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TOME III (volume 1)
Usinor

Audition de la direction
Audition des syndicats

Audition de la direction

Audition de M. Francis MER,
Président directeur général d'USINOR

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 avril 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Francis Mer est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Francis Mer prête serment.

M. Francis MER : Vous connaissez la structure du capital du groupe. La dernière enquête sur ce sujet montrait, à notre grande surprise, que la part des actionnaires individuels (et notamment français) était remontée de 10 % environ à près de 21 %, et que parallèlement les fonds d'investissement et de retraite étrangers et les banques représentaient environ 57 % des actions dont 40 % à l'étranger.

Certains fonds jouent la différence de cours, c'est-à-dire qu'ils achètent et vendent ; d'autre jouent la distance, c'est-à-dire qu'ils achètent à prix faible et patientent avant une revente éventuelle.

Je vous rappelle que des épargnants se trouvent derrière ces fonds. Certains d'entre eux ont décidé, plutôt que de placer leur argent par eux-mêmes, de faire confiance à une structure intermédiaire pour faire fructifier l'épargne : cela s'appelle en général un fonds d'investissement. D'autres épargnent pour la retraite et cotisent auprès de fonds qu'ils contrôlent, chargés de fournir les retraites promises. CalPERS, fonds de retraite du personnel de la fonction publique de Californie, est un exemple bien connu ; c'est l'un des fonds les plus actifs quand il s'agit d'intervenir dans la politique des entreprises (corporate governance) ou de rappeler à celles-ci qu'elles ont des devoirs vis-à-vis des actionnaires.

Il en existe d'autres, comme les « scottish widows» (fond des veuves écossaises) situé à Edimbourg. Bien entendu, cela fait probablement très longtemps qu'aucune veuve écossaise ne fait plus partie du fonds... mais historiquement, c'est bien pour que ces veuves puissent continuer à vivre qu'il a été créé. Le fonds gère aujourd'hui des placements concernant de nombreuses entreprises situées aux quatre coins du monde.

S'agissant de l'influence de ces organisations, je souligne leur compétence et leur professionnalisme. Elles savent beaucoup mieux que les médias, par exemple, ce qui se passe dans un secteur : en investissant dans un métier ou dans une entreprise, elles ont en effet des responsabilité vis-à-vis de leurs mandataires et tout manquement se traduirait par des sanctions. 

Il reste que ces fonds s'inspirent beaucoup, dans leur politique de placement, d'analyses financières rédigées par des professionnels qui les aident à prendre la décision d'acheter, de garder ou de vendre. Ils ont - du moins pour ceux qui jouent la distance avec une entreprise - une bonne connaissance de celle-ci.

Nous allons voir ces partenaires une ou deux fois par an, lorsque nous savons qu'ils s'intéressent à nous. Nous leur expliquons ce que nous faisons. En général, ils étudient le futur et non l'année en cours - car ils savent déjà ce qui se passe. Ils ne s'intéressent qu'à la manière dont l'entreprise se projette dans l'avenir.

M. le Rapporteur : Vous dites de ces acteurs institutionnels qu'ils « savent déjà ». Cela veut-il dire qu'ils sont en toute hypothèse sûrs, pour l'année considérée, de percevoir les dividendes auxquels ils s'attendent ?

M. Francis MER : Je veux simplement dire que du fait de la masse d'informations disponibles dans le monde, il est aisé de réunir des éléments détaillés sur n'importe quelle entreprise. Ils connaissent et analysent ces informations. Dans une discussion face-à-face, ils s'intéressent à d'autres sujets que ce qui est déjà connu : ils s'entretiennent avec le chef d'entreprise ou son représentant de la manière dont l'entreprise bâtit sa stratégie, de ses objectifs de développement, de l'évolution de sa productivité, de son environnement ou de la préparation de la relève de ses équipes actuelles - c'est-à-dire de sujets qui ne sont pas « sur le marché » à travers les informations financières.

Ils ne s'intéressent jamais aux dividendes, car ceux-ci font partie des politiques affichées par l'entreprise. Nous avons par exemple affirmé, quand Usinor a été mis sur le marché, que notre politique serait de distribuer 25 % des résultats de l'entreprise en moyenne sur un cycle sidérurgique. Ils ne l'ignorent pas : cette information sur les dividendes n'a pour eux aucun intérêt.

Ce qui les intéresse, en revanche, est de savoir si l'entreprise s'inscrit sur une dynamique qui leur permet d'espérer réaliser une plus-value, lorsque six mois (ou six ans) après avoir acheté des titres de l'entreprise, ils décideront de vendre les actions en leur possession. Telle est la seule question : la valeur du titre émis par l'entreprise a-t-elle des chances d'augmenter par rapport au prix d'achat ? Ce qui importe est la différence entre les valeurs d'achat et de vente, l'objectif étant de gagner de l'argent pour permettre aux cotisants de bénéficier de leur retraite.

M. le Rapporteur : Lorsque le groupe a racheté Cockerill, il y a quelques mois, vous avez indiqué à l'hebdomaire La vie française que ce rachat se traduirait par une augmentation de 15 % du bénéfice net par action l'an prochain. Confirmez-vous cet objectif et pouvez-vous indiquer s'il doit-il être relié aux réductions d'emploi annoncées, évaluées à environ 3 000 postes pour 1999 - dont 820 concernant Sollac ?

M. Francis MER : Je ne veux pas rentrer dans des détails de comptabilité. Disons simplement que la valeur à laquelle nous avons acheté Cockerill-Sambre est telle par rapport à sa valeur comptable que nous sommes sûrs, quelle que soit l'évolution de la conjoncture - sauf effondrement massif... -, que se manifestera un effet de goodwill négatif.

En d'autres termes, notre bénéfice par action a de bonnes chances d'être augmenté de 15% par rapport à celui qu'il aurait été sans Cockerill. Entre la situation théorique où Usinor existe sans Cockerill et la situation réelle où Usinor a intégré Cockerill, existe un écart apprécié et résumé par ce pourcentage.

En ce qui concerne la deuxième question, je vous indique que cette annonce n'a aucun rapport avec les décisions actuellement prises en France. Celles-ci sont liées au fait que les entreprises affrontent un monde très concurrentiel et qu'elles ont l'obligation, lorsque les prix de vente subissent une chute importante, d'essayer par tous moyens de réduire leurs coûts.

l se trouve que la sidérurgie a connu récemment une baisse de prix de 25 % en un trimestre. Face à cette situation, il est du devoir de l'entreprise de réagir plutôt que d'attendre le retour à des jours meilleurs. Instruits par l'expérience, nous savons que si les prix baissent fort et vite, ils ne remontent que lentement et à un niveau moins haut. Dans le secteur de l'acier comme dans toutes les industries soumises à la concurrence mondiale, nous nous trouvons devant une prise de pouvoir par les consommateurs.

Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, la sphère productive maîtrisait sa situation et sa relation avec ses clients et ses actionnaires : en d'autres termes, les prix de vente étaient en pratique plutôt décidés par le producteur et l'actionnaire entretenait avec l'entreprise des relations moins bienveillantes qu'elles ne le sont devenues aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que l'actionnaire était «piégé», non pas dans une entreprise mais dans une zone géographique.

Aujourd'hui en effet, n'importe quel épargnant français peut décider d'aller faire rémunérer son épargne dans un placement en Chine, aux Etats-Unis ou en Patagonie et choisit le lieu où il veut prendre des risques.

Hier, quand l'épargnant n'était pas encore libre, il était piégé par la collectivité dans laquelle il vivait et par le producteur, qui lui distribuait des dividendes comme il l'entendait.

Le client final était confronté à une offre très fragmentée. Dans le domaine automobile par exemple, il devait s'adresser aux quelques producteurs français parce que les producteurs étrangers n'avaient pas le droit de vendre en France, avant de pouvoir étendre ses choix aux quelques producteurs européens lorsque l'Union européenne s'est réalisée.

Aujourd'hui, il peut s'adresser à un constructeur coréen, qui essaiera de tirer avantage de son appauvrissement lié à la crise du sud-est asiatique, pour exporter plus de voitures en Europe à bas prix -même si celles-ci sont fabriquées en Pologne ou en Russie... On peut également rappeler que les quotas de bienveillance négociés avec le Japon par l'Union européenne vont arriver très prochainement à terme et qu'ils ne seront pas renouvelés, ce qui devrait donner aux constructeurs japonais (y compris Nissan) la liberté de proposer leurs voitures aux consommateurs français.

Le consommateur a conquis une liberté de choix qu'il n'avait jamais eue auparavant. Celui-ci a structurellement un comportement égoïste : une offre de voiture se présente sur Internet, je l'examine dans tous ses aspects, je compare les prix, je mets les distributeurs en concurrence, et je fais mon choix. Ceci donne, et plus encore va donner, au consommateur un pouvoir dont il n'a jamais disposé à ce degré : le pouvoir de choisir, et donc la liberté.

M. le Rapporteur : Souvent, la liberté de l'investisseur et de l'épargnant entraîne certains déboires. Ayant été il y a quelques mois président d'une mission d'information sur les problèmes de l'automobile, j'ai entendu des analyses comparables de la part des dirigeants de Peugeot-Citroën, de Renault ainsi que des présidents de chambres syndicales de l'automobile. Je suis même tenté de dire que c'est précisément cette nouvelle liberté qui a entraîné la mise en place de la commission devant laquelle vous déposez aujourd'hui.

Nous connaissons cette irruption de nouveaux produits sur la scène commerciale, la possibilité pour les individus de choisir le micro-ordinateur, le sac, la chemise ou la voiture désirés sur Internet ou simplement dans un magasin. Mais parce que les hommes et les femmes ne sont pas uniquement des épargnants, mais aussi des travailleurs ou des chômeurs, nous sommes conduits à essayer de comprendre comment tout cela fonctionne.

Usinor s'est séparé en quelques années de plusieurs dizaines de milliers d'employés. Il a été procédé à un certain nombre d'externalisations : en 1991, MCL ; en 1992, GPRI et ses filiales etc. Le groupe est passé à moins de 50 000 salariés alors qu'il comprenait il y a quelques années encore plusieurs dizaines de milliers de personnes de plus.

Quelles garanties avez-vous, lorsque vous cédez une entreprise où sont employés des personnels qui étaient autrefois salariés du groupe Usinor, que ce transfert n'entraînera pas des licenciements ? Je crois qu'il existe une responsabilité continue de la part du groupe qui se sépare d'une partie de son patrimoine ; cette responsabilité ne disparaît pas au moment du transfert de propriété et peut au contraire se poursuivre plusieurs années après.

M. Francis MER : On peut imaginer maintes situations évolutives. Mais il est non moins clair qu'à partir du moment où nous vivons dans un système économique régi par certaines règles, pour la plupart de plus en plus suivies à l'échelle internationale, il est illusoire d'imaginer que vous pourrez seul faire évoluer le monde.

Je suis très surpris de constater que vos travaux pourraient déboucher sur l'idée consistant à imposer à toute entreprise cessionnaire ce que l'on pourrait appeler un « devoir de suite ». Il faudrait décider que tout entreprise qui achète à un devoir de suite sur le vendeur, y compris vis-à-vis de l'Etat. Et l'entreprise qui se crée, vis-à-vis de qui a-t-elle un devoir ?

M. le Rapporteur : De ses salariés, déjà.

M. Francis MER : Mais ces salariés n'existaient pas auparavant. Quand vous créez une entreprise, vous créez des emplois ! Dès l'instant où vous avez créé des emplois avec l'espoir de réussir, vous auriez déjà des responsabilités vis-à-vis des salariés ? Mais où va-t-on ?

Quoi qu'il en soit, l'exemple d'Usinor me paraît impropre à conforter votre argumentation pour la raison suivante : depuis que je préside aux destinées d'Usinor, aucun salarié n'a quitté le groupe autrement que par le bénéfice d'une retraite - y compris anticipée - ou à la suite d'une aide afin de trouver un autre emploi.

M. le Rapporteur : Toutes les personnes que nous avons reçues ici nous ont dit la même chose. Certains ont même parlé de garantie d'emploi.

M. Francis MER : Moi, je ne garantis pas l'emploi. C'est mentir que de le dire : ce qui était concevable il y a vingt ou trente ans ne l'est plus aujourd'hui.

Nous avons même une filiale qui s'occupe de reclasser le personnel des autres, la Sodie : elle connaît bien le comportement de ces entreprises dont les dirigeants viennent tous témoigner de leur attachement à leur personnel.

