Rapport d'information
de la mission d'information commune préparatoire
au projet de loi de révision des lois « bioéthiques » de juillet 1994

TOME II
Auditions - volume 2

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la mission d'information
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

- M. Claude SUREAU, président de l'Académie nationale de médecine
(mercredi 12 juillet 2000)

- M. Jean-Paul RENARD, directeur de recherches à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) (mercredi 12 juillet 2000)

- M. Pierre JOUANNET, président de la fédération française des CECOS
(mercredi 12 juillet 2000)

- Mme Nicole QUESTIAUX, présidente de la Commission nationale de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (mercredi 12 juillet 2000)

- Mme Marie-Odile ALNOT, médecin en biologie de la reproduction
(mercredi 6 septembre 2000)

- Mme Marina CAVAZZANA-CALVO, chercheur à l'Unité 429, « Unité de développement normal et pathologique du système immunitaire » de l'INSERM (mercredi 6 septembre 2000)

- M. le Professeur Arnold MUNNICH, directeur de l'Unité 393, « Unité de recherches sur les handicaps génétiques de l'enfant » de l'INSERM (mercredi 6 septembre 2000)

- M. Jean-Loup CLEMENT, psychologue d'un CECOS (mercredi 13 septembre 2000)

- MM. Claude FATH, président de la commission plénière des assurances de personnes, et François EWALD, directeur de la recherche et de la stratégie, de la Fédération française des sociétés d'assurance (mercredi 13 septembre 2000)

- M. Jean-Christophe GALLOUX, professeur de droit privé à l'université de Paris II et directeur du DESS de droit des biotechnologies de l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (mercredi 13 septembre 2000)

- Audition publique sur la dimension européenne des questions de bioéthique : « Droit international, droit européen et droits nationaux » (mercredi 20 septembre 2000)

- Audition publique sur la dimension européenne des questions de bioéthique : « Les praticiens face au droit » (mercredi 20 septembre 2000)

Suite des auditions (volume 3)
Sommaire des auditions


Audition de M. Claude SUREAU,

président de l'Académie nationale de médecine

(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 juillet 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président- Monsieur le Président, l'Académie nationale de médecine a apporté sa contribution à la révision des lois bioéthiques de 1994, puisque vous aviez créé un groupe de travail commun avec l'Académie nationale de pharmacie et l'Ordre des médecins dont j'ai suivi attentivement les travaux. Les propositions de révision adoptées par l'Académie nationale de médecine le 23 juin 1998 en sont d'ailleurs issues. Nous vous remercions de venir aujourd'hui nous présenter ces propositions.

M. Alain Claeys, rapporteur- Je remercie à mon tour le professeur Claude Sureau d'avoir répondu à notre invitation pour dialoguer avec lui sur l'avis rendu en juin 1998. Pour introduire notre discussion, je voudrais vous interroger sur la recherche sur l'embryon et sur l'assistance médicale à la procréation.

L'Académie de médecine se déclare favorable aux recherches sur l'embryon à des fins scientifiques, et donc pas seulement thérapeutiques, ce qui représente une avancée par rapport à la loi de 1994. Vous précisez que cette recherche ne doit pas être limitée au seul bénéfice direct de l'embryon mais peut avoir une finalité de bénéfice indirect, tout en maintenant l'interdiction de créer des embryons à seule fin expérimentale.

Vous vous prononcez en faveur d'un statut médical de l'embryon. Il serait intéressant pour notre mission que vous nous expliquiez pourquoi vous souhaitez cette évolution et ce que vous entendez par « statut médical ».

Vous souhaitez l'élargissement des conditions de recours au diagnostic préimplantatoire pour des anomalies graves, notamment chromosomiques, qui sont létales dès les premières semaines de développement de l'embryon. Afin d'éclairer nos travaux, pouvez-vous préciser cette notion d'anomalie grave ?

Concernant l'assistance médicale à la procréation, vous regrettez l'absence d'un appareil de gestion propre. Vous tirez quelques enseignements de la Commission nationale de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal. Quel bilan faites-vous des travaux de cette commission ? Quelle évolution proposez-vous pour que notre pays se dote d'un appareil de gestion adapté ?

Vous n'évoquez pas, dans vos travaux, un sujet d'actualité dont la presse s'est saisie depuis plusieurs semaines et que nous avions nous-mêmes abordé avec le professeur Claude Huriet, à savoir la technique d'assistance médicale à la procréation de l'ICSI. Quelle appréciation portez-vous sur l'ICSI et quelles doivent être, selon vous, les conditions de son développement ?

M. Bernard Charles, président- Professeur Sureau, je rappelle que vous êtes le président de l'Académie nationale de médecine mais que vous êtes aussi professeur de gynéco-obstétrique, de sorte que vous êtes particulièrement à même de nous apporter des réponses sur les thèmes qui nous intéressent.

M. Claude Sureau- Monsieur le rapporteur, avant de répondre sur les points que vous avez évoqués, permettez-moi de faire deux remarques liminaires, car nous avons porté des jugements sur l'ensemble des lois, que je n'appelle jamais lois de bioéthique parce que je considère que l'éthique est personnelle et ne relève pas forcément du domaine de la loi. Mais c'est un point de vue anarchiste dont je reconnais volontiers la non-validité.

En ce qui concerne la loi n° 653 relative au code civil, nous avons constaté avec grande satisfaction que la loi relative à la couverture maladie universelle, adoptée l'année dernière, a, dans son article 70, modifié l'article 16-3 du code civil en remplaçant le terme « thérapeutique » par le terme « médical ». L'Académie nationale de médecine et le Conseil national de l'ordre ont pris très fermement position sur ce point, en espérant, et nous aurons des contacts avec les autorités judiciaires dans les semaines et les mois à venir, que cela aboutira à une modification de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, jusqu'à présent, considère qu'il existe une différence fondamentale entre les stérilisations « de convenance » et les stérilisations d'indication médicale. Nous pensons qu'un assouplissement des dispositions judiciaires à cet égard est une très bonne chose. Nous nous sommes donc félicités de la rédaction de l'article 70 de cette loi.

Toujours dans la loi n° 653, nous avons le sentiment qu'il existe une discordance, ou une difficulté d'harmonisation, entre l'article 16-4 du code civil et la convention d'Oviedo, notamment en ce qui concerne les modifications du patrimoine génétique. Il s'agit certes d'un problème d'avenir, mais nous devons aussi avoir une vision à long terme. Cet article dispose qu'il est interdit de modifier le patrimoine génétique d'un individu, sans préjudice de l'éventualité d'une nécessité de recherche sur la transmission des maladies génétiques. L'expression « sans préjudice » nous paraît importante et judicieuse, à condition toutefois que si l'on autorise des recherches dans ce but, le jour où elles auront abouti, on puisse passer à la pratique. Il y a là une contradiction avec l'article 13 de la convention d'Oviedo qui interdit de manière formelle et définitive toute modification du patrimoine génétique. Une difficulté d'harmonisation apparaîtra manifestement lorsqu'il s'agira de ratifier la convention d'Oviedo.

Concernant la loi n° 654 relative au code de la santé publique, j'émettrai deux réserves préliminaires, mais j'ai cru comprendre que les esprits évoluaient à l'heure actuelle dans le sens que je souhaite.

La première réserve a trait à l'interdiction de l'implantation posthume. J'ai vu avec plaisir que l'Office parlementaire et le Conseil d'État ont suggéré un assouplissement considérable de la législation et, par voie de conséquence, des dispositions judiciaires. Je n'hésite pas à dire qu'un grand nombre d'entre nous avons été très profondément choqués par l'application stricte de la loi n° 654 qui a interdit à Mme Pires, à Toulouse, l'implantation de ses embryons congelés, en application, et cela est curieux, du rapport du Conseil d'État de 1988 et de l'affirmation péremptoire et difficile à soutenir : « deux parents, pas un de plus, pas un de moins », ce qui ne signifie pas grand chose au siècle où nous vivons.

Ma seconde réserve à trait à l'accueil de l'embryon. Elle a été renforcée par les dispositions retenues dans le décret d'application. Je suis gêné par l'atteinte à la confidentialité inscrite dans cet article de loi. Dans le cas où un couple stérile est décidé, après longue réflexion, à accueillir un embryon abandonné par un couple donneur, le processus judiciaire engagé nous paraît extraordinairement lourd. En particulier, la recommandation faite au président du tribunal de mettre en _uvre une procédure d'investigation psychologique, sociale, éducative, finalement policière, pour savoir si le couple qui l'accepte est à même d'obtenir cet embryon, rend, à l'évidence, la confidentialité nulle. À mon avis, on a commis l'erreur totale d'assimiler l'accueil de l'embryon au processus de l'adoption...

Mme Yvette Roudy- Naturellement !

M. Claude Sureau- ...laquelle ne peut, en aucune manière, être secrète, alors que l'accueil de l'embryon peut, si les parents le décident, être secret. Lorsque l'on demandera au président du tribunal, au greffier, aux secrétaires, voire au commissaire de police, de faire une enquête, tout le monde le saura. Cela va très au-delà de ce que signifie le souci de la responsabilité parentale et cela me choque profondément.

J'en viens maintenant aux différents points que vous avez évoqués.

On a beaucoup glosé sur l'ICSI, c'est-à-dire l'injection intracytoplasmique de spermatozoïdes. On a dit qu'elle avait été faite en dehors de toute étude préliminaire sur l'animal. C'est à la fois vrai et faux. Des études préliminaires ont tout de même été réalisées chez l'animal mais la plupart des animaux n'ont pas l'inaptitude au fonctionnement de leurs spermatozoïdes que l'on trouve chez l'homme. Les félins sont la seule catégorie animale qui se rapproche de l'homme à cet égard. Vous imaginez la difficulté... De fait, il était très difficile au départ de disposer de modèles animaux valables.

On sait que l'ICSI a été obtenue la première fois par erreur. C'est une anomalie de manipulation technique qui a conduit à sa découverte, comme cela se produit parfois. Aujourd'hui, des études sérieuses commencent d'être réalisées sur les conséquences de l'ICSI.

La première conséquence est la diminution d'au moins 50 % du don de sperme. Cela signifie que, dans le fonctionnement des CECOS, le recours à un patrimoine génétique étranger a baissé de 50 %. Certains peuvent penser qu'avoir recours au patrimoine génétique du père social plutôt qu'à un sperme étranger est une bonne chose. Par ailleurs, l'efficacité de l'ICSI est au moins aussi bonne que celle de la fécondation in vitro en général.

Le versant moins favorable de l'ICSI est indiscutablement la transmission de l'anomalie génératrice de l'insuffisance spermatique.

Mme Yvette Roudy- En est-on certain ?

M. Claude Sureau- Oui, car elle conduit à la transmission d'anomalies génétiques telles que la mucoviscidose, responsable de la stérilité mais aussi possiblement d'autres pathologies. La mucoviscidose qui atteint essentiellement les bronches atteint aussi les voies génitales et peut conduire à leur obstruction. Dans une certaine mesure, par l'ICSI, la stérilité peut devenir héréditaire. Conséquence pratique : une enquête génétique sérieuse est nécessaire avant la mise en _uvre de l'ICSI. Puisque l'on a le moyen de pallier les conséquences de l'insuffisance spermatique, même si l'on passe à la génération suivante, on passera à la génération suivante en pensant que des progrès auront alors été réalisés.

Deuxième aspect plus défavorable : les anomalies chromosomiques sont un peu plus fréquentes chez les enfants issus de l'ICSI en ce qui concerne les chromosomes sexuels, les chromosomes X et Y. Alors que le taux général de malformations est de
2 à 2,5 %, on dénombre chez les enfants ainsi conçus 4 à 5% d'anomalies des gonosomes, c'est-à-dire les chromosomes sexuels. Cela s'explique probablement par des raisons techniques, mais on en n'est pas sûr. En conséquence, il est légitime de devoir informer les couples de ce risque.

M. Alain Claeys, rapporteur- Concernant ces anomalies, vous êtes le premier à nous donner un chiffre précis. Quelles sont vos sources ?

M. Claude Sureau- En particulier des études belges conduites par le docteur Van Sterthegem. Des chiffres commencent à être régulièrement fournis.

L'Académie de médecine n'a pas pris position sur l'ICSI.

M. Alain Claeys, rapporteur- Quand le législateur a fait la loi de 1994, elle n'existait pas.

M. Claude Sureau- Elle a été découverte en 1994. Les premiers cas d'ICSI, en France, ont été réalisés à l'hôpital Américain de Paris en 1995.

M. Bernard Charles, président- On commence donc à avoir du recul.

M. Claude Sureau- Cela dit, on débouche sur un point très important où une légitime prudence s'impose. Je vous rappelle que l'ICSI utilise des spermatozoïdes. Des tentatives, dont deux en France, ont consisté en l'utilisation des précurseurs des spermatozoïdes, les spermatides, voire de précurseurs plus en amont, les spermatocytes. À ce niveau, l'incertitude est beaucoup plus grande. Un groupe franco-hispano-turc fait des recherches dans ce domaine, non pas en France où c'est interdit, mais en Espagne.

M. Bernard Charles, président- En particulier à Séville.

M. Claude Sureau- On a tout de même quelques réticences à l'idée de ces manipulations fortes effectuées sur des cellules sexuelles ou sur des embryons en puissance. Il peut y avoir une dérive expérimentale dont je vous reparlerai à propos de la régulation de l'AMP.

Tel est le tableau actuel de l'ICSI. J'aurai tendance à dire que le bilan est globalement positif. Auparavant, un couple dont le mari n'avait pratiquement pas de spermatozoïdes devait obligatoirement recourir à l'insémination artificielle avec donneur. On lui offre maintenant la possibilité d'avoir un enfant par ses propres moyens.

S'agissant de la régulation de l'AMP, j'ai fait partie et je fais toujours partie de la CNMBRDP, la Commission nationale de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal. J'ai lu dans la presse que vous aviez déjà une opinion réservée et même très critique du fonctionnement de cette commission. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Bien entendu, je ne mets en cause ni la psychologie des membres de la commission, qui sont des gens distingués avec lesquels j'ai beaucoup de plaisir à travailler, ni leurs deux présidents successifs, d'abord M. Jean Michaud, homme remarquable, et ensuite, Mme Nicole Questiaux.

M. Bernard Charles, président- Nous l'auditionnerons cet après midi.

M. Claude Sureau- Ne le lui répétez pas, mais je peux vous dire que la présidence de Mme Nicole Questiaux nous satisfait totalement. Pour une juriste a priori pas très impliquée dans ces problèmes, elle dirige cette commission d'une manière remarquable. Elle pourra vous dire ce qu'elle en pense. En tant que membre, je ne suis pas satisfait par les moyens mis à notre disposition. C'est la raison pour laquelle mon collègue Georges David, l'initiateur des CECOS, qui a joué un très grand rôle dans l'évolution en matière de procréation humaine, a démissionné, il y a quatre ou cinq ans, pour manifester son désaccord avec la manière dont cette commission peut fonctionner.

Pour des raisons personnelles de travail, j'ai des relations assez étroites avec des membres de l'agence britannique HFEA. Pour nous, c'est un modèle. C'est un organisme indépendant et qui a des possibilités financières. Il y a néanmoins un petit problème : j'ai cru comprendre que l'HFEA doit ses possibilités financières aux laboratoires.

M. Alain Claeys, rapporteur- Et aux cliniques privées.

M. Bernard Charles, président- Le rapport est d'environ 70/30.

M. Claude Sureau- L'HFEA a ainsi des moyens que nous n'avons pas. Elle possède un corps d'inspecteurs. Ils peuvent aller vérifier comment les choses se passent dans les établissements. Nous retrouvons là l'une des demandes que nous avions faites à l'Académie. Il y a 80 à 90 centres d'AMP en France. D'après les informations que nous avons, il ne s'y produit pas des anomalies monstrueuses, mais il serait sans doute préférable de pouvoir opérer, éventuellement de manière inopinée, des contrôles sur la manière dont ils fonctionnent. L'Académie nationale de médecine ne s'est pas prononcée sur ce plan. Je traduis un sentiment personnel.

Pour moi, la HFEA est un exemple. Et puisque la HFEA est à la fois la Human Fertilization and Embryology Authority et le Human Fertilization and Embryology Act de 1990, j'irai jusqu'à dire, en m'excusant auprès de vous, mesdames et messieurs les parlementaires, que le Human Fertilization and Embryology Act britannique est un exemple...

Mme Yvette Roudy- ...que nous pourrions suivre.

M. Claude Sureau- ...que nous aurions dû suivre, parce que je trouve que les lois de 1994 ont mélangé des grands principes et des questions techniques et sont allées beaucoup trop loin dans la gestion des problèmes techniques. Il en est résulté le problème de Mme Pires à Toulouse et des affaires de cet ordre. Le Human Fertilization and Embryology Act a défini aussi quelques règles générales en donnant des moyens à l'autorité correspondante.

M. Bernard Charles, président- La structure n'est pas la même.

M. Alain Claeys, rapporteur- La structure n'est pas la même et - je parle sous le contrôle des parlementaires qui étaient alors présents - le but recherché en 1994 n'était pas le même.

M. Bernard Charles, président- Tout à fait !

M. Alain Claeys, rapporteur- Le législateur s'est focalisé sur l'embryon et a été paradoxalement un peu plus laxiste sur l'encadrement de l'assistance médicale à la procréation.

Mme Yvette Roudy- J'ai participé à la première discussion, mais pas à la seconde car, entre-temps, il y a eu des élections et la majorité a changé. L'orientation suivie dans la première discussion était différente de celle qui a prévalu dans la seconde. Cela se sent à divers points que je ne soulèverai pas. M. Bernard Kouchner tenait beaucoup à ce que l'on prenne la précaution de prévoir une révision tous les cinq ans. C'est une bonne précaution. Je pense aussi que l'on est allé trop loin dans le détail. Nous sommes aujourd'hui en retard et il est nécessaire de revoir cette loi.

M. Claude Sureau- Dans la loi de 1994, il est prévu une révision de la loi « dans cinq ans », il n'est pas prévu une révision tous les cinq ans. Dans la prochaine révision, il serait bon de préciser qu'une révision doit être réalisée tous les cinq ans.

M. Bernard Charles, président- L'esprit était tout de même de réaliser une révision tous les cinq ans. On a voulu obtenir un consensus et l'on était toujours pris entre les grands principes et la volonté de fixer un cadre technique sans disposer de la structure adéquate pour le mettre en _uvre. Pour les gouvernements successifs, la notion d'agence dotée de moyens spécifiques était difficile à faire entrer dans l'esprit administratif français. Ayant participé, avec d'autres ici présents, à la création de l'agence du médicament, devenue agence des produits de santé, on sentait bien une certaine réticence de la part de l'administration française, quels que fussent les gouvernements. On s'aperçoit aujourd'hui que cela permet de donner des moyens, l'indépendance qui est maintenant réclamée et une efficacité que n'a pas la structure actuelle.

M. Claude Sureau- Ce que je vais dire horrifierait les gens de la Direction générale de la santé, mais il me semble que la gestion quotidienne de l'AMP et, par voie de conséquence, de la recherche sur l'embryon, s'effectuerait beaucoup mieux dans le cadre d'une structure plus consistante et disposant de moyens. Cela va être indispensable avec l'autorisation de la recherche. Or, la commission actuelle n'est pas en mesure de le faire.

M. Alain Claeys, rapporteur- Dans votre esprit, cette structure serait à la fois compétente en matière d'AMP et sur les questions liées à la recherche.

M. Claude Sureau- Tout à fait ! D'autant que vous allez voir que les deux forment un ensemble homogène.

Nous sommes très nettement en faveur d'une extension du diagnostic préimplantatoire. Vous le savez, deux centres en France sont autorisés à le faire. Si l'on fait un diagnostic préimplantatoire, en raison du risque de transmission d'une anomalie génétique, mucoviscidose ou myopathie, il faudra éventuellement, notamment en fonction de l'âge ou du résultat des marqueurs biologiques, pratiquer secondairement une amniocentèse, parce que l'on n'aura pas pu analyser la situation chromosomique au moment de cet examen, ce qui est tout à fait illogique.

Cela donne lieu à une très grande discussion sur le risque eugénique. M. Jacques Testart s'est beaucoup répandu à ce sujet. Certes, le risque eugénique existe, mais il n'est pas étroitement associé aux progrès de la biologie, il est lié à la société. Le risque eugénique est lié au caractère insupportable de l'éducation d'un enfant malformé, en particulier trisomique. On nous amuse en nous disant que la dérive de la biologie va conduire à l'eugénisme alors que l'expérience a montré que l'eugénisme est le résultat de positions politiques particulières de certains États. Cela a valu pour certains pays, il y a un certain nombre d'années. Cela vaut même pour des pays dits démocratiques comme les États-Unis, le Canada et les pays scandinaves qui ont institué des discriminations eugéniques aboutissant à des stérilisations d'incapables mentaux. Ce n'est pas fondamentalement une conséquence de données biologiques.

Je suis à l'aise pour en parler car l'Académie de médecine a pris à ce sujet une position intéressante. Il y a trois ans, dans le cadre du dépistage du mongolisme, on recourait encore à l'amniocentèse sur des considérations d'antécédents ou d'âge. Puis sont arrivés les marqueurs biochimiques qui permettent de repérer un risque particulier. Une très grande discussion s'est alors ouverte sur le point de savoir s'il était légitime de faire bénéficier de la prise en charge de l'amniocentèse par l'assurance maladie, outre les femmes de plus de 38 ans, celles dont les marqueurs avaient révélé un risque d'anomalie. Le ministre était alors M. Hervé Gaymard, qui était conseillé par le professeur Jean-François Mattei. L'Académie nationale de médecine s'est prononcée très fermement contre la position de départ de MM. Hervé Gaymard et Jean-François Mattei. Leur argument consistait à dire qu'à partir du moment où l'on passe d'un diagnostic par amniocentèse réservé à quelques individus à un diagnostic fondé sur un examen qui peut être généralisé à toute la société, on change d'échelle et on crée le risque eugénique. L'Académie nationale de médecine n'a pas été convaincue par cet argument. Avec Claude Laroche, nous avons pris une position très ferme qui a d'ailleurs conduit MM. Hervé Gaymard et Jean-François Mattei à accepter la prise en charge de l'amniocentèse sur diagnostic des marqueurs.

Je dois dire, en toute honnêteté, que nous nous étions fondés sur le fait qu'il était impensable d'accepter la prise en charge de l'amniocentèse pour une femme de plus de 38 ans et de ne pas l'accepter lorsqu'une femme présente un risque de 1 sur 250 mis en évidence par les marqueurs. Il y avait là une contradiction insoutenable qui a entraîné l'accord du ministère pour la prise en charge globale dont nous nous félicitons. Cela étant, il faut reconnaître que l'extension de ce dépistage conduit à une attitude qui, dans une certaine mesure, présente un aspect eugénique directement lié au fait que les enfants trisomiques ne sont pas encore suffisamment pris en charge par la collectivité. Il existe un problème de fond qui est plus philosophique et politique que strictement biologique.

Telle est notre position. Nous considérons officiellement qu'il est légitime de faire un diagnostic chromosomique associé au diagnostic génique.

J'en viens au sujet le plus important à mes yeux : la recherche sur l'embryon et le statut médical de l'embryon.

Ce sujet doit être l'objet d'une réflexion approfondie. Je vais être un peu brutal. Au départ, il y avait la fécondation in vitro et les embryons dont un certain nombre n'étaient pas « utilisés », les embryons dit surnuméraires. À l'époque, les gynécologues et l'Académie nationale de médecine avaient réclamé qu'on puisse faire quelque chose au-delà des « études » strictes. Le terme « étude » est entièrement faux et absurde d'un point de vue biologique. Quand la loi de 1994 prévoit l'interdiction de la recherche sur l'embryon, on imagine tout de suite une recherche expérimentale, comme on l'a fait chez le poulet ou chez la caille, consistant à faire pousser une queue sur l'_il ou sur le bout du nez. Il est évident que c'est abominable et qu'il n'est pas question de faire de la tératologie expérimentale humaine. Mais la recherche peut être autre chose. Quand on dit : « études ne portant pas atteinte à l'embryon », il y a une contradiction que l'on a déjà dû souligner auprès de vous. Comment faire état d'« études ne portant pas atteinte à l'embryon » et accepter le diagnostic préimplantatoire qui, à l'évidence, porte atteinte à l'embryon ? Il y a là une contradiction effarante.

M. Alain Claeys, rapporteur- La distinction établie entre études et recher-ches était donc une distinction de confort du législateur ?

M. Claude Sureau- Oui ! C'est évident.

M. Bernard Charles, président- Je l'assume.

M. Claude Sureau- Elle n'est pas tout à fait légitime. Si dans « études ne portant pas atteinte à l'embryon », vous incluez des études portant sur les milieux de culture, c'est également contradictoire. Ces études apparemment anodines peuvent parfaitement porter atteinte à l'embryon, mais on ne peut le savoir qu'a posteriori. C'est un des arguments qui nous fait militer en faveur de la recherche sur l'embryon.

Il faut bien reconnaître que nous n'avons pas été entendus à l'époque, parce qu'il me semble que dans la société française actuelle, à tous ses échelons, y compris médicaux, ce qui a trait à la reproduction, à la santé de la femme en général, au fond n'intéresse pas grand monde.

Puis sont intervenues les découvertes concernant les cellules embryonnaires. On apprend que les cellules souches embryonnaires peuvent constituer des lignées cellulaires utilisables pour traiter la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer, etc. On nous dit que le transfert nucléaire va permettre d'obtenir des lignées cellulaires aboutissant à la même situation, donc à des utilisations thérapeutiques. Changement de décor. La société civile française se découvre brutalement un intérêt considérable pour les cellules embryonnaires. Nous voyons parfois les plus beaux esprits, auparavant réfractaires à l'utilisation des cellules embryonnaires, ne pas être hostiles à leur utilisation à des fins thérapeutiques. On établit alors une subtile distinction entre la cellule embryonnaire et l'embryon dont la cellule est issue, en omettant le fait que pour avoir des cellules ES, il faut détruire l'embryon où elles se trouvent.

On assiste donc à une évolution. D'un problème de procréation humaine qui n'intéressait pas grand monde, on passe à un problème de thérapeutique de la totalité de la société qui intéresse tout le monde.

Il se trouve que le 6 juin dernier, l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine ont organisé conjointement un colloque sur les cellules embryonnaires qui a montré qu'est en train d'apparaître une troisième voie, qui était d'ailleurs remarquablement explicitée dans le rapport de l'Office, celle de la « transdifférenciation ». Des cellules nerveuses sont susceptibles d'être transformées en cellules d'autres potentialités : hématologiques ou autres.

La tentation devient alors très grande de dire : « puisque l'on pourrait partir de transformations cellulaires sans avoir à recourir à des cellules embryonnaires ou clonées, choisissons cette voie sûre et qui ne pose aucun problème métaphysique ». Il y a à cela deux objections.

Premièrement, il convient d'opter pour la voie la plus intéressante en termes d'efficacité. Or, tant que l'on n'aura pas suivi les trois voies et que l'on n'en aura pas comparé les résultats - cellules embryonnaires, cellules clonées, cellules transdif-férenciées - on ne pourra pas savoir laquelle est la meilleure.

Deuxièmement, nous voyons poindre la tentation de revenir à la situation antérieure. On essaiera d'avoir des cellules utilisables en thérapeutique humaine et les gens « se débrouilleront » avec leurs problèmes de procréation.

Si l'on peut recourir à des transformations cellulaires sans avoir à recourir à des cellules embryonnaires, comme on le fait actuellement pour les grands brûlés, la situation philosophique devient alors extrêmement simple : on prélève des cellules de peau pour les cultiver sans aucune angoisse métaphysique.

M. Alain Claeys, rapporteur- C'est l'espoir de notre collègue Claude Huriet. Il disait de façon tout à fait honnête que si les voies sur les cellules adultes réservaient des développements importants, cela éviterait tout débat.

M. Bernard Charles, président- C'est une solution refuge intéressante mais vous dites qu'il faut « balayer » les trois pistes de recherche pour savoir quelle est la meilleure.

M. Claude Sureau- J'ajouterai qu'en faisant cela, on fait certes l'économie de la recherche sur les cellules embryonnaires, mais on se coupe de la possibilité de progresser en matière de procréation humaine. Or M. Jean-Paul Renard, directeur de recherche à l'INRA, vous dira certainement que la procréation humaine est remarquable par son taux d'échec. Il y a actuellement 50 à 60 % d'interruptions de grossesse précoces dans la procréation humaine, ce que l'on ne constate pas dans la procréation animale. C'est pourquoi, et l'on retrouve alors la position officielle de l'Académie nationale de médecine exprimée il y a plusieurs années, il est légitime de poursuivre les recherches sur la procréation, ce qui ne peut pas ne pas passer par des recherches sur l'embryon.

Cette recherche nous paraît légitime. M. Alain Claeys, vous citiez tout à l'heure le problème du statut médical. J'irai même plus loin en disant, d'accord avec Georges David, avec Claude Laroche et avec notre commission spéciale compétente, qu'il faut développer ce que nous sommes tentés d'appeler une médecine de l'embryon.

M. Alain Claeys, rapporteur- Vous ne parlez jamais de préembryon.

M. Claude Sureau- À l'évidence, c'est un faux-semblant anglais. Afin d'éviter le débat, ils considèrent qu'avant quatorze jours, c'est un préembryon. La question du début de l'embryon, du début de la vie humaine, de la personne, etc., pose le problème de l'animation. Est-elle médiate ou immédiate ? La personne humaine commence-t-elle à la fécondation ? Personnellement, je n'en suis pas convaincu. Je précise que je suis catholique. Il n'empêche que je ne sais pas quand commence la personne humaine. Jean-François Mattei est actuellement tenté de dire que l'embryon commence à l'implantation, soit à six jours et demi à sept jours, mais le préembryon va jusqu'à quatorze jours, c'est-à-dire jusqu'à son aptitude à se diviser en plusieurs embryons jumeaux.

Tout cela est incertain. Mon sentiment profond est qu'il faut accepter l'incertitude. On peut considérer que c'est une attitude extraordinairement utilitariste, à l'anglo-saxonne. Mais dans la mesure où cette incertitude et la recherche sur les embryons, y compris sur les embryons de quelques jours, peuvent conduire à des bénéfices indirects pour la procréation en général et sur le plan de la pathologie, il me paraît légitime de l'entreprendre, sous réserve d'un point capital.

Je vous disais qu'après avoir développé, ces dernières années, de manière considérable, la médecine néo-natale, non sans inconvénients, d'ailleurs, avec les problèmes de réanimation d'enfants de très faible poids, et la médecine f_tale, souvent f_ticide mais pas toujours f_ticide, nous arrivons maintenant au moment où il va falloir développer la médecine embryonnaire en vue, à la fois, d'éviter les déchets considérables d'embryons qui disparaissent naturellement et de permettre d'améliorer les conditions de la fécondation in vitro qui n'est pas encore parvenue à un état de perfection.

Mais la recherche doit être encadrée. Il y a trois ou quatre ans, nous avions pris nettement position sur ce point, en particulier sous l'influence de Georges David. Cela veut dire que la qualité de la recherche doit être appréciée par un comité d'experts. Il doit donc y avoir un encadrement strict avant la mise en _uvre de la recherche, une surveillance pendant sa mise en _uvre et - nous retrouvons l'ICSI - une surveillance à distance des effets de cette recherche. Ces trois pôles nous paraissent fondamentaux. Je traduis totalement l'opinion de l'Académie nationale de médecine sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Delalande- La position que vous exprimez permettrait d'éviter un écart entre les possibilités de recherche en France et dans un certain nombre de pays anglo-saxons, donc de prendre du retard en ce domaine. Mais j'ai cru comprendre que dans votre esprit, une fois ces recherches réalisées, si l'on constatait que les autres voies étaient moins performantes que la transdifférenciation, elles pourraient être abandonnées. D'où la nécessité de revoir les textes régulièrement. Ai-je bien compris votre pensée ?

M. Claude Sureau- En supposant que la transdifférenciation l'emporte. Mais Jean-François Mattei répondrait que l'on aurait, de toute façon, transgressé de manière fondamentale les droits de la personne humaine à son début. Il y a là un débat philosophique sous-jacent.

M. Jean-Pierre Delalande- Sinon, c'était bien votre pensée ?

M. Claude Sureau- C'était bien ma pensée.

M. Jean-Luc Préel- Je connaissais déjà votre position sur le préembryon, puisque nous vous avons déjà auditionné et que j'ai lu certains de vos écrits sur le respect différent dû à deux, trois ou quatre cellules et à l'enfant.

Je souhaiterais connaître votre point de vue sur un sujet qui n'a pas encore été évoqué ici. L'Académie nationale de médecine estime-t-elle que la stimulation ovarienne hors AMP devrait être encadrée ? À ma connaissance, quelque 3,5 millions d'ampoules ont été utilisées en 1995.

L'un de vos collègues pédiatres appelle l'attention sur le grand nombre de prématurés chez les enfants nés d'AMP, leur coût social et les handicaps ultérieurs pour l'enfant. Qu'en pensez-vous ? À ma connaissance, il n'existe pas de suivi des enfants nés de l'AMP. Comment le développer ?

Pour limiter la réduction embryonnaire, on limite les implantations. Doit-on aller comme en Allemagne jusqu'à les limiter à deux embryons par femme ou doit-on laisser une future agence en décider ?

Doit-on modifier le principe actuel des dons d'organes et s'orienter davantage vers le don de personnes vivantes, d'amis par exemple ? Que pensez-vous de la quasi-disparition des autopsies scientifiques ? Doit-on permettre des autopsies médicales ?

Enfin, concernant la lourdeur du processus l'adoption de l'embryon, la distinction entre l'anonymat et le secret me semble nécessaire. Les psychiatres estiment qu'il ne doit pas y avoir de secret de filiation. Y a-t-il un inconvénient à ce que l'on sache que l'enfant vient d'une adoption d'embryon, alors que l'absence d'information de l'enfant risque d'entraîner pour lui des conséquences psychologiques importantes ?

M. Claude Sureau- Je suis d'accord avec vous pour considérer que la stimulation ovarienne est un problème majeur. Nous sommes favorables à son encadrement. Il serait d'ailleurs difficile à gérer. Nous avons rendu un rapport à l'INSERM sur ce sujet. Il est évident que la plupart des grands prématurés sont liés à des stimulations ovariennes hors PMA. Le problème, c'est d'avoir une attitude nuancée sur la limitation apportée à l'exercice médical.

M. Roger Meï - Pourquoi recourir à cette technique ?

M. Jean-Luc Préel- Face à l'impatience d'un couple, il arrive que le médecin généraliste fasse la piqûre.

M. Claude Sureau- Elle consiste à donner des hormones à une femme qui a des difficultés à ovuler. Cela peut donner des grossesses multiples. Il y a quelques années, en Normandie, une femme s'était retrouvée avec dix f_tus, ce qui avait provoqué une tempête de protestations. On les avait réduits à six. Elle est très connue, on la voit régulièrement à la télévision avec ses six enfants. L'encadrement de la stimulation ovarienne simple, hors du cadre de l'AMP, est vraiment une nécessité.

Concernant la prématurité, je vois très bien quels pédiatres sont anxieux. C'est presque une position philosophique. Il n'empêche que c'est un problème réel. C'est précisément une des raisons pour faire de la recherche sur la fécondation in vitro, afin d'abaisser le taux d'échec - le taux global de succès n'est que de 20 % - et d'éviter l'inconvénient majeur qu'est la prématurité.

S'il convient bien d'organiser un suivi, il présente une difficulté que nous avions soulignée dans notre rapport. Ce suivi doit être habile et non discriminatoire. Il ne s'agit pas que l'on puisse dire à l'école à un tel enfant qui a un zéro de conduite : « ce n'est pas étonnant car c'est un enfant né d'AMP. » Les statisticiens épidémiologistes étaient très réticents à l'idée d'un encadrement trop strict. Je dois dire que c'est un peu mon opinion.

Concernant la réduction embryonnaire, la règle de bonne pratique en France est d'implanter deux ou trois embryons, pas plus. Cela a été parfaitement intégré par la communauté gynécologique.

Je ne suis pas compétent en matière de don d'organes ou d'autopsies.

Le problème de l'anonymat et du secret est un problème que nous allons retrouver indirectement, à l'Académie, à propos du secret des origines et de l'accouchement sous X. L'opinion des psychiatres sur le dit et le non-dit est tout à fait valable, mais il faut reconnaître qu'ils ont une opinion fortement biaisée puisqu'ils ne voient, par définition, que des cas pathologiques. Il convient d'avoir une attitude nuancée. Mon sentiment personnel est qu'il relève de la responsabilité parentale de dire ou non à l'enfant qu'il est issu d'une procréation médicalement assistée.

Mme Yvette Roudy- Je ne reviendrai pas sur certains propos que vous avez tenus dans lesquels je me reconnais tout à fait. L'affaire de Toulouse nous avait profondément choqués mais elle résultait de l'application de la loi en préparation, qui était défendue, à l'époque, par des membres non négligeables de la commission. Ne pas faire d'enfants orphelins était presque un principe biblique.

M. Claude Sureau- C'est très paradoxal. Dans l'affaire Pires, pour éviter de faire d'un enfant un orphelin de père, on en aurait fait, s'il était été adopté par une autre famille, un orphelin de père et de mère.

Mme Yvette Roudy- Je considérais aussi le mépris total à l'égard de la mère dans cette affaire car c'était tout de même une partie de son corps.

Quelque chose me gêne dans le vocabulaire utilisé au sujet de l'embryon. En parlant de statut, d'accueil, d'abandon, d'adoption, comme si c'était une personne, on prend déjà position. Je préférerais que l'on parle du sort de l'embryon.

Ces méthodes de procréation sont un long cheminement, un parcours à obstacles pénible. Je trouve que l'on ne prévient pas suffisamment les parents, surtout la femme, qu'il s'agit d'une aventure très difficile avec des effets secondaires non négligeables sur la santé. Compte tenu de la passion des parents à vouloir un enfant, le corps médical accepte, peut-être trop facilement, de poursuivre des recherches avec des gens tout à fait consentants mais peut-être un peu aveuglés. Ne faudrait-il pas limiter le nombre des tentatives ?

Vous l'avez dit vous-mêmes, ces méthodes ne sont pas abouties. On ne sait pas pratiquer l'assistance médicale à la procréation sans courir le risque de produire des embryons en surplus. Les médecins et les chercheurs, qui produisent des embryons en surplus, viennent nous demander, à nous, législateurs, ce qu'il faut en faire. Je n'en sais rien. Il conviendrait donc de freiner un peu cette pratique. Cela paraît d'autant plus difficile qu'en France, elle est largement remboursée, puisqu'elle entre dans le cadre de la lutte contre la stérilité. En outre, cela coûte très cher.

M. Claude Sureau- S'agissant du remboursement, nous connaissons en France une situation extrêmement privilégiée. Cela n'est pas le cas en Grande-Bretagne. Sur ce point, les Anglais nous envient.

La limitation des tentatives existe déjà dans les faits, puisque la Sécurité sociale en rembourse quatre, éventuellement cinq. D'un autre côté, plus la limitation est accentuée, plus la tentation est grande de faire des stimulations fortes et d'implanter de nombreux embryons pour limiter le risque d'échec. Il y a donc un équilibre difficile à trouver.

Quant aux embryons surnuméraires, c'est nous qui les faisons, puis nous vous demandons de les prendre en charge. C'est exact mais c'est inhérent à la technique. Je ne vois pas comment l'éviter. Je ne voudrais pas ouvrir le débat sur le point de savoir s'il convient ou non de créer des embryons pour la recherche. Lors d'un colloque organisé à Strasbourg, il y a trois ans, une participante hollandaise, a dit : « Ne nous ennuyez pas trop avec les embryons faits pour la recherche, il suffit d'augmenter un peu plus la stimulation pour obtenir des embryons. » Ce sont de réels problèmes techniques qui devraient être l'objet d'une régulation au sein d'une instance telle que celle envisagée.

M. Pierre Hellier- Nous savons que l'on ne peut pas fixer le début de la vie, mais vous êtes allés un peu vite sur la position du Professeur Jean-François Mattei et sur les fameux quatorze jours. Dans le cas d'une grossesse normale, le début de la vie ne peut pas commencer avant l'implantation naturelle lors du rapport sexuel. Elle commence quelque temps après. Il n'est donc pas tout à fait illogique de dire qu'elle commence à l'implantation. Quelle est votre appréciation à ce sujet ?

Ne pensez-vous pas que la surveillance des enfants nés d'une AMP puisse poser problème et entraîner une pathologie ? Il faudrait certainement le faire, mais avec une certaine habileté afin de ne pas perturber les enfants soumis à ce protocole ?

M. Claude Sureau- Sur le dernier point, je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous avons d'ailleurs eu un débat sur ce sujet au sein de l'Académie nationale de médecine. Une personnalité aussi distinguée que le Professeur Tubiana, cancérologue qui a l'habitude de la surveillance à long terme, considère que les adultes responsables qui ont un cancer sont heureux de cette surveillance, mais cette situation est assez différente de celle d'enfants qui n'ont d'ailleurs pas demandé à naître et à qui on va éventuellement imposer une surveillance discriminatoire. C'est très difficile à gérer.

Sur le premier point, je ne suis pas de votre avis. Je ne sais pas quand commence la vie.

M. Pierre Hellier- Moi non plus !

M. Claude Sureau- Personne ne le sait. Le début de la grossesse est à l'implantation, car sans implantation, il n'y a pas de grossesse. Tertullien disait: « Il est déjà un homme celui qui sera un homme ». Mais Tertullien, qui n'est pas un père de l'Église, n'est pas forcément crédible. C'est un problème auquel vous et nous sommes confrontés. Ou l'on a une attitude dogmatique qui consiste à dire que la personne humaine commence à la fécondation. Ou l'on a une attitude plus pragmatique, instrumentalisante, utilitariste, consistant à dire qu'il faut regarder au cas par cas.

Sur le plan juridique, et je rejoins la remarque de Mme Roudy, le statut de l'embryon et le statut du f_tus lui-même ne sont pas définis. Dans une décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation, il y a quelques mois, un arrêt de la cour d'appel de Lyon qualifiant d'homicide une interruption accidentelle de grossesse à cinq mois a été cassé.

Mme Yvette Roudy- Heureusement !

M. Claude Sureau- Deux autres affaires restent pendantes, dont l'une à Metz. Un adage du droit civil ne reconnaît l'existence d'un enfant que lorsqu'il est né vivant, viable et s'il y a intérêt. Il faut reconnaître qu'il existe un flou juridique qui concerne à la fois le droit civil et le droit pénal sur le problème du statut du f_tus et, a fortiori, du statut de l'embryon.

M. Roger Meï- C'est pourquoi il convient d'être prudent dans les prises de position.

M. Alain Calmat- Vous avez dit que certains considèrent que la vie commence à la fécondation. La seule chose dont on puisse être sûr aujourd'hui, c'est que cela n'est pas vrai, puisque le clonage peut donner une vie à un mammifère par transfert de noyau, c'est-à-dire sans fécondation.

M. Claude Sureau- M. Jean-Paul Renard, que vous allez auditionner dans quelques instants, pourra mieux vous répondre que moi, car il est expert en la matière. J'aurai tendance à vous dire que la fécondation n'est certainement pas le début de la vie puisque la vie est éternelle et que les spermatozoïdes et les ovocytes sont vivants avant la fécondation. On peut parler du début de la personne mais sûrement pas de la vie.

M. Alain Calmat- Je parlais de la personne.

M. Claude Sureau- Cela pose donc le problème de la définition de la personne. Le Comité national d'éthique a parlé de la personne humaine potentielle...

M. Alain Calmat- Il avait tort !

M. Claude Sureau.- Il y a un élément tout de même un peu perturbant. Le clonage par transfert nucléaire a montré que toutes les cellules d'un organisme sont des personnes humaines potentielles, puisqu'en introduisant leur noyau dans un ovocyte, vous obtenez un individu. À cet égard, les progrès de la biologie devraient conduire à une réflexion plus approfondie sur nos motivations, sur ce que nous pensons de l'individu et de la personne humaine.

M. Bernard Charles, président- Monsieur le président, merci pour les informations importantes que vous nous avez fournies.

Audition de M. Jean-Paul RENARD,

directeur de recherches à l'Institut national
de la recherche agronomique (INRA)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 juillet 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Vous dirigez le laboratoire de biologie du développement et biotechnologies au centre de recherches de l'INRA de Jouy-en-Josas. Vous avez également été, pendant sept ans, membre du Comité consultatif national d'éthique. Nous attendons de vous un éclairage sur les avancées réalisées, depuis cinq ans, dans le domaine des biotechnologies qui nous permette de mesurer le décalage qui a pu apparaître entre l'aspect législatif et la réalité scientifique et technologique, en particulier sur les cellules souches, sans n'oublier, bien entendu, la dimension éthique de ces problèmes.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Je suis heureux d'accueillir M. Jean-Paul Renard qui, dans un autre lieu, nous a beaucoup aidés, notre collègue Claude Huriet et moi-même, dans nos travaux pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Monsieur Renard, pouvez-vous nous dresser l'état des connaissances scientifiques aujourd'hui, en particulier sur les découvertes récentes réalisées sur les mammifères ? Sont-elles annonciatrices d'applications pour l'humain ? Nous ne sommes pas tous des spécialistes. Nous éprouvons parfois des difficultés à distinguer ce qui relève du réel, du probable et de la recherche fondamentale dans les découvertes scientifiques annoncées par la presse écrite ou par la télévision.

En tant que scientifique, quelles réflexions vous inspire la proposition du Conseil d'État d'une progressivité de la protection de l'embryon en fonction de son stade de développement ? Sur toutes ces recherches, comment envisagez-vous le principe de précaution ?

Dans le livre intitulé Main basse sur les vivants, Mme Monette Vacquin affirme que vous vous êtes prononcé, il y a dix ans, en faveur d'une interdiction de l'expérimentation sur l'embryon humain. Si c'est le cas, quelles étaient vos raisons ? Avez-vous changé d'avis et pourquoi ?

J'évoquerai enfin un aspect abordé tout à l'heure par M. Claude Sureau. Selon vous, existe-t-il une autre solution que la recherche sur les cellules souches embryonnaires et la recherche sur les cellules souches adultes ?

M. Jean-Paul Renard. - En ce qui concerne l'état des connaissances, la réponse n'est pas aisée car ces connaissances évoluent rapidement. En outre, il est devenu souvent difficile d'obtenir des informations, une grande partie de ces recherches étant prise en main par de grandes sociétés privées qui ne communiquent pas facilement leurs résultats. On parvient toujours à en avoir une idée, notamment grâce aux réunions scientifiques, mais on n'est jamais sûr d'être entièrement au fait de ce qui est en train de se passer réellement.

On sait, chez un certain nombre d'espèces, prélever un embryon après fécondation et le maintenir in vitro pendant plusieurs jours. À ces stades l'embryon est encore formé d'un ensemble de cellules dont une partie commence à se différencier. Il n'est pas encore organisé longitudinalement. Il n'y a pas encore d'organes, même rudimentaires. Seul un nouveau tissu, le mésoderme apparaît. On ne sait pas le cultiver pour engager un début de gestation en dehors de l'organisme. Ce que l'on appelle l'ectogénèse n'est pas aujourd'hui une réalité scientifique.

Des recherches sont en cours, notamment chez le rat, qui consistent à prendre un f_tus à différents stades de son développement, à le sortir de l'organisme maternel et à le maintenir en culture pendant quelques jours. Les résultats obtenus montrent qu'il existe toujours des périodes de blocage. Le f_tus est capable de vivre quelques jours mais l'on n'est pas encore parvenu à obtenir une gestation complète.

Lorsque l'on parle ici d'embryon, il s'agit donc d'embryon in vitro jusqu'au moment de l'implantation. On utilise aussi souvent le néologisme embryon « précoce ». Mais le terme précoce est vague. Il vaut mieux l'éviter.

M. Roger Meï. - Vous parlez de l'embryon humain ?

M. Jean-Paul Renard. - Je parle de l'embryon in vitro en général. Cela me paraît indispensable pour comprendre ce qu'est l'embryon humain. Il est vrai que le terme embryon est aussi employé pour désigner toute la période qui précède l'apparition des premières formes de l'espèce. Mais il ne s'agit plus d'embryon in vitro.

La culture de l'embryon est possible chez un grand nombre d'espèces, mais sa transplantation n'aboutit à une gestation, à une fréquence normale, que chez quelques-unes d'entre elles, dont l'espèce humaine. Depuis l'après-guerre, on sait, par exemple, très bien cultiver des embryons chez la lapine, mais sans avoir pu obtenir de gestations après transfert de ces embryons cultivés. Cet exemple illustre bien le fait que les besoins de l'_uf fécondé in vitro, sont encore mal connus. Pour les connaître, il faut exposer l'embryon à différents types de milieux de culture, une recherche assez active qui existait déjà il y a vingt ans, mais qui reprend de l'importance. Elle consiste à considérer l'embryon, au début de son développement, comme un ensemble de cellules dont on essaie de connaître le métabolisme et de reproduire l'environnement in vitro. Assez simples d'un point de vue conceptuel, compliquées si l'on veut intégrer toutes les données, ces recherches ont pour objectif d'obtenir, pour n'importe quelle espèce, des milieux de culture vraiment adaptés à des cellules embryonnaires en développement. Ces recherches pourraient franchir une étape importante avec le développement de techniques permettant une analyse globale et systématique de toutes les protéines dans des cellules en division. Une rencontre est donc en train de se produire entre tout un champ de la recherche - l'analyse globale et systématique de l'expression des gènes - et la culture de l'embryon. C'est un premier domaine de recherche dont l'enjeu est de maîtriser l'environnement in vitro de l'embryon au début du développement.

