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TOME III (volume 1)
Nestlé France

Audition de la direction
Audition des syndicats

Audition de la direction

Audition de MM. Lars OLOFSSON
Président directeur général de NESTLE FRANCE SA,

Claude SALVAGNAC,
Directeur général des ressources humaines du groupe,

Antoine COLLIN,
Spécialiste fiscal du groupe,

Pierre PERRIN,
Directeur général des finances du groupe

(extrait du procès-verbal de la séance du 9 mars 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Lars Olofsson, Claude Salvagnac, Antoine Collin et Pierre Perrin sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Lars Olofsson, Claude Salvagnac, Antoine Collin et Pierre Perrin prêtent serment.

M. Lars OLOFSSON : Tout d'abord, je vous remercie de bien vouloir me recevoir afin que mes collègues et moi-même présentions Nestlé en France, en dehors de toute l'activité eau minérale qui vous sera exposée par la suite.

A ce titre, mon exposé sera assez court pour privilégier les questions et réponses qui suivront.

Nestlé est la première entreprise alimentaire dans le monde, elle est présente dans plus de 180 pays, son chiffre d'affaires atteint 260 milliards de francs français, avec 500 usines réparties sur les cinq continents et 225 000 collaborateurs.

L'activité alimentaire principale se situe en Europe, pays de l'Est compris, à hauteur de 37 % ; les Amérique représentent 31 % ; l'Asie, l'Afrique et l'Océanie, 19 %. Les autres activités représentent 12 % du chiffre d'affaires. Les autres activités représentent 2 % du chiffre d'affaires et non pas 12 % comme signalé dans le rapport.

Nos principaux clients sont les Etats-Unis, la France, l'Allemagne, le Brésil, l'Angleterre et l'Italie. La Suisse, notre pays d'origine, représente moins de 2 % de notre activité. Nestlé est donc une entreprise internationale originale, j'y reviendrai dans quelques instants.

La recherche est un facteur essentiel de notre développement. Nestlé y consacre plus de 3 milliards de francs, avec un centre de recherche fondamentale à Lausanne en Suisse et dix-sept centres de recherche et développement répartis dans le monde, dont quatre en France : à Beauvais, Lisieux, Amiens et Tours. Il existe également un centre de recherche en Afrique francophone, à Abidjan.

Au-delà de cette recherche privée, nous avons établi un partenariat fructueux avec la recherche publique, notamment en France où nous accordons des bourses de recherche.

L'activité alimentaire de Nestlé en France est structurée en trois pôles : Nestlé France, société que je préside, Perrier-Vittel et Friskies France qui regroupe les activités aliments et accessoires pour les animaux familiers, avec des marques comme Friskies, Gourmet, Fido et Félix.

Nestlé est présent en France depuis la fin du siècle dernier, la première usine y a été construite en 1916. Aujourd'hui, nous avons 27 usines, hors eaux minérales, et 6 pour les aliments pour animaux, avec, au total, près de 13 000 collaborateurs. Ces usines sont réparties sur tout le territoire et principalement en zone rurale, près de nos fournisseurs.

Notre chiffre d'affaires est de plus de 26 milliards de francs, ce qui nous situe en deuxième position, derrière le groupe Danone.

Nos achats en matières premières agricoles en France sont importants, d'où notre présence depuis plus de dix ans au Salon de l'Agriculture. Nous achetons et transformons 1 milliard de litres de lait, 170 000 tonnes de pommes de terre, 75 000 tonnes de tomates et nous exportons 17 % de notre production.

Notre activité est gérée par des divisions :

      · la division Nutrition comprend l'infantile : Nestlé, Guigoz ; les petits pots Nestlé ; la nutrition clinique ;

      · la division Produits laitiers Ultra Frais Nestlé comme La Laitière ;

      · la division Boissons instantanées : Nescafé, Nesquik ;

      · la division Chocolats et Confiseries : Lanvin, Lion, Kit Kat.

      · la division Culinaire et Desserts : Maggi, Mousseline, Buitoni, Mont-Blanc, lait Nestlé et Gloria ;

      · la division Produits surgelés : Findus et Buitoni.

      · la division Glaces, avec les marques Gervais.

      · la division Charcuterie et Traiteur sous la marque Herta.

      · la Division Restauration professionnelle et hors foyer, la marque principale étant Nestlé Food Services et Davigel. Les céréales pour petit déjeuner que nous commercialisons en partenariat avec l'américain General Mills, avec les marques Nesquik, Chocapic, Fitness.

Notre résultat, après impôts, est de 545 millions en 1997.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais revenir sur l'originalité du groupe. Contrairement aux autres grands groupes ou grandes entreprises internationales, notre pays d'origine, la Suisse, ne représente qu'une part faible de l'activité, près de 2 %. La stratégie est bien évidemment globale, mais le consommateur est local. Une autre particularité : notre Direction est pluriculturelle. Notre Président est allemand, l'Administrateur délégué est autrichien et parmi les membres du Comité de direction générale figurent un français, un espagnol, un autrichien, un australien, un mexicain, un allemand et un suisse. Je suis suédois et la plus grande partie de ma carrière s'est déroulée en France.

Je voulais également signaler que j'ai lu avec intérêt le rapport que vous avez bien voulu m'envoyer. Je n'ai pas de commentaires particuliers à faire quant à son contenu.

Je vous remercie.

M. le Rapporteur : J'ai deux ou trois questions à poser, puis je laisserai la parole à mes collègues.

Vous êtes sous le régime de l'intégration fiscale. Quel est son impact pour le groupe Nestlé France ?

M. Lars OLOFSSON : Je n'ai pas d'éléments précis pour vous répondre.

Le groupe Nestlé entreprise est placé sous ce régime, en effet, depuis 1992.

Cela étant, faisant partie du Conseil d'administration de l'entreprise, je peux vous assurer que nous n'avons pas fait de calculs pour en évaluer le gain.

En 1992, cela figure dans le rapport de la commission d'enquête, Nestlé a procédé à plusieurs acquisitions, ce qui s'est traduit par l'entrée d'un certain nombre de sociétés venues dans le giron de Nestlé, par exemple des marques comme Buitoni, Davigel, etc. C'est un premier élément.

Un deuxième élément est relatif à la structure du groupe. Pour chaque pays, chaque marché, est créée une entreprise. La philosophie de Nestlé est la suivante : un marché, un patron, une société.

La France s'est trouvée dans une situation particulière, en effet, plusieurs sociétés avaient été rachetées au fil des années, et notre structure était assez complexe.

Dans le souci d'harmoniser nos structures, au regard d'autres marchés et surtout de simplifier notre organisation, nous avons restructuré plusieurs sociétés. Lors de cette restructuration, nous avons vu que nous pouvions bénéficier de l'intégration fiscale, ce que nous faisons depuis 1992.

M. le Rapporteur : Comment fonctionne le régime des restitutions ?

M. Lars OLOFSSON : M. Perrin pourrait, peut-être, répondre sur ce point.

M. Pierre PERRIN : Comme pour l'intégration fiscale, je veux bien essayer de répondre, mais j'aimerais bien connaître le fond de la question. Ce régime de restitutions est fondé, à ma connaissance sur un prix mondial des matières premières. Un prix est en vigueur à l'intérieur de la Communauté européenne. Les exportations s'effectuent au prix de ces matières sur le marché mondial, prix inférieur au prix communautaire ; le système assure aux pays d'Europe des facilités d'exportation leur permettant de lutter, à armes égales, contre les productions des autres régions du monde. Voilà quel est, pour moi, le régime des restitutions.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des contreparties à ce régime, pour un groupe qui en bénéficie ?

M. Pierre PERRIN : Je ne crois pas qu'il y en ait.

Nous sommes dans le cadre de l'Europe et ce sont les mécanismes du marché qui fonctionnent. Si un litre de lait coûte en Europe un prix supérieur de 20 ou 30 centimes à celui des autres pays du monde, l'Europe ne peut pas exporter.

L'Europe n'exporterait pas de produits laitiers s'il n'y avait pas ce mécanisme de régulation.

M. Lars OLOFSSON : Plusieurs de nos usines laitières sont dédiées à l'export. S'il n'y avait pas de restitution, ces usines n'auraient aucun fondement économique sur le marché français.

M. le Rapporteur : Donc, le maintien des emplois dans cette entreprise est lié à l'existence de ce régime de restitution.

M. Lars OLOFSSON : C'est un facteur très important pour le maintien de l'emploi dans ces usines. Ce n'est pas le seul, un autre étant la productivité de l'usine elle-même.

La restitution est fondée sur la possibilité de niveler l'écart des prix pratiqués sur les marchés européens ou même internationaux, dans le domaine du lait. Il appartient à l'usine de maintenir une productivité comparable à d'autres usines sur le plan international. Aujourd'hui, le marché du lait est mondial.

M. le Rapporteur : Au moment où il est question de diminuer les aides, du fait de problèmes financiers liés à l'élargissement européen vers les pays de l'Est, y a-t-il une quelconque inquiétude au sein du groupe sur cette question ? Que se passerait-il si ces aides venaient à être diminuées ou supprimées ?

M. Lars OLOFSSON : A mon niveau, celui de Nestlé France, nous serions très inquiets si les restitutions étaient mises en cause de manière conséquente et abrupte car l'activité laitière en France serait directement menacée. La politique laitière européenne a une grosse importance au regard de notre implantation en France.

M. le Rapporteur : Nestlé Entreprise maintient donc - au travers de Nestlé France - des usines et des emplois en France pour autant qu'il existe un tel système d'aide. Le jour où serait remis en cause ce système, un certain nombre d'activités en France serait donc menacé !

M. Lars OLOFSSON : Pas uniquement en France : il existe des restitutions dans d'autres pays. S'il y a un déséquilibre avec ce qui se pratique dans certains pays, cela aura forcément une incidence sur l'activité française.

M. Pierre PERRIN : N'oublions pas que, si nous sommes des industriels, notre produit vient de l'agriculture. Vous demandez ce que fera le groupe Nestlé si les restitutions sont supprimées, je vous réponds : que fera la France ? Je pense que Nestlé France ne sera pas le seul à souffrir des conséquences.

M. le Rapporteur : Depuis quelques années, le groupe a réduit ses investissements et ses emplois en France. Qu'est-ce qui vous a conduit à ces choix ?

M. Lars OLOFSSON : Pour les investissements, il faut analyser les chiffres. Il n'y a pas, de la part du groupe, une volonté de réduire les investissements. Les choix sont faits en fonction des métiers, des usines et des potentiels futurs.

Effectivement, aujourd'hui, les chiffres indiquent que l'investissement est au regard du chiffre d'affaires, en légère baisse. C'est la résultante d'une gestion plus fine des investissements qui sont nécessaires compte tenu de nos besoins dans les différents domaines de notre activité mais notre politique n'a pas fondamentalement changé en cette matière.

Pour les emplois, il est vrai que votre rapport - je n'ai pu vérifier si les chiffres étaient exacts - indique une baisse d'effectif d'environ 12 % sur ces cinq dernières années. Cette diminution me paraît modeste et si nous regardons plus avant, ce mouvement va se poursuivre, dans la mesure où il s'agit d'une recherche de productivité dans tous les domaines qui s'impose à la société, face à la concurrence nationale et internationale, ainsi qu'une simplification de sa gestion.

