supprimés par la direction sans embauche de successeurs. Il s'agissait généralement d'ingénieurs ayant 25 ans d'expérience avec des compétences et des savoir-faire, qu'on a jetés à la rue sans ménagements. C'est un pan de la mémoire de notre société qui disparaît sous prétexte d'embaucher des salariés plus jeunes, sans expérience mais moins chers. Imaginons qu'en France tous ceux qui connaissent l'histoire soient renvoyés et que, du jour ou lendemain, nous n'ayons plus d'histoire !

Nous demandons que soit donné au comité central d'entreprise et au comité d'entreprise un pouvoir de décision sur les destructions massives de compétences. De plus, il n'est pas acceptable que de l'argent public soit utilisé sans contrepartie obligatoire d'une embauche par départ.

7. Vous rappelez naturellement que, compte tenu « du poids économique et financier des groupes, ils ont le devoir de contribuer à la richesse nationale ».

Les pratiques d'IBM  se situent exactement à l'inverse. Le laboratoire de recherche et développement à La Gaude comptait plus de 1 500 personnes en 1986 ; il restait 400 chercheurs actifs en 1997 sans aucune perspective d'avenir. Les bâtiments sont même vendus. Pourtant, nous continuons à payer des royalties aux États-Unis.

Mon collègue parlait des royalties qui résultent des brevets. La maison-mère IBM-Corp. s'octroie tous les brevets : elle estime qu'à chaque vente de licence les royalties lui reviennent, sans jamais tenir compte de ce qui a été conçu en France ou même dans les autres pays européens.

Le laboratoire de La Gaude dispose d'un vivier de pure matière grise. Ce sont des chercheurs français qui créent et les royalties partent aux États-Unis. Cela me paraît bizarre, même si apparemment c'est une pratique générale dans l'industrie.

Nous demandons une modification de la loi fiscale pour que le total des royalties payées par une entreprise française soit investi en travaux de recherche en France.

8. Vous soulignez l'importance des prix de transferts entre filiales, « en particulier par le biais des règles de fixation du prix d'achat des marchandises ».

IBM-France fixe lui-même ses prix et peut les augmenter ou les diminuer en fonction de son bon vouloir.

9. Vous êtes naturellement « préoccupés » par l'usage des « réserves financières accumulées par les grands groupes ». Tout cet argent ne sert qu'à IBM-France et à payer l'actionnaire principal. Nous demandons que le droit fiscal soit modifié, afin que soient imposables les dépenses engagées par une entreprise pour acheter ses propres actions au prorata de la participation nationale dans des opérations transnationales.

10. Vous souhaitez examiner « les externalisations » en regard des « responsabilités sociales des groupes ». D'autres points mériteraient d'être traités : santé des salariés, stress, réduction des heures supplémentaires des cadres afin d'assurer le succès des 35 heures, actualisation du code du travail, abrogation de la loi quinquennale et autres.

M. Bernard REMEUR (CFD/CGC) : Je tenterai de cadrer mon propos en fonction de l'efficacité des aides publiques et de leur usage au sein des entreprises, et de témoigner si notre entreprise agit différemment des autres.

La pertinence des questions posées par cette commission me rassure. Ayant demandé par deux fois une audition au directeur de cabinet du ministre de l'emploi afin de vérifier la pertinence des aides apportées à une entreprise comme la nôtre, j'avais ressenti à l'époque qu'il était outrecuidant de demander cette vérification.

'avais demandé que les comptes d'IBM, vus à travers la société multinationale et non pas uniquement à travers la filiale française, soient vérifiés par le ministère des finances avant d'attribuer des aides. Il me semblait en effet assez immoral, compte tenu de la situation des autres entreprises, d'apporter une aide à une société qui considère qu'elle fait des pertes simplement parce qu'elle n'atteint pas ses objectifs.

J'ai été reçu par la même personne, encore directeur de cabinet alors que le ministre de l'Emploi avait changé, à propos du plan quinquennal qui a apporté des aides à l'entreprise moyennant une réduction de salaire d'un mois sur treize (ce qui n'est pas négligeable puisque cela représente 7,7 %) affectant 95 % du personnel. Le représentant de la CFE-CGC que je suis considère qu'avec cette aide l'État a été responsable de la perte des salaires dans l'entreprise IBM-France. Sous les apparences d'une aide, c'était en fait la possibilité d'effectuer une réduction de salaire proprement immorale.