Si je ne commence pas par les gènes, mais par cette recherche métabolique, c'est parce que l'on sait maintenant - surtout grâce aux données obtenues chez l'animal - qu'il existe dès le début du développement une régulation du milieu environnant non directement génétique (on dit alors épigénétique). Cela signifie que le milieu environnant est capable d'inactiver des gènes qui ne s'exprimeront que dans la vie adulte de l'animal. Par exemple, il a été montré chez la souris que la culture d'embryons pendant la journée qui suit la fécondation (stade une cellule) suffit pour entraîner chez les femelles adultes l'inactivation de gènes qui produisent des molécules impliquées dans l'olfaction et dans le comportement sexuel. Et ces modifications peuvent se transmettre à la descendance. Une « épimutation » peut donc être induite par le milieu de culture dès le tout début de l'embryogénèse. Nous sommes loin de n'être que le produit de nos gènes !

Mme Yvette Roudy. - Quand vous parlez de culture, cela signifie que vous avez isolé l'embryon ?

M. Jean-Paul Renard. - Oui, l'embryon fécondé qui est mis en culture pendant plusieurs jours (4 à 6) avant de pouvoir être éventuellement replacé dans l'organisme maternel.

Mme Yvette Roudy. - Et que vous travaillez dessus ?

M. Jean-Paul Renard. - Oui. Mais quel type de travail ? Il faut préciser un point de vocabulaire qui fait problème dans la définition de la loi de 1994, à savoir la distinction entre « études » et « recherches » sur l'embryon. L'emploi du mot « études » renverrait au fait qu'on n'intervient pas sur l'embryon, alors que celui de « recherches » signifierait qu'on le manipule physiquement. Mais on peut, simplement en modifiant le milieu de culture affecter le développement et beaucoup plus tard ! Cette distinction est à mon avis mal fondée.

Mme Yvette Roudy. - Vous pouvez tout de même y injecter des éléments ?

M. Jean-Paul Renard. - Dans le cas de l'étude des milieux de culture, il s'agit d'expériences qui consistent simplement à modifier le milieu, à étudier le développement de l'embryon sans intervenir sur lui. On le laisse quelques jours, comme on le fait aujourd'hui couramment dans les procréations médicalement assistées. On le place dans le milieu nutritif qui est le mieux adapté à son développement, comme on le fait couramment dans tous les centres de FIV.

Mme Yvette Roudy. - Ce n'est pas de la recherche ?

M. Jean-Paul Renard. - Mais si ! Si la démarche est rigoureuse, c'est de la recherche. Les travaux avec l'embryon de souris ont montré qu'occasionnellement, en fonction du milieu de culture, mais pour des facteurs que l'on ne connaît pas, des effets pouvaient se manifester très tardivement dans le développement. On n'y avait pas prêté énormément attention jusqu'au clonage. Avec le clonage, on intervient sur l'embryon et on exacerbe ces effets. On sait donc maintenant que le milieu de culture à une énorme importance et que l'épigénèse existe dès le début du développement.

La loi met d'emblée l'accent sur des différences qui existeraient entre études et recherches. Mais il y a une réelle difficulté pour nous, scientifiques, à faire la distinction entre les deux. Car si des « études », par exemple l'exposition à un nouveau milieu de culture, peuvent être réalisées sur l'embryon humain, on sait aujourd'hui, avec les données chez la souris, qu'elles peuvent avoir des conséquences très importantes à long terme, non seulement sur les organismes issus de ces embryons, mais aussi peut-être sur leurs descendants ! D'où la nécessité de commencer par mieux comprendre la nature de ces phénomènes chez l'animal. Il existe aujourd'hui des pistes, mais elles restent assez floues.

Le premier constat dans l'évolution des recherches tient donc à l'importance des mécanismes de contrôle, non directement dépendants de l'activité des gènes, qui peuvent exercer des effets à long terme dès le début du développement.

La deuxième évolution des recherches, liée aux développements technologiques, porte sur le renouvellement des questions sur les potentialités de développement d'un embryon. Qu'est-ce qu'un embryon par rapport à ces lignées de cellules embryonnaires humaines, les cellules ES, déjà produites par deux laboratoires américain et australien après mise en culture d'embryons produits in vitro ? Qu'est-ce qui différencie, du point de vue du potentiel de développement, le tout jeune embryon de ces cellules ES ? Qu'est-ce qui est différent entre ces cellules et les cellules somatiques souches que l'on retrouve chez l'adulte dans la moelle osseuse, les muscles, le cerveau ou la peau ? Autrement dit, comment comprendre cette étonnante plasticité fonctionnelle dont son capables les cellules de notre organisme ?

Ces questions renvoient directement à l'étude de l'_uf fécondé, seule cellule de l'organisme qui a la potentialité de donner toutes les autres. L'_uf fécondé est totipotent. Il conserve cette aptitude pendant très peu de temps, deux à trois jours. Cela n'a pas été totalement vérifié chez l'humain, mais chez l'animal - la vache ou le mouton. Au-delà de trois divisions, on n'est plus capable d'obtenir un développement complet à partir d'une seule cellule prise sur un embryon. On ne peut le faire qu'en prenant plusieurs cellules. On dit que ces cellules sont devenues pluripotentes.

Avec le clonage, les choses ont évolué, puisque l'on sait qu'en prenant des cellules aussi « simples » que des fibroblastes de la peau, on peut refaire une vache, un mouton, une souris. Sur le plan conceptuel, cela veut dire que les noyaux de notre organisme sont « potentiellement totipotents ». Seuls, ils ne peuvent rien faire. Si on les introduit individuellement dans un _uf dont on a enlevé le noyau, ils peuvent contribuer au développement complet d'un mammifère. Quelle est donc la source de cette « totipotence » ? Aujourd'hui, il semble évident que c'est le cytoplasme de l'_uf, lequel est le résultat de toute une histoire qui a commencé dans la vie f_tale précédente. Quand on parle d'un _uf, on est très embarrassé pour fixer le début de la vie, parce que le cytoplasme de l'_uf contient des protéines, des facteurs maternels, qui ont été accumulés pendant des mois (et des années chez l'humain), depuis la vie f_tale.

Mme Yvette Roudy. - Qu'est-ce que le cytoplasme ?

M. Jean-Paul Renard. - Une cellule moins le noyau. On s'est beaucoup intéressé au noyau parce que l'analyse génétique moléculaire a permis de comprendre son fonctionnement. On a un peu oublié le cytoplasme et l'on s'aperçoit que la façon dont il est organisé autour du noyau est essentielle pour le développement.

Par exemple, on s'est aperçu que pour qu'il y ait une vie, les premières divisions doivent être légèrement asymétriques. Si elles sont complètement symétriques, l'embryon n'arrive pas à s'organiser. Qu'est-ce qui détermine cette asymétrie ? Est-ce le hasard ou bien existe-t-il une polarisation de la cellule dès le début du développement ? Dans le contexte que j'ai indiqué, ces questions ne surgissent que maintenant chez les mammifères. Elles sont, en revanche, largement documentées chez d'autres espèces - la mouche, le crapaud - espèces modèles, mais dont le début du développement s'effectue de façon assez différente.

M. Alain Calmat. - Le cytoplasme est-il spécifique à chaque personne ? Si tel était le cas, ce serait un peu comme les chromosomes.

M. Jean-Paul Renard. - Le cytoplasme de l'_uf n'est pas spécifique de l'individu.

M. Alain Calmat. - Tout cytoplasme a donc la même structure ?

M. Jean-Paul Renard. - Non plus ! Je parlerai de l'animal, puisque cela permet de répondre.

M. Alain Calmat. - C'est transposable à l'homme.

M. Jean-Paul Renard. - Les cytoplasmes ont la même structure générale, mais leur évolution individuelle va dépendre de ce que l'on pourrait appeler leur rencontre avec l'extérieur : les autres cellules en division, le milieu, etc.... Pourrait-on mettre les noyaux dans un milieu artificiel et se passer du cytoplasme de l'_uf pour contrôler la différenciation des cellules souches ? Les recherches nous conduiront peut-être un jour à explorer cette voie chez les mammifères.

M. Pierre Hellier. - L'asymétrie est-elle due à la pesanteur ? Est-il possible, dans l'espace, d'obtenir la multiplication et un organisme vivant ?

M. Jean-Paul Renard. - Cela a été fait avec des grenouilles mais pas chez les mammifères. Ce n'est pas une question de pesanteur. Pour le mammifère aussi, il y aurait une polarisation des axes de division prédéfinis à la fécondation, ce qui est entièrement nouveau.

M. Alain Calmat. - Peut-on dire que le cytoplasme est un milieu de culture, alors que les chromosomes sont un patrimoine génétique ?

M. Jean-Paul Renard. - Vous sous-estimez le cytoplasme. C'est plus qu'un milieu de culture.

M. Alain Calmat. - Est-il spécifique ? Par exemple, si l'on clone deux ovocytes avec des noyaux identiques obtiendra-t-on des individus totalement identiques ? Le fait que le cytoplasme soit différent changera-t-il quelque chose ?

M. Jean-Paul Renard. - Oui. Tout d'abord parce qu'une partie des gènes hérités par chacun des individus ne sera pas la même. Il s'agit des gènes des mitochondries, organites du cytoplasme qui règlent l'énergie cellulaire. Ensuite parce qu'en biologie, la « photocopie » n'existe pas. Même les jumeaux monozygotes dits « jumeaux vrais » sont différents. En ce qui concerne la spécificité d'espèce du cytoplasme de l'_uf on ne sait pas encore répondre. Le transfert du noyau d'une espèce dans le cytoplasme énucléé de l'_uf d'une espèce voisine permet d'obtenir un début de développement apparemment normal. Au moins jusqu'au moment de l'implantation. Nous étudions cette question au laboratoire car elle pourrait ouvrir de nombreuses perspectives pour le maintien de la biodiversité animale.

On voit donc bien qu'en ce qui concerne la protection de l'embryon, on est inévitablement amené à définir des sortes de seuils. Quels seuils peut-on définir dans ce processus qui est une continuité, depuis l'ovaire jusqu'au développement de l'embryon ? La fécondation en est un. C'est indiscutable. Qu'il s'agisse de la fécondation avec un spermatozoïde ou qu'il s'agisse de la fécondation avec un noyau, cet événement est nécessaire pour permettre à l'ovule de commencer à se diviser, à s'activer. C'est une étape importante.

La deuxième étape importante est l'implantation. Chez l'homme, elle se situe à sept jours, et non à quatorze jours. Au-delà de sept jours, on ne peut plus transplanter un embryon dans l'organisme maternel. Le phénomène d'implantation et de dépendance vis-à-vis de l'environnement utérin a déjà eu lieu.

Entre les deux, c'est assez difficile, mais les Allemands fixent comme date le moment où les deux noyaux se rencontrent.

Mme Yvette Roudy. - Quels noyaux ?

M. Jean-Paul Renard. - Le noyau du père et le noyau de la mère. Nous avons tous un père et une mère. À ce jour, tous les mammifères qui sont nés ont un père et une mère.

M. Roger Meï. - Et Dolly ?

M. Jean-Paul Renard. - Dolly a un père et une mère génétiques puisque le noyau dont elle est issue était bien le résultat d'une rencontre.

M. Alain Calmat. - Et pour un clone de clone ?

M. Jean-Paul Renard. - Il y a toujours un père génétique qui amène ses chromosomes. Il y a un père, un arrière-grand-père.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - Pourquoi parle-t-on de clonage s'il y a un père et une mère génétiques ?

M. Jean-Paul Renard. - C'est la dénomination qui n'est pas la bonne. On devrait en toute rigueur parler de transfert de noyau.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - Ne faudrait-il pas changer cette dénomination qui fait peur à tout le monde ?

M. Jean-Paul Renard. - Si vous pouviez nous aider à en changer, nous en serions heureux, mais c'est maintenant devenu difficile.

À l'origine, le mot « clonage » a été proposé au début du siècle par un forestier américain qui travaillait sur des plans d'arbres qu'il multipliait à partir des bourgeons végétatifs. Il a été repris par les microbiologistes pour les micro-organismes. Le mot « clones » désigne des organismes génétiquement identiques. Jusqu'à Dolly, c'était cela, le clone. Avant Dolly, on n'avait pas peur de dire que les jumeaux étaient des clones. Après Dolly, on appelle clone un animal issu d'un transfert de noyau, donc d'une intervention sur un embryon. Il est aussi devenu difficile d'appeler des jumeaux des clones, car cela sous-entend qu'ils auraient été produits artificiellement.

Mme Yvette Benayou-Nakache. - Le terme a été galvaudé.

M. Jean-Paul Renard. - Tout à fait. Et ceci par faute de la revue Nature qui a utilisé ce mot de clone, alors que mon collègue Ian Wilmut ne l'avait pas employé dans son article.

Je disais que les Allemands considèrent que le seuil critique se situe au moment de la rencontre des deux noyaux, c'est-à-dire au moment où les chromosomes paternels et les chromosomes maternels commencent réellement à dialoguer au sein du même noyau, soit environ un jour après la fécondation. De ce fait, pour les Allemands, jusqu'à un jour après la fécondation, il ne s'agit pas d'un embryon humain ; au-delà, c'est un embryon humain.

Ensuite, il y a le seuil de quatorze jours qui a été proposé par les anglo-saxons pour des raisons liées à un ensemble de considérations. Lorsque l'on regarde l'historique de ce concept, qui a été proposé par le Professeur Ann McLaren, on constate qu'il a évolué au cours du temps. Au début, il s'agissait du stade à partir duquel il y a unicité - on ne pourrait plus avoir de jumeaux au-delà de quatorze jours. Ensuite, il s'est agi du stade à partir duquel aucune cellule nerveuse n'est encore apparue. Ce seuil n'a pas de base scientifique précise. Une chose est sure : il est compatible avec l'obtention de cellules embryonnaires souches, les cellules ES.

D'un point de vue strictement scientifique, dans le domaine où je conduis mes recherches, on pourrait considérer que l'ovule, au moment où l'on va le ponctionner dans l'ovaire et le maintenir en culture pendant un à deux jours, devrait recevoir toutes les attentions puisque ce qui va se passer dans le cytoplasme pourra affecter la vie ultérieure de l'enfant. On pourrait donc placer la barrière avant.

S'agissant des conditions de la recherche et de l'application du principe de précaution, je répondrai pour l'animal. Lorsque, avec Jacques Testart, j'ai mis au point la méthode de congélation des embryons humains nous nous étions fixés à nous-mêmes des règles, même si, avec le recul du temps, elles apparaissent très insuffisantes. Aujourd'hui, le principe de précaution s'impose à nous de l'extérieur. Ainsi l'INRA a maintenant un Comité d'Ethique et de Précaution (COMEPRA) notamment pour les questions concernant le développement des recherches chez l'animal. Aujourd'hui, tout produit issu de nos clones - le lait, la viande, les veaux - doit être détruit. Ce principe de précaution est devenu une réalité. Autre précaution qui s'est imposée à nous : tout nouveau type d'intervention sur l'embryon qui risquerait d'affecter l'animal après sa naissance - nous sommes confrontés à ce problème avec les clones, puisqu'une partie d'entre eux développement des physiopathologies après la naissance - est soumise au préalable au COMEPRA pour évaluer jusqu'à quel point l'éventuelle souffrance qui pourrait être infligée aux mères porteuses ou aux veaux est un mal nécessaire ou qui doit être évité.

J'ai toujours été frappé par le fait que les personnes qui interviennent sur l'embryon humain ont une expérience de l'animal souvent très limitée, voire inexistante. Il me semble que le principe de précaution soit loin d'être respecté qui, conformément à la recommandation de la conférence de Manille, voudrait pourtant que, lorsque l'on intervient sur le vivant, il y ait un prérequis animal, avec les difficultés que cela peut poser aujourd'hui compte tenu de la sensibilité sur tout ce qui touche à l'animal. L'obligation d'une formation par l'expérience animale ou l'acquisition d'un niveau de connaissance suffisant par l'animal n'est pas toujours respectée en ce qui concerne l'embryon humain.

S'agissant de l'expérimentation sur l'embryon humain, il est frappant de constater qu'au début du développement, il existe entre les espèces des différences mineures en apparence mais importantes pour la recherche. Si les recherches sur l'embryon humain doivent être poursuivies, on ne pourra échapper, à un moment donné, à une expérimentation qui concerne l'embryon humain lui-même, directement. Vouloir s'en affranchir par d'autres biais - travailler sur le singe est peut-être nécessaire - ne résoudra pas tous les problèmes. À l'évidence, l'embryon humain présente des différences en terme de fécondation, de taux de division, par rapport aux espèces comme la souris, le bovin, ou le lapin, les trois espèces avec lesquelles nous travaillons au laboratoire.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Lorsque Monette Vacquin vous fait dire : « mieux vaut l'interdire », voulez-vous dire, en tant que chercheur, qu'il convient d'avoir un préalable d'expérimentation sur l'animal ?

M. Jean-Paul Renard. - Dans la recherche sur l'embryon humain, il doit y avoir un préalable sur l'embryon animal. Or, un exemple maintenant classique est celui de l'injection du spermatozoïde qui a été mise au point chez l'homme. À tel point que les personnes qui viennent dans mon laboratoire pour travailler sur l'animal ont été formées chez l'homme. (Sourires.)

Le prérequis animal est nécessaire mais rarement suffisant. À un moment donné, il faut bien passer à une phase expérimentale, comme on le fait dans toute démarche médicale.

Quant aux cellules souches embryonnaires, il est difficile de faire le point des recherches car l'évolution est très rapide. Dolly a produit les effets que l'on connaît dans les médias et dans les discussions au sein des comités d'éthique ou des assemblées politiques. Mais Dolly a eu un effet caché. Un effet Dolly est venu toucher en retour les milieux scientifiques. Après un moment d'incrédulité, plusieurs laboratoires se sont dit : si un noyau peut être totipotent, allons plus loin : des cellules somatiques, qui ne sont plus des cellules germinales de l'organisme, ne seraient-elles pas aussi capables de se différencier de façon surprenante ? Des recherches ont été engagées. On prend des cellules nerveuses ayant un peu l'apparence de cellules embryonnaires, on les introduit dans la circulation sanguine et l'on constate qu'elles peuvent participer à la fabrication de cellules sanguines. On prend des cellules sanguines, on les met dans des muscles et l'on s'aperçoit qu'elles peuvent donner des cellules musculaires, même si c'est à une fréquence très faible.

Mme Yvette Roudy. - C'est ce que vous appelez l'effet caché de Dolly ?

M. Jean-Paul Renard. - Oui.

M. Alain Calmat. - C'est un effet psychologique.

M. Jean-Paul Renard. - En quelque sorte ! Il faut se rappeler que pendant plus de 10 ans, plusieurs équipes ont essayé, en vain, d'obtenir une souris adulte à partir du transfert de noyaux somatiques adultes. Mais sans y parvenir. L'_uf de souris est beaucoup plus délicat à manipuler et les échecs étaient constants. Ce n'est pas la souris, animal de référence, mais un mouton qui a permis de démontrer la réalité de ce qu'on appelle donc maintenant le clonage. Depuis, quelques équipes, dont la nôtre, ont réussi à obtenir de petites souris clonées. Enfin ! Et maintenant on découvre avec surprise que l'on peut aussi obtenir en culture, quoique de façon encore non contrôlée, quelques cellules sanguines à partir de cellules nerveuses.

Aujourd'hui, les chercheurs proposent d'aller plus loin. S'il existe dans notre organisme des cellules qui ne sont pas complètement différenciées, mais qui ne sont plus des cellules embryonnaires ou germinales, pourrait-on changer leur destin en les plaçant à volonté dans un autre milieu environnant ? Pourrait-on parvenir à contrôler cette « transdifférenciation » ? En mettant en culture, dans des conditions appropriées, des précurseurs des cellules sanguines - un prélèvement sanguin suffit pour en disposer en nombre suffisant - ne pourrait-on pas obtenir des cellules musculaires nerveuses, hépatiques par exemple, que l'on pourrait utiliser pour des autogreffes ?

Si cela devenait possible, on n'aurait plus besoin d'embryons pour atteindre cet objectif médical. On pourrait alors à nouveau circonscrire l'embryon au champ des procréations médicalement assistées et non plus le mettre au carrefour où il se trouve aujourd'hui, entre la procréation médicalement assistée, et la thérapie tissulaire. S'il en était ainsi, la question du clonage à finalité thérapeutique pourrait être évacuée. Mais aujourd'hui cette question n'a pas de réponse scientifique et même... Non, disons qu'elle n'a pas de réponse scientifique.

M. Alain Calmat. - Donnez-nous tout de même votre idée ! Allez jusqu'au bout de votre pensée.

M. Jean-Paul Renard. - Je considère, qu'on pourra très difficilement éviter de recourir à l'_uf ou aux embryons humains pour comprendre et maîtriser la différenciation des cellules souches en culture. Je pense par exemple que ce n'est pas en prenant le cytoplasme des cellules ES que l'on pourra reprogrammer l'activité des noyaux somatiques. Pour reprogrammer un noyau, il faut lui donner du temps. Notre expérience du clonage montre que pour mettre en route le « programme » génétique du développement il faut que le noyau soit progressivement modifié, au cours des premières divisions qui deviennent des étapes clés. Quand il y a « transdifférenciation » des cellules somatiques il faut sans doute une coopération étroite entre les cellules en culture. Les conditions pour une bonne coopération qui permettent la différenciation souhaitée restent aujourd'hui fortuites. Il est vrai que le destin de certaines cellules nerveuses peut être aisément changé maintenant en culture. Mais il me semble que l'environnement que fournit le cytoplasme de l'_uf restera irremplaçable ; au moins pour comprendre les mécanismes fondamentaux de la « transdifférenciation ».

Mme Yvette Roudy. - J'ai entendu parler d'une expérience sur une souris paralysée à laquelle on avait injecté une cellule transdifférenciée à hauteur de la lésion et qui avait été guérie. Cela ouvre des perspectives fantastiques.

M. Jean-Paul Renard. - Je pense que vous faites allusion au joli résultat obtenu par une équipe de l'INSERM (Mme Katty Schwartz) qui a corrigé chez le rat un infarctus induit expérimentalement, en greffant (par injection) des cellules musculaires indifférenciées qui se mettent à remplir les fonctions des cellules du myocarde. Il y a un autre exemple aussi surprenant, celui de cellules d'origine hépatique que l'on a pu « transdifférencier » en cellules du pancréas pour leur faire produire de l'insuline. On voit bien qu'il existe une possibilité thérapeutique réelle, mais, aujourd'hui, on est loin d'en avoir la maîtrise.

M. Alain Calmat. - Je suis frappé d'apprendre que des cellules différenciées sont capables de s'adapter dans certains milieux. Vous avez beaucoup insisté sur l'importance du milieu. Cela pose une question philosophique. On parle toujours de l'équilibre entre l'inné et l'acquis. On est conduit à prendre des positions philosophiques, et même politiques, différentes selon que l'on croit plus à l'inné ou à l'acquis. Or, ce que vous nous dites sur le milieu remet en question ce débat puisque l'acquis compterait au moins autant que l'inné.

M. Jean-Paul Renard. - Vous avez raison. Ces données replacent sans doute le curseur au bon niveau. L'activité des gènes reste bien entendu déterminante dans l'unicité de chaque individu. Et on sait depuis longtemps que le produit d'expression des gènes, « l'inné » intervient dans les connections entre les cellules nerveuses. Mais l'évolution des recherches sur l'embryon met en évidence que la notion d'acquis est déjà à l'_uvre au tout début du développement. On pourrait dire en forçant le trait que, s'affranchissant de la logique dictée par les gènes, on redécouvre l'importance de l'épigénèse qui d'Aristote à ... E. Wolff reste une énigme pour la biologie du développement ! L'environnement du noyau et celui des cellules joue un rôle déterminant pour mettre en route, puis moduler l'activité des gènes. Il peut induire des changements irréversibles de l'activité - et non de la structure - des gènes en modifiant l'organisation des protéines (la chromatine) du noyau. Cette irréversibilité crée les « épimutants ». Les cellules souches somatiques viennent renforcer l'impression que la vie est un tout sur lequel on peut intervenir non seulement par le programme génétique, mais aussi par l'environnement.

M. Bernard Charles, président. - Nous vous remercions d'être venu expo-ser le résultat de vos recherches et de nous avoir fait part des réflexions qu'elles vous inspirent.

Audition de M. Pierre JOUANNET,
président de la fédération française des CECOS

(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 juillet 2000)

Présidence de M. Roger Meï, vice-président,

puis de M. Bernard Charles, président.

M. Pierre Jouannet. - Je vous remercie de votre invitation à participer à vos travaux. La fédération des CECOS regroupe les vingt-trois CECOS de France. Le premier a été créé, en 1973, par Georges David. Très vite, d'autres centres se sont développés selon des principes, à la fois médicaux et éthiques, suffisamment rigoureux pour être repris dans la loi de 1994.

La fédération a été créée au début des années 80. À cette époque, les CECOS étaient des associations loi 1901 au sein des établissements hospitaliers. L'intégration des centres dans le système hospitalier s'est faite en 1994 et depuis, la plupart des CECOS - vingt-deux sur vingt-trois - sont au sein d'établissements publics, tous centres hospitalo-universitaires.

Les CECOS prennent en charge les activités d'assistance médicale à la procréation (AMP) qui impliquent la conservation soit de gamètes - de spermatozoïdes essentiellement, même si nous commençons maintenant à avoir une demande de conservation d'ovocytes ou de tissus ovariens dans certaines situations - soit la conservation d'embryons quand ces CECOS sont associés à des laboratoires de fécondation in vitro.

Les CECOS prennent aussi en charge le don : don de sperme au départ, premier motif de la création des CECOS en 1973 puis don d'ovocytes et, sans doute demain, s'ils sont agréés pour cette activité, le don et l'accueil d'embryons.

Deux mots clés définissent l'activité de nos centres : la conservation et le don.

Avec le développement de l'ICSI qui permet de traiter de nombreuses stérilités masculines, certains ont pu penser que les CECOS et les procréations par don de sperme allaient disparaître puisqu'on serait capable d'aider les hommes stériles à avoir des enfants par fécondation in vitro. S'il est vrai que le développement de l'ICSI, dans les années 1990, a diminué de manière importante la demande de procréation par don de sperme, elle ne l'a pas supprimée complètement, bien au contraire.

En 1999, le bilan des vingt-trois centres et de l'IFREARES, seul centre agréé pour l'AMP par don de spermatozoïdes qui ne soit pas rattaché à la fédération des CECOS, fait ressortir que 1 496 couples ont sollicité une AMP par don de sperme pour un premier enfant et 513 couples pour un deuxième enfant ou au-delà. Il y a deux fois moins de demandes par rapport à celles qui s'exprimaient dans les CECOS pendant les années 80 (près de 3 000 nouvelles demandes par an) mais depuis quelques années, il y a une stabilisation du nombre de demandes.

La stérilité masculine motive 92 % des demandes. Parmi ces stérilités, il s'agit essentiellement d'hommes qui n'ont pas de spermatozoïdes. Mais nous voyons aussi apparaître de plus en plus de demandes formulées par des couples pour lesquels soit l'ICSI a été impossible, soit elle a échoué, soit, dans quelques cas, elle a été refusée par les couples. Cela représente maintenant plusieurs centaines de demandes chaque année.

Par ailleurs, 2,5 % des demandes sont motivées par un risque héréditaire de transmission de maladie génétique et 4 % sont faites par des couples sérodifférents. Il s'agit de couples où l'homme est séropositif pour le virus du sida, le VIH, et qui choisissent d'avoir un enfant sans risque en ayant recours au don de sperme.

Pour répondre à ces 2 009 demandes, 372 volontaires se sont présentés dans les centres pour donner leur sperme en 1999. C'est très faible par rapport aux besoins. D'autant plus faible quand on sait que, parmi ces volontaires, seulement 50 à 60 % pourront effectivement être retenus comme donneurs de sperme. Le manque de volontaires est un problème important.

En termes d'utilisation, en 1999, il y a eu en tout 9 128 cycles de traitement à partir de sperme de donneurs distribué par les CECOS, dont près de 8 000 par insémination artificielle et un peu plus d'un millier par fécondation in vitro. Ces cycles de traitement ont conduit à l'obtention de 1 279 grossesses. Près d'un millier par insémination artificielle et plus de 300 par fécondation in vitro.

M. Roger Meï, vice-président. - Qu'entendez-vous par cycles ?

M. Pierre Jouannet. - Notre référence pour le traitement est le cycle ovulatoire de la femme, puisque c'est en fonction de l'ovulation que le sperme est utilisé soit par insémination artificielle soit par fécondation in vitro. C'est donc l'unité de traitement. En pratique, plus de 2 000 couples ont été traités que la demande ait été faite en 1999 ou lors des années précédentes. En effet, le délai d'attente entre le moment où un couple nous fait une demande et celui où nous disposons du sperme pour aider à la conception est, à l'heure actuelle, de douze à quatorze mois dans la plupart des CECOS, par insuffisance de donneurs.

À côté de l'activité de don de sperme, les CECOS, parce qu'ils ont les infrastructures et les compétences nécessaires, prennent de plus en plus en charge l'activité de don d'ovocytes : recrutement des donneuses, accueil et information des couples, organisation du don d'ovocytes en liaison avec des laboratoires de fécondation in vitro.

Le deuxième domaine d'activité des CECOS est l'autoconservation de gamètes. Il s'agit de spermes conservés congelés pour l'usage personnel des hommes qui les prélèvent. Cette activité connaît un développement extrêmement important depuis bon nombre d'années. Les spermes sont conservés pour des hommes qui reçoivent des traitements qui risquent de les stériliser, des chimiothérapies ou des radiothérapies, notamment quand les cancers touchent des hommes jeunes : cancer du testicule et cancers hématologiques, maladie de Hodgkin, leucémie, etc.

En 1999, les CECOS ont reçu 1 968 hommes, pour cette indication. Cela a entraîné la constitution de 70 383 paillettes, une paillette étant la dose de sperme congelée et conservée.

Ces conservations sont des conservations à long terme. Elles sont faites par des hommes qui peuvent être célibataires, jeunes, quelquefois même être adolescents. Vous comprendrez aisément que ces conservations doivent répondre à des exigences particulières en termes médicaux, réglementaires et éthiques. C'est un des points sur lesquels nous souhaiterions que la loi puisse évoluer. La réglementation de l'assistance médicale à la procréation qui concerne un couple et non un individu est parfois inadaptée à cette situation. De plus le régime d'autorisation qui a été mis en place ne distingue pas ce type d'activité de conservation à long terme.

La deuxième indication des autoconservations est la vasectomie, qui est une stérilisation volontaire de l'homme. Avant de se faire opérer certains de ces hommes font un prélèvement de sperme pour préserver une fertilité potentielle ; ils étaient 280 en 1999.

Enfin, le troisième type d'autoconservation correspond aux spermes qui sont conservés dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation. Il s'agit soit de sperme éjaculé, soit de spermatozoïdes prélevés chirurgicalement dans les testicules ou dans les voies génitales. Dans ce dernier cas, les spermatozoïdes seront utilisés à court terme pour aider des couples à procréer.

Au total, 3 803 hommes se sont présentés dans les centres en 1999 pour conserver du sperme et 102 957 paillettes ont été conservées, qui sont venues s'ajouter à celles congelées les années précédentes.

En ce qui concerne l'utilisation du sperme en 1999, 291 hommes qui avaient reçu un traitement stérilisant et conservé du sperme parfois depuis dix ou quinze ans, ont retiré des paillettes pour tenter d'avoir un enfant par insémination artificielle, fécondation in vitro ou ICSI, 73 grossesses ont ainsi été obtenues. J'insiste sur ce point parce qu'il s'agit d'hommes stérilisés par un traitement anticancéreux, qui n'avaient plus aucun espoir de fertilité. Grâce à la conservation de sperme qui avait été faite à l'époque, ils ont pu devenir père, une fois guéris de leur cancer.

Les CECOS ont aussi commencé à congeler des fragments de tissus ovariens puisque - c'est la situation en miroir de celle des hommes qui reçoivent des traitements potentiellement stérilisants - des jeunes femmes, parfois même des jeunes filles, atteintes de tumeur reçoivent des traitements qui vont pratiquement sûrement les stériliser. C'est, par exemple, le cas lors d'une irradiation corporelle totale à l'occasion d'une greffe de moelle. Nos collègues cancérologues ou hématologues nous demandent de préserver des fragments de tissus ovariens de ces jeunes femmes ou jeunes filles pour essayer de conserver une potentialité de fertilité future.

Mme Yvette Roudy. - J'avais cru comprendre qu'aujourd'hui, les ovules ne pouvaient pas être conservés.

M. Pierre Jouannet. - C'est la raison pour laquelle nous ne conservons pas des ovules matures mais le tissu ovarien avec des follicules primordiaux qui contiennent les ovocytes. La difficulté tient au fait que les techniques d'utilisation de ces follicules primordiaux ne sont pas au point à l'heure actuelle. Des recherches se font chez l'animal, la souris et la brebis. Les techniques ne devraient être au point pour l'espèce humaine que dans les années qui viennent. Néanmoins, nos collègues cancérologues nous disent que même si nous ne sommes pas capables d'utiliser aujourd'hui ces fragments de tissus ovariens pour aider à concevoir un enfant, quand les petites filles ou les jeunes filles guéries de leur cancer mais stériles auront grandi, nous pourrons sans doute les aider à devenir mères si nous conservons des fragments d'ovaire pour elles. Cette activité qui démarre n'est pratiquée que dans quelques rares centres, elle va sûrement se développer dans les années qui viennent.

Enfin, nous assurons la conservation d'embryons qui ont été conçus dans des programmes de fécondation in vitro. Près de 20 000 embryons sont conservés dans les CECOS à ce titre.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - 20 000 ?

M. Pierre Jouannet. - Je ne peux pas vous donner le chiffre exact. La plupart de ces embryons correspondent à un projet parental et sont conservés pour des couples qui envisagent de les utiliser pour réaliser leur projet d'enfant personnel. Un certain nombre de ces embryons ne correspondent plus à un projet parental. Les couples peuvent alors souhaiter la destruction des embryons ou donner leur accord pour que les embryons soient accueillis par d'autres couples ou utilisés pour des études.

D'après les informations obtenues auprès des couples à qui nous écrivons chaque année, plus d'un millier d'embryons conservés ont été donnés pour un accueil par d'autres couples et près de 500 embryons ont été donnés pour des études. Bien entendu, aucun de ces embryons n'a été utilisé ni pour l'accueil ni pour des études tant que nous n'étions pas habilités et autorisés à le faire.

M. Bernard Charles, président. - Le bilan de votre activité est un élément important de notre réflexion. J'ai quelques questions à vous poser.

Sur le don de gamètes, pensez-vous qu'il faille remettre en cause le principe de l'interdiction de toute publicité en faveur du don ? Cela permettrait-il de remédier efficacement au problème de pénurie ? Si vous y avez réfléchi et si la réponse est positive, quels moyens pourraient être mis en _uvre pour essayer de lever cette interdiction ?

Toujours en ce qui concerne la position de votre fédération, vous avez préconisé que l'activité de dons d'ovocytes soit clairement identifiée et fasse l'objet d'autorisations spécifiques. Pour motiver cette proposition, vous avez très certainement des éléments soit sanitaires soit éthiques à faire valoir. Pouvez-vous nous les préciser ?

Par ailleurs, en ce qui concerne les techniques d'AMP, nous avons évoqué, à l'occasion de plusieurs auditions, l'augmentation du nombre maximal de conceptions d'enfants par donneur. À cet égard, avez-vous des éléments de réflexion à nous soumettre ?

Quelle est votre appréciation sur la technique de l'ICSI, technique qui n'existait pas quand nous avons adopté la loi de 1994 ? Comporte-t-elle des risques ? Les études épidémiologiques manquent-elles ? Quelle est votre analyse sur le sujet ?

Autre point qui, ce matin, a d'ailleurs fait l'objet de questions de nos collègues : quelle est la position de votre fédération sur le droit de l'enfant à connaître ses origines biologiques ? C'est un débat important pour nous.

Enfin, pensez-vous qu'il faille donner à la CNMBRDP une capacité et des pouvoirs propres de contrôle et d'inspection ? Des auditions ont mis en lumière le manque de moyens de cette structure, sans remettre en cause sa compétence, et nous avons auditionné, la semaine dernière, l'agence britannique qui nous a présenté ses capacités de contrôle et d'inspection. Faut-il donner à cette commission ou à l'agence future des pouvoirs de décision pour l'octroi, la suspension ou le retrait des autorisations et des agréments ?

Enfin, question plus technique : un protocole au CECOS de Cochin permettrait de prélever le sperme d'hommes atteints du virus du sida pour insémination artificielle de leur compagne ou épouse. Quels sont les résultats à ce jour ?

Je propose de faire le tour des questions de mes collègues, ce qui vous permettrait de répondre et d'évoquer tout autre point que vous souhaiteriez soulever.

Mme Yvette Roudy. - Je suis préoccupée par la question du secret. Vous nous avez donné des éléments importants de réflexion. Si j'ai bien compris, l'avènement de l'ICSI a diminué de moitié les demandes, mais les dépôts de sperme à usage personnel connaissent une croissance, ce qui se comprend.

Je voudrais obtenir des précisions sur la question des ovocytes, car j'ai toujours compris que l'on ne pouvait pas les conserver, même si l'on peut congeler des fragments de tissu ovarien en attendant que la science progresse. Je voudrais soulever la question du secret qui touche à ce que l'on appelle le droit de l'enfant à connaître ses origines. C'est une angoisse qui saisit la plupart des gens à un moment de leur existence. Comment faites-vous ? Je suppose que vous connaissez les donneurs, car vous n'allez pas donner du sperme au hasard. Je ne sais pas si vous pouvez nous dire comment vous procédez, mais j'imagine que vous ne donnez pas à un couple breton du sperme qui viendrait d'une autre région, des Antilles, par exemple.

Ce sont des questions qui ne sont pas faciles, mais la question du secret se pose régulièrement dans de nombreux domaines. Étant donné qu'au sein des CECOS, une méthode et des règles ont dû découler de la nécessité de gérer cela correctement, elle pourrait servir d'exemple ou de référence pour d'autres questions. 

M. Roger Meï. - Pour prolonger la question de Mme Yvette Roudy, nous entendions, la semaine dernière, la présidente de la HFEA dire que quand un parent veut offrir son ovocyte ou son sperme se posait le problème d'une sortie possible de l'anonymat. Notre loi ne pourrait-elle pas être assouplie de ce point de vue ?

M. Jean-Luc Préel. - Il y aurait beaucoup de questions à poser, mais comme toujours, nous manquons de temps. Aussi me bornerai-je à quelques brèves questions.

Vous avez parlé du manque de donneurs. Quel est votre sentiment sur les motivations du donneur car il y a une différence entre aller donner son sang, qui a un côté altruiste, et aller donner du sperme en sachant que l'on aura un enfant dont on ne connaîtra pas l'existence ?

Concernant le secret des origines et l'anonymat du don, le problème qui est posé par certains, notamment par Didier Sicard, me paraît très intéressant. Il ne faut pas, selon les psychanalystes, mais c'est du domaine de la famille, cacher à l'enfant qu'il est né par une AMP. L'anonymat devrait pour lui être levé et pour d'autres être maintenu.

En revanche, se pose un problème en ce qui concerne le don d'ovocytes entre s_urs. Pour avoir rencontré le cas de greffés du rein où le frère, donneur vivant, « surveille » le receveur, je me demande ce que sont les relations lorsqu'une s_ur a donné son ovocyte et qu'elle sait que c'est sa fille ou son fils qui est né. Jusqu'où peut-on aller ?

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - Je voudrais revenir sur trois chiffres que vous avez donnés concernant la conservation des embryons. En 1998, il y avait 17 000 embryons préconservés pour un projet parental, 1 000 donnés pour des couples et 500 donnés pour les études. Comment les couples procèdent-ils pour donner ces autorisations ? Sur les 500 embryons donnés pour des études, quel dialogue avez-vous eu avec les couples ? Le font-ils volontiers ? Sont-ils conscients de ce qu'est la recherche en la matière, car quand vous parlez d'études, j'imagine que c'est de la recherche dont il s'agit ?

M. Alain Calmat. - Comment se passe le prélèvement pour l'assistance médicale à la procréation des précurseurs de spermatozoïdes, les spermatides ? Je suppose que c'est de cela dont vous parliez tout à l'heure.

M. Jean-Luc Préel. - Pour la précision du débat, pourriez-vous nous dire combien d'embryons sont aujourd'hui conservés en France, car vous n'en conservez qu'une partie ? Il ne faudrait pas que le nombre que vous avez donné soit perçu comme étant celui de l'ensemble des embryons congelés en France aujourd'hui.

M. Pierre Jouannet. - Pour répondre à vos questions, qui touchent à des sujets lourds et complexes, j'ai peur de n'avoir que trop peu de temps. Je vais traiter d'un point que vous avez été plusieurs à soulever, celui du secret de l'origine. On est confronté en permanence à ce problème lorsque l'on s'occupe de don de gamètes. Cette question est discutée avec tous les couples que nous rencontrons. À travers mon expérience de médecin, j'ai acquis une conviction : un père ne se réduit pas à un spermatozoïde et un spermatozoïde n'est pas un père. Tout comme une mère n'est pas un ovocyte et un ovocyte n'est pas une mère. Je suis un peu choqué lorsque j'entends parler du donneur de spermatozoïdes comme étant le père de l'enfant ou de la donneuse d'ovocytes comme étant la mère dans la mesure où, que ce soit sur le plan juridique, affectif ou relationnel, ce n'est pas du tout comme cela que les choses se passent.

Deuxième observation. En matière de liens de filiation, et d'organisation familiale, la dimension culturelle est très forte. Les systèmes culturels ou d'organisation sociale peuvent varier selon les époques et les pays. Le système des CECOS a été créé en France à la fin du XXème siècle dans une société qui a certaines valeurs en la matière, c'est-à-dire dans une société dans laquelle il existe peu pour les paternités ou les maternités partagés. En général, le mode d'organisation de la famille s'établit avec un père, une mère et des enfants. Lorsque cette organisation se dissocie et que plusieurs adultes interviennent dans les relations de filiation, ne serait-ce que sur le plan affectif, on sait à quel point les choses peuvent très bien se passer, mais peuvent aussi se compliquer.

Dans la procréation par don de sperme, il y a un père et un seul, c'est le père qui est à l'origine de l'enfant, en l'occurrence, l'homme stérile et non le donneur. Si l'enfant existe, c'est qu'au départ, un couple, un homme et une femme, confrontés à une difficulté particulière, que ce soit une stérilité ou le risque de transmission d'une maladie grave, ont choisi de créer un enfant par don de sperme. Ils se sont adressés à nous et se sont engagés dans une démarche de procréation d'enfant. Le rôle de l'homme stérile est aussi important que le rôle de la femme dans l'acte fondateur et incontournable qui est à l'origine de l'enfant.

Le rôle du donneur est bien entendu essentiel mais sa participation identitaire à l'origine de tel ou tel enfant est moins évidente. Pour la procréation, un spermatozoïde de donneur est remplaçable par n'importe quel spermatozoïde d'un autre donneur pourvu qu'il corresponde aux critères d'appariement entre donneurs et receveurs. Contrairement au donneur le père stérile n'est pas remplaçable, c'est en cela qu'il est unique pour l'enfant. C'est cette fonction paternelle de procréation qu'il nous semble important de privilégier, c'est elle qu'il nous semble important de protéger.

Lever l'anonymat du don, c'est fragiliser ce lien, c'est privilégier de manière artificielle la dimension génétique de la procréation par rapport à ce que j'appellerais la dimension plus humaine qui est à l'origine de cet enfant. C'est dans ce sens, en tenant compte de la société dans laquelle nous sommes, qu'il nous semble nécessaire de maintenir l'anonymat.

Je voudrais d'ailleurs vous donner une information à cet égard. De temps à autre, on lit dans des organes de presse des articles selon lesquels les enfants conçus par sperme de donneur vont très mal du fait qu'ils ne connaissent pas l'identité du donneur, que certains enfants recherchent « avec frénésie » leur père biologique, le donneur de sperme. Au début de cette année, étonnés par ces déclarations, nous avons mené une enquête dans l'ensemble des CECOS pour savoir si les enfants de plus de quinze ans que nous avions aidé à naître s'étaient présentés dans les centres pour poser des questions sur les donneurs de sperme. D'après cette étude, 2 662 enfants ont été conçus avec l'aide des CECOS avant 1980, ils ont donc plus de vingt ans aujourd'hui, et 8 274 sont nés entre 1980 et 1985, soit un total de près de 11 000 enfants de plus de quinze ans. Aucun d'entre eux, pas un seul, n'a fait une démarche dans un de nos centres pour s'informer sur l'identité du donneur.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - Aucun ?

M. Pierre Jouannet. - Aucun. Un certain nombre d'enfants sont venus dans nos centres pour poser des questions diverses sur l'insémination artificielle, sur le don de sperme, sur les modalités de notre travail mais pas sur l'identité du donneur. Soit ces enfants ne savaient pas comment ils ont été conçus...

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - Voilà.

M. Pierre Jouannet. -... mais un bon nombre d'entre eux le savent, soit ce n'est pas leur préoccupation principale. Lorsque l'on discute avec ces enfants, on se rend compte que c'est leur histoire, leur origine qui leur importent plus que l'identité du donneur. L'origine, ce n'est pas l'identité du donneur, l'origine c'est l'histoire de leurs parents, celle du couple qui, à un moment donné, a fait une démarche pour une procréation par don de sperme.

Peut-être que des enfants, ailleurs et dans d'autres cadres, expriment des détresses, expriment autre chose, mais ce n'est pas notre expérience. Nous avons l'intention de mener le même type d'enquête auprès de nos collègues pédopsychiatres pour savoir exactement la réalité de ce phénomène car, je le répète, ce n'est pas notre expérience.

Les questions du secret, de l'origine et de l'anonymat sont importantes, mais il convient de les distinguer. Nous pensons qu'introduire le donneur dans la relation qui s'établit entre les parents et l'enfant risque d'être perturbant pour tout le monde, surtout si le donneur est un proche, un frère, une s_ur, un familier. L'introduction de l'identité du tiers donneur va établir un système d'échanges et de relations extrêmement complexe et peut-être à risque pour tout le monde.

J'ai rencontré des couples qui pensaient que ce serait plus simple si l'on utilisait le sperme du frère ou d'un ami. Je leur disais: « Admettons que l'on réponde à votre demande, que l'on vous aide à concevoir un enfant dans ces conditions, que se passera-t-il par la suite ? Quand vous aurez l'enfant, comment allez-vous gérer cette situation ? Comment réagira le donneur ? Comment allez-vous réagir ? Comment l'enfant va-t-il réagir dans ce contexte où vous serez ses parents mais où, par ailleurs, il connaîtra l'oncle ou l'ami qui aura donné le spermatozoïde qui aura permis sa conception ? » Après ces entretiens, pratiquement tous les couples que j'ai vus ont préféré l'anonymat parce qu'ils ont eu conscience que cela créerait une situation moins complexe, moins risquée pour l'organisation ultérieure de leur famille.

Je reconnais cependant que la question se pose. Des pays ont fait des choix différents de la France. En Suède, la loi autorise l'enfant à accéder à l'identité du donneur à sa majorité. Je suis très curieux de voir ce que cela donnera. S'il se révélait nécessaire que pour des raisons culturelles ou autres, il faille changer la loi, pourquoi pas ? Mais je pense qu'à l'heure actuelle, la règle de l'anonymat est la meilleure possible pour notre société telle qu'elle existe.

Ma réflexion sur le don d'ovocytes est similaire même si la situation est différente dans la mesure où il est moins facile d'exclure la femme stérile de son rôle de mère puisqu'elle porte l'enfant et accouche alors que l'absence du lien génétique et de tout lien charnel avant la naissance peut conduire certains à penser que l'homme stérile n'est pas le « vrai » père de l'enfant. Je suis frappé que l'on puisse envisager de supprimer l'anonymat uniquement parce que le nombre de donneuses d'ovocytes est insuffisant alors que si peu de choses sont faites pour en trouver. L'AMP par don anonyme dépend de la capacité à sensibiliser suffisamment d'hommes et de femmes à donner leurs gamètes. S'il y avait plus de donneuses d'ovocytes, nous n'aurions pas les problèmes qui se posent actuellement. Mais pour cela, il faudrait qu'un travail d'information et de sensibilisation soit fait.