Il me paraît normal qu'une entreprise qui a fait appel au travail de ses salariés, ne les considère pas comme une simple matière première et les aide à poursuivre leur vie professionnelle hors de son sein si elle se voit obligée de s'en séparer. Il est en revanche déraisonnable d'imposer à une entreprise qui cède une filiale de suivre ce qui se passe dans la société vendue, c'est-à-dire de s'ingérer dans les affaires du nouveau propriétaire.

Cette logique ne serait d'ailleurs cohérente qu'au prix de l'inscription de telles obligations dans le droit international. Il existe sans doute un devoir d'ingérence au plan international. Mais l'idée d'introduire l'avis d'un tiers dans une société sous prétexte qu'il était l'ancien propriétaire de l'affaire, constituerait une novation juridique très difficile à assumer.

M. le Rapporteur : Les exemples de ventes existent toutefois, dans lesquels une entreprise se sépare d'une partie de son personnel et l'aide à retrouver de l'emploi au sein d'une autre entreprise, à travers des intermédiaires comme la Sodie. Le nouvel employeur mettra à nouveau fin à leurs fonctions au bout de quelques mois ou de quelques années. Les salariés concernés, qui ont d'abord eu le sentiment de ne pas être laissés pour compte, se retrouvent une deuxième fois sur le carreau.

Telle est l'idée qui m'inspire lorsque j'évoque le devoir de suite : faire en sorte qu'une maison mère qui se sépare d'une partie de ses salariés se voie incomber la responsabilité de leur devenir pendant quelques années. Il ne s'agit évidemment pas de rendre Usinor responsable de ses anciens salariés ad vitam aeternam. Mais on a souvent le sentiment que, du jour où les salariés franchissent le porche vers la sortie, la maison mère s'estime déliée de toute obligation.

M. Francis MER : C'est clair. Ce n'est pas un sentiment, c'est une certitude.

M. le Rapporteur : Je le sais bien, et c'est pourquoi existe là-dessus une certaine interrogation. Lorsqu'une entreprise comme Usinor se sépare - ou a l'intention de se séparer - de 3 000 salariés, elle le fait pour maintenir sa rentabilité et le niveau de ses résultats. Or il y a probablement dans l'entreprise des postes autres que le personnel qui pourraient être concernés, comme les dividendes versés aux actionnaires, les stock options ou d'autres dépenses susceptibles d'être maîtrisées afin de tenir compte d'une situation ponctuellement difficile.

Lorsqu'Usinor envisage de se séparer de certains de ses salariés, pour des raisons sans doute compréhensibles d'un strict point de vue économique, est-il également envisagé au sein du groupe de procéder à des réductions sur d'autres postes ?

M. Francis MER : Vous vous trompez lorsque vous affirmez que le groupe se sépare de 3 000 personnes. Notre objectif est effectivement de réduire la masse salariale mais en essayant de limiter les pertes directes d'emplois. Au cas où vous l'ignoreriez, Usinor est une entreprise qui a pratiqué le temps choisi avant que d'aucuns s'avisent d'en faire une loi : aujourd'hui, 14 % des effectifs d'Usinor travaillent à temps choisi.

Au passage, une simple règle de trois vous permettrait de calculer le nombre d'emplois supplémentaires induits par la généralisation d'un tel système à la France entière, y compris dans la fonction publique...

Cette politique a été définie pour minimiser les conséquences négatives de l'obligation dans laquelle nous nous trouvons d'améliorer la productivité. Ce que nous proposons aujourd'hui à travers les plans sociaux en discussion, est de poursuivre cette politique, c'est-à-dire de donner le choix aux salariés : se sentent-ils solidaires les uns les autres - et dans ce cas le temps choisi peut régler une bonne partie de nos problèmes sans supprimer d'emploi - ou bien ont-ils à l'intérieur de l'entreprise le comportement égoïste qu'ils ont obligatoirement en tant que consommateurs à l'extérieur ? Suivent-ils la devise « chacun pour soi et Dieu pour tous » qui consacre l'égoïsme sacré de chaque personne et donc interdit cette solidarité ?

Evidemment, certaines approches consistent à dire « Je sais mieux que vous ce qui est bon pour vous » ; chacun sait ce qu'elles ont donné... Nous préférons créer à l'intérieur de l'entreprise une conviction partagée : c'est pour cela que la suppression de 3 000 emplois dont vous parlez - qui s'étalera d'ailleurs sur plusieurs années - concerne plusieurs métiers.

Dans ce domaine, nous assumons une histoire difficile. Pour produire une même quantité d'acier, Usinor comptait deux fois plus d'effectifs il y a dix ans qu'aujourd'hui. Demain, c'est-à-dire peut-être dans dix ans, il en faudra à nouveau deux fois moins.

Le seul choix dont dispose l'entreprise est d'accepter les règles du jeu de l'économie, c'est-à-dire de travailler pour le consommateur - ce fameux consommateur libre et irresponsable. Et si je veux travailler pour lui tout en essayant de préserver mon entreprise en tant que « collectif de travail » - pour reprendre une terminologie qui vous est chère - il faut qu'à tout moment ce collectif ait la performance requise pour justifier sa présence.

Je n'ai pas d'autres choix. Si j'arrête la pendule du progrès, je sais que toutes les décisions que je ne prends pas maintenant coûteront à l'entreprise et à son personnel deux fois plus cher demain, lorsqu'elles seront devenues inévitables.

Telle est ma conviction, que je crois au demeurant partagée par bien d'autres chefs d'entreprises. La liberté du consommateur et celle de l'épargnant ne cesseront de grandir au cours des prochaines décennies. Par conséquent, les structures de production seront de plus en plus contraintes par l'obligation de satisfaire le client, à travers des produits ou services de qualité à des prix constamment décroissants. Sinon, ce dernier cherchera ailleurs, ne vous laissant d'autre choix que de plier bagage.

L'entreprise a également l'obligation de satisfaire ses actionnaires, c'est-à-dire à travers eux les futurs retraités ou les épargnants. Ce fameux actionnaire découvre lui aussi, pour la première fois de sa vie économique, la liberté de prendre des risques. Il n'a aucune raison de ne pas en profiter.

C'est ainsi que l'ensemble de l'entreprise a une position beaucoup plus faible qu'elle ne l'était dans le passé. Elle ne peut plus influencer fortement son environnement et doit trouver en elle-même, à travers des changements et des progrès constants, les conditions de sa propre survie face à une concurrence désormais mondiale.

Dans la plupart des métiers, la concurrence s'exprime aujourd'hui en termes d'information, c'est-à-dire de prix. Ce qui compte pour le constructeur automobile qui achète sa tôle chez Usinor, c'est d'être sûr qu'il a non seulement la meilleure tôle accompagnée du meilleur service, mais aussi la possibilité de concevoir avec Usinor sa prochaine voiture, c'est-à-dire de trouver peut-être dans l'acier la réponse aux problèmes que lui pose la collectivité - par exemple, l'obligation à l'horizon 2008 de respecter certaines normes d'émission. Ces nouvelles normes impliquent fréquemment l'allégement des voitures et donc la recherche d'aciers plus performants.

Le client est aussi un producteur, qui a comme tel le devoir impérieux de rester compétitif par rapport à ses concurrents. Ceux-ci étant situés de par le monde, il doit fixer des prix de vente qui soient les plus proches possibles de ceux communément pratiqués.

J'insiste sur ce point : ce qui fait aujourd'hui le marché dans n'importe quelle activité industrielle, c'est l'information sur le prix et non sur les quantités. Vous croyez encore vivre dans un monde où ce sont les quantités et les volumes qui importent. Ce n'est plus le cas : ce qui mène le changement aujourd'hui c'est l'information sur les prix, y compris lorsqu'ils s'effondrent.

Il existe un produit dont le prix s'effondre de manière spectaculaire, c'est celui du circuit intégré. La situation est assez étonnante : il est pratiquement devenu une matière première. Mais c'est une matière première dans laquelle on investit des heures de matière grise et des milliards d'euros et qui continue, année après année - au moins jusqu'en 2007-2008 d'après les dernières prévisions - à améliorer ses performances. L'objectif à l'horizon de la décennie est que ses performances soient multipliées par dix à prix inchangé, ou que son prix soit divisé par dix à qualité égale.

On peut résumer par cet exemple la révolution économique que nous traversons : il est à la base du système d'information qui nous imprègne à titre professionnel aujourd'hui et familial demain. Ce produit est en train de devenir la matière première la plus sophistiquée qui soit au monde.

Le monde dans lequel nous vivons est en train de redécouvrir qu'il est fait pour le client et que la période pendant laquelle il était fait par et pour le producteur est révolue.

M. le Rapporteur : Il est aussi un peu fait pour l'actionnaire.

M. Francis MER : Pour qu'il y ait des actionnaires, il faut qu'ils soient satisfaits de la manière dont l'argent investi est rémunéré. Soit l'entreprise se «démène» pour que la valeur de l'action monte par rapport au prix d'achat et permette la réalisation d'une plus-value, soit l'actionnaire s'intéresse à des placements moins séduisants en plus-values et il faut alors lui offrir, sous forme de dividendes, une rémunération meilleure que celle dont il bénéficierait en plaçant son argent en bons du Trésor.

Hier, cet épargnant n'avait le choix qu'entre les bons du Trésor et quelques actions françaises. Aujourd'hui, il a le monde à ses pieds.

M. le Rapporteur : Ceci veut bien dire qu'il faut le rémunérer de façon à éviter qu'il n'aille sous d'autres cieux.

M. Francis MER : Non... Une entreprise a besoin de capitaux et donc d'actionnaires. Ces actionnaires sont totalement libres de changer d'avis. Pour eux, le droit de suite auquel vous faisiez allusion n'existe pas.

M. le Rapporteur : Il y aurait alors des dispositions fiscales à mettre en _uvre...

M. Francis MER : ... au niveau mondial, ce qui n'est pas une mince affaire.

L'entreprise a besoin d'actionnaires pour se développer.

Si l'entreprise estime qu'elle n'a pas besoin de plus de fonds propres que ceux qu'elle dégage à travers ses propres résultats et ne distribue pas, elle peut se sentir parfaitement libre vis-à-vis de ses actionnaires.

Dans le monde tel qu'il évolue et sur le marché qui est le leur, beaucoup d'entreprises considèrent plutôt qu'elles ont intérêt à faire appel aux actionnaires pour mener à bien leur stratégie, par augmentation de capital, échange ou achat d'actions.

Si vous voulez augmenter le capital de votre entreprise, il faut attirer de nouveaux actionnaires en évitant de pénaliser ceux qui sont déjà présents. Il vous faut donc créer les conditions pour que la valeur de l'entreprise augmente, de manière à ce que de nouveaux actionnaires soient intéressés.

M. le Rapporteur : Estimez-vous la situation d'Usinor satisfaisante de ce point de vue ?

M. Francis MER : C'est au marché lui-même de vous répondre.

Vous savez sans doute ce qui s'est passé pour Usinor. J'ai défendu mon actionnaire en vendant l'entreprise aussi cher que possible sur le marché et j'ai la satisfaction d'avoir constaté que le cours auquel le groupe a été introduit en Bourse (environ 85 francs) n'a pas connu de flambée dans les jours ou les semaines suivantes. Cela signifie que l'État a réussi à vendre Usinor au meilleur prix, c'est-à-dire au prix du moment, et qu'il n'a pas sous-estimé volontairement la valeur de l'entreprise de manière à être sûr de la vendre.

Si vous étudiez les autres entreprises publiques privatisées récemment, vous constaterez que peu d'entre elles ont eu ce comportement citoyen. Ceci est le résultat d'un choix personnel, quels que soient les ennuis qui en sont résultés pour moi par la suite : j'ai considéré que la collectivité avait déjà beaucoup payé pour Usinor - à travers les 100 ou 120 milliards de francs qu'a coûtés la crise sidérurgique au budget de la France et par conséquent au contribuable, dont il subsistera des traces jusqu'en 2002 - et que mon devoir était de faire en sorte que l'entreprise « renvoie l'ascenseur » à son actionnaire.

J'ai convaincu l'Etat, qui détenait encore environ 10 % du capital, de vendre sa participation. A ma grande satisfaction, celle-ci a été cédée au cours historiquement le plus élevé, c'est-à-dire 115 francs. Le lendemain, le cours s'effondrait parce que l'appréciation internationale sur la situation de la sidérurgie en septembre-octobre 1997 se ressentait de la crise du sud-est asiatique.