Comment l'entreprise IBM-France se situe-t-elle par rapport aux autres entreprises, du point de vue de ces aides et des objectifs qui sont fixés ? Notre entreprise s'est comportée comme les autres. Une possibilité d'aide s'est présentée ; elle en a profité comme beaucoup, qui n'ont ni le souci de l'emploi, ni celui du social ou de l'aménagement du territoire.

Certains ont parlé de la transformation de l'entreprise IBM-France, passée dans les années 90 d'une entreprise où le social et l'humain avaient leur place à une entreprise où seul le bas de bilan a une valeur et où l'emploi et l'humain représentent un poste de charge. Il ne s'agit pas uniquement de l'entreprise IBM-France, si j'en juge par les autres entreprises françaises : je peux citer l'exemple de Peugeot,  où les créateurs et possesseurs de l'entreprise ont transféré à un exécuteur des basses _uvres le soin de présenter un bas de bilan correspondant à l'espérance des actionnaires. Naturellement, je ne suis pas opposé à la recherche de la rentabilité mais sous réserve que les hommes qui travaillent et développent dans l'entreprise ne soient pas oubliés.

Je maintiens que l'entreprise s'est comportée tout à fait loyalement vis-à-vis de ce qui lui était offert et que le seul responsable est soit le législateur, soit ceux qui étaient responsables de distribuer ces aides inopportunes. L'entreprise a prouvé sa citoyenneté dans les années qui ont suivi, quand tout le personnel qui pouvait relever du FNE est parti : elle a puisé dans ses propres ressources entre 15 et 16 milliards de francs, ce qui a représenté près de la moitié de son chiffre d'affaires. Il s'agit du même ordre de grandeur que cinq années d'investissements, puisqu'une entreprise à 30 milliards de francs de chiffre d'affaires investit environ 3 Mds F par an.

Il reste qu'on en est arrivé à cette situation assez surprenante - et que certains (mais pas la CGC) trouvent normale - dans laquelle l'entreprise annonce à des milliers de personnes de 52 à 58 ans : « Nous continuons à vous payer un peu moins cher, mais votre mission est de rester chez vous ». Ceci est humainement insupportable au regard des chiffres précédents, surtout si l'on observe qu'au cours de la même période, avec des résultats bien moins importants, SGS-Thomson installait une usine au Rouret qui créait 800 emplois.

Dans l'électronique, je suis convaincu qu'il existe des possibilités d'investissement et de création d'emplois. Mon organisation maintient que le profit est une excellente motivation et un bon thermomètre de l'activité de l'entreprise, sous réserve que cela profite aux hommes et aux femmes qui y travaillent et aux clients qui en sont la finalité. Le pôle financier qui gère l'entreprise et définit ses stratégies doit garder le sens de la mesure et faire de son éventuelle richesse un élément de développement. Ce qui est réalisé par d'autres entreprises peut l'être par IBM-France.

Nous sommes toutefois conscients que le fait que les décisions stratégiques ne se situent pas en France pose quelques problèmes et le politique qui attribue des aides doit tenir compte de cette situation.

Une dépense de 16 milliards de francs représente une dépense considérable pour une entreprise, surtout si l'on garde à l'esprit que ce ne sont pas l'État ou l'entreprise elle-même qui les paient, mais les salariés par la perte des participations. L'État fournit une aide indirecte à cette démarche par les facilités fiscales qu'il accorde ; en restant mesuré dans mon propos, je trouve encore cela parfaitement scandaleux. Ceux qui donnent les aides ont pour devoir de contrôler les conditions dans lesquelles celles-ci sont utilisées.

Tout en défendant l'entreprise à laquelle j'appartiens et qui, bien que fille d'une multinationale américaine, a réagi à l'évolution de son environnement comme les autres entreprises françaises, je déplore donc que l'homme qui travaille se résume aujourd'hui à un poste de charge au bilan. Il est du rôle des politiques de faire changer cette attitude des entreprises, car il n'est pas possible de subventionner le social uniquement par les aides de l'État.