Cet aspect rejoint votre première question sur la publicité. Je ne suis pas favorable à la publicité. Il ne s'agit pas de publicité, l'aide à la procréation par don de gamètes nécessite par contre une information, une sensibilisation du public et des personnes concernées. Cela ne se fait pas sans moyens. La loi de 1994 a placé ce travail sous la responsabilité du secrétariat d'État à la santé. Malheureusement, celui-ci n'a pas les moyens de cette politique, de ce choix. Cette activité pourrait donc être déléguée à des organismes qui, sous le contrôle de l'État, pourraient prendre en charge le travail d'information et de sensibilisation. Ces organismes pourraient être l'équivalent de la HFEA dont vous parliez tout à l'heure, c'est-à-dire un établissement public, une agence ou autre, qui aurait entre autres missions de prendre en charge l'information du public et la sensibilisation des volontaires pour le don de gamètes.

M. Alain Calmat. - Je trouve qu'il est complètement aberrant de permettre à tous les enfants qui seraient nés par cette technique de pouvoir accéder, de façon certaine, sous prétexte que vous savez quel est le donneur, à leur paternité, alors que l'enfant qui naît en dehors de cette technique n'a pas les moyens de le savoir à 100 %. J'ai entendu le chiffre, qui me paraît absolument monumental, de 17 % des enfants dont le père ne serait pas le père présumé. Dès lors, pourquoi faire une différence entre ceux qui naissent d'un couple qui n'a pas recouru à cette technique et les autres, parce que cela peut aussi poser des problèmes dans les familles si ce droit à connaître ses origines biologiques était reconnu. Le droit de savoir si l'on est le fils de son propre père est, à mon avis, un faux problème. L'anonymat est absolument nécessaire.

M. Pierre Jouannet. - Votre commentaire est tout à fait juste. On sait que le père biologique de nombreux enfants conçus naturellement n'est pas le père qu'ils connaissent. Il est évident que si l'on revendique comme un droit la possibilité d'accéder à son origine biologique, ces enfants là devraient être concernés autant que les enfants conçus par don de gamètes. Cela risque d'avoir des conséquences incalculables dans notre société.

Quand il y a don de gamètes, la question principale n'est pas celle de l'anonymat du donneur, c'est celle du secret de l'origine, c'est à dire de savoir si les parents vont dire ou ne pas dire à l'enfant comment il a été conçu. Ce secret est une question extrêmement difficile. Les praticiens des CECOS, pensent que leur rôle est de faire en sorte que les parents aient le choix de dire ou de ne pas dire à l'enfant comment il a été conçu. La plupart d'entre nous pensons qu'il est sans doute préférable d'informer l'enfant mais nous pensons aussi que ce n'est pas à nous d'en décider, que c'est aux parents de faire ce choix. Nous ne devons pas les obliger à révéler à l'enfant son mode de conception s'ils pensent que ce n'est pas possible pour eux.

De nombreux couples souhaiteraient pouvoir parler avec l'enfant de ses origines. Beaucoup ne le font pas, tant par crainte des réactions de l'enfant que par crainte de celle de l'entourage. Si l'enfant sait qu'il a été conçu par don de gamètes, il est pratiquement inévitable que toute autre personne puisse le savoir. Quelle serait la réaction de la famille, des amis, des voisins, des copains à l'école ? Souvent, les parents craignent des réactions, des attitudes négatives à l'égard de l'enfant et préfèrent garder le secret. Ils se trompent peut-être, mais force est de constater que notre société ne fait pas preuve de beaucoup de tolérance et d'ouverture à l'égard de ce mode de procréation. Les commentaires négatifs de certains, les nombreux articles de presse parlant toujours du donneur comme du père et ignorant le « vrai » père, l'homme stérile qui est à l'origine de la conception de l'enfant, ne favorisent pas l'expression des personnes concernées. Plus que celle de l'anonymat, la question du secret de l'origine est importante. C'est celle dont nous parlons avec tous ceux qui choisissent de devenir parents par don. C'est celle qui devrait être mieux appréhendée dans notre société pour être mieux comprise.

Vous m'avez demandé pourquoi un agrément spécifique serait nécessaire pour le don d'ovocytes. Notre expérience démontre que toute prise en charge d'assistance médicale à la procréation par don, qu'il s'agisse de don de spermatozoïdes, de don d'ovocytes ou, demain, de dons d'embryons, doit répondre à des exigences particulières en termes de sécurité sanitaire, bien entendu, mais aussi en termes d'accueil et d'accompagnement des couples et des donneurs. Elle comporte des aspects techniques, par exemple pour congeler le sperme pour prélever les ovocytes ou pour conserver les embryons, mais elle a aussi une dimension psychologique et relationnelle majeure.

Il me semble que les compétences et les responsabilités nécessaires à l'exercice de cette activité doivent être reconnues de manière spécifique. Ceci favoriserait l'évaluation et serait sûrement un facteur de promotion de la qualité. Il est évident qu'il y a un lien naturel de compétences et d'organisation des soins pour la prise en charge des dons de gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes) et embryons même si les uns et les autres ne peuvent être confondus. De ce point de vue, la réglementation actuelle, notamment en matière des dons d'ovocytes ou d'accueil d'embryons tendant à ne confier la responsabilité des actes qu'à une seule catégorie de praticiens alors que dans la réalité ce sont d'autres qui les assurent, est une erreur et est inefficace.

L'un d'entre vous demandait pour quelle raison on devenait donneur de sperme. Ce n'est ni simple ni évident de donner son sperme. Il est certain que ce geste n'est possible que si l'on a bien conscience que ce ne sont pas ses propres enfants qui en résulteront mais que l'on va aider d'autres couples à devenir parents et à avoir des enfants. C'est la raison pour laquelle nous avons toujours défendu le principe que pour être donneur il faut déjà être parent.

Il ne faut pas, comme le dit la loi de manière un peu maladroite, « avoir procréé » parce qu'il suffirait alors d'avoir été responsable d'une grossesse même interrompue pour pouvoir devenir donneur. C'est la qualité de parent qui nous semble importante. C'est d'être soi-même père ou mère. Ainsi, les donneurs ont moins tendance à fantasmer sur les enfants qu'ils ont aidé à procréer chez d'autres couples.

L'accueil des donneurs, l'accompagnement de leur démarche nécessitent des compétences et une expérience particulières. Il en est de même à l'égard des couples demandeurs. Ces derniers viennent avec une demande d'aide à la procréation, mais ne croyez pas que tous concrétisent leur demande. Parfois la procréation par don n'est pas la meilleure solution pour eux. Certains choisissent de procéder autrement ou d'adopter. Certains mêmes, à la fois, adoptent et ont des enfants par des gamètes. Le vécu des couples, leur situation, leurs désirs sont quelquefois aussi incertains que complexes. Dans ce cadre, les entretiens psychologiques que nous leur proposons sont essentiels.

Enfin, dernier niveau de responsabilité des centres : le choix des gamètes pour un couple donné. Ce choix s'opère selon des critères qui ne sont pas le fruit du hasard. Il répond à des exigences de sécurité sanitaire, de contrôle du risque de transmission des maladies héréditaires, mais il a aussi pour but d'éviter de créer artificiellement des discordances physiques majeures entre l'enfant et les parents.

Il nous semble donc que l'aide à la procréation avec tiers donneur, qu'il s'agisse de sperme, d'ovocyte ou d'embryon, nécessite des compétences et une expérience particulières qui ne sont pas que techniques. C'est pourquoi, nous souhaitons que les activités soient clairement identifiées et qu'elles soient réalisées par des centres multidisciplinaires qui disposent de tous les moyens nécessaires. Nous pensons enfin que ces activités doivent être régulièrement évaluées et contrôlées. Ce qui sera plus facile si elles sont réalisées de manière spécifique dans des centres spécialisés.

Le nombre maximum d'enfants conçus par don a pour but d'éviter les risques de consanguinité dans les générations futures, en limitant les risques que les enfants se rencontrent et se marient entre eux. Nous avons demandé une modification de la loi sur ce point tout en nous demandant si cette disposition relève vraiment du domaine législatif. En effet, la question ne se pose pas de la même manière sur toutes les parties du territoire, par exemple en Martinique ou en Ile-de-France. C'est une question de taille de bassin de population et de volume d'activité des centres. Les généticiens des populations savent calculer ce genre de risque.

Ce qui nous semble le plus important n'est pas tant de limiter le nombre d'enfants ou de grossesses que de limiter le nombre de familles dans lesquelles sont conçus les enfants. En effet, quand on aide des couples à avoir plusieurs enfants, on devrait pouvoir utiliser le sperme du même donneur car ces enfants ne se marieront pas entre eux plus tard. La limitation du nombre d'enfants nous empêche actuellement de répondre à des demandes de familles qui voudraient avoir plus d'enfants. Par exemple, dans mon centre, actuellement, nous mettons en attente les demandes faites par des couples qui ont déjà eu deux enfants par don de sperme et qui en souhaiteraient un troisième. Nous sommes dans une telle situation de pénurie de dons que nous faisons appel à leur compréhension. Nous devons leur expliquer que nous répondons en priorité à la demande des couples qui n'ont pas encore d'enfant. Il n'en serait pas de même si nous pouvions utiliser le sperme d'un même donneur, celui qui a déjà été utilisé pour les premiers enfants de la même famille. Si l'on doit fixer des limites, que ce soit plutôt sur le nombre de fratries ou de familles dans lesquelles ces enfants sont conçus que sur le nombre d'enfants eux-mêmes.

Mme Yvette Roudy. - Le secret restera bien gardé.

M. Pierre Jouannet. - Le secret ?

Mme Yvette Roudy. - Sur la méthode que vous utilisez pour préserver le secret, l'anonymat. Vous vous contentez de dire...

M. Pierre Jouannet. - Tout ce que nous faisons est transparent. Rien n'est secret. Je vous invite à venir voir ce que nous faisons si vous êtes intéressés par nos méthodes de travail. Les couples savent exactement la façon dont nous procédons. J'ai apporté ici la plaquette d'information que nous remettons aux couples qui font des inséminations avec sperme de donneur où toutes nos procédures, toutes les techniques sont expliquées de A à Z. Je vous la laisse volontiers.

En pratique, pour maintenir l'anonymat, les dossiers sont codés, ainsi que les paillettes de sperme. Nous gardons l'identité des donneurs pendant quelques années au terme desquelles nous devons détruire toute référence identitaire. Mais depuis la loi de 1994, nous sommes confrontés à un problème que nous ne savons pas comment gérer. Désormais, nous devons conserver le consentement des donneurs. Or, par définition, un consentement ne peut être anonyme. Nous ne pouvons à la fois supprimer l'identité du donneur pour supprimer tout risque que l'on remonte à son identité et garder son consentement. Nous sommes là face à une difficulté que nous ne savons pas résoudre.

Pour terminer, je voudrais reprendre une des propositions faites par la Fédération des CECOS pour la révision de la loi. L'expérience nous montre que dans un domaine aussi complexe et où les besoins sont nombreux, la loi ne peut ni tout régler ni tout résoudre. Elle peut définir les principes, le cadre qui doivent orienter les pratiques mais ce n'est pas suffisant. Il serait nécessaire de créer une structure qui permette de gérer ces activités mais aussi de répondre aux évolutions possibles et aux questions qui apparaissent.

La commission nationale de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal aurait pu jouer ce rôle, mais cela n'a pas été dans ses missions. Elle n'en a pas eu les moyens non plus. Nous sommes donc plutôt en faveur d'un établissement ou d'une agence qui, comme je le disais précédemment, serait sous contrôle de l'État mais qui serait, en même temps, indépendante du ministère de la santé. Elle pourrait être constituée d'un tiers de professionnels, d'un tiers de représentants de l'État ou des autorités sanitaires et des institutions, et d'un tiers de patients et de personnes représentatives de la société.

Sans pour autant lui confier le pouvoir de donner les agréments aux centres comme c'est le cas en Grande Bretagne, c'est-à-dire d'avoir une responsabilité de type administratif, elle devrait tout de même donner son avis sur les demandes d'agréments. Elle devrait avoir aussi d'autres missions très importantes qui sont mal assurées actuellement. Elle pourrait évaluer les activités des centres, pas seulement en comptant le nombre d'inséminations ou de fécondations in vitro faites chaque année, mais en évaluant aussi leurs conséquences que ce soit sur le plan social, culturel ou individuel. Elle pourrait stimuler et ouvrir le débat dans la société quand de nouvelles questions apparaissent. Elle pourrait s'occuper de l'information et de la sensibilisation du public. Elle pourrait, proposer des travaux de recherche dans des domaines qui sont particulièrement sensibles ou qui émergent à un moment donné. Elle pourrait être l'interlocuteur des médias pour une information de qualité. Actuellement en France, on donne trop souvent la priorité à des informations qui sont plus anecdotiques et parcellaires que réelles.

Des structures de ce type existent dans d'autres domaines en France et ont joué un rôle très positif. Dans le domaine des prélèvements et de la transplantation d'organes où il y a quelques années encore on s'interrogeait beaucoup sur des pratiques incertaines ou mal maîtrisées, je crois que l'Établissement Français des Greffes a beaucoup contribué à améliorer les pratiques. D'autres pays comme la Grande Bretagne se sont dotés d'organismes qui jouent eux aussi un rôle très positif dans les domaines de l'assistance médicale à la procréation et de l'embryologie.

M. Alain Claeys, rapporteur. - À propos de l'idée d'agence qui chemine dans les esprits, on entend souvent parler d'une structure indépendante, mais quel rôle assignez-vous, dans ce cadre, à la direction générale de la santé et au Comité consultatif national d'éthique, car telle que vous la décrivez, cette agence reprendrait une partie des prérogatives du CCNE ? Comment voyez-vous l'articulation ?

M. Pierre Jouannet. - À mon avis, la Direction Générale de la Santé et, d'une manière plus large, le Secrétariat d'État ou le ministère de la santé ainsi que les pouvoirs publics devraient définir les missions de cette agence et fixer ses grandes orientations. Elle devrait être mise sous tutelle de l'État et des pouvoirs publics. Cela se ferait-il sous tutelle de la DGS ou sous tutelle conjointe de la DGS et d'autres directions ou d'autres ministères ? Ce n'est pas à moi à le décider, mais il est évident que la DGS devrait avoir une place importante dans le contrôle de l'activité de cette agence, comme elle peut l'avoir dans celui d'autres établissements du même type.

En ce qui concerne les problèmes d'éthique, je ne fais pas du tout de confusion entre le rôle que pourrait jouer une telle agence et celui du Comité consultatif national d'éthique. Cette agence serait une agence d'expertise et d'information dans un domaine particulier alors que la mission du CCNE est beaucoup plus large. Cette agence pourrait sans doute contribuer à la réflexion, y compris sur le plan éthique, avec le CCNE ou d'autres structures, afin de permettre que les bonnes décisions soient prises dans notre pays.

Pour en donner un exemple, j'évoquerai le protocole que nous mettons en _uvre à l'Hôpital Cochin pour aider les couples sérodifférents à devenir parents en maîtrisant le risque de contamination virale. Il s'agit de couples dont l'homme est contaminé par le virus du SIDA (VIH) et la femme ne l'est pas et qui souhaitent devenir parents. C'est une situation difficile posant de nombreuses questions éthiques, médicales et techniques.

Sur les plans médical et technique, il s'agit de maîtriser au mieux le risque de contamination virale à l'occasion de la procréation. Ceci est maintenant possible grâce à des procédures que nous avons mises au point avec le professeur C. Rouzioux, virologue à l'Hôpital Necker. La présence de particules virales peut être détectée avec une très grande sensibilité à partir de population de spermatozoïdes sélectionnés chez des hommes VIH + et utilisables pour l'AMP. En pratique, une partie de ces spermatozoïdes est conservée et congelée. Quand nous n'avons pas détecté de virus, nous pensons pouvoir les utiliser pour la procréation. Si de plus un seul spermatozoïde est utilisé par ICSI, la probabilité de contamination est pratiquement nulle. Dans le cadre d'un protocole soutenu par l'ANRS nous avons proposé cette démarche aux couples. Ils y ont adhéré avec enthousiasme au point que de très nombreux couples n'ont pu être inclus dans ce protocole qui prévoyait un nombre limité de prises en charge.

La difficulté tient au fait qu'un arrêté publié par le Secrétariat d'État à la Santé n'autorise la réalisation d'AMP pour ces couples que dans le cadre de protocole de recherche répondant aux exigences de la loi Huriet. Devant la très grande difficulté à trouver des promoteurs pour ce type de recherche, les couples concernés ne peuvent être pris en charge médicalement actuellement en France. Ils sont conduits soit à aller à l'étranger, soit à procréer naturellement avec tous les risques que cela comporte. Ceci est d'autant plus regrettable que, d'après la loi, l'AMP a pour objet d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie particulièrement grave. Ceci est d'autant plus problématique que la réglementation est en l'occurrence inappropriée. En effet, on cherche à régler des problèmes qui concernent l'éthique et la sécurité sanitaire par des protocoles de recherche biomédicale. On peut imaginer que si une agence avait existé, elle aurait pu traiter le problème dans les meilleurs délais et proposé les solutions adaptées dans les meilleures conditions éthiques, médicales et techniques souhaitables en liaison avec le Comité Consultatif National d'Ethique et le Conseil National du SIDA.

La situation est encore plus aiguë quand c'est la femme qui est séropositive et que, par ailleurs, un problème de stérilité exige le recours à une AMP pour qu'elle puisse devenir mère. Dans ce cas, il n'y a pas de problème de recherche. Les seules questions concernent la sécurité sanitaire (il faut des locaux, des équipements et des procédures adaptés pour la manipulation de gamètes et d'embryons à risque viral), et l'éthique (peut-on aider à concevoir un enfant qui pourrait être contaminé au moment de l'accouchement et dont la mère est susceptible de développer le SIDA ?). S'il est répondu positivement à ces questions difficiles sur la base de l'expérience acquise avec les femmes séropositives non stériles et si l'AMP est impossible car elle ne justifie pas de protocole de recherche, on aboutit à une situation discriminatoire pour les femmes stériles séropositives.

Actuellement, tous les couples concernés par cette question sont dans une situation très difficile parce qu'il n'existe aucune possibilité de prise en charge de leur demande.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - En ce qui concerne les 500 couples qui acceptent de donner des embryons à la recherche, je voulais savoir s'il y avait une difficulté quelconque ? Sont-ils conscients de ce que peut être la recherche en matière d'embryons ?

M. Pierre Jouannet. - Je peux vous dire précisément comment cela se passe dans mon centre. Je pense qu'il en va de même dans les autres.

Quand nous conservons des embryons pour un couple, c'est toujours, au départ, en vue de leur projet parental. Puis, nous lui écrivons chaque année pour demander s'il souhaite poursuivre la conservation des embryons. S'il répond oui, cela s'arrête là et il recevra une lettre identique un an après. S'il répond non, nous lui envoyons un deuxième courrier lui présentant les différentes possibilités : soit arrêter la conservation en suivant les termes de la loi même si le délai des cinq ans n'est ni évident ni clair, soit donner les embryons pour l'accueil par un autre couple ou pour des études. Nous précisons que nous sommes à sa disposition pour le rencontrer et lui donner toutes les informations qu'il souhaite.

Dans l'hypothèse où le couple choisit le don pour étude ou pour l'accueil par d'autres couples, nous lui disons qu'il sera contacté ultérieurement, le jour où ces embryons seront susceptibles d'être utilisés comme il le souhaite. Tant que ce n'est pas le cas, ces embryons sont en attente. Ce qui nous importe, c'est que les embryons que nous conservons aient un destin et que cette destinée ce ne soit pas nous qui en décidions mais les couples qui sont à l'origine des embryons. Il nous importe de pouvoir « gérer » le devenir de ces embryons. Ce devenir est fonction du souhait des couples. C'est cela que nous essayons de faire.

Ensuite, nous sommes toujours ouverts aux rencontres, aux discussions et aux échanges et nous répondons à leurs questions.

M. Jean-Luc Préel. - Je souhaiterais juste une précision. Vous avez dit que vous aviez 20 000 embryons congelés conservés dans les CECOS. J'avais en mémoire le chiffre de 85 000 embryons aujourd'hui congelés en France. Quels embryons sont gardés par les CECOS ? Pourquoi les conservez-vous, alors que d'autres centres conservent leurs propres embryons ?

M. Pierre Jouannet. - Ce chiffre de 20 000 est un chiffre approximatif. Il s'agit du nombre des embryons conservés au 31 décembre 1999, car des embryons sont congelés et décongelés à longueur de temps. Il est donc difficile de toujours connaître précisément ce nombre.

M. Jean-Luc Préel. - Confirmez-vous ce chiffre global de 85 000 ?

M. Pierre Jouannet. - Quand vous parlez de 85 000, je pense que vous faites allusion aux chiffres de FIVNAT ou de la Direction Générale de la Santé. C'est sans doute une estimation globale. Il y a vingt-trois CECOS en France et quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-dix centres de fécondation in vitro. Certains centres de fécondation in vitro sont liés à un CECOS à qui sont confiés les embryons conservés, d'autres non. Les CECOS ne gardent donc qu'une petite partie des embryons.

Ce qui me semble important, c'est de savoir comment organiser cette conservation des embryons. À mon sens, deux situations peuvent se présenter : soit les embryons sont inscrits dans un projet parental et les embryons devraient rester dans le centre qui s'occupe des couples concernés ; soit il n'y a plus de projet parental et les embryons ont été donnés pour étude ou pour don. Dans ce dernier cas, je pense que ces embryons devraient être regroupés dans des centres qui auraient en charge de s'occuper des embryons destinés à l'accueil ou à des études.

La législation et la réglementation ne prévoient rien de spécial dans ce domaine. C'est ainsi qu'actuellement, les embryons restent dans les centres où ils ont été congelés au départ.

M. Bernard Charles, président. - Nous vous remercions. Votre audition nous a permis de faire le point et d'avoir un avis de praticien au quotidien de ces problèmes.

Audition de Mme Nicole QUESTIAUX,

présidente de la Commission nationale

de la médecine et de la biologie de la reproduction

et du diagnostic prénatal

(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 juillet 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M.  Bernard Charles, président . - Je suis très heureux, à titre personnel, de vous accueillir. Vous me permettrez, même si l'on s'habitue à parler de la CNMBRDP, de parler plus simplement de « la Commission ».

Dans son rapport d'activité pour 1997-1998, la commission a procédé à une évaluation des lois bioéthiques de 1994. Comme vous le savez, nous en sommes aux premiers travaux parlementaires en vue de la révision de cette loi. Votre audition est donc tout à fait bienvenue, d'autant que les deux premiers thèmes abordés par notre mission sont la recherche sur l'embryon et la pratique de l'assistance médicale à la procréation, l'AMP.

Nous accordons également beaucoup d'attention au rôle de votre commission et aux moyens d'action dont elle dispose. La semaine dernière, vous le savez certainement, nous avons reçu votre collègue qui préside la Human Fertilization and Embryology Authority britannique, Mme Ruth Deech, et nous avons été particulièrement intéressés par l'exposé des compétences et des moyens qui sont les siens.

Le réexamen des lois bioéthiques pourrait être l'occasion de renforcer les moyens de la Commission, voire d'étendre ses capacités d'encadrement et de contrôle. Vous pourrez nous dire quels seraient, selon vous, la meilleure façon d'y parvenir. Je donne la parole à notre rapporteur, M. Alain Claeys qui présentera les orientations qui sont les nôtres et l'esprit dans lequel vous pourriez intervenir. Je vous remercie encore de votre présence parmi nous.

M. Alain Claeys, rapporteur. - À mon tour de vous remercier, Madame, d'être une nouvelle fois devant notre mission. Vous l'êtes aujourd'hui en tant que présidente de la Commission nationale de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal. Notre mission a parfois tendance à aller trop vite en se projetant dans l'avenir et en imaginant le futur projet de loi ou en disant que l'on va créer une agence. Nous pensons en effet qu'il s'agit là d'un sujet important. Sans doute faut-il auparavant réfléchir sur la commission que vous présidez et pour bien préciser les choses, il serait utile que vous puissiez nous rappeler sa composition, le pouvoir réel et les moyens dont elle dispose, ses activités, les règles relatives à la sécurité sanitaire et nous dire si, alors que dans son rapport d'activité pour 1996, elle a relevé que les dossiers de demande d'autorisation étaient parfois vides, hâtivement remplis, désinvoltes, ce jugement serait encore porté aujourd'hui.

Puis, lorsque vous nous aurez parlé de la Commission, de son fonctionnement, de ses rapports avec le ministère, de ses rapports éventuels avec le comité d'éthique, nous serions intéressés de savoir ce que seraient, selon vous, les améliorations à apporter. Pourriez-vous nous dire quel type de structure vous paraîtrait la plus appropriée ? Une telle commission, ou agence, devrait-elle avoir des relations privilégiées avec l'exécutif ? Dans l'éventualité de la création d'une agence ou d'une structure contrôlant et évaluant l'AMP et la recherche, celle-ci devrait-elle avoir des liens avec le pouvoir législatif ?

Mme Nicole Questiaux. - Je préside cette commission, dont je dois avouer que je me trompe moi-même parfois dans l'ordre des lettres, depuis avril 1999. Elle est, comme vous le savez, très concernée par votre problème de révision. Au fond, j'arrive devant vous à un moment où votre mission commence à être assez « calée » sur le sujet et je suis donc contente de pouvoir vous parler de son fonctionnement alors que le sujet n'est pas nouveau pour vous, particulièrement contente de parler après l'audition de nos collègues britanniques, car il y a là un contrepoint qui m'intéresse beaucoup.

La Commission a délibéré sur la révision et vous avez lu l'essentiel de son avis, mais vous avez certainement noté que cet avis, qui avait été porté à la connaissance des nombreuses instances qui se sont prononcées en faveur de la révision, a été très largement repris par elles. Autrement dit, ce qui figure dans les propositions du Conseil d'État en ce qui concerne des réformes, importantes, à apporter trouve ses racines non pas dans une autocritique, mais dans une analyse que la Commission faisait elle-même d'un certain nombre de difficultés. Pour simplifier, je dirai qu'il n'y a pas plusieurs modèles de réforme envisageables, qu'il vous faudrait combiner, car il existe en réalité un accord d'ensemble sur la plupart des modifications techniques. Si vous reprenez, grosso modo, le rapport du Conseil d'État, à quelques nuances près, vous êtes sur une ligne assez sûre car il n'y a pas de profonds désaccords. C'est un point fort important.

Je voudrais centrer ma contribution à la réflexion du Parlement sur trois thèmes : la mission qui a été conférée en 1994 à cette commission et les principes sur lesquels elle se fonde ; les leçons de son expérience et de son fonctionnement ; et l'évolution vers le nouveau dispositif.

Si l'existence de la Commission figure dans la loi et si celle-ci prend soin de déterminer en détail les grandes lignes de sa composition et d'entrer dans de grandes précisions en ce qui concerne son rôle - je ne vais pas vous relire l'article L.184-3 du code de la santé publique qu'il s'agit de réviser, mais vous avez fait immédiatement allusion au degré de précision dans lequel on est entré - c'est que la Commission est vue comme une garantie des principes que le législateur veut faire prévaloir, et que ces principes demeurent tout à fait pertinents malgré l'évolution des sciences et des pratiques depuis cinq ans. Ce n'est pas neutre, ce n'est pas un choix dépourvu de portée que les gens ne puissent pas faire exactement ce qu'ils veulent en matière d'assistance à la procréation et que les praticiens intéressés ne puissent agir que dans un cadre réglementé.

Malheureusement pour ceux qui ont à rédiger les textes, une partie de la lourdeur de notre système est, je crois, inévitable. En effet, le choix français qui est de dire que ce sont des actions qui relèvent du domaine médical et non de la convenance, non de l'autonomie de la personne, que ce sont des actes qui ne peuvent donc être accomplis qu'à des fins de diagnostic ou de réponse thérapeutique à la stérilité, que le souci de l'enfant à naître, constamment, commande tout le dispositif, ce choix fait qu'il y a un encadrement. S'il y a un encadrement, on est obligé d'avoir, du fait même de l'intervention du législateur, une commission dont la composition présente des garanties et dont le rôle est très précisément déterminé.

De tout ce que j'ai entendu du débat de révision qui est déjà largement engagé, même s'il ne l'est pas encore devant le Parlement, je n'ai pas l'impression que la révision sera l'occasion de changer le socle des principes concernant l'AMP. Finalement, il ne s'agit pas d'une révision déchirante : l'approche médicale de l'AMP n'est pas en cause. Par conséquent, nous continuerons d'être devant un domaine qui doit être réglementé. Mon opinion personnelle, qui répond tout de même à une réflexion, est que pour le moment, dans notre pays, les parents et les praticiens acceptent la réglementation de ces activités.

J'ai dit que j'y ai réfléchi parce qu'il est clair qu'il existe des attitudes tellement différentes à l'égard de ces problèmes dans d'autres pays, poussés vers une plus grande autonomie, un plus grand libéralisme, qu'il fallait tout de même se poser la question. L'équilibre un peu paternaliste qui est propre à l'organisation de ces activités en France semble, pour le moment, accepté par les gens qui se mêlent de ces questions. Est-ce que, dans le tréfonds des consciences, la moindre femme, le moindre couple se trouve bien de ce parcours du combattant qu'est l'AMP ? Je n'en suis pas absolument pas sûre mais, en tout cas, du côté de la Commission nous n'avons vu aucune suggestion du genre : « Éloignez de nos lèvres ce calice et réduisez cet encadrement. »

Tout le monde raisonne même comme s'il était question de le renforcer, avec l'extension à la recherche sur l'embryon. Il est certain que le développement un peu anarchique de l'ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) a plutôt conforté l'idée que puisque l'on réglemente l'AMP, il faut la réglementer dans son entier et, par conséquent, éventuellement ajuster le texte pour tenir compte des nouveaux développements qui pourraient survenir.

En l'absence de contestation, ce système est appelé à demeurer. Il nous faut donc en confier l'exercice à une commission indépendante. Tout de suite se pose la question de sa composition. Les deux pôles autour desquels s'articulent cette composition - la notion d'expérience des professionnels et la justification de son indépendance - conduisent à une composition inévitablement assez lourde. D'où ce dispositif prévoyant quarante personnes, qui n'ont pas exactement la même formation
- nous avons deux formations de travail : assistance à la procréation et diagnostic prénatal - avec les grands équilibres que l'on connaît bien : les professionnels, toutes les administrations qui veulent être là et toutes les personnalités prestigieuses, toutes nommées par des gens plus prestigieux les uns que les autres. C'est ainsi que nous arrivons à cet équilibre que vous connaissez bien.

Je ne vous cacherai pas qu'après un an d'exercice, j'ai finalement beaucoup de sympathie pour cette commission. Je n'avais pas envie, pour ma part, de présider une commission de professionnels. Je me méfiais beaucoup. Je me méfiais de ce qui est évident dans des commissions de professionnels : le malthusianisme, les chapelles, etc. Je vous dis très sincèrement qu'elle me fait assez bonne impression. Je crois que c'est parce qu'il s'agit de disciplines jeunes où le rapport avec les parents est tellement présent. Ce n'est pas exactement la médecine ultrascientifique à grand pouvoir ; c'est plus une médecine à dimension familiale. Les praticiens ne rechignent pas devant tout ce qui a trait à l'expression du consentement, ils y sont très habitués, c'est pour eux très important. Ils sont modestes dans leur rapport avec la famille. Le résultat donne des gens très dévoués qui ne ménagent pas leur temps ni pour faire des rapports ni pour venir. Quand j'ai des problèmes de quorum, je ne vous cacherai pas que c'est parce que M. le représentant du directeur X ou Y a oublié de siéger et non parce que les personnalités ne se sont pas dérangées.

Donc, quelle que soit l'évolution future, je n'ai rien contre cette conjugaison. Ce qui manque peut-être, c'est la composante société civile. Nous n'avons qu'un seul représentant des associations familiales. On pourrait vivre avec quelques laïcs, quelques civils plus nombreux, moins de personnalités et plus de personnes du tout venant, mais je pense pour le moment que l'on peut faire assez confiance à ces professionnels, à cet amalgame pour continuer à bâtir sur ce système.

J'apporterai néanmoins une réserve. Ce sont des sciences jeunes et, par conséquent, tous les inconvénients du recours aux professionnels ne se sont pas installés. L'un des problèmes que nous rencontrons est que nous arrivons cette année au premier renouvellement des autorisations. Je vais y revenir dans un instant à propos des questions de fonctionnement.

Quels ont été les problèmes de ce point de vue ? Je ne parlerai pas de ce qui fonctionne bien, je vous parlerai très franchement de ce qui est difficile, étant entendu que cette commission fait de façon très diligente et honnête le travail d'une bonne commission administrative, c'est-à-dire que nous rendons des avis comme une bonne commission qui fonctionne correctement. Où rencontrons-nous des difficultés ?

D'abord avec les règles que nous devons appliquer, dont on ne peut nier la minutie et la lourdeur. Ce n'est pas le travail du Parlement que d'aller regarder les décrets mais vous étiez déjà obligés de mettre pas mal de choses dans la loi sur la compétence de la Commission et sur les conditions dans lesquelles l'AMP pouvait être autorisée. Or, les décrets ont toujours tendance à en rajouter un peu. Non pas que le décret soit contraire à la loi, mais s'il peut mettre un mot de son cru...

Le résultat est, par exemple, que certains d'entre vous vont me demander de parler de l'embryon et que je ne vais pas le faire pour la bonne raison que le texte sur l'accueil de l'embryon, pour ne citer que celui-là, a été pris avec un tel retard que la Commission n'a pas d'expérience en ce domaine. Je ne peux donc rien dire à ce sujet au Parlement au terme des cinq ans parce que nous n'avons pas pu appliquer la loi sur ce point. C'est la raison pour laquelle j'écoutais avec intérêt M. Pierre Jouannet lorsqu'il se demandait s'il n'y aurait pas besoin d'un peu plus de pouvoir discrétionnaire et de souplesse dans la mise en _uvre de la loi.

Nous avons réagi. C'est ainsi qu'un guide de bonne pratique, dont les praticiens et les intéressés semblent assez satisfaits, a été établi par la Commission. On sent bien que, dans ce domaine, il faut se méfier de tout renvoyer au décret en Conseil d'État et qu'il faut essayer de trouver des mécanismes, des procédures et des personnes qui conservent tout de même une petite marge de jeu, non pas sur les droits des personnes, non sur le point de savoir qui a ou non le droit d'accéder à l'activité, mais, par exemple, sur ce que sera, à l'avenir, le bon réseau, la bonne liaison. Par exemple, nous devons accorder actuellement les autorisations à un établissement déterminé et toute la médecine est en train d'évoluer pour fonctionner en réseau. D'ici cinq ans, nous serons gênés parce que la vision géographique des services ne sera plus appréhendée de la même manière.

La deuxième difficulté à laquelle nous nous heurtons est l'ampleur de la tâche à accomplir. Depuis le mois d'avril, nous nous sommes réunis vingt-trois fois. Ce sont des réunions qui durent la journée entière. Nous avons examiné en formation plénière onze demandes d'étude sur l'embryon, neuf demandes d'autorisation pour pratiquer le diagnostic biologique - je vous indique à ce propos qu'il n'existe actuellement que trois établissements autorisés à pratiquer le diagnostic préimplantatoire - cent vingt demandes d'autorisation et d'agrément pour pratiquer les activités biologiques ou cliniques d'AMP sur lesquelles nous avons donné soixante-dix-neuf avis favorables et nous avons examiné près de soixante-dix demandes pour le diagnostic prénatal sur lesquelles nous avons rendu quarante avis favorables.

Nous travaillons beaucoup. Les dossiers qui sont préparés par les services font, dans tous les cas, l'objet d'un rapport par l'un des membres de la Commission. Les questions les plus difficiles donnent lieu à des groupes de travail et ces praticiens, qui ont autre chose à faire, se dérangent pour venir à Paris assister à ces groupes de travail. J'y reviendrai.

Or, quand vous pensez que cette année, nous en arrivons à devoir renouveler toutes les autorisations dont la durée est venue à terme, je vous dirai très franchement que je ne sais pas très bien comment je vais passer l'hiver car ce ne sera pas une fois par mois, mais certainement tous les quinze jours qu'il faudra prendre une journée entière, voire plus, pour pouvoir « écluser » ce travail.

Il est possible de faire cette tâche équitablement mais pour la remplir, nous disposons de trois personnes dans les services.

La Commission est partagée entre une grande affection et une grande admiration pour ces fonctionnaires qui préparent les dossiers et en même temps - nous n'osons pas le dire pour ne pas leur faire de la peine ou leur causer du tort - nous avons l'impression qu'une responsabilité énorme pèse sur nous. Autrement dit, ce qui manque, c'est le travail technique très approfondi qui nourrirait la Commission et nous permettrait de ne donner qu'un avis. Très souvent, nous sentons qu'en réalité, grâce au savoir-faire des uns et des autres, nous instruisons, nous ajoutons des éléments et nous essayons d'être justes. Mais, moi, qui suis fonctionnaire de métier, quand je pense que je vais renouveler ces autorisations et que notre responsabilité est le suivi de ces autorisations, je vous dirai très franchement que la Commission avant que je la préside n'avait pas les moyens d'un suivi : « c'était zéro ». J'ai personnellement dit au ministère que je ne voulais pas faire les renouvellements sans une campagne spéciale des DDASS. On me l'a promise. Je pense donc que j'aurai un avis des DDASS au moins sur une partie des dossiers à renouveler. Mais c'est vous dire que cela ne ressemble en rien à ce que l'on peut imaginer.

Vraiment, je ne pense pas que le problème soit un problème d'iniquité, d'injustice, de discrimination, car on peut être fair play en procédant ainsi, mais en écoutant M. Pierre Jouannet et tous ceux qui aiment leur métier, je me dis que voilà une science qui arrive à maturation, dont une partie des activités devient relativement banale et une autre au contraire de plus en plus pointue, et l'on ne sait pas comment cela évolue. Comment, sans aller régulièrement sur place et sans suivre les gens de très près, ne pas être malthusien ? Les personnes aujourd'hui autorisées l'ont été avec des formations relativement sommaires, qui étaient celles du début de ces activités. Actuellement, les membres de la Commission réalisent une étude sur les formations disponibles. Ce n'est pas l'administration qui nous fournit une étude sur les formations disponibles, c'est un groupe de travail de ma commission qui est en train de faire le bilan des formations disponibles pour voir quels critères on va retenir, avec un grave problème de conscience que nous allons résoudre dans notre jurisprudence, puisque le système s'étant mis en place on peut désormais être plus exigeant, maintenant que l'on sait qu'il existe de bonnes formations, de bons stages. Mais faut-il soumettre les gens qui sont déjà en place à ces mêmes comparaisons ? Doit-on ne pas les renouveler ? Nous avons donc des cas de conscience sur le degré de technicité, sur l'évolution du secteur. Une partie des activités est soumise à la carte sanitaire, l'autre non. Le double emploi entre nous et la carte sanitaire n'est pas raisonnable parce que dans certains cas, on ne peut s'empêcher d'être influencé par l'idée que ce praticien n'est peut-être pas très bon, mais que dans le fin fond de cette province, il faudrait que des gens fassent des kilomètres pour faire une AMP. On empiète alors sur l'appréciation en termes de carte sanitaire. On essaie naturellement de ne pas le faire trop souvent.

Autrement dit, il manque à cette commission un noyau professionnel spécialisé. Cela m'amène au fait que nous assumons tout à fait l'idée que le pouvoir donné à tout organe qui assumerait cette tâche implique de sa part une appréciation globale et difficile. Des gens sont venus nous dire, surtout quand ils étaient mécontents de nos décisions, que bien sûr, nous regardions l'éthique, mais que puisqu'ils avaient obtenu l'accord de leur hôpital, ils se demandaient de quel droit nous osions affirmer qu'ils ne répondaient pas aux critères exigés. Mais c'est ainsi. Puisque cette régulation existe, elle est obligatoirement le fruit d'une appréciation globale et pas seulement technique.

En revanche, la question à laquelle on n'a pas réfléchi sur le long terme, est celle du degré d'exigence de cette appréciation. Au fond, évoluons-nous vers l'idée que quiconque, ayant obtenu à peu près sérieusement ses diplômes et voulant s'installer devrait y être autorisé, ou, au contraire, parce que cela a trait à la procréation et à des aspects importants du point de vue de l'enfant, faut-il toujours garder un regard sélectif ? Cela relève pour l'instant de la bonne foi, de l'opportunité, de la bonne conscience, mais pas d'une analyse professionnelle et scientifique.

Quels sont nos cas de conscience ?

Placer de petites équipes dans des zones mal desservies où il y aura peu d'activité alors que tout le monde nous dit que pour être au bon niveau dans ces domaines, il faut avoir beaucoup d'activités. Que décider ? Il faudrait que quelqu'un nous aide sur ce point.

Quel équilibre trouver autour de Paris et des grands centres ? Faut-il imposer à tout le monde de faire un diagnostic prénatal pointu à Paris ou, au contraire, faut-il que la grande couronne s'organise ? Ce n'est pas exactement de la carte sanitaire parce que c'est aussi l'appréciation des qualifications.

Qu'en est-il du caractère plus ou moins exigeant de nos seuils, de nos critères ?

Une évolution est donc inévitable. Elle suppose des rapports avec les publics concernés qui - je bats ma coulpe très facilement - ne sont pas aujourd'hui organisés. Évidemment, je pourrais me mettre devant mon ordinateur et faire de la formation toute seule. Mais que devient le rapport avec les parents, le rapport avec les praticiens concernés, la manière de les conduire à comprendre qu'il faut plus de formation, la manière de faire participer à notre activité des gens qui seraient en dehors de la Commission ? Pour certaines affaires litigieuses, difficiles ? Pour les problèmes de consentement, par exemple ? On imagine quantité de solutions astucieuses qui pourraient être organisées si nous avions les moyens mais vous savez très bien que la simple édition de la plus petite plaquette est toute une affaire. Vous ne pouvez pas demander au ministère de la santé, avec les forces dont il dispose, de dégager le demi-emploi qui serait consacré à la politique de formation de la CNMBRDP alors que tout le monde veut en faire dans ce ministère !

J'en arrive à un dernier point qui est important pour votre mission. Je vous disais que, malgré ces difficultés de fonctionnement, nous nous étions imposés de réaliser des études. Une étude porte sur le dépistage de la trisomie 21 par mesure de la clarté nuquale du f_tus, car l'échographie du f_tus fait apparaître des choses très intéressantes pour le diagnostic de la trisomie. Les praticiens de notre commission trouvent que les pratiques échographiques auraient besoin d'être perfectionnées. C'est une piste. Ils se sont réunis, ont travaillé sur le sujet et nous avons envoyé une lettre au directeur de la santé à ce sujet.

Nous sommes également en train de faire une étude sur la formation, je l'ai dit.

Nous tentons donc, « mais c'est du bricolage », de dépasser le jour le jour parce que nous voyons bien qu'il y a là une connaissance du terrain qu'il ne faut pas gaspiller. Mais nous ne sommes pas en mesure de le faire correctement.

Enfin, sauf le cas exceptionnel des études sur l'embryon où nous rendons un avis conforme, notre rôle est consultatif. La décision appartient au ministre. Notre avis est presque toujours suivi. Sur les quelque deux cents affaires examinées sous ma présidence, j'ai eu six avis non suivis, dont cinq parce que finalement la commission qui s'occupe de la carte sanitaire, la CNOS, n'a pas suivi notre avis.

On pourrait considérer que tout se passe bien, qu'il n'y a pas de désaccord latent entre la Commission et les services. Pourtant - je n'ai pas réuni ma commission pour lui redemander dans sa nouvelle composition si elle était favorable à une agence, je vous parle donc à titre personnel - je suis très fermement favorable à la création de l'agence. Je voudrais bien que cela ne soit pas interprété par le Parlement comme une autocritique de la Commission, mais plutôt comme l'expression de notre insatisfaction à sentir que nous avons des atouts, notamment dans cette participation des professionnels, dans le rapport possible avec les parents, et que, par manque de moyens techniques, nous ne pouvons pas créer autour de cette idée de la procréation assistée, de l'embryon, un petit noyau de compétence, d'intérêt, d'information « qui marche ».

Alors, je lorgne évidemment du côté des Britanniques. Pourquoi en Angleterre où ils ne sont pas plus intéressés que nous par ces questions ni plus en avance - c'était plutôt nous qui étions en avance sur eux -peuvent-ils se doter d'une telle structure et nous pas ?

La question est maintenant de savoir quelles peuvent être les objections faites à l'encontre d'une évolution vers une structure « à l'anglaise ». Il en existe plusieurs.

Tout d'abord, je comprends très bien que le ministère de la santé ne voie pas d'un très bon _il le démembrement de ses activités par spécialisation. Apparaît alors l'idée d'une agence qui ne serait pas seulement compétente en matière d'AMP. Mais serait-elle rattachée aux greffes ou serait-ce une agence de l'innovation ? Si vous vous orientez vers cette idée, je pencherai plutôt pour maintenir l'ensemble procréation assistée, DPN, embryon. Mais surtout ne pas le lier aux greffes.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Pourquoi ?

Mme Nicole Questiaux. - Parce que, dans l'esprit des gens, ce n'est pas la même chose...

M. Bernard Charles, président. - De plus, l'Établissement français des greffes a maintenant trouvé son rythme de croisière.

Mme Nicole Questiaux. - Oui, c'est le cas. De plus, ce qui est passionnant dans le domaine qui nous occupe, c'est le rapport tout à fait spécial qui a réussi à s'établir entre praticiens de la santé et public.

M.  Bernard Charles, président. - Spécifique.

Mme Nicole Questiaux. - Spécifique, oui. Assez optimiste, positif...

M.  Bernard Charles, président. - Nous l'avons bien senti.

Mme Nicole Questiaux. - N'est-ce pas ? C'est assez positif.

On n'a pas besoin d'une énorme agence mais d'une structure spécialisée qui ait son propre corps d'inspection. Je comprends très bien que les DDASS qui doivent déjà aller voir les plages, ne puissent faire plus que ce qu'elles font. Où voulez-vous qu'elles trouvent le temps ? Finalement, nous avons envie de vérifier si les rapports avec les parents sont satisfaisants. Pour cela, il faut bien passer un jour sur deux sur place. Il faut regarder comment cela marche. Lorsqu'on entend dire qu'il y a une liaison entre les différentes spécialités, on peut se demander si celle-ci est véritable. Tout cela, je ne vois pas comment le faire sans être disponible. Très honnêtement, je considère que l'opération de renouvellement que je dois mener à bien - et malheureusement pour moi, la révision des lois ne va pas arriver en temps utile pour ce renouvellement - n'est pas bonne parce que je ne peux pas me fonder sur une connaissance suffisante et, par conséquent, donner un avis.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Pourquoi une agence ? Ce mot agence apparaît aujourd'hui dans de nombreux domaines, dont celui que nous étudions, comme une solution miracle. S'agit-il d'un principe de précaution pour l'État ?

Mme Nicole Questiaux. - Non, c'est pour que ce ne soit pas présidé par un président de section honoraire au Conseil d'État donnant un avis au ministre. C'est tout. Un président de section honoraire, ce n'est pas cher, c'est bien tranquille, on en trouvera régulièrement, cela ne casse pas la tête, c'est facile ! (Sourires.)

J'ai le regret de dire que pour gérer ce secteur - d'abord, et tant qu'à faire, j'aimerais le gérer plutôt que de le voir une fois par-ci par-là  - ce n'est pas quelqu'un comme moi qui pourrait le faire. Je vois plutôt quelqu'un à temps plein, quelqu'un dont ce serait le métier. Un personnage, venu sans doute du milieu professionnel, mais très intéressé comme l'a été le monde des CECOS par le rapport avec le public - car c'est cela qui est satisfaisant avec eux - et qui en fasse son _uvre, qui anime ses inspecteurs, etc.

Deuxième grande question : cette agence serait-elle consultative ou délivrerait-elle les agréments ? Je sais bien que lorsque vous irez devant le Conseil d'État, pour en revenir à lui, il sera plus facile de dire qu'elle ne donne que des avis. Pour ma part, cela ne m'arrange pas tellement de donner des avis suivis à 100 % par le ministre parce que j'aimerais bien savoir, le jour où nous aurons donné les uns et les autres un mauvais avis, à qui sera attribuée la responsabilité de la faute. C'est assez désagréable. En réalité, je sais bien que si je souhaite « barrer » ou « prendre » une personne, en tant que président de la Commission, si je le veux, je le peux. Je n'aime pas le faire, je ne le fais pas, mais je sais aussi que compte tenu des enjeux professionnels, des gens qui ont investi leur vie dans ce secteur... Dans d'autres secteurs de la médecine, vous pouvez vous livrer à de nombreuses activités beaucoup plus dangereuses que celle-là sans passer par ma commission. C'est tout de même quelque chose de très sérieux « d'embêter » ainsi et les familles qui veulent avoir des enfants et les praticiens qui veulent exercer ce métier.

Nous sommes peut-être très satisfaits de ce système à la française. Moi, je trouve qu'il n'est pas moderne.

M.  Bernard Charles, président. - Cela a le mérite d'être clair.

Mme Yvette Roudy. - Nous vous remercions, madame Questiaux. On vous écoute toujours avec beaucoup d'intérêt. Ce que vous nous racontez est toujours très captivant et j'ai beaucoup appris. En fait, cette commission est très peu connue. J'ai découvert son existence il y a très peu de temps. Je connaissais le comité national d'éthique, mais je ne connaissais pas du tout l'existence de cette commission.