J'ai donc la satisfaction d'avoir fait en sorte que cette entreprise soit vendue au meilleur prix par l'État, une partie étant même cédée au cours le plus élevé.

Que s'est-il passé depuis ? Le cours de l'action est tombé à un niveau très bas (58-60 francs) ; puis il a remonté : j'ai la satisfaction - pour ne pas dire la surprise - de constater que nous avons augmenté notre valeur sur le marché de plus de 50 % depuis le début de l'année. Cette situation me laisse d'ailleurs parfaitement équanime, car ce qui compte pour nous est de bâtir une stratégie à long terme et de constituer un groupe sidérurgique international, dont nos actionnaires et notre pays seront fiers.

M. le Rapporteur : Le personnel aussi.

M. Francis MER : Effectivement. Quand on constate la relative difficulté à convaincre les salariés que leur avenir sera aussi bien assuré dans une autre entreprise qu'Usinor, on se rend compte qu'ils y sont bien et qu'ils n'ont pas envie de s'en aller. D'une certaine façon, cela signifie qu'ils considèrent que c'est une bonne entreprise.

Si vous regardez notre comportement à l'égard de filiales que nous avons décidé de vendre - « d'externaliser », comme vous dites -, vous constaterez qu'à chaque fois, nous essayons de penser à tout le monde : à nos intérêts propres de vendeur, naturellement, mais aussi mais aussi à l'entreprise qui est vendue à travers le choix du repreneur.

Quand nous cédons les Roues Ferroviaires des Dunes à une société américaine, nous contribuons à constituer le premier groupe mondial de fabrication de roues ferroviaires. Nous n'avons pas l'impression de travailler contre une certaine idée de la politique industrielle, qui consiste à former des groupes forts.

Quand nous vendons les rails d'Hayange à British steel, nous savons que les rails d'Hayange seront en d'excellentes mains : nous connaissons l'acquéreur et savons que l'affaire apportée est parfaitement « au carré », en raison des investissements auxquels il a été procédé auparavant. Cela peut vous sembler étonnant compte tenu de ce que vous pensez en général du comportement des industriels. On investit 150 millions dans Sogérail et ensuite on vend la société. Comportement incohérent ? Comportement rationnel, au contraire : si vous voulez vendre correctement une entreprise et en préserver l'avenir, il faut la mettre dans la meilleure situation de départ possible.

L'ironie du sort veut que British steel ait une autre unité de production de rails en pays de Galle et que ce soient plutôt les ouvriers gallois qui s'inquiètent, car ils savent que Sogérail est plus performante. C'est pour moi la démonstration non seulement que Sogérail est en de bonnes mains, mais en plus qu'elle ne risque rien.

Si nous prévoyons de vendre Allevard pour créer le plus grand fabricant de ressorts européen, c'est parce que nous poursuivons la même logique. Si nous vendons Ascométal à Lucchini, c'est pour créer un groupe qui aura dans son métier toutes les chances de réussir.

M. le Président : Vous avez fait une allusion à l'horizon 2008, qui m'a fait penser à une note récente du cabinet Andersen. Les experts décrivent trois scenarii sur l'avenir de l'Europe : l'Europe humaniste, l'Europe concurrentielle et l'Europe éclatée.

L'Europe éclatée, c'est probablement ce que nous sommes en train de vivre en ex-Yougoslavie, avec la montée des nationalismes et des replis de toutes natures, y compris économiques.

L'Europe concurrentielle, c'est le développement de fonds de pensions qui deviendraient les seuls commanditaires de l'activité économique et de l'information, de la façon que vous avez pu décrire.

L'Europe humaniste, enfin, serait la seule en pleine symbiose avec sa propre histoire.

Si nous comprenons les contraintes que peuvent représenter les exigences des clients, qu'ils achètent de l'acier ou placent des fonds dans une entreprise, nous avons aussi à réfléchir au moyen de maintenir un minimum de cohésion sociale sur notre territoire et plus généralement dans le cadre de l'Union européenne.

Quand on sait que près de 80% des mouvements de capitaux ne concernent pas l'investissement mais la spéculation pure, on est en droit de s'interroger sur l'introduction d'une régulation minimale sur le modèle de la taxe Tobin.

Le caractère cyclique du marché de l'acier ne m'a pas échappé, non plus d'ailleurs que sa tendance continue à la baisse. Parmi les stratégies de réponse que vous mettez en _uvre, j'ai retenu une volonté de croissance externe à travers des acquisitions - par exemple, Ugine dans un passé récent - et un ajustement de l'investissement dans les aciers plats et inoxydables.

J'aimerais donc que vous m'éclairiez sur l'avenir de la filiale Ugine, puisque nous n'ignorons pas que des fermetures de sites sont envisagées.

Par ailleurs, les investissements les plus importants sont situés en France (environ 80 %) alors que notre pays n'assure qu'un gros tiers de la production. J'aimerais savoir s'il s'agit là d'une stratégie commerciale et si le fait de produire en France permet d'absorber plus facilement les coûts de transports.

Ma troisième question concerne la gestion des surcapacités cycliques par des décisions de fermetures, dans la mesure où l'investissement sur un produit en voie d'obsolescence poserait problème.

Dernière question : quel regard portez-vous sur la pyramide des âges de votre groupe ?

M. Francis MER : Je commencerai par la dernière question, importante et difficile.

Il y a vingt ans, dans le but de protéger les salariés des conséquences d'une situation technico-économique difficile, le gouvernement français a pris la décision de permettre le départ à la retraite dès cinquante ans.

Je n'hésite pas à dire que cela a été une mauvaise décision et qu'il faudrait prendre en compte cette expérience pour ne pas commettre pareille erreur à l'avenir. La mesure a coûté très cher au contribuable, 100 ou 120 milliards de francs qui auraient sans doute été mieux investis ailleurs. Les personnes concernées ont souffert d'une fin de vie professionnelle très décevante. L'environnement local et régional va connaître des jours difficiles, découvrant une baisse de pouvoir d'achat qui se généralisera progressivement - notamment en Lorraine. La décision a enfin été mauvaise pour l'entreprise elle-même : alors que nous avions jusqu'à présent réussi à maintenir la moyenne d'âge du personnel opérateur, nous observons depuis deux ans un vieillissement qui ne fera que s'aggraver. A raison d'un an supplémentaire d'âge moyen tous les ans et d'un niveau de 48-49 ans aujourd'hui, il n'est pas difficile de prévoir les conséquences à venir.

Notre problème consiste donc à créer les conditions pour que la performance de l'entreprise ne soit pas altérée, en dépit de cet âge moyen qui va en augmentant. Je pense que nous saurons en sortir, d'une part grâce aux efforts de formation massifs qui ont été réalisés, et d'autre part parce que le progrès technique, qui ne se dément pas, rend de moins en moins significative la dimension physique du travail. Il reste une dimension intellectuelle, mais la plupart de nos opérateurs sont devant des écrans : s'ils ont en moyenne deux ans de plus qu'il y a deux ans, ce n'est pas trop grave.

Nous avons fait un effort important de formation il y a une dizaine d'années, qui a représenté 8 à 9 % de la masse salariale. Nous sommes actuellement revenus à un taux plus faible - de l'ordre de 4/5 % -, qu'il faudra accroître de nouveau.

Quelles que soient les embauches auxquelles nous procédons, nous ne pourrons pas empêcher la moyenne d'âge de monter régulièrement. Mais tout cela était inscrit dans la décision de 1976-1977, qui a été ensuite reprise par beaucoup de ministres jusqu'au jour où j'ai décidé de mettre fin au recours aux préretraites.

Je tiens à vous indiquer que c'est moi qui ai arrêté le système et non le gouvernement, qui était prêt à continuer. Et un gouvernement qui est prêt à continuer parce qu'il s'évite ainsi des problèmes sociaux, n'est pas un gouvernement courageux. Cela a pu causer un choc, parce que certains qui se croyaient à un mois de la retraite, se sont retrouvés instantanément à dix ans de celle-ci. Mais on a assumé le choc : entretenir l'idée selon laquelle c'est en mettant les gens à la retraite que l'on va résoudre les problèmes du pays, n'est certainement pas rendre un service à la France.

En ce qui concerne votre question sur les investissements, il existe un marché  qui s'appelle l'Europe.

En dehors de quelques sociétés comme Imphy ou Creusot-Loire, toutes nos entreprises sont situées sur une frontière maritime (Dunkerque, Fos) ou fluviale (Lorraine) pour des raisons qui relèvent plus de la géologie que de la géographie.

Nous sommes bien positionnés sur le marché européen, que nous considérons comme notre marché domestique. Mais il est exact que, jusqu'à présent, nous étions surtout une entreprise industrielle française qui vendait beaucoup hors de France : avant même l'acquisition de Cockerill et d'Eko Stahl et les opérations brésilienne et américaine, nous réalisions 80 % de notre chiffre d'affaires en Europe (dont 30 % en France). C'est la raison pour laquelle les investissements étaient principalement localisés en France : c'est là que se trouvait la base industrielle. Avec l'acquisition d'installations belges, italiennes, allemandes et espagnoles, la distribution des investissements sur le sol européen sera plus proche de la structure de nos ventes.

Car ces produits voyagent et l'acier inoxydable mieux que les autres, parce qu'il est plus cher : comme les coûts de transports sont liés au volume et non à la valeur, plus le produit se vend cher, mieux il se transporte.

Le transport de ces marchandises obéit à des règles particulières. Il est plus coûteux d'expédier une tonne d'acier produit en Lorraine à Renault-Flins que d'expédier la même tonne à partir de Valence en Espagne : dans le premier cas, on utilise la route ou le rail et dans le second, le bateau qui est beaucoup moins cher.

L'acier se transporte et traverse les océans à coût très faible. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles ce marché est un marché global : si la Chine est physiquement très loin de nous, à l'aune du coût chez le client le pays est en réalité assez proche. La preuve en est que nous vendons en Chine ; pourquoi les Chinois ne pourraient-ils alors pas vendre chez nous ?

Pour me résumer sur cette question des transports, il existe un marché - l'Europe - et une rupture de charges - la mise sur un bateau. Mais une fois que vous êtes sur le bateau, vous pouvez traverser tous les océans. Je ne dis pas que c'est aussi rentable que de produire sur place, mais l'écart est faible.

Vous posiez une question sur les surcapacités. La notion de surcapacité doit également être considérée au niveau mondial car un raisonnement à un niveau local, national ou régional n'a aucun intérêt. Et une surcapacité mondiale implique un « gouvernement mondial ». Voilà le vrai problème, dans notre métier comme dans beaucoup d'autres.

Certes, le marché s'adapte... par la baisse des prix. Quand l'offre est supérieure à la demande, le prix chute mais les charges restent. C'est là que se situe le problème.

Il faut revenir aux bases du système économique. Celui-ci n'est pas fait pour le producteur mais pour le client. Gardez bien cela en tête ! Vous devez comprendre que tous nos concepts sont bouleversés et qu'il faudra encore dix, vingt ou trente ans pour découvrir le monde que nous avons créé et s'adapter aux règles du jeu qu'il aura générées. Et ceci n'est pas seulement valable dans le domaine économique mais aussi dans le domaine politique.

M. le Président : Cela nous promet de beaux lendemains...

M. Francis MER : Notre monde change à une vitesse que nous n'avons encore jamais connue dans notre histoire.

La révolution de l'information que nous commençons à vivre ne peut même pas être comparée à la révolution de l'imprimerie, qui a demandé des siècles pour se mettre en _uvre. L'imprimerie a apporté la connaissance à chacun tandis que la révolution informatique permet au monde entier de communiquer avec lui-même.

Ceci va créer pour le monde politique, qui représenter les intérêts du citoyen, un très vaste problème : car il aura en face de lui des gens qui, de toute façon, peuvent communiquer entre eux et décider entre eux ce qu'ils veulent. Ce qui se passe actuellement au Kosovo en est le plus bel exemple.

M. le Président : Il se posera le même problème qu'au moment de la révolution de l'imprimerie, celui de l'accès à la culture et au livre par rapport à l'accès à l'information. Dans le monde que vous décrivez, on peut retrouver ce que nous sommes en train de vivre au niveau de l'Organisation mondiale du commerce : la puissance publique est délaissée au profit de structures qui se sont développées autour de l'OMC.

