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Intervention de Mme Taslima Nasreen
Assemblée Nationale,16 juin 2001

Bonsoir !

Nous célébrons aujourd'hui un grand jour, celui du 50ème anniversaire de la Convention de Genève de 1951 garantissant le droit d'asile.

Sans elle, il y a longtemps que des fanatiques m'auraient assassinée après les manifestations d'extrémistes religieux réclamant ma mort sans délai dans tout le Bangladesh suite à la fatwa prononcée contre moi. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle autorise des hommes de religion à commettre un tel meurtre, auquel ils ont appelé. Le gouvernement bengali a en outre lancé contre moi un mandat d'arrêt pour blasphème. J'aurais pu être arrêtée et jetée en prison, comme beaucoup de ceux qui pensent différemment. J'y aurais été tuée, car les assassinats politiques sont courants dans nos geôles. Au lieu de cela, j'ai la chance, grâce à la Convention de Genève de 1951, d'avoir obtenu en Occident le statut de réfugiée politique ; j'y suis en sécurité, et vivante ! Je suis très fière de me trouver sur le sol français à l'occasion de cette commémoration ; historiquement, la France est en effet considérée comme le berceau du droit d'asile. L'histoire nous enseigne qu'elle a toujours chaleureusement accueilli les écrivains et artistes persécutés du monde entier. On dit ainsi que chacun a deux patries : son pays natal et la France.

Je regrette que certains États occidentaux estiment aujourd'hui la Convention de Genève dépassée et réclament sa révision. Elle sonnerait le glas des idéaux nés après la 2ème guerre mondiale que reflète le texte. Limiter strictement le droit de chacun à demander l'asile en établissant une liste de pays susceptibles d'accepter les demandes créerait un précédent dangereux. Le droit d'asile est un droit démocratique fondamental, comme la liberté d'expression ou de réunion.

Les dispositions juridiques élémentaires établissant le droit d'asile dans la Convention sont devenues pour ses signataires une charge insupportable. Bien des États occidentaux, confrontés à un afflux massif de réfugiés, optent pour une interprétation stricte de la Convention. Force est de constater, texte, chiffres, traités et restrictions à l'appui, que même en France, la Convention a permis une diminution du nombre de demandeurs d'asile. Récemment, lorsque 58 émigrants chinois ont été retrouvés étouffés dans un conteneur sans air à Douvres, en Grande-Bretagne, le ministre de l'Intérieur britannique a encouragé les victimes de persécution à chercher refuge dans les pays voisins des leurs plutôt que de prendre le risque de venir en Occident.

Mais est-ce aussi simple ? J'ai eu l'occasion de vérifier, lorsque j'étais persécutée dans mon pays, qu'aucun Etat voisin n'était pour moi sûr. J'ai ensuite eu la chance, grâce à l'aide de gouvernements démocratiques occidentaux et de défenseurs des droits de l'homme et de la liberté d'expression, de pouvoir me rendre en Occident et de bénéficier du droit d'asile. Mais pensez au sort terrible des femmes afghanes qui endurent le régime des Talibans. Comment ces malheureuses pourraient-elles fuir leur pays pour vivre en sécurité ? La plupart n'en ont pas les moyens et succombent. Les Etats environnants ne leur offrent aucune sécurité. A travers le monde, seuls 0,3 des réfugiés approchent un jour de plus ou moins près les frontières de l'Union Européenne. En Afrique par exemple, ils vivent en majorité dans les pays africains voisins, dans des camps pas toujours sûrs.

En pays musulman, je sais que nul n'est autorisé à critiquer l'Islam. La liberté d'expression et les droits de l'homme sont quotidiennement bafoués. Tous les jours, des femmes sont brûlées, flagellées à mort ou lapidées pour des motifs politiques ou religieux. Dans les pays pauvres, les gens meurent de faim et n'ont aucune possibilité de quitter leur terre. Ils n'ont même pas l'idée -sans parler des moyens - de se rendre en Occident. Certaines situations extrêmes et exceptionnelles fournissent peut-être à certains l'occasion de se rendre à l'Ouest, mais ils font partie des classes aisées et doivent vendre tous leurs biens pour financer le voyage. Depuis la nuit des temps, des gens quittent leur pays pour toutes sortes de raisons, contraints d'abandonner leur foyer pour des motifs économiques, politiques ou religieux. Ils le font dans l'espoir d'une vie meilleure. II est dans la nature de tout être humain de chercher le bien-être en se déplaçant. L'instabilité sociopolitique et économique crée des flux migratoires qui vont d'Est en Ouest et du Sud vers le Nord. La tradition libérale exige que les frontières soient ouvertes en permanence à ceux qui recherchent la sécurité et qu'elles le soient aussi à ceux qui cherchent le bonheur. Je citerai comme exemple la Norvège, qui, alors que des millions et des millions de gens cherchent une terre d'asile, serait assez grande pour accueillir 40 ou 50 millions de sans abris du Bengladesh, pays le plus peuplé au monde.

Pourquoi l'Occident chercherait-il à fermer la porte aux demandeurs d'asile ? Ce n'est pas la solution ultime. Cela ne l'a jamais été. L'Occident, et plus particulièrement les gouvernements des pays à l'économie la plus florissante, en raison de l' impérialisme et du colonialisme, sont largement responsables des conflits fratricides survenus en Afrique , sur le sous-continent indien, au moyen Orient et ailleurs.

Je ne peux concevoir, étant donné les formidables avancées de la science et de la technologie, que certains manquent encore de tout. Des millions de gens ne connaissent leur vie durant que la misère, la faim, la maladie ;ils n'ont ni toit, ni vêtements, ni éducation et voient leurs droits fondamentaux violés de mille façons. Or nous sommes tous des homo sapiens vivant une courte vie sur une petite planète perdue dans un immense univers. Pourquoi, dès lors, créer des frontières entre États ? Pourquoi nous entretuer, nous détester ? Ne pouvons-nous vivre dans l'amour, la compassion et la solidarité ? Est-il vraiment impossible de partager équitablement la richesse du monde et la terre ? Rien ne compte davantage que la vie humaine. II n'existe pas de culture supérieure ou inférieure, mais différents modèles culturels qui, ensemble, constituent une superbe mosaïque multicolore. Inspirons-nous de la Convention de Genève et rendons ce monde vivable. Nous pouvons faire le bonheur des hommes. Nous pouvons faire reculer la souffrance, partout. Nous pouvons construire une chaîne de l'amour et non de la haine et assurer la survie de l'espèce humaine.

Merci beaucoup.

Taslima Nasreen.