Cela ne cache aucun phénomène particulier. Toutefois, il est vrai que dans certains domaines, notamment celui des surgelés, une société, France Glace Findus, a été amenée à réduire ses effectifs de façon conséquente, face à un changement sur les marchés et à une recherche de compétitivité sur ce type de produit.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que cette diminution des investissements dans notre pays - la commission d'enquête porte seulement sur la France - soit durable ? Le groupe Nestlé sur le territoire national aurait donc atteint pour l'heure une sorte de configuration idéale, compte tenu de ses objectifs, de la concurrence et éventuellement d'une stratégie internationale qui consisterait désormais en une implantation dans d'autres pays - je pense à l'Est de l'Europe -, dans des pays agricoles, offrant des coûts moindres et qui pourraient être éventuellement des pays d'exportation vers le territoire français.

M. Lars OLOFSSON : Votre question amène plusieurs réponses. Si vous regardez les comptes, le groupe Nestlé a une situation financière saine. Donc, ma première réponse est de dire qu'à ma connaissance, en tout cas jamais sous ma présidence, je n'ai eu le sentiment de ne pouvoir obtenir les investissements nécessaires pour le marché français.

S'il est jugé utile et opportun d'investir sur le territoire français, je n'ai pas l'impression que le groupe, pour des raisons extérieures au marché français, n'ait pas suivi cette recommandation. Notre situation financière permet d'investir en France et ailleurs. Il n'y a donc pas eu d'arbitrage dans ce sens.

Bien évidemment, le groupe se doit d'analyser quelles sont les alternatives d'investissements. Doit-il investir en France ou ailleurs ? Cela étant, je confirme que jamais je n'ai été placé, en tant que dirigeant, devant l'obligation de devoir arrêter les investissements en France.

En conséquence, jusqu'à présent, les investissements effectués en France ont bien été décidés par les dirigeants de Nestlé France.

M. Alain COUSIN : M. le Président, vous l'avez rappelé, ces cinq dernières années, la baisse des effectifs est de l'ordre de 12 % ; c'est le résultat de ce que vous avez appelé une « gestion plus fine des investissements », la traduction de la stratégie industrielle du groupe, qui n'est pas exclusivement celle de Nestlé, mais celle de l'ensemble des groupes industriels.

M. Lars OLOFSSON : Les investissements ne sont pas forcément liés à l'évolution des effectifs.

M. Alain COUSIN : En tout cas, ils sont probablement liés aux stratégies industrielles du groupe. Nous le constatons, d'une manière générale, dans les grands groupes, pas seulement chez Nestlé. C'est la vie de l'entreprise dans le cadre de la mondialisation des échanges que nous connaissons et à laquelle vous avez fait allusion tout à l'heure.

Comme il est indiqué dans le rapport produit par la commission d'enquête, cela vous conduit à un certain nombre de restructurations et à des fermetures de sites.

Quelle est la volonté politique de la Direction générale que vous représentez, M. le Président, au regard de ces fermetures de sites ?

Quels moyens, humains et financiers mettez-vous en oeuvre pour apporter des compensations, compte tenu de ces décisions regrettables, certes, mais dont nous pouvons comprendre la nécessité ? Il est clair qu'elles génèrent une turbulence difficile, tant au plan social qu'économique.

M. Lars OLOFSSON : Nestlé est implanté sur le territoire français depuis de nombreuses années. La société a une mémoire, comme le marché d'ailleurs, donc nous n'avons pas l'intention, tout du moins pas que je sache, de quitter le territoire français. Cela étant, nous sommes obligés de nous inscrire dans la culture et la responsabilité qui existent en France.

M. Alain COUSIN : Une précision : je parle des territoires locaux où sont implantés les sites et non du territoire national.

M. Lars OLOFSSON : Cela ne change rien, Nestlé est situé sur le territoire français, au sens large.

A mon sens, il va falloir que Nestlé, qui à un moment donné a créé des emplois, puisse également être une sorte de partenaire s'il est amené à quitter une usine, qu'il la vende ou la ferme. Nous n'avons pas une charte pré-établie indiquant la méthode à suivre. Tout dépend du problème, du domaine, du nombre de personnes concernées et de celles que nous pouvons reclasser dans les sites existant. Face à cette situation, il n'y a pas une réponse unique.

Cela étant, si nous observons ce que Nestlé a fait les dernières années et si nous regardons ce qui se fait dans d'autres domaines, nous constatons que notre groupe est un exemple quant à la manière de quitter les sites.

Le dernier site que nous avions décidé de quitter était Carbon-Blanc, dans la région bordelaise. La première approche était de fermer cette usine, car globalement en France il y a surcapacité de ce type d'usine qui produit des yaourts et des desserts lactés. Etant donnée cette surcapacité, nous étions obligés de trouver une solution. D'un point de vue économique, purement financier, nous devions fermer l'usine ; nous avons pris l'option de la vendre ; ce mot « vendre » est déplacé, car cela ne représente pas un enjeu financier pour Nestlé France.

Nous avons donc vendu cette usine et avons même monté tout un système financier pour que le repreneur parte d'un bon pied. En plus, nous avons « donné » - un mot plus juste que « vendre » - à ce repreneur la marque "Chambourcy" qui est très connue en France. Nous lui avons promis que si tout se passait bien, s'il arrivait à monter son affaire, il pourrait continuer à utiliser cette marque.

Et pourtant, nous sommes toujours sur ce marché. Nous avons donc créé un concurrent, donné une marque qui a une très bonne image en France. Tout cela pour montrer jusqu'où nous pouvions aller, dans le cas de Carbon-Blanc, pour sauvegarder ces 220 emplois. Un tel exemple est très rare à l'heure actuelle.

C'est une illustration de notre méthode, sans qu'elle figure pour autant dans une charte.

M. Alain COUSIN : Je suis confronté à ce problème, voilà pourquoi je vous pose la question. Je suis heureux de constater que, parfois, tout se passe bien, mais il est aussi de mon devoir de vous dire qu'il arrive que la situation soit moins facile.

Certes, vous n'êtes pas directement responsable d'une première fermeture d'usine dans la Manche, celle de Carentan - vous n'étiez pas encore le P.D.G de Nestlé-France - mais le directeur des ressources humaines, que j'ai reçu il y a quelques jours, m'a dit que pour ce site de Carentan, le "solde" de cette affaire - pour reprendre son expression - était, pour le moins, médiocre et, il est vrai que cette fermeture, qui date de 1994, a laissé des souvenirs douloureux.

En revanche, il y a une question d'actualité qui est la fermeture du site de Bricquebec où 84 emplois sont en question. Je réclame, pratiquement à cors et à cris, en tant que Président du Comité d'expansion économique du département de la Manche et Vice-Président du Conseil général, ayant, à ce titre, une délégation de mon Président, qu'une Mission de développement économique local soit mise en place, qu'elle soit en relation avec vous, à moins que vous ayez une instance interne capable d'assumer cette tâche. Certains grands groupes ont choisi ce type de démarche : la semaine dernière nous recevions un grand groupe qui a organisé, en son sein, une Mission de développement économique local.

Quand, sur un territoire donné, il y a une fermeture de site - c'est un choix d'entreprise que je ne discute pas - on fait souvent appel à des organisations extérieures dont c'est le métier. Malheureusement en effet, puisqu'ainsi va la vie industrielle, Nestlé n'etant pas le seul à fermer des sites sur le territoire français, certaines sociétés travaillent sur ce sujet.

Or je me dois de vous dire, M. le Président que, s'agissant du site de Bricquebec, nous ne recevons pas de votre part l'accueil que nous souhaitons.

M. Lars OLOFSSON : Il n'existe pas de recette indiquant comment traiter certaines situations quand on se trouve face à une fermeture, à une réduction ou à une vente d'usine.

Pour Bricquebec, nous cherchons un repreneur depuis un an. Sur le plan strictement économique, cette usine aurait dû être fermée il y a environ deux ans. D'abord, sur le plan commercial et même au-delà, nous avons étudié la possibilité de relancer une dynamique commerciale sur les différents fronts, ce qui a échoué, le marché étant mourant. Il s'agissait de lait en poudre or aujourd'hui c'est plutôt le lait UHT qui est en vente. Nous n'avons pas réussi.

La deuxième approche était de dire que, puisque nous ne pouvions plus fournir de débouchés à cette usine, nous allions essayer de trouver un repreneur. Je ne me souviens plus exactement combien de dossiers ont été établis par des sociétés tiers, qui nous ont assisté dans cette démarche, mais au moins dix-sept ou dix-huit sociétés ont étudié le dossier. Quatre ou cinq d'entre elles ont même examiné l'usine de près. Finalement, même si nous donnions l'usine avec certaines marques, personne ne voudrait la reprendre.

Face à ce constat d'échec sur le plan commercial, et sans pouvoir trouver de repreneur, j'ai été amené à informer le C.C.E., il y a une quinzaine de jours, de la fermeture au deuxième semestre de cette année. A présent, la question se pose de savoir comment atténuer les conséquences sociales...

M. Alain COUSIN : ... et économiques.

M. Lars OLOFSSON : Oui, bien sûr. Nous allons donc entrer dans une deuxième phase. Je suis ouvert pour examiner toutes propositions des pouvoirs locaux - ce n'est pas le lieu ici -, pour étudier comment nous pouvons atténuer les conséquences sociales et économiques. Les moyens seront analysés. M. Salvagnac est en première ligne pour mener ce travail.

M. Claude SALVAGNAC : Pour nous aussi les aspects sociaux et économiques sont liés, pour la bonne et simple raison que notre premier objectif est de retrouver des emplois pour les salariés.

Ces derniers nous disent qu'ils veulent rester dans la Manche.

Nous avons une autre usine dans ce département où nous pouvons reclasser un quart de cet effectif. Pour les personnes à reclasser, nous avons essayé de réindustrialiser le site au niveau laitier, en vain.

A présent, notre nouvel objectif est d'essayer de retrouver une industrialisation pour ce site, quelle qu'elle soit. Nous sommes, contrairement à ce que vous semblez dire, près à travailler avec la municipalité, le département et la région, dans ce but.

M. Alain COUSIN : Pour ma part, je comprends qu'une entreprise ait des logiques industrielles qui la conduisent à des solutions de ce type qui ne sont jamais agréables à prendre - y compris pour un Président.

Je voulais simplement appeler votre attention sur la position des élus, qui n'est pas de discuter la décision prise - il faut être clair sur ce sujet -. J'espère m'être bien fait comprendre et qu'il n'y a pas d'ambiguïté dans mes propos mais vous devez comprendre que notre souci est de tout faire pour retrouver une richesse équivalente dans la région, et que le département de la Manche ne perde pas de sa substance économique.

Nous savons que cela ne se fait pas en claquant des doigts, mais se mettre ensemble, imaginer des actions grâce à l'expertise que vous pourriez fournir ou financer, créer une mission de développement économique locale pour nous aider et nous accompagner, cela nous semble nécessaire.