Il ne faut pas accabler IBM-France plus qu'une autre entreprise, car le fait d'être multinationale est aussi une difficulté : elle n'a ni la maîtrise des choix stratégiques ni toutes les possibilités d'action. Le PDG n'a la mainmise et l'autorité que sur 70 % de l'activité en France, la production - ce que nous appelons chez nous le « manufacturing » - lui échappe ainsi que le développement et la recherche, qui relèvent d'instructions venues des États-Unis.

Pour revenir aux politiques, je pense qu'il faut d'ores et déjà s'interroger sur les distorsions sociales entre pays européens qui conduisent à des transferts vers l'Irlande et l'Ecosse. Nous subissons de plein fouet non seulement des difficultés commerciales et économiques d'ensemble, mais également celles qui sont dues à des distorsions de concurrence avec des pays que j'appellerais à « pavillon de complaisance » (pour reprendre un terme de marine) et qui faussent le jeu. Une de nos espérances est celle d'une harmonisation qui permette aux entreprises de jouer loyalement le jeu dans le cadre de règles claires et valables pour tous : nous sommes favorables à l'Europe et avons tout à gagner de son développement, puisque nous y sommes très bien implantés.

Pour conclure, je veux mettre en garde contre les risques de moins disant social à la faveur de la libre circulation des hommes et des biens dans l'entreprise. Ne voyons-nous pas le développement de transferts (y compris au sein des services de relations humaines) vers un pays d'accueil comme l'Angleterre, qui n'est pas un exemple sur le plan du droit du travail et de la protection sociale des salariés ?

M. le Président : J'ai apprécié la complémentarité de vos différentes interventions et leur aptitude à brosser un tableau complet de la situation de l'entreprise.

Sur la filiale IGS, j'ai cru comprendre qu'il y avait eu un aller-retour sous forme d'une séparation suivie d'une réintégration. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point ?

M. Emile ROLS (FO) : Du personnel IBM-France était effectivement parti chez Axone, qui faisait du « facility management » et avait d'ailleurs perdu quelques avantages à cette occasion. Il revient dans l'entreprise mère à l'occasion de la réintégration de la filiale.

La Direction veut faire l'harmonisation des statuts au sein d'IGS, et profite d'IGS pour réduire les avantages du statut du personnel et réaliser une opération à coût nul. Par conséquent, nous constatons la perte de la convention collective de la métallurgie parisienne au profit d'une adhésion volontaire, ce qui semble signifier qu'à terme IBM-France préférerait le Syntec.

M. le Président : Quelle est la spécificité d'IGS par rapport aux autres opérations qui ont pu être effectuées ?

M. Emile ROLS (FO) : L'opération IGS consiste à intégrer et fusionner certains services d'IBM-France avec ses filiales de services. Tous les salariés qui étaient dans le périmètre sont ainsi revenus chez IBM. 

Je profite de cette réponse pour signaler une évolution qui me préoccupe : la généralisation des clauses de mobilité imposées, alors que les contrats de travail initiaux en étaient dépourvus. Cela fait naître des risques de mutations sans préavis au sein de structures bien moins favorables qu'auparavant : des personnels de production sont mutés dans les services sans que rien leur soit demandé et la procédure légale qui consiste à informer les intéressés par lettre recommandée n'est pas respectée.

Quoi qu'on prétende (« Cela ne change pas, tu travailles toujours à IBM-France» !), partir au sein d'IGS au lieu de la production manufacturière affecte le niveau de rémunération : le calcul de la prime variable et les aménagements de fin de carrière sont moins avantageux. Une pratique très courante consiste d'ailleurs à affecter temporairement une partie du personnel à des activités de services, les salariés se retrouvent alors dans une nouvelle structure, avec des avantages en moins naturellement. Autre pratique : en matière de création de micro-entreprises, je connais le cas à Montpellier d'un membre du personnel d'IBM-France qui s'est mis en congé sans solde, a monté une entreprise puis embauché du personnel qui vient travailler sur le site dans des conditions moins favorables.

