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TOME III (volume 1)
Rhône-Poulenc

Audition de la direction
Audition des syndicats

Audition de la direction
Audition de MM. Jean-René FOURTOU,
Président directeur général de RHONE POULENC,

Maurice GADREY,
Directeur des relations humaines,

Huges de LARMINAT,
Directeur des études stratégiques et

Mme Cristina STORONI,
Directrice des affaires publiques à la direction de la communication

(extrait du procès-verbal de la séance du 2 mars 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Jean-René Fourtou, Maurice Gadrey, Huges de Larminat et Mme Cristina Storoni sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-René Fourtou, Maurice Gadrey, Huges de Larminat et Mme Cristina Storoni prêtent serment.

M. Jean-René FOURTOU : A la lecture de la proposition de résolution créant votre commission d'enquête, j'ai cru déceler le souci de mieux comprendre les stratégies de groupes comme le nôtre et les conséquences de ces stratégies sur l'emploi et l'aménagement du territoire.

Au cours des années récentes, la transformation de Rhône-Poulenc a effectivement été profonde. Ce mouvement a d'ailleurs été entamé avant même que j'arrive à sa tête en 1986.

Pour le comprendre, il faut remonter à la nationalisation de 1982. A cette époque, Rhône-Poulenc a été racheté pour un montant de 2,37 milliards de francs, c'est-à-dire une somme dérisoire par rapport à ce que nous représentons aujourd'hui. Sur le moment, aucun actionnaire n'a émis de protestation et c'est au contraire un certain soulagement qui l'a emporté.

Le groupe avait quatre fois plus de dettes que de fonds propres et était dans une situation extrêmement difficile.

La politique menée a été une politique risquée mais je n'avais guère d'autres choix que le dépôt de bilan ou le soutien financier de l'État. Mon objectif a été de transformer le portefeuille d'activités de l'entreprise, à partir d'une situation d'excessive diversification - pour ne pas dire de dispersion : je rappelle que Rhône-Poulenc exerçait en 1986 près de 130 métiers différents, n'était en position dominante dans aucun de ces métiers et n'était pratiquement pas implantée aux Etats-Unis (où elle réalisait néanmoins entre 3,2 milliards de francs de chiffre d'affaires). Cette politique de transformation du portefeuille d'activités a eu pour objectif, d'une part, de se séparer des activités du passé dans les meilleures conditions et, d'autre part, de constituer deux ensembles qui pourraient affronter la concurrence : un pôle dans les spécialités chimiques, activités beaucoup moins consommatrices de capitaux que la chimie de base, et un pôle dans le domaine des sciences de la vie, plus fondé sur l'innovation et le marketing que sur l'investissement.

Nous avons mené une politique de cession et d'acquisition d'activités pour mener cette transformation. Je crois que cette politique a globalement été couronnée de succès.

Dans la pharmacie, les opérations ont commencé dès l'été 1986 avec l'acquisition des laboratoires Nattermann (Allemagne). Le groupe a acheté l'agrochimie d'Union Carbide à l'automne. Je me borne à égrener la liste des étapes ultérieures : l'acquisition de Stauffer dans les spécialités chimiques (Etats-Unis) ; la prise de contrôle des vaccins de Connaught et de Rorer (Etats-Unis) ; la fusion de Pasteur avec Mérieux ; le rachat de la totalité de Mérieux-Pasteur, des laboratoires Fisons et enfin, dans les spécialités chimiques, de RTZ Chemicals.

Pendant la même période, nous avons mené une politique de cession d'actifs dans une centaine de métiers. Pour aller à l'essentiel, Rhône-Poulenc s'est séparé de ses activités textiles et d'activités de chimie lourde, pour lesquelles nous n'avions absolument pas les moyens financiers nécessaires.

L'État a effectué une augmentation de capital au début des années quatre-vingt de l'ordre de 1,5 à 1,7 milliards de F, le total de l'acquisition et de l'augmentation de capital représentant 4,2 milliards de F. Toutefois, avant sa privatisation, le groupe Rhône-Poulenc a versé pour près de 5 milliards de F de dividendes et les actions que l'État détenait ont été vendues en 1993 pour environ 17 milliards de F. L'État a donc fait une excellente affaire sur le plan financier.

Je dois dire que, pendant cette période de transformations importantes, j'ai toujours été compris et soutenu par les gouvernements successifs - de quelque orientation politique qu'ils soient - et que la politique que j'essayais de mener a été continûment appuyée. Ce n'était pas un simple laisser-faire ou une forme d'abstention, car il a fallu que l'État aide le groupe à acheter Rorer : Rhône-Poulenc n'ayant pas les moyens nécessaires à l'époque, les actions de Roussel-Uclaf lui ont été rétrocédées par les pouvoirs publics.

J'en arrive maintenant à la période la plus récente. L'année 1998 a été pour le groupe une année très importante du point de vue économique. Rhône-Poulenc a réalisé des résultats de 4,2 milliards de F, c'est-à-dire les plus importants de son histoire (en progression de 23 % par rapport à l'année précédente). La transformation du portefeuille d'activités et l'innovation ont commencé à se révéler payants, puisque nous avons mis sur le marché des produits nouveaux qui se vendent très bien : permettez-moi de citer le Lovenox - un anti-thrombotique qui atteint 600 millions de dollars de chiffre d'affaires (en progression de 33 %) et pourrait dépasser le milliard ; le Taxotere - un anti-cancéreux qui atteint 400 millions de dollars de chiffre d'affaires, en progression d'à peu près 50 % par an et dont nous pensons qu'il peut atteindre le milliard et demi de dollars de chiffre d'affaires ; dans l'agrochimie, une molécule qui s'appelle le Fipronil, employée comme insecticide pour la protection des cultures mais aussi comme anti-parasitaire dans le domaine du vétérinaire ou la tenue des maisons. L'ensemble des applications du Fipronil atteint 440 millions de dollars de chiffre d'affaires cette année, en progression de 60 % par rapport à l'année précédente.

Nous attendons pour le courant de cette année l'enregistrement d'un antibiotique (Synercid) et d'un anti-allergique (Kestine). Nous avons déjà enregistré aux États-Unis un herbicide qui pourrait prendre un essor considérable, l'Isoxaflutole, fondé sur une famille nouvelle lancée. Nous pensons pouvoir atteindre, pour cette seule année, 150 millions de dollars de chiffre d'affaires.

Cette énumération démontre que le groupe est en progression soutenue du côté des pôles pharmaceutique et santé végétale et animale. Mon optimisme est partagé par l'ensemble des analystes de la place, qui s'accordent à penser que nous pourrions continuer à voir nos résultats progresser aux environs de 15 % par an, au moins pendant les trois ans qui viennent.

Du côté de la chimie, l'année 1998 a été la deuxième année où de la trésorerie positive a été générée (1 Md de F) : depuis que je suis là - treize ans bientôt - la chimie a en effet été déficitaire tous les ans. Après toutes ces années d'effort, Rhodia réorganisée peut enfin présenter un résultat en croissance très sensible.

Au terme d'un mouvement entamé au début des années quatre-vingt, le groupe s'est profondément transformé. Quelques chiffres : nous représentions 2 milliards de F en 1982 ; en 1986, nous mobilisions à peu près 2,5 milliards de F pour la seule recherche et développement (R&D) ; l'année dernière, la R&D a atteint près de 9 milliards de F. Le groupe Rhône-Poulenc est aujourd'hui complètement internationalisé, puisque le chiffre d'affaires (CA) réalisé aux États-Unis en 1998 était de 25 % du CA global du groupe (contre moins de 5 % en 1986) et que l'Asie en représente 10 %.

Du point de vue de l'emploi, le groupe a aujourd'hui trouvé sa vitesse de croisière : en dépit de la poursuite des évolutions stratégiques, celui-ci est demeuré stable en France en 1998. Plus généralement, la décroissance de l'emploi au cours des années récentes s'est réalisée sans licenciements « secs » mais grâce aux préretraites, par appel au volontariat et aussi grâce à une coopération, parfois tendue mais toujours réaliste, avec tous les syndicats.

La réduction de l'emploi est due pour partie à un effet d'optique lié aux modifications constantes de périmètre du groupe. Nous avons ainsi externalisé en France toute une série d'activités. Ainsi, la restauration n'est plus assurée par des cuisiniers salariés mais par une entreprise extérieure. De même, de nombreuses tâches de maintenance ont été externalisées alors qu'habituellement celles-ci reposaient sur des compétences internes : à Melle (Saintonge), Rhône-Poulenc a externalisé ses services d'entretien à travers la création de toutes pièces d'une nouvelle entreprise, qui a désormais ses propres clients.

L'emploi chez Rhône-Poulenc a apparemment décliné sous le double effet de la croissance de la productivité et des externalisations ; en raisonnant à structure constante, il s'est en réalité stabilisé du fait que le groupe se situe dans des activités en développement rapide. Les sciences de la vie, par exemple, ont l'avantage par rapport au textile de dépendre de l'innovation : ceci explique notre croissance régulière chez Pasteur et Mérieux ou dans les activités vétérinaires, et la possibilité de voir la productivité progresser concomitamment à l'emploi.

J'irai plus loin : nous sommes désormais en situation de créer de l'emploi interne (dans les sciences de la vie) mais aussi externe, dans la mesure où l'emploi induit par les externalisations (services juridiques, informatique ou gardiennage) est non seulement stabilisé, mais même en progression.

Pourquoi alors avoir décidé de fusionner avec Hoechst au terme de ces transformations de fond ? Chacun n'aspire-t-il pas à retrouver la tranquillité alors que les résultats sont en croissance, que nous avons des produits nouveaux et une certaine paix sociale ?

La réponse est simple : Rhône-Poulenc opère dans des métiers où la mondialisation et la concurrence sont devenues extrêmement présentes et des activités à très haut niveau scientifique, dans des disciplines en évolution vertigineuse. Je pense notamment à la génomique, c'est-à-dire le séquençage du génome dans la perspective d'utiliser les gènes comme des médicaments potentiels. La chimie, à travers la chimie combinatoire, permet de créer quantité de molécules encore inconnues il y a peu : on testait 10 000 molécules par an en 1996, aujourd'hui on s'apprête à en tester 1 à 2 millions. Toute une gamme d'objets nouveaux est à la veille d'apparaître, en lien avec les sciences de l'information qui permettent une recherche automatisée - ce qu'on appelle les biochips. A terme, la recherche est appelée à se rapprocher d'une usine fonctionnant jour et nuit...

Tout cela requiert un investissement colossal et une transformation même de la manière de faire de la recherche. Nos modestes 9 milliards de F de l'année dernière sont totalement insuffisants pour faire face à un tel changement de dimension et rester parmi les quelques sociétés qui seront capables, dans les quinze ou vingt ans qui viennent, de rester innovantes et de sortir les médicaments du futur.

Tous les opérateurs tiennent la même analyse et aboutissent aux mêmes conclusions : regrouper les moyens pour survivre. Au cours des dix dernières années, les premiers à avoir fusionné sont Smithkline et Beecham. Il a eu ensuite Glaxo et Wellcome, American Cyanamid et American Home Product, puis Pharmascia avec Upjohn. Enfin, le choc de la fusion Ciba-Geigy et Sandoz afin de créer Novartis. Nous avons annoncé notre projet de fusion avec Hoechst le 2 décembre dernier. Deux jours après seulement, Synthélabo et Sanofi annonçaient leur propre fusion ; dix jours plus tard, Astra et Zeneca décidaient de faire de même.

Il nous faut par ailleurs être plus présents sur le marché américain. Du point de vue du volume de vente et du chiffre d'affaires, les Etats-Unis représentent aujourd'hui 40 % du marché mondial et plus de 50 % peut-être des résultats de notre profession. L'année dernière, la pharmacie de Rhône-Poulenc a progressé de 16 % aux Etats-Unis et de seulement 2 % en France.

Je voudrais revenir sur les motivations principales de la fusion au sein d'Aventis, c'est-à-dire l'impossibilité d'affronter seul des coûts de développement en progression exponentielle.

Le coût d'un produit pharmaceutique, à partir du moment où la molécule a été trouvée jusqu'à sa mise sur le marché, est en moyenne de 500 millions de dollars - mais cela peut doubler. Cette charge a été pratiquement multipliée par dix au cours des dix dernières années, c'est-à-dire que les exigences de précaution, de prévoyance et les coûts de développement et d'enregistrement ont mis la barre tellement haut que seules de grandes entités peuvent espérer relever tous ces défis.

Ces défis auxquels Rhône-Poulenc doit faire face, sont des défis qui touchent la société dans sa profondeur. L'espérance de vie croît d'à peu près trois mois tous les ans à la naissance et on pense qu'un grand nombre d'enfants qui naissent aujourd'hui pourront être centenaires.

Pourtant, on n'évalue qu'à 50 % la proportion des maladies que nous savons traiter. Plus préoccuppant encore, de nouvelles maladies apparaissent. Je ne parle pas du sida ou des cancers mais d'une recrudescence de toutes les maladies microbiennes du fait du développement des résistances aux antibiotiques. Je pense aussi aux maladies du système neuronal ou aux maladies dégénératives.

Pour y faire face, nous plaçons nos espoirs dans la génomique, la manipulation des protéines, les thérapies géniques, ou l'immunothérapie. Ces nouvelles approches laissent entrevoir pour les dix à quinze ans à venir un changement profond dans la démarche thérapeutique ; mais ceci reste un métier extrêmement risqué, très exposé au public et aux politiques.

Le problème est presque identique en ce qui concerne l'agriculture. Il pourrait y avoir 8 milliards d'habitants sur la planète à l'horizon 2050 alors que les terres arables se réduisent sous l'effet de l'extension des zones urbaines, qui gagnent sur des espaces naturellement riches en cultures, et que la désertification progresse dans certains pays du monde. La solution de ces contraintes passe par l'accroissement de la productivité agricole, c'est-à-dire par les biotechnologies. On fait aujourd'hui des expériences concluantes en utilisant des semences génétiquement modifiées : la production de bananes a pu augmenter localement de 40 % grâce à des organismes génétiquement modifiés.

Les investissements dans la génétique mettent nos sociétés en face d'une révolution dans les méthodes de recherche, en même temps qu'ils sont exposés au problème de l'acceptation par la population de démarches de cette nature. C'est la raison pour laquelle seules les sociétés financièrement fortes, d'envergure mondiale, avancées sur le plan scientifique et technologique, ont des chances de relever ce type de défis. Tel est l'objet d'Aventis.

Aventis est le fruit de la fusion en deux étapes de Hoechst, société allemande presque bicentenaire, et de Rhône-Poulenc. Au cours d'une première étape, nous mettrons en commun dans la société nouvelle l'ensemble de nos activités pharmaceutiques vétérinaires et de protection des cultures - c'est-à-dire la santé animale et tout ce qui touche le vivant.

Chaque partenaire détiendra la moitié de cette société, société française dont le siège social sera à Strasbourg. Elle sera dirigée par un directoire composé de quatre personnes, deux Allemands et deux Français. Le président en sera M. Dormann, actuel président de Hoechst ; j'en serai le vice-président.

Je dois dire que l'État m'a appuyé dans les négociations, afin de trouver des dispositifs fiscaux suffisamment attractifs pour faire pencher la balance du côté de la France et non de l'Allemagne. Du strict point de vue financier, il aurait été rationnel d'aller en Hollande ou à Londres ; mais il aurait évidemment été mal compris que Rhône-Poulenc ou Hoechst installent le siège social du nouvel Aventis dans ces pays... En revanche, la France est apparue compétitive par rapport à l'Allemagne. Indépendamment de la dimension politique et du symbole que cela représente, on n'a pas eu beaucoup de difficultés à trouver les arguments économiques justifiant l'implantation en Europe.

Aventis occupera le premier rang mondial, pratiquement à égalité avec Novartis, dans les sciences de la vie et le dépassera dans les activités concernant la protection des cultures, avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 5,5 milliards de dollars. Le budget de recherche et développement sera de 3 milliards de dollars, bien supérieur à celui de Novartis (2,7 milliards) et à celui de Merck (2,4 milliards environ).

De ces deux sociétés, historiquement et culturellement très éloignées, une seule société doit émerger autour d'une même vision, d'une même culture et d'une même éthique.

Il faudra naturellement se réorganiser et éliminer toute une série de postes redondants. Le chiffre d'une réduction des effectifs de 10 %, qui circule ici ou là, n'est pas un chiffre irréaliste : cela peut être moins ou plus, mais il est exact que c'est dans cette zone que la contraction se situe. C'est important en termes économiques, puisque les économies attendues de cette opération représenteront 1,2 Md de dollars au bout de trois ans. Nous allons d'ailleurs provisionner pour traiter cette réorganisation une somme qui n'est pas encore arrêtée, mais pourrait être de 2 milliards de dollars.

Tout ceci représente naturellement une source d'inquiétude collective et individuelle partout dans le monde.

La réaction syndicale à ce projet est positive en Allemagne, ouvertement positive même ; j'ignore s'il s'agit là d'une adhésion profonde, mais je note que les syndicats allemands expriment officiellement un accord. Les Français se disent au contraire opposés - même si, officieusement, les réactions sont beaucoup moins tranchées. Certains syndicats y sont même favorables en privé et s'inquiètent de ce qui pourrait empêcher l'opération de se faire. Désormais, le débat prend plutôt la forme d'une question : « on comprend tout cela, on a vécu d'autres transformations industrielles, mais comment va-t-on s'y prendre aujourd'hui ? »

Je voudrais vous donner mes éléments de réponse à cette question.