Si la réponse sur le principe, M. le Président, est positive, cela va bien au-delà de ce que j'ai entendu lors de la réunion avec votre directeur des ressources humaines. Pour ma part, je serais très heureux de cette réponse.

M. Lars OLOFSSON : Je ne sais ce que vous avez entendu mardi dernier, mais je vous confirme qu'il fallait d'abord prendre cette décision de fermeture. Mais il a été dit aussitôt que nous allions examiner comment atténuer les effets sociaux et économiques sur le site.

A présent, nous sommes en mesure de reprendre le dialogue avec les pouvoirs locaux pour étudier ce que nous pouvons faire ensemble. A cette date, aucune proposition ne m'est parvenue.

M. Alain COUSIN : Nous reprendrons contact.

M. le Président : Pour l'heure, j'ai trois questions complémentaires à vous poser.

Tout d'abord, après lecture des informations qui nous sont parvenues, nous notons que vous resserrez votre activité sur vos métiers de base : la gamme alimentaire et celle pour les animaux notamment.

Que comptez-vous faire pour ce qui concerne les produits pharmaceutiques ?

Nous souhaiterions également connaître votre opinion sur les aides ; les aides à l'emploi d'abord mais aussi les aides que constituent les restitutions communautaires  comme les aides aux activités de montagne qui semblent aussi relativement importantes.

Sinon pour quelles raisons choisissez-vous de vous développer sur le territoire français ? Est-ce dû à la proximité de vos matières premières ou à l'existence d'un marché porteur ?

M. Lars OLOFSSON : Le domaine pharmaceutique relève d'une société, Alcon, qui est gérée complètement hors de ma responsabilité puisqu'elle l'est au niveau mondial, à partir de son siège situé près de Dallas aux Etats-Unis. Elle n'a rien à voir avec les activités alimentaires.

Comptons-nous nous développer dans ce domaine ? Je ne suis pas habilité pour répondre. Je ne peux que répéter ce qu'a dit notre Administrateur délégué en la matière : cela ne fait pas partie de notre gamme de produits stratégiques. La rentabilité est très forte dans ce domaine et, puisque nous ne pouvons pas en trouver une telle dans le domaine alimentaire, nous la conserverons, en tout cas pour l'avenir proche. Cela étant, ce n'est pas un axe de développement de Nestlé, je peux le confirmer.

Je ne sais pas si votre question était liée à la participation de Nestlé chez l'Oréal mais là encore la gestion est complètement extérieure à Nestlé France et à Nestlé en général. Il n'y a pas d'intégration de l'activité l'Oréal chez Nestlé. Il y a participation ; elle se fait à travers des Conseils d'administration, mais c'est tout.

Je reprends la troisième question, M. Salvagnac traitera de celle qui se rapporte à l'emploi.

Quelle raison Nestlé a-t-il de se développer en France ? Y a-t-il un moyen d'inciter un tel groupe à se développer davantage, par le biais de restitutions ou d'autres aides ?

Non, ce n'est pas en fonction des restitutions ou des aides que les décisions de Nestlé se prennent. Ce n'est pas pour autant que cela n'entre pas en compte dans la décision, mais nous nous considérons comme étant une société pérenne. Or une décision fondée sur une restitution ou une aide à court terme peut avoir des conséquences difficiles à gérer dans le long terme.

Nous ne souhaitons pas que les aides gouvernementales interviennent sur les décisions stratégiques, que sont justement les implantations d'usines et les nombreuses activités dans un pays. Puisque ce type d'aide existe, Nestlé, comme d'autres sociétés, demande à en bénéficier, mais ne souhaite pas que cela interfère dans les décisions stratégiques.

M. Claude SALVAGNAC : Concernant les aides à l'emploi, la réponse est un peu similaire. Pour nous qui sommes des industriels, l'emploi est un corollaire de la productivité et du développement du chiffre d'affaires. Quand il y a développement du chiffre d'affaires, il y a, très naturellement, un développement de l'emploi, ce qui se passe dans un certain nombre de nos branches. Dans d'autres cas, l'inverse peut se produire si nous ne sommes pas assez performants quant aux ventes et au développement de notre chiffre d'affaires.

Si des aides à l'emploi sont prévues et que nous pouvons en bénéficier, nous le faisons, mais nous ne sommes pas des chasseurs de primes. Nous n'allons pas chasser des primes pour mener une politique à court terme concernant l'emploi. Nous avons une politique à long terme, c'est le fondement de la stratégie de Nestlé. Quand nous pouvons obtenir des aides, nous les prenons, mais nous ne les recherchons pas systématiquement. Nous avons très peu de demandes concernant les aides à l'emploi.

M. Lars OLOFSSON : Permettez-moi de compléter ma réponse. Les facteurs qui entrent en compte pour décider d'un certain nombre d'implantations en France sont plutôt ceux qui permettent d'avoir une usine compétitive par rapport à d'autres pays.

En France, sommes-nous capables de créer des sites industriels compétitifs sur le plan européen ? Voilà le vrai critère. Plusieurs facteurs entrent en compte : la flexibilité des usines, la taxe professionnelle, le taux d'imposition

Les aides de l'Etat sont-elles susceptibles de gommer certains éléments non compétitifs ? Comme l'a dit M. Salvagnac, nous ne sommes pas des chasseurs de primes nous permettant d'optimiser nos décisions stratégiques. Les décisions stratégiques se prennent sur d'autres bases.

M. le Président : Oui, mais parallèlement vous dites que plusieurs critères entrent en ligne de compte pour le choix d'un site ?

Quel regard portez-vous, par exemple, sur la fiscalité locale ?

Cette question se pose au niveau européen, avec des territoires qui nous font directement concurrence comme la zone franche de Shannon en Irlande. Mais il peut en être de même de la compétition fiscale entre territoires français. Il serait intéressant de connaître votre avis de chef d'entreprise.

M. Lars OLOFSSON : La France est un très grand marché alimentaire, c'est le premier marché en Europe pour Nestlé. Bien évidemment, en tant qu'industriels, nous souhaitons que les usines soient proches du marché. Une usine ne se construit pas pour cinq ans, ce n'est pas une industrie comme la haute technologie, notamment l'informatique, dont la durée de vie va de six mois à cinq ans. Nous avons des usines qui existent depuis 1916 et 1919.

Tous les investissements concernant les usines sont chez nous à un horizon tel que nous ne le connaissons même pas. Il ne s'agit pas d'éléments de cours de change ; à une époque, ces derniers pouvaient fluctuer beaucoup, certaines monnaies étaient très faibles, en Espagne, en Italie. Beaucoup de sociétés s'implantaient dans ces pays pour bénéficier de ces cours de change. A présent, avec l'euro, cela n'existe plus.

Tout ce qui peut paraître ponctuel ne doit pas influer sur les décisions stratégiques, par exemple quand il s'agit d'implanter une usine dont la durée de vie sera de vingt à vingt-cinq ans. Par ailleurs, sachant qu'une bonne partie de la production va être consommée en France, nous souhaiterions plutôt avoir des matières premières françaises, les transformer et les vendre en France.

Cela étant, j'imagine que l'actionnaire, qui a le choix d'installer un site industriel dans un pays au lieu d'un autre, se laisse influencer par de gros écarts entre les pays. Pour l'industriel, ce n'est pas décisif.

Encore une fois, nous devons analyser si les usines françaises sont compétitives, c'est-à-dire si elles peuvent travailler la nuit, avoir la flexibilité nécessaire ou bien être soumises à des contraintes que d'autres usines n'ont pas à supporter ailleurs en Europe. Nous sommes dans l'alimentaire. Nous n'allons pas installer des usines dans les pays asiatiques ou dans les pays émergents où l'industrie alimentaire n'a aucune chance.

Nous pourrions aussi nous poser la question pour les pays de l'Est. Nestlé ne s'y implante que lentement parce que la main d'oeuvre n'est pas formée, que la logistique et le marché ne sont pas là, que les ventes s'effectuent plutôt en France qu'en Hongrie. Même s'il existait des facteurs favorables, ne serait-ce que sur le plan théorique, pour s'implanter dans les pays de l'Est, le résultat est là : il y a très peu d'usines alimentaires dans ces pays. En effet, d'autres facteurs très négatifs empêchent toute implantation.

Nous ne voulons pas être opportunistes en décidant de tirer profit, durant les cinq prochaines années, du fait que les coûts salariaux dans ces pays sont plus favorables qu'en France. Ce n'est pas ainsi que se gère une société qui a une optique à long terme.

M. le Président : Je partage votre opinion pour ce qui concerne votre secteur d'activité. Toutefois, dans celui des fruits, d'autres entreprises que la vôtre s'installent, de manière forte, dans les anciens pays de l'Est.

M. Lars OLOFSSON : Je ne dis pas qu'il n'y aura pas d'usines dans les pays de l'Est, nous en avons quelques-unes, mais elles s'installent progressivement ; notre intention n'est pas de nous tourner vers les pays de l'Est.

M. le Président : J'ai parlé tout à l'heure du resserrement sur vos secteurs d'activité. La question est relative au mouvement d'externalisations et à vos relations avec les sous-traitants.

M. Lars OLOFSSON : Nous avons différents types de sous-traitance. Nous ne nous situons pas au niveau de la première transformation. Toutefois, dans quelques domaines, nous y sommes étroitement liés : dans le domaine laitier, celui des pommes de terre, des tomates ; sur le plan international, cela peut être le café, le cacao, le poisson ; nous avons des usines de poisson de première transformation. Mais ce qui, pour nous, est très important pour la qualité finale du produit, ce sont les matières premières.

Donc, dans quelques domaines, nous avons un partenariat avec la première chaîne de transformation alimentaire, mais c'est l'exception. Dans celui du poisson, le groupe Nestlé a, en Norvège, cinq chalutiers pour garder son savoir-faire, mais ce n'est pas notre axe principal. Voilà pour la partie agricole.

Ensuite, nous faisons ce qui est aujourd'hui à la mode, qui consiste à externaliser, simplifier, dans certains domaines. Là, Nestlé n'est pas une exception flagrante, mais peut-être est-il un peu plus pragmatique. Ce n'est pas parce qu'il y a une mode que nous devons la suivre.

Toutefois, il est certain que si nous pouvons simplifier la gestion de la société, nous chercherons à le faire. En outre, il est clair que, dans plusieurs domaines, si nous externalisons, nous pouvons obtenir un meilleur service à un meilleur coût. En tant que société, nous ne pouvons pas tout faire, ni être spécialistes en tout, nous pouvons même stimuler les employés s'ils travaillent dans un autre secteur parce qu'il n'y a pas uniquement du travail pour Nestlé. Dans la mesure où le service est simplifié, les coûts améliorés, nous regardons, de manière pragmatique, ce qui peut être externalisé, sans pour autant avoir des projets sur un agenda. Il s'agit d'une gestion quotidienne, nous sommes très attachés à une amélioration constante.