J'apprends qu'elle a été créée en 1989. J'ai relevé que le secteur médical y était très présent, regroupant des professionnels « prestigieux », parce qu'il n'est pas question de laisser ces avis à je ne sais quelle convenance personnelle et qu'y domine le souci de l'enfant à naître. Je souhaiterais, peut-être cela existe-t-il, mais je ne vous ai pas entendu en parler, qu'un autre principe la guide en miroir, si je puis dire, du souci de l'enfant à naître, celui du souci de l'équilibre des couples et celui de la santé des femmes, qui représentent un « matériel » humain sans lequel rien ne se ferait. Les couples sont là, utilisés, se prêtant au jeu, complètement volontaires, mais il me semble qu'on ne les prévient pas suffisamment de ce qu'est cette aventure, cette course d'obstacles. Chaque fois que l'on traite de ce sujet, on évoque les effets de la stimulation ovarienne. Celle-ci n'est pas sans conséquence sur la santé et l'équilibre des femmes. On pourrait un jour demander à quelqu'un de venir nous préciser ce que cela peut provoquer sur la santé.

Donc, un grand souci de l'enfant à naître, c'est très bien, mais il faut aussi un souci de l'équilibre des couples et de la santé des femmes.

Vous dites que la Commission fonctionne bien, que vous vous entendez très bien, que vos avis ne sont pas contestés et qu'il ne faut pas trop toucher à la loi telle qu'elle est, d'après ce que j'ai compris...

Mme Nicole Questiaux. - Sur les principes, pas sur l'organisation.

Mme Yvette Roudy. - Cependant, la loi actuelle a tout de même des effets que plusieurs personnes ont été d'accord pour regretter. Je pense entre autres à ce qui a donné lieu à l'affaire de Toulouse, cette histoire d'embryon congelé dont on a refusé la restitution à la mère, le père étant mort lors d'un accident. Cette position a choqué beaucoup de monde, cela nous a été dit ici par plusieurs intervenants. C'est une solution voulue par le législateur puisque la loi dispose que l'on ne peut pas faire d'enfant orphelin.

Quant à la composition de cette commission, j'entends parler du corps médical et de l'expérience professionnelle qui doit être très importante, de la présence de l'administration, de celle de personnalités. Mais qu'en est-il de la société civile dans tout cela ? Ces questions ne sont-elles pas justement trop sérieuses pour être abandonnées dans les seules mains de la profession médicale ? Je ne sais pas. Vous avez tout de même dit que se posaient des problèmes d'éthique : un médecin n'est pas forcément la personne la plus qualifiée pour émettre un avis éthique.

On entend souvent autour de nous, récemment encore, un médecin ou un savant se mêler d'éthique et dire avec une grande autorité ce qu'il faut faire ou ne pas faire, ce qui est bien ou pas pour telle ou telle personne. On est en train de sortir de cette conception dont vous avez dit qu'elle avait un petit relent « paternaliste », j'ai noté le mot. Je pense quant à moi qu'il reste un très fort relent patriarcal. Comment réorienter la loi ? Telle est ma question.

Mme Nicole Questiaux. - Sur la composition, la loi dispose que la commission « comprend des praticiens désignés sur proposition de leurs organisations représentatives, des personnalités choisies en raison de leurs compétences dans les domaines de la procréation, de l'obstétrique, du diagnostic prénatal, du conseil génétique et du droit de la filiation, des représentants des administrations et des ordres ainsi qu'un représentant des associations familiales. »

Ensuite, dans le décret d'application, vous trouvez comme membres de droit pratiquement tout ce que vous pouvez trouver comme directeurs, c'est-à-dire que vous avez neuf membres de droit, auxquels s'ajoutent un représentant du comité d'éthique, un représentant des associations familiales, un médecin inspecteur d'une direction régionale, un pharmacien inspecteur, une autre personnalité scientifique, un spécialiste du droit de la formation, un praticien ayant une formation en génétique humaine.

Si vous voulez mon impression, le futur organe devrait augmenter la participation du public. Ceux qui sont là sont à leur place, qu'ils soient nommés par les professionnels ou désignés en tant que personne qualifiée ou scientifique. Il en faut. Mais ne compter qu'un représentant des associations familiales, c'est beaucoup trop étroit pour introduire la notion du public. Depuis que cela a été rédigé, on se demande comment faire participer le public de façon beaucoup plus importante à ces questions.

M.  Bernard Charles, président. - C'est tout à fait logique.

Mme Nicole Questiaux. - Le Parlement pourrait réfléchir sur ce point.

M.  Bernard Charles, président. - Si l'on crée une agence, il faut en effet élargir sa composition.

Mme Nicole Questiaux. - Il faut l'élargir, tout en lui laissant sa technicité.

M.  Bernard Charles, président. - Y a-t-il d'autres questions ?

M. Claude Evin. - Aucune, sinon de formuler un avis positif sur les appréciations de Mme Nicole Questiaux quant au rapport entre l'agence et le ministère. Pour avoir été à l'origine de la création de cette commission et en regardant les dix dernières années, je peux dire que l'on a beaucoup évolué sur ces sujets...

Mme Nicole Questiaux. - Oui, c'est fou !

M. Claude Evin. - ... pas seulement dans le domaine de la représentation des usagers que vous venez d'évoquer, mais aussi en ce qui concerne le rapport avec une administration dont la responsabilité doit être une responsabilité de réglementation. Mais devant l'évolution des techniques qui sont de plus en plus complexes, il est évident que les réponses ne pourront pas seulement être des réponses réglementaires ou législatives. Nous avons donc besoin d'une autorité indépendante car il faut qu'elle puisse prendre une décision qui puisse être opposable si nécessaire, et qu'à ce moment-là, elle le fasse en toute autonomie. C'est une évolution qui doit concerner ces sujets. Personnellement, vos propos ne me choquent absolument pas.

M. Bernard Charles, président. - Même sur la création d'une agence, l'appréciation de l'administration a changé par rapport à ce qu'elle était lors de la création des premières d'entre elles. On avait alors l'impression que, pour l'administration, il s'agissait seulement de structures qu'on lui enlevait. Je me rappelle d'un ministre des affaires sociales, qui n'était pas de la majorité actuelle, qui y était très opposé et qui, deux ou trois ans après, voyant le professionnalisme avec lequel elles fonctionnent, reconnaissait que cela constituait un progrès et marquait une heureuse évolution, que ce soit en termes de technicité, d'indépendance, etc.

Lorsqu'on voit les moyens de la DGS, lorsqu'on voit les moyens des pharmaciens inspecteurs, des médecins inspecteurs sur le terrain, Madame la présidente, vous aurez du travail pour disposer des rapports qui vous permettent d'analyser les données dont vous avez besoin.

Mme Nicole Questiaux. - C'est sûr.

M.  Bernard Charles, président. - Nous vous remercions, excusez-nous de vous avoir fait travailler pendant ce mois de juillet.

Audition de Mme Marie-Odile ALNOT,
médecin en biologie de la reproduction

(Extrait du procès-verbal de la séance du 6 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Mme Marie-Odile Alnot, médecin en biologie de la reproduction à l'hôpital Necker-Enfants malades.

Nous sommes heureux, madame, de vous accueillir et nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Outre vos activités hospitalières, vous assurez un enseignement universitaire en biologie de la reproduction et nous connaissons vos écrits en matière d'éthique biomédicale.

Notre mission a choisi d'organiser ses travaux en procédant à des auditions thématiques. Parallèlement, le Gouvernement prépare un projet de loi tendant à réviser les lois bioéthiques de 1994. Nous avons commencé à aborder le thème des techniques et des pratiques de l'assistance médicale à la procréation en recevant M. Pierre Jouannet, directeur du Centre d'études et de conservation des _ufs et du sperme humains (CECOS) de Paris-Cochin et président de la Fédération des CECOS. Nous avons souhaité compléter cette approche par un bilan de la pratique des techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP).

Nous avons décidé de retenir le même champ de réflexion que le Conseil d'État dans son rapport sur les lois de bioéthique et notamment les six points qui font l'objet de discussions. Certaines questions auxquelles nous avions dû faire face en 1994 se posent toujours et sont, d'ailleurs, réapparues au fil de nos auditions. Aussi attendons-nous un éclairage de votre part sur le pouvoir de décision confié à l'équipe médicale - qui peut avoir une obsession des résultats et certaines personnes auditionnées pensent d'ailleurs que les risques de l'AMP, notamment pour la femme, sont parfois minimisés - mais aussi sur la prise en compte de l'intérêt de l'enfant et sur le transfert d'embryons post mortem.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Je vous remercie, madame, d'avoir accepté notre invitation. Nous souhaiterions plus particulièrement aborder avec vous les sujets suivants : les pratiques et les techniques en matière d'AMP, mais aussi le don de gamètes et le problème des embryons surnuméraires.

En ce qui concerne la pratique de l'AMP, quel est votre sentiment sur les conditions médicales et sociales du recours à l'assistance médicale à la procréation ? Comment les jugez-vous aujourd'hui ? Doivent-elles être élargies et, si oui, de quelle façon ? Par ailleurs, comment expliquez-vous que ce soit en France - et dans d'autres pays comme Israël ou l'Autriche - que le recours à l'AMP est le plus élevé ? S'agissant de l'information des couples, comment la jugez-vous aujourd'hui et comment l'accompagnement de ces couples pourrait-il être amélioré ? Pouvez-vous également nous dire combien coûte en moyenne une AMP réussie et quelle part est remboursée par la sécurité sociale ? Par ailleurs, considérez-vous que la distinction entre activités cliniques et biologiques peut faire obstacle à la constitution de réseaux pluridisciplinaires ? Concernant les techniques de l'AMP, je souhaiterais dans un premier temps connaître votre sentiment sur l'injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI). Enfin, pouvez-vous nous donner une estimation du nombre des embryons surnuméraires ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les parlementaires, je vous remercie de me recevoir mais je suis un peu ennuyée par les questions que vous me posez, notamment sur l'ICSI : en effet, je ne pratique pas la procréation médicalement assistée avec fécondation in vitro.

Je suis responsable depuis 1977 du CECOS de l'hôpital Necker et mon activité quotidienne porte sur le don de gamètes, c'est-à-dire de sperme mais aussi d'ovocytes depuis 1986, et surtout sur la conservation des gamètes, essentiellement du sperme et depuis peu des tissus germinaux. Je me sens donc mal à l'aise pour vous parler de l'ICSI, technique de fécondation in vitro qui, je le reconnais, est de plus en plus employée. Il s'agit, selon moi, d'une bonne technique car elle évite à de nombreux couples d'avoir recours à un don de gamètes. Cependant, certains couples en ont peur car elle n'a pas été validée. Il me semble que dans la loi, il est indiqué que le don est un recours ultime et je pense qu'il faudrait laisser aux couples, après une bonne information, le choix de la technique qu'ils souhaitent employer. Ainsi, à l'hôpital Necker, certains couples refusent la micro-injection pour opter délibérément pour un don de gamètes, tout au moins un don de spermatozoïdes.

Je vous parlerai donc essentiellement de mes activités - et ce d'une façon très pragmatique car la loi ne résout pas les problèmes quotidiens - et tout d'abord des gamètes et des tissus germinaux que l'on garde. Il s'agit d'une activité préventive de la stérilité, qui a été complètement oubliée par la loi de 1994 et qui n'est donc pas réglementée. Il ne s'agit pas d'une activité d'assistance médicale à la procréation, puisque est concernée, non pas un couple, mais une seule personne : celle qui nous confie la garde de ses gamètes ou de ses tissus, testicules ou ovaires, qui peut être majeure ou mineure. L'assistance médicale à la procréation ne sera qu'un mode éventuel d'utilisation : en effet, on pense dans l'avenir pratiquer des greffes ovariennes.

Il conviendrait donc que cette activité soit spécifiquement reconnue et que l'on différencie les tissus germinaux et les cellules germinales des tissus somatiques. Je crois, mais je ne suis pas juriste, que la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux ne leur serait ainsi peut-être pas applicable. Il s'agit d'un sujet auquel vous devez absolument vous intéresser car nous ne transformons rien : nous conditionnons pour garder.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Madame, la mission n'étant pas uniquement composée de médecins, pourriez-vous préciser les choses pour éclairer l'ensemble de ses membres.

Mme Marie-Odile Alnot. - L'objectif est de conserver des gamètes mais on sait également conserver des fragments de testicules ou d'ovaires. Le but de cette pratique est essentiellement de sauvegarder la fertilité d'adultes jeunes, voire de mineurs, qui vont subir une chimiothérapie ou une radiothérapie et qui risquent ainsi de devenir stériles. Cette stérilité n'est pas nécessairement définitive : cela dépend des drogues employées, un facteur individuel intervenant en outre.

Cette activité est en grande expansion dans les CECOS. Nous avons de plus en plus de demandes, le corps médical étant bien informé, qu'il s'agisse des cancérologues ou des urologues. Je vous suggère donc de vous intéresser à cette activité spécifique, afin de la réglementer avec les mêmes objectifs que pour les tissus somatiques : une autorisation pour les seuls établissements publics de santé et organismes à but non lucratif - j'insiste sur ce point car il s'agit de conservations de très longue durée - et des critères sanitaires de garde, de délivrance et d'utilisation.

Le second sujet dont j'aimerais vous parler et qui me tient beaucoup à c_ur, c'est le sort des embryons congelés avant 1994. Le CECOS de l'hôpital Necker a en garde plus de 1 500 embryons orphelins, pour lesquels les géniteurs n'ont exprimé aucun choix. Et ce malgré les relances que nous avons mises en place dès 1989. Quatre cent cinquante couples sont concernés : la moitié d'entre eux ne sont plus joignables, car ils n'habitent plus à l'adresse indiquée, et l'autre moitié ne répond pas à nos courriers. Nous pouvons ajouter à ces populations les couples qui se sont séparés, et pour qui l'embryon est devenu l'enjeu de leur désunion, et qui soit ont des avis opposés, soit ne se prononcent pas.

Comment interpréter cette situation ? Pour certains couples, c'est seulement l'expression d'un désintérêt. Mais pour d'autres, c'est surtout la manifestation d'une ambivalence devant un choix difficile : c'est la première fois, dans le parcours de l'assistance médicale à la procréation, qu'ils se trouvent confronter à une réalité, c'est-à-dire à leurs embryons. Et ils doivent, seuls, décider de leur sort ; avant 1994, ces couples n'étaient pas suffisamment informés sur les conséquences de la congélation et donc sur les embryons surnuméraires. Leur silence est un refuge : ils n'osent pas se prononcer. Dernièrement, certains couples ont trouvé un subterfuge : après plusieurs années de silence, ils nous demandent de replacer les embryons alors que la femme a dépassé la quarantaine. À cet âge, la probabilité d'une grossesse est minime, mais ils évitent ainsi de se prononcer soit pour la destruction de l'embryon, soit pour son accueil par un couple tiers.

Que faire, donc, de ces embryons surnuméraires ? Légalement, l'accueil de l'embryon est impossible, même si les couples n'ont pas exprimé d'opposition, le décret relatif à l'accueil interdisant qu'il se fasse à l'insu du couple. Pour ma part, je suggère l'arrêt de la conservation après dix ans de garde - ce qui serait, me semble-t-il, le moindre mal - et ce par référence à l'âge de la femme. En effet, les femmes qui ont recours à l'assistance médicale à la procréation ont en moyenne 33-35 ans et ne sont donc plus, au bout de dix ans, en âge de procréer. Par ailleurs, la prise en charge, avec remboursement à 100 %, est assurée jusqu'à l'âge de 43 ans. D'un point de vue éthique, la destruction me paraît importante car elle éviterait de donner l'éternité à ces embryons orphelins, la conservation par congélation pouvant en effet durer des milliers d'années... Or ce n'est pas le propre de notre statut d'humain d'être éternel ! Par ailleurs, je serais favorable à un arrêt de conservation sans recherche sur ces embryons, car le consentement des géniteurs me semble indispensable si une recherche doit être entreprise. Du fait de l'insuffisance actuelle des contrôles, il s'agirait d'une mesure de simple protection contre leur éventuelle utilisation abusive pour la recherche.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Pouvez-vous préciser votre pensée sur l'insuffisance des contrôles ?

Mme Marie-Odile Alnot. - À l'heure actuelle, la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal n'a aucun pouvoir de contrôle. Elle ne fonctionne que sur les chiffres que nous lui envoyons, or nous pouvons lui envoyer n'importe quels chiffres, nous ne serons jamais contrôlés. Par ailleurs, cette commission ne dispose d'aucun moyen : j'en ai fait partie lorsqu'elle a été créée et nous ne disposions alors d'aucun moyen, pas même d'un secrétariat, mais je crois que mes collègues qui y siègent actuellement vous donneraient le même écho. Elle est incapable de donner des statistiques sur le nombre d'embryons conservés ; seuls les CECOS peuvent donner quelques chiffres. Elle ne donne jamais de chiffres de résultats. Cette structure est le fait de professionnels pratiquant la fécondation in vitro, or il n'est pas normal d'être juge et partie.

Donc, cette commission n'est pas indépendante, elle n'a aucun moyen et, dans le fond, aucun pouvoir. Il serait donc tout à fait souhaitable de créer une agence indépendante, disposant de moyens importants et, surtout, composée de nombreuses personnes émanant de la société civile, car c'est à la société civile de se prononcer sur ce qui est faisable ou interdit.

Mme Yvette Roudy. - Je voudrais revenir sur le problème de l'information des couples prêts à entamer ce parcours difficile et pénible qu'est l'assistance médicale à la procréation. Des associations - la société civile, justement - commencent à s'intéresser à cette question et s'étonnent, d'une part, que les couples n'aient comme interlocuteur que le milieu médical et celui de la recherche et, d'autre part, que le nombre de stimulations ovariennes dépasse ce qui serait raisonnable. Je pense que la loi, en tenant compte des indications des experts, devrait limiter le nombre de ces stimulations : on sait, en effet, qu'au bout d'un certain nombre de tentatives, la troisième ou la quatrième, la santé de la femme est menacée ; il y a même des risques de cancer. Mais les couples engagés dans ce parcours n'en parlent pas entre eux. S'ils en parlent aux médecins avec lesquels ils sont en relation, ceux-ci - qui ont besoin de volontaires - leur affirmeront qu'il faut persister et qu'ils obtiendront des résultats : le taux de réussite fera très bien dans les statistiques ! Cela d'autant que, en France, les tentatives sont très souvent remboursées.

Ne pourrions-nous pas imaginer un lieu - autre que le milieu médical concerné - où les couples pourraient être entendus, un peu comme l'entretien obligatoire avant une interruption volontaire de grossesse. Vous l'avez dit, madame, l'information est fondamentale. Il faudrait donc un lieu neutre où les couples, qui n'y connaissent rien, pourraient obtenir cette information et être suivis tout au long de leur parcours car, sur le plan psychologique, il y a aujourd'hui une sorte d'emprise des médecins.

En ce qui concerne les embryons non réclamés, voilà plus de quinze ans qu'on se demande ce qu'il faut en faire. Or on continue d'en « fabriquer ». Cela devient absurde et, tant qu'on ne sait pas limiter la production d'embryons, il conviendrait de faire un peu attention. Je crois savoir qu'en Grande-Bretagne l'embryon est considéré comme tel à partir du quatorzième jour, alors qu'en France, c'est tout de suite, au « commencement de la vie ». Mais pour ma part, je ne sais pas où se situe le commencement de la vie : c'est une appréciation philosophique et encore une autre interrogation !

Enfin, je voulais attirer votre attention sur l'existence d'un marché qui donne lieu à la commercialisation d'ovocytes. On peut en effet trouver sur Internet des petites annonces rédigées ainsi : « Couple - entrepreneur ou agence - recherche des ovocytes de femmes présentant des caractéristiques physiques spécifiques et des capacités intellectuelles particulières ». Par ailleurs, il m'a été rapporté qu'un trafic était en train de s'organiser du côté des pays de l'Est : on fait venir des femmes originaires de ces pays pour leur prélever des ovocytes.

Mme Marie-Odile Alnot. - En ce qui concerne l'information donnée aux couples avant 1994, je suis assez d'accord avec vous, madame, elle était inexistante. Mais il y a tout de même une grande nouveauté depuis 1994 - et j'espère que cela se pratique dans tous les centres de procréation médicalement assistée -, puisque des entretiens ont lieu non seulement avec les cliniciens, mais également avec les biologistes qui participent à la fécondation in vitro. Il existe des structures pluridisciplinaires et des entretiens systématiques et répétés sont organisés avec des psychologues. Mais il est vrai que cela n'existe pas toujours dans les centres de fécondation in vitro.

Qui peut informer les couples ? Quelqu'un qui a déjà un passé dans la procréation médicalement assistée et qui ferait part de son expérience ? Nous avons essayé de faire des réunions de patients : ce sont des réunions où il y des dominants et des dominés et où rien ne se passe. Voilà ce que je peux vous dire, madame la députée. Je crois qu'un gros effort d'information a tout de même été fait. Mais un couple qui doit avoir recours à une fécondation in vitro, qui désire un enfant et qui est prêt à tout pour l'avoir, est ravi de se soumettre au médecin - lequel dispose d'un pouvoir énorme qui, d'ailleurs, fait peur - et de ne pas avoir à décider. Et si le médecin lui explique qu'en congelant des embryons il aura 10 % de chances supplémentaires - et sans procéder au traitement lourd qu'il redoute et qui n'est pas toujours bien supporté par la femme - il va automatiquement choisir cette solution sans penser à ses conséquences : même si on lui en parle, il vit dans le présent et il est incapable de se projeter dans l'avenir. Les entretiens que j'ai avec mes patients sont toujours très longs - ils durent plus d'une heure - et j'ai pu me rendre compte qu'ils avaient un mal fou à se projeter dans l'avenir. J'ai du mal à aborder certains sujets avec eux, tels que le secret ou l'anonymat : ils sont trop pris par leur désir d'enfant.

Vous avez ensuite parlé, madame la députée, des embryons, considérés comme tels au quatorzième jour par les Britanniques, qui ont en effet décidé qu'il existait un stade antérieur de « préembryon ». Je vous rappelle que ce quatorzième jour correspond à la mise en place des feuillets embryonnaires, que l'on appelle la gastrulation. En revanche, ils ne font pas la distinction, contrairement par exemple à René Frydman, entre ce qui est préimplantatoire et ce qui est postimplantatoire, c'est-à-dire entre le moment où l'_uf est libre et celui où, que ce soit in vitro ou dans les voies génitales féminines, il va se fixer dans l'endomètre. Tout cela dépend des cultures et des croyances : pour moi il s'agit d'un mystère, je ne répondrai donc pas à cette question.

En ce qui concerne le marché des ovocytes, vous avez parfaitement raison, il est en train de se créer. Je voudrais profiter de votre question pour vous signaler que les agréments concernant le don d'ovocytes ne sont pas bien faits : seuls sont agréés celui qui ponctionne l'ovocyte et le biologiste qui va assurer la fécondation. Une structure telle que le CECOS n'existe pas pour le don d'ovocytes. Depuis 1986, le CECOS de Necker intervient en matière de don d'ovocytes, exactement comme pour le don de sperme, et il a été l'un des premiers à le faire : nous sommes en dehors des équipes soignantes mais en intime rapport avec elles puisque nous collaborons au quotidien. Nous voyons tous les demandeurs et les donneuses, et nous sommes responsables de l'attribution et de la gestion. Nous avons donc une espèce d'indépendance à l'égard des soignants et cela est important car, dans cette activité que je connais bien, il faut être neutre et ne pas être influencé par des liens affectifs qui s'établissent systématiquement entre patients et soignants. Pour en revenir au trafic d'ovocytes qui se développe, il est clair que la loi ne devrait pas le permettre, mais vous le savez aussi bien que moi, ce n'est pas parce quelque chose est interdit qu'elle ne se pratique pas.

M. Alain Calmat. - Depuis peu de temps, il est possible de sélectionner, en quelque sorte, le sexe des spermatozoïdes par voie immunologique, donc sans agression cellulaire. Ce pourrait être une technique acceptable, notamment pour identifier le sexe lorsqu'une maladie est transmissible par le spermatozoïde. Que pensez-vous, madame, de cette technique et êtes-vous favorable à son utilisation ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Il s'agit en effet d'une technique non agressive, mais qui peut être dangereuse : tout dépend de sa finalité. Si on en arrive au choix du sexe de l'enfant en dehors de toute démarche de prévention, il faut absolument la condamner : cette technique ne peut être envisagée que dans un but thérapeutique. Mais vous savez bien que, lorsqu'une technique est mise au point, elle est souvent employée par la suite dans un but que l'éthique réprouve. N'oublions pas, par ailleurs, qu'il n'existe aucun contrôle, nous en revenons toujours là. Si un contrôle bien établi existait, le recours à cette technique pourrait, pourquoi pas, être admis dans un but thérapeutique. Mais tant qu'il n'y aura pas de contrôle, je n'y serai pas favorable.

M. Jean-François Mattei. - Je vous remercie, madame, d'avoir souligné l'originalité de la conservation des cellules germinales avant un traitement possiblement stérilisant sur des sujets atteints, par exemple, d'un cancer du testicule. C'est une question que nous n'avions pas complètement abordée en 1994 et que nous n'avions pas tranchée et qui, selon moi, entre tout de même dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, puisque sans conservation médicale il ne pourrait pas y avoir de grossesse en cas de stérilité. L'originalité vient du fait que cela ne concerne au départ qu'une personne et à l'arrivée deux ! Cela veut donc dire qu'il faut prévoir non seulement les conditions spécifiques de conservation au regard de la volonté d'une personne, mais également les conditions de mise en _uvre par rapport à la volonté de deux personnes et, éventuellement, les conditions d'une insémination post mortem, puisque ce cas a posé problème. A mon avis, il s'agit d'un des sujets sur lesquels il nous faut réellement nous pencher et je vous remercie donc, madame, d'en avoir parlé.

Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal. J'en ai fait partie de 1988 à 1998, et je corrobore vos propos : cette commission ne dispose d'aucun moyen et cela ne peut pas durer. C'est la raison pour laquelle je suis plutôt favorable à la création d'une agence.

Je souhaiterais vous poser maintenant deux questions précises. Vous nous avez dit qu'il y avait 1 500 embryons orphelins au CECOS de l'hôpital Necker : combien y en a-t-il qui ne sont pas orphelins ? Ensuite, même si cela relève de la prospective - et c'est d'ailleurs une de mes déceptions - où en est-on de la possibilité de congeler des ovocytes ? En 1994, nous espérions déjà que cela serait possible, et c'est la raison pour laquelle nous avions pris des mesures conservatoires, au sens administratif et biologique du terme, pour une durée de cinq ans. Nous espérions, en effet, qu'au terme de cette période les scientifiques auraient mis au point la technique de congélation des ovocytes. Où en sommes-nous et faut-il que nous nous donnions encore cinq ans avec des mesures transitoires ? Pensez-vous d'ailleurs que cette technique sera un jour possible, soit au niveau des ovocytes, soit à un niveau antérieur ?

Mme Marie-Odile Alnot. - En ce qui concerne les embryons orphelins, ils sont au nombre de 1 563, soit 52,7 % des embryons congelés avant le vote des lois de 1994. Au total nous avons donc 2 965 embryons en garde, sans parler de ceux qui viennent s'ajouter après le vote des lois de bioéthique. Pour ce qui est des embryons orphelins, gardés pour les plus anciens depuis 1986, il est clair que nous n'arriverons pas à retrouver tous les couples.

Parmi ces embryons congelés avant 1994, 12 % ont été donnés pour accueil pour un couple tiers. Par ailleurs, 15 % des couples ont demandé la destruction des embryons et 5 % des couples ont consenti, car on leur avait posé la question avant le vote de la loi de 1994, à ce que les embryons soient destinés à la recherche. Enfin, ce qui est étonnant, 11 % des couples continuent, depuis 1994, leur projet parental.

En ce qui concerne la congélation des ovocytes, je crois que vous êtes repartis pour cinq ans ! En effet, il n'y a pas de progrès, y compris de la congélation au stade du follicule primordial, et malgré ce qui a été réalisé sur les fragments d'ovaires, on n'arrive pas encore à faire maturer ces follicules in vitro de façon satisfaisante.

Mme Bernadette Isaac-Sibille. - Présidant depuis un certain nombre d'années une commission intervenant dans la procédure d'adoption, je suis frappée d'apprendre, par les psychologues, que le plus souvent les personnes qui ont subi trois ou quatre tentatives de procréation médicalement assistée sont réticentes à l'adoption car elles n'ont pas fait le deuil d'un enfant « naturel ». Un entretien après trois ou quatre échecs me paraît donc essentiel, voire obligatoire, sinon nous allons avoir affaire à des parents adoptants qui n'auront pas fait le deuil d'une naissance « naturelle » et qui n'adopteront pas dans les meilleures conditions.

Mme Marie-Odile Alnot. - Je suis tout à fait d'accord avec vous, madame. Les couples ont des deuils à faire et il faut les y aider. Des entretiens systématiques et obligatoires seraient certainement une aide importante.

M. Pierre Hellier. - Il sera tout de même difficile de fixer un chiffre - après quatre ou cinq tentatives infructueuses de procréation médicalement assistée ? - mais il est vrai que cet entretien est certainement nécessaire.

Mme Yvette Roudy. - Je ne sais pas comment sont conduits ces entretiens avec les couples, comment on leur explique qu'un projet parental peut aussi passer par l'adoption... Mais je connais des couples qui sont sortis détruits du parcours de l'assistance médicale à la procréation ; ils ont été pris dans un engrenage pendant dix ans et n'en sont pas sortis. Ils n'osent pas le dire mais on m'a même parlé de harcèlement à certains moments. C'est la raison pour laquelle je pense que des entretiens avec les couples hors du milieu médical concerné seraient une bonne chose.

Mme Marie-Odile Alnot. - Je suis navrée, madame, mais je ne pratique pas la fécondation in vitro. Je ne peux donc que vous parler des entretiens que je mène avec des personnes qui ont un deuil à faire parce qu'elles ne peuvent pas avoir d'enfants avec leurs propres cellules.

M. Jean-Luc Préel. - Je souhaiterais, madame, avoir votre sentiment sur la demande exprimée par des praticiens qui souhaitent que le don au sein de la famille, par exemple le don d'ovocytes entre s_urs, soit permis. Vous qui avez un regard extérieur, que pensez-vous de cette proposition ? Pour ma part, cela me paraît difficilement supportable psychologiquement.

Mme Marie-Odile Alnot. - Je suis favorable à l'anonymat absolu. Vous rendez-vous compte de la dette que les personnes auraient à payer si elles connaissaient les donneurs ou donneuses ? C'est une dette sans prix ; ce n'est pas gérable. En revanche, je suis favorable à ce que l'on dise à l'enfant la vérité sur sa conception, non seulement s'il y a eu don mais aussi en cas de fécondation in vitro sans tiers donneur. Or je pense que ce secret est encore très répandu et que les parents ne disent pas facilement à leur enfant qu'il est né à la suite d'une congélation de X années dans des bonbonnes d'azote liquide et que son aîné est en vérité son jumeau ! Les secrets de famille se distillent, souvent les enfants les perçoivent et, à mon avis, ces secrets de procréation, même quand celle-ci résulte des gamètes du couple, ne sont pas dits.

Mme Catherine Génisson. - Vous avez parlé de 1 563 embryons orphelins, congelés avant 1994, et vous suggérez que, au-delà de dix ans de garde, ils soient détruits sans utilisation pour la recherche. S'agit-il d'une position générale sur les embryons surnuméraires ou concerne-t-elle uniquement les embryons congelés avant 1994, pour lesquels vous considérez qu'il n'est plus possible de demander l'autorisation de les utiliser aux géniteurs ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Nous envoyons une demande à ces géniteurs tous les ans en leur proposant toutes les solutions autorisées avant le vote de la loi de 1994 : destruction, accueil, étude, conservation pour leur projet parental. Or ils ne nous répondent pas : nous n'obtiendrons donc jamais leur accord. Mais il ne s'agit là que d'une proposition personnelle. Devant la situation inextricable dans laquelle nous nous trouvons, il me semble que la destruction est un moindre mal.

M. Bernard Charles, président. - Vous nous avez dit que seuls 5 % des couples avaient donné leur accord pour des études ou des recherches sur embryons : c'est peu !

Mme Catherine Génisson. - Combien de couples sont concernés ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Cela concerne 848 couples et 2 965 embryons. Il ne s'agit là que d'une « photographie » du centre dont je suis responsable.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Quelle est votre position, sous réserve d'une autorisation parentale, quant à une possibilité d'étude et de recherche sur les embryons surnuméraires dans l'hypothèse de l'existence d'une agence ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Vous avez bien dit : dans l'hypothèse de l'existence d'une agence ? Sinon, ma position est ferme : je ne suis pas favorable aux études sur les embryons. Mais s'il y a une agence, effectuant des contrôles indépendants et disposant de moyens, je suis favorable à certaines recherches sur des embryons surnuméraires si le couple a donné son consentement. Certains couples, même s'ils sont minoritaires, considèrent que les embryons sont un « produit biologique », un élément qu'ils peuvent donner pour la recherche.

En revanche, je suis très inquiète en ce qui concerne le clonage. En effet, si pour l'instant on envisage le clonage thérapeutique, vous savez comme moi que, lorsque la technique sera au point, on envisagera le clonage reproductif, d'autant que les barrières éthiques s'effondrent dès qu'apparaissent des intérêts financiers énormes. J'ai donc très peur du clonage thérapeutique sur l'embryon, alors qu'il existe des cellules utilisables chez l'adulte et sur lesquelles les chercheurs pourraient travailler.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Ces recherches sont-elles crédibles selon vous ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Je pense que oui. Simplement jusqu'à présent on ne s'y est pas intéressé, ce qui est dommage puisqu'on a le matériel ! Le clonage actuellement proposé est le suivant : on retire le noyau d'un ovocyte pour inclure celui d'une cellule d'un adulte en vue d'un traitement. Or je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas envisager le clonage des cellules du bouton embryonnaire des embryons, les cellules ES, dont les Américains ont démontré qu'elles étaient pluripotentes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas capables de donner toutes les cellules, notamment germinales, mais qu'on peut les cultiver et qu'elles deviendront un neurone, une cellule cardiaque, etc. Il est tout à fait envisageable de cloner les cellules ES des embryons.

Mme Yvette Roudy. - Des embryons surnuméraires ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Tout à fait.

M. Jean-François Mattei. - Je voudrais attirer l'attention de la mission sur la confusion qui résulte de l'utilisation de termes et de formules, parfois même de raccourcis, qui faussent l'idée que l'on peut s'en faire. L'expression « clonage thérapeutique » est à mon avis une très mauvais formule, car elle confond la finalité et le moyen. Or vous ne pouvez pas dans une seule formule confondre la finalité qui est de traiter, et sur laquelle nous sommes tous d'accord, et le moyen qui est le clonage. Il s'agit donc d'une formule particulièrement critiquable et ambiguë.

Par ailleurs, vous vous êtes certainement rendu compte que le mot « embryonnaire » qui était initialement compris entre les mots « clonage » et « thérapeutique » a disparu. Ce qui fait que l'on ne sait plus s'il s'agit de clonage de cellules embryonnaires - bouton embryonnaire, cellules ES, etc. - ou s'il s'agit de clonage par transfert cellulaire comme dans le cas de la brebis Dolly, dont on ne sait d'ailleurs pas forcément si cette cellule mérite, au sens de l'anthropologie, le qualificatif d'embryon.

Tout à l'heure, madame, vous faisiez référence au distingo opéré par René Frydman, et sur ce point je suis d'accord avec lui. Je crois que nous devons en effet de plus en plus nous appuyer sur la notion d'implantation. Si l'on acceptait l'idée qu'un transfert nucléaire - comme les Britanniques viennent de l'autoriser - est un clonage embryonnaire, de ce fait l'espèce humaine deviendrait une espèce dont la reproduction n'est plus nécessairement sexuée. Il s'agirait donc d'un saut anthropologique et je ne suis pas sûr que l'on ait le droit d'utiliser le qualificatif d'embryon, au sens historique, traditionnel et culturel de ce terme, l'aspect religieux étant mis de côté. En effet, dans l'approche anthropologique, un embryon est toujours le résultat de la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on dit que la vie existe dès la fécondation. Or lorsqu'on procède à un transfert nucléaire, il n'y a plus de fécondation !

Il s'agit là d'une véritable question qui mérite un débat. Et nous devons aller au fond de ce débat. Etre pour ou contre le clonage des cellules du bouton embryonnaire, cela veut dire qu'on respecte ou non la structure embryonnaire fécondée qui peut donner un être humain. Avec le transfert nucléaire, c'est totalement différent car, selon que l'on va implanter ou non la cellule, elle va prendre la valeur d'un embryon. D'ailleurs, vous savez bien, madame, que dans tous les précis d'embryologie, le premier chapitre est relatif au voyage tubaire, qui va de la fécondation dans le tiers externe de la trompe de la femme jusqu'à l'implantation et dure environ sept jours ; ensuite, il y a l'embryogenèse, qui va de l'implantation jusqu'au troisième mois et, enfin, la fétogenèse, qui est la maturation de trois à neuf mois.

On a assimilé la notion d'embryon depuis la fécondation à un moment où l'on ne disposait pas de ces données scientifiques nouvelles qui nous amènent à nous interroger. Je suis de plus en plus convaincu que l'embryon, au sens culturel, ne peut pas dans l'espèce humaine résulter d'un processus asexué. La question se pose donc bien au niveau de l'implantation. La démarche des Britanniques - dont j'ai critiqué la décision, à mon avis isolée et prématurée - s'appuie sur un raisonnement parfaitement fondé : ils s'accordent le droit de réaliser un transfert nucléaire mais pas celui d'implanter. Ils ont simplement déplacé une interdiction.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Cette barrière de l'implantation règle beaucoup de problèmes quant à la question du commencement de la vie.

M. Jean-François Mattei. - C'est vrai pour la religion catholique. Mais, par-delà mes convictions personnelles, j'écoute attentivement les protestants qui ne sont pas dénués de références métaphysiques ainsi que les musulmans et les juifs et j'observe qu'ils ont une conception totalement différente de l'embryon, au sens général du terme, in vitro et in vivo, car l'embryon n'a pas spontanément la même vocation à un développement naturel s'il n'y a pas cette étape volontaire qu'est le transfert pour implantation.

Je pense qu'au moment où nous discutons de ces questions, nous devons essayer de marier nos nouvelles connaissances scientifiques avec le poids culturel que nous portons. Et je crois que dire demain à la population qu'un embryon n'est pas forcément le résultat d'une fécondation est un acte lourd, beaucoup plus que d'expliquer les effets d'un stérilet ou de la pilule du lendemain pour lesquels personne ne manifeste d'opposition car, en définitive, dans l'esprit des gens la première semaine ne compte pas.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Il serait intéressant que la mission, et notre collègue Jean-François Mattei a eu raison de le rappeler, se mette d'accord sur un certain nombre de termes : cela nous évitera, quels que soient nos apports culturels et nos convictions, d'avoir de faux débats entre nous.

Mme Marie-Odile Alnot. - Je voudrais rappeler qu'en embryologie, on parlait d'_uf jusqu'à l'implantation : c'est la fécondation in vitro qui a amené ce terme d'embryon.

M. Jean-François Mattei. - Ce qui ne veut pas dire que l'_uf n'est pas un embryon potentiel, donc une vie humaine potentielle. J'essaie simplement de faire en sorte que l'on puisse s'entendre. J'ai réagi à l'expression « clonage thérapeutique », car je comprends tout à fait que les membres de la mission, qui n'ont pas tous fait des études d'embryologie, se demandent ce que signifie le clonage thérapeutique, le mot embryonnaire ayant disparu, alors qu'on clone des cellules embryonnaires et qu'on appelle embryon quelque chose qui n'est pas fécondé. On ne sait plus où l'on en est !

Il ne faut pas gommer de notre esprit la notion de clonage thérapeutique, car on va cloner des cellules souches adultes dans un but thérapeutique. Le clonage thérapeutique peut donc être réalisé par transfert nucléaire, à partir des cellules du bouton embryonnaire ou de cellules souches prélevées chez l'adulte. Le « clonage thérapeutique » est donc un raccourci que l'on ne peut pas condamner comme cela.

M. Alain Calmat. - Ne pourrait-on pas dire que l'ensemble des cellules qui peuvent être clonées sont soit reproductives, s'il s'agit de cellules totipotentes, soit thérapeutiques, s'il s'agit de cellules pluripotentes, quelle que soit l'origine de la cellule pluripotente, que ce soit une cellule-souche, une cellule ES ou une cellule d'un ovocyte avec transfert nucléaire ?

M. Pierre Hellier. - On vient de faire la différence de manière très claire entre le transfert nucléaire et le recours aux cellules d'embryons. Ne pensez-vous pas, madame, qu'en cas de transfert nucléaire les risques de rejet sont moins élevés ?

Mme Marie-Odile Alno. - Le but de la technique du clonage, qui consiste à enlever le noyau d'un ovocyte et à injecter le noyau d'une cellule adulte, est en effet d'éviter le rejet. Je m'interroge d'ailleurs sur quelque chose qui, à ma connaissance, n'a pas encore été fait : ne pourrait-on pas procéder de la même manière sur les cellules ES de l'embryon, c'est-à-dire enlever le noyau et mettre à la place le noyau d'une cellule adulte. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas faisable.

Mme Yvette Roudy. - Si je comprends bien, cela se fait avec un ovocyte mais pas avec un embryon.

Mme Marie-Odile Alnot. - Tout à fait. C'est ce qui a été fait sur l'animal et qui vient d'être autorisé en Grande-Bretagne.

M. Roger Meï. - Nous venons de parler des embryons surnuméraires, des dons de sperme et des dons d'ovocytes. La loi doit-elle, selon vous, aborder la question de savoir si les couples pourront donner leur accord pour l'utilisation de ces embryons pour la recherche ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Des hommes qui donnent leur sperme pour la recherche, cela a toujours existé : sinon nous n'aurions jamais pu étudier le spermatozoïde et savoir à quoi il servait. En revanche, je doute que l'on trouve beaucoup de volontaires pour donner des ovocytes ! Un tel don nécessite en effet une stimulation ovarienne, une ponction ovocytaire, etc. C'est très lourd ! Mais il est vrai que pour la recherche certaines personnes sont prêtes à tout et pour l'argent sûrement aussi !

M. Yves Bur. - Nous venons d'aborder des questions qui nous permettent de clarifier nos approches. Il me semble essentiel de ne pas en rester là et de nous mettre d'accord sur le sens des termes employés - embryon, _uf, période d'implantation, etc. - afin de rendre notre débat plus clair.

M. Bernard Charles, président. - Madame Alnot, quelle est votre position sur les établissements et organismes autorisés à pratiquer les actes d'assistance médicale à la procréation nécessaires pour l'accueil de l'embryon par un couple tiers ?

Mme Marie-Odile Alnot. - Il s'agit là d'un sujet qui me tient à c_ur, car je constate que ni dans la loi de 1994 ni dans les décrets d'application, il n'est écrit que cette activité ne peut être pratiquée que dans les établissements et les organismes de santé publics et privés à but non lucratif. Ce principe a bien été spécifié pour le don de gamètes, mais pas pour l'accueil de l'embryon. On peut donc être surpris, voire choqué, de la non-application de ce principe : ce serait la première fois qu'un élément du corps humain pourrait « entrer » dans le système libéral.

M. Bernard Charles, président. - Madame, je vous remercie.

Audition de Mme Marina CAVAZZANA-CALVO,
chercheur à l'Unité 429, « Unité de développement normal
et pathologique du système immunitaire » de l'INSERM

(Extrait du procès-verbal de la séance du 6 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd'hui le docteur Marina Cavazzana-Calvo, qui est praticienne hospitalière et chercheur à l'unité U 429, unité de recherche en développement normal et pathologique du système immunitaire de l'INSERM.

Nous sommes très heureux, madame, de vous accueillir. Vous dirigez à l'hôpital Necker-enfants malades le laboratoire de thérapie cellulaire pour le service d'immunologie hématologie pédiatrique ainsi que pour le service d'hématologie adulte. Avec le professeur Alain Fischer, vous avez dirigé l'équipe médicale qui a soigné quatre enfants atteints du déficit immunitaire combiné sévère lié au fameux chromosome X, ce dont la presse a largement rendu compte en relatant la guérison des « bébés bulles ».

Je vous remercie d'avoir accepté de répondre à notre invitation. Vous savez que notre mission procède à un certain nombre d'auditions en vue de réviser les lois bioéthiques de 1994. A l'époque, nous avions déjà perçu que le rythme des progrès scientifiques et techniques imposerait de revoir certains choix au fil du temps, ces choix ne pouvant pas être définitifs compte tenu des évolutions rapides dans ce domaine. Nous souhaitons donc entendre tous ceux dont le travail s'est inscrit dans le cadre de ces lois, afin qu'ils nous signalent les évolutions qui leur paraissent nécessaires. Parmi ces évolutions, les thérapies géniques et cellulaires occupent une place importante et nous avons déjà auditionné un certain nombre de personnes qui nous ont fait part soit de leur confiance, soit de leur scepticisme quant aux promesses de la thérapie génique. Ce matin même, nous étions au Génopole d'Evry et nous avons pu constater le dynamisme et la détermination de tous ceux qui travaillent au sein de cette structure.

Vous savez que cet été a été marqué par l'annonce de décisions importantes qui vont être prises à l'étranger, notamment en matière de clonage embryonnaire thérapeutique. C'est pourquoi votre audition est un élément important de notre réflexion pour mieux cerner les premiers résultats et les promesses de la thérapie génique.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Tout d'abord, je vous remercie, madame, d'avoir répondu à notre invitation. Je vous propose d'engager le débat par un sujet qui est toujours d'actualité : l'action conduite auprès d'enfants atteints du déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X. Peut-être pourriez-vous nous donner de leurs nouvelles et des informations sur le traitement qu'ils suivent aujourd'hui mais aussi, la plupart d'entre nous n'étant pas médecins, des explications sur la thérapie génique mise en _uvre et des précisions sur les précautions éthiques et médicales que vous avez dû prendre.

De façon plus générale, à partir de ce formidable exemple, nous aimerions savoir quelles sont, selon vous, les perspectives de la thérapie génique, les possibilités et les limites d'application de cette technique à d'autres maladies, telles que les cancers et les maladies virales ou neurovégétatives, et quelle appréciation vous portez sur les perspectives offertes par les recherches sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches somatiques, qui sont au c_ur de notre débat, y compris cet après-midi : si ces recherches devaient être réalisées, comment envisagez-vous leur encadrement ?

Nous pourrions donc aborder le sujet sous l'angle de l'actualité, car nous sommes tous intéressés par la santé des enfants que vous avez traités mais aussi curieux de savoir quel procédé vous avez choisi et s'il peut être élargi à d'autres maladies. Mais, dans la perspective de la révision des lois de 1994, nous souhaiterions également savoir si l'on doit, selon vous, s'engager plus avant dans la recherche sur les cellules souches embryonnaires et, si oui, dans quelles conditions ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - Je vous remercie de m'avoir invitée à discuter avec vous d'une problématique qui me tient terriblement à c_ur et sur laquelle je travaille depuis dix ans à l'hôpital Necker. Pour illustrer mon propos, j'ai choisi de projeter des petits transparents. Je vous prie d'excuser le caractère un peu didactique de cette présentation mais, me mettant à votre place, je me suis dit qu'il était peut-être plus simple de disposer de schémas pour comprendre la manière dont nous avons procédé pour traiter ces quatre enfants, dont la guérison a été abondamment rapportée dans la presse.

Transparent n° 1

Les enfants atteints du déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X sont dépourvus de lymphocytes, défenses contre les micro-organismes sans lesquelles il est impossible de survivre au-delà de quelques mois après la naissance. Il s'agit d'une maladie extrêmement rare, puisqu'elle atteint un enfant sur 150 000 naissances, et d'une maladie létale dès la première année de vie. Le seul espoir de guérison est la transplantation médullaire en ayant recours à un donneur familial ou non familial.

À ce propos, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse, qui me semble intéressante, en liaison avec le débat que j'ai pu suivre lors de l'audition précédente. La transplantation médullaire offre des possibilités thérapeutiques assez importantes puisque l'on enregistre plus de 90 % de succès au niveau mondial lorsqu'on a un donneur compatible, c'est-à-dire une s_ur, un frère ou des parents consanguins. En l'absence d'un tel donneur, les chances de succès se réduisent de moitié, ce qui revient à dire que 50 % des enfants survivent au traitement et que 50 % décèdent, soit des suites du traitement lui-même, soit d'infections.

Transparent n° 2

Pour traiter cette maladie, on a essayé de développer une thérapeutique, qui présentait des avantages incontestables, à partir d'une cellule souche adulte. La moelle osseuse de chacun d'entre nous comporte une cellule capable de proliférer de façon assez importante, de se différencier et de remplir toutes les fonctions des cellules du sang, dont chacun sait qu'il se compose de globules rouges, de plaquettes, de polynucléaires et de lymphocytes. Pour traiter ces enfants atteints du déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X, qui n'ont pas de lymphocytes, on est parti d'une cellule souche de la moelle osseuse, présente dans les os plats, que l'on sait isoler, manipuler in vitro et faire proliférer, mais qui peut se différencier en tout excepté en cellules protégeant contre les infections.