M. Francis MER : Vous découvrez enfin que le roi est nu ! Il est en train de se dépouiller et, dans quelques années ou décades, il aura perdu l'essentiel de ses pouvoirs.

Après tout, pourquoi pas ? Le monde dans lequel nous vivons a été conçu, du point de vue politique et démocratique, par Montesquieu. Deux siècles plus tard, il est inévitable que ce monde soit repensé compte tenu des progrès révolutionnaires que nous connaissons.

M. le Président : Mon inquiétude est de concevoir le scénario dans lequel tout cela pourra s'inscrire et, plus généralement, de savoir comment préserver la cohésion du monde et bâtir un projet de société.

Après avoir fait beaucoup appel aux subventions publiques, votre groupe semble y avoir renoncé. S'agit-il d'un choix motivé par la volonté de garantir votre liberté d'action ?

Par ailleurs, je souhaiterais des précisions sur le choix de localisation des sites. Vous avez cité certains critères tels que la géologie ou les transports. Y en a-t-il d'autres ?

S'agissant enfin de l'intégration fiscale du groupe, avez-vous une estimation de son incidence sur sa charge d'imposition ?

M. Francis MER : L'intégration fiscale aide effectivement à optimiser nos activités entre les entreprises qui gagnent de l'argent et celles qui en perdent. Sans cette intégration, il est certain que nous devrions payer plus d'impôts. Ce régime permet à des entreprises qui perdent de l'argent de ne pas être obligées de réduire leur activité pour limiter les pertes, dans le cas où ces pertes ne seraient que temporaires.

En ce qui concerne les subventions, il est vrai que le groupe n'en touche pas.

Je vous rappelle que nous sommes soumis au traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), conçu en 1948 par des hommes qui voulaient bannir à tout jamais la guerre en Europe et se sont dit que, pour éviter un nouveau conflit entre pays européens, il fallait maîtriser les deux éléments qui résumaient la guerre : le charbon - source d'énergie - et l'acier - c'est-à-dire les canons.

En dehors de ce contexte politique, ce traité précurseur affirmait qu'il était de l'intérêt de ces métiers de mutualiser un certain nombre de ressources, pour faire avancer le progrès scientifique et social. C'est ainsi que, depuis cinquante ans, les sidérurgistes paient à la Haute autorité du charbon et de l'acier - aujourd'hui, une direction générale de la Commission des communautés européennes - une taxe sur chaque tonne d'acier produite en Europe ; cet argent est ensuite renvoyé à la profession à travers des projets de recherche ou des projets sociaux.

Le terme « subvention » à propos de ces restitutions est donc piquant, dans la mesure où il ne s'agit que d'une redistribution de l'argent que la sidérurgie européenne a versé à la CECA. Nous avons réussi, après quelques contorsions avec les services de la Commission, à transformer ce fonds en fondation dès l'expiration du traité, de manière à ce que cet argent reste à la disposition de la profession et ne soit pas noyé dans le budget communautaire.

L'autre subvention que nous touchons est le crédit d'impôt recherche - pour un montant minime.

En réalité, je ne crois pas que nous touchions de subventions. C'est d'ailleurs parfaitement normal : l'argent du contribuable est gaspillé dans ces subventions et les aides actuellement distribuées pour la création d'emplois. Il faudrait à mon avis supprimer tout cela, en réaffecter une partie à des actions beaucoup plus ciblées et utiliser le solde pour réduire le déficit budgétaire, de façon à le contenir dans des proportions plus raisonnables. Je ne suis absolument pas convaincu que ces subventions soient efficaces, y compris celles qui concernent l'emploi.

En ce qui concerne Usinor, nous n'avons jamais rien sollicité.

M. le Président : Faites-vous appel au Fonds national pour l'emploi ?

M. Francis MER : Nous sommes dans un État de droit, avec des règles qui s'appliquent à tous. Pourquoi une entreprise ne profiterait-elle pas de dispositions collectives ? Comment justifier à nos actionnaires un comportement consistant à refuser ce qui est offert ?

M. le Président : Les travaux de notre commission nous ont conduits à nous intéresser aux autres pays de l'Union européenne et même, au-delà, à l'ensemble des pays de l'OCDE.

Ne pensez-vous pas que nous nous retrouverions défavorisés si la France était le seul pays à démanteler son système, alors que les autres - y compris les Etats-Unis - font un large appel aux subventions ? J'ai même pu lire qu'un pays comme la Malaisie en avait fait une véritable politique d'Etat.

M. Francis MER : La France n'est pas la Malaisie...

L'argent distribué sous forme de subventions ne peut plus être utilisé pour d'autres projets. Je ne dis pas que les subventions n'ont pas d'intérêt mais je dis que beaucoup deviennent des « services votés ».

Il serait de bon ton de constater, au niveau européen, que nous avons besoin de services d'Etat nerveux et musclés et non pas lourds et gras. Plus les services publics seront rapides et compétents, mieux l'économie se portera car c'est elle qui décidera, à travers le marché, de la meilleure allocation des ressources.

Le problème de fond de ce pays est de continuer à croire que certains en savent plus que tous les autres pour décider de l'usage de l'argent prélevé sur le contribuable. Autrefois on disait : « je ferai votre bonheur malgré vous » ; on a vu le résultat...

Vous devez comprendre que le monde actuel est si compliqué, si réactif que personne ne peut s'arroger le droit, au nom d'une science dont il ne dispose même pas, de décider pour les autres. Sauf pour ce qui concerne le domaine régalien, cela va de soi.

Personne ne conteste que le chômage est le problème de fond dans ce pays. Quand vous savez que le travailleur non qualifié coûte à l'employeur français deux fois ce qu'il gagne lui-même - c'est-à-dire que l'employeur paye un salaire à son employé et un autre à la collectivité - vous avez le début de la solution. Si vous supprimez suffisamment de dépenses pour pouvoir vous passer d'un certain nombre de recettes qui tuent l'emploi, vous faites _uvre utile parce que vous permettez à ces travailleurs pas ou peu qualifiés d'être employés. Aujourd'hui, le smicard non qualifié à 6 000 ou 6 500 francs par mois a, dans beaucoup de métiers, une utilité marginale supérieure à son coût marginal : le fait de l'employer peut aider à créer de la valeur. Mais le smicard qui coûte deux fois son salaire a un coût qui excède largement son utilité. Aucun emploi non qualifié ne peut justifier un travailleur qui coûte 12 000 francs par mois à son employeur, sauf à faire appel à des subventions pour diminuer à nouveau le coût de ce travail. Ces emplois non qualifiés ont depuis longtemps disparu d'Europe au profit de pays moins exigeants sur le plan social et qui nous aident, nous consommateurs européens, à profiter aussi de l'ouverture sur le monde.

Quand vous achetez votre chemise à dix ou quinze francs, vous n'ignorez pas qu'elle ne peut pas être fabriquée en Europe. Si les travailleurs non qualifiés coûtaient deux fois moins cher, un certain nombre de métiers - pas seulement dans le textile - redeviendraient sans doute des métiers européens. Ce qui m'étonne c'est qu'au nom de la protection des emplois vous vous acharniez au contraire à les supprimer, quel que soit le gouvernement et quelle que soit sa couleur politique. L'enfer est certes pavé de bonnes intentions ; mais il reste l'enfer.

Pour revenir à votre question sur les subventions, vous devriez d'abord toutes les supprimer. Je dis bien : toutes. Cela doit faire une somme significative dans le budget de l'Etat. Ensuite, vous pouvez estimer qu'il n'est pas raisonnable de tout supprimer et qu'en tel ou tel endroit il est souhaitable de dépenser de l'argent, que cela s'appelle ou non une subvention. Le reste doit être transformé en réduction de charges. Je suis certain que, par ce biais, vous aiderez l'activité économique à se développer et donc à créer des emplois.

Soyons clair : on n'en créera pas dans la sidérurgie. Aujourd'hui, le coût salarial moyen dans la sidérurgie pour l'employeur est de 350 000 francs : vous voyez que nous sommes largement au-dessus du SMIC. Cela permet d'avoir une idée du niveau élevé de qualification des sidérurgistes, le même qu'en Allemagne.

Mais on peut créer des emplois dans des métiers qui font appel à la disponibilité et à l'intelligence, même si la personne a peu de qualifications. C'est ce que l'on appelle des emplois de services et de services à la personne. Je trouve absolument désolant que ces idées simples n'arrivent pas à franchir non pas la porte du ministre des finances (qui les partage) mais plutôt celle du système, tellement englué sur lui-même qu'il n'a pas la volonté politique d'affronter les conséquences d'une décision qui consisterait à dire : « j'arrête les subventions ». A ce moment-là,  tous les députés se lèveraient d'un bloc pour défendre telle ou telle mesure ! Au nom de la défense des intérêts de chacun, on oublie les intérêts de la collectivité. Pourtant, la représentation nationale est faite pour penser à la collectivité et non pas à la micro-collectivité des récipiendaires.

La meilleure cohésion sociale, en France comme partout, est obtenue si chacun a du travail.

Sortez-vous de l'idée que le monde américain manque de cohésion. Depuis dix ans, la criminalité américaine est en baisse. Vous connaissez le niveau de la criminalité européenne ou française. Faites une corrélation avec l'emploi ; vous verrez ! Posez-vous la question : comment expliquer les résultats américains ? Ils viennent du fait que l'État, y compris la fonction publique, accepte de se serrer la ceinture. La preuve, c'est que le budget américain est excédentaire et que depuis dix ans, la croissance de l'économie américaine est fantastique. L'Etat américain a remboursé ses dettes ! Vous connaissez l'état de la dette française : elle a doublé au cours des cinq dernières années.

Nous sommes en Europe - et donc en France - devant un problème qu'il vous appartient de traiter. On prélève sur les richesses de l'entreprise. Très bien ! Cela fait partie des règles du jeu. Mais ces règles sont mauvaises lorsque l'on atteint le niveau actuel.

C'est un très beau sujet, que je vous conseille d'étudier.

M. le Président : Sur cette question, je pense que M. le ministre de l'économie et des finances a dû vous entendre, puisqu'il prépare pour l'année prochaine un budget dans lequel les prélèvements seront revus à la baisse.

Je ne partage pas votre regard sur les États-Unis ni votre explication de la baisse de la délinquance. Si les chiffres dont j'ai connaissance sont exacts, autant les crimes de sang ont notablement diminué, autant ce que l'on appelle ici la délinquance sur la voie publique est largement équivalente outre-Atlantique.

M. Francis MER : Je ne suis pas en train de vous dire qu'il existe une corrélation exclusive entre la délinquance et l'emploi ; mais une corrélation existe, c'est évident. Vous le savez, il n'est pas besoin de procéder à des études.

Quant aux délocalisations que vous avez mission d'étudier ce sont une véritable «tarte à la crème». J'espère qu'à travers les auditions auxquelles vous avez procédé, vous avez compris que - sauf exception - il n'existe pas de volonté particulière de délocaliser. Cela coûte cher de délocaliser, la véritable délocalisation consistant à fermer un site pour en ouvrir un autre. Il existe en France quelques exemples célèbres, que j'ai retrouvés dans les propos que vous avez échangés avant de décider la constitution de votre commission. Mais c'est l'exception qui confirme la règle.

Il ne faut pas prendre le chef d'entreprise pour un bourreau. C'est aussi difficile pour lui de fermer une usine que pour vous d'accepter que cette usine soit fermée. Et c'est lui qui est au charbon, ce n'est pas vous.

En fait la délocalisation doit s'analyser en ces termes : où se localisent les nouveaux investissements ? Là est le vrai problème.

A mon avis, il est clair qu'ils se localisent pour la plupart sur les nouveaux marchés -ce qui est plutôt positif - et que quelquefois ils se créent là où l'offre de travail est beaucoup plus compétitive qu'ailleurs. L'exemple du textile est classique. Mais il faut être bien conscient du fait que ce mouvement, dans le secteur du textile, n'est pas terminé. Car certains pays, après avoir été le lieu où l'on investit parce que les conditions de productivité étaient favorables, se retrouvent dépouillés à leur tour de ces mêmes investissements, au profit d'autres pays encore moins avancés et qui en profitent pour se développer.

Si vous voulez penser aux autres, n'oubliez pas que cette délocalisation est un puissant facteur de progrès dans ces pays.