Dans le futur ensemble, la France représentera le quart d'Aventis en effectifs puisque, sur un total de 95 000 personnes, il y en aura environ 25 000 en France, 12 000 en Allemagne et 17 000 aux États-Unis.

J'insiste sur ce point fondamental : la première société au monde dans les sciences de la vie deviendra, par cette opération, une société française et ce de façon irréversible, puisque les accords passés avec l'État en matière fiscale rendent une sortie du territoire national pratiquement hors d'atteinte.

Dans cette société mondiale, une grande partie de la recherche et de la production s'opérera en France puisque le quart de l'ensemble s'y trouvera. Plus précisément :

· le siège social du pôle agro-alimentaire (Lyon) bénéficiera du transfert du siège d'AgrEvo de Berlin et Francfort ;

· l'ensemble des vaccins restera naturellement en région lyonnaise ;

· la santé animale, avec le pôle vétérinaire et la société Mérial, restera en région lyonnaise ;

· la pharmacie aura en revanche son siège social à Francfort, mais la direction des affaires européennes et la direction des affaires internationales (pays en voie de développement) seront à Paris. Il faut dire que le siège social de Rhône-Poulenc-Rorer (c'est-à-dire la pharmacie) n'était déjà pas en France dans notre cas, mais au États-Unis.

La France ne connaîtra donc pas de mouvements de délocalisation au cours de cette opération. Au contraire, le bilan est plutôt un renforcement des centres de décision en France, à Strasbourg ou à Lyon notamment.

Je ne veux pas cacher pour autant que la problème de la réorganisation de l'ensemble se pose et que la contraction de l'emploi touchera notre pays.

J'aborde ces questions avec responsabilité, mais sans dramatisation. Le problème social à venir est d'une taille bien inférieure à tous les problèmes auquel j'ai eu à faire face à l'époque du textile, de la chimie de base etc. - bref, à l'époque où Rhône-Poulenc était pratiquement en faillite. Cela reste d'ampleur modeste sur trois ans.

Le groupe s'engage à ne pas faire de licenciements « secs ». En d'autres termes, les mutations internes, le volontariat et la cession de sites avec les produits qui peuvent y être attachés doivent permettre, à quelques noyaux difficiles près, de traiter le problème sans créer de choc passant par des licenciements. Même aux pires moments de notre histoire, nous n'avons jamais fait appel aux licenciements « secs » et nous disposons d'un certain nombre d'outils pour traiter ces difficultés dans les meilleures conditions.

Je rappelle un fait d'évidence : nous intervenons dans des métiers et des activités qui sont en développement. Il est tout à fait différent de restructurer le textile et de restructurer la pharmacie dès lors que l'activité se développe dans la pharmacie. On peut raisonnablement espérer reprendre l'accroissement des effectifs après la phase de contraction liée aux réorganisations.

Puisque la politique a été de créer un pôle "Sciences de la vie" au sein de Rhône-Poulenc, le regroupement des activités dans la chimie a conduit à la création d'une société nouvelle. Rhodia est cotée en bourse depuis juin ; elle annonce des résultats en croissance en dépit d'une conjoncture mondiale morose en 1999. Nous nous sommes engagés dans l'accord avec Hoechst à la séparer de Rhône-Poulenc, puis à la rendre complètement autonome dans les trois ans qui viennent. Les enjeux à affronter dans les sciences de la vie sont en effet considérables, voire incompatibles avec la gestion d'une activité comme Rhodia, dont les règles et les préoccupations sont de nature tout à fait différente.

Je voudrais aborder maintenant la politique sociale de l'entreprise. La première responsabilité d'un groupe comme Rhône-Poulenc est d'ordre industriel ; ce point ne doit jamais être perdu de vue : il est de notre devoir d'obtenir que les activités survivent, se développent et prospèrent, fût-ce au détriment de l'évolution des effectifs. Les dirigeants sont désignés à cette fin et la survie de l'activité prime celle de l'emploi.

Dans ces limites, nous nous efforçons d'être une entreprise citoyenne et responsable. Nous avons ainsi développé toute une gamme de politiques afin de contribuer à la gestion de l'emploi dans les zones où nous sommes implantés - particulièrement dans la région lyonnaise - à travers l'aide aux PME locales. Ces aides sont de formes variées : aide technique, aide financière à travers des fonds de soutien, mise à disposition de nos centres de formation, interventions de la sopran etc. Le nombre de sociétés créées avec notre soutien est de l'ordre de 2 000. Nous voulons participer à la vie industrielle locale en contribuant à la vitalité de notre propre environnement.

Notre politique d'aide à l'emploi des jeunes est extrêmement soutenue et dynamique. Nous avons ainsi été les pionniers des préretraites progressives, c'est-à-dire un système qui permet à deux personnes de prendre des préretraites à mi-temps contre l'embauche d'un jeune : 2 000 stagiaires par an entrent chez Rhône-Poulenc dans le cadre d'une convention signée avec l'Éducation Nationale. Il s'ajoute à ces stagiaires entre 1 200 et 1 300 jeunes intégrés chaque année dans le cadre des remplacements temporaires et des vacances, sans même parler des stages de découverte d'entreprise qui vont de un à deux mois.

S'agissant de la formation en alternance, 1 700 jeunes ont été suivis depuis 1993 - soit 400 élèves en permanence (1,46 % de l'effectif total, que nous avons l'ambition de porter à 2 %).

Nous développons localement l'aide aux personnes en difficulté d'insertion, que ce soient des chômeurs de longue durée ou des volontaires site par site, et avons même créé une structure spécifique pour les parrainer.

Je crois savoir que la commission d'enquête est préoccupée par le déplacement d'activités hors de France. A la question « Rhône-Poulenc poursuit-il une stratégie de délocalisation ? », la réponse est globalement négative. J'aimerais pouvoir vous dire que c'est parce que nous voulons faire _uvre de bon citoyen, mais ce ne serait pas conforme à la vérité. La véritable raison est qu'il reste toujours moins coûteux de faire des investissements additionnels dans des sites qui requièrent beaucoup d'infrastructures, de gestion, de sécurité et de compétences en dépit de tous les impedimenta liés à la France.

Dans nos efforts à l'exportation, nous délocalisons en général des produits dont l'élaboration est pratiquement terminée, pour des raisons de présence commerciale sur les marchés plutôt que pour des problèmes de prix de revient.

Cette politique se lit dans les chiffres d'exportation. Depuis toujours, nous vendons à l'extérieur plus de 50 % des productions françaises : nous avons ainsi exporté en 1998 pour 28,3 milliards de F, à rapprocher d'une valeur totale de la production nationale à cette date de 39,6 milliards de F ; en d'autres termes, nous exportons 65 % de la production française. Nous restons en réalité dans une situation de fort ancrage sur nos bases : sur le plan des effectifs, l'emploi en France est très largement supérieur au chiffre d'affaires réalisé sur le territoire - 28 000 personnes employées en France pour un effectif total dans le monde de 68 000, alors que la France n'a représenté que 19 % du chiffre d'affaires. L'activité française a donc beaucoup bénéficié de notre extension internationale.

La question de la délocalisation se pose néanmoins en Europe pour les activités pharmaceutiques. Un pays comme l'Irlande présente en effet de tels avantages que, ne seraient-ce les responsabilités que nous nous sentons vis-à-vis de notre propre personnel, il serait aujourd'hui très avantageux d'y délocaliser l'essentiel de ces activités. Nous le faisons au demeurant, mais dans une proportion très marginale.

Permettez-moi d'aborder maintenant un dernier point, celui des aides de l'État.

Le groupe n'est pas particulièrement à la recherche des aides publiques. L'aide la plus significative dont nous ayons bénéficié a été accordée dans le cadre de BioAvenir. L'État a investi environ 500 millions de francs, dont approximativement 300 millions de francs en aide directe et le reste sous forme de mise à disposition d'institutions de recherche publiques ; pour sa part, Rhône-Poulenc a contribué à hauteur de près de trois fois ce montant.

Je suis très content des résultats donnés par BioAvenir, car le programme a permis de créer une véritable coopération et une estime mutuelle entre les institutions de recherche nationale et Rhône-Poulenc. La productivité des programmes menés en commun a été exceptionnelle, c'est-à-dire que les chercheurs de l'INSERM ou de l'INRA ont pratiquement publié deux fois plus que leurs collègues et que nous avons eu nous-mêmes plus de brevets dans ces équipes mixtes que dans nos équipes travaillant seules.

Comme l'innovation est notre souci majeur et qu'elle est le moteur de toute entreprise, nous sommes favorables à ce qui peut la développer. Tout ne se résume pas à un problème d'aide ; par exemple, il faudrait donner plus de liberté aux fonctionnaires pour créer des entreprises ou recevoir des rémunérations d'un partenaire privé, de sorte que puisse se créer ce bouillonnement d'activité si caractéristique des États-Unis.

Il faut avoir conscience que les 3 milliards de dollars de dépenses en R&D du futur Aventis seront dans une proportion croissante utilisées à soutenir des recherches externes et non internes. Si l'enregistrement des produits fait appel à des équipes très étoffées, l'innovation est au contraire l'affaire de petites entités, d'universités et de chercheurs travaillant par petits groupes, souvent plus féconds que des équipes lourdes.

Nous avons nous-mêmes intérêt à ce que se développe une flottille de start-up et de sociétés d'innovation. Nous sommes très favorables aux sociétés de valorisation des technologies existantes dans l'université : nous sommes prêts à les financer et une partie de nos 3 milliards de dollars annuels visera justement à favoriser ce type de développement.

Tout doit être fait, notamment sur les plans législatif et financier, pour donner plus d'aisance et de possibilités aux créateurs d'entreprise venant du secteur public. Nous ne pensons pas que des aides financières supplémentaires soient nécessaires en France pour soutenir la R&D ; le problème est plutôt un problème de bon emploi de l'argent que nous dépensons déjà.

Je ne crois pas pour autant qu'aucune évolution n'est nécessaire. Je vous ai déjà fait part de ma préoccupation de voir nos meilleurs éléments quitter le territoire national en raison du poids de la fiscalité directe. J'ai été élevé selon la devise « pour la patrie, les sciences et la gloire » ; je ne suis pas convaincu que les jeunes générations pensent ainsi. Nous irons au devant de difficultés si nous ne créons pas un pays plus attractif pour les jeunes les plus brillants. Le problème n'est pas purement futur, il est d'ores et déjà bien réel. Si l'on veut retenir des spécialistes financiers, il faut les installer à Genève ou à Londres. De même, il a fallu implanter en Californie les chercheurs en thérapie génique - alors qu'il y a beaucoup de ressources en France - sous peine de les voir partir chez nos concurrents. La tendance à l'expatriation des individus qui sortent de l'ordinaire est perceptible, contrairement aux habitudes de la génération à laquelle j'appartiens. Cela pousse à la délocalisation de l'entreprise hors de France, à l'instar de Gencell à San-Francisco.

Un dernier point sur le montant des charges. Si la France apparaît aujourd'hui compétitive par rapport à l'Allemagne, je demeure globalement inquiet pour nos deux pays - notamment sur le plan de la productivité.

M. le Rapporteur : La conclusion de votre présentation me conduit à réagir. Combien d'impôt avez-vous payé en France l'an dernier ?

M. Jean-René FOURTOU : A propos de l'imposition, je parlais des individus et non du groupe.

Rhône-Poulenc paie peu d'impôts en France pour plusieurs raisons. La société bénéficie de la consolidation fiscale mondiale - c'est d'ailleurs ce qui m'a permis de convaincre et d'avancer l'argument décisif pour qu'Aventis devienne une société française. Elle a payé en France 877 millions d'impôts sur un résultat de 4,2 milliards. Je dois reconnaître que, par rapport à la fiscalité allemande notamment, la fiscalité française sur l'entreprise est en définitive raisonnable.

M. le Rapporteur : Sans entrer dans un débat concernant la fiscalité, j'observe que l'État peut difficilement subir des manques à gagner de recettes au niveau des entreprises, d'une part, et opérer des allègements sur la fiscalité individuelle, d'autre part.

Au regard de l'impôt sur les sociétés dont vous vous êtes acquitté, quel est le montant des aides perçues la même année ?

M. Hugues de LARMINAT : 169 MF tout compris, dont environ 53 MF en dehors du grand programme BioAvenir dont a parlé M. Fourtou et 116 MF pour BioAvenir.

Je précise que ce montant recouvre des subventions qui ne viennent pas toutes du budget de l'État. La comparaison avec l'impôt sur les sociétés est donc légèrement biaisée puisqu'il s'agit de subventions qui peuvent provenir du budget communautaire, du budget de gouvernements étrangers tels que les Etats-Unis ou le Canada avec lesquels le groupe a des programmes de coopération publique importants. Ce sont aussi des subventions liées à la lutte contre la pollution, venant d'organismes parapublics tels que les agences de l'eau et les agences de bassins, et des subventions d'organismes de formation comme l'AFPA.

Sur l'ensemble des subventions perçues par Rhône-Poulenc, on peut dire que depuis dix ans 55 % concernent en moyenne la recherche et viennent pour l'essentiel du gouvernement français, 25 % concernent la lutte contre la pollution et les économies d'énergie et sont pour l'essentiel le fait d'organismes parapublics hors budget de l'Etat, le solde étant lié à différents autres programmes (notamment des programmes de formation).

M. Jean-René FOURTOU : Une politique où il n'y aurait pas de subventions me conviendrait très bien, parce que celles-ci restent globalement marginales dans l'équilibre d'une opération - mais je reconnais volontiers que je ne disais pas cela quand la situation du groupe était autre. Il me semble qu'il serait préférable que cet argent soit utilisé à stimuler les liaisons entre les centres de recherche publics et ceux de Rhône-Poulenc.

M. le Rapporteur : Nous faisons souvent le constat, en tant qu'élus locaux, que les entreprises sont demanderesses des aides qui existent : à partir du moment où le robinet existe, n'est-il pas fait pour être ouvert ?

M. Jean-René FOURTOU : Certes. Mais quand vous vous faites le bilan entre ce que vous pouvez espérer et la masse des formulaires à remplir, je ne suis pas sûr que la balance penche de ce côté... Dans notre cas, les chiffres parlent d'eux-mêmes.

M. le Rapporteur : On constate néanmoins que la relative légèreté de la fiscalité sur les entreprises coexiste avec une diminution de l'emploi dans notre pays - à l'étranger également, puisque les effectifs globaux du groupe sont en diminution.

Un recentrage s'opère sur quelques points forts, que vous avez cités et sur lesquels je ne reviens pas. Je le comprends : une entreprise ou un groupe évoluent et il n'est pas possible de figer leur géographie ad vitam aeternam. Bien au contraire, une telle évolution est une preuve de vitalité.

Mais il faut regarder de plus près les raisons qui poussent à ces modifications. Tous vos concurrents opèrent-ils de la même manière ce recentrage sur leurs points forts ?

M. Jean-René FOURTOU : C'est une tendance générale dans nos métiers. Dans la chimie diversifiée, le signal du mouvement a été donné par ICI, qui s'est scindé en deux. Quand Novartis a été créé, Sandoz et Ciba-Geigy se sont séparés de leur pôle Chimie ; Hoechst le fait lui-même, avec une brutalité que je ne me serais pas permise. A son tour, Rhône-Poulenc a décidé de placer la totalité de sa chimie au sein d'une filiale, Rhodia, que j'ai pour projet d'autonomiser progressivement et qui sera à terme indépendante.

Nul n'a aujourd'hui les ressources pour prétendre à une place mondiale dans plusieurs métiers. Essayer avec Aventis de mener à bien ces trois pôles que sont la pharmacie, l'agriculture-agrochimie et l'animal (avec notamment la nutrition) est déjà une aventure. Les entreprises les plus performantes dans la pharmacie sont des entreprises qui ne font que de la pharmacie : Merck, Pfizer, Glaxo et Astra.

M. le Rapporteur : Vous avez eu en 1993 un noyau dur d'actionnaires qui représentait à l'époque 25 % du capital. Il a presque disparu aujourd'hui, ou du moins il est devenu très minoritaire (7-8 %). Pour quelle raison ce noyau dur s'est-il dégagé et quelles sont les conséquences de l'arrivée dans votre actionnariat de 51 ou 52 % d'institutionnels étrangers dont, à ma connaissance, une majorité de fonds de pension ? Parmi les éléments stratégiques évoqués tout à l'heure, n'y a-t-il pas aussi l'exigence de ces actionnaires un peu particuliers d'une forte rémunération ? Je me suis laissé dire que vous ambitionnez pour l'an 2000 une rémunération des fonds propres supérieure à 15 % par an.

M. Jean-René FOURTOU : Cela ne sera jamais que deux fois inférieur à la rentabilité de Merck...

M. le Rapporteur : Certes. Cela ne veut-il néanmoins pas dire que la stratégie du groupe est essentiellement pilotée par ces aspects financiers plutôt que par une dimension industrielle ? Avez-vous désormais le sentiment d'être un financier ou un industriel ?