Si vous regardez l'histoire et votre rapport, ne serait-ce qu'au-delà du marché français, vous entendrez rarement parler de grands bouleversements chez Nestlé. On n'en arrive là que lorsque la gestion quotidienne a été mauvaise. Voilà pourquoi nous avons une politique d'amélioration constante. Parfois, nous arrivons à une situation où nous devons fermer une usine ou bien nous pouvons trouver une meilleure solution et nous externalisons, mais ce n'est pas l'effet d'une mode. Notre mode de gestion est très "suisse". Cela ne va pas forcément très vite, mais cela avance sûrement !

M. le Rapporteur : Selon les documents en notre possession, votre rentabilité avoisine les 15 %.

M. Lars OLOFSSON : Je ne vous suis pas : 15 % de quoi ?

M. le Rapporteur : de rentabilité nette c'est-à-dire le résultat d'exploitation sur les immobilisations corporelles. 15 % est un bon niveau. Au-dessous de quel taux considérez-vous que des mesures sont à prendre ?

M. Lars OLOFSSON : Dès que nous avons une rentabilité sur les capitaux investis par l'actionnaire qui avoisine 15 %, nous sommes sur un niveau de rentabilité raisonnable.

Cela dit, à quel moment est-on dans un schéma qui serait peu intéressant pour l'actionnaire, car c'est bien ainsi qu'il faut le prendre ? Tout d'abord, c'est à lui qu'il appartient de juger. Si on se trouve en dessous de 15 %, on est dans une situation où l'actionnaire peut trouver une rentabilité équivalente en jouant sur les taux d'intérêt. Aujourd'hui, il faut regarder les primes que l'on doit payer sur les risques ; si l'actionnaire met de l'argent dans l'affaire, il y a une partie de risque. Quelle est-elle ?

C'est difficile à évaluer. Il est actuellement entendu qu'elle varie entre 5 à 7 %, ce qui est raisonnable. Si vous retirez les primes de risque, vous êtes à une rentabilité d'environ 10 % et il n'est pas nécessaire de placer de l'argent dans une affaire industrielle pour dégager, aujourd'hui, une rentabilité de 15 %. Dès que l'on atteint ce chiffre, la rentabilité paraît raisonnable au regard des capitaux investis. En dessous, l'actionnaire peut se demander s'il n'est pas préférable d'investir ailleurs. C'est donc l'actionnariat qui peut répondre à cette question et non pas moi.

M. le Rapporteur : Quelle est la structure de l'actionnariat de Nestlé par rapport à d'autres groupes ? Y-a-t-il des fonds d'investissements anglo-saxons ?

M. Lars OLOFSSON : A ma connaissance, le plus gros actionnaire chez Nestlé ne dépasse pas 3 %. Je ne l'ai pas vérifié, mais j'ai entendu dire que c'était une personne privée, française. Toutefois, il y a très certainement des fonds anglo-saxons chez Nestlé, le contraire serait étonnant.

M. le Rapporteur : Comment expliquer qu'ils ne soient pas, comme dans d'autres groupes, à des hauteurs très importantes ? Nestlé est pourtant une maison rentable.

M. Lars OLOFSSON : Nestlé est une action de bon père de famille.

M. le Rapporteur : C'est un groupe suisse !

M. Lars OLOFSSON : Tout à fait, effectivement cela joue. Il y a rarement de grandes descentes aux enfers, comme rarement il y a des flambées en Bourse. C'est plutôt une action qui suit l'index général. Si vous êtes investisseur, vous souhaitez faire mieux que le marché. Jusqu'à présent, Nestlé n'est pas une action gérée dans cette perspective.

M. le Rapporteur : Je vous suis assez bien mais voilà un groupe qui s'est lancé, depuis quelques années, dans l'acquisition de Perrier, de San Pellegrino. Qu'est-ce qui a conduit ce groupe tranquille, sérieux à s'engager tout à coup dans des opérations aussi lourdes ?

Est-ce la crainte de se heurter à une concurrence qui pouvait le mettre en difficulté ?

M. Lars OLOFSSON : Ce n'est pas la première fois que Nestlé rachète des sociétés. Je peux en retracer l'histoire ; il y a eu Buitoni, Davigel, Maggi, etc. En quelque sorte, c'est une évolution continuelle.

M. le Rapporteur : Nestlé est donc un groupe qui étend son périmètre par des acquisitions importantes.

M. Lars OLOFSSON : Il a suivi jusqu'ici une politique pour devenir ce que nous appelons une société alimentaire, présente dans la vie d'un homme, depuis la naissance jusqu'au troisième âge. Vous noterez que nous sommes présents depuis le «  baby food » jusqu'à quelques produits « cliniques », vendus en France sous plusieurs marques.

Pourquoi nous sommes-nous engagés dans le secteur des eaux minérales ? Nous savions que l'eau allait devenir de plus en plus importante ; nous sommes une société commerciale, nous voyons que le marché de l'eau minérale est en pleine progression, et notre analyse nous dit que cela va continuer ainsi. En France, actuellement, le marché ne flambe pas, mais la consommation est très importante. En revanche, dans d'autres pays, l'eau minérale, l'eau embouteillée plutôt, progresse. A partir de cela, Nestlé pense qu'il faut saisir cette opportunité et que l'eau minérale doit faire partie de son portefeuille de produits. La situation à Vergèze nous a ouvert la possibilité d'acquérir Perrier.

M. le Rapporteur : Dans un pays comme la France, vous procédez par acquisition plutôt que par extension, le marché étant saturé.

M. Lars OLOFSSON : Non, ce n'est pas juste. J'expliquais simplement comment et pourquoi Nestlé s'est engagé dans le domaine de l'eau minérale.

Pour ce qui est de Buitoni, nous pensons que les produits céréaliers, dans leur ensemble, auront un avenir plus important que le produit carné. En effet, il est plus économique de nourrir le monde avec des produits à base de céréale plutôt que de viande.

Nestlé a donc saisi la possibilité qui se présentait à lui d'acquérir la société Buitoni qui, à l'époque était dans le giron de Benedetti.

Des stratégies sont fixées. Nestlé souhaite être une société alimentaire par excellence, présente dans différents domaines. Ce n'est pas pour autant qu'elle va s'agrandir. A priori, nous sommes aujourd'hui dans tous les domaines souhaités. Toutefois, il n'est pas exclu que Nestlé se renforce dans tel domaine et ajuste, si les possibilités s'y prêtent, son portefeuille de produits, mais nous n'envisageons pas de gros changements dans les années qui viennent.

Quel est le moteur de Nestlé ? Il n'est pas d'acquérir des sociétés, ce qui est facile dès que l'on a les moyens financiers. En revanche, son vrai objectif est de développer ses marchés. C'est à travers le savoir de ses hommes, la position de ses produits et de ses marques qu'il doit faire en sorte que le marché se développe afin de bénéficier ainsi de ce développement.

Voilà le vrai moteur de Nestlé, mais il faut mettre de l'ordre dans la maison. A présent, nous sommes dans les domaines souhaités, fixés il y a quelques années.

M. le Rapporteur : Comment voyez-vous vos relations avec la grande distribution ? Comment prévoyez-vous son évolution ? Comment pensez-vous pouvoir lui résister ?

M. Lars OLOFSSON : Cela ne peut que s'améliorer !

M. le Rapporteur : Comment pensez-vous pouvoir résister aux pressions exercées sur les prix, le référencement et autres ? A partir de ces pressions exercées par la grande distribution, quelles sont les répercussions sur vos propres fournisseurs ?

M. Lars OLOFSSON : Vous souhaitez connaître quelles sont nos relations avec nos clients.

J'ai eu les mêmes fonctions que j'exerce en France dans d'autres pays, scandinaves notamment, je connais donc bien la question et je peux vous dire que la situation en France est très particulière, pour ne pas dire atypique. Pour la distribution, elle est toujours dans une situation dans laquelle se trouvait le marché ailleurs il y a des années.

Les relations sont conflictuelles car nos clients veulent acheter moins cher plutôt que de vendre davantage.

Dans le temps, cela s'améliorera car cette situation n'est pas tenable. Par ailleurs, je sens une évolution : alors que la distribution a lontemps été contrôlée par des sociétés familiales, elle est aujourd'hui composée de groupes cotés en Bourse, qui ont un autre mode de gestion et d'autres dirigeants. Je note cette évolution qui, malheureusement, ne se traduit pas encore dans les relations quotidiennes.

Nous subissons de fortes pressions. Que pouvons-nous faire en tant qu'industriels ? Le premier réflexe est de fabriquer les produits demandés par les consommateurs.

Je reviens au véritable objectif de Nestlé qui est de développer ses produits à travers ses marques et donc leur qualité elle-même. Une fois notre devoir accompli dans ce domaine, le deuxième objectif d'un industriel est d'être le plus compétitif possible, c'est-à-dire d'avoir les coûts les plus bas possibles, à la fois sur le marché français et au niveau européen. Si nous arrivons à avoir le meilleur produit et la meilleure compétitivité, nous serons la société qui s'en sortira le mieux. En conséquence, nos concurrents auront plus de mal s'ils n'ont ni les mêmes produits ni les mêmes coûts que nous.

Ma tâche quotidienne est de veiller à avoir les meilleurs produits, la meilleure marque, le meilleur marketing et de faire en sorte que notre organisation soit la plus compétitive.

Je sais fort bien qu'un dirigeant d'une autre société dira la même chose. Nous sommes dans une situation qui n'est pas complètement saine pour ce qui est des relations industries/distributeurs.

M. Alain COUSIN : Qu'est-ce qui explique que les relations ne soient pas très saines - je partage votre sentiment - entre la grande distribution et le monde industriel français par rapport au reste de l'Europe ?

M. Lars OLOFSSON : Trois hypothèses :

      · Ce sont souvent des sociétés familiales, qui ont une autre façon de voir les affaires. Nous sommes plus proches de la Bourse qu'une société qui voit cela à plus long terme.

      · Nous sommes dans un pays latin, donc la négociation est un peu plus dure.

      · La France a fait naître, pour de nombreuses raisons, le grand commerce, les hypermarchés. Elle conjugue cet effet de taille avec la culture de négociation.

Aujourd'hui, une chaîne de distribution a un pouvoir de négociation très important. Etant données cette histoire et cette culture, elle ne cherche pas à voir comment vendre plus. En fait, elle a plus de plaisir à obtenir des rabais et des ristournes qu'à voir ses ventes progresser.

Ce sont des hypothèses très personnelles, il y a certainement d'autres facteurs qui interviennent.

M. le Président : Un dernière point. Puisque la composition du capital du Groupe Nestlé présente une certaine originalité qui ne correspond pas vraiment à ce que nous avons pu observer jusqu'à présent dans d'autres groupes nationaux, pourriez-vous nous faire une communication à ce sujet ?

M. Pierre PERRIN : Je pense pas que ce soit aussi atypique que vous le dites.

Quels sont les pays ou les institutions - il y en a peu - qui détiennent le capital ? Les informations sont disponibles pour notre maison-mère qui détient Nestlé France à 100 %.

Il existe une composition géographique, et par type : les institutionnels, les personnes privées, etc..., elle est publique, mais je ne l'ai pas apportée avec moi.

M. le Président : Pourriez-vous nous la fournir ?

M. Pierre PERRIN : Je vais vous la donner, mais je ne crois pas qu'elle soit très différente de celle que l'on peut trouver dans d'autres groupes.

