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INTERVENTION DE M. RUUD LUBBERS,

Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés,
Assemblée Nationale,16 juin 2001

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale, haut lieu de la démocratie française. Je voudrais tout d'abord remercier Monsieur le Président Raymond Forni d'avoir ouvert, pour la première fois dans son histoire, la porte du Palais Bourbon à cette assemblée de 577 réfugiés, soit autant que de députés, en provenance de 71 pays à qui la France a octroyé le statut de réfugié et qui, pour certains, ont depuis lors fait le choix de devenir français.

Nous sommes ici, ensemble, pour commémorer le cinquantenaire de la Convention de Genève de 1951 relative au Statut des réfugiés. C'est pour le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, garant de la Convention de Genève, un événement fort de célébrer cet anniversaire, en France, terre historique d'accueil et d'asile des persécutés.

Les réfugiés sont des personnes qui ne bénéficient plus de la protection de leur gouvernement, leurs autorités ne leur garantissant aucun droit ni aucune sécurité physique. Je sais que cette notion est bien ancrée en France où l'État joue un rôle clé dans la protection et la sécurité de ses citoyens. Les vagues successives de personnes qui ont trouvé un accueil en France font que le mot "réfugié" est bien connu dans ce pays et ce bien avant la naissance du HCR ! Les réfugiés eux, ont dù fuir leur pays, tout abandonner.

Sans la protection prévue par la Convention de Genève, les réfugiés seraient abandonnés à la violence, à la persécution, à l'oppression et au simple bon vouloir de ceux des États qui seraient disposés à les accepter sur leur sol et au sein de leurs sociétés. Les États d'asile sont les principales entités à même de fournir la protection prévue par la Convention mais la tâche du HCR est également d'assurer cette protection en aidant les États à offrir non seulement une protection physique aux réfugiés mais également une assistance matérielle indispensable telle que des abris, de la nourriture, des soins médicaux, etc... ainsi qu'une protection contre la discrimination. Vous l'avez tous bien compris la protection est la raison d'être de mon Office et cette protection a trois dimensions physique, assistance matérielle indispensable et protection contre la discrimination.

En fait le HCR est directement issu du dernier conflit mondial. II est né de la volonté de l'Assemblée générale des Nations Unies de créer un organisme chargé de venir en aide aux flots de réfugiés qui erraient à travers l'Europe. Ainsi a été élaborée, parallèlement au Statut du HCR, la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, l'un des tous premiers instruments internationaux de protection des droits de l'homme, dont nous fêtons les 50 ans aujourd'hui . Celle-ci, complétée par le Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967, reste le plus important et le seul instrument universel du droit international des réfugiés. Ces textes incontournables ont été ratifiés par 141 États à ce jour.

Ce document fondamental, outre le fait de donner une définition précise de ce qu'est un réfugié, prévoit l'obligation pour les États signataires de ne pas refouler de réfugiés vers un État où ils seraient menacés de persécution ; c'est le principe de non refoulement. Les autres dispositions de la Convention énoncent les droits et obligations des réfugiés dans des domaines comme le travail, le logement, l'éducation, la sécurité sociale, l'état civil et la liberté de circulation, autant de droits indispensables permettant de recouvrer une dignité perdue et de faciliter une intégration au sein du pays d'asile. II s'agit d'un véritable régime juridique international spécifique pour ceux qui ne bénéficient plus d'une protection nationale contre la persécution.

La Convention de Genève a démontré, depuis 50 ans, sa faculté d'adaptation qui lui a permis d'assurer la protection d'un grand nombre de personnes sur tous les continents et dans les circonstances les plus diverses. En effet, aux drames européens de l'après-guerre a succédé, dans les années 60, le processus de décolonisation en Afrique et les secousses qui l'ont accompagné. C'est ainsi que pour la première fois, le HCR s'engage hors d'Europe. Les expériences africaines vont transformer l'organisation. Dès 1969, quelque deux tiers des fonds attribués au HCR dans le monde sont consacrés au continent africain. Les années 70 sont marquées par l'intervention du HCR en Asie et plus particulièrement en Asie du Sud Est migratoires. Quelques Etats de par leur interprétation restrictive, limitent la portée de la Convention, notamment quant à l'auteur des persécutions. D'autres, faute d'une politique claire d'immigration ou faute d'une législation adéquate de mise en oeuvre des Droits de l'Homme. J'attends donc des nations démocratiques qu'elles assument pleinement leurs engagements en faveur des réfugiés et qu'elles fournissent un solide appui au HCR en tant qu'organisation multilatérale. Les Etats qui font partie de la famille des Nations Unies souscrivent à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme comme partie intégrante de leur système démocratique, et cela implique qu'ils acceptent en fait leurs obligations vis à vis des réfugiés.