Transparent n° 3

Face à cette difficulté, nous avons donc eu recours à un rétrovirus défectif, c'est-à-dire ne contenant comme seule information génétique que l'information du gène défectueux chez ces malades. Aujourd'hui, nous sommes capables d'introduire ce type de virus défectifs, donc non réplicatifs, à l'intérieur d'une cellule souche qui prolifère. Une fois entrés, lesdits virus substituent à l'information défectueuse, dans le patrimoine génétique de cette cellule somatique, une information génétique nouvelle. Grâce à cette opération, il devient possible de restaurer une fonction déficitaire chez les malades.

Transparent n° 4

Il avait déjà été prouvé en laboratoire, par des tests in vitro, donc précliniques, que si on introduisait dans une cellule souche un virus avec le gène approprié, il était possible de restaurer la population lymphocytaire manquante. On avait reproduit la maladie sur un modèle murin, dont on avait restauré le système immunitaire, après avoir délité les gènes et obtenu la maladie sous une forme quasiment identique à la forme humaine, par thérapie génique et d'une manière assez analogue à celle que nous avons demandé à pratiquer chez l'homme, étant précisé qu'elle n'avait été suivie d'aucun effet toxique.

Transparent n° 5

C'est à la suite de ces travaux précliniques que nous avons obtenu l'autorisation demandée. Je tiens cependant à souligner que ces travaux ont duré sept ans, ce qui laisse à penser que ce n'est pas demain que l'on procédera aux clonages thérapeutiques, à l'utilisation des cellules souches embryonnaires et au remplacement sur demande de tous les organes déficients chez un individu : il faudra bien compter une dizaine années de recherches avant d'obtenir des résultats cliniques exploitables ! C'est un point d'autant plus important qu'à mon avis ce sont précisément ces dix années de recherche que l'on vous demande d'encadrer de façon très précise.

Transparent n° 6

J'en arrive maintenant à la description du protocole clinique pour lequel nous avons obtenu en janvier 1999 une autorisation, d'une part, du ministère de la santé et, d'autre part, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Outre ces deux instances, qui émettent un avis sur les éventuels effets toxiques sur l'organisme des manipulations génétiques de cellules, se prononcent également le Comité consultatif national d'éthique et un assureur prenant en charge les effets négatifs possibles, les promoteurs de cet essai clinique étant l'Assistance publique et les Hôpitaux de Paris.

M. Bernard Charles, président. - Permettez-moi de vous interrompre un instant pour rappeler qu'effectivement la loi Huriet fait obligation au promoteur de s'assurer.

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - Tout à fait et nous disposons, en France de deux promoteurs institutionnels : soit l'Assistance publique et les Hôpitaux de Paris, soit l'INSERM. Un protocole clinique est soumis à ces autorités, qui statuent sur sa validité scientifique et prennent en charge l'assurance couvrant les risques potentiels auxquels sont soumis les malades. L'essai est impossible sans une intervention de ce type.

En l'occurrence, c'est donc en janvier 1999 que nous avons obtenu l'autorisation de soumettre à cet essai cinq patients. Indépendamment des caractéristiques du virus, nous avons ainsi été autorisés à prélever sous anesthésie générale les cellules souches de la moelle osseuse des enfants atteints qui avaient fait l'objet d'un diagnostic par biologie moléculaire. Les cellules de la moelle osseuse ont été manipulées in vitro, dans un laboratoire protégé, après avoir été sélectionnées. On y a introduit de manière volontaire un virus contenant l'information génétique défectueuse. Après cinq jours de manipulation, on a vérifié que les cellules modifiées comportaient bien l'expression du gène manquant ou défectueux, avant de les réinjecter par voie intraveineuse aux cinq malades.

Transparent n° 7

Sur les cinq malades retenus entre janvier 1999 et avril 2000, deux sont Français, un est Hollandais, un autre est Britannique et nous a été adressé par une équipe londonienne, et le dernier est Américain.

Cette diversité prouve qu'il existe un réseau européen et une concertation entre médecins pour les maladies rares et difficiles et que les efforts, loin d'être dispersés, tendent à se concentrer en raison de l'importance du coût financier de tels travaux. Je crois d'ailleurs bon de préciser que les équipes américaines étaient, elles aussi, extrêmement attentives au déroulement de cet essai clinique français.

Les deux premiers patients sont maintenant âgés de deux ans : nous avons donc dix-huit mois de recul pour le premier patient, un peu plus d'un an et demi pour le deuxième, quelques mois de plus pour le troisième et ainsi de suite... Sur ces cinq cas, nous avons enregistré un échec. Le patient britannique n'a pas répondu au traitement car il était sévèrement malade lors de son admission à l'hôpital Necker ; il a, par la suite, été transplanté par l'équipe médicale londonienne. Quant aux quatre autres patients, on peut dire aujourd'hui que l'on a obtenu une restauration complète de leur système immunitaire : ils ont de nouveau des lymphocytes capables de les protéger contre les infections. Ce sont des enfants qui, actuellement, vivent normalement en communauté, dans leur famille, sans autre traitement que celui qui leur a été administré à l'hôpital Necker. À ce jour, ils se portent tous bien, ils ont été vaccinés et le premier d'entre eux se prépare à entrer à l'école maternelle. Le traitement n'a été suivi d'aucun effet toxique et, même si nous étions optimistes, les résultats obtenus ont dépassé nos espérances. Ces enfants refabriquent des anticorps, ce qui leur permet donc de se défendre contre les infections, et pour trois d'entre eux le recul est assez important pour que nous puissions parler de guérison. Cela étant, ne disposant d'aucun précédent, nous continuons à faire preuve d'une grande prudence à l'égard des familles sur le devenir à long terme de cette forme de traitement.

Transparent n° 8

Pourquoi ces maladies sont-elles des modèles idéaux d'application de la thérapie génique à l'homme ?

Tout d'abord, parce qu'elles répondent, à notre avis, à un préalable éthique puisqu'il s'agit de maladies létales qui, à court terme, ne laissent aucun espoir de survie à ceux qui en sont atteints. Ensuite, parce que les résultats de la transplantation médullaire, technique utilisée depuis cinquante ans partout dans le monde, sont décevants pour ces maladies et qu'on enregistre un nombre trop important d'échecs pour se priver d'avoir recours à d'autres modalités thérapeutiques. Enfin, parce que les cellules que l'on tente de refabriquer ont une longue durée de vie et que, même si une mise en silence des gènes intervenait par des mécanismes de régulation génétique des cellules médullaires, on conserverait l'espoir que les lymphocytes T survivent et continuent à protéger l'individu.

Transparent n° 9

Nous envisageons d'appliquer, à moyen ou à long terme, ce type de traitement à un nombre important de maladies hématologiques. À l'hôpital Necker, nous sommes actuellement en train d'obtenir des résultats pour un deuxième déficit immunitaire
- RAG - pour lequel nous avons les résultats précliniques attendus, à savoir, d'un part, la restauration de l'immunité chez l'homme et, d'autre part, une correction du défaut chez la souris. Nous n'entendons pas avoir d'essai clinique chez l'homme sans une épreuve préalable d'efficacité biologique chez un rongeur ou un animal de taille moyenne, ce qui nous met autant que possible à l'abri, par extensions de comparaisons, de certains effets toxiques insoupçonnables lors de la manipulation des cellules in vitro.

Selon moi, plusieurs autres maladies du système hématologique pourraient être de bonnes candidates au traitement par thérapie génique, pour peu que les équipes, les personnels et les laboratoires en aient les moyens.

Transparent n° 10

Nous avons obtenu pendant le déroulement de cet essai clinique un certain nombre d'avancées extrêmement importantes en biologie, qui nous laissent penser que d'autres maladies peuvent être candidates à une approche par thérapie génique. Les avancées dans le champ de la virologie et dans celui de la connaissance de la cellule souche sont telles que nous n'arrivons pas à suivre, en termes d'application clinique, les résultats positifs que les biologistes nous transmettent au fur et à mesure de leurs recherches. Le succès du protocole que je viens de vous décrire tient, notamment, au fait que nous sommes parvenus à utiliser en temps réel des avancées scientifiques fondamentales.

[Fin de la projection des transparents]

Concernant la prospective, je ne pense pas que la thérapie génique guérira toutes les maladies mais, néanmoins, nous sommes en droit d'attendre des progrès raisonnables, surtout pour certaines maladies très particulières de type héréditaire qui atteignent le système hématopoïétique. Plus nous serons en mesure de remporter des succès sur des maladies simples de type monogénique, où un seul gène est responsable de la maladie, plus nous aurons l'espoir d'élargir cette approche thérapeutique à des maladies polygéniques.

En réponse à la question que m'a posée le rapporteur sur les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires, je dirai que les deux voies de recherche sont aujourd'hui ouvertes. À l'heure actuelle, il ne serait pas raisonnable pour un chercheur d'adopter une position tranchée en affirmant qu'il est possible de tout faire avec une cellule souche adulte ou, à l'inverse, avec une cellule souche embryonnaire : il n'y a pas aujourd'hui dans la littérature de résultats suffisamment clairs qui nous autoriseraient à abandonner l'une de ces deux voies de recherche. Je pense que la versatilité de différenciation de la cellule souche embryonnaire est telle qu'elle nous laisse espérer des avantages thérapeutiques majeurs par rapport à la cellule souche adulte, dont on sait aujourd'hui que les capacités de prolifération sont extrêmement limitées. On ignore, par exemple, s'il sera possible d'enrayer certaines maladies atteignant notamment les muscles, le système nerveux central et le foie par une cellule souche de type adulte.

N'étant pas au courant de toutes les modifications législatives intervenues entre 1994 et 1999, je me suis efforcée de mettre mes connaissances à jour. Il m'apparaît que la législation française souffre d'un manque d'encadrement de la recherche sur la cellule souche embryonnaire et qu'il serait extrêmement utile de créer une agence dans l'esprit de celle qui existe pour la sécurité sanitaire. Alors que nos équipes ont deux essais cliniques en cours, je peux vous assurer que nous ne vivons nullement la présence de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé comme une entrave à la réalisation de protocoles cliniques : au contraire, ses membres nous ont énormément aidés, d'une part, à construire des protocoles qui soient les moins dangereux possible pour les malades et, d'autre part, à prendre toutes les précautions nécessaires pour que ceux qui attendaient de nous un résultat thérapeutique ne soient pas soumis à des risques de toxicité ou à des accidents de thérapie génique, comme ceux qui ont pu survenir aux États-Unis faute d'avoir pris toutes les garanties utiles. La création d'une telle agence m'apparaît donc indispensable et je pense que l'Agence française de sécurité sanitaire est un bon exemple et qu'on pourrait s'inspirer de ses modalités de fonctionnement pour aider véritablement la recherche, sans donner le sentiment que l'État ne crée ces agences que pour encadrer, limiter ou entraver la recherche. Mon expérience est totalement positive et va dans ce sens.

Enfin, il y a un autre aspect qui n'a pas été soulevé, c'est l'importance des coûts financiers de ce type de recherches. En effet, il ne faut pas se contenter de les autoriser, il convient aussi de dégager les crédits nécessaires à leur réalisation !

M. Pierre Hellier. - Les cellules souches adultes offrent, selon vous, moins de possibilités que les cellules souches embryonnaires ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - À ce jour, toutes les données dont nous disposons en littérature vont dans ce sens : les cellules souches adultes ont une extrême plasticité mais elles ne peuvent pas proliférer suffisamment pour remplacer un tissu endommagé. Une expérience sur les muscles l'illustre très clairement. Alors qu'on parle beaucoup aujourd'hui d'une cellule souche hématopoïétique susceptible de donner naissance à des muscles, une greffe a été réalisée sur une petite souris souffrant d'une dystrophie musculaire : le taux de restauration de l'activité musculaire a été considéré comme anecdotique. Aucun effet thérapeutique ne peut être attendu, en l'état actuel des choses, d'un procédé de ce type.

M. Pierre Hellier. - A contrario, a-t-on obtenu des résultats avec des cellules souches embryonnaires ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - A contrario, il existe chez la souris des cellules ES et on peut obtenir un nombre très important de cellules engagées sur une voie de différenciation mais nous n'avons pas, dans la littérature, de cas de guérison d'une maladie donnée par utilisation de cellules souches embryonnaires. En revanche, un article récent paru dans la revue Science fait état d'une régression de certaines affections d'hématologie neurologique par implantation de cellules ES murines différenciées en cellules neuronales : c'est la première publication qui valide une construction scientifique dans ce sens.

M. Pierre Hellier. - N'a-t-on pas insuffisamment développé les recherches sur les cellules souches adultes et peut-être favorisé, inconsciemment ou involontairement, les recherches sur les cellules souches embryonnaires ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - Il convient d'abord de préciser qu'il y a, en France, très peu d'équipes qui travaillent sur les cellules souches embryonnaires des souris et que, sur ce plan, la France enregistre un léger retard dans la compétition avec les équipes anglaises et américaines. En France, on a favorisé, parce qu'elle est d'accès beaucoup plus facile, la recherche sur les cellules souches adultes, mais cette attitude s'explique par la nature des moyens de travail mis à la disposition des chercheurs et non par leur foi dans telle politique de recherche plutôt que dans telle autre.

Mme Nicole Catala. - Est-il possible de savoir, concrètement, comment vous avez pu travailler sur des cellules embryonnaires, avoir accès à des embryons disponibles ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - Personnellement, je ne travaille pas du tout sur des cellules embryonnaires humaines. J'ai travaillé sur des cellules embryonnaires de souris, dont tous les laboratoires du monde peuvent disposer : on les commande aussi facilement que du pain à la boulangerie et on reçoit une ampoule remplie de cellules embryonnaires de souris qui sont clonées et accessibles à tous. Personne, aujourd'hui, ne travaille à des fins de recherche sur des cellules embryonnaires humaines !

M. Bernard Charles, président. - Madame Catala, je vous précise que notre invitée a, en votre absence, indiqué que l'expérience menée sur les cinq enfants malades s'était déroulée dans le cadre de la loi Huriet, avec l'autorisation de l'Agence française de sécurité sanitaire et du Comité consultatif de protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, et qu'elle avait été réalisée à partir de prélèvements effectués sur la moelle des malades.

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - Par définition, il s'agissait donc de cellules souches adultes.

Je pense qu'il faut opposer une interdiction formelle à tout essai de thérapie génique sur des cellules germinales. Il s'agit également de bien encadrer les essais de thérapie génique pour éviter la dispersion des organismes génétiquement modifiés parmi les cellules de la reproduction. Cette interdiction doit être bien encadrée et maintenue.

M. Bernard Charles, président. - Après nous avoir dit le caractère positif de votre collaboration avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, vous attendez que cet encadrement soit assuré par une structure indépendante.

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - Tout à fait. C'est comme cela que je vois les choses. Au début de nos essais cliniques, qui étaient assez pointus, nous avons vécu la présence de cette agence, encore balbutiante, comme une entrave dans la mesure où elle nous contraignait à remplir des dossiers et à suivre des procédures, toutes choses auxquelles nous n'étions pas habitués. Mais, avec le temps, nous avons développé une collaboration qui s'est révélée très utile, aussi bien pour la recherche institutionnelle que pour les organismes qui doivent assurer un contrôle tout en conservant leur indépendance par rapport à ce type de recherches.

M. Bernard Charles, président. - Avant de vous remercier d'être venue et de nous avoir fait part de votre expérience en ce domaine, j'aurai, madame, une toute dernière question à vous poser, puisque vous avez le diplôme d'habilitation à diriger des recherches. Est-ce que, dans la loi de 1988, dite « loi Huriet » certains éléments vous semblent devoir être modifiés compte tenu des évolutions de la recherche ? Des révisions vous paraissent-elles s'imposer ?

Mme Marina Cavazzana-Calvo. - Je pense que cette loi constitue un bon encadrement pour la recherche. Elle a été très lourde à mettre en place mais j'estime qu'elle est aujourd'hui assez bien rodée et qu'elle encadre utilement la recherche sur les éléments du corps humain : peut-être pourrait-elle être allégée pour certains prélèvements « périphériques » sur les familles des patients atteints. En effet, il y a quelques lourdeurs d'accès dans les études sans bénéfice individuel direct qui sont pour nous indispensables. Un allégement de la loi dans ce sens nous rendrait incontestablement service !

M. Bernard Charles, président. - Votre point de vue rejoint le discours qui nous a été tenu ce matin au Génopole.

Nous vous remercions.

Audition de M. le professeur Arnold MUNNICH,
directeur de l'Unité 393, « Unité de recherches sur les handicaps génétiques de l'enfant » de l'INSERM

(Extrait du procès-verbal de la séance du 6 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Mes chers amis, je suis heureux d'accueillir avec vous le professeur Arnold Munnich, qui est chef du service de génétique médicale de l'Hôpital Necker-Enfants Malades et directeur de l'unité de recherche sur les handicaps génétiques de l'enfant de l'INSERM.

Nous avons souhaité, monsieur le professeur, vous rencontrer pour évoquer avec vous la question du diagnostic préimplantatoire qui, en 1994, lorsque nous avons adopté les lois bioéthiques a été l'une des questions les plus sensibles que nous ayons eu à examiner dans la mesure où elle synthétise le débat sur les risques de dérive eugénique.

Nous avons constitué une mission d'information pour préparer la révision des lois bioéthiques. Nous souhaiterions connaître votre avis, en tant que praticien, sur ces lois telles qu'elles ont été formulées en 1994 - nous nous étions alors montrés prudents en précisant qu'elles demanderaient à être révisées dans cinq ans, ce que nous nous efforçons de faire actuellement - mais aussi sur des sujets qui ne relèvent pas nécessairement de votre spécialité propre, je pense en particulier à l'embryon.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Merci, monsieur le professeur, d'avoir répondu à notre invitation. Je suis heureux de vous revoir parmi nous pour un débat dans une configuration différente.

Je pense qu'il serait utile que vous nous rappeliez le dispositif légal encadrant le diagnostic préimplantatoire, avant de nous dire si, selon vous, il conviendrait, dans le cadre de la révision des lois bioéthiques, d'élargir le champ du recours au DPI, de prévoir des dispositions - et lesquelles - sur le sort des embryons ayant fait l'objet d'un DPI mais non implantés et d'autoriser les recherches sur ces embryons. Par ailleurs, les décrets sur la pratique du DPI étant parus tardivement, nous aimerions savoir si les trois centres autorisés actuellement fonctionnent, quelle est leur activité, quelles sont ou seront les principales difficultés rencontrées et quelles sont, en termes de pratique, les évolutions envisageables. Enfin, comme nous sommes très attentifs à ce qui se passe à l'étranger, nous sommes curieux de savoir sur quoi les DPI peuvent porter, en Grande-Bretagne, en dehors des maladies génétiques graves.

Nous attendons donc, dans un premier temps, que vous nous apportiez ce double éclairage sur la loi de 1994, et ses éventuels prolongements, et sur la façon dont vous envisagez l'avenir du DPI à travers l'expérience des trois centres qui ont été autorisés à le pratiquer.

M. Arnold Munnich. - Mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de pouvoir m'exprimer devant vous en tant que praticien. Je suis chef d'un service de génétique qui est l'un des deux centres habilités à pratiquer le diagnostic préimplantatoire en France, avec celui de Strasbourg, et prochainement celui de Montpellier. Notre centre de diagnostic préimplantatoire est en réalité bicéphale, puisque la partie procréation médicalement assistée est placée sous la responsabilité du professeur René Frydman, chef du service de la maternité Antoine-Béclère, et que les hôpitaux Béclère et Necker forment une même unité fonctionnelle pour le diagnostic préimplantatoire des maladies génétiques et chromosomiques.

Le dispositif légal auquel vous avez fait allusion a fixé les conditions d'exercice du diagnostic préimplantatoire. Il implique de soumettre une demande d'agrément aux instances habilitées à l'examiner. La demande fait ensuite l'objet soit d'un agrément, soit d'un rejet. La Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal a donné un avis défavorable à un certain nombre de demandes pour n'en retenir finalement que deux, à savoir celle de Strasbourg et celle de Necker-Béclère.

Je ne crois pas qu'il faille envisager une augmentation du nombre des centres habilités à pratiquer le diagnostic préimplantatoire. Je pense que pour pratiquer ce diagnostic, il faut d'abord avoir bien entendu la demande des couples et bien compris la situation des familles, ce qui suppose de s'adosser à une structure de génétique médicale, avec un service de génétique habitué à écouter et à analyser les situations. Si je crois bon de vous préciser ce point, c'est que j'ai maintenant reçu en consultation de génétique avec René Frydman, près d'une centaine de couples demandeurs de diagnostic préimplantatoire : un premier groupe, composé d'environ 25 % des couples, ne s'est pas présenté le jour de la consultation, leur demande étant l'expression d'une révolte contre le destin et l'injustice dont ils étaient l'objet ; un deuxième groupe correspondait aux couples victimes d'une erreur d'orientation faute d'avoir bénéficié d'une consultation de génétique préalable ; le troisième groupe était constitué de couples présentant de très bonnes indications et « référés » par des généticiens.

Ma première impression, c'est qu'il n'est donc pas possible d'envisager le diagnostic préimplantatoire en dehors d'une structure de génétique très forte, capable d'examiner avec attention les réalités, d'identifier la maladie et son mode de transmission ainsi que la demande exacte du couple, le risque réel de récidive... Cela représente un gros travail préalable de génétique médicale qui, dans bien des cas, avait été purement et simplement scotomisé, des gynécologues ou des obstétriciens adressant directement le couple au centre de DPI. Je considère donc qu'une solide armature de génétique est indispensable pour faire du bon diagnostic préimplantatoire : c'est le cas dans notre alliance Béclère-Necker. Je souhaite que ce soit le cas ailleurs mais je n'en suis pas absolument sûr !

En écoutant les couples, je dois vous dire que je n'ai pas une seconde perçu une tentation eugénique de leur part. J'entends des couples qui ont vécu des histoires dramatiques : des mères qui ont perdu un enfant, puis un autre et qui, à la suite de ces décès à répétition, ont fait l'expérience d'une, deux, trois, voire quatre, interruptions médicales de grossesse. En réalité, ces couples sont dans une grande souffrance et n'ont nullement l'intention de faire une demande autre que celle portant sur la maladie qui fait l'objet de la consultation. Jamais je n'ai entendu un couple dire qu'il préférerait un garçon ou une fille, un grand ou un petit, un blond ou un brun... Ce n'est vraiment pas le problème : le problème, hélas, c'est bien la récidive de maladies lourdement invalidantes !

Pour être à l'écoute des différentes tendances de notre communauté nationale, j'ai naturellement l'impression que la perception des maladies génétiques est toute différente selon que l'on est touché soi-même par la maladie ou selon qu'on en entend parler. Aussi, les vraies résistances au diagnostic prénatal et au diagnostic préimplantatoire proviennent, me semble-t-il, de gens qui ne sont pas touchés au plus près, dans leur chair, par ces maladies. En revanche, les couples qui ont fait l'expérience de ces maladies viennent à nous avec un réel désir de grossesse et de prévention de la récidive de la maladie. À aucun moment, je ne perçois de tentation eugénique.

Pour des raisons techniques, nous ne pouvons pas tout assumer d'un jour à l'autre. Nous avons été autorisés à procéder au diagnostic préimplantatoire mais il n'y a aucune mesure d'accompagnement pour cette pratique : nous n'avons pas de budget, nous n'avons pas de postes, nous n'avons pas de crédits de fonctionnement. Nous avons des autorisations mais pas de moyens.

M. Bernard Charles, président. - Il y a la structure de base !

M. Arnold Munnich. - Ce sont des mesures nouvelles, monsieur le président, et vous comprendrez que l'on ne peut pas charger la barque à l'infini ! Nous avons déjà des budgets limités et si, à effectifs et moyens constants, nous devons pratiquer un exercice aussi difficile que le diagnostic moléculaire sur une seule cellule, j'avoue en être incapable !

En conséquence, notre démarche s'est faite à deux niveaux. D'abord au niveau de nos autorités de tutelle, c'est-à-dire de la ministre de l'emploi et de la solidarité que nous avons rencontrée et à qui nous avons rappelé son engagement de mettre des moyens en femmes et en hommes à la disposition des laboratoires autorisés : il s'agit de personnels du rang de praticien hospitalier ou d'ingénieur. Nous n'avons toujours pas vu ces personnels. Il y a des candidats, que nous tentons de retenir en espérant qu'ils ne partiront pas, mais il n'y a toujours pas de moyens ni en postes, ni en crédits de fonctionnement pour assumer cette activité qui, dans bien des cas, se fait grâce à des crédits en provenance d'associations caritatives, au premier rang desquelles l'Association française contre les myopathies, comme d'habitude... Par ailleurs, lorsqu'ils transmettent une demande à la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales, les hôpitaux s'engagent à fournir une partie des moyens, à savoir le secrétariat et le personnel technique. Mais, là encore, ceux qui ont été agréés n'ont pas mis la main à la poche, ce qui fait que nous n'avons pas, non plus, de personnel technique.

En réalité, on peut chiffrer la demande à une trentaine ou une quarantaine de couples par an dans notre centre et autant à Strasbourg, ce qui n'est pas gigantesque. Je ne pense pas que ces demandes progresseront beaucoup : ce sont des demandes fondées, qui portent sur des maladies d'une particulière gravité, des maladies mortelles, sans aucune tentation eugénique ; mais nous ne disposons pas actuellement de moyens pour y faire face.

Pour en finir avec cet aspect de la question, je voudrais simplement ajouter que chacun de ces tests nécessite une mise au point prolongée. Alors qu'un diagnostic prénatal standard, qui se fait sur des millions et des millions de cellules est techniquement simple, un diagnostic préimplantatoire se fait sur une seule cellule et constitue donc une prouesse technologique nécessitant, à ce titre, une mise au point qui est également très lourde. En conséquence, il ne faut pas s'étonner si, pendant qu'une technicienne fait une quinzaine de diagnostics prénatals, un ingénieur ne fait qu'un seul diagnostic préimplantatoire car ce dernier nécessite des investissements considérables en personnel et en temps.

Pour ne pas abuser de votre attention, je vais maintenant répondre à la question que vous m'avez posée sur le devenir des embryons. En qualité de praticien et à titre personnel, je ne conçois pas que de ces embryons fécondés in vitro pour répondre à la demande parentale d'un couple, il soit fait autre chose. Je m'inscris en faux contre toute tentative de les utiliser à des fins qui ne seraient pas celles pour lesquelles ils ont été fécondés, en particulier à des fins thérapeutiques. Je crois que l'on doit à ces embryons une partie du respect que l'on doit à l'homme et que, à ce titre, l'embryon humain ne saurait être asservi à je ne sais quelle tentation prométhéenne d'éternité des plus anciens d'entre nous. En tout cas, je ne serai pas au nombre de ceux qui transformeront l'embryon humain en une source de pièces détachées pour le traitement de telle ou telle maladie, qu'il s'agisse de la maladie d'Alzheimer ou de maladies hépatiques, et quelle qu'en soit la gravité. J'estime donc que les embryons qui ne sont pas transférés ne devraient pas faire l'objet d'autre chose que d'un projet d'enfant, quitte à être détruits après un certain temps.

Vous m'avez demandé quelle était l'activité des autres centres. Afin de pouvoir comparaître devant la communauté nationale en toute transparence, nous nous sommes constitués en fédération interhospitalière regroupant les centres de Strasbourg, Montpellier et Paris. Nous nous sommes déjà réunis à trois reprises - nous le faisons tous les quatre mois - pour faire un état de l'avancée de nos travaux, de nos difficultés et de nos succès. Nous aurons donc une organisation qui nous permettra de parler d'une seule voix, qu'il s'agisse de rendre compte de nos activités ou d'entreprendre des démarches vis-à-vis de nos autorités de tutelle.

Aujourd'hui, le bilan officieux est le suivant : à l'hôpital Necker, nous avons actuellement cinq femmes enceintes et j'espère avoir, sinon dans quelques semaines, du moins dans un petit nombre de mois, la joie de vous annoncer les premières naissances. Mais au prix de quelles difficultés ! Cinq femmes enceintes, cela signifie pratiquement cinquante grossesses débutantes car, malheureusement, toutes les grossesses débutantes ne se traduisent pas par l'arrivée d'un bébé à la maison : il y a un très grand déficit entre le nombre de grossesses débutantes et le nombre d'enfants qui rentrent à la maison dans les bras de leur mère. Les médecins de la reproduction sont optimistes quand ils parlent de 30 % de succès. Si j'en crois mon expérience de praticien généticien, nous n'avons pas eu plus de 10 % de succès et la femme aujourd'hui la plus avancée dans sa grossesse, qui en est au cinquième ou sixième mois, a fait l'objet de plusieurs tentatives et a dû attendre plusieurs cycles avant d'être enfin enceinte. Pour autant, lorsque l'on interroge ces couples et qu'on les écoute comme je le fais dans les consultations de génétique, on constate qu'ils ne veulent à aucun prix tenter l'épreuve de la grossesse sans diagnostic préimplantatoire car ils refusent catégoriquement d'envisager une nouvelle interruption médicale de grossesse. Par conséquent, leur demande me paraît véritablement profonde, sincère, dénuée de toute tentation eugénique et j'ai l'impression de faire une bonne action médicale en pratiquant le diagnostic préimplantatoire.

M. Alain Calmat. - Je souhaiterais connaître votre opinion sur la sélection sexuelle des spermatozoïdes par méthode immunologique, qui pourrait éviter d'avoir à faire un diagnostic préimplantatoire dans la mesure où la maladie est liée au sexe.

M. Arnold Munnich. - Je m'empresse de dire qu'aucun laboratoire en France n'est actuellement capable de faire un diagnostic de sexe sur une seule cellule spermatozoïde. A ma connaissance, il y a un groupe israélien qui y parvient ainsi qu'un groupe canadien qui a obtenu des premiers succès. Cette technique est en principe réalisable mais je ne sache pas qu'un laboratoire français en soit aujourd'hui capable. De sorte que nous avons recours au « sexage », qui est en fait une terrible régression par rapport aux connaissances de la génétique, dans un certain nombre d'affections pour lesquelles le gène n'est pas connu mais dont le mode de transmission l'est. Ainsi, dans le cas de retards mentaux liés au sexe dont on sait qu'ils peuvent frapper un garçon sur deux, on transfère effectivement uniquement des filles. Mais aujourd'hui nous ne savons pas, dans un seul de nos laboratoires, faire un diagnostic chromosomique sur une seule cellule spermatozoïde.

Mme Yvette Roudy. - Monsieur le professeur, si j'ai bien compris, les parents, qui craignent d'avoir un enfant porteur d'une maladie récidivante et veulent bénéficier d'un diagnostic préimplantatoire, doivent s'adresser à une commission, laquelle répond favorablement ou non à leur demande. Je voudrais donc savoir quelle est cette commission, comment elle est composée, qui sont ces gens qui peuvent se permettre de trancher cette question et sur quels critères ils appuient leur décision.

M. Arnold Munnich. - Il faut d'abord bien préciser que seuls sont éligibles au diagnostic préimplantatoire les couples qui ont fait l'expérience personnelle ou familiale d'une maladie génétique d'une particulière gravité. On ne peut pas se présenter dans n'importe quel centre de DPI sans une histoire lourde justifiant cette démarche. Par conséquent, les couples demandeurs d'un diagnostic préimplantatoire sont des couples qui ont perdu un, deux ou trois enfants ou dont l'un des membres a perdu un, deux ou trois frères ou s_urs. Il s'agit de couples qui ont été identifiés comme étant à risques et le premier venu dans la rue ne peut pas se présenter dans un centre de DPI.

Comment les choses se déroulent-elles ? Le couple est « référé » au centre de diagnostic préimplantatoire par le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, comme le veut la loi. À partir de là, la question n'est pas d'ordre qualitatif : il ne s'agit pas de porter un quelconque jugement de valeur sur le bien-fondé d'une demande car les indications du DPI sont celles du DPN, c'est-à-dire les affections d'une particulière gravité reconnues comme incurables au moment du diagnostic. Dans certains cas, nous sommes amenés à répondre par la négative, alors que l'affection est effectivement d'une particulière gravité, car techniquement, ou faute de moyens, nous ne sommes pas en mesure de satisfaire la demande. C'est là une situation dramatique : c'est un coup terrible du destin que d'avoir une maladie génétique - cela concerne 30 000 naissances par an en France et touche 25 millions d'Européens - mais c'est un second coup d'avoir une maladie génétique rare car elle est un peu laissée pour compte, y compris de notre part. Quand nous avons trente femmes myopathes qui attendent et une femme qui présente un risque de maladie de Menkes, nous nous occupons d'abord des premières : c'est dramatique mais c'est comme ça !

Mme Yvette Roudy. - Vous avez dit vous-même que la procréation médicalement assistée représentait un parcours lourd et difficile, notamment pour la femme qui doit subir des stimulations. Ne pensez-vous pas que la multiplication des tentatives présente un risque pour la santé de la femme et avez-vous une idée du nombre de tentatives auquel il conviendrait de s'arrêter ? Enfin, vous disiez qu'en aucun cas les embryons ne seraient utilisés à d'autres fins qu'un projet d'enfant...

M. Arnold Munnich. - C'est une position personnelle !

Mme Yvette Roudy. - J'ai bien entendu ! Mais vous faites de la procréation médicale assistée...

M. Arnold Munnich. - Oui !

Mme Yvette Roudy. - Et, à chaque fois, vous savez que vous risquez de produire des embryons en surnombre...

M. Arnold Munnich. - Quand, pour reprendre votre expression, nous « fabriquons » des embryons en surnombre, c'est toujours avec le projet médical de donner naissance à un enfant qui est l'objet du désir de ses parents. Lorsque nous faisons un, deux, trois embryons, voire plus, ce n'est pas dans je ne sais quelle idée chimérique de clonage humain ultérieur : nous ne sommes pas en train de jouer avec la vie humaine, nous nous mettons seulement en situation d'avoir au moins deux embryons transférables. Il faut lutter à tout moment, vous les législateurs et nous les professionnels, contre cet amalgame car il est récurrent dans l'esprit des gens. En produisant des embryons, lorsque l'on a affaire à une maladie dominante, avec un risque sur deux de survenue de la maladie, les distorsions de la ségrégation, peuvent faire que, malheureusement, sur cinq ou six embryons un seul sera indemne de la maladie. La distorsion peut aussi faire que l'on obtienne deux, voire quatre, embryons sains mais cela nous échappe totalement : c'est le fruit du hasard.

Par la force des choses, ce projet parental est générateur d'embryons surnuméraires. Naturellement, nous sommes très prudents et nous ne poussons pas la mécanique, sachant qu'après nous sommes embarrassés par le devenir de ces embryons. Mais pour réussir le projet médical qui nous est confié, il faut un nombre d'embryons supérieur à ce qui est acceptable : c'est-à-dire que l'on transfère entre deux et trois embryons ; trois c'est beaucoup, deux c'est courant ! Pour autant, cela ne veut pas dire que la femme accouchera de triplés : souvent le transfert ne donnera rien ou aboutira à une seule grossesse, parfois à deux, parfois à trois. En cas de maladie récessive, pour obtenir trois embryons finalement transférables, il en faut plus que trois au départ.

Mme Yvette Roudy. - Quel est votre avis sur le nombre de stimulations ovariennes raisonnable ?

M. Arnold Munnich. - Je ne suis pas bien placé pour répondre à cette question, qui devrait s'adresser à un médecin de la reproduction plutôt qu'au généticien que je suis, ou du moins que j'essaie d'être. Mais je pense qu'au-delà de trois stimulations mes collègues baissent les bras.

M. Jean-François Mattei. - Arnold, je souhaiterais te poser deux questions et, bien sûr, je ne le fais pas avec malignité - tu me connais suffisamment pour le savoir - mais parce que je voudrais que tu évoques ces sujets devant la mission. D'abord, je me rappelle qu'en 1994, nous avions eu à faire face, avec les médias contre nous, à une demande considérable concernant le diagnostic préimplantatoire, méthode qui représentait alors la technique, l'avenir et que sais-je encore... Aujourd'hui, plus modestement, tu évoques devant nous l'existence de deux équipes, une centaine de cas par an, un taux de succès de 10 % et, pour le moment, pas une seule grossesse. Pour ma part, j'aimerais que tu rappelles ce qui relève quand même du bon sens, c'est-à-dire ne pas considérer une technique d'avant-garde comme une technique déjà de routine et souligner qu'il peut être dangereux de se focaliser à l'excès sur des techniques dont on n'a pas encore vérifié la faisabilité, la fiabilité et le devenir. A mon avis, heureusement que nous n'avons pas été plus loin sur le DPI alors qu'on nous demandait de rentrer véritablement dans le détail. Penses-tu qu'il est donc sage, lorsqu'une technique comme celle-là apparaît, de prendre un peu de recul et qu'il aurait fallu procéder différemment pour le DPI ?

Ensuite, j'aimerais parler de l'attitude après un diagnostic préimplantatoire au regard de la thérapie génique. Pour le moment, l'attitude simple est de dire : si l'_uf est sain, on le transfère ; s'il est malade, on ne le transfère pas, autrement dit, on l'élimine. Dans la mesure où cet _uf fécondé entre dans le champ de la médecine, ne penses-tu pas qu'il devrait y avoir, dans la logique d'un diagnostic, non pas demain mais à terme, une possibilité thérapeutique ? Or, si on entre dans le schéma d'une thérapie génique après diagnostic préimplantatoire, on est sur l'_uf fécondé à quelques blastomères et donc dans le cadre de la thérapie germinale. Et donc ne penses-tu pas que l'anathème porté sur la thérapie germinale conduit à une sorte d'incohérence médicale consistant à faire un diagnostic en s'interdisant éventuellement de soigner à terme ? En clair, lorsque l'on a un _uf sur lequel on voit un gène de la mucoviscidose ou un gène de la myopathie, est-ce que notre but ultime - lorsque les techniques seront plus au point - n'est pas de corriger l'anomalie plutôt que d'éliminer l'_uf ?

C'est dire, et là je m'adresse au président et au rapporteur, que l'on ne peut pas considérer comme acquise la discussion sur la thérapie germinale, parce que la logique médicale est bien de soigner plutôt que d'éliminer. Quand on entre dans la logique du diagnostic préimplantatoire, c'est bien parce que la médecine veut suivre sa logique jusqu'au traitement, avec naturellement des barrières pour ne pas faire n'importe quoi et, puisque telle est la crainte, pour ne pas modifier les espèces et les générations selon des normes socialement définies. Dans le cadre de la médecine, il me semble que la thérapie suit le diagnostic.

M. Pierre Hellier. - Je voudrais juste obtenir une petite précision de la part du professeur Munnich : puisqu'il nous a dit qu'à titre personnel il n'utiliserait jamais des embryons programmés pour servir un projet parental, est-ce à dire qu'il serait prêt à utiliser des embryons programmés à d'autres fins, soit programmés pour la recherche, soit déprogrammés par les parents ?

M. Arnold Munnich. - Pas davantage !

Je voudrais juste commenter l'intervention de Jean-François Mattei, dans la mesure où il a, à la fois, posé la question et apporté la réponse...

M. Bernard Charles, président. - Cela lui arrive quelquefois... (Rires).

M. Arnold Munnich. - Il a qualité pour le faire !

M. Bernard Charles, président. - Tout à fait ! (Nouveaux rires ).

M. Arnold Munnich. - Premièrement, je trouve le rôle du législateur bien difficile...

M. Bernard Charles, président. - On le sait ! (Rires).

M. Arnold Munnich. - ... parce qu'il est mis en demeure par nos contemporains de coller à une réalité qui change à tout instant. Je me demande comment vous pouvez faire votre travail alors même que les données du problème changent incessamment : on dirait que vous courrez derrière les évolutions...

M. Pierre Hellier. - C'est pourquoi nous avons prévu de réviser les lois bioéthiques tous les cinq ans.

M. Arnold Munnich. - Mais les changements vont beaucoup plus vite ! On pourrait multiplier les exemples. Pour ne parler que du DPI, comme vous le savez la science va son train et, par conséquent, les termes dans lesquels vous réfléchissez ce soir, vous législateurs, sont peut-être obsolètes à l'heure où vous parlez... Si, demain, on lit dans la revue Nature que l'on fait, sur les cellules f_tales circulant dans le sang maternel, un diagnostic à huit jours de vie, tout le problème sera changé !

Ce qui me paraît très difficile dans votre mission, à laquelle il faut pourtant faire face, c'est qu'on vous demande de statuer par rapport à une réalité qui est changeante et mouvante à tout instant. La responsabilité n'en incombe pas aux scientifiques, puisque la pensée a été donnée à l'homme pour qu'il s'en serve : il réfléchit et il n'y a pas d'idée manichéenne ou de malice ! Il n'y pas de malignité lorsqu'un chercheur invente une manipulation : tout à coup, il a une idée et il la met en application... Évidemment, à partir du moment où l'on a opéré une manipulation, si la recherche porte ses fruits, la tentation est grande de passer à l'application thérapeutique et je ne vois pas très bien comment vous pourrez dire oui à la recherche et non à l'application thérapeutique en matière d'embryons.

Il faut donc aller au bout de la logique et en réalité, à mon sens, on ne peut pas s'engager dans l'autorisation de la recherche sur l'embryon sans ipso facto avaliser demain les bénéfices thérapeutiques de ces recherches : ce n'est pas possible, vous n'y arriverez pas ! La pression de l'opinion, des médias, des compagnies d'assurances et du grand capital vous en empêcheront ! En conséquence, il faut, selon moi, garder à l'esprit que les situations sont changeantes à tout instant et la communauté nationale s'honorerait peut-être à différer cette décision au motif qu'on ne peut pas statuer et qu'il faut encore débattre. Il y a des forums citoyens, des rendez-vous : il faut donc parler et discuter tous ensemble sur ce qu'est un embryon...

M. Alain Claeys, rapporteur. - Permettez-moi de vous interrompre une seconde. Vous nous encouragez à remplir notre rôle de législateurs, ce dont je vous remercie. Vous dites qu'il est compliqué, ce dont nous avons conscience, et vous avancez un argument qui est quand même curieux, à savoir que puisque tout peut changer demain - ce dont je conviens parfaitement - il ne faut pas se hâter mais discuter : on ne demande pas au législateur de discuter ou de pétitionner ; on lui demande d'agir à un moment ou à un autre. Or, agir en quoi cela consiste-t-il ? Cela consiste à considérer soit que la loi telle qu'elle est aujourd'hui est bonne, auquel cas on ne modifie rien, soit que, dans le cadre de structures à mettre en place, il faut développer la recherche. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il est dangereux d'autoriser tel type de recherche sachant que tout peut changer demain.

M. Arnold Munnich. - Ce que je veux dire c'est qu'il ne faut pas s'arc-bouter sur l'énoncé du problème d'aujourd'hui car on peut se retrouver pris à contre-pied par un énoncé totalement différent demain. Je préférerais que l'on encourage la recherche sur les cellules souches totipotentes, parce que là nous nous trouvons en réalité, vous comme moi, devant une situation inédite. En matière de dons d'organe, on n'a jamais vu qu'un don remette en cause l'existence du donneur : quand une mère donne un rein à son fils qui souffre d'une insuffisance rénale, cette mère continue de vivre ; quand un frère donne sa moelle à son petit frère qui souffre d'une leucémie, cela ne remet pas en cause l'existence du donneur ! Pour ce qui est des embryons, nous nous trouvons dans une situation complètement inédite puisque, en réalité, elle implique la suppression de l'existence ou de l'existence potentielle de la vie.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Sur quels critères pourrait-on privilégier une piste de recherche par rapport à une autre ?

M. Bernard Charles, président. - Toute la difficulté de notre mission tient au fait que nous ne voulons pas être un jury qui choisit entre différentes écoles scientifiques. Nous avons tout à l'heure reçu l'un de vos collègues, qui nous a dit que la recherche sur la cellule adulte ne donnait rien pour le moment...

M. Arnold Munnich. - Ça ne marche pas encore mais ça va marcher !

M. Bernard Charles, président. - ...mais que, en revanche, des premiers résultats avaient été obtenus sur les cellules embryonnaires. Notre problème pour légiférer c'est que nous ne voulons pas jouer le rôle d'un jury mais trouver la voie qui permette d'avancer, quitte à dire dans cinq ans qu'il convient de supprimer une piste qui n'a pas été explorée car elle n'est pas bonne.

M. Arnold Munnich. - Monsieur le président, je crois qu'il est très difficile de faire marche arrière dans ces affaires et la vertu principale d'un décideur, c'est de prendre la pleine conscience des conséquences de ses décisions. Or, à mon sens, on va flétrir, altérer collectivement notre image de l'homme, si on accepte d'utiliser des embryons à des fins thérapeutiques. Je parle en médecin et à titre individuel - je ne suis le porte-parole de personne - mais je suis convaincu que l'on doit à l'embryon une part de la dignité que l'on doit à l'homme et que, par conséquent, ces embryons n'ayant pas été faits pour être asservis à je ne sais quel projet thérapeutique, on leur doit de ne pas les détourner de leur finalité.

Mme Yvette Roudy. - Que vont-ils devenir ?

M. Arnold Munnich. - Si la question est de savoir comment respecter ces embryons, je crois qu'on les respecte davantage en les supprimant qu'en les utilisant à d'autres fins que celles pour lesquelles ils ont été fabriqués.

Mme Yvette Roudy. - C'est radical !

M. Bernard Charles, président - Je vous remercie, Monsieur le professeur, pour toutes les informations que vous nous avez données. Vous avez été très direct dans votre intervention, ce dont je vous suis reconnaissant. Vous nous avez signalé que notre tâche était compliquée : nous en étions déjà très conscients... (Rires).

Audition de M. Jean-Loup CLEMENT,

psychologue d'un CECOS

(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean-Loup Clément, psychologue du centre d'étude et de conservation des _ufs et du sperme humains (CECOS) de Lyon, que je remercie d'avoir accepté de répondre à notre invitation.

Monsieur Clément, notre mission s'inscrit dans le processus parlementaire de réexamen des lois bioéthiques de 1994. Nous avons choisi de procéder à des auditions thématiques en commençant par l'assistance médicale à la procréation. Vos thèmes de recherche portent sur des sujets qui ont fait l'objet de questions de parlementaires aux praticiens de l'AMP que nous avons auditionnés. Le devenir des enfants conçus par insémination artificielle avec donneurs, l'anonymat du don, l'origine de l'enfant, les modalités et les motivations de recrutement des donneurs ainsi que la question du don de l'embryon sont pour nous des questions essentielles.

La composition variée de la représentation nationale au sein de notre mission reflète bien la société. Nous pensons que la bioéthique n'est pas affaire de spécialistes. Je sais que vous partagez ce point de vue. C'est dans cet esprit que nous sommes heureux de vous rencontrer.

Avec le rapporteur, nous voudrions obtenir des précisions sur le rôle du psychologue et du psychiatre d'un CECOS. Nous sommes très intéressés par le bilan des études portant sur les enfants nés de l'IAD, sur les enfants nés grâce à la technique de l'ICSI, dont nous ne pouvions naturellement pas traiter dans la loi de 1994, par le problème des donneurs, des couples demandeurs et celui du droit à connaître ses origines biologiques, sujet que nous ne saurions éluder. Votre avis de psychologue qui vivez au quotidien ces problèmes au CECOS de Lyon est pour nous très important.

M. Jean-Loup Clément. -  En ce qui concerne le rôle des psychologues et des psychiatres, la loi et les décrets d'application prévoient la présence d'une équipe pluridisciplinaire à l'intérieur des CECOS et des centres de FIV. Dans les CECOS comme dans les centres de FIV, il existe deux sortes d'interventions des psychologues et des psychiatres. Certains, comme moi, appartiennent à l'institution, sont statutairement rattachés à l'hôpital et travaillent en étroite collaboration avec les médecins. D'autres CECOS fonctionnent avec des correspondants extérieurs privés.

Les psychologues ou les psychiatres ayant un statut dans l'institution agissent en réelle collaboration avec les médecins, ce qui a une incidence sur les couples. Ils peuvent les rencontrer plusieurs fois, les accompagner et les faire cheminer comme ils le souhaitent, alors que dans un cabinet privé, ils n'ont qu'un rôle d'expert beaucoup plus limité. Les gens ont le sentiment que leur interlocuteur n'est pas en lien direct avec les médecins de l'institution. C'est tout à fait regrettable car l'approche psychologique est complémentaire de l'approche médicale, elle ne lui est pas concurrentielle. Pour le praticien, il est très agréable de travailler avec des médecins à l'intérieur d'un même service.

Les interrogations sur les enfants conçus par IAD sont récurrentes depuis de nombreuses années. À mon arrivée au CECOS de Lyon en 1978, une psychologue, Christine Manuel, avait entrepris à ce sujet une étude qu'elle a publiée depuis. Elle avait demandé aux parents d'accepter de la rencontrer lorsque les enfants auraient 18 mois, puis 3 ans. Elle avait prévu de revoir les parents lorsque les enfants auraient 10 ans. Du point de vue méthodologique, c'était très compliqué, car les parents avaient tendance à surévaluer leur relation à leurs enfants et à minimiser les problèmes, notamment lorsqu'ils voulaient avoir un autre enfant. Ils ne pouvaient pas dire que cela pouvait mal se passer à un représentant du CECOS. En outre, à 10 ans, tous les parents se sont désistés et n'ont pas voulu témoigner, ce qui peut se comprendre car une telle rencontre leur aurait renvoyé l'image de l'enfant-produit de la médecine.