Quant aux autres investissements, ils consistent à constater, par exemple, qu'un pouvoir d'achat se développe en Chine et à se dire : « Pourquoi ne pas y investir ?» Parce que l'on ne pourra jamais apporter à partir de France le service demandé par les chinois, d'autant plus qu'il s'agit d'un continent dans lequel les moyens de transport ne sont pas encore à la hauteur de ceux qui existent en Europe.

Voilà mon opinion sur la délocalisation : c'est un faux problème qui ne résiste pas à l'examen, si ce n'est marginalement. Évidemment, il existe des exemples que l'on met toujours en avant mais je ne crois pas qu'ils constituent un problème majeur.

En tout état de cause, il y en a chez nous encore moins qu'ailleurs, parce que l'on ne choisit pas une localisation uniquement en fonction des coûts. Il ne viendrait à l'idée de personne, sous prétexte que le travailleur malaisien non qualifié est plus « rentable » et moins coûteux que celui de France, d'implanter une usine en Malaisie pour alimenter le marché français.

Par contre, si nous considérons que l'environnement de la Thaïlande se développe, nous allons y implanter une usine dont la production sera destinée à ce pays et à sa région. Parce que l'on sait que l'on ne pourra pas y exporter.

Je me permets de vous dire que la manière dont les Américains conçoivent le commerce et la liberté du commerce est un sujet sur lequel il serait bon de se pencher. Nous avons tort en matière de bananes. En revanche, en matière d'acier ce sont eux qui ont tort. Malheureusement, nous n'avons pas réussi à convaincre les Américains que la fermeture de leurs frontières était « anti-OMC » Mais nous allons continuer à essayer.

Audition des syndicats
Audition de M. Daniel BAHEUX et Mme Marie-Gilberte CANIVEZ,
Délégués syndicaux de la CFTC,

MM. Denis CASTELLER et Gérard RAMIREZ ,
Délégués syndicaux de FO,

Mme Viviane CLAUX et M. Jacques LAPLANCHE,
Administratrice salariée et représentante de la CGT, délégué syndical de la CGT,

MM. Bernard LECOESTER et Jean-Bernard NORMAND,
Délégués syndicaux de la CFE-CGC

Edouard MARTIN et Dominique PLUMION,
Délégués syndicaux de la CFDT,

chez USINOR

(extrait du procès-verbal de la séance du 21 avril 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Daniel Baheux, Mme Marie-Gilberte Canivez, M. Denis Casteller, Mme Viviane Claux, MM. Jacques Laplanche, Bernard Lecoester, Edouard Martin, Jean-Bernard Normand, Dominique Plumion et Gérard Ramirez sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Daniel Baheux, Mme Marie-Gilberte Canivez, M. Denis Casteller, Mme Viviane Claux, MM. Jacques Laplanche, Bernard Lecoester, Edouard Martin, Jean-Bernard Normand, Dominique Plumion et Gérard Ramirez prêtent serment.

Mme Viviane CLAUX (CGT) : Usinor développe actuellement une stratégie nouvelle. Groupe industriel doté de savoir-faire, il s'est en effet recentré selon des critères financiers dans le but de devenir le leader mondial des spécialités à forte valeur ajoutée. Pour cela, il donne la priorité à l'actionnaire et cherche à s'implanter sur le marché américain. Les investisseurs institutionnels, qui détiennent 57,3 % du capital du groupe, exigent une rentabilité de l'ordre de 15 %. Le reste du capital est détenu par les actionnaires individuels (21,2 %), le groupe d'actionnaires stables (12,2 %), les salariés (4,4 %) et l'autocontrôle (4,9 %).

Pour atteindre son objectif, Usinor a recentré son activité sur deux produits : les produits plats au carbone et les inox. Cette stratégie l'a amené à procéder à une série d'acquisitions : Cockerill Sambre en Belgique, Acesita au Brésil et d'autres sociétés en Italie et en Espagne. La diversité des produits, sur laquelle a longtemps reposé la force du groupe, est donc remise en cause par la cession des autres activités, décidée soit parce que les actionnaires ne les jugent pas suffisamment rentables (Unimétal), soit pour disposer des fonds nécessaires aux acquisitions (Ascométal) et rétablir un taux d'endettement sur fonds propres de l'ordre de 0,5 %. La multiplication de l'endettement par 2,3 a entraîné une augmentation des frais financiers.

De ce recentrage sur deux produits, il résulte une dépendance plus grande du groupe à l'égard de marchés ciblés (automobile, électroménager, bâtiment, emballage) et par conséquent, une sensibilité accrue à la conjoncture. Malgré tout ce qui a été entrepris par USINOR, celui-ci n'a pas réussi à réaliser une acquisition dans les produits plats au carbone aux USA, contrairement à un émergent comme le sidérurgiste anglo-indien ISPAT. Mais cet objectif n'est pas abandonné alors que toute nouvelle acquisition se fera avec des risques accrus, liés au « risque-pays », et à des prix élevés au détriment du potentiel industriel français.

Cette logique d'optimisation de la rentabilité du capital investi implique de réaliser des économies d'échelle. Cessions et acquisitions entraînent des restructurations en série et la recherche d'effets de taille dans le but de gagner en compétitivité. Ainsi, l'achat de Cockerill met en péril l'usine de L'Ardoise dans le Gard et instaure une concurrence entre différents sites (notamment avec celui de Sollac à Strasbourg). Dans le secteur recherche-développement, le projet Myosotis mis en place sur le site d'Isbergues est abandonné parce que la rentabilité immédiate commande de laminer à Carlam en Belgique.

Les acquisitions réalisées au Brésil sont situées près des mines de fer et permettent la production de brames moins chères qu'en Lorraine : quel sera le devenir des filières chaudes des hauts fourneaux lorrains ? Que vont devenir les activités cédées, c'est-à-dire les produits longs, les aciers spéciaux et les feuillardiers ? Quelles garanties Ispat, cette entreprise à la réputation douteuse qui attend un retour sur investissement en deux ans, offre-t-elle aux produits longs ? Quel est l'avenir d'Ascométal dont les filiales sont vendues par compartiments ? Quelles seront les conséquences de la vente de Sogérail, qui fabrique les nouveaux rails de TGV, à British Steel, sinon la nécessité pour Cogifer de se fournir chez son concurrent British Steel ? Des activités uniques en France disparaissent (le train à fil de Longwy) ou sont menacées : Valdunes, fabrique de roues et d'essieux, a été vendue à une société américaine alors que son premier client est le service public de la SNCF.

Dans un contexte marqué par la crise asiatique et la baisse des prix, Usinor réalise des profits confortables depuis sa privatisation : plus de 2 milliards de francs en 1997, puis en 1998, malgré l'existence de provisions et le versement de dividendes élevés aux actionnaires. La pression des prix est amortie par les gains de productivité demandés, mais ils ne satisfont pas Usinor qui en demande plus encore : ce n'est plus le client mais l'actionnaire qui exerce une contrainte sur les salariés au détriment de l'emploi et des régions. Quels seront les effets de cette politique industrielle sur le territoire ? En effet, le groupe ne contribue pas au développement local et l'emploi est menacé dans la région Lorraine : 10 000 salariés vont ainsi quitter le groupe avec les cessions d'Unimétal, d'Ascométal et d'Allevard.

Par ailleurs, la politique de financiarisation accroît la pression sur l'emploi : 3 000 suppressions d'emplois sont annoncées d'ici à 2001, dont 850 chez Sollac, auxquels viennent s'ajouter les 1 100 suppressions ciblées dans la réorganisation des inox. De petits sites sont fortement menacés : Strasbourg, Mouzon, Desvres, Ardoise, Saint-Chély-d'Apcher.

Les investissements s'en trouvent freinés : les immobilisations corporelles couvrent à peine les amortissements comptables et les dépenses en faveur de la recherche-développement et de la protection de l'environnement sont calquées sur celles des autres groupes sidérurgistes.

Les « coûts salariaux » et les « coûts d'emploi » subissent les conséquences de cette politique de financiarisation : ainsi Usinor est-elle en pointe dans l'utilisation du temps partiel par le biais de l'aide au passage à temps partiel ou des préretraites progressives - sans pour autant honorer ses engagements en matière de créations d'emplois correspondantes -, de la précarité (contrats à durée déterminée, intérim) et de la sous-traitance au nom du recentrage sur le métier. Le statut des salariés, leurs salaires et leurs conditions de travail et de sécurité s'en ressentent.

L'embauche insuffisante de jeunes ne permet pas de rééquilibrer la pyramide des âges : dans cinq ans, 17 000 salariés auront plus de 55 ans. La nouvelle organisation du travail en business units et les nouvelles règles sociales qui seront issues des négociations en cours ont pour but de comprimer la masse salariale, de supprimer des emplois et de développer la précarité, la mobilité géographique et la sous-traitance en externalisant certaines activités dont la pérennité est ainsi mise en péril. Sous couvert de négociations sur la réduction du temps de travail, la direction cherche à remettre en cause le statut actuel des salariés à travers le projet « Usinor 2010 » qui s'articule autour des notions « d'employabilité », de contrat d'objectifs et de contrat de mission. Le contrat de travail est ainsi mis en question sans contrepartie en termes de réduction du temps de travail ou de création d'emplois. En réalité, il s'agit d'imposer le temps partiel, qui plus est avec l'aide de fonds publics.

Face à cette évolution, nous demandons le vote de dispositions législatives contraignantes.

Dans le cadre des fusions, rachats et cessions, la direction doit s'engager par contrat à garantir qualitativement et quantitativement les activités, l'emploi et les règles collectives des entreprises cédées, restantes ou acquises, comme c'est le cas ailleurs en Europe. L'Italie, par exemple, prévoit, en cas d'externalisation des activités, l'obligation de maintenir durant dix ans le statut et l'emploi des salariés. L'Espagne et la région wallonne ont su imposer des clauses tout aussi contraignantes lors des cessions d'activités sidérurgiques. Une restructuration qui prend pour argument les coûts de production doit être assortie obligatoirement de justifications réelles et contrôlables. Au-delà d'une certaine taille, l'entreprise doit publier sa comptabilité analytique et la mettre à la disposition de l'expert du comité d'entreprise.

Pour les aides publiques qui, jusqu'à présent, ont davantage accompagné les stratégies d'entreprises qu'elles ne les ont contrecarrées, nous demandons la transparence, leur justification et leur contrôle afin qu'elles servent réellement l'emploi.

Les possibilités de concertation et d'intervention des représentants des salariés doivent être élargies tant au niveau local qu'aux niveaux national, européen et mondial. En effet, l'internationalisation des groupes complique l'exercice de la mission des syndicats qui, si leurs élus ne disposent pas des moyens nécessaires pour se rendre dans les différents établissements, sont tributaires des informations que la direction accepte de leur donner. Des comités de groupe mondiaux s'avèrent donc de plus en plus nécessaires à l'intérieur de groupes de cette dimension et leur création doit être l'occasion d'accroître les moyens des représentants des salariés.

Ceux-ci doivent pouvoir disposer de plus de temps et de moyens financiers plus importants, se faire assister par des experts, être consultés préalablement aux décisions, et leurs propositions doivent faire l'objet de réponses fiables et motivées. Au sein des sociétés, les conseils d'administration doivent comprendre, à hauteur d'un tiers au minimum, des administrateurs salariés élus. Doit être annexé aux comptes des sociétés un document relatant les mouvements financiers et les flux de trésorerie. En cas de licenciements, les comités d'entreprise doivent pouvoir disposer du droit d'introduire un recours suspensif. Il faut enfin adapter les lois Auroux dans le sens d'une meilleure expression des salariés sur leur lieu de travail.

En matière de sous-traitance, les droits sociaux des salariés participant aux activités sous-traitées doivent être alignés sur ceux de l'entreprise donneuse d'ordres si le lien de dépendance est total ou très étroit. Si ce lien n'existe pas, le contrat commercial doit comprendre une annexe sociale portant sur les minima sociaux, l'activité du Comité pour l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail, la précarité, les qualifications et prévoir la mise en place d'un volet assurance-qualité en ce qui concerne les conditions de travail et l'environnement des salariés.

M. Dominique PLUMION (CFDT) : Ayant été auditionné par une autre commission en 1990, mon exposé traitera de la situation du groupe depuis cette date.