M. le Président : Nous voyons, à l'heure actuelle, un véritable bouleversement du paysage des structures des groupes, notamment avec l'arrivée des fonds de pension, mais aussi avec la participation forte d'institutionnels et un net affaiblissement de la participation des petits porteurs privés.

Comment échappez-vous à ces évolutions ?

M. Pierre PERRIN : Il n'y a pas de mécanique de protection. Elle a existé, d'autres groupes français l'ont eue aussi mais il n'y en a plus.

Il faut dire que notre capital est ouvert depuis beaucoup plus longtemps que celui de la plupart des groupes français. Nous sommes internationaux, 2 % de notre chiffre d'affaires est réalisé dans le pays d'origine. Il ne faut pas oublier que notre fondateur était allemand. Il y a cent ans, il avait déjà des usines dans trois pays.

Je vous enverrai le document dès que je l'aurai. Mais, encore une fois, nous sommes très internationaux et depuis très longtemps, ce qui, probablement, explique le fait que nous ne présentions pas un caractère spéculatif. Je reviens aux propos de notre Président qui disait que c'était une action de père de famille, une action de fonds de portefeuille, ce n'est pas un titre qui s'achète ou se vend sans cesse.

Audition des syndicats
Audition de Mme Jocelyne BANFI,
Déléguée syndicale de la CFDT,

Mle Anita BINACCHI et M. Jean-Pierre RIBOUT,
Délégués syndicaux de la CGT,

MM. Jean-Pierre BURDIN,
Délégué syndical de la CFTC,

Jean ROSSI et Philippe CRENO,
Délégués syndicaux de FO et

François SANSON,
Délégué syndical de la CGC

chez NESTLE FRANCE SA

(extrait du procès-verbal de la séance du 10 mars 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

Mme Jocelyne Banfi, Mle Anita Binacchi, MM. Jean-Pierre Burdin, Philippe Créno, Jean-Pierre Ribout, Jean Rossi et François Sanson sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Jocelyne Banfi, Mle Anita Binacchi, MM. Jean-Pierre Burdin, Philippe Créno, Jean-Pierre Ribout, Jean Rossi et François Sanson prêtent serment.

Mme Jocelyne BANFI (CFDT) : Je ferai deux remarques sur le rapport et passerai ensuite à mon exposé.

La première remarque concerne la « moyennisation » des chiffres qui ne rend pas compte des extrêmes. Je voudrais signaler que, pour ce qui est des emplois précaires, notamment des intérimaires, l'une de nos sociétés, la SPAC, compte, sur 120 à 130 salariés, 40 intérimaires, voire plus. Parfois, il y a dans l'usine plus d'intérimaires que de personnels en CDI !

Je pense donc qu'il y aurait une action à mener contre l'abus d'emplois précaires au sein des groupes. Nous demandons pour notre part la réduction de la précarisation.

On voit ensuite, à travers les chiffres qui ont été donnés, que la politique de l'entreprise ne favorise pas assez l'égalité entre les sexes. Ce débat est d'actualité. Il faut signaler que, dans une société du groupe Nestlé consacrée aux produits laitiers frais qui compte 1 300 personnes, il y a une femme pour trois hommes. Les dernières embauches faites dans cette entreprise montrent l'absence de volonté de renverser la tendance : à Andrézieux, 8 hommes ont été recrutés sur 8 embauches et, dans l'autre site, il y a eu 12 femmes sur 35 embauches. Je pense que la direction suit manifestement une volonté de « masculiniser » son personnel.

On a observé, au travers des bilans, qu'ils soient nationaux ou européens, que Nestlé, tout comme les autres entreprises, cherche à optimiser ses bénéfices. Il y a des problèmes de rentabilité vis-à-vis des actionnaires et, bien évidemment, tous les moyens sont bons pour l'améliorer.

Pourtant, nous avons le sentiment que le groupe n'est pas régi par une forme de capitalisme sauvage. En ce qui concerne, par exemple, les relocalisations, énormément de sociétés profitent de l'aubaine des fonds européens pour fermer un établissement dans un pays, aller s'installer en Écosse et profiter des aides qui y sont versées.

A notre connaissance, Nestlé n'a jamais agi de la sorte. Mais, depuis plusieurs années, le groupe optimise son outil industriel, et la restructuration de son parc intègre une logique de moindres coûts : réduction des effectifs, regroupement des lignes de fabrication afin de spécialiser les usines, optimisation, voire saturation, de ces lignes de production. La dernière restructuration en cours, celle de Nestlé produits laitiers frais, qui portait auparavant le nom de Chambourcy, en est l'illustration. Après la restructuration, la saturation des usines sera à 73 % ce qui, aux dires de Nestlé, nous ramène au niveau de ses principaux concurrents, notamment Yoplait.

Lors de ces fermetures, cessions ou restructurations, un certain nombre de mesures ont été prises, soit spontanément par l'entreprise, soit sous la pression des représentants du personnel. On s'aperçoit maintenant, que, en cas de fermetures d'usines - comme à Carbon-Blanc -, les salariés ne veulent plus aller travailler sur un autre site alors qu'on leur offre systématiquement des postes dans les autres usines du groupe. C'est une proposition qui n'est plus acceptée par les salariés parce qu'ils se sont aperçus qu'avec les fermetures successives, ils se déplaçaient dans une usine qui était aussi condamnée à court terme.

La politique de l'entreprise consiste désormais à rechercher un repreneur afin que les salariés restent sur le site. On l'a vu avec Carbon-Blanc, et c'est apparemment la solution demandée à Bricquebec.

Un comité central d'entreprise a eu lieu récemment ; la décision n'a pas encore été prise, mais c'est de toute façon la priorité de Nestlé. Le problème est qu'il faut maintenant trouver un repreneur crédible, point sur lequel nous insistons.

Une initiative a également été prise par la direction dans le cadre des restructurations : elle a mis en place un fonds d'insertion au moment du troisième plan social chez France Glace Findus, fonds d'insertion doté de 10 millions de francs qui était géré par un salarié du groupe, destiné à développer les emplois sur les deux sites qui étaient touchés par les restructurations, Beauvais et Boulogne. Cette initiative a été intéressante en ce sens que les entreprises locales ont été aidées, que des implantations ont été favorisées dans les deux localités sinistrées, et qu'ont aussi été soutenues les entreprises qui reprenaient d'anciens salariés de l'usine en finançant pendant trois ou quatre mois les charges sociales. Cela a permis de participer à la reconversion de ce personnel.

En ce qui concerne la mise en place des structures européennes puisque nous sommes dans un groupe européen, international même, et pour ce qui concerne nos usines et notre champ d'action, la restructuration de Nestlé ne s'opère plus intra muros au niveau national, mais au niveau européen. C'est à ce niveau qu'il faut donc exercer un contre-pouvoir dans les instances représentatives parce que, si nous nous limitons à l'hexagone, la stratégie d'ensemble nous échappe et nous sommes quasiment impuissants.

Ce comité européen est une instance qui est jeune. Il fonctionne réellement comme comité européen depuis deux ans et se heurte à plusieurs handicaps :

C'est d'abord un comité qui n'a pas de moyens, c'est-à-dire que le fait d'en être membre ne se traduit pas par la disposition d'heures de délégation.

C'est un comité qui n'a pas non plus de budget : il est donc impossible de procéder à des études, des enquêtes.

De plus, nous rencontrons - et c'est le plus gros problème - des difficultés linguistiques. Lorsque le comité est réuni en session plénière ou en session préparatoire, nous avons des traducteurs mais, lorsque nous retrouvons pendant les pauses, nous sommes incapables de communiquer.

Ce comité européen compte 51 membres représentant 16 pays avec des cultures syndicales et des pratiques totalement différentes. Il faut bien dire aussi que certains des membres de ce comité y sont envoyés sans vraiment connaître le dossier Nestlé et font de la figuration. Sans vouloir dénoncer qui que ce soit, certains n'avaient été nommés que quelques jours auparavant et connaissaient à peine l'entreprise. Il faut donc absolument que ces structures se professionnalisent.

En tant que membres de la Fédération de l'agro-alimentaire de la CFDT, nous avons étudié le fonctionnement de ces comités européens parce qu'il y en a énormément dans le domaine de l'agriculture, et nous nous sommes aperçu que, lorsqu'ils étaient tenus avec des représentants du personnel syndiqués, ils fonctionnaient nettement mieux que quand leurs membres étaient des indépendants. Il faut qu'il y ait une structure syndicale pour que l'utilisation de cette instance soit optimisée.

Et dans la mesure où il faut absolument que le comité européen fonctionne, il serait bon d'obliger ces grands groupes ou ces entreprises européennes, voire mondiales, à créer une structure européenne et à la doter de moyens, sinon la directive demeure sans portée réelle. Cela pourrait constituer une condition à l'octroi d'aides.

Une autre chose que je souhaiterais également souligner dans ce dossier, c'est le respect des dispositions relatives à la protection de l'environnement. Ces groupes ont de gros sites industriels, d'importantes unités de production, et sont toujours inévitablement pollueurs.

Nous nous sommes aperçu que le groupe Nestlé menait une politique raisonnable dans ce domaine. Je citerai l'exemple de l'usine de crèmes glacées de Beauvais, où est installée depuis vingt ans une station d'épuration, qui retraite les eaux usées d'une ville de 60 000 habitants - c'est plus ou moins la population de Beauvais -, ce qui veut dire que le groupe avait pris en compte ce problème.

Il y a également chez Nestlé une personne spécialement chargée de l'environnement dont le souci constant est de diminuer le poids des emballages de manière à moins polluer. Le groupe suit donc un code de bonne conduite qui lui fait honneur.

Au-delà de ce domaine, nous souhaiterions obtenir une disposition contraignante pour les entreprises transnationales qui les obligerait à négocier un accord de bonne conduite général fondé sur trois objectifs :

- le non-recours au dumping social comme critère de relocalisation des sites et des hommes ;

- l'amélioration des conditions de négociation de l'évolution des groupes afin d'arriver à éviter tout licenciement, ce qui implique d'anticiper les restructurations et nécessite information, reconversion et formation. Nous considérons qu'il est impossible de négocier correctement une fermeture d'usine ou une délocalisation si on n'a pas du temps devant soi. Je citerai l'exemple de Carbon-Blanc où l'usine a été fermée le 31 décembre 1997, soit deux ans après sa création. En 1995, l'entreprise Nestlé avait déjà déposé les statuts de la société Carbon-Blanc SA, et c'est sous ces mêmes statuts que cette usine a été cédée à un repreneur. En fait, les représentants du personnel que nous sommes n'ont été avertis que deux ans après. Nous considérons qu'il y a eu là un manque de dialogue manifeste ;

- la mise à la disposition du groupe et des partenaires sociaux des moyens de contrôler la bonne application des droits sociaux fondamentaux dans tous les États où Nestlé est implanté, c'est-à-dire l'interdiction du travail des enfants et le respect des droits sociaux des travailleurs.

M. François SANSON (CGC) : Si nous sommes d'accord avec le fait que Nestlé fasse des bénéfices avec ses nombreuses activités, il nous paraît impensable que les bénéfices en question ne profitent pas aux salariés, à l'emploi et au pays en général.