M. Jean-René FOURTOU : Je voudrais d'abord dire que, lorsqu'on discute avec ces financiers, on est frappé par leur intelligence. Ils ont une connaissance scientifique de nos métiers absolument hallucinante : mes interlocuteurs dans le domaine du cancer ou de la cardiologie sont à la pointe de la compétence et sont capables d'évaluer et comparer les stratégies poursuivies. J'en veux pour preuve que des sociétés dont le résultat financier est négatif, mais qu'ils jugent prometteuses parce qu'elles suivent une véritable stratégie scientifique ou industrielle, sont très largement valorisées en dépit de leurs médiocres performances sur le plan de la rentabilité.

Il reste que le poids pris par les marchés financiers est sans comparaison avec celui qui existait il y a dix ans. Je sens même les choses évoluer année après année.

Dire que ces investisseurs sont de purs financiers serait inexact. Ce sont des gens froids mais extrêmement compétents en moyenne, notamment les anglo-saxons : ces derniers suivent en effet un métier et peu de sociétés, alors qu'un analyste français en suit une trentaine. Le niveau de pénétration de la problématique par les Français est donc beaucoup plus faible.

M. le Rapporteur : Quelle garantie avez-vous que les fonds de pension présents chez vous actuellement - quelques-uns à plus de 5 %, à ma connaissance - vont y rester ?

M. Jean-René FOURTOU : Aucune. Je suis même sûr qu'ils vont partir.

M. le Rapporteur : A quelle échéance partiront-ils - cinq, six, sept ans ?

M. Jean-René FOURTOU : Mon actionnaire le plus fidèle est le fonds de pension américain Wellington. Je confirme que sa stabilité est réelle de même que sa compétence.

Axa est devenu le deuxième gestionnaire de fonds au monde et qu'il soit français n'a pas d'incidence. Les gestionnaires français adoptent les mêmes comportements que le fonds bostonien présent dans mon capital : ils captent des fonds dans le monde entier en vue de les gérer au mieux et les sociétés industrielles sont le seul endroit où les besoins à satisfaire sont à la mesure des masses financières collectées.

Pourquoi le noyau dur ne tient-il pas ? Parce que les différents partenaires autrefois présents dans le capital ont désormais besoin de fonds propres. Volens nolens, tous mes actionnaires ont été conduits à prendre leurs plus-values parce qu'il leur faut des fonds propres à consacrer à leur métier et à leur effort d'investissement sur le long terme.

Même Axa, dont je suis vice-président du conseil de surveillance, a essentiellement de l'argent pour compte de tiers. Il investit ses moyens dans l'assurance et a besoin de tellement de ressources pour se défendre sur son marché, qu'il retire tous les fonds propres placés ailleurs pour les replacer dans l'assurance.

Quant au comportement spécifique des fonds de pension, je dois dire qu'il vaut mieux traiter avec un interlocuteur qui connaît votre métier, fut-il américain, plutôt qu'avec un non professionnel qui gère deux fonds en parallèle, fut-il français.

Je reconnais que ce sont des partenaires très durs en affaires, car l'industriel est immédiatement sanctionné avec l'appui de la presse spécialisée. Il n'a aucune zone de tranquillité : à la moindre faiblesse, l'action tombe et les concurrents échafaudent publiquement des plans de reprise, de réorganisation et de démembrement.

Je dis solennellement ici que le décalage entre l'appréciation boursière et le redressement de Rhône-Poulenc crée les conditions presque idéales d'une OPA sur le groupe. Le précédent des AGF le prouve : les OPA géantes sont désormais possibles en France et Rhône-Poulenc y est vulnérable.

M. le Rapporteur : Est-ce la raison pour laquelle vous vous alliez à Hoechst ?

M. Jean-René FOURTOU : Hoechst présente le double avantage d'être un groupe européen et d'être aussi sous-valorisé que Rhône-Poulenc. En réalité, il n'y a pas d'autre entité au monde avec laquelle je pouvais faire un rapprochement à égalité.

La seule solution alternative au rapprochement avec Hoechst, qui me permettrait de devenir un groupe mondial dans la pharmacie, serait de nous vendre : Sanofi n'a rien aux États-Unis et ce pays dépose annuellement dans la pharmacie à peu près trois fois plus de brevets que l'Europe.

En agrochimie, il reste dans le monde huit sociétés, peut-être neuf puisque Monsanto et American Home Product se sont dissociés. Nous sommes en fin de partie : il n'y a pas une société qui se créera désormais, il n'y aura pas un concurrent nouveau. Si nous restions seuls, nous risquerions de nous trouver marginalisés. J'avais d'ailleurs entrepris des discussions tous azimuts pour éviter d'être le dernier des grands groupes, à 2,5 milliards de dollars pendant que les cinq premiers se trouvent à 4 milliards de dollars et plus.

Il fallait donc agir pour consolider Rhône-Poulenc aux États-Unis et accroître les budgets de recherche. Pouvoir opérer un rapprochement avec quelqu'un qui résout le problème stratégique et nous permet de demeurer européen - et même français, dans le cas présent - est exceptionnel ; c'était purement et simplement impossible au moment où j'ai pris les commandes de Rhône-Poulenc, lorsque Hoechst était le leader mondial avec un chiffre d'affaires double ou triple du nôtre. Il y a, avec Hoechst, une écoute et une volonté d'aller de l'avant très efficace, indépendamment du respect mutuel que nous nous portons. On dit souvent qu'un couple franco-allemand est difficile à construire ; l'expérience me montre que c'est beaucoup plus facile que je ne le pensais.

Le problème financier est un problème majeur. L'absence de fonds de pension en France me prive d'actionnaires nationaux de référence. J'espère intéresser la Caisse des Dépôts et en faire un partenaire durable d'Aventis, mais c'est mon dernier espoir. Je ne peux convaincre aucun opérateur français de mettre dans le nouvel ensemble les sommes nécessaires. Il ne serait pas utopique qu'Aventis puisse valoir dans trois ans 100 milliards de dollars : quelle est la structure capitalistique française capable d'apporter des moyens en proportion ?

Je suis donc déjà heureux qu'Aventis soit français, que les centres de recherche soient français et qu'on puisse être exportateur demain. Ce sera inévitablement avec un actionnariat apatride : je le dis en constatant les faits.

Le concept de « noyau dur » ne peut résister aux réalités économiques actuelles et si l'Etat a des intérêts à protéger, il vaut mieux qu'il garde la propriété de quelques golden shares : lorsqu'on vient vous proposer pour une entreprise 50 % de plus que son prix en bourse, les actionnaires ne peuvent refuser l'offre du fait des contraintes auxquelles ils sont eux-mêmes soumis.

M. Jean BESSON : J'ai une série de questions à vous poser.

Pouvez-vous, d'une part, indiquer la part d'externalisation sur les 9 milliards de R&D et si cette externalisation est nationale ou internationale ?

Par ailleurs, j'ai pris note des divers domaines d'intervention du groupe en matière de formation, notamment de formation des jeunes. J'ai relevé le pourcentage intéressant de jeunes qui réussissent au terme de cette formation dans les divers examens. Mais que deviennent les autres ? Y a-t-il dans votre système une procédure ou une filière de rattrapage pour ceux qui n'ont pas réussi ? Y a-t-il une possibilité d'insertion dans des catégories moins qualifiées ?

Par ailleurs, vous n'ignorez pas que les CSNE constituent une espèce en voie de disparition. Avez-vous prévu un substitut ? Peut-on prévoir la manière dont vous recruterez les jeunes qui pourront remplir leurs missions à l'avenir ?

Le rapporteur a évoqué des problèmes de fiscalité et de subvention. J'ai cru comprendre que 25 % des subventions reçues sont liées à l'emploi. J'aimerais savoir quel est le coût global pour l'entreprise de ses efforts en faveur de l'emploi (notamment de l'emploi des jeunes), y compris dans sa partie formation. Quels sont le coût global pour l'entreprise et le coût per capita, quel est en regard le coût pour l'État - c'est-à-dire pour les fonds publics ?

M. Jean-René FOURTOU : La recherche réalisée à l'extérieur se situe légèrement en dessous de 15 % aujourd'hui. Il faut souligner que la recherche mondiale de Rhône-Poulenc reste encore majoritairement faite en France. Notre politique est de croître beaucoup et peut-être de passer à 30 % ou 40 % de dépenses à l'externe.

M. Maurice GADREY : Je répondrai sur les questions posées sur la formation en alternance et la formation des jeunes. Nous conduisons la politique de formation avec pour objectif d'attirer encore plus de jeunes au sein de l'entreprise, mais nous avons beaucoup de mal à franchir le seuil de 1,5 % de l'effectif total. Il ne s'agit pas là d'une absence de volonté, mais bien d'une impossibilité : un accueil solide mobilise des énergies considérables et nos directeurs d'usine et directeurs de recherche nous mettent en garde sur les limites à ne pas dépasser. Je doute qu'il soit possible d'aller très au-delà de ce seuil de 1,5 %.

Nous observons avec beaucoup d'intérêt que le taux de succès aux examens s'établit à 83 %. Vous remarquez que 50 % des reçus sont ensuite recrutés chez Rhône-Poulenc, alors qu'aucun engagement préalable n'a été pris vis-à-vis des candidats. Les responsables des ressources humaines sont très attentifs à cette politique, âgée de huit à neuf ans désormais, et au sort des quelque 15 % de jeunes qui ne trouvent pas de travail après avoir pourtant réussi aux épreuves : ils essaient, dans la mesure du possible, de maintenir le contact avec eux.

Je ne sais pas répondre à la question sur le coût global. Seule une estimation serait possible, dont l'interprétation serait, au demeurant, à manier avec circonspection : par exemple, le coût pour l'entreprise n'est pas le seul coût direct et il faut estimer le coût indirect lié au temps consacré par le « tuteur ».

M. Jean BESSON : Cette estimation aurait son intérêt, car l'une de nos préoccupations est de comprendre ce qui se passe dans les entreprises recevant des aides publiques : rapprocher l'effort de l'entreprise de l'effort consenti par l'État permet d'établir une comparaison. Les dispositifs actuels existeraient-ils dans la même forme en l'absence d'aides publiques ou bien ces aides publiques sont-elles l'élément qui déclenche l'intervention ?

Par ailleurs, l'adéquation entre la formation et les besoins des entreprises ne suppose-t-elle pas que celles-ci y soient davantage impliquées et qu'il y ait, par voie de conséquence, un transfert de ressources afin qu'elles aient les moyens d'assumer ce que les pouvoirs publics leur demandent ?

M. Maurice GADREY : Sur l'effet d'aubaine, permettez-moi une remarque. Je le dis sous la foi du serment, et c'est navrant : beaucoup de dirigeants préfèrent payer une taxe plutôt que de recruter des personnes handicapées. Rhône-Poulenc a mis en place depuis plusieurs années un accord sur l'embauche des handicapés, approuvé par les cinq organisations syndicales : il a permis de faire une pédagogie anti-effet d'aubaine. Je suis donc consterné de voir que j'ai des difficultés pour me faire comprendre auprès de certaines administrations, qui trouvent qu'on ne recrute pas assez.

M. Jean-René FOURTOU : Je crois que l'effet d'une aide diffère fondamentalement selon la taille de l'entreprise : elle a un effet déclencheur beaucoup plus marqué au sein d'une PME que dans un groupe tel que le nôtre.

M. François LOOS : Nous avons noté que l'un des arguments discuté lors du rapprochement avec Hoechst a été la possibilité de disposer en France du régime du bénéfice mondial consolidé.

Vous avez cité tout à l'heure les jeunes qui préfèrent aller à Londres, à Genève ou en Californie, ou la production pharmaceutique qu'il vaudrait mieux installer en Irlande. Que peut-on retenir de ces exemples ? Pourrait-on imaginer quelque chose d'autre que le bénéfice mondial consolidé, qui serait de nature à rendre notre territoire plus attractif et susceptible de contribuer à une croissance économique vigoureuse ?

M. Jean-René FOURTOU : Nous résolvons en grande partie le problème de l'intéressement des salariés à fort potentiel avec des stock-options, qui permettent une certaine souplesse.

Nous sommes attachés à évoluer dans un environnement où des entreprises de recherche et de haute technologie se créent. Il faut qu'elles s'implantent en France, sinon elles partiront à l'étranger. Il faut donc trouver des systèmes qui permettent, d'une part, aux jeunes de créer facilement des entreprises et de faire fortune, et, d'autre part, aux investisseurs de placer des moyens dans ces entreprises à risque - pas à travers des fonds, mais à titre presque individuel. Ce qui doit nous mobiliser n'est pas le devenir des grandes sociétés mais la façon dont nous pouvons favoriser la création d'entreprise : nous avons besoin de l'innovation, de la création, du dynamisme des Etats-Unis où l'échec n'est pas sanctionné. C'est ce qu'il faudrait essayer de générer, mais j'avoue ignorer les moyens possibles.

M. le Rapporteur : Vous avez indiqué que Rhône-Poulenc aide les PME et PMI alentour sur un certain nombre de sites. Pourriez-vous nous donner quelques exemples français, où le groupe s'est ainsi investi dans cette citoyenneté économique ?

M. Jean-René FOURTOU : Nous avons beaucoup d'exemples, mais je n'en cite qu'un : « les tremplins de l'innovation ». Parmi une soixantaine de demandes, un jury présidé par Pierre-Gilles de Gennes sélectionne tous les ans dix projets de création d'entreprises par des scientifiques. Nous fournissons à chaque projet de la formation, de l'argent et un parrainage.

M. Louis GUEDON : Est-ce que ce sont des chercheurs ou des entreprises qui bénéficient de vos primes ?

M. Jean-René FOURTOU : Uniquement des chercheurs, c'est-à-dire des individus.

M. le Rapporteur : Comment intervenez-vous pour aider les entreprises voisines sur un bassin d'emploi ?

M. Maurice GADREY : A travers la société sopran, nous mettons à disposition entre cinq et dix ingénieurs d'affaires. Ce sont des salariés du groupe, en général très expérimentés et qui ont l'habitude de diriger des sociétés, qui décident à un moment de leur carrière de travailler quelques années pour la sopran. Ces ingénieurs d'affaires essaient de mettre en place une activité de substitution là où Rhône-Poulenc se retire, ce qui peut conduire à des cessions d'immobilisations (par exemple, des terrains), à des transferts de technologie ou bien à l'octroi d'aides à l'exportation (sous forme de mise à disposition de nos réseaux commerciaux).

M. le Rapporteur : La productivité apparente du travail a fortement progressé : de 1990 à 1997, le chiffre d'affaires a ainsi augmenté de 14 % alors que vos effectifs diminuaient de 25 %. Quels sont vos objectifs en terme de productivité pour les années à venir et par quels moyens comptez-vous les atteindre ?

Par ailleurs, les contrats à durée déterminée (CDD) ont représenté en France en moyenne 48 % des entrées dans l'effectif de 1988 à 1997. La part des entrées en contrats à durée indéterminée (CDI) sur la même période s'est établie à 22 %. Comment expliquez-vous, au-delà des cycles conjoncturels, que le groupe ait recouru en priorité à ce qu'on peut bien appeler des emplois précaires ?

M. Jean-René FOURTOU : Je suis surpris par ces chiffres : nous recrutons annuellement entre 1 500 à 2 000 personnes en CDI et avons un volant de 4 % de notre effectif en CDD. Entre décembre 1987 et décembre 1998, les CDI sont passés de 98,5 % de la totalité de l'effectif à 96 % et les CDD de 1,5 % à 4 %. Cela s'explique notamment par la saisonnalité marquée des activités agrochimiques, où nous sommes un acteur très important.

M. le Rapporteur : Avez-vous un problème de pyramide des âges ?

M. Maurice GADREY : Oui, mais les problèmes ont diminué. Nous observons entre 1987 et 1998 un rajeunissement de la population, puisque l'âge moyen est passé de 45 ans à 42,5 ans entre ces deux dates.

M. le Rapporteur : S'agit-il de départs naturels ? Dans l'automobile en particulier, on assiste tous les cinq ou dix ans à des départs massifs. Si on devait attendre qu'il y ait des départ naturels chez Renault, il n'y en aurait plus !

M. Jean-René FOURTOU : Les salariés partent souvent avant l'âge de la retraite et le groupe a encouragé les préretraites progressives, c'est-à-dire le départ à la retraite à mi-temps pour embaucher un jeune.

M. le Rapporteur : Comment comptez-vous procéder à l'avenir ?

M. Jean-René FOURTOU : La situation est très différente dans la chimie et dans les sciences de la vie.

Dans les sciences de la vie, la réorganisation imposée par la fusion pose naturellement un problème. Mais le secteur se développe : les effectifs de Pasteur-Mérieux-Connaught et des activités vétérinaires, qui ne sont pas directement concernés par la fusion, sont en croissance. Dans la pharmacie, le marché est en progression continue, d'autant plus que sont lancés des produits nouveaux sur lesquels les marges sont beaucoup plus importantes que sur les produits anciens. Globalement, le temps est à la croissance des moyens humains une fois la contraction achevée.

La chimie doit faire face à un problème beaucoup plus sérieux, parce que ses marchés ne se développent pas aussi vite et ne connaissent pas un rythme d'innovation aussi soutenu. D'une part, les coûts y augmentent en moyenne de deux points de plus que l'inflation, ce qui représente un alourdissement de charges constant pour l'entreprise ; d'autre part, la croissance du coût du travail y est supérieure à la croissance du chiffre d'affaires - ce qui n'est pas le cas de la pharmacie. La chimie est donc soumise à des contraintes particulières, qui imposent des efforts permanents de productivité.