Certaines délocalisations ont fait fondre les effectifs malgré des mesures d'adaptation et l'arrivée de nouvelles missions. D'après FO, un poste se remplace par un autre poste : même si l'emploi revient et de nouvelles missions arrivent, il faut faire le nécessaire afin que les salariés puissent s'adapter et être reconvertis. La solution de la direction est de pousser fortement le personnel dans des plans de départs afin d'éviter ces coûts de formation, mais nous devons convenir qu'en règle générale, les mesures de fin de carrière peuvent être considérées comme satisfaisantes par rapport à celles qui existent ailleurs puisqu'il ne s'agit pas de licenciements secs.

Nous souhaitons, à l'échelle européenne, une harmonisation et un contrôle renforcé de l'application du droit du travail dans les entreprises. Je crois que le personnel n'est pas suffisamment informé des risques de voir son contrat de travail affaibli. C'est une situation générale dans les entreprises et il faut une procédure d'urgence pénale et civile pour faire appliquer le contrat de travail qui n'est pas respecté. Aujourd'hui, quand vous faites remonter un problème à la direction en signalant qu'il y a atteinte au contrat de travail, on s'entend répondre : « Nous ne risquons rien et nous ne craignons pas grand chose ».

M. le Président : Plusieurs syndicats ont mentionné la procédure des départs en fin de carrière (DFC), parfois en termes très critiques. Lors de l'audition de la direction de l'entreprise, nous avons eu le sentiment que ce système était au contraire l'une de ses fiertés.

M. Bernard REMEUR (CFE/CGC) : La finalité d'une entreprise n'est pas d'apporter de bonnes conditions de départ à son personnel en dehors de la retraite, qui s'inscrit dans un cadre légal et réglementaire.

Pour nous, la finalité de l'entreprise consiste à faire des bénéfices mais surtout à permettre aux personnes recrutées de suivre une carrière dans différents métiers. Il est du rôle de l'entreprise de créer les conditions pour que les compétences techniques de son personnel puissent être entretenues et développées jusqu'au terme de la carrière, c'est-à-dire la retraite.

Si l'employé qui veut rompre son contrat doit naturellement pouvoir partir, l'entreprise doit en revanche chercher à conserver les salariés qu'elle a formés et sur lesquels elle a investi afin de créer de la richesse et de la plus-value.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais que nous revenions éventuellement sur le problème des regroupements en pôles nationaux d'activité.

J'aimerais également savoir s'il est exact que les retours financiers pour les activités de recherche et développement (R&D) sont en France supérieurs aux royalties versées, votre président ayant mentionné le chiffre de 7 à 8 % du chiffre d'affaires sous forme de redevances versées à la maison-mère.

Je serais également intéressé par vos réflexions sur l'évolution du rôle des actionnaires. Les actionnaires ont investi de l'argent : est-il possible de dissocier l'actionnaire de l'entreprise, tout en réaffirmant que le rôle de celle-ci est de faire vivre une communauté et un territoire ? Comment rendre compatible les exigences de rentabilité, synonymes de court terme, et les impératifs de long terme, qui supposent un investissement en formation, en qualification et en matériels ? Une entreprise est aujourd'hui considérée non rentable lorsqu'elle ne satisfait pas aux objectifs assignés par les actionnaires, qui se situent à plus de 20 % de rendement des fonds propres : une telle appréciation était autrefois portée quand l'entreprise était déficitaire, elle l'est maintenant quand elle est insuffisamment bénéficiaire.

Ne faudrait-il pas demander aux groupes d'assumer sur plusieurs années une responsabilité à l'égard des personnels dont ils se séparent, quelle que soit la raison de la séparation ? N'est-il pas trop facile de faire jouer aux FNE, à l'ARPE et à un certain nombre de dispositifs publics le rôle d'amortisseurs ?

M. Gérard LIGER (CFTC) : Concernant les pôles, j'ai parlé des pôles de comptabilité.

Autrefois, l'entreprise IBM tenait intégralement sa comptabilité dans chacun des pays d'implantation. Grâce à des systèmes informatiques de plus en plus puissants, elle est aujourd'hui capable de gérer des postes comptables pour l'ensemble de l'Europe, voire plus. Ainsi, la comptabilité française demeure partiellement tenue en France, mais certains éléments sont retraités avant consolidation en Allemagne et d'autres en Angleterre (où sont également les installations techniques). Les responsables des applicatifs sont centralisés par spécialité : immobilisations supervisées en Allemagne pour l'ensemble de l'Europe, transferts internationaux sur le continent et résultats comptables de quatre pays calculés en France. C'est ce que j'ai appelé « des pôles de compétences ».