De surcroît, si un groupe comme le nôtre profite d'aides publiques, directes ou non, il doit apporter des contreparties au pays qui les lui accorde.

Or, il nous apparaît que Nestlé France n'assume pas, ou insuffisamment, ses responsabilités. En cela, le groupe ne fait que suivre les orientations des branches patronales de l'agro-alimentaire, telles la Fédération Nationale des Industries Laitières et l'ALLIANCE 7 (associant sept branches du secteur), qui sous couvert de réduction du temps de travail selon la loi Robien et la loi Aubry, cherchent à faire disparaître des Conventions Collectives la plupart des dispositions favorables aux salariés et, surtout, aux Cadres.

Dans la négociation sur les 35 heures, Nestlé demande seulement que leur application ne se traduise pas par un surcoût, mais affirme, que les avantages acquis seront maintenus.

Dans le domaine fiscal, le groupe Nestlé ne paie plus d'impôt sur les sociétés depuis 1992, grâce à l'intégration fiscale réalisée au niveau de Nestlé Entreprise. En effet, ayant racheté Perrier (12 milliards de francs) fin 1992, le groupe déduit 300 à 500 millions de francs de frais financiers, chaque année, de son bénéfice et échappe ainsi à l'imposition. L'amendement que M. Charasse, avait proposé lors de la discussion de la Loi d'intégration fiscale, aurait pu empêcher des rachats par ce système.

Parallèlement, nous assistons à des fermetures d'usines en France ; le secteur laitier est extrêmement touché depuis des années. Le groupe semble se désengager de ce secteur, qui n'est plus assez rémunérateur. Nous sommes donc très inquiets pour ce qui reste des usines laitières et, surtout, pour celles qui se situent à l'ouest du Pays.

Nestlé France externalise ou maintient en sous-traitance des services tels que le nettoyage, la restauration, la maintenance et l'assistance informatique ou le service consommateurs. Le résultat en est une dégradation de la qualité des produits - ou services - et un abaissement des conditions de travail et de rémunération (Conventions Collectives moins favorables). Le personnel ainsi transféré dans des PME à faibles marges est surchargé de travail, son emploi devient précaire et il finit par le perdre.

Pour nous, le travail de la Commission d'Enquête est extrêmement précieux car il devrait permettre d'avoir une vue plus claire afin d'ajuster les Lois pour combattre les agissements anormaux des grands groupes qui, sans cela, par leur puissance internationale, échappent à l'esprit de la loi de chaque pays, même s'ils semblent l'observer à la lettre.

Je voudrais aussi apporter quelques rectifications aux informations contenues dans le document que vous nous avez remis. La plus importante concerne les marges, car il est expliqué que les charges d'exploitation de Nestlé France sont présentées par fonction (achats, marketing, distribution) et non par nature (matières premières, etc.) et qu'il n'est donc pas possible d'isoler ces différents postes par nature.

Je suis très étonné qu'on en arrive à ces conclusions parce que Nestlé a acheté à grands frais un logiciel, paraît-il extrêmement performant, qui s'appelle SAP et permet, par les modules de comptabilité analytique qui lui sont adjoints, de faire une analyse très précise des résultats et l'agrégation des charges par nature. Le groupe aurait donc a priori des moyens tout autres que ceux que le rapport mentionne.

Un peu plus loin, on parle « des lourdes charges exceptionnelles de Nestlé ». Mais elles correspondent en fait, à des fermetures d'usines et à des réductions d'activité. Nous souhaiterions, à l'avenir, que Nestlé « se prive » de ces charges et renonce à s'en créer de nouvelles du même type !

Je ne reviens pas sur la convention d'intégration fiscale qui existe depuis 1992 et qui a déjà été évoquée. Elle permet une économie d'impôt de 300 à 500 millions par an.

Par contre, je voudrais revenir sur le point de la formation. On peut s'interroger sur le fond des problèmes de formation parce qu'on voit installer de plus en plus du matériel, toujours plus complexe - matériel informatique, machines de conditionnement, machines de fabrication - qui nécessite la formation des pilots. Les fournisseurs assurent la formation accompagnant la machine et le tout est compté comme une action de formation entrant dans le cadre de l'obligation légale. Or, il ne nous semble pas que ce soit une formation qualifiante, mais une simple adaptation à l'outil. Il serait donc nécessaire d'être vigilant sur le contenu de la formation.

M. Jean-Pierre RIBOUT (CGT) : En ce qui concerne les délocalisations, il est certain qu'un groupe comme Nestlé ne rayonne pas uniquement sur le territoire national mais sur toute la planète. Nous avons affaire au premier groupe industriel mondial dans le domaine du lait.

Nous connaissons aujourd'hui des restructurations qui entraînent soit la disparition de parties d'usines, reprises par des entreprises extérieure comme à Carbon-Blanc dans le domaine des produits frais, soit des fermetures d'usines, y compris en région laitière, comme à Carentan.

Nous vivons aussi une deuxième fermeture d'usine dans le Cotentin sur le site de Bricquebec. Sont également opérés des transformations d'usines laitières comme à Rumilly, dans les Alpes, il y a quelques années, et de nombreux plans sociaux visant à diminuer les effectifs d'autres usines laitières situées dans l'Aisne et les Ardennes, comme à Boué et Challerange.

Les délocalisations se font essentiellement vers l'hémisphère sud, c'est-à-dire que Nestlé quitte la France et, parallèlement, réinvestit, toujours dans le lait, mais, dans l'hémisphère sud. C'est là un problème énorme puisque l'avenir de toute l'industrie laitière est menacé. On constate le désengagement de Nestlé de cette industrie, notamment en France. Le groupe ne cesse de racheter des sociétés dans l'hémisphère sud parce qu'il y trouve du lait à des prix défiants toute concurrence et une main d'oeuvre bien évidemment dépourvues de droits sociaux.

M. Alain COUSIN : En Australie ?

M. Jean-Pierre RIBOUT (CGT) : En Australie, mais aussi en Amérique du Sud, en Afrique du Sud.

S'opère donc actuellement un désengagement du capital de l'outil industriel en France au profit d'autres conquêtes à l'extérieur.

S'y ajoutent des externalisations d'activités. Comme tous les grandes groupes, nous vivons un certain nombre d'externalisations dans le domaine de la logistique, qui vont entraîner des fermetures d'établissements - la dernière en date a eu lieu à Rennes -, et conduire à des compressions d'effectifs majeures, ainsi qu'à des transferts de personnel avec des changements de statuts sociaux.

Le problème de l'insuffisante modernisation des filiales, dans le domaine de l'agro-alimentaire, concerne certes le produit et l'outil industriel mais aussi la marque. Le métier de Nestlé, c'est bien le marketing, la publicité, et cela lui donne un pouvoir considérable sur l'abandon de produit. Il y a quelques années, Nestlé a choisi de sacrifier la marque Gloria et n'a pas fait de publicité pendant sept à huit ans, si bien qu'aujourd'hui, le consommateur n'en achète plus ; l'usine doit être fermée.

Un désinvestissement est donc réalisé sur tel et tel produit : au nom d'une politique mondiale complètement ignorée des instances représentatives, qu'elles soient d'ailleurs européennes ou nationales, Nestlé a le pouvoir de se retirer de certaines parties du marché. Même si c'est un produit qui se vend bien en France, le groupe peut choisir de se désengager de ce marché uniquement en ne modernisant pas suffisamment certaines marques. Nestlé en possède en effet 8 000 et sa stratégie actuelle de globalisation mondiale le conduit justement à ne se recentrer que sur quelques marques qui peuvent être développées dans tous les pays du monde.

Depuis 1992, Nestlé bénéficie de la convention d'intégration fiscale, ce qui est un scandale. Malgré sa richesse et les énormes profits que fait cette entreprise, elle n'a pas payé un centime d'impôt en France depuis 1992 alors que onze de ses douze filiales alimentaires sont bénéficiaires. Cet artifice lui a permis de racheter Perrier aux frais du contribuable français.

Simultanément, nous subissons des plans sociaux à répétition depuis 1992. Le rapport que vous nous avez remis montre bien que les résultats du groupe s'améliorent au rythme des suppressions d'emploi.

Les redevances et les droits de marque à verser à la maison-mère suisse constituent un autre problème. Nestlé France doit payer 450 millions de francs par an de redevances, ce qui représente pratiquement autant que les résultats des sociétés. Cela fait partie des charges de l'entreprise qui échappent totalement à l'impôt et se trouve considéré comme une charge d'exploitation.

Nous avons quelques propositions à vous soumettre pour limiter ces abus.

A l'heure du grand débat national sur le temps de travail, il nous semble nécessaire qu'une loi réduise le temps de travail tout en ne pénalisant pas les revenus des salariés. Dans le cas contraire, cela irait à l'encontre du métier que nous faisons et des produits que nous vendons en entraînant une baisse de la consommation. Il faut donc absolument que la diminution du temps de travail se fasse sans perte de salaire, et au moyen d'une loi stricte afin d'éviter ce à quoi nous assistons aujourd'hui, au niveau des négociations d'entreprise, à savoir une perte considérable d'acquis sociaux qui touche tous les secteurs des conventions collectives, et qui risque d'être finalement désastreuse.

Deuxièmement, une gestion prévisionnelle de l'emploi doit absolument être mise en place. Le code du travail le permet actuellement grâce à l'article L.432-1-1, mais qui n'est pas appliqué, c'est-à-dire que nous sommes bien souvent confrontés à des plans sociaux alors que la fermeture est en cours, que des résultats catastrophiques sont déjà enregistrés depuis deux ou trois ans et qu'il aurait fallu adopter dès le départ des mesures incitatives pour développer des formations de façon à ce que les salariés ne se retrouvent pas au chômage sans qualification et dans l'incapacité de retrouver un emploi.

En ce qui concerne la documentation remise aux instances représentatives du personnel lors des plans sociaux, des restructurations et des fusions, elle est insuffisante voire inexistante. Nous devons nous battre pour obtenir l'information économique. La loi a bien prévu l'examen des comptes annuels et dresse la liste des documents qui doivent être remis aux syndicats à cette occasion. Si elle était respectée, il n'y aurait pas de problème : les cabinets d'expertise sont capables d'en dégager des informations cohérentes et intéressantes pour nous.

Mais, dans le cadre des plans sociaux, la direction refuse souvent de nous communiquer les informations nécessaires. Nous vivons cela de manière très douloureuse et cela nous empêche d'aborder ces plans sociaux de façon cohérente.

Dernier point : nous pensons qu'il faut renforcer les droits, non pas forcément à travers les instances représentatives, mais à travers les organisations syndicales. Il y a actuellement trop de disparité - nous le constatons au niveau des comités européens - quant au droit national. Nous souhaitons donc que les comités d'établissement ou les comités centraux d'entreprise soient dotés d'un droit de recours suspensif afin de permettre justement que les projets qui mettent en cause l'emploi lors des fusions ne soient pas réalisés sans que le comité puisse intervenir.