M. le Rapporteur : Y-a-t-il une spécialisation par site en fonction des pays et des régions dans le monde ? En matière de délocalisations, avez-vous décidé de conserver dans les pays européens certaines activités et d'en transférer d'autres vers des pays à coûts salariaux ou sociaux plus faibles? Quelle est, dans ce cas, votre stratégie ?

M. Jean-René FOURTOU : Nous sommes dans des métiers qui ne sont pas des métiers manufacturiers : le danger qu'on court en ouvrant un site nouveau de fabrication de produits chimiques est tel qu'on ne s'y résout qu'avec d'extrêmes précautions.

On préfère donc développer les sites existants, ce qui aboutit à des spécialisations mondiales. Par exemple, nous sommes le deuxième producteur de sel nylon dans le monde. Tout est produit à Chalampé ; même pour couvrir l'immense marché chinois, la seule voie est de développer Chalampé et non de créer une deuxième usine.

M. le Rapporteur : Si on vous demandait de définir en quelques mots les atouts et les inconvénients de la France pour ce qui vous concerne, que diriez-vous ?

M. Jean-René FOURTOU : D'abord, on vit bien en France. Cela peut sembler évident, mais si on trouve des volontaires pour venir de Berlin à Lyon, on a beaucoup de difficulté à en trouver pour aller de Lyon à Berlin - même en compensant par beaucoup de primes ! La diversité de notre pays lui donne naturellement un avantage qu'il ne faut pas gâcher par ailleurs.

Je pense que la capacité de travail des Français est réelle. Certes ils ne cessent de récriminer, discutent de l'existence de Dieu et refont le monde avant de se mettre au travail ; mais globalement ils travaillent. Ayant fait le tour du monde, je ne peux pas dire que nous ayons une faible productivité. Il y a toutefois un écart trop important entre le coût du travail pour l'entreprise et ce que lit le salarié au bas de sa feuille de paie.

M. le Rapporteur : Et les inconvénients de notre pays ?

M. Jean-René FOURTOU : Je pense que la fiscalité individuelle est répulsive pour un étranger. Or la personne qui a des qualités scientifiques exceptionnelles et une véritable aptitude à entreprendre est irremplaçable : si le poids de la fiscalité ou des contraintes administratives la dissuadent de venir s'installer et travailler pour vous, nul ne pourra combler sa perte. C'est bien là le problème majeur que je décèle : tout l'enjeu est de créer des conditions pour que attirer ces hommes et ces femmes à très fort potentiel.

Les problèmes ne sont pas fondamentalement différents en Allemagne. Ils en sont au demeurant conscients et je pense qu'ils sont en train de changer.

M. Louis GUEDON : La fiscalité individuelle en Allemagne vous semble-t-elle aussi défavorable que la fiscalité individuelle en France ?

M. Jean-René FOURTOU : Je pense que les charges sociales sont un peu inférieures en valeur relative. Mais quand on compare la rémunération de l'individu à son coût pour la société, la France et l'Allemagne apparaissent très largement au-dessus du lot.

M. le Président : Vous avez indiqué que la fusion conduira à une baisse de l'emploi de l'ordre de 10 %. Puisque vous indiquez concomitamment que vous ne procéderez à aucun licenciement « sec », je souhaiterais que vous nous donniez des éléments de réponse sur les procédés de gestion des effectifs qui seront utilisés à cette occasion.

M. Jean-René FOURTOU : Ces 10 % sur trois ans pourront être absorbés compte tenu des mouvements internes au groupe, à condition toutefois que se maintienne la dynamique des mutations. Nous organisons entre 800 et 900 mutations par an en France au niveau des ouvriers et des cadres (changement de domicile, changement d'usine ou changement de centre de recherche).

Le problème de cette diminution de 10 % est lié à sa localisation. Il ne s'agit pas, en effet, de diminuer uniformément de 3 % les effectifs - ce qui s'absorberait très facilement. Le problème est plutôt qu'aux côtés de services qui continueront à embaucher, il faut affronter dans d'autres des réductions d'effectifs bien supérieures à ces 3 % - puisque c'est le service lui-même qui est supprimé. Notre problème est donc de répartir une charge de production aujourd'hui localisée sur la totalité du groupe.

Rhône-Poulenc embauche aujourd'hui 1 500 personnes par an en moyenne. Nous allons réduire ce recrutement et mettre en place des mutations accompagnées de formation.

Par ailleurs, nous comptons céder des sites : plutôt que de réduire les effectifs ou de supprimer l'unité de production, nous avons des produits dont le marché est hexagonal et qu'une petite ou moyenne entreprise sera intéressée à reprendre. Nous avons déjà opéré de tels transferts, qui ont intéressé des laboratoires nationaux de taille intermédiaire.

Notre entreprise a déjà eu la charge de se restructurer dans le textile et a développé toute une série de méthodes avec les syndicats pour trouver des solutions aussi respectueuses que possible de l'emploi. Ces politiques ont un coût élevé mais on arrive à des résultats satisfaisants sans drame majeur. L'inquiétude actuelle doit donc être dissipée, compte tenu notamment de l'étalement de l'ajustement sur trois ans et de l'existence de plusieurs pôles en croissance rapide.

M. le Président : N'avez-vous pas le sentiment de peser très lourdement sur l'activité de vos sous-traitants ? Quel est donc le regard que vous portez sur leur relation avec eux ?

M. Jean-René FOURTOU : La pression n'est pas aussi importante dans des métiers riches comme la pharmacie que dans des métiers pauvres comme la chimie.

Il est clair que la chimie exerce une pression terrible sur les prix des sous-traitants et des matières premières, ce qui crée un phénomène de déflation dans ces activités.

Dans la pharmacie, le Taxotere (anti-cancéreux) va passer de 400 millions de dollars à 1,5 milliard. Si vous êtes soucieux de son développement, il est secondaire de gratter des économies sur le producteur du carton d'emballage.

Audition des syndicats
Audition de MM. Maurice AGNIEL et Alain CANARD,
Délégués syndicaux de la CFE-CGC,

Serge DOUCET et Bernard RUCQUOY,
Délégués syndicaux de la CFDT,

Martial GUITTON et Claude STORDEUR,
Délégués syndicaux de la CFTC,

Alain MAGNANELLI et Daniel NOURY,
Délégués syndicaux de la SNIC-CGT et

Jean-Claude REVY,
Délégué syndical de la CGT-FO

chez RHONE-POULENC

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 mars 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Maurice Agniel, Alain Canard, Serge Doucet, Martial Guitton, Alain Magnanelli, Daniel Nourry, Jean-Claude Revy, Bernard Rucquoy et Claude Stordeur sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Maurice Agniel, Alain Canard, Serge Doucet, Martial Guitton, Alain Magnanelli, Daniel Nourry, Jean-Claude Revy, Bernard Rucquoy et Claude Stordeur prêtent serment.

M. Maurice AGNIEL (CFE-CGC) : Coordinateur CFE-CGC du groupe Rhône-Poulenc, je travaille sur le site de Salindres.

La CFE-CGC souhaite affirmer sa préoccupation première dans le cadre de la mondialisation de l'économie : donner un sens philosophique à la place de l'Homme dans la société du XXIème siècle. Cette place se situe, entre autres, dans la valorisation que l'Homme trouve au cours de son parcours professionnel dans l'entreprise.

La mondialisation de l'économie appelle celle des entreprises et des grands groupes. Cette impulsion demande créativité, innovation et esprit d'entreprise. L'adaptation du monde du travail, dans ce contexte, est permanente.

La qualité d'une entreprise et ses performances économiques reposent essentiellement sur son potentiel humain et social. Il convient d'humaniser le siècle qui vient : la tâche est immense mais chacun a sa place et une responsabilité professionnelle, politique, syndicale ou religieuse dans ce contexte.

Se préoccuper comme vous le faites de l'emploi et de l'aménagement du territoire, c'est répondre à l'attente de nos concitoyens. Les syndicalistes ont la même préoccupation : la CFE-CGC le fait dans le cadre de l'entreprise et de ses instances territoriales ou nationales. C'est un des combats de tous les jours où nous ne sommes pas les seuls, bien entendu.

Nous sommes favorables à ce qu'une concertation constructive s'établisse entre le monde de l'entreprise, le monde politique et le monde syndical. Les forces vives de notre pays sont là et il faut les aider à travailler ensemble.

M. Martial GUITTON (CFTC) : Coordinateur cftc du groupe Rhône-Poulenc, je travaille actuellement au siège de Teraplix à Montrouge - bien que je sois en poste à Avranches, petit pays du sud de la Manche à côté du Mont Saint-Michel.

A ce jour, je ne connais pas de délocalisation du groupe Rhône-Poulenc vers l'extérieur. En revanche je connais particulièrement bien les externalisations d'activités, puisqu'en j'en ai moi-même subies au sein du groupe.

A Avranches, la société Rhône-Poulenc Systèmes a été vendue « par appartements » - ou par productions. L'une des opérations a fort bien réussi, l'autre mal. Une activité a été vendue alors qu'il y avait une centaine d'emplois, qui sont devenus à peu près 120 aujourd'hui. Une autre a été cédée alors qu'il y avait à peu près 400 emplois ; il doit y en avoir aujourd'hui 50 ou 60. Une autre externalisation dont d'autres parleront mieux que moi : Pharma Industrie, vendue par Rhône-Poulenc l'année dernière et qui vient de déposer son bilan.

Rhône-Poulenc mène des actions avec la sopran, une société de reclassement : certaines réussissent, d'autres pas. Le groupe annonce 70 % de réussites et 30 % de non-réussites, mais sur le plan syndical nous dirions plutôt 50 %-50 %. Je ne saurais dire si ce taux de réussite est satisfaisant ou non ; en revanche, il est certain que les salariés touchés par ces transferts tentent de rester dans le sein du groupe car il représente une sécurité pour leur emploi.

Depuis que je suis responsable de la cftc au niveau du groupe, c'est à dire novembre 1998, je n'ai jamais entendu parler de pratiques contestables au niveau des transferts financiers. Ceci est d'ailleurs corroboré par les analyses de notre expert-comptable (SECAFI), qui ne font pas mention d'abus en la matière.

Au niveau de l'emploi, la cftc ne connaît pas le montant total des aides versées au groupe. Les principaux dispositifs auxquels il est fait appel sont les FNE et l'ARPE. Il est vrai que nous avons quelquefois des difficultés à comprendre que le gouvernement donne des aides à un groupe comme le nôtre à travers ces dispositifs : un groupe qui gagne de l'argent ne devrait-il pas, à lui seul, pouvoir financer des systèmes de départ anticipé - ce qu'avait d'ailleurs essayé de faire Rhône-Poulenc-Rorer ?

Le groupe Rhône-Poulenc dont nous parlons aujourd'hui n'existera plus demain, dès juin avec la création d'Aventis et dans trois ans avec la fusion Hoechst-Aventis. La création d'Aventis posera un problème d'emploi car elle devrait se traduire par une baisse de 10 à 15 % de l'effectif en France - soit entre 2 500 et 3 000 postes.

Dans le cadre de l'aménagement du territoire, nous devons reconnaître que chaque fois que des propositions ont été présentées visant à créer des emplois à l'extérieur de Rhône-Poulenc, le groupe a mis à disposition des moyens financiers et humains réels. Il reste que lorsqu'il ferme une entreprise, l'extrême attention qu'il dit prendre à l'évolution de l'environnement trouve assez rapidement ses limites : s'il est exact que la sopran intervient quand il existe des possibilités de créer de l'emploi, il est tout aussi vrai que Rhône-Poulenc plie bagage même si ces possibilités sont inexistantes. Tout cela contribue à la destruction sociale et humaine de petits pays comme le mien à Avranches : quand Rhône-Poulenc y ferme ses portes, les quatre cents emplois supprimés ont fait grand bruit et laissé place à un grand vide...

M. Jean-Claude REVY (CGT-FO) : Je suis coordinateur de Rhône-Poulenc-Rorer, dans le secteur Pharmacie.

Permettez-moi un constat liminaire : le groupe Rhône-Poulenc SA comptait 80 000 salariés en France dans les années 1968-1970 ; aujourd'hui, d'après les chiffres communiqués au comité de groupe, il ne s'agit plus que de 28 000 emplois. Quels postes ont été supprimés, transférés ou externalisés ?

Le groupe a perdu 22 000 salariés dans le textile et a cassé ce secteur, avec l'aide de l'État d'ailleurs.

Après la nationalisation de 1981, qui a remis en selle un groupe au bord du gouffre, la privatisation de 1993 a été l'occasion d'un redressement économique gagé sur des pertes d'emplois, des cessions et des transferts d'activités. Ces réductions d'effectifs sont engagées avec des aides de l'État, sous forme de FNE ou de plans sociaux. Que sont devenues la Drôme et l'Ardèche, où le groupe a supprimé tous ses sites industriels ? Que reste-t-il de l'industrie à La Voulte - alors que 75 % du potentiel industriel de la chimie de Rhône-Poulenc était dans le bassin Rhône-alpin ? Combien reste-t-il d'emplois, de sites industriels viables dans ce bassin ? Parlons encore de la Manche ou d'Albi, devenu un désert. Les conséquences sont terribles pour les communes, les régions, le tissu économique local et les emplois induits. Nous avons perdu plus de 50 000 emplois directs, mais combien d'emplois induits ?

A Force ouvrière, nous nous sommes interrogés sur le terme « certaines pratiques » utilisé dans la résolution votée par l'Assemblée nationale. Quand les pouvoirs publics autorisent les grands groupes à utiliser des départs en ARPE, en FNE ou en retraite anticipée, est-ce mal utiliser les fonds publics ? A titre personnel, j'ai tendance à dire qu'il est assez regrettable qu'une entreprise qui réalise des milliards de bénéfices, utilise des fonds publics et supprime des emplois. D'ailleurs, si on permet aux grandes entreprises de faire partir leur personnel à 56 ans en FNE et en ARPE, le problème du financement des retraites de ces personnes se posera rapidement.

Où passe l'argent public ? Non pas dans un développement des contrats de qualification, encore très peu nombreux : la direction annonce 4 % mais ils ne représentent que 1,5 % de l'effectif chez Rhône-Poulenc-Rorer, premier laboratoire de France. Que font les contrats de qualification dans l'entreprise ? Sont-ils bien là pour apprendre un métier ou pour travailler à la place de personnes qui devraient être embauchées ?

On fait un appel massif aux contrats à durée déterminée et à l'intérim afin de pourvoir à des postes fonctionnels dans l'entreprise et non pas pour des tâches ponctuelles (remplacement de personnes en arrêt maladie etc.). Peut-être parlera-t-on, au cours de ce débat, de ce qui se passe sur la ligne d'un des produits leaders de Rhône-Poulenc-Rorer, le Lovenox, où l'on utilise des gens en intérim et qui n'ont pas toute la formation voulue.

Dans ce groupe qui a été nationalisé, sauvé par les fonds publics et recapitalisé, puis privatisé, la chute des emplois s'est poursuivie. Nous ne sommes pas à même de dire qu'il est illégal d'utiliser des fonds mis à la disposition d'une entreprise, mais nous nous interrogeons en tant que syndicalistes : dans quelles conditions sont données ces aides ? N'y a-t-il pas, sur le plan de l'éthique, un problème à demander aux entreprises qui réalisent des milliards de bénéfices d'utiliser ces fonds ? J'ai l'impression que l'on « blanchit » des fonds publics et qu'il y a un reversement, non pas aux salariés, mais en dividendes aux actionnaires. Plus on dégraisse les effectifs, plus les coûts diminuent, plus la rentabilité augmente et plus les dividendes s'accroissent.

M. Alain COUSIN : Cela supposerait que l'argent public soit sale.

M. Jean-Claude REVY (CGT-FO) : Ce que je veux dire, c'est qu'une partie de mes impôts sert à ce que Rhône-Poulenc licencie mes camarades de travail pour que les actionnaires touchent 20 % de dividendes en plus.

M. Alain COUSIN : Je voulais simplement qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur la notion de recyclage ou de blanchiment d'argent. J'imagine bien que ce n'est pas ce que vous pensiez.

M. Jean-Claude REVY (CGT-FO) : Voilà les questions que nous nous posons : toutes ces aides légales ont-elles une utilisation illégale ?

La question a été posée de leur montant. Nous nous la posons depuis des années et nous la posons à nos directions : quand elles mettent en place des plans sociaux, quelle masse de fonds publics touchent-elles ? Nous aimerions le savoir pour pouvoir comparer avec les bénéfices réalisés. Or nous n'avons jamais ces chiffres, les directions ne nous les donnent pas et ne nous les donneront jamais. Le recoupement est alors impossible à faire pour les organisations syndicales, puisqu'il faudrait consolider tous les départs en ARPE, en FNE, etc. De manière générale, les entreprises ont des moyens beaucoup plus importants que les organisations syndicales pour préparer ce type de dossiers.

M. Serge DOUCET (CFDT) : M. Bernard Rucquoy vient de Rhodia (partie chimie de Rhône-Poulenc, Lille), alors que je viens au titre du pôle pharmaceutique (Rhône-Poulenc-Rorer, Anthony).

L'idée d'examiner les problèmes d'aménagement du territoire, d'emploi et d'utilisation des fonds publics par des groupes de la taille de Rhône-Poulenc me semble excellente. Elle aurait d'ailleurs sans doute dû être émise plus tôt, ce qui aurait permis d'éviter certaines dérives. La CFDT estime qu'une société, publique ou privée, doit être citoyenne et qu'une régulation est nécessaire au niveau national ou international ; en France, elle doit venir de ces mandatés de la Nation que sont les parlementaires et les gouvernants.