La situation est identique pour les appels des clients, c'est-à-dire une activité opérationnelle. Longtemps, ces appels étaient reçus en France. Depuis 1998, l'activité a été européanisée : tous les pays d'Europe appellent au téléphone un standard qui se trouve en Irlande ou en Ecosse en fonction des demandes.

Il y a donc une sectorisation par pôles de compétences qui travaillent sur quatre, cinq voire dix ou quinze pays. En France, nous effectuons la comptabilité entre fililales et des mouvements de facturation interne sur quarante pays, donc bien au-delà de l'Europe.

S'agissant de l'analyse des effectifs, il faut tenir compte du transfert d'un certain nombre de personnes qui sont sorties de la maison-mère pour aller dans les filiales. Tel a été le cas d'Axone, où 900 personnes se sont trouvées affectées. De même pour la distribution, transférée avec 400 personnes dans une société qui en 1997 était une filiale d'IBM-France et est maintenant complètement sortie de son giron. Le périmètre est donc en évolution constante et il est clair que si celui-ci n'est pas précisément spécifié, on s'expose à beaucoup de difficultés pour saisir les évolutions de fond. Dans notre jargon, nous distinguons les salariés que nous appelons « actifs » (travailleurs au sens strict) et des salariés qui sont inactifs mais toujours payés dans l'entreprise dans le cadre d'un DFC, par exemple. Même si leur salaire est amputé de 50 %, les « inactifs » ont droit aux _uvres sociales puisque dès lors qu'un salarié a un bulletin de salaire IBM-France, il peut bénéficier de leurs activités.

Indéniablement, la structure de l'emploi a changé. Il y a encore dix ou quinze ans, la part d'ouvriers dans les usines était importante. Aujourd'hui, ces usines et les services administratifs qui avaient des postes à faible qualification ont substantiellement réduit leurs effectifs d'ouvriers ou d'employés. L'équilibre 1/3 de cadres-2/3 non-cadres qui existait au début des années soixante-dix s'est transformé en 1/3 de non cadres-2/3 cadres : l'activité de services qui a été progressivement intégrée et s'est renforcée est une population composée essentiellement de cadres. Ainsi, l'entreprise CGI qui a été rachetée (2 500 personnes en France) est composée de 2 200 cadres et 300 non-cadres.

Vous avez évoqué IGS. A la fin de 1999, la notion de filiale aura presque disparu chez IBM-France : au terme de la réintégration au sein d'IBM de 8 entreprises de services, il n'existera plus que 3, 4 ou 5 filiales au sein du groupe, certaines d'ailleurs comme résultat d'une externalisation, par exemple la filiale Logic Line (ancienne activité de distribution).

M. le Rapporteur : Les personnes intégrées chez IBM le seront-elles avec le même statut ?

M. Gérard LIGER (CFTC) : Le statut ne sera pas tout à fait identique. Il comprendra des avancées et des reculs par rapport au statut actuel. Reste qu'il n'y aura plus qu'une seule entreprise et trois ou quatre entreprises satellites, dont nous sentons qu'à terme elles seront peut-être fusionnées.

Vous avez évoqué le rôle des actionnaires. Effectivement, il semble y avoir un poids important au niveau des « institutionnels » et des fonds de pension américains, qui ont besoin d'argent frais pour payer la retraite des salariés américains. Cela ne peut pas ne pas poser question dans un pays comme la France ou même en Europe, dès lors que l'équilibre des régimes de retraite est précaire et que nous serons peut-être conduits à mettre en place des fonds de pension.

Les fonds de pension anglo-saxons disposent de moyens considérables, qui doivent de fait rester sous une forme très liquide pour payer continûment les retraites. Ils poseront un problème fondamental à l'économie mondiale dans les années à venir, que nous vivons déjà quotidiennement chez IBM-France depuis quelques années.