La question du devenir de ces enfants est récurrente, parce que, sauf à suivre en permanence chaque enfant et ses parents, on doit renoncer à le connaître. D'autres études ont été réalisées au Japon et en Australie. Des enfants ont été soumis à des tests psychologiques à l'intérieur d'une classe, mais on se limite à mesurer un degré d'aptitude scolaire et la capacité d'un enfant à assimiler les différents apprentissages. Cela ne procure pas d'informations sur le comportement. Il faudrait pouvoir observer l'enfant directement dans sa famille, à l'école, ce qui est bien entendu exclu.

Après l'étude de Christine Manuel, j'ai entrepris une recherche par l'intermédiaire des médecins traitants. J'ai demandé à des médecins ayant des enfants conçus par IAD parmi leur clientèle de répondre à un questionnaire. Leurs réponses ont confirmé les résultats de l'étude de Christine Manuel. Les parents, un peu anxieux au départ, ont tendance à surprotéger l'enfant. Vers trois ans, dès que l'enfant, entré en maternelle, devient un peu autonome avec l'acquisition du langage, ce comportement disparaît totalement.

Vous savez sans doute que je réalise actuellement une étude sur les jeunes adultes ainsi conçus. Recrutés par voie de presse, ils se sont librement adressés à moi, en tant que praticien.

M. Bernard Charles, président. - Sur quels critères les avez-vous recrutés ?

M. Jean-Loup Clément. - J'ai demandé à des enfants exclusivement conçus par IAD de témoigner devant un psychologue de CECOS. Lorsqu'ils me contactaient, je leur expliquais qu'il s'agissait de répondre à un questionnaire assez ouvert dans le cadre d'un entretien enregistré d'une durée d'une heure et quart à une heure et demie.

J'ai rencontré vingt et une personnes, treize femmes et huit hommes. Il faut savoir qu'en psychologie comme en Histoire ou en ethnologie, en matière de récits de vie privée, une vingtaine de personnes est un nombre tout à fait satisfaisant pour valider la recherche. On considère qu'au-delà de vingt sujets, sur la même problématique, il y a saturation de l'information par répétitivité. On n'acquiert jamais plus d'informations au-delà du vingtième sujet.

Il m'est difficile d'en parler. Je ne dois pas sortir du contexte car les histoires sont singulières. S'agissant de l'anonymat et des origines génétiques, je puis toutefois vous répondre ceci. J'ai lu à la page 117 du rapport de l'office parlementaire : «  Les partisans de la levée de l'anonymat, issus principalement des rangs des psychologues et des psychiatres, estiment non éthique de priver un enfant de ses racines et de la dimension existentielle de sa venue au monde ». Je le conteste formellement. Les psychologues et les psychiatres des CECOS sont unanimes pour estimer que le don doit être réalisé dans l'anonymat. A l'extérieur, les gens proches d'un courant naturaliste sont plutôt hostiles à la méthode palliative. Ceux qui y sont un peu favorables restent partisans de l'anonymat mais souhaitent la levée du secret.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Je vous donne acte de votre remarque. À la suite de la publication du rapport, on nous a opposé cette distinction.

M. Jean-Loup Clément. - Il ne faut pas confondre anonymat et secret, comme c'est souvent le cas. L'anonymat fonctionne comme le cadre de l'insémination. Ce cadre-là permet de dire qu'il n'y a qu'un seul père, celui qui est venu demander, bien avant la conception, qu'un tel enfant naisse. Il ne demande pas à connaître des éléments sur le donneur. Le donneur est renvoyé à ce qu'il a produit. Il n'a pas de statut de géniteur. Le père est bien celui qui est venu.

Concernant le secret à l'intérieur de la famille, les parents peuvent taire ce qu'ils ont fait mais ils peuvent aussi le dire. Cela relève de leur responsabilité. Depuis une quinzaine d'années, nous considérons que les secrets de famille sont pathogènes. Nous travaillons avec les couples dans l'idée qu'il vaut mieux qu'ils le disent à l'enfant et qu'ils l'élèvent dans cette perspective, mais nous n'allons pas jusqu'à sélectionner les gens sur ce critère.

Quant aux origines, j'ai demandé à tous ces jeunes gens conçus par IAD ce qu'ils pensaient du droit de l'enfant à connaître ses origines. J'ai volontairement évité de qualifier le mot « origines ». Eux l'ont qualifié. Pour eux, «génétique » ne renvoie pas à « gènes » mais à «genèse », de même qu'à l'université, en psychologie, la psychologie génétique est l'étude du développement de l'enfant. Ils ont dit : « avant même que je sois conçu, mes parents sont allés au CECOS ». Il n'y a pas de rupture, comme dans l'adoption, où l'enfant est abandonné. La paternité IAD, c'est cet homme et cette femme qui viennent au CECOS. On ne peut plus désavouer car il est clairement établi qu'il n'existe pas de lien biologique du père à son enfant. C'est cette paternité-là que l'on reconnaît.

M. Pierre Hellier. - Les enfants l'acceptent-ils ?

M. Jean-Loup Clément. - Pour ceux que j'ai rencontrés, plus ils l'ont su tôt, mieux ils disent s'en portés. Il n'y a pas un temps de secret puis un temps de révélation. Certains parents avaient décidé de le dire à 18 ans, de sorte qu'ils ont tenu le secret pendant 18 ans, ce qui est dommageable.

M. Jean-Luc Préel. - Un pédiatre de Saint-Vincent-de-Paul spécialisé dans ce domaine m'a indiqué qu'il y avait beaucoup de prématurité dans les naissances par IAD, ce qui entraîne parfois des séquelles neuropsychiques relativement sévères. Pouvez-vous le confirmer ? Sinon, le saura-t-on un jour ? Vous semblez dire que l'on est aujourd'hui incapable de suivre les enfants nés de procréation médicalement assistée.

M. Jean-Loup Clément. - Sauf s'ils sont malades !

M. Jean-Luc Préel. - A-t-on aujourd'hui une connaissance de l'état pathologique des enfants nés de procréations médicalement assistées ?

M. Jean-Loup Clément. - Vous faites référence aussi bien à la fécondation in vitro, à l'induction d'ovulation et au don d'ovocytes.

M. Jean-Luc Préel. - Bien entendu.

M. Jean-Loup Clément. - On n'a jamais isolé les enfants conçus par IAD et par don d'ovocytes.

M. Jean-Luc Préel. - Précisément, avez-vous connaissance de différences ?

M. Jean-Loup Clément. - Non.

M. Jean-Luc Préel. - Qui peut le savoir ?

M. Jean-Loup Clément. - Vous devriez plutôt vous adresser à la néonatologie hospitalière.

M. Jean-Luc Préel. - C'est une question importante pour apprécier l'ensemble de la méthode.

Vous avez évoqué l'anonymat du don. L'un des spécialistes de la procréation médicalement assistée que nous avons rencontré propose de recourir à des dons d'ovocytes ou de sperme au sein de la famille. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Loup Clément. - J'y suis catégoriquement opposé. Il convient d'appréhender l'assistance médicale à la procréation en terme de système. Nous appliquons la règle de l'exogamie. Quand un homme et une femme veulent faire des enfants, ils sortent de leur groupe d'origine. On fait donc un enfant avec un étranger. Les travaux de Françoise Héritier sont très intéressants à cet égard. Dans ce qu'elle appelle l'inceste du deuxième type, elle englobe les alliés. Geneviève Delaisi de Parseval a écrit dans «  Enfant de personne », qu'elle était très favorable aux IAD intra-familiales puisque le géniteur est connu. Pour ma part, je considère que c'est une aberration. Il faut être cohérent. Cette médecine qui échappe à l'image de la médecine classique est destinée à faire des enfants. Un enfant ne peut pas avoir son oncle comme géniteur et son père pour l'élever. Un beau-frère ne doit pas inséminer sa belle-s_ur par l'entremise d'un médecin.

Idem pour le don d'ovocytes. Deux femmes ne sont pas identiques parce qu'elles sont s_urs. On n'insémine pas les ovocytes d'une femme avec le sperme de son beau-frère pour le réimplanter dans l'utérus de l'épouse.

Il y a un brouillage des discours de la part des médecins. Soumis à la pression des femmes, ils ne veulent pas voir le sujet en terme de système. Il faut faire très attention.

Mme Yvette Roudy. - Cela se produit pourtant dans certaines peuplades.

M. Jean-Loup Clément. - Vous faites référence à l'ethnologie. Certains sont fascinés par la circulation et le don des enfants dans le même groupe, mais cela n'a pas lieu dans nos sociétés. De plus, ces enfants ne sont pas nés par l'intermédiaire des médecins. La mission de la médecine est aussi de savoir renoncer à certaines choses.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin. - Vous avez dit que vous étudiiez ce que devenaient les enfants nés par IAD. Par définition, vous n'étudiez que ceux pour qui le secret a été révélé.

M. Jean-Loup Clément. - C'est évident.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin. - C'est une lapalissade mais il faut tout de même le dire.

M. Bernard Charles, président. - Cela signifie que la population de vingt et une personnes est par nature une population déjà ciblée.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin. - L'étude ne porte que sur une partie des personnes concernées.

M. Bernard Charles, président. - On ne peut pas faire autrement.

M. Jean-Loup Clément. - En marge de cette étude, j'ai reçu des appels téléphoniques de mères ou de pères d'enfants de 15 à 25 ans. Des femmes m'ont dit qu'elles n'en pouvaient plus de vivre dans un mensonge imposé depuis vingt-cinq ans par leur mari.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin. - J'en viens ainsi à ma question. Avez-vous étudié l'impact de la date de la révélation sur l'histoire de l'enfant ?

M. Jean-Loup Clément. - Je suis en train d'y travailler. Je dois réaliser une analyse textuelle. Je ne peux pas vous en dire plus aujourd'hui.

M. Bernard Charles, président. - Vous avez tout de même dit que le plus tôt était le mieux.

M. Jean-Loup Clément. - C'est évident. Je rapporterai une anecdote. J'ai vu à 20 ans une jeune fille qui l'avait su à 18 ans. Ses parents l'avaient emmenée dans les îles pour Noël. Le 24 décembre, dans l'avion, ils lui ont dit : « Demain, nous t'annoncerons une grande nouvelle ». Elle m'a dit : « le 25, c'était extraordinaire, on pleurait sur la plage... ».

M. Bernard Charles, président. - C'était une sacralisation !

Mme Martine Aurillac. - Ma question rejoint celle de Mme Bachelot. Vous établissez une distinction entre le secret et l'anonymat. Vous dites très justement que plus tôt le secret est révélé, mieux c'est. D'une certaine façon, c'est le cas aussi pour des parents qui adoptent. Bien qu'il soit très difficile de fixer une barre, en tant que spécialiste de la psychologie et des enfants, à partir de quel âge estimez-vous qu'il est opportun de le dire à un enfant bien développé et stable ?

M. Jean-Loup Clément. - Je pense que les parents doivent élever leur enfant dans ce contexte, de sorte qu'il n'y ait pas de révélation. Il y a une confirmation à un moment donné, mais il ne doit pas y avoir quelque chose qui est tu, puis quelque chose qui est révélé.

Mme Christine Boutin. - Je suis a priori d'accord avec vos propositions mais si, dans l'adoption, je comprends qu'il puisse y avoir dès le départ un accompagnement, un cheminement normal et que la relation parents adoptants/enfant adopté ne soit pas très difficile à vivre, en revanche, dans l'IAD, je ne vois pas comment les parents peuvent vivre dans ce contexte dès la naissance. C'est tout de même plus difficile à vivre et à expliquer.

M. Jean-Loup Clément. - L'analogie avec l'adoption est toujours très difficile à faire, parce qu'il y a eu un enfant abandonné. Quand on s'occupe des couples avant qu'ils aient des enfants, il faut être très attentif à la preuve d'amour d'un homme qui dit : « Je vais faire un cadeau à ma femme, je vais lui permettre d'être enceinte ». Ce n'est pas un très bon critère. Des enfants m'ont dit que c'était une énorme preuve d'amour de la part de leurs parents d'avoir fait tout ce cheminement.

M. Pierre Hellier. - Autrement dit, il faut ne rien dire, ne jamais mentir et répondre au questionnement lorsqu'il apparaît.

M. Jean-Loup Clément. - Tout à fait.

M. Yves Bur. - Vous dites que certaines mères ne supportent plus de devoir garder le secret, d'ailleurs souvent sous l'autorité du mari. Cela n'a-t-il pas des conséquences plus graves qu'une connaissance spontanée ? À partir des cas dont vous avez eu connaissance, avez-vous pu établir les conséquences d'un aveu tardif et presque culpabilisé ?

M. Jean-Loup Clément. - Les enfants réceptionnaires d'un aveu tardif sont finalement satisfaits qu'il n'y ait plus un secret dans leur histoire. Les mères dont j'ai parlé s'étaient confiées à moi par téléphone et il était impossible d'aller plus loin avec elles.

Dans ce système, il convient de ménager tout le monde. Chacun doit se trouver dans la tranquillité. Un donneur engage sa femme et ses enfants. Je vous ai transmis une étude que j'ai réalisée à ce sujet. Les enfants sont bouleversés de savoir que leur père a donné du sperme. Cela signifie qu'ils ont des demi-s_urs et demi-frères génétiques dans la nature, ce que l'on n'a jamais pris en compte.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Vos collègues à l'étranger ont-ils réalisé des études à ce sujet ?

M. Jean-Loup Clément. - Je n'en ai pas connaissance, d'autant que les donneurs sont payés. J'ai effectué une étude socio-psychologique des donneurs ainsi que sur leurs motivations.

Il serait bon que vous leviez dans la loi l'ambiguïté liée à l'information et à la publicité sur le recrutement des donneurs. Les donneurs doivent être très libres dans leur démarche. Personne ne doit faire pression sur eux. C'est pourquoi l'on doit faire une information publique. Actuellement, dans les CECOS, il y a une réduction du délai d'attente pour les couples qui amènent un donneur. Il m'arrive d'avoir au téléphone des hommes qui disent vouloir être donneurs. Quand je leur demande pourquoi, ils me répondent : « Parce que dans une autre ville un parent ou un ami me l'a demandé pour réduire le délai d'attente ». Si je leur demande s'ils auraient été donneurs spontanément, ils me disent que non. C'est très dommageable.

À Lyon, nous faisons de l'information dans les journaux, en ville. Nous ne faisons plus pression sur personne depuis quinze ans et nous sommes le CECOS ayant le délai d'attente le moins long, six mois, alors que d'autres sont à vingt-quatre mois.

Si j'ai bien compris, il s'agissait d'éviter le clientélisme. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Quand nous avons voulu faire une campagne avec le ministère pour le don de gamètes, nous nous sommes aperçu qu'un certain nombre de médecins et d'équipes qui avaient obtenu l'agrément ne le pratiquaient pas à cause de la difficulté du recrutement des donneuses. À Lyon, je donne toujours l'adresse Internet des services du CECOS, en sorte que les gens peuvent trouver l'adresse du centre le plus proche. Mais arrêtons de faire pression.

Par exemple, dans le cas de la jeune fille qui l'a su à 18 ans, le mari d'un couple d'amis de ses parents s'était présenté comme donneur au CECOS. Ses parents avaient donc bénéficié d'un délai d'attente réduit. Mais la jeune fille était très troublée, d'une part, qu'ils ne soient pas les seuls à savoir et, d'autre part, qu'ils ne soient plus en relation avec ce couple d'amis. Elle trouvait que cela n'était pas correct de leur part.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Selon vous, quelle doit être l'évolution ?

M. Jean-Loup Clément. - Étant donné que tout est cadré, qu'il n'est plus du tout question de clientélisme, il doit être possible de faire une information. Les centres hospitaliers de référence doivent pouvoir attribuer un budget à chaque centre procédant aux cessions de gamètes afin qu'une information soit faite localement.

M. Bernard Charles, président. - Quel type d'information ?

M. Jean-Loup Clément. - D'ordre général. À Lyon, vous verrez des affiches dans les gares.

M. Bernard Charles, président. - Pourriez-vous nous envoyer de la documentation à ce sujet ?

M. Jean-Loup Clément. - Je ne suis pas sûr de pouvoir le faire.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Est-ce au CECOS de faire l'information ?

M. Jean-Loup Clément. - C'est au centre hospitalier. De la même façon que le défraiement des donneurs est assuré par les centres hospitaliers pour les centres agréés.

M. Bernard Charles, président. - Ce sont les hospices civils de Lyon qui font la promotion car c'est eux qui ont les budgets.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - Le CECOS Midi-Pyrénées fait sa propre information, relayée par les CHU. Les plaquettes sont réalisées par les CECOS et prises en charge par les CHU.

M. Jean-Loup Clément. - Ils font tous partie des CHU !

M. Bernard Charles, président. - Cela peut se faire sans modification législative.

M. Jean-Loup Clément. - L'article en question dispose que la publicité est interdite mais que l'information est permise.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Je maintiens cette distinction.

M. Jean-Loup Clément. - Il est évident que l'on ne fait pas de publicité pour son propre service.

M. Patrick Delnatte. - Vous êtes favorable au secret du donneur.

M. Jean-Loup Clément. - Non, à l'anonymat !

M. Patrick Delnatte. - Nous sommes d'accord sur l'anonymat, mais vous avez évoqué la possibilité que les enfants du donneur puissent savoir qu'ils ont des demi-frères ou des demi-s_urs. Ne conviendrait-il pas de demander aux donneurs de garder le secret du don ?

M. Jean-Loup Clément. - Les secrets ne se tiennent pas. Les secrets de famille sont des secrets de Polichinelle. Un homme qui a été donneur le dira, et il aura raison.

Mme Christine Boutin. - Ma question concerne l'homme donneur de sperme, et l'anonymat. Au moment des discussions en 1992 et 1994, j'ai reçu plusieurs lettres d'hommes me faisant part de leur difficulté d'être après avoir donné leur sperme. En se promenant dans la rue, ils se disaient qu'ils étaient peut-être en train de croiser leur fils. Avez-vous rencontré ce problème ?

M. Jean-Loup Clément. - On n'a jamais vu un adulte conçu par IAD venir directement demander des comptes dans un CECOS. J'en ai demandé récemment la confirmation à Pierre Jouannet, président de la fédération. De même, on n'a jamais vu des donneurs venir tenir de tels propos aux CECOS. Mais effectivement, on a pu voir des gens comme ça. Un délire sur la filiation a été remarqué.

Cela dit, il est écrit dans le rapport du Conseil d'État que l'on pourrait aller jusqu'à vingt grossesses par donneur. Je ne conteste pas l'argument de la probabilité statistique mais je ne voudrais vraiment pas que l'on aille au-delà de cinq, comme c'est le cas actuellement. L'image de la famille nombreuse est plutôt de quatre à cinq enfants. Lors de mon étude sur 850 donneurs, j'avais constaté qu'ils avaient déjà eux-mêmes un peu plus d'enfants que la moyenne : 2,3 contre 1,8. Cinq grossesses, c'est-à-dire éventuellement cinq enfants, doit être le maximum. Il faut aussi ménager le donneur et sa progéniture.

Mme Yvette Roudy. - On trouve, sur Internet, des offres d'achat d'ovocytes. On propose 25 000 dollars pour l'achat d'ovocytes à des personnes en bonne santé, brunes ou blondes, présentant bien. Un trafic, un commerce, sont en train de s'organiser, notamment autour des pays de l'Est. Y a-t-il eu des réactions ? En France, on n'y pense pas car on sait très bien que c'est interdit.

M. Jean-Loup Clément. - Il faudrait que le discours des médecins sur le don d'ovocytes soit le plus cohérent possible. Que l'on arrête de parler de tourisme ovocytaire ! Il existe un discours qui n'est pas cohérent dans le choix des valeurs et dans le choix idéologique. Je le disais tout à l'heure à l'égard de la constitution de la famille. Il n'est pas possible d'entendre des médecins dire que la stérilité est une maladie et qu'il faut la guérir. On n'est pas dans le colloque singulier médecins/patients que l'on va guérir. On fait des enfants. C'est aux médecins et à vous-mêmes, députés, de dénoncer les cas que vous avez relevés sur Internet.

Mme Yvette Roudy. - Nous essayons mais cela ne va pas loin.

M. Pierre Hellier. - Le donneur doit-il ou non informer son épouse et sa famille ?

M. Jean-Loup Clément. - Je considère que le conjoint doit être averti. Je trouverais très agressif qu'un homme fasse des enfants dans la nature sans que sa femme en soit avertie. Quant aux enfants, je n'ai pas d'opinion, sauf ce que je vous ai dit sur le secret. Quand les enfants ont grandi, on peut le leur expliquer.

M. Jean-Luc Préel. - Quelles sont les principales motivations des donneurs ?

M. Jean-Loup Clément. - Le discours manifeste des hommes est de rendre service à un couple stérile, d'aider quelqu'un. Le discours latent est plus compliqué. Un homme donne à une femme avec un certain nombre de fantasmes d'adultère. Cet argument, qui relève de l'inconscient et motive quelques-uns, démobilise tous les autres. C'est la raison pour laquelle nous avons une pénurie de donneurs. Quand je fais une consultation de vasectomie, les consultants ne se voient pas avoir des enfants dans la nature. Le même argument démobilise 99,9 % des donneurs potentiels. Les donneurs sont plutôt des gens sains, sympathiques et solides. Il est très difficile de les recruter.

Pour les femmes, c'est très différent parce que c'est le don d'une femme à une autre femme avec un discours obscur qui consiste à dire que la grossesse va absorber les qualités premières de l'ovocyte. On se met à nier toute notion biologique et génétique de l'ovocyte.

M. Bernard Charles, président. - On constate un cheminement analogue dans l'adoption.

M. Jean-Loup Clément. - S'agissant de l'IAD, il est réclamé de créer des fratries. Depuis quinze ans, je répète avec force que, puisqu'il n'y a pas de lien biologique du père à son enfant, pourquoi juxtaposer un lien biologique entre des enfants ? De plus, il y a une pénurie de sperme. On ne va pas demander aux gens s'ils en veulent pour un deuxième, pour un troisième. On veut ramener le biologique là où il n'a pas lieu d'être et on devient incohérent. Si des enfants sont issus d'un même donneur, un même homme est vraiment dans la famille. Il n'y a pas de lien biologique du père à l'enfant. Il n'y a donc pas de lien biologique entre les enfants.

En disant cela à la fédération des CECOS, j'ai dû convaincre la moitié des biologistes, qui me l'ont dit, les autres estimant qu'il est bien de garder un lien biologique entre enfants.

J'ajouterai que les couples susceptibles de donner des embryons ne sont pas, au départ, dans une démarche de don. C'est d'abord pour eux.

Très personnellement, quand je lis qu'en cas de décès d'un membre du couple, il est possible de donner des embryons, je trouve l'image violente. Le décès suspend tout, arrête le projet d'enfant. Quand je lis qu'après six mois, quand la veuve a fait son travail de deuil, elle pourrait récupérer les embryons, je considère que la notion de travail de deuil est un peu galvaudée. Pour moi, au bout de six mois, c'est l'image de quitter l'habit de deuil mais elle n'a fait aucun travail psychologique.

Mme Yvette Roudy. - Comment le savez-vous ?

M. Jean-Loup Clément. - Je vais vous le dire. Au sens psychanalytique, réaliser un travail de deuil c'est manifester une capacité d'élaboration sur un événement traumatique que l'on a vécu afin de faire en sorte qu'il soit le moins douloureux possible. Si une femme parvient à accepter la mort de son mari, elle ne demande plus à vivre dans le souvenir. Il serait sans doute très douloureux pour un enfant de naître plusieurs années après la mort d'un homme qui aurait pu être son père.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Quelle est votre position ? Faut-il maintenir le statu quo ?

M. Jean-Loup Clément. - Pas d'enfant post mortem.

Mme Yvette Roudy. - C'est une partie de son corps. Si elle souhaite qu'on lui restitue cet embryon, au nom de quoi s'y opposerait-on ?

M. Jean-Loup Clément. - Si elle avait des ovocytes, elle les récupérerait. Ce projet d'enfant-là s'est arrêté avec la mort de l'homme, à l'origine de l'embryon.

Mme Yvette Roudy. - C'est vous qui le dites !

M. Jean-Loup Clément. - Le problème, c'est que la congélation suspend le temps. C'est en quoi on devient incohérent.

Mme Yvette Roudy. - Je ne suis pas d'accord.

M. Bernard Charles, président. - Nous sommes ici pour discuter.

M. Alain Claeys, rapporteur. -  Reconnaissez tout de même que le choix entre la destruction ou le don à un tiers est horrible pour la femme.

M. Jean-Loup Clément. - Je ne le conteste pas.

M. Pierre Hellier. - Vous êtes en train de nous dire que la femme qui demande la restitution de l'embryon après la perte de son époux n'a pas terminé son travail de deuil.

M. Jean-Loup Clément. - Oui. Le travail de deuil vise à souffrir le moins possible et à voir la perspective d'une nouvelle union. Le don d'embryon est d'autant plus compliqué que les gens ne sont pas, initialement, dans une démarche de don. De plus, ils doivent gérer la question de la fausse gémellité. Un collègue m'a dit que dans son service de pédopsychiatrie, une personne était venue dire : « Il est intolérable que j'aie deux jumeaux de 6 et 4 ans. » Elle n'avait pas fait d'enfant comme elle le voulait et s'en rendait d'autant plus compte qu'ils n'avaient pas été conçus dans le rapport sexuel.

Il est difficile pour eux de penser qu'après, il y aura des enfants dans d'autres familles. Les parents ont eu des difficultés pour avoir leurs enfants. Si, de plus, ils donnent, il y aura de vrais frères et s_urs génétiques dans des familles différentes. Par moitié, ce n'est déjà pas simple d'accepter que l'un des parents ait été donneur. Là, on raisonne en vrais frères et s_urs génétiques. Ils auront une proximité d'âge et certains seront jumeaux du moment de la conception.

M. Jean-François Mattei. - Je voudrais ajouter un commentaire car, d'une façon générale, je souscris à l'opinion qui a été exprimée à différentes reprises. Est-ce que les techniques médicales n'ont pas pour but essentiel de corriger des processus naturels qui, pour des raisons pathologiques, ne peuvent pas se dérouler normalement ? Or, dès lors que l'on entre dans une démarche post mortem, on n'est plus du tout dans la correction de processus naturels pathologiques, on est dans la manipulation. En 1994, cela a été un des sujets les plus dramatiques.

M. Bernard Charles, président. - Oh oui !

M. Jean-François Mattei. - Nous avons vu à la télévision cette veuve qui exprimait sa détresse. Les psychologues et les psychiatres nous ont bien expliqué que cette femme réagissait davantage à la perte de son mari qu'au refus. Je ne fais que vous rapporter l'avis des psychiatres, je m'avoue totalement incompétent en la matière. Dès lors que l'on « s'amuse » à jouer avec le temps et avec la mort, on n'est absolument pas certain de rester dans une logique médicale. Or on est a priori dans une logique médicale lorsque l'on développe ces techniques.

Mme Yvette Roudy. - Je ne suis pas d'accord. On en reparlera.

M. Jean-Loup Clément. - Je pense que la mission de la médecine doit s'arrêter à un moment donné.

M. Jean-François Mattei. - Je rappellerai un cas précis car il faut toujours avoir une casuistique. J'ai raconté cette histoire dans un livre parce que c'est une de celles qui m'a le plus marqué. Après dix années de stérilité, un couple sollicite une fécondation in vitro. Lors du prélèvement des ovocytes, on découvre des taches brunâtres sur le col de l'utérus de la femme. On effectue un prélèvement biopsique. Les ovocytes sont fécondés sans attendre. On découvre ensuite la présence d'un cancer et on lui retire l'utérus. Au bout du compte, ce couple a des embryons et la femme n'a plus d'utérus. Si on se place dans la logique absolue de vouloir, on débouche sur la mère porteuse et l'utérus d'accueil.

M. Bernard Charles, président. - Je vois que beaucoup de nos collègues femmes ne vous suivent pas.

M. Jean-François Mattei. - J'essaie d'entrer dans une logique.

Mme Yvette Roudy. - Excusez-moi, monsieur Mattei, il faut tout de même aussi penser à l'être humain. Vous êtes dans une logique médicale. On nous explique que les gens se trompent. Ils croient qu'ils pensent cela alors qu'ils ne le pensent pas. Qui sommes-nous pour décider que ce que les gens pensent n'est pas en réalité ce qu'ils pensent ? Ils pensent une chose. Que diable, ils ont des droits dans cette société !

Cette femme avait un cancer mais ses embryons étaient-ils sains ?

M. Jean-François Mattei. - Oui.

Mme Yvette Roudy. - Très bien. Cela voulait dire qu'elle pouvait avoir des enfants.

M. Jean-François Mattei. - Non !

Mme Yvette Roudy. - Elle ne pouvait pas les porter. Elle pouvait peut-être les donner, mais pourquoi s'opposer ? Pour les parents qui entrent dans ce processus, c'est très pénible, c'est long, cela coûte cher, ils paient de leur corps et nous irions leur dire ce qu'ils doivent décider ! Il faut les écouter. Ecoutons-les ! Nous ne sommes pas sûrs de détenir la vérité contre ce qu'ils ont envie d'exprimer. Ayons un peu d'humilité les uns et les autres.

Mme Martine Aurillac. - Je partage la modestie de ma collègue Mme Roudy. Je ne répondrai pas à M. Mattei car nous avons eu ce débat en 1994, mais je voudrais demander ceci à notre invité. Une veuve a conçu un projet parental avec un mari qu'elle aimait et qui lui a été enlevé en une nuit par un terrible accident de voiture. Au nom de quoi empêcheriez-vous que ce projet qui a été conçu à deux, qui était un vrai projet parental, puisse aboutir ? Pourquoi ne penseriez-vous pas que cela l'aiderait à faire son travail de deuil ?

M. Jean-Loup Clément. - Je ne peux que répondre que lorsqu'un homme décède pendant la grossesse de sa femme, on ne se pose pas de questions. Il faut que la grossesse soit poursuivie et que l'enfant naisse. Là, ce n'est pas la même démarche.

M. Bernard Charles, président. - Vous vous fondez sur la démarche biologique !

M. Jean-Loup Clément. - Non. C'est philosophique. La mort suspend, arrête. Le projet d'enfant est arrêté par la mort. Du point de vue psychologique, faire peser sur un enfant le souvenir d'un homme n'est pas lui permettre de bien partir dans la vie. Cela ne peut que nuire à son développement.

Mme Christine Boutin. - Je ne sais pas si notre invité peut répondre à ma question mais je la pose à l'ensemble de la mission. On envisage de donner les embryons surnuméraires.

M. Bernard Charles, président. - Cela se discute.

Mme Christine Boutin. - Cela posera la question de l'anonymat puisque l'on sait très bien quels sont les parents.

M. Bernard Charles, président. - Pas toujours.

Mme Christine Boutin. - On envisage de donner l'embryon à la recherche. La plupart du temps, on accepterait le don d'embryons au bout de cinq ans, après que les parents les ont abandonnés. Cela implique que l'on connaisse l'identité de ces parents.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Une personne que nous avons auditionnée nous a indiqué qu'il y a un certain nombre d'embryons surnuméraires pour lesquels on ne connaît pas les liens de parenté.

Mme Christine Boutin. - Comment fera-t-on pour ceux que l'on connaît ?

M. Alain Claeys, rapporteur. - Nous y reviendrons.

M. Jean-Loup Clément. - J'évoquerai un sujet actuellement crucial pour les psychologues et les psychiatres qui se heurtent aux médecins, à savoir les demandes d'insémination pour les couples dont l'homme est en fait une femme opérée, c'est-à-dire un transsexuel. Nous avons manifesté notre désaccord. Légalement, c'est un homme et ils sont mariés. Au regard de la loi, ils forment un couple, mais je pense que l'on ne change jamais de sexe. Le sexe anatomique et génétique est immuable.

Mme Yvette Roudy. - Les enfants ont besoin d'amour.

M. Jean-Loup Clément. - Et alors ?

Mme Yvette Roudy. - Tant qu'il y a un couple qui s'aime...

M. Bernard Charles, président. - Merci beaucoup, Monsieur, de votre contribution. Vous avez pu constater que nos débats étaient animés.

Audition de M. Claude FATH,
président de la commission plénière des assurances de personnes,
et de M. François EWALD, directeur de la recherche et de la stratégie,
de la Fédération française des sociétés d'assurance

(Extrait du procès-verbal du 13 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Claude Fath, directeur Central vie individuelle du groupe Axa, président de la commission plénière des assurances de personnes à la Fédération française des sociétés d'assurance, ainsi que M. François Ewald, conseiller pour la recherche, accompagnés par un de leurs collaborateurs, M. Jean-Paul Laborde, qui suit les travaux parlementaires.

Messieurs, dans le cadre de la phase préparatoire au réexamen des lois bioéthiques de 1994, nous procédons à des auditions thématiques. Avec vous, nous abordons les questions liées aux conséquences possibles du développement des tests génétiques. Elles sont moins d'actualité que celles relatives à la recherche sur l'embryon et la brevetabilité du vivant, mais elles sont, pour beaucoup d'entre nous, primordiales. La connaissance de son patrimoine génétique par un individu ou par des tiers peut avoir des conséquences de nature psychologique, sociale et économique que chacun perçoit.

Votre Fédération a d'ailleurs participé à la réflexion préparatoire à l'étude du Conseil d'État sur la révision des lois bioéthiques. S'il est un domaine où l'interrogation sur le rôle du législateur pour prévenir certaines dérives est importante, c'est bien celui-là. Nous tenons donc à connaître votre avis de professionnels de l'assurance sur ce sujet que vous suivez particulièrement depuis plusieurs années.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Ce sujet n'est pas d'actualité mais je suis convaincu qu'il sera demain au c_ur de nombreux débats, touchant non seulement à l'individu mais aussi à notre modèle social. Nous sommes tous, autour de cette table, parfaitement conscients des problèmes que cela pose. Notre principale interrogation est de savoir si l'on peut accepter de laisser se développer des pratiques susceptibles d'entraîner, à un moment ou à un autre, des discriminations entre les individus selon leur patrimoine génétique, en termes d'assurance ou d'emploi.

Quelle est votre pratique actuelle en matière de questionnaires de santé ? Il est important pour nous de savoir où vous en êtes. Pouvez-vous expliciter l'engagement quinquennal pris par les assureurs en mars 1999 de ne pas faire de la soumission à un test génétique une condition d'accès à l'assurance ? Vous avez participé à l'élaboration des suggestions du Conseil d'État. Quel est votre avis à ce sujet ?

Enfin, au-delà de vos engagements, je vous poserai une double question. Selon vous, est-ce l'affaire du législateur ou cela doit-il rester l'affaire de la société dans ses accords contractuels ? Si c'est l'affaire du législateur, pensez-vous que la loi de 1994 est assez précise ? Est-ce que la convention d'Oviedo ou la Déclaration de l'UNESCO répondent à toutes les questions ou bien doit-on aller plus loin ?

M. Claude Fath. - Monsieur le président, merci de nous recevoir pour ce sujet vaste et qui nous occupera vraisemblablement encore pendant quelques années, au fur et à mesure que la science et la médecine évolueront.

Avant de passer la parole à François Ewald qui a conduit de nombreuses réflexions théoriques sur ce sujet, j'essaierai de répondre à votre première question. Quelles sont nos pratiques dans ce domaine ?

Vous le savez, nous avons, en 1994 et en 1999, pris un moratoire en fonction duquel les entreprises d'assurance s'interdisent de demander aux candidats à l'assurance de passer quelque test génétique que ce soit ou de faire usage des résultats de ceux qu'ils pourraient avoir passés. Nous l'avons fait en 1994, parce que nous pensions que sur un sujet sensible, encore mal connu, il était convenable de ne pas chercher à utiliser de tels tests et que nous n'avions pas besoin, du point de vue éthique comme pour le fonctionnement de nos entreprises, d'aller dans cette voie. Nous avons renouvelé cet engagement au mois de mars de l'année dernière.

Par conséquent, à la question : faites-vous passer ou demandez-vous à vos proposants de passer des tests génétiques, la réponse est « non ». Nos pratiques traditionnelles d'examen nous suffisent largement pour apprécier, tarifer de la façon la plus équitable et la plus exacte possible, les risques qu'il nous est demandé de garantir.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Cette position, effectivement très claire, a-t-elle été prise par vos collègues assureurs dans l'ensemble des pays européens ou bien connaissez-vous des situations différentes ?

M. Claude Fath. - Il y a au moins un pays où la réflexion est différente, la Grande-Bretagne.

M. Jean-François Mattei. - Comme d'habitude !

M. Claude Fath. - Je ne me hasarderai pas à comparer les m_urs anglaises et les m_urs françaises. Pour bien des raisons, je préfère vivre de ce côté-ci de la Manche. On ne peut pas non plus considérer que toute la réflexion engagée par nos amis britanniques soit a priori à rejeter parce qu'elle est britannique.

En abordant la génétique, on entre dans un domaine très nouveau pour l'humanité, dont on se demande s'il ne recèle pas davantage de risques que d'espérances. Dès lors, on prend une série de précautions pour éviter des dérapages, en particulier afin que ces «affreux» assureurs n'utilisent les progrès actuels ou à venir pour sélectionner davantage leurs risques.

L'assurance-vie recouvre trois types d'activités. Le premier est la collecte d'épargne en vue de la retraite, qui représente un gros volume de chiffre d'affaires et des couvertures de risques décès relativement limitées. Exceptées quelques garanties planchers, peu de garanties complémentaires fonctionnent en cas de décès de l'assuré. Le deuxième secteur important est la garantie de capitaux ou de revenus si l'assuré vient à décéder en cours de contrat. Ce sont des opérations de prévoyance pour garantir des emprunts, sa famille ou son entreprise. Cette activité obéit également à des règles normales de souscription et de sélection. Le troisième secteur est celui des assurances destinées à se protéger contre les conséquences d'un arrêt d'activité par suite d'incapacité de travail ou d'invalidité.

Ces opérations sont facultatives. Elles relèvent d'un souci de protection et de prévoyance. L'assureur doit, dans l'intérêt de la mutualité des assurés qu'il garantit, être extrêmement attentif aux phénomènes d'anti-sélection, c'est-à-dire aux comportements des assurés qui ont tendance à vouloir se garantir lorsqu'ils connaissent la réalité de leur situation pathologique et non pas lorsqu'ils sont encore en pleine forme. Nous avons donc besoin de demander à l'assuré des informations de caractère médical, d'autant plus approfondies que les capitaux à garantir sont élevés et/ou que l'âge de l'assuré est avancé. Cela se passe bien. Les différents examens médicaux que nous demandons nous suffisent aujourd'hui pour garantir et tarifer les risques proposés.

Je voudrais appeler votre attention sur un dernier point. J'ai dit que nous n'avions ni le besoin ni l'intention - d'où le deuxième moratoire - de nous aventurer dans la demande d'examens génétiques dont la fiabilité n'est d'ailleurs pas avérée aujourd'hui. Toutefois l'assurance, qui est volontaire, facultative, ne peut fonctionner équitablement et durablement que dans l'égalité d'information entre le souscripteur et l'assureur. L'opération d'assurance est une opération de bonne foi, comme l'indique l'article 113-8 du code des assurances. Elle repose sur la déclaration exacte et complète des éléments connus de l'assuré, de nature à faire apprécier par l'assureur le risque à garantir. Dès lors - oublions un instant l'aspect génétique -, si l'assuré a connaissance d'éléments aggravants concernant sa santé, il faut que l'assureur ait la même information pour pouvoir tarifer équitablement le risque à garantir. Par conséquent, si demain, un demain qui peut être lointain, l'on devait arriver à banaliser certains types d'examen et à en tirer des informations que l'on ne peut pas en tirer aujourd'hui, il ne faudrait pas que cette information et cette évolution soient unilatérales car le jeu de la mutualité de l'assurance serait irrémédiablement faussé.

M. Pierre Hellier. - Dans ce cas de figure précis, il y aurait fausse déclaration de la part de celui qui aurait connaissance d'un résultat d'examen qui lui serait défavorable et qui ne vous le soumettrait pas.

M. Claude Fath. - J'ai rappelé le besoin absolu d'égalité d'information entre l'assureur et l'assuré, sinon le fonctionnement de l'assurance s'opérerait au détriment du tarif de l'ensemble des assurés.

M. Pierre Hellier. - Je ne dis pas le contraire.

M. Claude Fath. - Pour ce qui concerne les examens génétiques, nous avons pris la décision en 1994, renouvelée en 1999, de ne pas demander de tests génétiques même si l'assuré en a subi. Même s'il a eu connaissance de leurs résultats, nous les écartons complètement. C'est un sujet qui n'est pas posé, qui n'est pas d'actualité et que nous n'avons pas l'intention de rendre d'actualité. Nous avons signé en 1999 un protocole pour cinq ans. Autrement dit, aujourd'hui cela n'entrerait pas dans le champ de la fausse déclaration.

Mme Yvette Roudy. - Vous ne demandez pas de tests génétiques. Vous dites avoir pris l'engagement de ne pas demander le passage de tests. J'ai eu entre les mains des questionnaires soumis à des personnes souhaitant contracter une assurance-vie qui comportait une liste assez complète de maladies potentielles. En fonction des réponses, vous pouvez tout de même demander des examens. Vous en avez le droit et vous le faites.

M. Claude Fath. - Non seulement nous en avons le droit, mais nous en avons le devoir.

La frontière de capital à assurer se situe généralement entre 700 000 et 1 000 000 de francs, selon l'âge du proposant. En dessous de cette somme, l'assuré est invité à remplir un questionnaire médical effectivement assez complet. On lui demande son poids, sa taille, sa tension artérielle, ses habitudes en matière de tabagisme et d'alcoolisme, s'il a fait l'objet d'interventions chirurgicales, s'il prend des médicaments et lesquels, mais il n'y a rien de génétique. Lorsque le candidat passe une visite médicale parce que le capital dépasse un million de francs, le médecin, avant de l'examiner, lui posera les mêmes questions sur son passé médical. Si les capitaux sont encore plus importants, on demande des examens de laboratoire. C'est le processus normal et indispensable pour pouvoir tarifer équitablement le risque qui nous est proposé.

M. Jean-Luc Préel. - Je poserai la question différemment. On a tendance à stigmatiser les assureurs. Par ailleurs, on sait qu'il existe des maladies génétiques familiales. Pour certaines maladies comme le cancer du sein, il existe des prédispositions. Lorsque j'aurai fait mon test et que j'aurai la preuve que je n'ai pas le gène, est-ce que je pourrai pas bénéficier d'un bonus ? Vous voulez pénaliser les mauvais mais si je suis bon, est-ce que je pourrai y avoir droit ?

M. Claude Fath. - Je suis désolé de vous décevoir, la réponse est négative. À chaque âge correspond une normalité en matière d'état de santé. Si vous êtes dans cette normalité, on applique le tarif normal.

M. Bernard Charles, président. - La normalité peut varier en fonction des régions. Le taux moyen de cholestérol n'est pas identique partout.

M. Claude Fath. - La longévité varie selon les régions, encore qu'il faille la regarder avec beaucoup de réflexion statistique. On nous dit, par exemple, que l'on vit plus longtemps sur la Côte d'Azur.

M. Bernard Charles, président. - Et en Midi-Pyrénées !

M. Claude Fath. - Dans les pays du sud en général. Cela s'explique très simplement par le fait que beaucoup de gens viennent y passer leur retraite. Or pour prendre sa retraite, il faut ne pas être mort préalablement et avoir un peu plus d'argent que la moyenne pour pouvoir s'offrir des moyens de séjour. La conjonction des deux fait que la longévité semble être plus grande dans les régions ensoleillées de notre pays que dans les régions froides. Dans des régions comme l'Alsace, les mauvaises habitudes alimentaires créent une certaine surmortalité. Je le dis d'autant plus librement que je suis alsacien. Mais nous sommes loin du génétique. Nous sommes dans la pratique normale d'une activité d'assurance.

M. Jean-Luc Préel. - Dans un consensus général, tout le monde s'accorde à dire qu'il ne faut pas faire de sélection fondée sur les gènes. Or on nous a expliqué que l'important était l'information adéquate maximale entre le souscripteur et l'assureur. À partir du moment où l'on a de nouvelles données scientifiques éprouvées, qu'est-ce qui vous pousse, hormis l'aspect médiatique, à renoncer aux tests génétiques ?

M. François Ewald. - C'est un débat très particulier. On vient de dire qu'en raison de l'engagement pris en 1994 par les assureurs français, renouvelé et valide jusqu'en 2004, il n'y a pas de question pratique sur génétique et assurance. En revanche, il y a des débats théoriques, avec tous les problèmes que cela pose. Ils sont souvent très abstraits et susceptibles de s'enflammer sur des questions qui risquent de ne pas se poser au contact de la réalité.

Avant de répondre à votre question, il convient de noter que l'engagement de 1994 des assureurs a été pris avant que le législateur ne légifère sur la question. C'est-à-dire que la loi n'a pas été faite pour les assureurs. Elle l'a sans doute été pour beaucoup parce qu'il y avait une sensibilité dans l'opinion.

On peut noter aujourd'hui trois déplacements dans la manière d'aborder ces questions par rapport à il y a quelques années.

Le premier est d'ordre scientifique. J'ai été frappé de la manière dont s'est fait la célébration, au mois de juin dernier, de la fin du séquençage du génome. Le thème n'en était pas : maintenant, on sait tout, mais plutôt : maintenant, on ne sait rien, mais on va savoir, on va sans doute savoir, on saura peut-être. C'était l'affirmation à la fois de la disposition d'un matériel extraordinairement important et d'une grande interrogation sur la signification de ce matériel.

Le deuxième grand déplacement s'est produit dans l'opinion. J'ai là deux coupures de journaux, l'une extraite du Lancet, l'autre de la American Medical Association, qui ne sont pas des publications d'assureurs, où il est écrit que les craintes exprimées sur assurance et génétique étaient infondées. La réalité n'a pas du tout été celle que l'on pensait.

Il y a eu enfin un déplacement éthique entre la position prise par le Comité consultatif national d'éthique et celle du Conseil d'État, lequel n'est pas moins qualifié en matière d'éthique.

M. Bernard Charles, président. - Mais il ne l'est pas plus que l'Assemblée nationale !

M. François Ewald. - Certainement !

Marie-Angèle Hermitte a rendu au ministère de la justice un rapport sur ces questions qui n'est pas aussi dramatisant que l'on aurait pu le faire il y a une dizaine d'années.

Cela signifie qu'à la fois du point de vue scientifique, du point de vue éthique et du point de vue de l'opinion, la perception du problème ne cesse de se modifier. La raison du moratoire et de l'engagement est qu'il est beaucoup trop tôt, à la fois du point de vue scientifique, du point de vue éthique et du point de vue sociologique, pour savoir ce que l'on peut et doit faire. Il faut attendre que la science progresse.

Pour le moment, on est à un niveau de recherche qui commence à avoir des applications médicales, mais il est beaucoup trop tôt - j'irai jusque-là, au risque d'encourir les foudres du Professeur Mattei - pour parler de médecine prédictive. Pour le moment, les tests génétiques ont une valeur de diagnostic, ils n'ont pas une valeur prédictive.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Vous portez un jugement de valeur sur la médecine prédictive, mais il intéresse le législateur de savoir si le contrat suffit ou si la loi doit passer par là.

M. Bernard Charles, président. - C'est notre thème !

M. Alain Claeys, rapporteur. - Sur le reste, nous aurons le débat.

M. François Ewald. - Vous avez demandé quel est le sens de l'engagement des assureurs. L'engagement des assureurs, qui n'est pas, au sens propre, un moratoire - un moratoire signifiant que l'on s'est engagé dans une pratique que l'on suspend, avant de la reprendre - tend à dire qu'il est actuellement trop tôt pour savoir. En revanche, nous souhaitons participer à une discussion publique, afin que l'on puisse aborder les sujets de façon pragmatique.

La régulation est-elle l'affaire du Parlement ou doit-elle être assurée sous d'autres formes ? C'est certainement l'affaire du Parlement.

D'abord, le Parlement s'en est déjà saisi de plusieurs manières. Il a pris des dispositions spécifiques en matière de tests génétiques mais il a aussi pris des dispositions spécifiques en matière de discrimination. L'article 225-3 du code pénal, dont l'auteur est ici présent, énonce précisément les règles et les conditions en fonction desquelles la sélection d'un risque n'est pas une discrimination. Le législateur de 1990 a posé une distinction fondamentale entre sélection d'un risque et discrimination. Ce faisant, il a d'ailleurs repris une argumentation présente dans notre droit constitutionnel et dans notre droit public.

Le droit constitutionnel énonce, dans l'article premier de la déclaration des droits de l'homme de 1789, que « Tous les hommes sont libres et égaux en droit », mais que les distinctions ne sont accordées qu'au mérite, c'est-à-dire que tout en posant un principe d'égalité, il reconnaît un principe de sélection. Est discriminatoire une sélection qui s'opère sur des critères inadéquats. L'article 225-3 du code pénal précise que dans la mesure où la tarification de l'assureur correspond à l'évaluation objective du risque, celle-ci ne constitue pas une discrimination. Serait considérée comme discriminatoire une tarification opérée selon des critères non liés au risque. Il s'agit d'une disposition fondamentale qui est appliquée - aucun procès n'a été intenté, aucune société d'assurance n'a été condamnée sur cette question -, à même d'encadrer le problème des discriminations.