Les années récentes nous semblent caractérisées par un renforcement de la satisfaction des actionnaires, souvent au détriment d'une politique industrielle véritable, au service de l'emploi à long terme. Non seulement ce comportement joue contre l'emploi, mais il précarise les statuts sociaux et salariaux des salariés. Parallèlement, la distribution de multiples avantages aux cadres dirigeants se généralise dans des conditions de grande opacité.

Nous avons repris un petit comparatif du cours de l'action Rhône-Poulenc aux 31 décembre 1995, 1996 et 1997 par rapport à l'évolution des effectifs en France : un principe général de l'économie vérifié aux niveaux mondial et national, veut en effet que lorsque l'action monte, l'emploi descend. Fin 1995, le cours de l'action Rhône-Poulenc était à 105 F et les effectifs français à 35 547 personnes. Un an plus tard (fin 1996), le cours de l'action était à 177 F (soit plus de 70 % d'augmentation). Fin 1997, le cours de l'action était à 263 F - soit une multiplication par 2,5 - et les effectifs étaient de 29 047 - soit -6 000 en deux ans.

Certains moyens mis en _uvre par la direction pour limiter les dommages sociaux peuvent, a priori, sembler positifs ; il faut néanmoins en regarder les résultats de plus près. Je songe à l'exemple de la sopran, filiale à 100 % de Rhône-Poulenc dont la tâche est de faire naître dans les bassins d'emploi des activités de substitution, afin d'atténuer les conséquences des fermetures de sites et d'ateliers programmées. Selon la direction, elle aurait aidé à la création de 4 500 emplois au cours des dix dernières années. La CFDT estime qu'un véritable bilan doit tenir compte du nombre d'emplois qui demeurent au bout de quelques années ; or le suivi est rapidement abandonné et les rares informations qui nous sont transmises sont souvent dramatiques, en raison des stratégies poursuivies par certains chasseurs de primes.

L'exemple de Pharma Industrie (Gennevilliers), cité par M. Martial Guitton (cftc) me paraît judicieux : cette filiale a en effet été cédée à une société cotée au second marché, qui vient d'être mise en dépôt de bilan. Les pratiques du repreneur, Le Nigen'n, sont connues pour celles d'un chasseur de primes qui achète des sites ou des sociétés dans différentes entreprises, ne paie plus le treizième mois, puis le salaire et finit en dépôt de bilan. De même, à Salindres dans le Gard, le nouveau propriétaire Letellier n'a jamais respecté ses engagements. Naturellement, il y a aussi des contre-exemples de réussite et l'aide de la sopran est souvent appréciée par les municipalités, car elle verse des aides financières.

Je voudrais dresser devant vous la liste des sites et ateliers qui ont été fermés. S'agissant des sites : Cellatex à Grenoble, le centre de recherche de Vénissieux, Hyères-sur-Amby (Alès), Rousset, Cooper, Brives, Nantes, Nancy, Marseille, Lille, Bordeaux (santé).

M. le Rapporteur : Quand vous parlez de fermetures, faut-il comprendre que ces sites sont rayés de la carte ou qu'ils sont externalisés ?

M. Serge DOUCET (CFDT) : Ils sont véritablement rayés de la carte. La société Cooper, par exemple, était une société très riche avec une trésorerie abondante. Elle a été vidée de celle-ci par Rhône-Poulenc, qui l'a rachetée parce qu'elle distribuait ce produit essentiel dans l'automédication qu'est le Doliprane. A force de « presser le citron », l'emploi a progressivement disparu sur l'ensemble du territoire.

S'agissant des ateliers : Lille, Les Roches de Condrieu, Salindres, Pont-de-Claix, Ribécourt (chimie), Belle-Etoile (fibres) et Cooper-santé.

S'agissant des réductions d'activités, il y a d'abord le cas de Biogalénique, laboratoire de médicaments génériques racheté par Rhône-Poulenc il y a trois ans et demi. Dans un contexte de maîtrise des dépenses de santé, l'effet d'affichage lié à la reprise a vite laissé place à une réduction des équipes de visite médicale et une implantation du siège au même niveau que les autres laboratoires - d'où des doublons et des réductions d'effectifs. Ce que nous avons entendu aujourd'hui confirme qu'il pourrait y avoir un désengagement de Rhône-Poulenc du segment des médicaments génériques, alors qu'il est le premier laboratoire français, le premier laboratoire européen et premier ou deuxième laboratoire mondial s'il devient Aventis-Pharma !

Les directions régionales de visite médicale évoluent, mutatis mutandis, comme celles de Cooper : les sites dispersés un peu partout en France, qui permettaient d'avoir un relais avec le client, ferment peu à peu.

Du point de vue de la politique de cessions, celles-ci s'effectuent toujours après que Rhône-Poulenc a supprimé les emplois surnuméraires - ce qui permet de vendre dans les meilleures conditions. S'agissant des activités non viables pour lesquelles le groupe a prétendu vouloir assurer l'avenir - mais dont les repreneurs ne sont pas forcément crédibles... -, certaines connaissent actuellement de grandes difficultés : Pharma Industrie à Gennevilliers, Rhône-Poulenc Agro à Agde, Albi et Setila à Valence. S'agissant des activités viables, en matière de santé il faut mentionner Monts (près de Tours) cédé à Astra et Giens à Pierre Fabre ; pour les films, Saint-Maurice-de-Beynost cédé à Thoret.

Certaines cessions ne répondent qu'au besoin de faire de la trésorerie : pour la chimie, Thann-et-Mulhouse (Le Havre), PPC, Pardice, SFOS, Société chimique de La Courneuve et Europhos ; pour l'agrochimie, Rhône-Poulenc-Jardins avec des emplois essaimés dans toute la France (notamment des VRP).

Mentionnons enfin, au titre des redéfinitions de périmètre, les RES sur les sites de Givet (Cellatex fibres) et de Béziers ; quant au transfert à Genève (Suisse) de la salle des marchés, nous n'en avons jamais obtenu les raisons précises.

En revanche, on constate un fort développement la sous-traitance : ménage, gardiennage, nettoyage, maintenance voire logistique... Cette sous-traitance est maintenant soumissionnée au niveau national et risque, à terme, d'avoir des conséquences sur les besoins d'emplois et sur l'aménagement du territoire. L'informatique et la façonnage pharmaceutique (notamment des produits moteurs) ont été externalisés.

Il y a eu également des délocalisations. Au-delà de la nécessité de répondre aux exigences de certains pays pour l'implantation des activités sur leur sol, Rhône-Poulenc - notamment pour des nouveaux produits à forte valeur ajoutée - a délocalisé certaines activités pharmaceutiques dans des paradis fiscaux en Irlande, à Singapour ou à Porto Rico. Cette pratique ne va pas grandissant mais a existé durant les dix années dont il est question.

Globalement, nous ne pensons pas que des malversations ou des malhonnêtetés de la part de Rhône-Poulenc soient à déplorer. Mais certaines opérations comptables utilisent toutes les ficelles de la législation, afin que les transferts d'une filiale à une autre permettent d'éviter de payer des impôts ou de mieux utiliser les fonds. Pour nous, c'est plutôt de la virtuosité que de la malhonnêteté.

Sur le plan social, M. Jean-René Fourtou a déclaré lors d'une des dernières réunions de comité de groupe que l'emploi était une « variable d'ajustement ». Cela confirme notre sentiment depuis plusieurs années et nous pensons que c'est le raisonnement de plus en plus de chefs d'entreprises. De tels propos ne peuvent qu'être très mal vécus par les salariés et leurs représentants ; la CFDT estime pour sa part que la recherche de compétitivité passe nécessairement par une plus juste répartition des richesses.

Rhône-Poulenc utilise aujourd'hui les dispositifs FNE, préretraites progressives (PRP) et ARPE comme de véritables outils de gestion.

Dans la chimie, les préretraites progressives ont été largement utilisées jusqu'au durcissement de leurs conditions d'octroi ; depuis, leur utilisation est beaucoup plus sélective. Dans la pharmacie, leur usage est resté marginal ; au contraire, les accords signés chez Rhône-Poulenc-Rorer qui prévoyaient 100 à 150 emplois sur deux ans environ, ont débouché sur une dizaine de postes supplémentaires - moyennant quelques départs négociés.

L'ARPE a été mise en _uvre mais Rhône-Poulenc n'a pas respecté l'esprit de cet accord, qui a pour but de lutter contre le chômage : l'entreprise préfère payer des pénalités plutôt que d'embaucher. Il serait bon que les principes des textes qui existent lui soient rappelés.

Pour des raisons tant politiques qu'économiques, Rhône-Poulenc n'a pas la volonté de mettre en _uvre une politique de réduction du temps de travail (RTT) pour créer des emplois mais pour dégager des gains de productivité. Cette orientation impose aux salariés des efforts et des charges de travail supplémentaires, alors que le groupe a largement les moyens d'introduire une RTT qui maintienne ou développe l'emploi.

Entre les demandes présentées pour financer des FNE, qui sont l'occasion de se défaire des salariés le plus vite possible, les aides qui imposent pour contrepartie le maintien ou la création d'emplois. Rhône-Poulenc a fait son choix dans la majorité des cas, Rhône-Poulenc déclare ne pas être rechercher des fonds publics pour la réduction du temps de travail créatrice d'emplois.

La volonté de Rhône-Poulenc est d'avoir 2 % de ses effectifs en contrat de qualification. Au bout du compte, environ un tiers de ces jeunes sont embauchés : c'est s'acheter à bon prix une image de marque favorable, au regard de la modestie de l'effort que cela représente et de la réalité des conditions de travail des salariés au quotidien !

C'est dans la répartition des richesses que l'on constate l'écart le plus choquant entre la direction et ses cadres et la masse des salariés. Le groupe a mis en place pour ses cadres supérieurs une garantie de ressources à vie et un système de stock-options extrêmement favorable. Il y a aussi l'ARS, ce système qui garantit une retraite très confortable au seul bénéfice des principaux dirigeants.

A l'inverse, une grande majorité des salariés subissent une faible croissance des salaires, des tentatives de mise en place de fonds de pension déguisés risquant de remettre en cause à terme les régimes surcomplémentaires, une précarisation de l'emploi de plus en plus perceptible - et d'ailleurs confirmée par les documents du groupe eux-mêmes. Il y a deux poids et deux mesures dans la protection des salariés chez Rhône-Poulenc, avec une dérive au fil des ans que nous regrettons.

En définitive, la CFDT s'interroge sur l'utilisation en faveur de l'emploi des fonds publics versés à Rhône-Poulenc. Je pense d'abord aux aides directes. Mais je rappelle aussi le produit de la cession des 35 % du capital de Roussel-Uclaf (4,5 Mds de F), apportés par l'État à Rhône-Poulenc avant la privatisation afin de le désendetter.

Le groupe a bénéficié d'aides publiques directes et indirectes généreuses. Nous ne sommes pas convaincus que ces apports se soient transformés en comportement citoyen; bien au contraire, la gestion de Rhône-Poulenc relève de la pensée unique depuis plusieurs années - une stratégie exclusivement financière, qui veut que le marché et la bourse aient toujours raison.

M. Alain MAGNANELLI (SNIC-CGT) : Je suis administrateur cgt du groupe Rhône-Poulenc et M. Daniel Nourry, est secrétaire de la coordination des syndicats cgt du groupe.

A défaut de pouvoir répondre sur l'utilisation des fonds publics dont bénéficie Rhône-Poulenc, nous souhaitons vous montrer combien les conséquences du rapprochement du groupe Rhône-Poulenc avec l'allemand Hoechst seront néfastes aux plans économique et social, quelle que soit la parité sur la base de laquelle la fusion se réalisera. Cette opération, dont la logique et la nécessité économique ne sont pas démontrées, n'aboutira qu'à des suppressions d'emplois massives et des fermetures arbitraires de sites. Ces craintes, qui sont celles des salariés des groupes concernés et les nôtres en tant que syndicalistes, reposent sur l'analyse des documents communiqués par la direction de Rhône-Poulenc et d'articles relatifs à la fusion parus dans la presse économique et financière.

Dans les informations remises aux administrateurs et aux syndicalistes, la direction se livre à une série d'affirmations lapidaires privées de toute démonstration, procédé qui tient de l'écran de fumée, voire de la man_uvre dilatoire.

On peut ainsi lire : « Avec sa nouvelle culture, Aventis disposera d'une plate-forme solide pour bâtir une croissance soutenue à moyen et long termes... ». Je crois plutôt que le choc provoqué par le heurt des comportements de deux nations culturellement différentes et par la joint-venture prévue pour le mois de mai prochain, ne permettra pas de mettre en valeur des synergies qui sont loin d'être évidentes en matière de croissance.

On lit aussi que « La nouvelle société bénéficiera d'une faible exposition globale au risque brevet » : que vient faire la taille dans le cadre de la protection des brevets ?

Ou encore : « Aventis pourrait réaliser rapidement des synergies pour renforcer sa compétitivité, en augmentant son efficacité et en améliorant sa structure de coûts. Les économies totales attendues atteindraient 1,2 milliard de dollars d'ici trois ans. Notre vision et notre philosophie de management communes seront la clé d'une intégration réussie ». Tout l'édifice s'appuie donc sur des économies de coûts salariaux, c'est-à-dire des suppressions d'emplois. En matière d'intégration réussie par un management et une philosophie communes, nous pensons que notre pays a besoin d'autres orientations.

De même, le projet remis aux organisations syndicales explique abruptement que « l'existence d'Aventis apporterait des opportunités de développement et de création de valeur beaucoup plus importantes que celles qu'auraient eues Rhône-Poulenc et Hoechst séparément ». Et il ajoute : « Aventis aura une masse critique en recherche & développement de 1 milliard de dollars pour Rhône-Poulenc et 1,4 milliard de dollars pour Hoechst, soit 2,4 milliards de dollars ». En mathématiques, 1 + 1,4 font 2,4. Mais pas en chimie : ce n'est pas en mettant deux malades dans le même lit que l'on fait une personne bien portante !

Pour ce qui concerne la recherche, plusieurs questions se posent sur la logique stratégique de la fusion. En effet, on ne peut que s'inquiéter sur l'avenir de plusieurs produits :

Le Kestine (Rhône-Poulenc-Rorer) et le Telfas-Allegra ne pourront coexister dans le portefeuille d'Aventis, car ces deux produits sont en concurrence directe ;

De même, le Refludan ou le Trimegestone vont entrer en rivalité avec des produits phare de Rhône-Poulenc-Rorer comme le Lovenox ou l'Estalis.

La fusion va détruire du chiffre d'affaires. Les ventes d'Aventis seront inférieures à la somme des ventes des deux sociétés prises séparément, ce qui aura des conséquences inévitables sur les unités de production industrielles et les réseaux commerciaux.

D'autres allégations tout aussi fantaisistes sont par exemple : « Des synergies importantes contribueraient au rythme de notre croissance. Aventis prévoit des ventes supérieures à 400 millions de dollars d'ici 2003 », etc.

Sur le plan industriel, le choc de la fusion touchera particulièrement notre pays puisque c'est en France que se situe l'essentiel des sites de production d'Aventis : on y compte 19 usines, dont 8 sites primaires (fabrication de principes actifs) et 11 sites secondaires (fabrication et conditionnement des formes galéniques).

En ce qui concerne le coût social du projet, les conséquences des rapprochements qui l'ont précédé justifient largement les craintes des salariés de Rhône-Poulenc. La fusion Glaxo-Wellcome a coûté 7 500 emplois, celle de Pharmacia et Upjohn 8 000 emplois et celle de Ciba et Sandoz pourrait se traduire par 12 000 suppressions de postes.

Jusqu'à présent, Rhône-Poulenc et Hoechst ont, chacun de leur côté, admis sans donner de chiffres que la fusion entraînera des suppressions de postes et des fermetures de sites. L'expérience prouve que les fusions réalisées à ce jour ont contribué à la perte de 10 à 15 % d'emplois. D'ailleurs, un document confidentiel que les directions des deux groupes n'ont pas démenti et dont la presse s'est emparée, affirme que la fusion entraînera entre 9 000 et 11 000 suppressions de postes (dont 3 000 en France) et que 49 sites sur 91 seront fermés chez Rhône-Poulenc et Hoechst.

Des articles parus récemment, notamment dans les Echos du 22 février, évoquent déjà la fermeture du site HMR de Compiègne comme conséquence du rapprochement. Certaines déclarations sont éloquentes : s'adressant à ses salariés le 1er décembre 1998, M. Richard Markham, directeur général de Hoechst, déclare « [qu'] un des objectifs lors d'une fusion est de créer une organisation rationalisée et efficace, et [que] cela signifie que des emplois seront supprimés et certains sites fermés à cette occasion ».

Les documents remis aux syndicats sont tout aussi explicites et quelquefois mensongers. Je cite : « Comme Rhône-Poulenc l'a fait précédemment, dans le respect de son éthique, personne ne sera laissé seul en face de son problème d'emploi ». Ou encore : « sopran, société de reconversion, interviendrait pour attirer les entreprises dans les bassins d'emploi et favoriser l'implantation d'activités nouvelles. sopran a ainsi aidé à la création de 4 500 postes sur les dix dernières années ». Enfin : « Les droits collectifs et individuels seraient globalement équivalents à ceux existant à ce jour ».