En 1990 et 1991, les effectifs d'Usinor ont légèrement diminué mais la baisse de cycle conjoncturelle de 1992-93 s'est traduite par la suppression d'environ 5 000 emplois. Les accords signés en 1994 à Sollac et le 18 juillet 1995 à Usinor ont permis, avec l'aide des pouvoirs publics, la mise en oeuvre de temps partiels qui ont sauvegardé plus de 5 000 emplois et permis l'embauche de plus de 3 000 jeunes.

Depuis 1995, année de sa privatisation, le groupe Usinor a accentué ses acquisitions et investissements en Europe et dans le monde sous l'effet de la mondialisation de l'économie. Il en a résulté des décisions drastiques au niveau national, se traduisant par le lancement de plans sociaux dans presque toutes les sociétés du groupe (entre 2 500 et 3 000 suppressions d'emplois en trois ans), en rupture avec les accords précédents et les engagements pris par Usinor envers les pouvoirs publics.

En effet, les dernières aides provenant du FNE sont liées au départ des classes d'âge 1941 et 1942 et, en contrepartie, la direction du groupe s'était engagée envers les délégués syndicaux à embaucher. Cet engagement n'a pas été respecté et, jusqu'à présent, nos protestations auprès des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle n'ont pas porté leurs fruits. Par ailleurs, le positionnement mondial du groupe se traduit par la cession des sites de produits longs, ce qui représente le départ d'environ 7 000 salariés du groupe Usinor.

Quel état des lieux pouvons-nous dresser actuellement ?

En ce qui concerne la branche des produits plats, Sollac doit disparaître le 1er janvier 2000 au profit de seize Business Units (centres de profits), dont sept se situent en France. Ces sociétés dites opérationnelles seront séparées des secteurs fonctionnels d'Usinor qui seront regroupés dans des sociétés de services partagés : les secteurs social, financier, juridique, commercial, marketing, de l'achat et des reclassements seront séparés des unités d'exploitation. Cela donne lieu à une consultation sur un plan social prévoyant la suppression de 2 500 emplois en trois ans.

S'agissant de la branche des inox, Ugine doit disparaître au profit de sept unités opérationnelles, mises en place depuis le 1er janvier 1999, qui bénéficieront des sociétés de services partagés créées par le groupe Usinor. Un plan social supprimant 1 050 emplois est prévu.

Enfin, l'éclatement de la branche des produits longs et des aciers spéciaux, dont font partie Unimétal et Ascométal, est programmé ainsi que la cession de l'ensemble des produits longs, sans respect des engagements industriels et sociaux pris par la direction. Ce sont 7 000 salariés qui quittent ainsi le groupe, avec le risque de voir leur emploi supprimé et leur couverture sociale précarisée.

Le CREAS, centre de recherche de la branche des produits longs, devient l'enjeu d'une bataille entre Ispat et Lucchini : la centaine de salariés de ce centre fait office de monnaie d'échange sans être assurée de garder son outil de travail.

Après avoir bradé Nozal, Longométal, Forcast, Fortech, la SAM et Tréfilest, le groupe cède maintenant Valdunes, UGO, Sogérail, Ascométal et ses filiales, Allevard et ses filiales, Unimétal et ses filiales, le tout sous prétexte de désendettement alors que, dans le même temps, il a acquis J&L aux États-Unis, Dofasco au Canada, Thaïnox en Asie, Acesita et CST au Brésil, Cockerill Sambre en Belgique, Eko Stahl en Allemagne, Sidmed en Espagne, La Magona d'Italia et Arvedi en Italie. Je fais remarquer au passage, s'agissant du Brésil, qu'Acesita a supprimé 800 emplois et que le groupe veut céder les terrains d'eucalyptus, qui permettaient de chauffer les hauts fourneaux, aux grands propriétaires terriens, au détriment du mouvement des « sans terre ». Je suis d'ailleurs intervenu auprès de MM. Georges François et Francis Mer sur ce dossier.

Poursuivant sa logique industrielle, encouragé en cela par les fonds de pension anglo-saxons, le groupe a accru ses dettes de plus de 20 milliards de francs. Chacun sait que ce sont les fonds de pension qui ont incité le groupe à reprendre Acesita et CST au Brésil lors de l'effondrement de la Bourse de Sao Paulo.

M. Edouard MARTIN (CFDT) : Je compléterai l'exposé de mon collègue en examinant région par région l'impact des décisions du groupe Usinor sur l'aménagement du territoire et l'emploi.

En ce qui concerne les inox, La Meusienne va faire l'objet d'un plan social qui prévoit la diminution de 20 % des effectifs, c'est-à-dire 400 emplois, dans un département déjà fortement touché par le chômage. A Pont-de-Roide, on annonce la fermeture totale des installations qui emploient 200 personnes. La décision d'Usinor de concentrer l'ensemble de la production des inox à Isbergues risque d'entraîner la fermeture de l'usine de L'Ardoise qui emploie 500 personnes. Enfin, Valdunes a été vendue à la société américaine Freedom Forges.

S'agissant des aciers spéciaux, un contrat d'exclusivité vient d'être signé avec Lucchini qui prévoit la vente d'Ascométal et de ses filiales par département, Allevard étant cédée au groupe de Benedetti. Une interrogation demeure quant au sort de la Safe car le groupe Lucchini, qui ne dispose pas de forges, cherchera probablement des partenaires à cette société, d'où un risque d'externalisation. Ce groupe souhaiterait par ailleurs garder le CREAS mais Ispat, qui rachèterait Unimétal et ses filiales, voudrait conserver 35 % du capital de ce centre de recherches. Nous ignorons la décision que prendra Usinor à ce sujet. Les filiales d'Unimétal, Tréfileurope dans la Marne et SMR dans la Meuse, seront vendues à Ispat. 80 salariés d'Unimétal Godbrange vont rejoindre H&E, une structure créée par Usinor, de manière à diminuer l'impact d'un futur plan social. Nous sommes cependant persuadés que cela ne met pas les salariés à l'abri d'un nouveau plan social. On a en effet comparé la situation d'Unimétal à celle d'une installation similaire située à Duisbourg, en Allemagne, également rachetée par Ispat, et il en ressort que les effectifs d'Unimétal sont supérieurs de 10 % à ceux de l'usine allemande.

Concernant la branche des produits plats, Sollac a supprimé en réalité 1 140 emplois. L'impact des cessions et de la réorganisation risque d'entraîner une diminution des effectifs de chercheurs dans le centre de recherche sidérurgique (IRSID) situé à Maizières-lès-Metz, d'autant plus que Cockerill a des accords de partenariat avec les universités belges.

Telles sont les conséquences directes des décisions du groupe Usinor, dont il est difficile de quantifier les effets induits sur les différents bassins d'emploi.

Après la fermeture du train à fil, concomitante à celles de JVC et de Panasonic qui ont entraîné la disparition de 700 emplois, le groupe s'était engagé à redynamiser le bassin de Longwy en créant un nombre d'emplois identique à celui qu'il avait supprimé, c'est-à-dire 313. Dans la Meuse et le bassin de Saint-Dizier, le plan social de la Meusienne s'ajoute à d'autres suppressions d'emplois massives, et des événements récents témoignent de la crainte ressentie par les habitants face à la tentative de réindustrialisation et aux conséquences des décisions du groupe Usinor. En cas de fermeture de l'usine de L'Ardoise, ce seront 500 emplois directs qui seront supprimés mais ses effets se feront sentir au niveau de la sous-traitance et de l'économie du bassin.

M. Gérard RAMIREZ (FO) : Le groupe Usinor est privatisé depuis 1995. Il est issu de multiples restructurations du secteur sidérurgique qui ont débuté en 1977 et se sont traduites par la disparition de plus de 100 000 emplois. Le rapprochement des groupes Usinor et Sacilor, qui a conduit à la constitution du groupe tel qu'on le connaît aujourd'hui, a eu lieu durant cette période. Ces restructurations ont été accompagnées de différents accords sociaux prévoyant des conventions générales de protection sociale auxquelles ont succédé la convention sur l'emploi et l'accord sur l'emploi Usinor. Ces dispositifs s'appuyaient sur des aides de l'État et des fonds de la CECA qui représentent environ 100 milliards de francs. Depuis plus de dix ans, le groupe Usinor est géré comme un groupe privé. Désormais privatisé, il se veut indépendant et vise une rentabilité des capitaux engagés de 15 % pour satisfaire ses actionnaires.

La réorganisation en cours poursuit deux objectifs majeurs : un taux de rentabilité de 15 % et la satisfaction du client. Selon ses dirigeants, cela nécessite une amélioration constante de la productivité dans une économie mondialisée, c'est-à-dire une réduction des coûts internes, donc de la masse salariale.

C'est dans ce contexte que Sollac, par exemple, a mis en oeuvre la démarche « Nouvelle donne, nouvelle ambition » qui va se traduire par l'externalisation d'activités ou d'outils. Le groupe propose d'éviter l'exclusion en faisant appel au temps partiel : actuellement 12,7 % des effectifs, soit 5 200 personnes, relèvent de ces dispositifs. Des plans sociaux qui sont en cours de présentation ne s'appuient sur aucune contrainte économique ou industrielle autre que la réalisation du projet « Nouvelle donne, nouvelle ambition ». Ce sont ainsi environ 2  000 emplois qui seront supprimés en trois ans, dont 840 dès 1999. Lors des restructurations, la SODI, filiale d'Usinor, a contribué à la création d'emplois dans les bassins touchés.

Entre 1997 et 1998, les effectifs français ont baissé de 2 500 alors que dans le même temps, ils ont augmenté de 1 000 en Italie, de 800 en Belgique et de 500 en Thaïlande.

Enfin, à la fin 2002, le traité CECA arrive à échéance. Il est important que les garanties sociales qu'il contient soient maintenues au niveau européen.

M. Bernard LECOESTER (CFE-CGC) : Je ne reviendrai pas sur ce qu'ont dit mes collègues de la CFDT car nous sommes pleinement en accord avec eux, mais je souhaiterais vous donner la position de notre syndicat sur le projet du groupe Usinor.

En décembre 1997, lors des journées de l'Association Technique de la Sidérurgie, M. Mer déclarait : « C'est une conviction forte que je voudrais faire partager : nous sommes sortis de l'ère des restructurations ». En octobre 1998, dans une lettre d'orientation intitulée « Usinor 2010 », le comité exécutif affirmait que « les hommes constituent la ressource essentielle de l'ambition de leur groupe ». En moins d'un an, cette conviction a été balayée par la cession de la filière aciers spéciaux, l'acquisition de sociétés étrangères, l'annonce de la réorganisation totale du groupe, de son périmètre et de son fonctionnement.

Qu'avons-nous eu à partager ? Ce projet de réorganisation a été mené sans la moindre implication de ceux qui sont appelés à la mettre en oeuvre, à savoir les salariés, et plus particulièrement l'encadrement. La « ressource essentielle » a-t-elle son mot à dire sur l'ambition du groupe ? Ou faut-il croire que l'on peut déplacer les salariés comme les tonnages, les brasser comme le métal, les laminer comme les produits, sans leur demander leur avis ? Cela n'est peut-être pas terminé car M. Mer vient de déclarer à la Tribune que « les concentrations vont se poursuivre et qu'il est possible que nous soyons à nouveau acteurs ».

La mise en oeuvre d'une telle « révolution culturelle » n'exigeait-elle pas avant toute chose son approbation par l'ensemble des salariés ? N'était-ce pas l'occasion d'élaborer ensemble un véritable projet d'entreprise, en prenant le temps nécessaire pour emporter l'adhésion de tous, par une stratégie de communication et de pédagogie adaptée ? Comment les salariés d'Usinor ne se sentiraient-ils pas floués en voyant tomber brutalement dans un tourbillon d'actions le projet d'une nouvelle organisation dont seuls les dirigeants comprennent la finalité ?

La CFE-CGC n'ignore pas qu'Usinor, comme toute entreprise internationale, est obligée de s'adapter à la mondialisation de l'économie, qu'elle doit se doter de l'outil le plus performant et de la structure la plus efficace et la plus compétitive afin de rentabiliser au mieux les capitaux apportés par des investisseurs qui ne sont évidemment pas des philanthropes. Pourtant, elle ne peut que condamner une logique purement financière dont on sait qu'elle conduit à un libéralisme sauvage étranger à la dimension humaine de l'économie.