M. Emile ROLS (FO) : Je voudrais revenir sur les congés de fin de carrière (DFC). Je faisais remarquer à la commission que ces mesures peuvent être considérées comme satisfaisantes pour les salariés : je ne prétends pas qu'il s'agit là d'une évolution désirable pour tous les salariés mais je reconnais préférer un aménagement de fin de carrière plutôt qu'un licenciement sec, sous réserve naturellement que ce DFC soit volontaire. Tel n'est pas le cas aujourd'hui, car la direction fait pression sur les salariés pour qu'ils acceptent des plans de départ. Il faut en tenir compte, car certains salariés ont des charges de familles, des enfants et différentes raisons de céder.

M. Jacques MARTINET (CFDT) : En matière d'effectifs, il faut faire attention à la progression des personnes en inactivité, qui sont comptées dans le chiffres du rapport d'analyse. Nous arrivons à près de 3 500 personnes, ce qui est loin d'être négligeable.

Du point de vue du rôle des actionnaires, il suffit de rappeler que le précédent président a été renvoyé par les actionnaires et remplacé par un homme issu de la distribution. C'était la première fois qu'un homme qui n'est pas du sérail arrivait aux commandes.

Je rejoins ce qu'a dit M. Remeur : l'entreprise est bien là pour faire des bénéfices, mais encore faut-il qu'elle suive une stratégie industrielle. C'est le point qui fait problème : nous estimons que cette stratégie industrielle fait défaut. A trop vouloir satisfaire ses actionnaires, l'entreprise en arrive à évoluer sans vision d'ensemble en France, et peut-être même au niveau mondial.

M. André YERLES (SNA) : Concernant les fins de carrière, M. ROLS a naturellement raison : la question de savoir si un FNE ou un CFC est préférable ou non à un licenciement à 58 ans ne fait pas débat. En revanche, nous avons l'impression que les années récentes ont été marquées par un cycle d'utilisation intensive des aides publiques ou des deniers de l'entreprise afin de favoriser des départs anticipés, parfois dès 52 ans. Si nous sommes devant un scénario où il s'agit de rester plus longtemps au travail et d'être à 42,5 d'années de cotisations, il y aura antagonisme et contradiction avec les deux approches.

Sur la question des aides, je voudrais m'interroger sur leur pertinence et leurs modalités d'octroi.

Si je pense qu'il convient de soumettre les aides à des critères, je crois qu'il n'y a pas d'aides publiques à donner en matière de préretraites : l'envoi en préretraite constitue une forme d'euthanasie du salarié. En principe, ces préretraites sont volontaires, mais il est en pratique difficile de résister aux demandes présentées par la direction : la détérioration des relations et la pression de l'encadrement deviennent telles que l'on finit par sortir tout seul.

M. Bernard REMEUR (CFE/CGC) : Nous sommes dans une entreprise où les plans de fin de carrière sont attendus par le personnel comme le Messie par les croyants.

Cette situation est très perturbante pour l'entreprise et ses salariés, car dès 48 ans certains se mettent en position d'attente et n'ont plus aucune motivation. Permettre des départs en fin de carrière à un âge aussi jeune déstabilise le marché du travail, car les salariés continuent à avoir des charges et ne peuvent pas se contenter de leurs allocations.

Il faut lutter pour que ces fins de carrière ne se prolongent pas. Actuellement, nous n'en voyons pas la fin et je n'ai pas entendu de propos du président pour annoncer leur terme. C'est une solution onéreuse pour tout le monde, car je redis que ce sont les salariés restant dans l'entreprise qui la paient.

Compte tenu des départs non remplacés, la charge de travail s'accroît et génère stress et accidents. Toute personne est perturbée de devoir survivre dans 2,50 m² ou 3 m² de bureaux et de s'entendre répéter : « Vous êtes un nomade ». L'entreprise donne de beaux documents avec des chiffres formellement exacts qui recouvrent une réalité humaine catastrophique.

C'est cette situation que je conteste. Je fais partie des organisations qui ont voulu le regroupement de l'entreprise avec afin qu'elle retrouve la moralité humaine qu'elle avait perdue : la politique de filialisation n'était pas un accident.

IGS est un concept inventé aux États-Unis et importé en France. L'idée est de cesser de filialiser et d'externaliser et au contraire de regrouper au sein d'une entité unique les activités de services.

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