En parlant d'éthique, nous constatons que notre organisation syndicale défend encore des dossiers de salariés licenciés pour cause de plan social remontant à quatorze ans. Ils avaient été reclassés dans des entreprises de paille créées grâce à la sopran sur des sites « en difficulté » ; ces entreprises, qui ont bénéficié de nombreux avantages gratuits (eau, électricité, vapeur, etc.), ont néanmoins disparu.

La sopran a créé, dit-on, 4 500 postes mais Rhône-Poulenc en a supprimé 20 000 dans la même période. Même ces 4 500 postes sont sujets à caution : combien en reste-il aujourd'hui ? Je rappelle qu'à Salindres la sopran avait attiré plusieurs PME, reprenant une centaine de salariés reclassés ; à ce jour, il n'en existe plus qu'une ou deux et moins de vingt emplois perdurent. Qu'en est-il des droits collectifs et individuels des salariés reclassés, de ceux placés dans des joint-ventures et de ceux dont le site a été vendu ? Tous ont vu leurs droits et leurs acquis sociaux diminués.

Dans la presse économique, nous avons lu des commentaires d'analystes financiers dont les inquiétudes font écho aux nôtres. Ainsi ces spécialistes, qui souvent détiennent des chiffres et des informations obtenus des directions financières des groupes elles-mêmes et que l'on ne peut soupçonner de sympathies syndicales, ont souligné l'imprécision et le caractère démesurément ambitieux du projet de fusion entre les deux groupes, dont la santé économique et financière présente des défaillances comparables. Ainsi, le 3 décembre, CPR Finance dénonçait « une visibilité réduite pour un programme ambitieux » et poursuivait : « Les économies de coûts planifiées par le management d'Aventis nous paraissent très ambitieuses. En plus des réductions d'effectifs attendues chez Hoechst (400 millions de deutsche marks) et chez Rhône-Poulenc (1,5 milliard de francs) pour 1998, Aventis devrait réaliser 1,2 milliard de dollars d'économies sur trois ans. L'expérience récente de la fusion laborieuse de HMR et, surtout, du retard dans l'exploitation des synergies nous laisse sceptiques face aux ambitions d'Aventis. Au-delà du caractère ambitieux de ces économies, les moyens de les réaliser restent imprécis. Il s'agirait essentiellement de réductions d'effectifs ». De son côté, M. Philippe Cottet de Credit lyonnais securities Europe écrit : « La mise en _uvre de licenciements en France sera un élément capital pour la réussite du plan de restructuration, qui sera lui-même l'élément crucial pour le succès de ce rapprochement » ; sans commentaire ! Enfin, M. Julius Bar indique : « D'un point de vue financier, l'opération est intéressante pour les actionnaires actuels de Rhône-Poulenc »... et uniquement pour eux, sommes-nous tentés d'ajouter !

Les motivations et les arguments qui incitent les dirigeants des deux groupes à rassembler leurs actifs nous paraissent donc s'appuyer sur des supputations et des simulations que rien ne justifie.

Je voudrais maintenant brièvement évoquer la cession de Rhodia, filiale chimie de Rhône-Poulenc. Cette cession représente en effet une condition sine qua non à la fusion avec Hoechst dans les sciences de la vie.

A quel repreneur et dans quelles conditions Rhodia sera-t-elle vendue ? Quels liens s'établiront avec Aventis du point de vue de la production de matières premières ? Aujourd'hui Rhône-Poulenc est encore un groupe intégré, en dépit des restructurations nombreuses subies depuis quinze ans. Ceci nous conduit à considérer que le système des filières de production perdure. Si Rhodia est vendue, quelles seront les conséquences sur l'emploi en sus des 9 000 à 11 000 pertes que le rapport confidentiel dévoile ?

Nous pensons que Rhodia est un élément indispensable au sein de Rhône-Poulenc : elle est le n° 1 mondial de l'aspirine, des diphénols et des dérivés fluorés et le n° 2 mondial du paracétamol, tous produits entrant dans la composition des médicaments. L'activité pharmaceutique de Rhodia représente 37 % de son chiffre d'affaires et son activité agrochimique 25 % ; en d'autres termes, Rhodia travaille à 62 % pour les sciences de la vie.

Avant d'en venir à nos propositions, nous voudrions poser une dernière question : la fusion du premier Français de la pharmacie avec un Allemand est-elle une bonne solution dans une période où s'engagent les premières discussions sur le marché unique du médicament ? Allons-nous rallier sans combat ou débat de fond au postulat de Commission européenne selon lequel les médicaments sont des marchandises comme les autres ?

Nous souhaitons vous faire part des propositions que nous défendons depuis plusieurs années.

Nous appelons à la mise en place d'un pôle pharmaceutique national sous forme de coopérations entre les groupes pharmaceutiques français comme Rhône-Poulenc, Sanofi ou Synthelabo, la recherche publique (CNRS, Pasteur), les entreprises d'origine étrangère comme HMR et les petits laboratoires tels que Fournier et Fabre - le tout sous la haute autorité du ministère de la santé. Ces coopérations permettraient la préservation des sites et des emplois dans notre pays et la création de nouvelles synergies ; le médicament n'étant pas une marchandise comme les autres quoi qu'en pensent certains, elles seraient également le moyen de satisfaire les besoins en matière de santé tout en respectant l'éthique due à la mise en _uvre d'un produit particulier.

Le même principe de coopération pouvait être envisagé dans la chimie et l'agrochimie françaises.

En guise de conclusion, relisons le bulletin d'information de l'AFP en date du 26 décembre 1998. Il nous apprend que le ministre allemand des finances M. Oskar Lafontaine considère que les entreprises allemandes gagnent bien leur vie et que, grâce à leur productivité, elles investissent, citations à l'appui : « BMW achète Rolls-Royce, Volkswagen achète Bentley, Hoechst achète Rhône-Poulenc... ». Un ministre des finances peut-il confondre un achat avec une fusion ?

M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser quelques questions.

J'aimerais que vous reveniez plus précisément sur le cas de Cooper.

La sopran sert à prospecter à l'entour des sites de Rhône-Poulenc ou de ses filiales afin de trouver les emplois susceptibles de compenser les fermetures. Quel est son rôle précis, quel type d'activités met-elle en place - développement de PME-PMI existantes ou création de nouvelles entreprises ?

Pourriez-vous reparler également de la précarité - selon la direction, elle n'existe pas puisqu'il y a 96 % de CDI ?

Pour ce qui concerne les dirigeants, les éléments dont je dispose par ailleurs confirment que les principaux cadres achètent des actions du groupe pour l'équivalent d'un an de salaire ; cela fait partie de leurs obligations. Comment se fait-il alors que l'actionnariat salarié chez Rhône-Poulenc ne représente seulement que 4 % du total ?

J'aimerais que vous reveniez aussi sur les contrats de qualification. Vous avez parlé d'un fort développement des contrats à durée déterminée et du recours à l'intérim - ce qui n'est pas tout à fait le discours de vos dirigeants.

Par ailleurs les aides publiques accordées, pour moitié environ, sont des aides à la recherche. Rhône-Poulenc n'est pas parmi les groupes les plus consommateurs d'aides publiques, au sens traditionnel du terme, même s'il s'agit de montants astronomiques compte tenu de sa configuration et de sa géographie.

M. Bernard RUCQUOY (CFDT) : La sopran intervient très souvent en cas de fermeture de site ou d'atelier, selon des modalités variables en fonction des lieux et des bassins d'emploi. Sa responsabilité première est d'essayer d'implanter des activités ; il ne s'agit pas d'intéresser le seul personnel concerné, mais l'ensemble du tissu d'activités dans le bassin d'emploi. Dans le cas de la fermeture de Lille, les interventions se sont appuyées sur une coopération avec les trois communes limitrophes.

La difficulté est de dresser un bilan, après quelques années, des emplois restants. Nous reprochons au groupe de ne pas prendre suffisamment de précautions contre les chasseurs de primes qui s'implantent à un moment donné dans un secteur, récupèrent cinq ans d'exonération de charges puis recherchent une nouvelle implantation dans un autre secteur.

S'agissant de la précarité, nous n'en avons pas parlé du point de vue du statut du personnel de Rhône-Poulenc ou de Rhodia. En revanche, nous déplorons l'externalisation de tous les métiers qui ne constituent pas le c_ur du groupe : la volonté affichée de Rhodia étant de se concentrer sur la chimie, on externalise les activités considérées comme périphériques dans de petites entreprises, ce qui précarise l'emploi car ces PME sont soumises à des contrats sur appels d'offres.

En matière de contrats de qualification, la situation est globalement correcte. L'objectif du groupe est d'afficher 2 % de jeunes dans ce cadre, mais il s'agit selon nous d'une stratégie d'image.

Du côté du dispositif ARPE, les documents de la direction ne sont pas exacts : en effet, celle-ci ne respecte pas l'esprit des accords et préfère compenser les préretraites progressives par des emplois qui lui sont totalement liés.

M. Daniel NOURY (SNIC-CGT) : Je reviens sur le problème de Cooper.

Quand Rhône-Poulenc a acheté la société, les premières restrictions en matière de dépenses de santé étaient déjà intervenues. Le groupe a considéré qu'il fallait se rapprocher des acheteurs, donc aussi des officines compte tenu du développement des médicaments grand public. Cooper a été rachetée parce que son réseau couvrait 98 % des officines de l'hexagone et qu'elle détenait le commerce du paracétamol, analgésique à forte valeur ajoutée très bien implanté sur les marchés français et européen.

Que s'est-il alors passé ? En prenant le contrôle de Cooper, Rhône-Poulenc s'est acheté les services d'un deuxième dépositaire alors qu'il en avait d'ores et déjà un pour les grossistes français et l'exportation (Pharma-Service à Marne-la-Vallée). Comme le stock du dépositaire appartient au laboratoire, faire de Cooper un dépositaire revient à le priver de la maîtrise de ce stock.

Rhône-Poulenc a décidé de rationaliser sans en connaître véritablement les mécanismes. Lors de son rachat Cooper comptait 1 800 salariés, 10 sites de logistique en France, une qualité de service reconnue par tous les pharmaciens, 1 milliard de F d'actifs et 150 millions de F de bénéfices. Aujourd'hui, Cooper se résume à 758 salariés au terme du plan social, un seul site de logistique, pas d'actifs et 35 millions de F de déficits. Si vous demandez aujourd'hui à un pharmacien ce qu'il pense de Cooper, il répond qu'il ne veut plus en entendre parler : quand il passe commande, il peut espérer être servi au mieux deux à trois semaines plus tard - contre quatre à cinq jours auparavant. En imposant une gestion pure et dure, Rhône-Poulenc a détruit Cooper et le service reconnu qui en était la raison d'être.

Rhône-Poulenc a externalisé avec précipitation le service de distribution aux pharmaciens : Cooper avait un parc de camions de livraison et des chauffeurs-livreurs habitués, qui rendaient des services importants aux pharmaciens. En externalisant, en vendant la flottille de camions à des sociétés privées qui ne connaissent pas ou peu le milieu des pharmaciens et en réaffectant au sein de l'entreprise les chauffeurs-livreurs, on a privé Cooper de l'essentiel de sa fonction : un service de proximité. Voilà l'origine de ce qu'il faut bien appeler la déconfiture de Cooper.

M. Alain COUSIN : Nous sommes aujourd'hui confrontés - pardonnez-moi ce lieu commun - à une mondialisation des échanges qui oblige à des comportements d'adaptation.

Je constate que le choix opéré par l'ensemble des pays développés est celui de l'économie de marché, car il semble que ce type d'économie permette de créer des richesses. Sont-elles bien réparties ? C'est une autre question, sur laquelle je ne me prononce pas.

out cela conduit les grands groupes et les multinationales à se replier sur leur c_ur de métier. Les grands groupes capitalistes ne sont pas les seuls. Dans mon département, l'État le fait avec la DCN ; président d'un comité d'expansion économique, je ne peux que remarquer que le ministère de la défense se comporte comme Rhône-Poulenc. Alors, je m'interroge devant ces externalisations, ces restructurations et ces suppressions d'emplois : les entreprises ne se marient pas par plaisir mais simplement pour être plus compétitives, pour pouvoir exister encore dans les cinq ou dix ans qui viennent.

Les restructurations conduisent toujours à des situations difficiles pour des salariés. Je suis de ceux qui pensent qu'un groupe quel qu'il soit, piloté par l'Etat ou par des intérêts purement privés doit rendre des comptes au territoire sur lequel il se situe. Lorsqu'il crée des emplois, il génère une turbulence positive, mais lorsqu'il en supprime il crée une turbulence négative : dans les deux cas, j'estime de son devoir d'y faire face.

Un certain nombre d'entreprises ont inventé des missions de développement économique local, dont la sopran peut constituer un exemple particulier. Les avis à son propos sont visiblement mitigés. J'aimerais donc avoir votre sentiment sur les améliorations possibles de l'action de cette société.

J'aimerais avoir aussi des informations plus complètes sur les fameux chasseurs de primes. J'en ai croisé au plan local, mais les exemples restent rares. Que des personnes aient profité d'une opportunité pour s'installer et aient échoué n'est pas en soi condamnable : cela peut être le fruit d'une mauvaise gestion ou d'accidents économiques. Vous dites en revanche que certaines cherchent à profiter du système avant de fermer leurs portes et recommencer ailleurs. J'aimerais avoir des exemples précis pour pouvoir les étudier, démonter le système et à partir de là proposer au gouvernement, en tant que législateur, des dispositifs de prévention.

M. Maurice AGNIEL (CFE-CGC) : La sopran existe depuis 1980 ou 1982, époque à laquelle ont commencé les restructurations lourdes au sein du groupe. Jean Gandois était encore aux commandes ; il est parti en 1983, date à laquelle Loïc Le Floc'h-Prigent arrive, puis Jean-René Fourtou en 1986.

Lorsque le comité exécutif décide de la fermeture d'un site ou de l'arrêt d'une partie des activités, cela ne reste pas sans conséquences.

Je pense à Salindres dans le Gard, où Aluminium Pechiney en 1984 s'est désengagé de ses activités d'alumine hydratée et calcinée - soit plus de 300 suppressions d'emplois - compte tenu de la surproduction mondiale. A l'époque, nous avons rencontré ses responsables pour savoir ce qui se passait exactement. Après plusieurs mouvements sociaux sur le site, l'arrêt de l'activité a été maintenu par Pechiney, qui a conclu un contrat avec Rhône-Poulenc pour assurer la fermeture des activités d'alumine hydratée et calcinée et essayer de gérer le problème social. Il fallait assurer la répartition des effectifs indirects, ce qui occasionnait de sérieux problèmes de personnel : la sopran est alors entrée en action ainsi qu'un organisme de Pechiney qui s'est impliqué dans la reconversion du site.

Les suppressions d'emplois ont entraîné des reconversions et des propositions de mutations. Aluminium Pechiney en a proposé à son personnel : certains ont pu suivre, d'autre pas pour des raisons familiales ou économiques. Des personnes sont donc restées « sur le carreau » et, pour elles, il fallait bien trouver des solutions. Les organisations syndicales se sont impliquées aussi, ne voulant laisser personne au bord du chemin.

Au travers de la sopran puis de l'organisme de Pechiney, des solutions ont été recherchées avec des entreprises susceptibles de venir s'implanter sur une zone industrielle encore à créer, que les fonds de Rhône-Poulenc et de Pechiney ont aidé à construire.

Je ne citerai pas de chiffres ici, puisque nous n'avons pas la comptabilité analytique des sites et des directions des sociétés du groupe ; l'expert-comptable non plus, d'ailleurs. Toujours est-il que des aides substantielles ont été apportées par les entreprises, y compris pour la construction de bâtiments.

Quel est le résultat plusieurs années après ? Il n'est pas toujours très brillant, d'où nos inquiétudes. Dans cette affaire, même si nous nous sommes heurtés aux directions d'Aluminium Pechiney et de Rhône-Poulenc à l'époque, celles-ci ont accompli les efforts financiers nécessaires pour essayer de reclasser les personnes qui étaient en difficulté. Mais ensuite, la responsabilité leur a échappé et il y a là matière à réflexion : est-ce qu'un grand groupe de la taille de Pechiney ou de Rhône-Poulenc doit totalement dégager sa responsabilité dès lors que l'entreprise qui s'est installée commence à vivre ? C'est un problème contractuel, qui aurait d'ailleurs pu être traité dans le cadre du contrat de plan établi à l'époque dans le département du Gard. Si, en 1984, les nouvelles entreprises s'étaient installées avec une couverture ou une corde de rappel des entreprises nationales, le problème eût été différent. Cela n'a pas été le cas : aujourd'hui, lorsqu'une entreprise s'écroule après avoir été aidée par Rhône-Poulenc, le personnel se retrouve en difficulté.

Que faudrait-il alors faire ? Dans tous les cas la sopran, qui est en prise directe avec les directions des sociétés du groupe, devrait avoir la capacité de conclure des contrats de suivi et de ne pas laisser l'entreprise vivre seule pendant un, deux ou trois ans. Si une entreprise, comme une joint-venture, a des comptes de résultats équilibrés ou dégage des marges au bout de deux ans, elle a des chances d'être pérenne. Il faut en revanche une sécurité pour les salariés si l'entreprise témoigne rapidement de son manque de viabilité.