La charte organisant les relations entre unités opérationnelles et unités de services partagés les invite implicitement à privilégier le coût de leurs prestations plutôt que leur qualité. Or, n'importe quel homme ou femme de terrain sait faire la différence entre la qualité d'une prestation interne et celle d'une prestation externe. L'annonce de ce projet de réorganisation est une réponse positive aux questions des marchés financiers, le cours de l'action l'atteste. Pour tous les salariés du groupe, en revanche, elle est synonyme d'un retour à l'inquiétude. Cette annonce a été particulièrement choquante : la dimension sociale de ce bouleversement n'a, en effet, pas été prise en compte, sinon pour annoncer qu'elle sera examinée cet été.

Il semble donc que l'on ne se soit pas beaucoup préoccupé des hommes et des femmes, « ressources essentielles » de l'entreprise, au cours de l'élaboration de ce projet, et encore moins des conséquences qu'il peut avoir sur l'emploi. Si, en Belgique, Usinor s'est engagé à aider à la création de 4 000 emplois, en France, on ne parle que de suppressions et d'externalisations sans se soucier du personnel et de son expérience, acquise pour certains depuis de longues années. L'expertise, qui fait désormais partie du vocable habituel, n'est-elle plus présente qu'au sein du comité exécutif ?

La CFE-CGC s'engage, avec toutes celles et tous ceux qui sont épris de justice sociale, à ne pas permettre la poursuite de ce projet tant que toutes les garanties n'auront pas été obtenues quant au devenir des salariés du groupe, qu'ils soient appelés à le quitter ou à continuer d'y travailler. Elle demande que s'ouvrent immédiatement des négociations et réfute toute idée de limite liée au calendrier. Si elle n'a jamais été opposée à une évolution assurant la pérennité de l'entreprise - elle l'a maintes fois prouvé -, elle tient à ce que celle-ci soit mise en oeuvre dans le respect de tous ceux qui y collaborent.

Mme Marie-Gilberte CANIVEZ (CFTC) : Pour la CFTC, les décisions industrielles appartiennent aux dirigeants du groupe Usinor et à son conseil d'administration. En effet, notre président, M. Mer, a décidé d'accélérer l'installation du groupe Usinor au sein de la sidérurgie mondiale en favorisant la rationalisation des métiers et la course à la productivité.

En décembre 1997, notre groupe comptait environ 50 000 salariés. Aujourd'hui, on nous annonce qu'il est nécessaire de mettre en oeuvre de lourdes restructurations, voire des plans sociaux, pour rester crédibles aux yeux de nos clients et de nos actionnaires. Nous manquons d'informations précises sur les éléments ayant motivé ces décisions et sur les objectifs visés.

L'accumulation d'investissements et d'achats a conduit notre groupe à réorienter sa stratégie industrielle de ventes en ignorant la politique d'aménagement du territoire, et cela met en péril des régions entières. Nous sommes très attentifs aux différents plans de cessions car nous considérons que celles-ci doivent préserver, voire créer de l'emploi et non pas en supprimer. Nous ne condamnons pas les réorganisations industrielles tant que leurs effets sur les sites et les salariés sont maîtrisés, ce dont il est actuellement permis de douter.

Ces choix industriels vont nous confronter à de nouveaux types d'organisation du travail. Or, au sein du groupe Usinor, elles n'ont pas été préparées sur la base d'un partenariat réel avec les organisations syndicales. L'externalisation ou l'infogérance de certains métiers remettra en cause des fonctions supports et auront des incidences sur les métiers dits non stratégiques et non productifs qui sont exercés en majorité par des femmes. Si nous sommes actuellement submergés par les négociations, nous ne faisons qu'y gérer les conséquences sociales des réorganisations, sans participer à leur mise en oeuvre. La CFTC ne peut admettre un tel état de chose.

Nous ignorons les tenants et les aboutissants de ces évolutions industrielles et notre manque d'informations ne nous permet pas d'adhérer au projet du groupe. Nous n'ignorons pas la nécessité des transformations dans un monde en perpétuelle évolution, mais faut-il penser qu'en France et en Europe, les cartes sont données et les dossiers ficelés ?

M. le Rapporteur : Je ne suis pas sûr que votre président soit d'accord avec les représentants de la CFTC et de la CGC - mais je pense que, sur ce point en tout cas, vous avez une position identique - quand les représentants réclament que les modifications de périmètre, les ventes de parties d'entreprises, fassent l'objet d'un accord avec les salariés.

Lorsque j'ai demandé à M. Mer si les salariés des entreprises « vendues » - je reprends son expression - ne pouvaient pas bénéficier, pendant une certaine période, de garanties concernant leur statut et leur emploi, ce qui existe ailleurs en Europe, il m'a répondu par la négative. J'aimerais que vous me précisiez la façon dont vous envisagez ces garanties, qui existent, d'après ce que vous avez dit, en Italie et en Espagne.

Le groupe dont vous faites partie a une vocation mondiale et, à cet égard, vous avez souhaité la mise en place d'un comité de groupe mondial. En connaissez-vous des exemples ou avez-vous travaillé sur cette idée ? J'ai également relevé la vente de terrains au Brésil, sur laquelle j'aimerais avoir des précisions.

Par ailleurs, je trouverais intéressant d'avoir une copie de l'engagement pris par la direction sur les préretraites progressives, auquel la CFDT a fait allusion. Hier soir, M. Francis Mer n'a évoqué que le temps partiel choisi qui allait, selon lui, dans le bon sens.

J'aimerais donc que vous développiez ce qui a été dit à propos de l'explosion du temps partiel. J'ai cru comprendre que la fin du dispositif actuel se situait en 2002. Quelles sont vos craintes et les mesures que vous souhaitez ?

M. Dominique PLUMION (CFDT) : On avait mis en place, en 1987, un comité de groupe français qui rassemblait ceux d'Usinor et de Sacilor. Puis, en 1990, nous avons créé un comité de liaison franco-allemand puisque je rappelle qu'à l'époque, le groupe était composé pour une part non négligeable d'entreprises allemandes, représentées par ce que l'on appelait DHS et les filiales de ces deux grandes entreprises allemandes situées dans le bassin de la Sarre. La troisième phase a consisté à créer, il y a deux ans, un comité de groupe européen, ce qui a entraîné la disparition du comité de groupe français. Actuellement, nous sommes sur le point d'entamer les négociations autour du nouveau comité de groupe.

Les 6, 7 et 8 octobre derniers, nous avons organisé une rencontre réunissant toutes les sections syndicales de la CFDT, les représentants syndicaux des entreprises italiennes de la Magona d'Italia, de Sidmed, les CCO, l'UGT, la FGTB, la CSC et deux représentants de la CST et de l'Acesita.

Ces derniers ont d'ailleurs expliqué au responsable de la sécurité d'Usinor, M. Jean-Paul Dauphin, la manière dont étaient vécus les accidents du travail au Brésil. C'est ainsi que nous avons appris qu'un salarié écrasé sous la tôle était mort d'une anémie dans l'entreprise et que nous avons immédiatement demandé que le groupe intervienne auprès du directeur des filiales brésiliennes pour qu'il soit remédié à cette situation. En tant qu'élus au comité de groupe européen, nous avons souhaité, ainsi que toutes les organisations syndicales, un élargissement de ce comité au niveau mondial.

S'agissant du temps partiel, il semblerait que, depuis hier ou avant-hier, il soit imposé. Or, ce fut une véritable révolution culturelle que de signer, en 1993, des accords sur le temps partiel volontaire. Le FNE a fourni des aides puisque nous agissions alors dans le cadre de la loi Giraud et, peu à peu, de nombreux salariés ont décidé de réduire leur temps de travail.

Il est important de souligner que cette réduction se fait à hauteur de 20 % car tous les salariés ne travaillent pas le même nombre d'heures ; les travailleurs postés qui prennent aujourd'hui leur préretraite progressive ne travaillent, par exemple, que quatorze heures en moyenne. Le problème du président Mer, c'est qu'il dit à l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) qu'il n'est pas possible de réduire le temps de travail alors que, dans sa propre entreprise, près de 5 000 salariés ont bénéficié de cette mesure, démontrant ainsi que la réduction du temps de travail permet de créer des emplois : les documents d'Usinor reconnaissent que le groupe a sauvé 5 000 emplois et a consolidé plus de 3 000 emplois de jeunes. J'ajoute que nous vous avons remis un rapport Syndex, rédigé dans le cadre du comité d'entreprise de Sollac, qui permet de mesurer l'impact de la réduction du temps de travail à 32 heures non seulement en termes d'emploi, mais aussi en termes financiers.

A propos du départ en préretraite des classes 1941 et 1942, que j'ai évoqué tout à l'heure, je rappelle que le groupe n'a pu être privatisé en 1995 à cause de ce problème. M. Juppé avait alors rédigé un document dans lequel il autorisait le groupe à faire partir ces classes d'âge en AS-FNE, mais il a dû revenir sur cette décision parce que les provisions n'étaient pas suffisantes pour financer le départ de la classe 1942. Celui-ci devait générer des embauches : pour 1 500 personnes qui ont quitté l'entreprise, 700 autres auraient dû l'intégrer puisque cette mesure a été financée par les pouvoirs publics. Dans le cadre des RTA, l'aide publique permet normalement, par le biais de la déduction des cotisations sociales prévue par la loi de 1971, une embauche pour cinq RTA. On le rappelle sans cesse lors des réunions de comité d'entreprise et de comité central d'entreprise, mais l'entreprise nous répond qu'elle a des difficultés.

Mme Viviane CLAUX (CGT) : Je souhaiterais intervenir à propos des garanties sociales en cas de cession. En effet, Cockerill et la région wallonne ont su imposer un certain nombre de contraintes à Usinor, c'est-à-dire le maintien de l'emploi et des statuts, et le groupe a échoué dans sa tentative d'acquisition de CSI parce qu'il n'a pas donné de garanties suffisantes en matière d'emplois au Gouvernement et aux syndicats espagnols. La mise en concurrence des salariés nécessite donc une réglementation, mais cette concurrence ne joue pas toujours en leur défaveur puisque les contraintes imposées lors de l'achat de Cockerill s'imposent aujourd'hui à l'ensemble des entreprises du groupe.

Un comité de groupe mondial nous permettrait d'entrer plus facilement en contact avec les autres syndicats afin d'étudier ensemble des moyens d'action communs. De tels comités de groupe existent déjà au sein de SKF, Ericson, Volswagen, Aer Lingus, Nat West, Guardian Assurance. Mais, même dans ce cadre-là, les prérogatives syndicales sont insuffisantes en matière de contrôle et d'expression.

M. le Rapporteur : Nous avons reçu, aux débuts des travaux de cette commission, l'ensemble des instances confédérales de vos organisations syndicales. Les questions relatives à la nécessité d'une information plus importante, d'un accord sur les délocalisations ou les cessions ont été posées à cette occasion.

Par ailleurs, j'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de la SODI.

M. Edouard MARTIN (CFDT) : Pour vous donner un exemple de ce qui se passe dans d'autres pays d'Europe, j'évoquerai notre rencontre avec les représentants d'IG-Metall au sein d'Ispat à Duisbourg. Ils nous ont expliqué que les 25 millions de Deutschmark qu'a coûté le plan social de 400 personnes qu'ils ont subi a été financé quasi exclusivement par l'entreprise elle-même. En Belgique ou en Espagne, l'État a conservé une minorité de blocage qui a permis aux salariés d'imposer des conditions aux entreprises qui souhaitaient les racheter. En Allemagne, Ispat a créé une cellule de reclassement et s'est engagée vis-à-vis des salariés à leur retrouver un emploi à qualification égale. Si, après un an, le salarié n'est pas reclassé, il continue de toucher un salaire de la part de l'entreprise, mais inférieur de 50 %.

Aujourd'hui, il resterait 26 personnes à reclasser sur 400, sachant qu'il y a eu 200 départs en préretraite. Les salariés restants ont obtenu la désignation d'un interlocuteur spécifique lors de la négociation avec les syndicats, ainsi que le maintien du niveau de qualification et du droit syndical et l'instauration d'un fonds de prévoyance garanti par Ispat jusqu'en 2008. La législation allemande a donc été parfaitement respectée. Je pense que si l'Etat possédait une minorité de blocage au sein d'Usinor, M. Mer ne serait pas aussi sûr de lui.

C'est ainsi que la CFDT a remis au président Mer une charte sociale qui comporte un certain nombre de garanties industrielles et sociales mais une fin de non recevoir nous a malheureusement été opposée.