Par ailleurs, le HCR auquel la Convention confie la mission de veiller à l'application de ses dispositions, doit pouvoir compter sur le soutien financier des Etats. Je demande donc à la communauté internationale, aux Etats qui approuvent nos programmes, notamment lors de notre Comité Exécutif, d'accroître sensiblement leur contribution au HCR. Je demande en général aux Etats de contribuer à hauteur d'un dollar par habitant. Je ne vois aucun inconvénient à ce que chaque pays européen verse un Euro par habitant ! Un Euro pas seulement un Franc français. Ca ne va pas.

A l'heure actuelle la France contribue à hauteur de 55 millions de F au budget du HCR, alors que mon organisation débourse plus de 140 millions de F pour son personnel de nationalité française et 110 millions de F pour les ONGs françaises partenaires du HCR ! Lors de ma dernière visite à Paris, le Premier Ministre m'a indiqué que la France augmenterait sa contribution au HCR. Je compte sur son appui

Notre objectif à tous est de trouver des solutions durables aux problèmes des réfugiés. La meilleure solution reste encore le rapatriement librement consenti qui permet au pays d'origine de récupérer ses citoyens ; d'ailleurs sauvent avec des qualifications nouvellement acquises durant l'exil. La réinstallation depuis le pays d'asile vers un pays tiers est aussi une solution lorsque le réfugié ne peut pour des raisons de sécurité, rester dans son pays d'asile. Enfin la troisième solution est l'intégration sur place et vous en êtes ici les témoins vivants. Le HCR travaille activement avec les gouvernements pour que ces solutions diverses puissent êtres mises en oeuvre dans les meilleures conditions.

D'autre part, je dois ajouter que les réfugiés et les demandeurs d'asile sont malheureusement aujourd'hui de plus en plus obligés d'utiliser les services des filières clandestines pour pouvoir avoir accès aux pays d'asile, ce qui les rend doublement victimes. II est dans l'intérêt de la communauté internationale de gérer au mieux la problématique des réfugiés dans le monde et ainsi d'éviter que la loi de la jungle l'emporte sur le droit. C'est pourquoi le HCR attend que lors du prochain sommet du G-8 à Gênes, les Etats réitèrent leur co-responsabilité envers la mission du HCR.

Les réfugiés ne doivent pas être perçus uniquement comme un problème, une charge pour les pays d'asile. Hommes et femmes présents aujourd'hui dans cet hémicycle ont apporté une précieuse contribution au pays qui leur ont ouvert les portes. Leur culture, leur savoir, leur rôle actif dans la société, sont des éléments positifs que les réfugiés offrent aux contrées qui les ont généreusement accueillies. La France a non seulement reçu de nombreux réfugiés déjà illustres, mais fait peut-être plus important encore à souligner, elle a permis à de nombreux artistes, écrivains, scientifiques ainsi qu'à des réfugiés moins connus de développer leur talent en les accueillant pleinement dans sa société.

La commémoration du 50ème anniversaire de la Convention nous donne ainsi l'occasion de réfléchir non seulement sur les réalisations passées, mais aussi et surtout sur le travail nécessaire à accomplir pour assurer la pertinence du régime de protection des réfugiés pour les cinquante années à venir. A cet égard, le HCR a pris l'initiative d'organiser des Consultations Globales avec les États sur la Convention de Genève. Celles-ci ont pour objectif de renforcer la protection internationale des réfugiés et d'apporter une plus grande cohérence et plus de rigueur au système international d'asile. Le succès des Consultations globales dépendra de la responsabilité collective des États et de la valeur qu'ils accordent à la protection des réfugiés.

L'Appel de Paris que vous adopterez aujourd'hui sera un signe fort donné à tous les acteurs de l'asile, gouvernements, réfugiés, ONG, société civile et HCR pour qu'un véritable engagement de tous permette de continuer à s'occuper efficacement des femmes et des hommes ainsi que des enfants qui ont tant besoin d'être protégés.

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre attention.