C'est là que se situe le problème. La CFE-CGC estime nécessaire que les grands groupes prennent des engagements contractuels de suivi pendant quelques années, afin qu'en cas de problème il y ait réintégration du personnel avec une corde de rappel.

M. Alain COUSIN : Ne peut-on pas imaginer, dans les contrats qui seraient passés par la sopran pour s'occuper des jeunes entreprises en start-up ou aider des PME locales à se développer, d'aller au-delà de la prime à l'emploi ? Les grands groupes n'ont-ils pas en effet une tendance regrettable à se défaire de leurs problèmes en se bornant à allouer 40 ou 50 kF par emploi ? Ne pourrait-on faire en sorte que, sur plusieurs années et manière quasi contractuelle, on demande à ces grands groupes qui ont des cadres nombreux - donc des capacités d'expertise - d'accompagner un ou deux jours par mois ces jeunes entreprises, quitte à sortir en sifflet ? On ne peut naturellement pas mettre en tutelle une PMI pendant quinze ans ; mais ne serait-il pas possible de demander un accompagnement temporaire aux grands groupes, à travers la sopran par exemple ? Il ne faut pas que cela soit seulement une affaire d'argent, il faut aussi amener de l'expertise.

M. le Rapporteur : La meilleure solution serait sans doute qu'il n'y ait pas d'externalisation dans certains secteurs... mais les faits sont là. Il faut chercher des solutions avec les entreprises, mais des solutions qui ne soient pas des trompe-l'oeil, des solutions illusoires qui rassurent un temps les politiques locaux.

M. Maurice AGNIEL (CFE-CGC) : De telles affaires sont une catastrophe pour les politiques locaux parce qu'ils se sont investis après avoir été interpellés par les organisations syndicales. A l'époque, il existait des contrats de plan région-entreprises, avec des investissements encore plus élevés qu'aujourd'hui. Les politiques locaux en ont souffert aussi, mais les premiers étaient tout de même les salariés et leurs familles et ce sont eux que nous défendons ici.

Vous parlez d'aide apportée par les cadres du groupe. Pourquoi ne pas utiliser le projet Passerelle qui existe chez Rhodia et permet à l'encadrement de sortir de l'entreprise pour aider une PME-PMI tout en conservant son contrat de travail et sa rémunération ? Le temps passé est pris en charge financièrement (hors charges) par la PME-PMI, ce qui est une manière de l'aider puisqu'elle ne peut pas payer en continu un comptable, un juriste ou un spécialiste du contrôle de la production. Ce projet existe déjà chez Rhône-Poulenc, il faut l'utiliser et lancer la mécanique.

M. Jean-Claude REVY (CGT-FO) : M. Alain Cousin a posé beaucoup de questions. La première souligne une fatalité : nous sommes dans une économie de marché et il faut tout externaliser et mondialiser. Nous l'avons compris, mais nous n'adhérons aucunement au libéralisme à tout crin, aux destructions d'emploi et à l'enrichissement d'une minorité de la population. Nous sommes dans une économie de marché qui doit être régulée, même s'il est vrai que la France ou l'Europe seule n'y parviendra pas.

Nous pouvons citer des exemples précis de chasseurs de primes. Comment les identifier ? Quand on y parvient, il est trop tard. Malheureusement, les organisations syndicales ne peuvent pas pourchasser les chasseurs de primes sauf s'ils sortent du rang pour prendre d'autres fonctions.

Il a été cité le cas de Pharma Industrie, société du groupe qui fabriquait le Malox, produit majeur de Rhône-Poulenc-Rorer. On décide de se désengager et de mettre en place un plan social.

Pour comprendre la situation, il faut rappeler que Rhône-Poulenc-Rorer - branche pharmaceutique de Rhône-Poulenc - s'est construit par les rachats successifs de Roger Bellon, Pharmuca, Teraplix et Bottu. Nous étions le premier laboratoire français par la filiale Specia (qui n'existe plus aujourd'hui) quoique nous ne représentions à l'origine que 4 % du marché. Les rachats successifs nous ont portés à 12,6 % du marché ; après dégraissage d'effectifs, restructurations, rachat de Rorer à 53 fois sa valeur et 14 milliards d'investissements dans Fisons - dont on parle d'abandonner l'axe thérapeutique -, nous sommes arrivés tout juste à 7,6 % de parts de marché en France. Nous avons payé très cher en emplois ces divers mouvements mais n'avons pas gagné en parts de marché. Par comparaison une société comme Volkswagen, qui a gardé les grands centres de production, ses quarante mille salariés et n'a pas externalisé ou sous-traité, a utilisé une autre méthode : le gain de parts de marché.

Je reprends l'exemple de Pharma Industrie. Dans le cadre des restructurations et du plan social qui les accompagne, il est proposé aux salariés de créer leur entreprise et de reprendre une activité. Sept ou huit acceptent de prendre l'argent, montent une société et de récupèrent, par exemple, le site. Rhône-Poulenc promet d'assurer du travail pendant un certain temps, mais sans contrat. Quelques années après, en raison de la nécessité de réduire les coûts, Rhône-Poulenc organise un nouvel appel d'offres pour ces tâches de ménage. Or les cadres qui montent des entreprises ont tendance à payer leurs salariés au salaire qu'ils percevaient chez Rhône-Poulenc. Ils se retrouvent donc, trois ou quatre ans après la création de leur entreprise, confrontés à une concurrence créée par ce même Rhône-Poulenc qui leur a demandé de reprendre une activité. Les coûts étant trop élevés, ils mettent la clé sous la porte et sept à huit personnes basculent dans le chômage.

Vous avez évoqué les chasseurs de primes. Les agents de Le Nigen'n Industrie, entreprise connue dans son secteur pour ne pas payer ses cotisations de sécurité sociale, se présentent pour acheter un site. Les organisations syndicales alertent la direction avant le rachat et la mettent en garde : « Méfiez-vous... ils ne paient pas » - ce que nous savons bien car nous siégeons dans les commissions paritaires.

Le problème est que Rhône-Poulenc n'en tient pas compte, seulement préoccupée de diminuer ses coûts. Après des restructurations successives, le site a été saigné et il ne reste plus que cent personnes sur le millier d'origine. Il ne reste plus que des coûts fixes, naturellement trop élevés, et Rhône-Poulenc décide de se débarrasser de l'ensemble. La méthode suivie par Rhône-Poulenc est réglée comme du papier à musique, on connaît à l'avance les sites qui seront proposés à la vente : l'entreprise n'y investit plus, elle y transfère quelques fabrications, on vend quelques produits et, au dernier moment, un bon coup de peinture ! Entre-temps, on a dégraissé les effectifs et gardé ce qui peut intéresser un chasseur de primes qui ne cherche pas une activité trop lourde à gérer.

Dans le cas de Le Nigen'n, seuls quatorze mois séparent la reprise du dépôt de bilan. Ce mauvais payeur était bien identifié ; cela a-t-il empêché Rhône-Poulenc de vendre ?

Vous parliez de mondialisation. J'ai 47 ans et suis dans le groupe depuis 29 ans ; j'ai changé dix fois de nom.

La concurrence a d'abord existé entre les sites français. Quand on a regroupé tous les laboratoires dans un même groupe, la liste était simple : Giens était meilleur, puis venaient Monts en Touraine, Maisons-Alfort, Pharma Industrie et, enfin Saint-Genis-Laval et Livron dans la Drôme. Le meilleur a été vendu à Pierre Fabre ; les salariés ont perdu 30 % de leurs acquis sociaux. Le deuxième, Monts, a été vendu à Astra et une partie est allée chez un façonnier avec un contrat prévoyant 20 % de perte de salaires.

Nous sommes maintenant en concurrence permanente avec les sites européens. Après, ce sera la concurrence mondiale. On voit à quoi mène l'économie de marché.

M. Martial GUITTON (CFTC) : A propos de la sopran, je voulais parler du projet Passerelle qui existe chez nous.

La sopran est une voiture-balais qui attrape tout au passage : dès qu'on lui donne une idée, elle creuse. Elle aide les syndicalistes, les politiques, des industriels ou des personnes à faire quelque chose là où il existe un besoin... mais surtout là où Rhône-Poulenc estime l'intervention prioriaire - par exemple à Avranches et non à Coutances.

Lorsque Rhône-Poulenc, du temps de la nationalisation, a décidé de vendre le site d'Avranches, nous avions négocié une corde de rappel. Le site a été scindé en deux. La partie qui s'appelle « Le Pyral », où l'on fait des bandes son pour le cinéma et la télévision et la partie magnétique des tickets de métro, a été vendue. Le repreneur l'a bien exploitée puisqu'elle est passée de 80 emplois à 120 aujourd'hui. L'autre partie a été vendue à la société Polychrome, qui a conclu un contrat avec Rhône-Poulenc à Avranches aux termes duquel elle resterait à Avranches pendant cinq ans ; à cette occasion, Rhône-Poulenc a donné une corde de rappel à ses salariés partis chez Polychrome. Cinq ans après, le repreneur a revendu l'entreprise à un chasseur de primes qui a décidé de la fermer. Un cadre, ancien de Rhône-Poulenc, a dit : « Ce n'est pas possible de la vendre. Nous avons encore un produit. Nous pouvons peut-être le favoriser ». Il a repris le produit, une autre société s'y est intéressée et maintenant Kodak est propriétaire de l'entreprise, qui compte vingt ou trente salariés.

La sopran mène des affaires qui fonctionnent. D'autres échouent, comme Le Nigen'n ou dans le textile, qui est passé de 30 000 salariés à 1 500 ou 2 000.

Je voudrais maintenant évoquer les chasseurs de primes. Je vais vous donner un nom : la SPAP à Granville. Cette belle entreprise, qui a été obligée de fermer du fait que les employeurs avaient un peu triché et fait un tour en prison, a été rachetée par des personnes intéressées simplement par le terrain. Grâce à l'action des politiques et des syndicalistes, nous avons réussi à garantir un peu cette entreprise avec des aides de l'Etat et de la ville, d'où une centaine d'emplois préservés.

M. Alain COUSIN : Il y a eu aussi des aides du conseil général et du Fonds régional d'aide à l'emploi.

M. Martial GUITTON (CFTC) : Les chasseurs de primes existent. Lorsqu'ils sont connus, il est de notre devoir et du vôtre de mettre des moyens en place pour informer et protéger les salariés car, au bout du compte, ce sont eux et leurs familles qui paient la facture. Certes, ces chasseurs de primes ne sont pas nombreux, mais ils sont bien là.

J'aborderai un dernier point que nous avons abordé aujourd'hui, en raison de la fusion de Hoechst et de Rhône-Poulenc au sein d'Aventis. Ce matin, le président Jean-René Fourtou ne s'est pas privé de dire que les produits non stratégiques dans les secteurs de la pharmacie, de l'agro-alimentaire et de la nutrition animale seront regroupés sur un site de fabrication unique, qui sera vendu à terme.

Donc il y aura demain une nouvelle phase de contraction des effectifs. Un exemple : le Doliprane sera fabriqué par Bottut à Lisieux et le site vendu avec le produit.

M. Alain COUSIN : J'essaie de comprendre ce que vous dites. Pourquoi la société se débarrasse-t-elle  du Doliprane, un produit qui apparemment rapporte de l'argent ?

M. Martial GUITTON (CFTC) : Ce n'était qu'une image : Rhône-Poulenc ne cédera pas demain la fabrication du Doliprane, puisqu'il a même racheté Cooper pour la reprendre.

Je n'ai pas en mémoire un nom de produit précis dont Rhône-Poulenc ne veut plus. Aujourd'hui, il a toutefois clairement décidé de se situer sur un certain nombre d'axes stratégiques dans la santé tels que le traitement du cancer ; il va donc se débarrasser d'un produit comme le Toplexil, sirop contre la toux. S'il est fabriqué à Lisieux, il y aura une petite unité d'une cinquantaine ou d'une centaine de personnes qui sera vendue parce qu'elle n'est pas stratégique pour Rhône-Poulenc.

C'est d'ailleurs ce qui a été fait dans toutes les productions dont Rhône-Poulenc n'a plus voulu à partir de 1981, quand M. Gandois a annoncé son plan de diminution des effectifs le 11 décembre 1981.

M. Serge DOUCET (CFDT) : Je confirme qu'un bon exemple de chasseurs de primes est Le Nigen'n, qui a racheté à Gennevilliers Pharma Industrie et qui est actuellement en dépôt de bilan. Nous avions prévenu qu'il se posait un problème.

M. le Rapporteur : Si, à l'époque, vous avez écrit à la direction de Rhône-Poulenc pour la mettre en garde, quelles ont été ses réponses éventuelles ou ses non-réponses ?

M. Serge DOUCET (CFDT) : Dans des comités de groupe ou en comité central d'entreprise, il y a eu des échanges et même des tracts.

J'aimerais réagir sur deux ou trois points évoqués par M. Alain Cousin, car nous sommes au c_ur du débat qui a lieu dans notre groupe.

Nous ne sommes pas gênés par l'économie de marché mais elle ne doit pas être la loi de la jungle. Une certaine régulation de l'État ne doit pas forcément rebuter le gaulliste que vous êtes. Dans la santé, on n'est pas en face de lessive ou d'un produit quelconque. Je parle plus spécialement du pôle pharmaceutique, mais la chimie n'est pas de la lessive non plus. Tous ces produits ont une valeur ajoutée.

La pharmacie concerne la santé humaine. En France, le secteur est financé par la collectivité, y compris pour la recherche, et par les cotisations de sécurité sociale des salariés. A la CFDT, nous pensons que l'Europe et la mondialisation sont inéluctables mais qu'il est possible d'assurer une certaine régulation.

Au niveau national, il existe par exemple le comité économique du médicament (CEM) qui contrôle les prix et les volumes. Nous pensons qu'il n'y a pas utilisation adéquate de ce type d'outil pour faire en sorte qu'il y ait un respect de l'éthique et une bonne utilisation du médicament ou pour connaître ses retombées en termes d'emplois. L'équilibre de la sécurité sociale doit se faire entre cotisations et dépenses ; si les cotisations baissent parce qu'on licencie dans une économie de marché débridée, il va se poser quelques problèmes.

Si le premier groupe français, qui prend une dimension mondiale, se permet d'être aussi le premier à débaucher dans un domaine comme la pharmacie, avec les plans sociaux multiples qui se font jour actuellement dans la production - chez Cooper, dans la recherche ou les sièges sociaux - alors nous pensons que la régulation ne joue pas efficacement. Or le marché français est important et Rhône-Poulenc y est très fortement implanté. Il a une attitude défensive, fait des économies de bouts de chandelles, liquide des équipes commerciales et, un jour, s'étonne de constater une perte de chiffre d'affaires. L'exemple de Cooper est emblématique. L'image très positive, assortie de résultats financiers enviables, est complètement dégradée.

M. Alain COUSIN : J'ai cru comprendre que vous disiez que le groupe baissait la garde s'agissant de la recherche. Confirmez-vous ce point ?

M. Serge DOUCET (CFDT) : Je ne sais pas si je l'ai dit en ces termes. En tout cas, le groupe a diminué le nombre de chercheurs au fil des années avec des plans sociaux successifs. Au bout du compte, nous sommes obligés de nous marier avec un autre groupe qui n'a pas une recherche exceptionnellement brillante, mais dont les produits vont néanmoins déboucher plus vite que les nôtres. Au lieu d'amener une dynamique nouvelle, de créer du résultat et donc d'assurer la pérennité de l'emploi, Rhône-Poulenc fait le contraire aujourd'hui.

Le groupe Hoechst s'était déjà uni avec Marion il y a deux ans. Ce type de mariage, qui vise à capter des parts de marché et augmenter le chiffre d'affaires, conduit bien souvent - parce que l'on rogne sur les coûts et qu'on se sépare de personnes qui ne semblent plus nécessaires - au besoin de renouveler la même opération deux ou trois ans plus tard. Au plan international, il y a eu beaucoup de destructions d'emplois dans la pharmacie, dans des fusions sur le modèle du futur Aventis qui n'ont pas été suivies de résultats.

Rhône-Poulenc a depuis longtemps la plus grande part du marché français, mais Hoechst a la deuxième. Il y aura beaucoup de destructions de sites et d'emplois en France et en Allemagne. Notre préoccupation va au-delà de la France et nous pensons qu'aujourd'hui il n'est plus possible d'avoir un raisonnement uniquement franco-français.

Le but de la commission d'enquête est d'examiner l'emploi des fonds publics français. Nous remarquons que l'Etat distribue des fonds pour les FNE qui pourraient être utilisés de façon plus judicieuse. On ne fait que des préretraites défensives chez Cooper. On a diminué les effectifs de visite médicale chez Biogalenique alors qu'on peut espérer un essor du générique en France : il est de bon sens d'utiliser des produits 30 ou 40 % moins chers alors que d'autres, qui ont largement rentabilisé depuis quinze ou vingt ans leur recherche, continuent à être vendus à des prix de plus en plus élevés.