M. Philippe CRENO (FO) : Les effectifs du groupe Nestlé se sont nettement dégradés en Europe entre 1992 et 1997. Ce recul est dû à des cessions, des restructurations et des fermetures de sites.

Si nous prenons en compte l'année 1997, il y a eu disparition de 60 % des effectifs au niveau de la production et de 40 % au niveau de l'administration et des ventes, ce qui fait 6 495 personnes au total sur 1997 : 3 897 en production et 2 598 en administration et vente. C'est assez impressionnant au niveau européen.

Les effectifs totaux du groupe Nestlé France ont reculé de 12,3 % de 1993 à 1998, et on peut constater sur la même période une baisse pour les usines de 11,6 %, un peu moins que sur l'ensemble administration et ventes.

Nestlé France touche des aides diverses : aides à l'apprentissage, contrats de qualification, allocation temps partiel et contrats initiative-emploi. Nestlé a perçu, de 1993 à 1998, 17 547 000 francs à ce titre. Ce chiffre nous semble énorme compte tenu du fait que le groupe reconnaît la nécessité des contrats de qualification pour les jeunes mais ne s'engage absolument pas à les employer définitivement dans l'entreprise, ce qui est absolument insensé.

D'autres phénomènes nous semblent aussi un peu aberrants tels que l'augmentation des dividendes des actionnaires, qui s'opère au détriment des effectifs et donc du personnel et des emplois.

De 1990 à 1996, les CDD sont passés de 0,9 % à 4,5 % chez Herta, une des sociétés du groupe particulièrement touchée par ce phénomène. La moyenne pour le groupe était de 3,7 % en 1994 et 9,2 % en 1996. On constate donc que l'emploi précaire chez Nestlé est un phénomène de plus en plus marqué.

De même, le nombre d'intérimaires était, en 1990, de 182 pour onze jours moyens de mission ; en 1996, il est de 423 sur six jours en moyenne. Les durées de mission sont donc très faibles.

L'analyse de l'effectif de Nestlé France conduit à retenir deux chiffres : en 1996, il était de 13 293 personnes ; en 1997, il passe à 13 000 personnes, sachant qu'à l'intérieur de ces chiffres, étaient incluses environ 600 personnes en CDD en 1996, ce qui est énorme par rapport à la proportion antérieure. On constate donc, d'année en année, une perte d'effectif.

Nous avons essayé de trouver des moyens pour contrôler nous-mêmes, représentants de formations syndicales, les chiffres au sein de l'entreprise.

Je pense qu'il serait important pour nous d'exercer un droit de regard sur le cahier des entrées et sorties du personnel, sans avoir accès, bien sûr, à la vie de ces personnes, mais afin d'être en mesure d'en contrôler l'entrée et la sortie pour en connaître le nombre exact, car la société Nestlé nous donne souvent des chiffres plus ou moins flous et incontrôlables. On ne peut pas réellement savoir ce qui se passe sur une période précise dans cette entreprise.

Dans le cas notamment de Spillers, qui est un rachat du groupe, nous avons constaté une évasion de personnel entre le mois d'octobre, date où le personnel Friskies était encore sous l'égide de Nestlé France, et les mois de janvier et février, lors du contrat de Spillers : une centaine de personnes avaient disparu entre ce deux dates.

D'autre part, Nestlé effectue des licenciements individuels de manière à éviter certains plans sociaux. Ces personnes se retrouvent ainsi directement au chômage. Comment pouvons-nous éviter cela ?

Il est déjà nécessaire d'exercer des contrôles en matière d'entrées et de sorties du personnel, c'est-à-dire au moins de connaître le nom et les fonctions des personnes qui rentrent et qui sortent de notre entreprise. C'est un paramètre qui peut être mesurable. Or on ne peut pas le faire actuellement.

M. Jean-Pierre BURDIN (CFTC) : Après tout ce qui a été dit, je vais essayer d'être assez bref en revenant sur un point bien précis qui est le désengagement du groupe Nestlé en France de ses activités annexes. Un exemple, entre autres, que j'ai personnellement vécu, celui de la distribution : il y a quinze ans environ, la distribution représentait en France huit établissements-entrepôts pour un effectif d'environ 800 personnes.

On a commencé par supprimer le parc automobile, c'est-à-dire des chauffeurs et des camions, sous prétexte de rentabilité. Cette activité a donc été confiée à des transporteurs et les chauffeurs de Nestlé ont disparu peu à peu. Il y a eu ensuite un regroupement des activités dans trois centres sur les huit, ce qui a donc entraîné cinq fermetures.

Suite à ce regroupement des centres, Nestlé a décidé, il y a maintenant quatre ans, de regrouper tous les services administratifs dans deux sites, l'un situé à Noisiel et l'autre à Lyon, et de confier le reste de l'activité, qui représentait une activité de commande, à des prestataires de service, si bien qu'il ne reste plus qu'une quarantaine de personnes appartenant au groupe Nestlé, dont 19 sont détachées chez le prestataire et 20 à Lyon qui ne vont certainement pas y rester longtemps.

On voit par là que Nestlé n'entend pas garder des activités autres que celles qui concernent strictement la fabrication alimentaire et la gestion de cette fabrication.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous donner des précisions sur le fonds d'insertion dont vous avez parlé au début, à propos de la reconversion des personnels, et sur ses modes de financement ?

Il a également été question de blocage de décisions. Seriez-vous favorable à un pouvoir de blocage pour un comité central ou un comité européen, face à une proposition remettant en cause un des sites, au moins tant que les éléments auxquels vous faisiez allusion tout à l'heure ne vous auraient pas été donnés ? Y seriez-vous favorables s'il apparaît éventuellement que la suppression du site ou son évolution dans un sens négatif seraient uniquement liées à des procédures qui auraient mis ce site en difficulté de façon volontaire ou au fait que sa rentabilité au sens capitaliste du terme ne serait pas jugée suffisante ?

Il a été question du désengagement du groupe du secteur laitier. Serait-il possible d'y revenir aussi, ainsi que sur ce qui concerne le réinvestissement dans l'hémisphère sud ? Il nous a été dit hier soir qu'on ne faisait pas voyager ces produits à travers le monde, que ce soit l'eau ou les produits laitiers, et qu'ils sont fabriqués à proximité des zones d'approvisionnement d'une part, et de consommation d'autre part. Je ne suis pas opposé au fait d'aller investir en Australie, en Nouvelle-Zélande ou ailleurs - les habitants de ces pays ont probablement besoin, eux aussi, de produits laitiers - pour autant, évidemment, que cela ne porte pas préjudice à l'activité dans notre pays. Nous serons tous assez facilement d'accord là-dessus. Pensez-vous que ces implantations à l'étranger aient été réalisées dans l'objectif d'importer en Europe un certain nombre de produits fabriqués dans ces pays ?

Nestlé fait-il partie de ces groupes qui, de façon plus ou moins officieuse, disposent d'entreprises fournissant des travailleurs intérimaires ?

M. Jean-Pierre BURDIN (CFTC) : Je voudrais vous répondre sur ce qui concerne le lait et la production dans l'hémisphère Sud. Siégeant moi-même à la commission de l'industrie laitière, je peux vous éclairer sur ce point.

A l'heure actuelle, le lait voyage très bien d'un hémisphère à un autre, et on assiste, justement en Nouvelle-Zélande ou en Amérique du Sud, à des transformations de la production dans des fermes quasiment industrielles de 3 000 à 4 000 têtes de bétail, où le lait, après la traite des vaches, est transformé immédiatement en lait en poudre par des unités mobiles, et ce lait en poudre arrive directement en Europe pour entrer dans la fabrication d'aliments secondaires tels que la pâtisserie ou les entremets. Le lait peut donc maintenant très bien voyager et certaines productions de lait en poudre chez Nestlé vont quasiment disparaître.

M. Jean-Pierre RIBOUT (CGT) : Je crois qu'une intégration fiscale qui a pour but d'apporter une aide fiscale à un industriel qui veut investir est acceptable, mais le mécanisme actuel est anti-concurrentiel ; il fausse le jeu de la concurrence parce que l'ensemble des PME n'a pas, par définition, accès à ces avantages alors que ce sont souvent elles qui innovent, créent de nouveaux produits et devraient donc être aidées. L'organisation de Nestlé en France est complètement organisée autour de l'intégration fiscale.

Il est acceptable qu'on puisse déduire des pertes et des charges d'exploitation dans un compte de résultat, mais pourquoi vouloir déduire des charges financières qui servent à racheter des sociétés si ce n'est pour en faire profiter justement les grands groupes ?

Il y a donc là un mécanisme pervers qui pénalise finalement l'emploi puisqu'on sait justement que le secteur des PME est créateur d'emplois. Il nous semble aberrant que l'intégration fiscale soit maintenue sous sa forme actuelle.

M. le Président : Une fois que l'analyse sera faite de ces abus et sur les conséquences qu'ils peuvent avoir, que nous pourrons proposer de modifier la législation fiscale sur ce point, tout en évitant que les entreprises qui sont sur notre territoire ne se retrouvent pénalisées par rapport à leurs concurrentes ?

Mme Jocelyne BANFI (CFDT) : Exactement comme pour la représentation du personnel, il faut élaborer ce régime fiscal au niveau européen, sinon les entreprises se délocaliseront vers les autres pays et fuiront vers l'Est, ce qui commence déjà à se produire.

M. François SANSON (CGC) : Sur le plan de l'intégration fiscale, on a vu à plusieurs reprises qu'il y avait un volet positif et un volet négatif. Le volet positif est d'autant plus intéressant qu'il permet de ne pas faire fuir les entreprises, comme vous l'avez fait remarquer. Cependant, il me semble que M. Charrasse, en son temps, avait proposé un amendement - que je n'ai pas retrouvé - qui empêchait justement les abus dans l'utilisation de cette disposition. L'intégration ne doit pas faciliter des rachats mais la consolidation du groupe tel qu'il existe. Elle peut justement redonner du dynamisme à une branche (une entreprise) un peu faible. Il ne faut surtout pas retirer cette disposition mais il est nécessaire d'en limiter l'utilisation à la sauvegarde de l'entreprise et empêcher son usage à des fins d'investissements à long terme et de rachat des sociétés.

Il faudrait que les mêmes règles soient appliquées dans toute l'Europe.

Il est indiqué dans le rapport que la fusion entre Nestlé France et Gloria, qui est intervenue le 1er janvier, avait accéléré les réductions d'effectifs, mais que cela ne signifie pas que ces personnes aient quitté le groupe dans la mesure où elles peuvent avoir été transférées dans une autre structure ou avoir été mutées à un autre poste de travail.

Vous avez certainement raison, mais c'est justement parce qu'on ne sait pas ce que ces salariés sont devenus que c'est dangereux. C'est ainsi que le personnel « s'évapore ». On le transfère de proche en proche jusqu'à ce qu'il soit perdu de vue par l'ensemble des syndicats et des représentants du personnel qui étaient chargés de le représenter.

Mme Jocelyne BANFI (CFDT) : Je souhaiterais d'abord parler du fonds d'insertion et ensuite rappeler un point que personne n'a évoqué, celui du fonctionnement du groupe en autarcie financière.