M. Jacques LA PLANCHE (CGT) : Je voudrais répondre à la question qu'a posée M. le Rapporteur à propos de la SODI. Il s'agit d'une société qui est récemment revenue sur le devant de la scène lorsqu'elle a annoncé qu'elle allait contribuer à la création de 4 000 emplois, payée par Usinor, en Wallonie.

Au moment des plans acier de 1984-85, la SODI a aidé la création d'emplois de substitution mais 70 % d'entre eux ont disparu au bout de deux ans, même si certaines garanties avaient été prévues pour les salariés au cas où les nouvelles entreprises péricliteraient. On a vécu de graves difficultés dans des régions comme la Lorraine où, aujourd'hui encore, la reconversion est problématique.

Le symbole des activités de la SODI, c'est un fameux parc de loisirs. Au plus fort de son activité, il employait 35 sidérurgistes, dont la plupart étaient des saisonniers. Il était difficile de savoir ce qu'étaient devenus les salariés après ces deux années, sachant qu'ils occupaient surtout des « petits boulots ».

Ensuite, des entrepreneurs « chasseurs de primes » se sont installés afin de bénéficier des aides de la SODI : ils se débarrassaient de leurs propres salariés pour employer des sidérurgistes pendant un certain temps, avant de licencier ces derniers lorsque ces aides n'étaient plus versées. On a tenté de reclasser beaucoup de sidérurgistes dans les entreprises sous-traitantes, et nous voyions nos camarades travailler sur les mêmes sites que nous, mais avec d'autres salaires et dans d'autres conditions. Même certaines collectivités locales ont été obligées de reprendre des salariés - ce fut notamment le cas de la région normande qui a dû reprendre 60 salariés pour obtenir les terrains de l'ancienne Société normande de métallurgie. Certes, il ne faut pas jeter la pierre à une structure qui avait le mauvais rôle, mais il faut aussi reconnaître que la SODI n'a pas pleinement rempli sa mission.

Dans les années 1990, son importance fut moindre en raison de la politique de partage du travail qui a mis fin à la logique d'exclusion issue des politiques de productivité. Mais j'ignore ce qu'il en sera demain si Usinor impose les congés de conversion qui étaient hier fondés sur le volontariat. En tout état de cause, la réalité est très différente de l'image qu'a voulu donner le groupe à travers ses sociétés.

M. Gérard RAMIREZ (FO) : Le traité CECA, qui a été signé en 1952 et prend fin en 2002, comprenait un certain nombre d'aides à la formation et aux restructurations industrielles. Son article 58 mettait notamment en place un régime de quotas qui permettait, en cas de surcapacité industrielle, de produire moins en attendant que les restructurations s'opèrent. Il ne représentait donc pas une panacée, mais il a eu le mérite d'être l'embryon de l'Europe actuelle. En effet, il nous a appris à travailler ensemble au niveau européen et le type de dispositifs qu'il a mis en place a montré son efficacité. Il faudrait donc le conserver car il pourrait servir de modèle au volet social demandé au niveau européen.

Mme Marie-Gilberte CANIVEZ (CFTC) : Durant les vingt dernières années, Usinor et Sacilor ont entrepris des restructurations lourdes qui ont représenté un coût d'un million de francs par salarié et par an. C'est donc bien l'État qui a fait ces sacrifices. Pour quels motifs veut-on aujourd'hui faire de nouveau éclater le groupe Usinor ? De plus, rien ne prouve que, dans quelques années, on ne recommencera pas à tout regrouper.

M. Jean-Bernard NORMAND (CFE-CGC) : Concernant la solidité et le devenir du groupe, il est probable qu'Usinor se concentre uniquement dans les années à venir sur les aciers plats au carbone. Or, l'année dernière, une petite société financière, Ispat, l'a pris de vitesse dans le rachat d'une entreprise américaine, Inland Steel, qui produit 5 millions de tonnes de ces aciers plats et est présente sur les marchés américain et japonais. M. Francis Mer a donc subi un échec.

Aujourd'hui, Ispat et Lucchini se concurrencent directement par l'intermédiaire d'Unimétal et d'Ascométal, ce qui va fragiliser les productions d'Unimétal. Ispat va devoir concentrer sa production sur certains produits et établir sans doute un nouveau plan social. Nous sommes inquiets pour ces salariés qui ne pourront pas intégrer H&E, créée par UNIMETAL, car, aux dires de M. Georges François, directeur des ressources humaines d'Usinor, il s'agit d'une entreprise fermée qui ne pourra pas accueillir de nouveaux salariés.

Par ailleurs, on s'interroge sur le statut des sociétés opérationnelles qui vont être créées au sein de Sollac et sur les répercussions que cela risque d'avoir sur les taxes professionnelles dans les régions où elles seront implantées. La question se pose aussi à propos de la SAM, implantée en Lorraine, qu'Usinor va cesser de soutenir à compter du mois de juin. Nous avons demandé que les sociétés qui doivent se séparer d'Usinor soient protégées quant à leurs perspectives d'avenir, sans oublier le volet social à propos duquel nous tentons de défendre le rattachement au Gesim afin que les conventions collectives dépendent de la branche sidérurgique.

M. Dominique PLUMION (CFDT) : J'aimerais vous parler de l'usine de L'Ardoise qui tout en n'étant pas, à l'origine, une entreprise sidérurgique, a peu à peu évolué vers la production d'aciers inoxydables. En effet, durant ces deux dernières années, on a clairement menti à ses salariés. Dernièrement, Sollac Fos, qui lamine environ 650 000 tonnes de brames par an à L'Ardoise, a même prétendu ouvrir un quatrième four pour augmenter la productivité du train et pouvoir traiter ce tonnage.

En réalité, le but actuel d'Usinor est de recentrer tout l'inox sur Isbergues, et j'ai ainsi découvert que ce qui aurait pu être investi à L'Ardoise le sera finalement à Fafer, une fabrique de fer de Charleroi, rachetée par le groupe l'année dernière. Je rappelle que lorsque le groupe a essayé de racheter l'entreprise italienne AST Terni, le site de L'Ardoise était déjà menacé. Or, au lieu de préparer le tissu social à la fermeture de l'usine, on a fait honteusement croire aux salariés qu'elle allait faire l'objet d'investissements alors que l'on savait pertinemment qu'il n'en serait rien.

Cette entreprise a pour handicap de se situer dans un bassin d'emploi qui ne lamine pas son acier puisque la brame sort de L'Ardoise pour partir à Fos. Nous tentons donc de démontrer aux élus des Bouches-du-Rhône que l'usine de L'Ardoise est viable, mais nous avons des difficultés à mettre en relation les responsables de cette région et ceux du Languedoc-Roussillon, sans parler des obstacles proprement politiques que nous pouvons rencontrer.

Nous estimons que l'usine de L'Ardoise est viable et nous nous battrons pour la conserver. Nous sommes d'ailleurs prêts à l'acheter et à la revendre pour un franc symbolique afin de le démontrer, et je me charge personnellement de le faire savoir. A l'époque de la tentative de rachat de l'AST Terni, la fermeture de L'Ardoise aurait été compréhensible parce qu'il n'était pas cohérent, d'un point de vue industriel, de la conserver. Et si les collectivités locales et des entreprises avaient élaboré un plan industriel, économique et social, nous aurions accepté de nous engager. Mais le fait que M. Francis Mer, qui se réclame de la morale et se présente comme un humaniste, dise de telles contre-vérités est insupportable.

M. Daniel BAHEUX (CFTC) : Le même problème se pose pour le site de Gueugnon. Il y a un an, on nous a promis un investissement important qui serait, paraît-il, désormais impossible à réaliser. Après la réorganisation et la fermeture éventuelle de L'Ardoise, on peut aussi s'interroger sur le devenir de ce site.

M. le Président : Dans les diverses déclarations que vous avez faites devant la commission, j'ai noté certains éléments qui nécessiteraient quelques compléments d'information.

Mme Claux a ainsi indiqué qu'il lui semblait que le droit de l'environnement était peu ou mal appliqué par Usinor. Je m'en préoccupe d'autant plus volontiers que, dans ma circonscription,je connais une entreprise dont le départ a été dû presque exclusivement au droit de l'environnement qui est, en France, plus restrictif qu'en Pologne.

Mme Viviane CLAUX (CGT) : Je ne suis pas allée jusqu'à dire que la législation sur l'environnement n'était pas respectée car il ne s'agit pas tout à fait de cela. En effet, si nous sommes actuellement capables de maîtriser le traitement de toutes les pollutions, la stratégie de rentabilité du groupe l'amène cependant à se contenter de s'aligner sur ce que font les autres groupes sidérurgistes.

M. le Président : Je voudrais que vous reveniez sur le projet de groupe et sur l'absence de prise en compte de l'opinion des représentants des salariés, comme à L'Ardoise et Gueugnon.

M. Dominique PLUMION (CFDT) : Pour la première fois, nous poursuivons la société Sollac pour non respect des procédures de consultation du CCE et de l'ensemble des CE. La direction a en effet refusé la convocation d'un comité de groupe européen à propos de sa restructuration. Il faudra que l'on me dise quand un tel comité de groupe sera réuni s'il ne l'est pas à cette occasion ! Lorsque nous l'avons rencontré, le président de Sollac nous a répondu que si nous engagions des procédures, nous en subirions les conséquences. Mais nous irons au bout de notre action parce que nous n'aimons ni les menaces ni la violation des lois.

M. Edouard MARTIN (CFDT) : On ne peut malheureusement que constater la mise à l'écart des organisations syndicales dans le cadre, par exemple, des négociations avec les repreneurs des sociétés Sogérail, Ascométal et Unimétal. On nous place aujourd'hui devant le fait accompli, et c'est pratiquement la presse qui nous appris la signature d'un contrat d'exclusivité entre Unimétal et Ispat, entre Sogérail et British Steel et entre Ascométal et Lucchini.

Or, lors du rachat de Cockerill Sambre par Usinor, les partenaires sociaux étaient partie prenante des négociations et Usinor a accepté de financer la création de 4 000 emplois à travers la SODI, de maintenir le partenariat avec les universités, etc. Le seul droit que M. Francis Mer reconnaît aux syndicats français, c'est celui de se taire en attendant que les accords soient signés. C'est un appel pressant que nous lançons au législateur : il est intolérable que notre président récuse les pratiques sociales de la France, alors qu'il accepte de nombreuses concessions en Belgique.

Mme Viviane CLAUX (CGT) : Lors du conseil d'administration, un contrat d'exclusivité avec Lucchini, par exemple, a été évoqué. C'est pourquoi j'ai proposé d'accroître le rôle des élus des organisations syndicales au sein du conseil d'administration. En effet, c'est une instance où non seulement on peut obtenir des informations, mais où l'on vote également.

En ce qui concerne le potentiel de recherche sidérurgique de la France, on a évoqué le problème posé au CREAS par la vente d'Ascométal, mais je voudrais insister quant à moi sur les conséquences du rachat de Cockerill sur l'IRSID, que nous avons analysées avec l'ensemble des organisations syndicales du groupe et la FGDB. Depuis ce rachat, beaucoup d'installations font doublon, sans compter que la Belgique dispose d'un centre de recherche particulier dans la mesure où il est financé à la tonne par le Gouvernement belge et d'autres sidérurgistes : pour un franc de recherche, trois francs sont mis en oeuvre. Ce système de financement de la recherche en Belgique (tout au moins, en ce qui concerne la sidérurgie) est plus avantageux pour les entreprises qu'en France, du fait notamment de l'intervention des fonds publics et d'une mutualisation des moyens des entreprises. Avec l'achat de Cokerill, des recherches sont en double, la synergie pourrait se faire au détriment de la recherche en France sauf si l'on considère qu'il faut la développer pour augmenter l'efficacité de l'entreprise. Mais ce ne sont pas les critères qui sont retenus actuellement.

Mme Marie-Gilberte CANIVEZ (CFTC) : J'aimerais revenir sur l'acquisition de Cockerill. L'élément le plus préoccupant, c'est l'installation de l'usine intégrée Eko Stahl avec une aciérie neuve implantée à l'est de la Pologne.

Lorsqu'on sait, par ailleurs, qu'un emploi de sidérurgiste en induit trois autres, on ne peut que partager l'inquiétude que suscitent ces annonces chez les salariés. Or, en tant que représentants syndicaux, nous sommes bien souvent confrontés à une simple remise de dossier accompagnée d'une demande de signature avant la date butoir.

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