Le législateur de 1994 a pris des dispositions sans préciser le principe juridique qui les motivait. Par exemple, dans les conventions que vous avez signalées tout à l'heure, les principes sont rappelés, notamment le principe de non-discrimination. Or cela ne figure pas dans le texte de 1994, ce qui peut donner lieu à des interprétations très différentes. Il serait donc nécessaire que le législateur rappelle les règles et les principes auxquels l'assurance doit obéir en la matière.

En ce qui concerne la mise en _uvre de ces principes, je pense qu'en raison même de l'évolution constante du savoir, de l'évolution constante de la nature et de la diversité des risques à couvrir, l'on ne peut pas raisonner dans les termes généraux : génétique et assurance. Les problèmes de discrimination se poseront de façon tout à fait distincte d'un type d'assurance à un autre, selon le type de garantie. Ce ne sont pas les mêmes techniques qui sont en _uvre, ce n'est pas nécessairement le même type de valeur sociale que nous donnons à ces types d'assurance, ce qui implique une très grande diversité de régulation. À cela s'ajoute l'évolution des perceptions éthiques et des perceptions sociales. En fonction de cette évolution, il est sans doute plus adéquat de prévoir, dans le cadre de grands principes fixés par le législateur, des régulations d'ordre déontologique ou conventionnel capables d'intégrer la diversité et les modifications des pratiques.

L'exemple anglais est intéressant. Le gouvernement britannique a demandé aux assureurs de lui faire des propositions. Ils ont répondu par un code de conduite extrêmement contraignant pour les assureurs. Il interdit la sous-tarification, il interdit de demander des tests génétiques comme condition d'assurance, fixe des seuils. Il a été repris par le gouvernement anglais et prévoit notamment qu'un assureur ne pourra avoir accès à un test génétique dont un assuré connaîtrait le résultat que dans la mesure où le test est relevant, c'est-à-dire pertinent, d'une part du point de vue scientifique, ce qui veut dire qu'en la matière la connaissance est acquise et consolidée, et, d'autre part, par rapport au risque. Car on pourrait avoir un test qui aurait une valeur prédictive pour une maladie à développement très long. Or pour une garantie relativement brève, il est clair que l'utilisation d'une telle donnée n'est pas pertinente puisqu'elle n'a pas d'incidence sur le risque.

Ce type de régulation montre que l'on peut très bien avoir des règles déontologiques encadrées et contrôlées par des institutions publiques. En Angleterre, les assureurs ne peuvent pas décider qu'un test est relevant. Ils peuvent seulement, au vu des connaissances scientifiques, exprimer leur souhait d'avoir la possibilité de demander à un assuré s'il a subi tel test. Une commission indépendante décide si tel test est relevant ou non en la matière. C'est extrêmement important dans la pratique de l'assurance parce que cela signifie que, en matière de génétique, l'examen de santé est objectivé et publicisé.

Ne pensons pas que des déontologies encadrées publiquement soient des morceaux de papier sans force. Au contraire, elles engagent des pratiques et transforment le métier même de l'assureur.

On peut aller plus loin. Dès lors que l'on reconnaît la légitimité de l'assureur à se garantir contre le risque d'anti-sélection, on peut envisager que l'ensemble des règles de souscription soit complété par des codes de pratiques des assureurs permettant aux personnes en situation difficile d'être aidées. Je rappelle que le risque d'anti-sélection concerne le fait qu'une personne demande à être assurée après avoir eu connaissance du risque que l'assureur n'aurait pas. C'est une fraude vis-à-vis de la mutualité, puisqu'un acte d'assurance consiste à intégrer un groupe. Ne pas déclarer un risque revient à frauder le groupe auquel on appartient.

Ainsi, au-delà des règles concernant la souscription, un certain nombre de pratiques peuvent être développées. Par exemple, on peut faire en sorte que si la solution d'assurance ne soit pas pertinente à l'égard de tel ou tel besoin, ce dernier puisse être pris en charge par d'autres instruments et que l'assureur serve de guide ou de point de passage. Il peut jouer un rôle de conseil, d'informateur. Des règles de confidentialité doivent être définies.

Par le biais conventionnel ou par le biais déontologique, il est possible de construire des dispositifs à la fois très pertinents, très contraignants et très évolutifs. Cela peut correspondre à notre problème.

M. Jean-François Mattei. - Je voudrais tout d'abord rassurer M. Ewald : il ne risque pas de subir mes foudres.

Je suis de ceux qui, dès le début, ont estimé que l'expression de « médecine prédictive » nous faisait tomber dans un piège. Nous subissons le poids de cette appellation, parce qu'elle nous vient de Jean Dausset. Le développement des données génétiques nous conduit aujourd'hui à établir une distinction entre la vraie médecine prédictive - rare - et la médecine présomptive, c'est-à-dire l'analyse de facteurs génétiques de risque qui, associés à certaines conditions environnementales et de vie, pourraient contribuer au développement de certaines pathologies.

S'il est vrai que l'on ne doit pas considérer les tests génétiques dans leur ensemble - la plupart des gènes sont des facteurs de risque non prédictifs mais présomptifs -, en revanche, il existe tout de même, ici ou là, une tentation de s'assurer du renseignement lorsque celui-ci est relevant, ce qui justifie que le législateur pose des bornes. Peut-être pourrez-vous nous expliquer les tenants et les aboutissants de l'affaire de Toulouse qui va être au centre d'une émission de télévision diffusée sur Arte le 9 octobre. À la suite d'un dépistage du test de la maladie de la chorée de Huntington, une compagnie d'assurance a refusé d'assurer la personne.

Tout cela est bien joli en France. Tant mieux si les Britanniques rejoignent, sur un autre mode, cette façon de faire. Mais peut-on réellement se passer d'une règle internationale dans un monde où l'on peut s'assurer où l'on veut sur des critères que l'on veut ? M. Préel a abordé tout à l'heure le problème de la contre-sélection. Qu'est-ce qui peut aujourd'hui empêcher des gens sachant que leur patrimoine génétique est globalement de bonne qualité de se regrouper dans des compagnies dont les montants de cotisations seraient bien entendu beaucoup plus bas que la moyenne, laissant aux autres compagnies le soin d'assurer ceux dont le risque serait plus élevé ?

Autrement dit, estimez-vous qu'il est du domaine de la législation nationale de poser des verrous, qui seraient en réalité des alibis d'une bonne conscience, car au niveau de l'organisation globale internationale, ce ne serait probablement pas efficace ?

M. Alain Claeys, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu directement à la question. Je comprends bien votre démarche mais, quel que soit le terme employé, il s'agit de savoir si le législateur doit préciser certains points et si oui, dans quel contexte. Je mesure la dimension européenne et internationale, mais nous serons d'autant plus à l'aise pour aborder les sujets européens ou internationaux que nous serons au clair dans notre pays.

M. Jean-Paul Bacquet. - Mon analyse, volontairement simpliste, va dans le même sens que les questions de M. Préel et de M. Mattei. A priori, les compagnies d'assurance n'ont pas pour vocation de faire des déficits. L'analyse médicale des sujets à assurer est d'autant plus fine que le capital est élevé. Le risque pour l'assurance est proportionnel au risque de maladie. Or actuellement, avec les connaissances médicales que vous obtenez sur les dossiers que vous faites remplir, vous ne perdez pas d'argent. Dans ces conditions, que peut vous apporter aujourd'hui le test génétique ? Strictement rien, sauf dans le sens de la remarque de M. Préel. Dès lors que le risque est couvert par l'ensemble des assurés, peut-il y avoir un intérêt pour la compagnie d'assurance, puisque la globalité couvre le risque plus fin que l'on percevrait par une meilleure connaissance génétique ?

Mme Christine Boutin. - Vous nous avez indiqué que conformément au moratoire, vous ne demandiez jamais de test génétique. Il me semble que votre propos doit être nuancé puisqu'un hémophile, par exemple, n'est pas soumis aux mêmes conditions d'assurance qu'un non hémophile. Or l'hémophilie est une maladie génétique. Vous êtes donc déjà confrontés à cette réalité.

M. Jean-François Mattei. - Madame Boutin, nous parlons du dépistage présymptomatique. Un hémophile est déclaré en tant que tel, au même titre qu'un myopathe. Le but des tests génétiques est de dire par avance qu'il y aura obligatoirement telle maladie ou qu'il existe un risque accru.

M. Yves Bur. - Jusqu'où devons-nous aller dans la loi ? Si je vous ai bien compris, vous estimez qu'il faut rappeler des principes, faire des recommandations et laisser aux professionnels assureurs le soin d'élaborer un code de bonne conduite. Il est certain que la matière est en évolution permanente et que l'on ne pas la figer définitivement dans une loi, même si celle-ci doit être revue régulièrement.

M. Bernard Charles, président. - Tous les cinq ans !

M. Yves Bur. - Nous voyons aussi cette régularité prendre du retard.

M. Bernard Charles, président. - Parce que réviser une loi demande du temps.

M. Yves Bur. - Il faut donc être en mesure d'accompagner les progrès. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par recommandations et par partage entre la bonne conduite et la loi ?

M. François Ewald. - Je répondrai d'abord sur l'affaire de Toulouse. Il y a actuellement en France un très grand nombre de contrats en cours.

M. Claude Fath. - Une vingtaine de millions.

M. François Ewald. - Sur vingt millions de contrats en cours, il y a eu un problème, qui a été résolu par la compagnie concernée. Sur la durée, cela représente peut-être un problème sur cent millions de contrats.

M. Claude Fath. - On pourrait presque prendre cet exemple comme un élément de la réflexion. Voilà peut-être quelqu'un qui, à la suite d'un test qui l'a informé qu'il était porteur d'un gène induisant un risque de développer cette affection, a souscrit un contrat d'assurance-vie. Se pose alors la question suivante : est-ce que, ayant souscrit parce qu'il avait cette affection et en étant finalement victime, la compagnie devait ou non payer compte tenu des engagements pris ? La réponse est « oui ». Mais on voit bien que derrière ce cas unique, non significatif du point de vue statistique, se pose la vraie question qui est celle de l'action au détriment de la mutualité des assurés. Vous avez raison de dire que nous ne sommes pas là pour perdre de l'argent. D'ailleurs, si tel était le cas, cela ne durerait pas longtemps. J'exerce le métier d'assureur-vie depuis trente-huit ans. Je peux vous dire qu'en trente-huit ans, j'ai vu sans interruption baisser le tarif d'assurance décès dans notre pays. Cela est normal puisque les fréquences diminuent mais le risque n'est jamais égal à zéro, car on meurt à tout âge de la vie.

Le problème ne se pose donc pas là.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Le problème ne se pose pas là parce que, selon vous, il n'existe qu'un cas sur vingt millions, d'où le moratoire. Mais la question est réelle.

M. Claude Fath. - Posons-nous la question de l'intérêt des assurés.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Tout à l'heure, je n'ai pas voulu vous reprendre mais vous avez eu dans votre conclusion un accent de sincérité. Vous avez dit : au bout du compte, si l'on savait, il faudrait se poser la question. Vous acceptez aujourd'hui de respecter un moratoire car vous considérez que le risque d'un sur vingt millions que vous prenez est supportable.

M. Claude Fath. - Prenons un exemple non génétique. Imaginez que vous passiez un électrocardiogramme et un examen cardio-vasculaire complémentaire et que les résultats soient désastreux. Vous le savez. Votre assureur ne le sait pas. Et vous vous assurez. Est-ce équitable ?

M. Pierre Hellier. - Il y a fausse déclaration.

M. François Ewald. - Aujourd'hui, pour nous, le risque n'est pas économi-que, il est politique. Si jamais, dans la conjoncture présente, un assureur demandait à connaître le résultat de tests génétiques, l'activité même d'assurance risquerait d'être mise en cause en France. Actuellement, les connaissances ne permettent pas de considérer que l'information fournie par tel ou tel test a une fiabilité permettant l'établissement d'un calcul actuariel.

M. Claude Fath. - Je reviens à votre question sur la législation à laquelle je pensais avoir répondu. Il manque en France les principes du type de ceux qui figurent dans les documents internationaux sur les motifs de nature à générer des réglementations. Si ces principes, tels que le principe de non-discrimination, sont formulés, on peut concevoir que leur mise en _uvre soit organisée sous la forme d'une discussion entre les pouvoirs publics - une agence, une institution spécifique de l'État - et la profession, en sorte qu'il y ait à la fois la rigueur, la contrainte, l'obligation et la souplesse nécessaires.

Je pense qu'aujourd'hui, en l'état des connaissances, et indépendamment des principes éthiques, des principes fondamentaux au regard des droits de l'homme, il n'y a pas à légiférer, à moins que la législation se trouve prise en défaut par la réalité de demain. Aujourd'hui, les pratiques n'existent pas, mais si vous légiférez pour 2005, puisque le moratoire des assureurs s'arrête en 2004, il est fort probable qu'à l'époque, la réalité ne correspondra pas à la loi que vous ferez aujourd'hui.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Notre réflexion au sein de la commission pour réviser la loi comportera plusieurs niveaux. Le Parlement, après avoir rappelé les principes, pourra envisager la création de structures indépendantes pour pouvoir évaluer un certain nombre de choses.

M. François Ewald. - Dans l'engagement de 1994 renouvelé en 1999, la profession de l'assurance a souhaité la création de lieux de discussion où l'on puisse débattre des problèmes concrets. Une des raisons de l'évolution du débat, est que l'on a commencé par parler de l'assurance de façon très abstraite. À mesure que la discussion progresse, ceux qui s'intéressent au débat connaissent mieux les réalités pratiques d'une matière assez difficile et technique.

M. Pierre Hellier. - Y a-t-il dans le monde des assureurs qui acceptent d'intégrer des éléments génétiques dans leur pratique ?

M. Claude Fath. - À la Fédération, nous n'avons pas procédé à un examen des pratiques de souscription et de tarification dans l'ensemble des pays du monde développé, puisque c'est là que se pratique l'assurance.

Je dirai en conclusion qu'il ne faut pas oublier que notre métier, c'est d'assurer et non de ne pas garantir. Tout ce que nous avons fait ces dernières années en matière médicale a consisté à repousser sans cesse les limites de l'assurabilité, à augmenter le nombre de gens à qui l'on proposait une solution d'assurance et non pas le nombre de ceux à qui on la refusait. Aujourd'hui nous assurons, soit au tarif normal, soit à un tarif aggravé correspondant au risque représenté réellement par la personne, 98 % des cas qui nous sont soumis. C'est une situation que l'on ne connaissait pas il y a encore dix ans.

M. Bernard Charles, président. - C'est vrai en matière d'assurance tradi-tionnelle. Je rentre des États-Unis où j'ai été très surpris de ce que j'ai découvert dans cinq dossiers que je suis allé voir à la FDA : des assurances refusent la prise en charge d'un traitement malgré un avis favorable de la FDA.

M. Claude Fath. - Nous n'avons pas le temps de comparer les pratiques. Il y a quelque temps, un journaliste qui rentrait des États-Unis m'a téléphoné pour m'informer qu'il y avait vu des pratiques horribles en matière d'assurance. Il avait lu dans un journal que des entreprises ayant pignon sur rue proposaient à des personnes malades de racheter leur contrat d'assurance-vie. Cela heurte notre sensibilité et nos pratiques, mais quand vous réfléchissez bien au sujet, cela ne mérite certainement pas d'être écarté d'un revers de main, car cela correspond à une réalité.

Faut-il ou non légiférer ? Le Parlement qui est souverain fera dans ce domaine ce qu'il voudra. Après avoir rappelé que notre métier est d'assurer et non pas d'exclure, je voudrais dire qu'il ne faut pas insulter l'avenir et se garder de prendre des décisions qui seraient contredites demain par la réalité ou mettraient les entreprises françaises d'assurance dans une situation d'inégalité de concurrence et d'inégalité de fonctionnement.

Aujourd'hui, le moratoire va jusqu'en 2004. Peut-être en 2004 ferons-nous un moratoire allant jusqu'en 2009, peut-être en 2009, nous irons jusqu'en 2014. Nous verrons comment évoluent les choses. Mais si un jour il devenait aussi banal et aussi présomptif de faire quelques tests génétiques que des mesures de cholestérol, faudrait-il se priver de progrès qui permettent d'affiner la tarification et de proposer des baisses de tarif et de meilleures conditions qui profitent à la collectivité des assurés ? Si en France on devait ne pas pouvoir le faire alors que cela serait devenu général ailleurs en Europe, les capitaux les plus élevés, les gens les plus riches, les gens les mieux informés, iraient souscrire leurs contrats d'assurance décès à l'étranger. Le problème serait traité par l'absurde, ce qui ne serait l'intérêt de personne.

M. Bernard Charles, président. - Merci.

Audition de M. Jean-Christophe GALLOUX,
professeur de droit privé à l'université de Paris II
et directeur du DESS de droit des biotechnologies
de l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Je vous remercie d'avoir accepté de répondre à notre invitation. Nous avons souhaité vous rencontrer pour évoquer avec vous la brevetabilité du vivantun sujet important qui a fait déjà l'objet de débats.

M. Alain Claeys, rapporteur. - À la suite d'une directive européenne et de sa transcription dans notre droit, la question de la brevetabilité a fait grand bruit. Un de nos collègues a été à l'initiative d'une pétition à ce sujet. Le Président de la République et le Gouvernement ont demandé des éclaircissements complémentaires sur cette transcription. Il est donc utile que notre mission vous entende sur ce sujet difficile.

On a coutume d'établir la distinction un peu facile entre la découverte et l'application. Entre les deux, on situe à peu près correctement le brevet. On ajoute que le brevet est un moyen d'assurer une publicité. Mais force est de reconnaître que dans le domaine du vivant, la frontière devient plus difficile à déterminer. Pourriez-vous nous éclairer sur ce sujet ?

M. Jean-Christophe Galloux. - Mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré d'être parmi vous aujourd'hui. Cela me rajeunit : il y a neuf ou dix ans, j'étais venu dans les mêmes locaux, peut-être pas avec les mêmes participants mais pratiquement pour le même texte, même s'il ne figurait pas dans le projet initial des lois bioéthiques. Il y avait été ajouté par M. Toubon et a été retenu par la représentation nationale dans le texte définitif.

La brevetabilité dans le domaine des sciences biologiques - pour prendre un terme général car nous irons du général au particulier - n'est pas un sujet nouveau. Il est vrai cependant que les textes sur lesquels sont fondés le droit français et le droit européen, dont le principal est la convention de Munich de 1973, ont été élaborés alors que les développements que l'on connaît n'avaient pas encore été réalisés. Le texte, adopté en 1973, a été transcrit en droit français en 1978 et la révolution du génie génétique est intervenue dans les années 1973-1975, 1975 étant l'année de la fameuse déclaration d'Asilomar sur la sécurité en matière biologique.

Vous pourriez me dire qu'il n'est pas étonnant qu'avec des textes déjà vieux au moment de leur adoption, on ait rencontré des difficultés par la suite. Il ne faut pas être aussi catégorique. Le droit de brevet, depuis sa conception, notamment depuis sa conception au niveau international qui remonte à la convention de Paris de 1883, prévoit d'englober dans son périmètre les inventions dans le domaine biologique, même s'il n'en avait pas encore les moyens techniques.

Les premières difficultés, pour appréhender par un droit de propriété industrielle les créations dans le domaine de la biologie se sont fait jour après la Première Guerre mondiale, avec le développement plus technique et plus efficace de l'obtention de plantes grâce aux découvertes de Mendel à la fin du XIXe siècle, reprises au début du XXe siècle. On s'est alors demandé comment ces créations végétales, fruit du travail de l'homme sur le vivant et reproductibles, pouvaient être protégées par le brevet. La technique du brevet a été considérée comme insuffisante à l'époque. Les Américains ont montré la voie - l'histoire se répète - en adoptant, en 1930, une modification de la loi sur les brevets, le Plant Patent Act, s'appliquant aux créations végétales. Cela a été fait au niveau européen puis mondial, à l'instigation de la France, en 1961 avec la convention UPOV - Union pour la protection des obtentions végétales.

Il ne faut donc pas croire que le difficile mariage de la propriété industrielle et de la biologie est récent. Effectivement, la propriété industrielle, de nature plutôt mécaniste, est relativement éloignée des mécanismes biologiques proprement dits. Je le rappelle pour donner l'idée de ce qui s'est développé depuis quelque vingt-cinq ans.

Qu'a-t-il fallu faire lorsque l'on a commencé d'acquérir une maîtrise beaucoup plus efficace des mécanismes du vivant grâce à la maîtrise de l'information génétique ? Ceux qui l'ont développée venant de l'industrie chimique ou pharmaceutique, ils ont logiquement reproduit les mécanismes de protection juridique dont ils disposaient pour les protéines et les autres types de molécules complexes, sachant que, tout débat métaphysique mis à part, l'ADN, le CADN ou le MARN ne sont jamais que des grosses molécules. C'est donc tout naturellement que le droit des brevets a été sollicité pour protéger ces inventions dans la continuité de ce qui se faisait en matière chimique. Même chose pour les micro-organismes sur lesquels on travaille depuis Pasteur. Les premiers brevets sur des souches vivantes ont été déposés par Pasteur en 1873, mais à l'époque, le vivant était appréhendé de façon assez mécaniste.

Il est évident que les offices des brevets, saisis de telles demandes, ne les ont pas a priori rejetées parce qu'il n'existait pas de textes généraux qui indiquassent qu'il fallait rejeter ce qui était d'origine biologique. Il a fallu toutefois procéder à quelques adaptations.

La première adaptation du système de brevet a porté sur la description. Le matériel de départ peut rarement être décrit par écrit dans le formulaire de brevet comme le prescrit la loi. On a donc commencé de déposer ces micro-organismes ou de ces souches de départ, et ceci depuis les années quarante pour les vaccins et les souches de micro-organismes. On reste donc dans la continuité puisque cette pratique se perpétue. La directive de 1998 la reprend.

La seconde difficulté, moins particulière que pour la brevetabilité, concerne la portée du droit des brevets pour des inventions qui se reproduisent d'elles-mêmes, ce qui n'est évidemment pas le cas en matière mécanique. Jusqu'à présent, elle n'avait été résolue dans aucune réglementation, ni européenne ni mondiale. Cette difficulté conduit à aménager formellement le droit de brevet, dès les années 1980-1985, aux niveaux mondial et européen. En 1985, l'OMPI a commandé au Professeur Strauss des rapports sur ces questions. L'année suivante, la Commission européenne a commencé de travailler dans le cadre du grand marché unique sur une adaptation du droit des brevets à l'appréhension des inventions biotechnologiques. Parallèlement à ce travail, on a continué de breveter.

Il faut abandonner l'idée selon laquelle les problèmes sur lesquels on travaille ne se posent que depuis un an ou deux. Cela fait vingt-cinq ans que l'on dépose des brevets dans le domaine des biotechnologies. Les tous premiers brevets portant sur l'ingénierie génétique sont désormais dans le domaine public.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Dès lors, pourquoi cet émoi ?

M. Jean-Christophe Galloux. Parce que, avec ces problèmes de breve-tabilité, on a touché à des choses délicates que nous n'osons pas nous avouer les uns et les autres. Le brevet n'est que le signe et non la cause de l'émoi. Il est révélateur d'une technicisation, d'une certaine réification du vivant, notamment du vivant humain, apparue depuis beaucoup plus longtemps, pour des raisons souvent plus nobles qu'on ne le pense, d'ordre médical et pharmaceutique, et à ce que des objets d'origine humaine circulent entre les hommes. On procède à des implantations, on connaît la société France Transplant, eh bien il existe même des accords pour éviter l'assujettissement des transplants à la TVA au passage des frontières...

En amont et en aval du brevet, il existe tout un travail technique sur le vivant, notamment d'origine humaine. On considère que c'est bien parce qu'on ne veut pas voir les mécanismes économiques dans lesquels tout cela s'inscrit. Mais quand on aperçoit le brevet, on se dit qu'il y a une sorte d'appropriation du vivant. Elle apparaît de façon plus violente que pour les mécanismes que je viens d'évoquer. Le brevet sert de révélateur.

Sur le plan symbolique, le brevet est un instrument de commerce, un instrument qui sent l'argent, qui sent la mondialisation, qui sent le soufre. L'expression « appropriation du vivant par le brevet » déclenche des réactions désagréables.

La médiatisation a beaucoup contribué à dramatiser le débat. Elle est née de deux événements survenus aux États-Unis. Le premier est l'affaire Moore, le second est le dépôt d'une demande de brevet sur un nombre incalculable d'amorces de gènes (EST) par Craig Venter qui, par la suite, allait encore faire parler de lui. Il travaillait pour le NIH et s'est dit que l'on verrait bien quelle serait la réaction de l'office américain des brevets.

M. Bernard Charles, président. - J'ai rencontré le patron de cet office pendant une demi-journée. Ils ont une approche très «cow-boy» du système. Je ne juge pas, je fais un constat. Il m'a dit : « Je ne suis pas là pour faire de l'éthique mais pour enregistrer. Vos rapports avec le comité d'éthique, je ne connais pas ».

M. Jean-Christophe Galloux. On y vient. La loi de 1999 sur le finan-cement de la recherche reproduit avec vingt ans de retard ce que l'on connaît aux États-Unis. Si on demande au NIH de déposer des brevets, il dépose des brevets. C'est ainsi qu'il se finance, sans se poser de questions.

M. Bernard Charles, président. - L'office des brevets perçoit quantité d'argent pour l'État fédéral.

M. Jean-Christophe Galloux. - J'indique au passage que, parallèlement, le NIH a été l'initiateur du mouvement bioéthique. C'est là-bas qu'ont été créés les premiers comités d'éthique. Tout n'est donc pas aussi noir dans ce monde-là.

Pour en revenir au vivant humain, j'ai souvent entendu que le brevet ne pouvait pas porter sur quelque chose de naturel. Le naturel est ce que l'on découvre et non pas ce que l'on invente. Cela m'amène à préciser deux notions, celle d'invention et celle de découverte. Curieusement, en droit français et européen, on ne définit pas ce qu'est l'invention. Le code de la propriété intellectuelle consacre tout un chapitre au brevet, lequel protège une invention, mais on ne sait pas ce que c'est. Les offices des brevets et la doctrine juridique, comme la pratique, définissent le brevet comme « une solution technique donnée à un problème technique ». C'est la définition allemande, elle est bonne.

Un brevet ne porte pas sur un objet physique mais sur quelque chose qui se concrétise dans un objet physique. Si vous achetez une voiture Renault, elle comporte un certain nombre d'éléments, supports de droits intellectuels : droit des dessins et modèles, droit des brevets. Cela ne vous empêche pas d'en être propriétaire et d'en faire ce que vous voulez : la peindre en rose, la prêter à quelqu'un. En revanche, vous n'avez pas le droit de démonter le moteur et d'en reproduire à des fins commerciales les éléments protégés. Ce n'est pas exactement la même chose que la propriété corporelle. Je suis désolé d'être aussi basique mais la mauvaise compréhension de ces notions fondamentales est à l'origine d'une des grandes confusions sur le sujet dont on parle.

La question du type de prérogatives que le breveté peut avoir sur l'objet physique dans lequel l'invention se concrétise doit être pesée de façon extrêmement rigoureuse. Si vous êtes propriétaire d'un brevet portant sur une séquence génétique, quelles sont vos prérogatives, à vous, breveté, vis-à-vis de cette séquence dans chacun de nos corps ? C'est en ces termes que la question doit se poser. L'objectif des lois bioéthiques que vous avez heureusement votées il y a six ans, c'est de protéger la liberté de la personne en son corps, afin qu'elle puisse se défendre et qu'elle ne puisse pas être atteinte par le pouvoir d'autrui dans son dernier cercle d'intimité.

La question précise que pose le brevet est donc de savoir quelles seraient les prérogatives attribuées à quelqu'un ayant pris un brevet sur une invention relative à un produit corporel, vis-à-vis d'un autre individu. Je n'ai trouvé qu'une seule véritable prérogative, qui, exercée, serait de nature à porter atteinte à la liberté de l'individu en son corps : la possibilité de saisir un matériel contrefaisant. C'est-à-dire qu'en forçant le trait, l'on pourrait dire, par exemple : « Monsieur Claeys, je vous saisis parce que vous êtes contrefacteur de mon gène ». J'établirai le parallèle avec une prothèse de hanche. C'est un produit fabriqué mais il est aussi incorporé. Or il ne viendrait à l'idée de personne d'aller saisir une prothèse de hanche chez quelqu'un. Il existe tout de même une décision de jurisprudence pour un dentier qui avait été saisi !

M. Alain Claeys, rapporteur. - Au travers de ces boutades, on revient au sujet.

M. Jean-Christophe Galloux. Il importe de mesurer qu'il y a une différence de degré. L'objet n'est pas le même. L'invention est une conception technique informationnelle, une façon de faire par rapport à un objet physique.

Qu'en est-il par rapport à ce qui est naturel ? On ne saurait inventer quelque chose qui existe déjà. Eh bien, si ! Certes, l'invention se définit par opposition à la notion de découverte, mais qu'est-ce que découvrir ? Au sens littéral, c'est soulever le couvercle, c'est-à-dire révéler quelque chose qui préexistait et que l'on ignorait. Il est logique que le fait de découvrir ne vous donne strictement aucune solution technique à un problème technique mais l'objet découvert, lui, est nouveau par rapport à l'état de la technique.

On cite dans toutes les facultés de droit le cas de M. Boulard, qui était un grand spécialiste du champignon. En se promenant dans une sapinière, il voit un superbe champignon dont il ignorait l'existence. Il le cueille et le baptise Mucos Boulard. Il court à l'INPI de l'époque pour le faire breveter. On lui répond que c'est impossible. Transposez cela à Celera, à Transgène ou à n'importe quelle autre société de biotechnologie. Cette société vous dit : « Dans mon listing de séquençage, j'ai trouvé une séquence intéressante ». Vous lui répondez : « Que pouvez-vous en faire ? Où est la solution technique à quel problème technique ? »

Une découverte n'est pas une invention. Cependant, le code de la propriété intellectuelle, de même que la convention sur le brevet européen et la pratique constante des offices de brevets, que ce soit en matière de biologie ou en matière de mécanique, disent que n'est exclue de la brevetabilité que la découverte en tant que telle. Dans la mesure où une découverte est le support d'une invention, ce qui est assez souvent le cas, vous pourrez englober la base de découverte dans la revendication de votre invention, mais vous ne pourrez pas revendiquer la seule découverte. Par exemple, si vous découvrez un gène, c'est une découverte. Si vous lui trouvez une application, une « utilité »...

M. Bernard Charles, président. - Vous êtes au c_ur du débat. On découvre le gène. Vous nous dites qu'il faut lui découvrir une propriété. Le problème, c'est que l'on voit effectuer des dépôts pour des découvertes à venir. En sorte que si quelqu'un trouve à ce gène une nouvelle propriété, il est bloqué par le dépôt antérieur. C'est cela qui nous pose problème.

M. Jean-Christophe Galloux. Pas exactement. Je prendrai un exemple simple. Imaginons qu'un inventeur-découvreur découvre un gène. Il le séquence, l'isole, met en _uvre un certain nombre de procédures techniques et trouve à quoi il peut servir. Il réalise dès lors une invention.

M. Bernard Charles, président. - Mais comment le trouve-t-il ? Ce n'est pas ce que l'on voit dans les dépôts de brevets dans ce domaine !

M. Jean-Christophe Galloux. - Il découvre un gène, le séquence, l'isole et il se demande ce qu'il va pouvoir faire avec. La découverte est avant tout une démarche de scientifique : elle s'arrête à ce stade.

M. Bernard Charles, président. - En l'état actuel des découvertes, il ne peut pas vous le dire. C'est tout notre problème.

M. Jean-Christophe Galloux. - J'y viens. Je vais répondre très précisément à votre question.

Le technicien indique que le gène, tel qu'isolé, purifié etc. peut servir de sonde pour faire telle ou telle découverte. C'est une solution technique qui est brevetable. On en revient au brevet défini comme une solution technique à un problème technique. Sa solution technique consistera à dire : prenez le chromosome X, sur ce chromosome, vous découvrirez la séquence XYZ. Mettez-la dans tel système vectoriel etc. qui vous permettra de fabriquer une sonde. Ce technicien va revendiquer le gène, le mécanisme et le produit final.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Que se passe-t-il si, à deux mille kilomètres, une autre équipe de recherche met en évidence le même gène pour une autre application ?

M. Bernard Charles, président. - On sait très bien qu'une société a bloqué un gène, exigeant des royalties sur des découvertes qu'elle n'avait même pas pu imaginer. Notre problème de législateur est d'éviter cette mécanique infernale.

M. Jean-Christophe Galloux. - Ce que je dis est valable pour un gène comme pour n'importe quoi d'autre. Ce peut être une molécule chimique ou un roulement à billes. Cela paraît plus aigu ici parce que c'est de la santé qu'il s'agit.

M. Bernard Charles, président. - Et c'est du potentiel. En chimie, on voit si la réaction a fonctionné ou pas.

M. Jean-Christophe Galloux. - Vous êtes inventeur. Vous avez une solution technique. Vous ne savez pas si elle fonctionne. Vous n'avez pas le temps de vérifier si la solution technique que vous préconisez pourra faire l'objet d'une véritable exploitation commerciale. Je suis d'accord avec vous sur le fait que dans 99 % des cas, dans le domaine de la chimie ou de la biotechnologie, vous ne savez pas si la solution technique que vous avez élaborée pour déposer le plus rapidement possible le brevet débouchera ou non sur une application technique. Mais ceci est monnaie courante dans le domaine du brevet, que l'on soit dans le champ des biotechnologies ou de l'électronique. Il faut se rappeler deux éléments, l'un juridique, l'autre économique.

Du point de vue juridique, il faut ET IL SUFFIT que votre invention soit nouvelle, qu'elle soit inventive et qu'elle puisse être susceptible d'application industrielle, cette dernière exigence recouvrant la distinction découverte/invention. J'insiste sur le mot « susceptible ». Vous n'avez pas dans le droit actuel, que ce soit en matière biotechnologique, en matière physique ou en matière mécanique, à démontrer la faisabilité de la solution technique que vous revendiquez. C'est la raison pour laquelle neuf brevets déposés sur dix sont abandonnés. Soit on n'arrive pas à les mettre au point, soit c'est inutile, soit c'est trop cher à produire, soit encore il n'y a pas de marché pour l'invention.

M. Pierre Hellier. - Imaginons qu'un laboratoire commercialise un médica-ment contre le cholestérol. Ce produit breveté lui appartient, il est protégé. Un autre chercheur découvre que ce médicament a des effets contre l'asthme. Que se passe-t-il ?

M. Jean-Christophe Galloux. - Je fais ici appel au législateur français parce que le droit français ne reconnaît pas la deuxième application thérapeutique ! Vous auriez l'occasion de faire faire un bond en avant à l'industrie pharmaceutique. Si vous découvrez un produit présentant des vertus thérapeutiques médicamenteuses, vous le breveterez en indiquant une application thérapeutique suffisamment large. C'est le cas pour l'aspirine. On a découvert x années après que l'acide acétylsalicylique pouvait prévenir certaines affections cardiaques. A priori cette seconde application thérapeutique n'est pas brevetable en France. Ce n'est pas le cas dans les grands pays voisins de la France. La France est le seul pays où l'on ne peut pas breveter la deuxième application thérapeutique à cause de la façon dont la loi est libellée.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Cela signifie qu'indirectement, lorsque l'on utilise cette méthode, lorsqu'il y a découverte d'un gène et application potentielle d'une technique, ce gène est brevetable dans le périmètre de l'invention. On ne peut donc plus l'utiliser. En conséquence, M. Mattei a raison.

M. Jean-Christophe Galloux. - M. Mattei a raison de dire que vous pouvez bloquer un gène mais à des fins exclusivement commerciales. Quelle est la différence entre cette conception et celle en matière chimique ?

M. Alain Claeys, rapporteur. - Vous pouvez breveter un élément du vivant.

M. Jean-Christophe Galloux. - Vous êtes propriétaire de votre chien, de votre chat, de vos poissons rouges, le vivant est approprié depuis l'époque néolithique.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Donc la directive européenne ne pose aucun problème ?

M. Jean-Christophe Galloux. - Je reviens sur l'application industrielle, qui est au c_ur du système permettant de réintégrer une revendication de produit qui porte sur la séquence génétique dans le périmètre de l'invention. Ce mécanisme est conforme au droit. Il a toujours été appliqué dans ce domaine. Dans la loi européenne, celle de la convention sur le brevet européen et bientôt la loi communautaire avec le règlement communautaire, seule la découverte en tant que telle est exclue de la brevetabilité. La loi européenne n'exclut pas la découverte en tant que support d'une invention.

M. Bernard Charles, président. - Ce que nous, législateurs, ne voulons pas, c'est que quelqu'un qui aurait la capacité de déposer un brevet en prétextant quelque chose bloque toute évolution ou toute invention, pour reprendre votre terme, que pourrait faire une autre équipe ailleurs dans le monde. Nous ne pouvons pas l'accepter.

M. Jean-Christophe Galloux. - Ce ne serait pas acceptable ! Je ne défends pas le texte communautaire, j'essaie d'expliquer ce qu'il est, ce qu'il fait et ce qu'il ne peut pas faire. Il a renforcé, et c'est l'un des éléments essentiels de cette législation, l'exigence d'application industrielle. Il ne s'agit plus seulement pour l'invention d'être « susceptible » d'application industrielle, mais de décrire concrètement l'application industrielle.

Mme Christine Boutin. - C'est plutôt bien.

M. Bernard Charles, président. - Tout à fait !

M. Jean-Christophe Galloux. - C'est très bien si les tribunaux sont vigilants. L'article 5 de la directive prévoit que : « L'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée ».

M. Bernard Charles, président. - Ce n'est plus « susceptible ».

M. Jean-Christophe Galloux. - Le législateur français pourrait faire quelque chose d'important. Vous aurez remarqué, et cela va dans le sens de la déclaration Blair-Clinton, que l'on ne sait pas si cet article 5 fait uniquement référence aux séquences génétiques d'origine humaine ou aux séquences génétiques au sens large. Comme par hasard, lorsque l'office des brevets a « transcrit » cette disposition, il l'a limitée aux séquences génétiques humaines. Or le même problème d'accès à la diversité génétique se pose en matière de vivant, d'animaux ou de micro-organismes.

Je suggère donc à la représentation nationale d'être précise dans sa transposition car ce n'est pas contraire à la lettre de la directive. Certes, l'article 5 est consacré au corps humain, mais l'alinéa 3 ne fait pas mention des séquences génétiques humaines. Nous verrons bien ce que la Cour de justice dira par la suite, mais je trouverais normal et bon pour la recherche d'étendre cette nouvelle exigence à l'ensemble du vivant, humain et non humain. Je peux vous dire, connaissant bien les professionnels, qu'ils ont bien vu que l'alinéa 3 de l'article 5 rend moins facile les dérives. Craig Venter et certains autres chercheurs disent : « j'ai un gène intéressant, voyons vite ce que l'on peut faire avec » et ils bricolent une solution. Quatre mille demandes de brevet sont pendantes devant l'Office. Qui les dépose sinon les Américains ? Il ne faut pas leur en vouloir.

J'en viens à l'accès et à la possibilité de découvrir. Qu'est-ce qu'interdit le droit de brevet ? Le droit de brevet, les prérogatives d'un brevet n'interdisent que l'exploitation commerciale de l'invention et non la recherche à des fins commerciales. Si l'on trouve d'autres propriétés à ce gène désormais breveté, ce peut être une véritable invention. Elle sera alors dépendante de l'invention précédente (mais pas nécessairement). Ce sera une amélioration ou un perfectionnement. Notre droit, comme la plupart des droits européens, prévoit que le breveté de perfectionnement peut l'exploiter. Si le brevet dominant l'interdit, il lui faut obligatoirement une licence qu'il peut se voir attribuer par un tribunal.

Mme Christine Boutin. - Donc, on peut le faire ?

M. Jean-Christophe Galloux. - Oui. Avec une licence, donc une redevance. Ce qui est logique.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Pour vous, il n'est pas exact de laisser entendre que l'autre chercheur ne pourrait pas avoir accès à ce gène.

Mme Christine Boutin. - Ce n'est pas vrai ?

M. Jean-Christophe Galloux. - Juridiquement, ce n'est pas vrai.

Je vais vous citer un exemple précis. L'Institut Curie a eu un problème avec les gènes de prédisposition au cancer BRCA 1 et BRCA 2. Il y avait de nombreuses équipes en concurrence sur la découverte de ces gènes mais les Américains les ont brevetés plus rapidement que les autres. Ils ont même peut-être été les premiers à les découvrir. Ils ont ainsi inventé un système de dépistage en cours de brevetage en Europe mais qui doit déjà l'être aux États-Unis. Ils ont signifié à l'Institut Curie qu'il ne pouvait plus commercialiser des kits de dépistage sans royalties. Cet organisme demandait par ailleurs à l'Institut de lui envoyer les prélèvements provenant des femmes afin de réaliser le dépistage aux États-Unis, avec les problèmes de confidentialité que cela pose, car il avait construit une énorme usine à Salt Lake City qu'il fallait rentabiliser. Je leur ai dit: « si vous être licencié, vous devez traiter vous-mêmes vos tests en France. »

M. Bernard Charles, président. - La licence est faite pour une exploitation.

M. Jean-Christophe Galloux. - Cela ne bloque pas la recherche mais cela bloque le chercheur pour des développements commerciaux, parce qu'il sait que quelqu'un est passé avant lui : il devra demander une licence ou développer une autre technique.

M. Bernard Charles, président. - C'est tout notre problème. Nous ne voulons pas que quelqu'un mette un paravent.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Vous êtes convaincant sur le fait que le gène n'est pas approprié par une équipe. Vous l'êtes moins sur l'utilisation potentielle d'autres techniques.

M. Jean-Christophe Galloux. - Je ne cherche pas à être convaincant, je cherche à expliquer.

Il est vrai que compte tenu des potentialités économiques, du nombre d'équipes de recherche, des moyens mis en _uvre avec les start-up, notamment américaines, les gens essaient de déposer le maximum de brevets. Ce sont des brevets de blocage. Comme le fiscaliste essaie de jouer avec la fiscalité telle qu'elle est, les déposants essaient parfois de jouer avec le nombre de demandes de brevets. Ils se disent qu'en déposant vingt, cent, mille brevets dans le domaine, il y en aura peut-être un qui marchera. Ils déposent des sortes de leurres parce qu'ils en ont la puissance économique. Il en coûte 200 000 à 300 000 francs pour obtenir une protection sur l'ensemble des pays occidentaux. Si vous en déposez 100 ou 200 sur une même invention avec des variantes, cela représente des millions de francs : vous vous lassez vite à ce petit jeu.

Il y a une espèce de folie de prises de brevets. Les centres de recherche français ou européens qui n'ont pas les mêmes moyens constatent en interrogeant les bases de données que dans tel domaine de la recherche, x brevets sont pris. Le chercheur, qui n'est pas un juriste, pense qu'il ne peut plus rien faire. Pour le développement commercial, il faut être « blindé » pour cadrer sa recherche entre ce qui est déjà « bloqué » ou qui semble l'être.

M. Pierre Hellier. - Sans possibilités financières, on limite tout de même énormément les possibilités de continuer les recherches. Il va falloir payer !

Mme Christine Boutin. - C'est ce qui se passe !

M. Jean-Christophe Galloux. - On est dans un système pervers. Ce n'est malheureusement plus nous qui fixons les règles du jeu.

Pour conclure, je voudrais insister sur la déclaration Blair-Clinton. Il est vrai que le brevet n'est pas totalement neutre par rapport à l'accès aux données génétiques. Les fous de brevet vous diront que cela empêche le secret puisqu'il y a publication. Il y a publication après un certain temps. Chez nous le délai est de dix-huit mois. C'est déjà mieux qu'aux États-Unis où la publication intervient au moment de la délivrance du brevet. Mais il y a tout de même deux facteurs très négatifs sur lesquels la représentation nationale devrait se pencher. Le premier est l'accès souvent payant à des banques de données privées. La déclaration Blair-Clinton ne concerne plus un problème de brevet mais un problème d'accès à des banques de données. Le second est, dans les contrats de recherche passés entre des entreprises privées et des centres de recherche publics, l'embargo de publication souvent imposé à des chercheurs, lequel va parfois au-delà de ce qui est nécessaire pour la prise de brevets. C'est très négatif pour la recherche.

M. Bernard Charles, président. - Merci. Vous nous avez apporté des éléments importants pour notre réflexion.

Audition publique sur la dimension européenne
des questions de bioéthique

Droit international, droit européen et droits nationaux

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Mesdames, messieurs, je suis heureux de vous accueillir pour cette audition publique de la mission d'information commune préparatoire au projet de loi de révision des lois bioéthiques de 1994. L'audition d'aujourd'hui sera consacrée au problème du droit international, du droit européen et des droits nationaux. Au-delà des pratiques de chaque pays, un accord sur les grands principes d'une évolution est nécessaire sur les sujets qui nous occupent.

Dans le cadre de la révision des lois bioéthiques de 1994, une mission de cinquante-sept parlementaires s'est mise en place pour préparer la discussion du futur projet de loi. Avec le rapporteur Alain Claeys et les membres de la mission, nous avons pris en compte les éléments ayant fait l'objet d'une étude du Conseil d'État sur les lois bioéthiques de 1994 : le clonage, la recherche sur l'embryon, l'assistance médicale à la procréation, le don et l'utilisation des produits du corps humain, la brevetabilité du corps humain et de ses éléments, la médecine prédictive, mais aussi les évolutions nécessaires de la loi Huriet-Serusclat de 1988 sur la protection des personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale.

À partir de ces éléments, nous devons tenir compte de trois réalités : l'évolution des techniques scientifiques ; le développement impressionnant du marché des biotechnologies ; l'apparition de normes nationales, internationales et européennes de plus en plus nombreuses.

Au cours des auditions, nous avons pu nous rendre compte du fait que les questions bioéthiques ne pouvaient se résoudre dans le seul cadre national. C'est pourquoi, à l'occasion de la présidence française de l'Union, notre mission parlementaire a souhaité consacrer une journée à la problématique européenne. Comment les différents droits - international, européen, nationaux - s'articulent-ils ? Quels sont les rôles respectifs de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe ? Quelles sont les marges de man_uvre du législateur français ? Telles sont les questions que nous aborderons ce matin. Cet après-midi, nous nous intéresserons plus particulièrement aux pratiques scientifiques de plusieurs pays européens en fonction des règles juridiques qui y sont applicables.

Vous le savez tous, les récentes décisions américaines et britanniques concernant la recherche sur l'embryon et le clonage à des fins thérapeutiques ont montré combien nous avions besoin d'une coopération politique et juridique en ce domaine. Pour ma part, ayant rencontré depuis près d'un an de nombreux responsables de ces questions dans l'ensemble des pays concernés, je peux affirmer qu'il ne faut pas dramatiser les oppositions. J'ai pu constater aux États-Unis une évolution considérable dans la prise en compte des problèmes. Autant, il y a quelques années, un rapprochement était impensable, autant j'ai fort bien ressenti, comme certains de mes collègues, que des barrières qui paraissaient insurmontables, peuvent être surmontées, permettant une prise de conscience collective qui rendrait possible l'affirmation de principes reconnus dans beaucoup d'États.

Lors de la réunion de l'OMC à Seattle, j'ai également été frappé par la prise de conscience des pays proches du Maroc, les fameux « 77 ». Ils ont exprimé leur souci de consacrer des principes et de mettre en place des organisations à cette fin pour de pas subir les effets pervers d'un manque de législation.

La bioéthique touche l'homme dans ce qu'il a de plus universel : elle ne peut plus être pensée en dehors d'un cadre extra-national. Nous en sommes tous intimement convaincus. C'est pour cela que nous avons donné une certaine solennité à cette audition, car loin d'être une contrainte, la dimension internationale doit être perçue, pour nous, Européens, comme une occasion de se retrouver, de discuter face aux États-Unis qui, certes, évoluent mais qui se taillent la part du lion dans le domaine des recherches et des brevets relatifs aux biotechnologies. Notre mission a d'ailleurs eu l'occasion d'auditionner des responsables d'entreprises de biotechnologies ou des chercheurs. La visite du Génopole d'Evry a montré que de nombreux spécialistes de ces questions partaient travailler aux États-Unis où ils sont assurés d'occuper des postes très importants.

Pour aborder ce sujet, nous accueillons ce matin quatre invités qui, à des titres divers, connaissent bien l'état du droit international et européen : M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à Paris I ; Mme Christiane Bardoux, secrétaire du groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne ; M. Alain Pompidou, professeur de médecine, conseiller économique et social et ancien député européen ; M. Carlos de Sola, administrateur principal au Conseil de l'Europe, responsable de la division bioéthique à la direction des affaires juridiques. Je les remercie d'avoir répondu à notre invitation.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Le président a eu raison de situer cette réunion en fonction de nos objectifs nationaux et des enjeux internationaux. Ce serait une stupidité d'ignorer les décisions prises ces derniers mois aux États-Unis, les décisions en débat ou qui ont été prises en Angleterre, ou encore le vote intervenu au Parlement européen le 7 septembre dernier.