Je pense qu'il est très important de mettre en place le dispositif des fonds d'insertion parce que, lorsque des entreprises ferment alors qu'elles sont dans un tissu économique déjà assez sinistré - je pense notamment à Boulogne-sur-Mer -, il est absolument essentiel et vital qu'elles participent au reclassement. Et j'estime qu'il faudrait que ce soit considéré comme une créance privilégiée au même titre que les salaires dus aux salariés et, que l'on oblige les entreprises à mettre en place ce type de dispositif.

M. le Rapporteur : N'y a-t-il pas en même temps le risque qu'un certain nombre de groupes, pour se débarrasser du problème et pour satisfaire les élus locaux inquiets, soient prêts à aider généreusement les PME et des PMI ? Elles se réjouissent d'ailleurs de recevoir l'argent : il n'est jamais désagréable de toucher plusieurs dizaines de milliers de francs par emploi repris, même si ladite PME ou PMI ne donne pas suite à l'opération au bout d'un ou deux ans. Les contraintes ne sont pas strictes puisque ce sont des fonds venant du groupe qui auront été utilisés et non pas de l'argent public.

Comment faire pour assigner au groupe en question une responsabilité beaucoup plus durable ? Il est inadmissible que l'on profite pendant cinquante ans d'une situation sur un site avant de se désengager en quelques mois. Comment faire en sorte que la responsabilité dure, au travers d'organismes comme les cellules d'insertion ?

M. Alain COUSIN : Je suis député de la Manche, mais les sites dont je vais parler ne sont pas dans ma circonscription. Je prends ce dossier très à coeur parce que j'ai connu l'expérience de Carentan il y a quelques années à propos de laquelle un directeur des ressources humaines a reconnu, la semaine dernière encore, que la sortie avait été pour le moins médiocre. Je n'espérais pas qu'il puisse dire autre chose. En tout cas, la manière dont cela a été traité est inacceptable.

Pour être bref, on peut considérer que les grands groupes agissent dans deux directions : ils suivent des stratégies industrielles dépendant d'éléments comme le prix du lait, par exemple, infiniment moindre dans l'hémisphère sud et facile à transporter. Il y a donc des stratégies industrielles qui conduisent de temps en temps à des fermetures qu'il faut accepter.

D'autre part, tous pratiquent les externalisations.

Je ne porte pas de jugement de valeur sur ces pratiques, mais faisons maintenant en sorte de regarder et de gérer les choses aussi bien que possible.

Deux aspects m'intéressent :

- il y a évidemment le problème social et le problème humain ; il ne vous échappe pas et c'est bien naturel ;

- et il y a l'aspect économique.

Revenons à l'exemple de Bricquebec que vous avez évoqué les uns et les autres puisque vous le connaissez bien. Il faut fermer cette usine ? Soit ! Mais cela fait un an et demi qu'une société spécialisée dans ce genre d'affaire a été chargée de trouver un repreneur. Un repreneur laitier, ce n'est pas sérieux ! Quand on augmente encore le prix du lait de 3 ou 4 centimes au litre par rapport à ce qu'il était il y a six mois alors que le prix est déjà élevé dans ce département (certes le lait est de qualité mais il est quand même cher et il y a après, pour la transformation, une logique industrielle qui est confrontée à cet aspect des choses), il n'y avait absolument aucune chance de trouver un industriel laitier pour reprendre l'établissement !

Trouver un repreneur ne veut pas dire obtenir le transfert d'une usine située à quelques kilomètres : cela ne résoudrait absolument rien. Le fonds d'insertion me semble une bonne idée car il existe des PME qui peuvent se développer à condition d'être accompagnées, notamment en terme d'expertise, c'est-à-dire qu'il y a, dans de tels groupes, des juristes et des personnes dont les compétences peuvent être utiles. On peut contractualiser cela sur cinq ans par exemple : le groupe met à disposition des experts juridiques et commerciaux pour effectuer des études de marché, et de l'argent, pour les financer.

Ou bien, ils créent une société en leur sein, comme l'a fait Rhône-Poulenc - je ne sais pas si cela marche bien mais cela existe -, mettent en place des missions de développement économique local (on fait un traitement au moins sur du moyen terme pour assurer un accompagnement sérieux), ou bien traitent avec une société dont c'est le métier.

Il s'agit donc de mettre en place ces dispositifs. Et c'est sur ce point que à Carentan, en tant que président du Comité d'expansion économique, j'avais demandé à mes collaborateurs, de sortir de la table de négociation. On proposait de donner 50 000 francs par personne licenciée qui serait reprise par une entreprise. Si je dirige, dans les 10 ou 15 km aux alentours, une entreprise, une PME, qui a 20 salariés, que je développe un marché, que cela se passe bien, et que j'ai besoin de 10 personnes, qu'est-ce qui va se passer ? Je vais en prendre 10 de chez Nestlé parce que je vais récupérer 50 000 francs, multipliés par 10, soit 500 000 francs. C'est un effet d'aubaine ! Il n'y a pas de création de richesse car elle existait déjà...

Il faut insister sur les deux éléments : l'aspect social évidemment, mais qui peut être réglé dans sa logique, et peut-être, pour partie, chez certains de vos collègues, en disant qu'il n'y a plus personne à licencier puisque certains vont à la Chef-du-Pont, d'autres partent en retraite et les vingt qui restent seront embauchés dans une autre entreprise. Le problème social est effectivement réglé de cette manière. Mais le problème économique demeure.

Mme Jocelyne BANFI (CFDT) : Le fonds d'insertion a ceci d'intéressant qu'il recrée de la richesse ; il faut s'engager à moyen et long terme, et ce sont des petits emplois.

J'ai travaillé quelque temps sur ce fonds d'insertion. Il va, par exemple, aider dans les petites campagnes un commerçant ambulant, qui vendait du pain, à acheter son camion et à embaucher un artisan. Voilà le genre de chose qu'on met en place au travers de ce fonds d'insertion.

Et je trouve qu'il travaille remarquablement bien parce qu'il redynamise le tissu local et qu'il crée vraiment des emplois et donc de la richesse. 60 personnes qui partent, c'est, économiquement parlant, au moins 200 personnes qui vivent autour.

M. le Président : Pourrez-vous nous communiquer une note explicative sur le fonctionnement du fonds d'insertion, s'il a des conventions avec la puissance publique, etc. ?

Mme Jocelyne BANFI (CFDT) : Tout à fait. Sans problème.

D'autre part, le groupe travaille de plus en plus en autarcie. Nous avons, par exemple, un site implanté à Noisiel où a été créée une société immobilière à laquelle on paie des loyers, qui partent en Suisse. L'argent reste au sein du groupe et toutes les structures sont financées de la sorte. Il en est pour les prêts d'argent dont les entreprises ont besoin : on emprunte à une société créée à cette fin.

Nous disposons d'un superbe centre de formation à Taverny. La formation est simple chez Nestlé : on vous distribue le catalogue de formation de Taverny, et vous choisissez la formation que vous voulez. Il n'y a aucun plan de formation digne de ce nom.

En ce qui concerne les redevances que nous versons pour l'usage des marques, je voudrais simplement dire que, pour Nestlé produits laitiers frais, les 190 millions de déficit en 1998 correspondaient aux 190 millions de redevances versées à Nestlé pour l'usage des marques. C'est dire l'importance que cela a. Je ne pense pas que Yoplait paie un montant pareil pour l'utilisation de sa marque.

Mme Anita BINACCHI (CGT) : M. Paul a posé une question sur un éventuel blocage de décisions, ce que nous avons appelé nous-mêmes le recours suspensif du comité d'établissement et du comité central. Vous l'avez présenté en deux parties : une concernant ce blocage de décision ou ce pouvoir suspensif jusqu'à ce que les éléments d'information aient été obtenus, et l'autre éventuellement qui permettrait de mieux connaître les véritables raisons des choix de l'entreprise.

Je crois que la loi relative à l'ensemble des obligations des entreprises vis-à-vis des instances représentatives du personnel est aujourd'hui un passage obligé mais les dispositions ou les plans sociaux prévisionnels nous arrivent en fin de course, lorsque le projet est déjà élaboré, les décisions déjà prises, et on nous place devant une situation d'urgence qui nous contraint aux délais minimaux que la loi impose. Et nous rencontrons beaucoup de difficultés pour, non seulement utiliser le droit existant, mais aussi pour faire en sorte de gagner du temps afin de pouvoir apporter un avis valable ou trouver des moyens différents de ceux prévus dans les plans sociaux.

Il serait important pour les représentants du personnel de pouvoir utiliser ce recours suspensif, accompagné de moyens accrus d'investigation et de contrôle parce qu'avoir un droit suspensif n'est pas suffisant, cela donnant seulement quelques délais supplémentaires. Il y a là des possibilités qui devraient être prévues par les textes relatifs à ces dispositions, permettant aux représentants du personnel de disposer de moyens réels.

Je ne crois pas que le groupe Nestlé se fournisse lui-même en intérimaires. En revanche, je crois qu'il faudrait regarder autrement l'utilisation des travailleurs précaires et des intérimaires. Il y a aujourd'hui une utilisation plus qu'excessive - je dirais abusive - des droits à mission.

Quand on observe dans les établissements quels sont les ordres de mission, quelle est la constitution de ces missions et les objectifs, y compris ceux justifiés par l'utilisation de l'argument de saisonnalité, on constate que la plupart est illégale. Il faudrait peut-être renforcer, là aussi, les contraintes et les obligations des entreprises vis-à-vis de l'utilisation de ces contrats, qu'ils soient CDD, intérimaires ou saisonniers, parce que l'ouverture est beaucoup trop large.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué dans votre intervention liminaire le problème du travail des enfants.

Mme Jocelyne BANFI (CFDT) : Je pense que Nestlé, comme d'autres entreprises, ne maîtrise peut-être pas totalement leurs filières de fabrication, du fait, notamment de la sous-traitance.

M. le Rapporteur : Sont-ils signataires de la charte internationale ?

Mme Jocelyne BANFI (CFDT) : Je pense que oui, mais il est difficile pour tout groupe de savoir exactement ce que font ses sous-traitants.

M. le Président : Le même type de question peut se poser en terme d'hygiène et de santé pour les pays émergents avec la distribution du lait en poudre qui pose des problèmes de santé publique, en Afrique noire notamment.

M. François SANSON (CGC) : On vient de rappeler le sort des salariés de Bricquebec. Il y a, bien sûr, le problème économique de la région, mais il ne faut pas oublier toutes les personnes du site ainsi que celles de Friskies transférées chez Spillers après son rachat, et celles qui ont été abandonnées au passage. On nous rassure régulièrement, mais il y a des salariés dont les postes ne figurent toujours pas dans les budgets. Je voudrais savoir où ces personnes vont se retrouver.

M. le Rapporteur : Il apparaît que les entreprises appliquent la réglementation. Il nous appartient de faire en sorte que cette réglementation protège mieux les salariés, que ce soit au niveau national ou au niveau européen.

Nous avons rencontré quatre Commissaires européens au cours d'une visite à Bruxelles. Ils nous ont présenté des approches intéressantes et témoigné une volonté de combattre les abus.

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