Vous parliez de propositions. Il existe des organismes qui donnent des autorisations de mise sur le marché (AMM) et qui sont des commissions de transparence ; en France, il s'agit du CEM, qui accorde des prix et des volumes pour deux à trois ans. Le CEM a été en veille pendant quelques temps en raison des changements de représentants et des ennuis avec le SNIP, mais les responsables de la pharmacie reconnaissent eux-mêmes que ce type de commission leur permet d'avoir une vision à deux ou trois ans des volumes à produire et des prix. Avec peut-être des critères complémentaires, il permettrait d'avoir une meilleure régulation dans nos métiers et de gérer à moyen terme, y compris sur le plan de l'emploi. Si les critères sont adéquats en termes de prescription et d'utilisation, c'est bénéfique pour la santé publique, pour la vision économique des laboratoires et pour l'emploi, parce que cela permet une gestion prévisionnelle correcte. Pourquoi n'y aurait-il pas des critères conduisant à une discrimination positive pour les laboratoires qui sont prêts à faire des efforts sur les maladies orphelines - où la recherche a priori n'est pas rentable - ou sur les génériques ?

Il existe des possibilités de régulation. La technique de court terme qui consiste à baisser les coûts et donc les effectifs entraîne au bout du compte des pertes financières.

Je vais élargir mon propos au-delà de la France. Nous avons actuellement un problème avec ce qui a été racheté chez Fisons concernant l'asthme : nous avons connu une perte lourde en 1998. Or le groupe a vendu des activités dans la chimie ou ailleurs pour pouvoir racheter Fisons. Pour réaliser une petite économie de départ, on a liquidé une équipe de 80 visiteurs médicaux aux Etats-Unis. Un an après, un concurrent a fait le contraire : il a installé une équipe de vente très agressive et aujourd'hui des marchés sont perdus définitivement. Ce qui s'est produit aux Etats-Unis, avec un système d'économie de marché beaucoup plus idéologique que le nôtre, se produit désormais en France et se produira de nouveau demain.

Je termine par une citation de M. de Rozen, ancien directeur de cabinet de M. Alain Madelin quand celui-ci était ministre de l'industrie et patron de la pharmacie de Rhône-Poulenc-Rorer jusqu'à ce qu'Aventis se crée. Ce responsable n'est pas un régulateur ou un étatiste convaincu, vous vous en doutez. Il a pourtant reconnu il y a quelques mois que les risques d'OPA sur le groupe, du fait de sa fragilité, existent depuis qu'il a été privatisé. De sa part, c'est un aveu qui montre que, au regard de la pérennité du groupe et de l'emploi, il faut faire très attention.

M. Alain MAGNANELLI (SNIC-CGT) : Je voudrais réagir à quelques questions de M. Alain Cousin. Les chasseurs de primes, le reclassement des salariés licenciés après fermeture de sites et les propositions constituent un tout.

Tous les syndicats ont alerté la direction générale du faux pas qu'elle commettait avec Le Nigen'n. Elle nous a demandé d'apporter des preuves : nous l'avons fait et j'ai eu l'occasion de rencontrer les membres du conseil d'administration à ce sujet puisque j'en suis membre. J'avais remis un dossier au vice-président de l'époque. Aujourd'hui arrive ce qui devait arriver.

Auparavant, Rhône-Poulenc était un peu plus attentif dans sa recherche de partenaires. Aujourd'hui, le premier qui tend la main et a l'argent emporte les enchères ! Il n'est pas possible de travailler ainsi et sur ce plan, je crois que le gouvernement a son mot à dire.

Même si je suis à la cgt, je ne suis pas un ultra des nationalisations. Mais j'ai la faiblesse de croire que certains produits, notamment le médicament, ne peuvent pas rester entre les mains de n'importe qui. Le médicament est un produit sérieux, utile pour la vie et la santé, qui ne doit pas être laissé aux mains des opérateurs privés. Il doit être nationalisé : c'est une solution pour éviter ce à quoi nous assistons aujourd'hui.

Restructurations et fusions : à quelle fin ? L'objectif est connu : davantage de dividendes pour les actionnaires. Pourquoi Rhône-Poulenc avec Hoechst ? Pour l'argent, mais aussi parce que ces groupes sont OPAbles depuis qu'ils veulent se séparer de leur chimie. Les patrons le reconnaissent, au demeurant, mais persistent. C'est un cercle vicieux : après le rapprochement Hoechst-Rhône-Poulenc - s'il a lieu -, dans quelques années, il faudra aller plus loin.

M. le Rapporteur : Cette fusion permet aussi aux groupes d'échapper à cette situation de risque d'OPA et de se recentrer sur des activités sûres et rentables, en conservant les fonds de pension et l'actionnariat.

M. Alain MAGNANELLI (SNIC-CGT) : Personne n'est certain des résultats économiques, pas même les directions.

Je reviens sur la sopran. Je comprends qu'il faille créer des PME et des PMI pour compenser les pertes d'emplois occasionnées par les grands groupes. Mais quand il n'y aura plus de grands groupes, il n'y aura plus de PME non plus... car la vie des PME est liée à l'existence de ces donneurs d'ordre que sont les grandes sociétés industrielles.

M. Jean-Jacques FILLEUL : Issu d'un grand groupe pharmaceutique, je vous écoute avec délectation parce que j'ai vécu tout cela. C'était un groupe américain, qui l'est toujours, mais les stratégies sont les mêmes avec quinze ans d'avance.

Ce que vous dites est très éloquent et tout à fait intéressant. Vous posez tous les problèmes de la société, de l'industrie et de son implication dans le marché.

Le marché a souvent bon dos. Ce qui coûte en réalité, c'est la stratégie des entreprises. J'étais favorable, évidemment, à la nationalisation de Rhône-Poulenc en 1981 : à l'époque, ce n'était plus qu'un débris d'entreprise. La nationalisation a réussi. Puis il y a eu la privatisation et, après quelques années, on sait dans quel état le groupe se trouve. La description que vous en faites est parfaitement éloquente, même si je fais la part des choses.

Vous démontrez, par vos propos, tout l'intérêt de cette commission d'enquête sur les stratégies développées par les groupes industriels, sans parler du problème spécifique de la pharmacie.

J'étais cadre dans mon groupe et je me suis posé sans cesse les mêmes questions que vous. Il y a vingt-cinq ans, nous avions un produit qui soignait formidablement les bronchites. Il était simple et remarquablement efficace : on buvait le flacon dans la journée et le lendemain matin on était frais et dispos. Bien sûr, il ne rapportait pas suffisamment, sa marge était trop faible ; le laboratoire est sorti du groupe et il s'est effondré immédiatement. Il n'y avait pas de corde de rappel.

Les stratégies des groupes sont souvent suicidaires pour l'économie en général. Lorsque le groupe Rhône-Poulenc prend la décision de supprimer une entreprise et de la vendre, il sort de son économie propre pour rejoindre la sphère de l'économie générale. Il joue un rôle très important sur l'emploi et, immédiatement, les fonds publics interviennent.

Je voudrais poser deux questions.

Que pensez-vous de l'idée, qui traverse l'esprit de beaucoup d'entre nous, qu'après avoir été aidée par des fonds publics, l'entreprise qui devient largement bénéficiaire doive rembourser tout ou partie de l'aide publique à l'Etat ou aux collectivités locales impliquées ?

Les stratégies des groupes répondent quelquefois à des préoccupations exclusivement financières et aucunement industrielles. Là aussi, une autre idée forte : qu'en pensez-vous ? Quel rôle pourraient jouer dans l'avenir le personnel et les organisations syndicales dans la prise de décision finale d'un groupe par rapport à des suppressions ou des mutations d'entreprises ? Comment envisagez-vous un système permettant d'éviter que les grands groupes industriels ne commettent de telles erreurs, engageant l'Etat, les collectivités locales et la vie des salariés ?

M. Martial GUITTON (CFTC) : Une entreprise qui a bénéficié de fonds de l'Etat doit-elle les rembourser quand elle réalise des bénéfices ? La cftc ne répondra pas à cette question, car elle ne sait pas le faire.

Dans le domaine de la pharmacie, dès l'instant où la sécurité sociale rencontre des difficultés, il est demandé à des groupes comme le nôtre de l'aider et c'est normal. Je vous retourne alors la question : est-ce qu'à travers les décisions de l'actuel gouvernement imposant aux grands groupes pharmaceutiques une contribution à la restauration de l'équilibre des comptes sociaux ne se manifeste pas un remboursement d'une petite partie de l'aide perçue ?

Je pose une autre question. Il y a eu la nationalisation, puis la privatisation décidée par un autre gouvernement. Pourquoi le gouvernement pluriel qui a nationalisé ne propose-t-il pas aujourd'hui la renationalisation du groupe Rhône-Poulenc, ce qui apporterait une partie des réponses à vos interrogations ? Je le dis comme je le pense : pourquoi ne pas renationaliser pour éviter une fusion entre Rhône-Poulenc et Hoechst ?

M. Serge DOUCET (CFDT) : Le remboursement de l'aide publique serait une idée à creuser, mais pas seulement en termes financiers. Étant donné la situation actuelle du chômage, ce retour ou cette contrepartie devrait être recherché en emplois.

Chaque situation est différente : je ne sais pas si les données économiques sont les mêmes chez Renault et Rhône-Poulenc après la privatisation. Mais le problème de l'emploi est systématique. Qu'après avoir profité pendant des années d'un capital, de subventions ou d'aides de l'État, des collectivités locales, des régions ou de l'Europe il n'y ait aucun retour, est un véritable scandale. Il faudrait des remerciements sous forme d'emplois, de pérennité de certaines activités ou de soutien aux PME. Cela relève d'une réflexion très vaste, mais il est vrai qu'il existe dans ce domaine une lacune totale.

Il s'est tenu aujourd'hui une instance européenne. Nous avons fait venir notre collègue allemand président du comité européen de Hoechst, qui est également membre de son Conseil de surveillance. Même s'il s'est exprimé en termes trop vigoureux, il a eu au moins le mérite de porter le débat sur les systèmes de cogestion et codétermination (mitbestimmung).

Les cultures sont différentes. Nous rencontrons régulièrement nos collègues allemands de la chimie. Aujourd'hui, parmi les syndicats en France, il y a une très forte réticence à la cogestion, à la codétermination. Nous n'avons pas les outils, l'histoire ou les possibilités qui existent en Allemagne avec un seul syndicat fort. En revanche, nous allons être obligés de bâtir, au niveau du comité européen, du conseil de surveillance ou du conseil d'administration, un système européen.

Dans un conseil de surveillance en Allemagne, dix membres de la direction représentent l'actionnariat et le directoire et dix membres les organisations syndicales ; si le président a besoin des trois quarts des voix, y compris pour être élu, il est obligé de négocier plus sérieusement qu'en France avec les organisations syndicales et souvent de faire des concessions.

Le président du groupe Hoechst s'est engagé à n'opérer aucun licenciement économique dans le groupe jusqu'en 2002. C'est là un engagement que les syndicats français sont impuissants à obtenir.

Le système allemand n'est pas la panacée mais a des aspects positifs. C'est le rôle du législateur de faire en sorte que des salariés soient élus au conseil d'administration et ce serait la possibilité de responsabiliser le patronat et les organisations syndicales, notamment quand il y a un pacte sur l'emploi.

M. Daniel NOURY (SNIC-CGT) : Faire rembourser l'aide publique par l'entreprise bénéficiaire est une piste à étudier car il y a eu des abus. Quand Rhône-Poulenc a été nationalisé, c'était une entreprise largement en difficulté, que l'Etat a remise à flot. Quand elle a été privatisée, elle était florissante. L'Etat n'y a donc pas trouvé son compte.

J'en viens aux stratégies des entreprises et au pouvoir des individus. Dans les sphères politiques autant que syndicales, on parle toujours de « citoyenneté dans l'entreprise », c'est-à-dire que nous devons tous être égaux en droits. Or, ce n'est pas le cas en pratique puisqu'il y a d'un côté ceux qui détiennent le pouvoir et de l'autre ceux qui le subissent. Le monde du travail évolue, ses structures changent mais il y a toujours les mêmes représentations du personnel avec les mêmes pouvoirs.

Il faut étudier un système de veto pour les représentants des salariés. Sinon, ils ne seront jamais citoyens dans l'entreprise, n'arriveront jamais à partager le pouvoir et à représenter un contrepoids.

M. Jean-Claude REVY (CGT-FO) : Les groupes bénéficiaires doivent-ils rendre à l'Etat une partie des aides perçues ? Il faut en premier lieu ne pas verser des aides à ceux qui gagnent des milliards et s'en servent pour dégraisser les effectifs.

Les groupes qui réalisent des bénéfices confortables pourraient déjà régler leurs problèmes d'emploi avec leurs fonds propres et, s'ils pérennisent leurs bénéfices, on pourrait alors étudier un système de retour sous forme de garantie de maintenir les emplois.

Notre camarade allemand nous a expliqué la codétermination dans son pays. Je crois quant à moi que le pluralisme français a beaucoup d'avantages. C'est lui qui fait la force des syndicats et la confrontation permet d'avancer.

A l'origine, le syndicalisme n'est pas fait pour lever des capitaux, créer une société ou développer une activité industrielle. Je n'ai que 47 ans. Je suis arrière-arrière-arrière petit-fils de canut. Je n'ai jamais vu des gens tués pour la révolte à un sou créer leur propre entreprise ; ils sont descendus dans la rue pour défendre leurs salaires et leurs conditions de travail. C'est cela, l'origine du syndicalisme : la défense des intérêts des salariés.

M. Jean-Jacques FILLEUL : Nous savons cela. Simplement, lorsqu'il en va d'une décision stratégique dans une entreprise qui va supprimer un métier, une ligne de produits ou une société comme Bellon à Monts, pour des raisons financières, cela va impliquer la collectivité en général, l'emploi, les fonds publics immédiatement ou quelques années après. Ma position se situe à ce niveau-là. Ce n'est pas une question de cogestion, à laquelle je ne suis pas favorable. Simplement, ne doit-il pas y avoir un droit de regard, une possibilité de veto afin qu'un droit d'alerte puisse être exercé par rapport à la décision prise et ses implications ? En tant que législateur, je pense naturellement aux implications pour la collectivité publique.

M. Jean-Claude REVY (CGT-FO) : Le droit d'alerte existe en France, mais il a ses limites. Nous sommes informés, consultés, nous nous prononçons régulièrement et majoritairement contre les plans sociaux et les restructurations. Un droit de veto ? Oui, s'il n'est pas réservé à une élite syndicale quelconque : un droit de veto citoyen et démocratique. Nous sommes les représentants des salariés et nous devons donner leur avis. Il faut trouver une méthode afin que, dans la décision prise, il y ait un droit de veto démocratique des représentants des salariés.

M. Alain COUSIN : Une remarque s'agissant de l'intervention de l'Etat et du remboursement des aides si l'entreprise est bénéficiaire. Je crois que l'on oublie trop que, s'il n'y a pas remboursement, l'Etat ne s'y retrouve pas directement, mais les collectivités territoriales, elles, s'y retrouvent bien - car il y a un retour à travers la taxe professionnelle, le foncier bâti, les effets induits sur les salaires et la consommation etc. C'est là un aspect qui ne pas être oublié.

M. Jean-Jacques FILLEUL : Il y a aussi quelquefois des échecs dans ce type de restructurations, et le coût est vraiment très élevé alors parce qu'il n'y a aucun retour.

M. Daniel NOURY (SNIC-CGT) : On ne peut pas parler de la précarité chez Rhône-Poulenc sans rappeler l'influence de la structure du capital sur l'emploi. En 1995, les actionnaires institutionnels représentaient 62,6 % du capital, dont 40,2 % d'investisseurs français. En 1996, il ne s'agissait plus que de 39,4 % ; en 1997, de 32,7 % alors que les étrangers détiennent 51,6 % (dont 30 % pour les États-Unis). Inversement, les effectifs qui étaient de 47 900 en 1995 et 41 800 en 1996, ne sont plus que de 38 000 en 1997. Donc, selon la structure du capital, le volume de l'emploi diminue.

La précarité est au c_ur du problème. En l'absence de compilation des registres d'entrée et de sortie des entreprises, il n'est pas possible de connaître le nombre exact d'intérimaires ou de contrats précaires, mais il est clair que dans de nombreuses filiales de Rhône-Poulenc, le volant d'intérimaires est très important. Il atteint par exemple 25 % à l'usine de Maisons-Alfort. Les mêmes intérimaires peuvent avoir une ancienneté de six à quinze ans dans l'entreprise, leur mission s'arrêtant une semaine de temps en temps ; dans des dossiers présentés à l'inspection du travail, on trouverait des intérimaires ayant quinze ans d'ancienneté.

Le noyau dur des entreprises se rétrécit, autour duquel gravitent des contrats précaires (CDD et intérim) ; cela est vrai dans 80 % des sociétés du groupe. Dans l'ensemble, il y a une utilisation à la limite de la légalité de l'interim, ce qui débouche sur des procès. Par exemple, pour l'emploi d'intérimaires, il faut remplir des fiches indiquant certaines informations ; on s'est aperçu que l'on remplissait n'importe quoi : des intérimaires se sont vus remplacer des femmes enceintes travaillant la nuit, alors que les femmes n'ont jamais travaillé la nuit chez Rhône-Poulenc. A Maisons-Alfort, il y a eu jusqu'à huit ou neuf fraudes reconnues par l'inspection du travail.

Il y a une tendance indéniable à la flexibilité, avec de moins en moins de noyau dur et de plus en plus de CDD et d'intérimaires.

M. Jean-Claude REVY (CGT-FO) : Pour compléter ce qui vient d'être dit, Rhône-Poulenc-Rorer (RP-R) a demandé à la société Adecco de monter une agence d'intérim basée à Bourg-la-Reine, avec pour principale activité de gérer l'ensemble des mouvements d'intérim chez RP-R.

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