J'ai une conviction : la France sera d'autant plus forte pour faire entendre sa voix sur le plan européen ou international qu'elle sera assurée de ses choix sur le plan national. En votant les lois de 1994, la France a été novatrice. Nous ne devons pas perdre cette avance.

La démarche de la mission, quelles que soient nos affinités, nos conceptions personnelles, religieuses ou philosophiques, a été d'une grande modestie. Au cours du travail que nous avons entrepris ensemble depuis de nombreuses semaines - je pense traduire très concrètement l'état d'esprit de cette mission -, j'ai été frappé par notre capacité collective d'écoute, d'ouverture d'esprit.

Nous sommes devant un problème à la fois simple et complexe. En 1994, dans sa sagesse, le législateur avait trouvé un équilibre qui conciliait à la fois nos valeurs éthiques et le nécessaire développement de la recherche. Aujourd'hui, face à de nouveaux espoirs thérapeutiques, nous ne devons pas adopter une position radicale, mais nous efforcer de trouver un nouvel équilibre. Pour ma part, je suis convaincu que ce nouvel équilibre doit être trouvé après une évaluation et une information les plus complètes possibles sur l'ensemble des recherches entreprises dans notre pays.

Comme l'a rappelé le président, cette journée comprend deux parties. La première sera consacrée au droit international, au droit européen et à notre droit national. Cet après-midi, nous aurons le plaisir d'accueillir trois chercheurs étrangers qui nous expliqueront comment ils travaillent compte tenu de leur propre droit national.

Ce matin, nous avons la joie d'accueillir M. Bertrand Mathieu, spécialiste des questions de droit international en matière de bioéthique. Il a signé deux ouvrages consacrés à cette problématique avec Mme Noëlle Lenoir. Il lui appartiendra de mettre en perspective les sources internationales du droit de la bioéthique et de montrer en quoi ces normes s'imposent au législateur français. Il sera à cette occasion utile d'aborder la question de l'utilisation des embryons humains à des fins de recherche et de savoir comment cette question est traitée par le droit international et européen.

Mme Christiane Bardoux s'intéresse aux questions bioéthiques pour le compte du groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies. Elle s'attachera à nous montrer en quoi l'Union européenne est appelée à intervenir sur ces questions. Quelle est la compétence de l'Union en la matière ? Comment s'applique le fameux principe de subsidiarité ? Sur quels sujets l'Union européenne sera-t-elle amenée à travailler dans les mois qui viennent ? Quels sont les rôles respectifs des différentes institutions communautaires ? Ces questions prennent une importance particulière après la décision unilatérale britannique et le vote du Parlement européen condamnant le recours au clonage humain à des fins thérapeutiques. Je crois d'ailleurs que le groupe européen d'éthique doit se prononcer sur ces problèmes. Une mise en perspective communautaire nous sera fort utile à ce stade de nos travaux.

Si l'Union européenne intervient dans ce domaine, le Conseil de l'Europe a également son mot à dire dans la mesure où la bioéthique est intrinsèquement liée à la question des droits de l'homme. L'intervention de M. Carlos de Sola, administrateur au Conseil de l'Europe et responsable de la section de bioéthique, nous permettra de mieux cerner le rôle de cette institution et l'impact des textes qu'elle met en _uvre. Quelle est, par exemple, la valeur juridique de la convention bioéthique du Conseil de l'Europe ? Comment se concilie-t-elle avec les autres textes européens ? Observe-t-on des divergences d'approche entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne sur les questions de bioéthique ? On nous livre un grand nombre d'informations sur ces sujets. C'est pourquoi il faut faire preuve de pédagogie pour savoir qui fait quoi et qui décide quoi.

Enfin, M. Alain Pompidou aura l'occasion de revenir sur la question de la concurrence entre les différentes institutions européennes. Pour l'illustrer, je crois que vous aborderez la problématique de la brevetabilité du génome humain. Fort de votre expérience scientifique, mais aussi d'ancien parlementaire européen, vous mettrez en lumière les approches, parfois différentes, des instances européennes.

Encore une fois, je remercie chacun des intervenants d'avoir accepté notre invitation.

M. Bertrand Mathieu. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, il m'a été donné la tâche de traiter certains des aspects parfois un peu techniques des relations entre le droit international et le droit national, en ce qui concerne les normes internationales intéressant la bioéthique.

Aborder cette question à travers le droit international est particulièrement intéressant. Le droit de la bioéthique s'est essentiellement développé à partir des normes internationales. Le paradoxe, c'est que cette prégnance des normes internationales dans le droit de la bioéthique ne se traduit pas par un système normatif très fortement contraignant pour les droits nationaux.

Cette appréhension purement juridique des relations entre le droit international et le droit national ne suffit pas. En effet, les incidences du droit de la bioéthique, en termes de droits fondamentaux, ne peuvent conduire les législateurs nationaux à ignorer des textes internationaux, à l'élaboration desquelles la France a participé, quelle que soit la force ou la faiblesse juridique qui affectent ces textes.

Je dresserai d'abord, rapidement, un panorama des normes bioéthiques internationales, puis j'analyserai les cohérences ou les incohérences de ces normes concernant la question de l'utilisation des embryons humains à des fins de recherche ou à des fins thérapeutiques.

Le droit international de la bioéthique fait appel - c'est ce qui le caractérise en propre, plus que tout autre branche du droit - à des sources juridiques extrêmement variées. Ces normes ne relèvent pas toutes du droit positif. La distinction entre ce qui relève de la règle juridique et ce qui relève d'un autre système normatif garde toute sa pertinence. Cependant, il est incontestable que la norme non strictement juridique joue un rôle essentiel, non seulement dans la formation du droit, mais aussi dans la régulation des pratiques.

Cette observation liminaire étant faite, je m'en tiendrai à l'analyse du droit international stricto sensu, seul susceptible de lier juridiquement le législateur, sans m'interdire, à l'occasion, de prendre en compte certains textes qui n'ont pas la même force juridique, là où le droit n'est pas encore formalisé.

Les traités et le droit dérivé, d'abord. La norme affectée du degré d'effectivité le plus fort est le traité. En droit interne, les traités prévalent sur les lois nationales, mais non sur la Constitution, conformément à la jurisprudence tant de la Cour de cassation que du Conseil d'État. Une convention peut contenir des prescriptions directement applicables ou se borner à encadrer et diriger l'action des États. Le caractère impératif d'une norme internationale ne signifie pas nécessairement qu'elle est d'application directe au sein de l'État. Le seul traité qui intéresse directement la bioéthique est la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine. Signé par la France, ce traité est entré en vigueur du fait de sa ratification par cinq États. Mais cette convention n'a pas encore été ratifiée par la France. Elle n'est donc pas directement applicable en droit français. Il n'en reste pas moins que son respect par les droits nationaux est la condition de l'existence d'un droit européen des droits fondamentaux en matière de bioéthique.

Les actes unilatéraux des organisations supranationales peuvent également se voir conférer, en vertu des traités constitutifs, une force obligatoire identique à celle d'une convention. C'est le cas, bien entendu, en ce qui concerne le droit communautaire dérivé. Ainsi, la directive européenne sur les brevets a un effet direct en droit français, et le juge national doit écarter l'application de toute norme nationale susceptible d'être contraire aux objectifs fixés par elle.

À côté de cette structure, aux effets potentiellement forts, mais qui concernent des textes peu nombreux, il existe d'autres textes de droit international. Plus généralement, ces textes relatifs à la bioéthique ont une simple valeur déclarative et une fonction incitative. On les regroupe généralement sous le terme de résolutions. Ils peuvent également prendre la forme d'une déclaration. En ce qui concerne l'ONU, le terme de déclaration est utilisé lorsque sont énoncés des principes ayant une grande importance et une valeur durable. En l'état actuel du droit, c'est l'instrument privilégié en matière de bioéthique, comme en témoigne la déclaration de l'UNESCO sur le génome humain reprise à son compte par l'Assemblée générale des Nations Unies.

Comme les avis des organisations non gouvernementales ou des comités d'éthique, ces recommandations participent à la création d'un droit souple, évolutif, parfois incertain, peu contraignant. Ainsi formalisé, l'engagement des États et de la communauté internationale donne aux principes fixés une force plus grande. D'autre part, et plus concrètement encore, par leur multiplication et la convergence de leur contenu, ces recommandations sont susceptibles de devenir a posteriori des sources de droit international impératif. En effet, la répétition de règles ou de principes dans des déclarations ou des résolutions peut donner naissance à une coutume qui se matérialise comme source de droit positif.

Enfin, il est important de relever que les droits internes, nationaux, participent également à cette constitution du droit international non écrit. En effet, le droit international accueille sous forme de principes généraux du droit, le sens communément admis par les différents droits nationaux. En ce sens, il convient, me semble-t-il, de souligner que la détermination par les droits nationaux de certains principes est particulièrement importante du fait de l'interaction entre les différents droits nationaux, et entre chaque droit national et le droit international. Ainsi, le juge européen tient compte des divergences ou des convergences entre les législations nationales, soit pour s'en tenir à une position de réserve, soit pour mener une politique interventionniste.

De manière générale, s'agissant des traités, comme des autres textes de droit international, les juges nationaux, notamment le juge constitutionnel, utilisent implicitement des principes issus du droit international pour interpréter la portée des textes nationaux, notamment la Constitution. C'est par ce mécanisme assez implicite que le Conseil constitutionnel a accueilli au sein du bloc de constitutionnalité des principes initialement formulés par le droit international ou par d'autres droits nationaux, comme le principe de dignité de la personne humaine et celui du respect de la vie privée.

Ainsi, concrètement, le droit international propre à la bioéthique ne représente pas pour le législateur national une réelle contrainte juridique. D'autres textes de portée générale, comme la convention européenne des droits de l'homme, peuvent interférer avec des règles de droit relatives à la bioéthique. Il en est ainsi s'agissant des principes du droit à la vie, de l'interdiction des traitements inhumains et dégradants, du respect de la vie privée et familiale. Ces textes ont bien évidemment une valeur impérative en droit national, mais la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas encore eu l'occasion de développer une véritable jurisprudence sur la portée de ces principes en matière de bioéthique. Il n'en reste pas moins que le législateur national peut s'estimer légitimement tenu par des principes fixés dans des textes à vocation internationale, à l'élaboration desquels la France a souvent largement participé.

J'en viens aux exigences internationales en matière de recherche sur l'embryon.

On peut distinguer deux questions essentielles qui sont révélatrices d'un conflit majeur entre les exigences éthiques et les exigences économiques et scientifiques. Je ne parlerai que de la recherche sur l'embryon, étant entendu que le professeur Alain Pompidou traitera de la question des brevets.

S'agissant des embryons humains, il convient de distinguer deux questions : l'utilisation des embryons surnuméraires à des fins de recherche ; la création d'embryons à des fins autres que celle de permettre la naissance d'un enfant. Dans les deux cas, le problème est relatif à l'utilisation de cellules souches.

Premièrement, l'utilisation des embryons surnuméraires à des fins de recherche.

Les textes de droit international, comme d'ailleurs la jurisprudence constitutionnelle nationale, établissent en la matière des règles particulièrement ambiguës et parfois peu cohérentes. Dans l'ensemble, la construction juridique semble partir de l'idée que l'embryon est protégé au titre du principe de dignité. Il s'agit, en quelque sorte, d'une affirmation ressortissant d'une référence jus naturalis implicite, au fondement du système juridique lui-même. Cependant, faute de consensus, les solutions effectivement tirées de ces principes qui, je le rappelle, semblent communément acceptés, sont particulièrement floues, comme si le législateur international ou le juge n'osait pas tirer de leurs présupposés les conséquences qui s'imposent.

Il semble qu'il y ait deux logiques. Celle tirée d'un droit fondé sur un système de valeurs cohérent, affirmé, à laquelle s'oppose une logique issue d'un droit hésitant, faible, souvent démissionnaire, s'abritant derrière des constructions approximatives, élaborées à partir du droit comparé et dans laquelle les hésitations des uns confortent les hésitations des autres. Il est important, me semble-t-il, de relever qu'une telle situation ne peut que compromettre l'effectivité des droits fondamentaux face à des logiques scientifiques et économiques tout à fait cohérentes.

Toute l'ambiguïté tourne autour de la signification du concept d'être humain, juridiquement et incontestablement distinct du concept de personne. La notion d'être humain est sémantiquement assez claire. Elle doit englober l'embryon humain - qui existe - et dont la nature est humaine. Juridiquement, la situation est plus complexe. La cohérence de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain du Conseil de l'Europe devrait conduire à interdire la recherche sur l'embryon humain. En effet, l'article premier de cette convention établit une intéressante distinction entre «  être humain » et « personne », qui ne peut être fortuite, eu égard au contexte et à la date de son élaboration. Ainsi, l'être humain est protégé dans sa dignité et dans son identité, alors que la personne voit le respect de son intégrité et de ses droits et libertés fondamentaux garanti sans discriminations.

Par ailleurs, l'article 18 du même texte admet que certaines législations nationales permettent des recherches sur l'embryon in vitro, à condition qu'elles assurent une protection adéquate de l'embryon. Une interprétation littérale de ce texte devrait conduire à considérer que toute recherche conduisant à la destruction d'un embryon ne peut être considérée comme assurant une protection adéquate à ce dernier.

Il est donc incontestable que ce texte se veut protecteur de l'embryon humain au nom de la dignité qu'il lui reconnaît. Cependant, l'interprétation de ce texte est moins claire qu'il n'y paraît, et le rapport explicatif à la convention introduit des ambiguïtés qu'il convient de relever. En effet, ce rapport se définit lui-même comme n'étant pas un instrument d'interprétation authentique, mais apporte un éclairage précieux sur les intentions des parties. Il renvoie au droit interne des États le soin de préciser la signification des termes « être humain » et « personne » mais précise en même temps que le respect, dès le commencement de la vie, de la dignité de l'être humain et l'identité de la personne humaine est un principe généralement admis.

Il y a alors une réelle incohérence pour un texte juridique à poser un principe, à retenir une interprétation communément admise de ce principe, puis à considérer que la détermination de la portée de ce principe est laissée au destinataire de la règle. On peut tout à fait comprendre les raisons diplomatiques qui ont conduit à cette formulation. Cela n'enlève rien au fait que, juridiquement, on se trouve dans une situation assez absurde.

Deuxièmement, la création d'embryons à des fins de recherche.

La création d'embryons à des fins d'utilisation de cellules qui en sont issues pose non seulement le problème de la recherche sur l'embryon, mais aussi celui du clonage humain.

La création d'embryons humains par voie de clonage, pour obtenir des cellules ES, est expressément et clairement condamnée par la convention bioéthique du Conseil de l'Europe qui précise sans aucune ambiguïté que la constitution d'embryons humains à des fins de recherche est interdite. Dans le même sens, dans une résolution du 7 septembre 2000, le Parlement européen s'est prononcé pour l'interdiction de toute forme de clonage d'être humain, que le but de cette opération soit reproductif ou thérapeutique.

En revanche, le comité d'éthique placé auprès de la Commission européenne n'exclut pas, dans son avis de novembre 1998, et toujours au regard de la législation applicable dans certains États, que des embryons soient créés dans un but de recherche. Il n'en reste pas moins que cet avis entre en contradiction évidente avec la convention bioéthique du Conseil de l'Europe.

Certains de ces textes traduisent une ambiguïté s'agissant de la précision relative au caractère reproductif du clonage. Il semble généralement admis que le clonage dit reproductif vise à faire naître un enfant, alors que le clonage dit thérapeutique vise à créer un embryon à des fins thérapeutiques ou de recherche, mais c'est une interprétation qui n'est pas véritablement juridique, et qui résulte du sens communément donné aux mots, par les auteurs de cette expression.

Cette distinction ne me semble pas satisfaisante, en termes de droits fondamentaux. En effet, il convient de considérer que toute création d'embryons à des fins de recherche est directement contraire au principe de dignité. Si l'on part de l'idée selon laquelle le principe de dignité interdit l'instrumentalisation de l'être humain, on peut considérer qu'il ne s'applique pas à l'embryon - ce serait tout à fait possible -, mais les textes considèrent qu'il s'applique à l'embryon. Si l'on part de cette idée, il convient de considérer que le clonage visant à faire naître un être humain n'est susceptible de porter atteinte au principe de dignité que par les intentions dont il peut être le support. La dignité d'un enfant né de cette technique est absolument identique à celle d'un enfant né d'une technique de procréation médicalement assistée ou d'une procréation naturelle. En revanche, le clonage dont l'objet est de faire naître un embryon destiné à la recherche est contraire au principe de dignité en ce qu'il conduit, dès le départ, à une instrumentalisation de cet embryon. Le fait que cet embryon ne soit pas le résultat d'une fécondation mais d'un clonage ne change rien à l'affaire.

À partir de cette distinction, à supposer qu'elle soit admise, seul le clonage de cellules qui ne peuvent pas être à l'origine du développement d'un processus vital continu est sans incidences directes au regard du principe de dignité.

S'agissant de l'utilisation de cellules souches humaines, deux possibilités peuvent être envisagées : d'une part, l'utilisation de cellules souches adultes qui, au regard des dernières recherches, semble s'avérer prometteuse et qui ne pose pas de problèmes en termes de droits fondamentaux, et, d'autre part, l'utilisation de cellules dites EG, issus de f_tus morts, sur lesquelles le droit positif français est silencieux, et dont l'autorisation, sous réserve de certaines garanties, ne poserait aucun problème au regard des exigences du droit international.

Mme Christiane Bardoux. - Pour étudier la manière dont la bioéthique est abordée sur le plan communautaire, je présenterai le cadre général des traités pertinents pour la bioéthique, puis les moyens disponibles, sur le plan communautaire, pour les questions relatives à la bioéthique. À cette occasion, j'évoquerai le groupe européen d'éthique créé il y a une dizaine d'années. Enfin, pour illustrer mon propos, j'exposerai un exemple, celui de la recherche sur l'embryon dans les programmes communautaires de recherche et la manière dont cette question a été abordée.

À considérer les traités, il est clair que le respect des droits fondamentaux est une exigence de l'Union européenne. Selon l'article 6 du Traité, l'Union respecte, d'une part, les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, d'autre part, l'identité nationale de ses États membres.

Deux éléments essentiels guident ainsi l'approche communautaire de la bioéthique : respecter à la fois les droits fondamentaux tout en restant attentif à la diversité des États. La recherche permanente d'un équilibre sage entre une exigence commune et le souci de respecter la diversité historique, culturelle ou religieuse des États est ainsi une exigence du débat bioéthique dans les Communautés européennes.

Il me paraît très intéressant de souligner que le texte de référence concernant les droits fondamentaux est une convention du Conseil de l'Europe : ce n'est pas un texte communautaire. Aujourd'hui, aucun texte symbolique communautaire ne résume l'ensemble des principes et des droits fondamentaux. C'est pourquoi, en 1999, lors du sommet de Cologne, sous la présidence allemande de l'Union, les chefs d'État et de Gouvernement ont décidé de créer une convention ayant pour but de rédiger un texte sur les droits fondamentaux dans laquelle les parlements nationaux, le Parlement européen, le Conseil de l'Europe et la Commission seraient représentés. Ce texte, sans créer de nouveaux droits, doit permettre une meilleure visibilité des droits partagés sur le plan communautaire.

Si le traité se réfère à des droits fondamentaux, il ne donne cependant pas aux instances communautaires de compétences législatives pour établir des réglementations en matière de bioéthique. Autrement dit, il n'est pas question de publier une directive par exemple, en matière d'euthanasie ou d'interruption de grossesse. Il s'agit là de problèmes fondamentalement moraux et bioéthiques traités par les États et pour lesquels le principe de subsidiarité doit s'appliquer.

Cependant, ne pas disposer de la compétence pour rédiger des directives en matière de bioéthique n'exclut pas, pour autant, de donner une dimension éthique aux textes intervenant dans d'autres domaines. Cette dimension éthique peut prendre un poids considérable dans les débats, comme en témoigne excellemment la directive brevet qui, après de longues années de préparation et de conciliation, a, dans un premier temps, été rejetée par le Parlement européen, principalement en raison de préoccupations éthiques.

Du reste, le Parlement européen s'est souvent fait l'écho des préoccupations bioéthiques. Cette institution, ne l'oublions pas, est la seule instance élue. Elle est donc le meilleur miroir des préoccupations des citoyens.

Comment la Communauté européenne aborde-t-elle l'éthique dans les directives ou les décisions qu'elle édicte ?

Il y a une dizaine d'années, la Commission a mis en place une instance indépendante : le groupe européen d'éthique. Il est aujourd'hui composé d'une douzaine de membres, issus de disciplines différentes - juristes, scientifiques, théologiens, philosophes - et des différents pays de la communauté. Les membres siégent à titre personnel, non en tant que représentant de leur État. Ils n'ont donc pas à défendre une cause nationale. La présidente du groupe est une juriste française, membre du Conseil constitutionnel, Mme Noëlle Lenoir. Le groupe est saisi par la Commission, mais il peut l'être également par le Parlement, via la Commission, ou encore s'autosaisir sur des sujets éthiques importants.

En dix ans, le groupe a rédigé une série d'avis diversifiés, par exemple sur la brevetabilité en matière de biotechnologie ou la recherche sur l'embryon.

Actuellement, le groupe prépare un avis concernant les aspects éthiques liés à la recherche sur les cellules souches. Il sera rendu public le 15 novembre.

J'en viens à la question de la recherche utilisant des embryons humains du point de vue des programmes communautaires. La Commission européenne finance de larges programmes de recherches scientifiques, en particulier dans le domaine des sciences du vivant. L'adoption d'un programme fait l'objet d'une décision conjointe entre la Commission et Parlement.

Les débats sur l'utilisation des embryons humains ont fait apparaître une question : faut-il ou non exclure toute recherche utilisant des embryons humains ? À la suite d'un amendement parlementaire qui visait à exclure des programmes communautaires toute recherche sur l'embryon humain, la Commission a saisi le groupe européen d'éthique pour connaître son approche de la question. L'avis du groupe ne portait pas, je tiens à le noter, sur la recherche sur l'embryon ou la création d'embryons à des fins de recherche, car au sein du groupe, il existe une diversité d'opinions.

Le groupe s'est donc interrogé sur l'opportunité d'inclure ou non ce type de recherche dans les programmes communautaires. Son avis a été élaboré à l'occasion d'un débat éthique au cours duquel il a fallu gérer la diversité des points de vue.

Le groupe a répondu qu'il n'existait pas de raison d'exclure a priori ce type de recherches des programmes communautaires, au motif qu'ils seraient interdits dans un État, mais qu'il fallait prendre acte de la diversité existante sur le plan communautaire et qu'il ne serait pas opportun d'imposer une morale unique. Cependant, il a précisé que le respect de la diversité n'était pas synonyme de laisser-faire.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Permettez-moi de vous interrompre avant la fin de votre exposé. Sur ce point précis, je voudrais connaître l'avis de M. Bertrand Mathieu.

M. Bertrand Mathieu. - Du point de vue des droits fondamentaux, la question est de savoir si, compte tenu des positions divergentes de certains États, on doit autoriser les recherches. On peut considérer qu'à partir du moment où des États les pratiquent, il n'y a pas de raison de l'interdire.

Mme Christiane Bardoux. - A priori !

M. Bertrand Mathieu. - Oui ! Mais la position inverse est également légitime. On peut considérer qu'en termes de droits fondamentaux, le problème se pose d'une autre manière : ce n'est pas parce que des pays ont des positions opposées et pratiquent de telles recherches que l'on doit les financer.

Là où vous avez raison, c'est que le problème concerne le seul financement. Ce n'est pas un problème de prise de position en termes de droits fondamentaux.

Mme Christiane Bardoux. - Avant d'être un problème de financement, c'est un problème de choix. Lorsqu'on évolue dans une communauté où il existe de multiples positions, comment gérer la diversité ?

Le groupe a considéré que ce qui était sage, ce n'était pas a priori de s'aligner systématiquement sur l'État le plus restrictif, au motif qu'il serait le plus prudent, mais d'avoir une attitude ouverte et vigilante. Il n'y a pas de motifs a priori pour exclure les recherches, mais si l'on décide de lancer un programme - c'est un choix politique -, le financeur aura alors une responsabilité morale.

Le groupe a ainsi rappelé qu'il était du devoir de la Commission de s'assurer de l'évaluation éthique des projets, en plus de ce qui est fait sur le plan national pour respecter les exigences législatives.

Il me paraît très important de souligner que rien ne s'impose aux États. Le fait qu'un type de recherche, non autorisée dans certains États, fasse l'objet d'un programme communautaire, n'autorise pas les chercheurs de ces États, sous prétexte d'un financement communautaire, à enfreindre la loi nationale. Chaque chercheur, bien entendu, doit d'abord respecter sa loi nationale. Mais si un chercheur travaille dans le cadre d'un programme européen impliquant des recherches sur lesquelles il y a diversité des points de vue, le financeur a la responsabilité de s'assurer de la rigueur avec laquelle les aspects éthiques sont pris en compte.

C'est cette position qui a été mise en avant par le groupe. Je veux d'ailleurs rappeler que la décision Conseil-Parlement, par laquelle a été adopté le cinquième programme cadre, n'exclut pas les recherches sur l'embryon. Elle exclut uniquement les recherches sur le clonage humain et celles qui modifieraient le génome de manière héréditaire. De surcroît, la décision du Conseil a été prise à l'unanimité : elle a donc été prise par des ministres de la recherche d'États qui ne disposent pas, dans leur pays, de ce choix. Le principe de subsidiarité est une chose ; savoir comment gérer la diversité sur le plan communautaire en est une autre.

En conclusion, cet exemple constitue, selon moi, un bon cas d'école qui permet de comprendre comment on peut gérer la diversité dans des domaines très conflictuels, voire très émotionnels. Avec les nouveaux champs de recherches ouverts par les cellules souches, le débat rebondit sur le plan national, comme en témoigne les récentes décisions de la Grande-Bretagne. Des préoccupations se sont exprimées sur le plan européen. Vous avez cité la résolution votée début septembre. Mais bien avant, le Parlement avait exprimé ses inquiétudes et provoqué l'autosaisine du groupe qui rendra son avis en novembre prochain.

M. Carlos de Sola. - Le Conseil de l'Europe rassemble la presque totalité des États européens, soit une quarantaine d'États. À la différence de l'Union européenne, communauté économique à l'origine, le Conseil de l'Europe s'est « spécialisé » dans la défense des droits fondamentaux de la personne et de la démocratie pluraliste.

C'est dans cette optique qu'il travaille depuis une quinzaine d'années dans le domaine de la biomédecine. Ces travaux ont abouti à l'adoption d'une convention européenne qui, à ce jour, a été signé par vingt-neuf États membres et ratifiée par six États. Elle est donc déjà entrée en vigueur dans six États européens. La France, comme vous le savez, n'a pas encore ratifié la convention.

Quel est le contenu principal de la convention du Conseil de l'Europe ?

Elle comprend deux parties. La première partie consiste en une codification du droit médical moderne. À ce titre, elle traite des principes d'information et de consentement, et par là joue un rôle primordial dans la mise à niveau de la législation de certains États, en particulier ceux d'Europe centrale et orientale. Lorsqu'on songe aux pratiques des hôpitaux psychiatriques de certains de ces pays, on comprend mieux combien le changement d'attitude était important.

La seconde partie se rapporte plus aux nouvelles technologies en matière de médecine et de biologie. La recherche médicale, en particulier, fait l'objet d'un chapitre entier qui sera à son tour développé dans un protocole additionnel portant sur la recherche médicale. Son contenu est compatible avec la législation française en vigueur, notamment la loi Huriet-Sérusclat Une petite nuance existe cependant s'agissant des personnes incapables : ce domaine a fait l'objet de beaucoup de controverses, en particulier en Allemagne. La loi française, quant à elle, précise que l'on peut pratiquer des recherches qui n'ont pas un bénéfice individuel direct, à condition qu'il n'existe pas de risque majeur. La convention est plus stricte puisqu'elle exige que les risques et la contrainte soient minimales. Les choses sont donc dites avec davantage de rigueur. Lorsqu'on sait que les recherches peuvent concerner des personnes plongées dans le coma qui ne peuvent pas s'exprimer et que les recherches ne peuvent pas leur apporter un bénéfice quelconque, je crois que nous devons être particulièrement rigoureux. Le texte a d'ailleurs été voté par tous les États, y compris l'Allemagne.

Deux autres domaines ont été abordés : la recherche sur l'embryon et la génétique.

S'agissant de la génétique, deux principes sont à peu près identiques à ceux de la législation française. En outre, un protocole additionnel est en préparation. Il traitera de la question des tests génétiques et de la thérapie génique.

Le premier principe concerne les tests et le génome. Il précise que l'on peut réaliser des tests uniquement pour des raisons médicales et que les modifications apportées au génome ne peuvent avoir qu'une finalité de santé.

Le second principe a été probablement adopté pour des raisons de sécurité. Il interdit la thérapie germinale, en particulier la thérapie sur les premiers stades de l'embryon. On ne peut donc modifier le génome de la descendance. Ce principe n'interdit cependant pas les recherches sur les embryons surnuméraires, en particulier celles visant à modifier le génome d'un embryon surnuméraire qui ne serait pas destiné à être implanté, dans la mesure où le terme descendance est compris comme l'enfant à naître.

Tout récemment, je vous l'indique, une association américaine s'est prononcée pour l'interdiction de la thérapie germinale. Une telle attitude est indispensable, notamment lorsqu'on prend en compte l'enfant qui va naître, mais aussi pour protéger la recherche d'éventuels dérapages. Cela n'empêche cependant pas que l'on puisse revenir sur les interdictions avec les développements de la recherche. Aujourd'hui, il est préférable de poser une interdiction pour, ensuite, l'aménager, plutôt que de laisser faire, au risque de s'exposer à des dérapages qu'on ne pourrait pas contrôler.

J'en viens à la recherche sur l'embryon.

Comme la loi française, la convention du Conseil de l'Europe ne définit pas l'embryon. La loi allemande, quant à elle, définit l'embryon comme la résultante de l'union des gamètes, mais elle s'est trouvée en porte à faux lorsqu'il s'est agi de savoir comment qualifier un embryon résultant de la technique de transfert nucléaire. C'est pourquoi, dans ces domaines, il faut parfois ne pas trop donner de précisions qui, du reste, dépendent des progrès de la science. Toutefois, je vous signale qu'un parlementaire espagnol a récemment défendu l'idée qu'un embryon ou une entité créée à partir de la technique de transfert nucléaire, « nucléovule », selon lui, n'est pas un vrai embryon. Certains pays avaient déjà employé l'expression de préembryon pour désigner un tel être.

Pour ma part, je crois que ce parlementaire a raison jusqu'à un certain point, mais qu'à partir du moment où cette entité commencera à se diviser, elle se comportera comme un embryon véritable. Ne nous voilons donc pas la face. Si un embryon, quelle que soit la technique qui le produit, peut donner un enfant, c'est qu'il s'agit d'un vrai embryon. Il ne faut pas escamoter le problème éthique en imaginant des terminologies nouvelles.

Si l'on s'accorde sur le fait que l'on peut créer des embryons par la technique, la question principale reste de savoir si l'on autorise ou interdit, d'une part, la constitution d'embryons à des fins de recherche ou à d'autres finalités qui ne soient pas la procréation et, d'autre part, l'utilisation d'embryons qui ont été constitués à des fins de procréation mais pour lesquels il n'existe pas de projet parental.

S'agissant des embryons surnuméraires, la convention reste muette et les points de vue sont divergents. Autrement dit, un État qui autorise la recherche, y compris la recherche destructive sur des embryons surnuméraires peut ratifier la convention sans être en difficulté, au même titre qu'un État qui interdit toute recherche destructive.

Un protocole additionnel est actuellement en préparation sur la protection de l'embryon et du f_tus humains. Sa position sera probablement la même : le choix du principe de l'utilisation des embryons surnuméraires pour la recherche sera laissé à chaque État. Ensuite, pour les États qui auraient choisi d'autoriser une telle recherche, des normes et des principes fondamentaux devront être respectés.

Un des principes consistera sans doute à préciser qu'on ne peut effectuer des recherches sur un embryon qui doit être implanté, dès lors qu'il est possible d'obtenir des résultats comparables à partir d'autres recherches, y compris sur des embryons surnuméraires. Deux valeurs sont en jeu : l'une concerne la protection de l'embryon en tant que tel ; l'autre concerne non seulement l'embryon, mais aussi l'enfant à naître, donc l'intégrité d'une personne qui va naître.

La création d'embryons pour la recherche, quant à elle, est interdite. Cette disposition a été adoptée, non à l'unanimité, mais à une majorité supérieure aux deux-tiers. Certains États ont voté contre, tel le Royaume-Uni ; d'autres se sont abstenus. En général, l'abstention « arrange » la recherche puisque rien n'est interdit. En Italie, je vous le signale, de nombreux projets de loi ont été discutés concernant la procréation assistée, mais aucune loi n'a été votée. Les parlementaires italiens n'ont pu se mettre d'accord, les uns parce qu'ils défendaient des principes « à outrance », les autres parce que, même s'ils peuvent accepter certaines concessions, ne peuvent les accepter toutes.

Comme la disposition sur la création d'embryons pour la recherche a été adoptée à la majorité, les États peuvent donc émettre des réserves. Le Royaume-Uni pourra ainsi ratifier la convention en faisant une réserve sur ce point. Nous avons accepté cette disposition parce que le domaine d'application de la convention est suffisamment large pour estimer qu'un point, si important soit-il, ne devrait pas empêcher un État d'accéder à l'ensemble du corpus commun européen dans le domaine de la biomédecine.

Une réserve met-elle un État à l'index ? Je ne le pense pas. Les Anglais aiment peut-être se distinguer, mais c'est un point qui, sur le sujet en question, a été acquis par un vote largement majoritaire du parlement britannique. C'est d'ailleurs pour étendre les possibilités de création d'embryons à ce type de recherches que l'on a récemment parlé du projet de modification de la loi visant à autoriser la création d'embryons par la technique de transfert nucléaire, donc d'embryons clonés, afin d'expérimenter et voir si, un jour, des thérapies seraient possibles.

M. Alain Pompidou. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, mesdames, messieurs, je tiens d'abord à vous remercier, monsieur le président, de votre invitation et vous dire qu'à de nombreuses reprises, j'ai pu apprécier la capacité d'écoute des membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, puis de la mission d'information, en particulier leur capacité de pédagogie.

Notre sujet nous place au c_ur de l'interaction entre la science, le droit et la décision politique, et cela, dans un contexte international. Je m'exprimerai en tant qu'ancien parlementaire européen ayant suivi, pendant pratiquement dix ans, jusqu'à l'aboutissement du vote, la discussion de la directive sur la protection juridique des inventions biotechnologiques.

Le Parlement européen, je vous le rappelle, prend des initiatives qui sont à l'origine d'actions politiques : c'est un donneur d'impulsion, une chambre de résonance, avec toutes les composantes qui conduisent à l'élaboration d'une musique, parfois cacophonique, parfois bien orientée.

Je m'exprimerai en tant que membre du Conseil économique et social et rapporteur pour la recherche et aussi en tant que membre du Conseil pour les applications de l'Académie des sciences, bientôt Académie des technologies. Il s'agit d'une volonté de notre ministre de la recherche, afin que notre pays dispose d'un instrument d'expertise collective indépendant, au service des institutions françaises.

Le professeur Bertrand Mathieu a soulevé une question intéressante. Il a indiqué qu'un certain nombre de déclarations, de prises de position répétées dans les domaines qui touchent le vivant allaient conduire à des coutumes. Cela signifie-t-il que l'on devra désormais s'appuyer sur un droit coutumier ? C'est une question intéressante qui doit être replacée dans un contexte international. Et comme l'a très bien rappelé le professeur Mathieu, on quitte le droit coutumier dès l'instant que l'on évolue dans un droit international non écrit où le droit n'a pas valeur répréhensible, mais valeur d'appui.

C'est un point très important, notamment en ce qui concerne l'appropriation du vivant, mais surtout les modalités de cette appropriation. À partir du moment où l'on s'oriente vers une autorisation, quelles en seront les modalités ?

J'interviendrai rapidement sur trois points. D'abord, un point historique sur la brevetabilité des inventions biotechnologique. Ensuite, j'étudierai les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, car il existe encore, dans l'opinion publique, une confusion entre les deux instances. Enfin, je formulerai trois recommandations.

Sur le plan historique, je veux rappeler que le programme « génome humain » a pour finalité le décryptage des trois milliards de paires de bases nucléotidiques qui composent le génome humain. À partir de chacune de ces paires de bases, on peut fabriquer des protéines qui ont une activité - pour le diagnostic ou pour la thérapie - et qui peuvent rapporter beaucoup d'argent.

Dès 1980, l'office des brevets américains considérait que les résultats des biotechnologies étaient brevetables. C'est ainsi que depuis vingt ans, plus de 20 000 gènes ont fait l'objet de brevets, la loi américaine estimant que les substances organiques et les gènes sont assimilables à des produits chimiques, donc à des inventions.

En 1994, le professeur Pierre Louisot a adressé un rapport à Edouard Balladur, alors Premier ministre, dont j'étais le conseiller scientifique. À l'issue d'une concertation interministérielle approfondie, nous avons considéré que le gène était une molécule qui, une fois isolée et éventuellement reproduite par synthèse, est assimilable à n'importe quelle molécule chimique donc, brevetable. Le rapport insiste néanmoins sur la différence entre l'isolement, le séquençage du gène et l'identification de sa fonction.

Fin 1994, la loi bioéthique, votée à l'Assemblée nationale, interdit toute brevetabilité du vivant. Commence alors le début d'une période d'incompréhension, certains prétendant que les gènes séquencés, une fois leur fonction identifiée, ne sont pas de simples molécules, mais des molécules du vivant. Or, la loi interdit toute brevetabilité du vivant.

Durant cette même année 1994, on a assisté à un conflit entre la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis sur le problème de la brevetabilité des simples séquences de génome humains, les « gènes nus ». La Grande-Bretagne s'est alors alignée sur la position américaine. Toujours conseiller du Premier ministre, j'ai été dépêché au NIH où je suis arrivé à convaincre Francis Collins, le directeur du programme « génome », qu'il était inacceptable de breveter des gènes dont on n'a pas encore identifié la fonction. Quinze jours après, Harold Varmus, le directeur du NIH américain, me téléphone et me dit que mes arguments l'ont convaincu, et donc, que l'on ne délivrera pas d'autorisation pour breveter les gènes nus dont on ne connaît pas la fonction. Les Britanniques se sont alors alignés sur cette position.

En 1998, Mme Noëlle Lenoir présente la Déclaration sur le génome humain de l'UNESCO, approuvée par les Nations Unies. Cette déclaration indique que le génome humain, dans son sens symbolique, est patrimoine de l'humanité. En 1999, Craig Venter, pour Celera Genomics, et William Haseltine, pour Human Genome Science, déposent des demandes de brevets pour plusieurs dizaines de milliers de séquences. Voilà la réponse immédiate d'une disposition prise sur le plan international.

En 1998, encore, l'Islande prend l'initiative d'une enquête génétique menée sur l'ensemble de ses 300 000 habitants, afin d'isoler les gènes contrôlant certaines maladies génétiques, dans une population qui connaît de nombreux mariages consanguins, et pour améliorer son programme de santé publique. Ce projet est apparemment cohérent, apparemment parfait sur le plan du consentement éthique, à ceci près que l'Islande confie le monopole d'exploitation des données à une compagnie islandaise !

Le 14 mars 2000, devant de telles divergences au niveau international, le président Clinton et Tony Blair prennent position publiquement et indiquent que « les données fondamentales » - c'est leur propre expression - sur le génome humain devraient être librement accessibles aux scientifiques du monde entier. Ils soulignent également l'importance de la protection de la propriété intellectuelle des inventions effectuées à partir du séquençage du génome humain et impliquant directement certains gènes.

Résultat immédiat : on observe à Wall Street une chute de 30 milliards de dollars de la capitalisation des sociétés concernées par la recherche sur le génome humain. Les interactions entre la science, la politique et l'économie sont intéressantes, n'est-il pas vrai ?

Le 12 avril 2000, Jean-François Mattei prend une initiative contre la brevetabilité des gènes diffusée sur Internet, elle rencontre un grand succès. Ce mois-ci, il devrait présenter les conclusions de son appel signé par les plus grands scientifiques de notre pays.

Le 7 juin 2000, Mme Élisabeth Guigou envisage la remise en cause de la directive européenne. Le 10 juin, la Commission européenne menace la France de poursuite. Le 13 juin, le rapport du Comité consultatif national d'éthique est publié. Il souligne : « l'absence de droit d'exclusivité sur les connaissances des gènes. Des inventions laissant libre accès à cette connaissance peuvent faire l'objet de brevets ». Le Comité consultatif national d'éthique adopte donc une position nuancée mais cohérente. Le Premier ministre décide alors de confier le dossier au ministre de la recherche.

Le 22 et 23 juin 2000 se déroule à Bordeaux un grand colloque « Science du vivant, éthique et société », organisé par le ministère de la recherche, l'université de Bordeaux et l'Académie des sciences.

Le 27 juin, un consortium international de laboratoires de recherche publique annonce le séquençage de 80 à 90 % du génome humain, 18 milliards de données brutes, dont 3,9 milliards de bases assemblées. Cela représente une ébauche de description dont 20 % est achevé et 50 % proche de la définition finale. Il est prévu qu'avant 2003, le séquençage sera achevé, sans trou, et avec exactitude pour 99,9 % du génome humain par l'association entre Human Genome Project et Celera Genomics. Des données complémentaires devraient être apportées au mois d'octobre.

Tel est l'état des lieux. Le niveau de complexité impose de se pencher à nouveau sur la directive européenne et les liens entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.

S'agissant de la directive votée, par le Parlement européen, en 1998, une difficulté juridique aurait pu, si elle avait été tranchée, tempérer les débats. Pour ma part, j'avais déposé un amendement visant à ce que les gènes, humains ou végétaux, ne soient pas brevetables en tant que tels. Mais tous les juristes se sont mis d'accord pour dire que l'expression « en tant que tels » n'était pas assez précise, parce qu'elle n'avait pas de signification juridique.

M. Bertrand Mathieu. - En effet.

M. Alain Pompidou. - Cette expression aurait pourtant arrangé bien des choses !

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le Conseil d'État ont alors dénoncé l'incohérence entre l'article 4 et l'article 5 de la directive. Or, l'article 5 de la directive dispose que « le corps humain aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d'un de ses éléments (...) y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène ne peuvent constituer des inventions brevetables ».

Mais l'article 5 indique également « qu'un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel ». Peut-être le terme « constituer » est-il ambigu et faudrait-il l'interpréter comme « donner lieu ». Encore faut-il exactement le restituer dans les onze langues de l'Union européenne.

Selon moi, ces deux paragraphes ne présentent pas d'incohérences, mais des divergences d'appréciations culturelles et politiques. Je ne constate pas d'incohérences dans la mesure où la première partie de l'article 5 traite de la découverte, alors que sa deuxième partie traite de l'invention. On attribue le prix Nobel, je vous le rappelle, lorsqu'un scientifique ou un groupe de chercheurs mettent en évidence un phénomène ou un produit existant dans la nature mais que personne n'a identifié auparavant. Il s'agit d'une découverte. En revanche, une invention est liée à la valeur ajoutée liée à l'intelligence : il est possible de disséquer l'existant, de le modifier, d'en tirer des produits à partir de procédés donnés. Là, il y a véritablement un procédé inventif, c'est-à-dire, nouveauté et inventivité. Des applications industrielles peuvent dès lors donner lieu à brevets, c'est-à-dire à une protection temporaire de l'inventeur.

Selon moi, l'article 5 ne présente pas d'incohérences. Cela dit, cet article appelle peut-être des demandes d'explications : en particulier sur le fait que l'identification ou le séquençage d'un gène peut donner lieu à une invention fondée sur l'utilisation de la fonction de ce gène.

Pourquoi cet article a-t-il été considéré comme une incohérence ? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte des approches différentes du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne. Comme l'a très bien dit M. Carlos de Sola, le Conseil de l'Europe préoccupé plus particulièrement de la protection des droits de l'homme, comprend une quarantaine de pays et édicte des recommandations qui doivent être transposées dans le droit national, même si elles ne sauraient s'y substituer. Quant à l'Union européenne, après avoir été Communauté économique européenne, elle doit aujourd'hui gérer des problèmes de société, des problèmes juridiques qui ne tiennent pas compte exclusivement des droits de l'homme, mais également du contexte socio-économique en particulier de la libre circulation des personnes et des biens sur le territoire de l'Union.

Il me semble ainsi qu'il y a eu un conflit de compétence liée à une divergence d'approches entre l'assemblée plénière du Conseil de l'Europe et le Parlement européen. Il est intéressant de noter que le vote de l'assemblée plénière s'est fondé sur un vote majoritaire de la commission des affaires sociales du Conseil de l'Europe, alors que la commission de la recherche et de la technologie est restée en marge de cette décision.

L'approche du Conseil de l'Europe est une approche en termes de défense des droits de l'homme, alors que celle de l'Union européenne, initialement Communauté économique européenne, est beaucoup plus « matérialiste ». Mon ami Jean-François Mattei, professeur de médecine, est d'accord pour que la technologie soit brevetable, mais pas le vivant. Mais aujourd'hui, la technologie et la biologie sont tellement imbriquées que l'intervention de l'homme sur le vivant peut donner lieu, dans des conditions bien précises d'inventivité, de nouveauté et d'application industrielle, à brevetabilité.

J'en viens à trois recommandations.

Première recommandation. Autant je considère que breveter le procédé de fabrication de l'insuline est nécessaire, autant je pense qu'il n'est pas acceptable qu'une industrie ou un pays s'approprie le gène de l'insuline. Cela signifie que les licences croisées, les brevets dérivés permettant de s'approprier un seul gène ne sont pas acceptables.

Pour autant, et ce sera ma deuxième recommandation, il faut permettre l'identification des gènes, la libre circulation et la libre utilisation des connaissances issues de la génomique de manière à améliorer la performance de notre système de recherche, comme d'ailleurs du système de recherche mondial. Mais cela ne doit pas être exclusif de la protection des inventeurs. Il faut assurer la protection des inventeurs dans la mesure où il y a une description suffisante des revendications liées à l'utilisation des découvertes.

Troisième recommandation : la reconnaissance d'un statut au donneur de prélèvement, à travers des mesures destinées exclusivement à la collectivité, étant donné la non-patrimonialité du corps humain.

M. Pierre Hellier. - Je voudrais d'abord remercier Mme Christiane Bardoux pour sa présentation. Elle a bien mis en lumière la gestion de la diversité qui existe au sein du groupe européen d'éthique. La recherche est autorisée, tolérée et financée dans certains pays. Au professeur Alain Pompidou, je demanderai comment transposer sans substituer ? M. Carlos de Sola a parlé de l'interdiction de la thérapie germinale. La correction de pathologies transmissibles est-elle également exclue ?

M. Carlos de Sola. - Oui, mais non pour des raisons éthiques. Il vaut mieux empêcher une maladie à la racine que la laisser se développer. Je ne pense pas qu'il soit plus éthique de faire un naître un enfant, porteur d'une maladie qu'il pourrait transmettre, que de corriger ce défaut. Mais nous sommes très loin de pouvoir assurer l'innocuité des techniques, et l'on ne sait pas comment l'ensemble du génome pourrait répondre à une modification. Sur ce point, la loi française adopte la même position, conforme au principe de précaution.

M. Alain Pompidou. - Comment transposer sans substituer ? Mme Bardoux a présenté un excellent exemple de la gestion de la diversité sur le plan international. Faut-il gérer la diversité sur le plan national ? Comme Jean-Pierre Changeux, je ne suis pas un partisan du consensus, car il est toujours « mou » et peu mobilisateur. Je suis plutôt partisan d'obtenir un accord entre différents partenaires, après discussion approfondie. L'initiative de Mme Marylise Lebranchu à la suite de celle de M. Jean-Yves Le Déaut est de nature à susciter un accord sur un certain nombre de points.

À cet égard, je veux rappeler que le Conseil de l'Europe, contrairement à l'Union européenne, publie des recommandations qui doivent être ratifiées avant d'être transposés dans le droit national qui joue comme un filtre, tandis qu'une directive européenne doit s'appliquer au droit national.

Quant à la recherche sur l'embryon, la Commission fait jouer la subsidiarité. L'Union européenne ne la finance pas et les États membres sont libres d'exercer leur propre politique de financement des recherches.

M. Bernard Charles, président. - On retrouve un tel fonctionnement aux États-Unis.

Mme Christiane Bardoux. - Aux États-Unis, il existe une distinction entre ce qui est financé par des crédits privés, où il n'y a pas d'interdits, et ce qui l'est par des crédits publics, où existent des interdits. La source du financement détermine les limites. Ce n'est pas du tout l'approche de l'Europe. Un État européen interdit sur son territoire une recherche sur l'embryon quel que soit le mode de financement. Lorsqu'un État autorise, dans certaines conditions, des recherches sur l'embryon, ce n'est jamais le financement qui modifiera les exigences qui pèsent sur le chercheur.

Il existe donc une divergence d'approches entre les États européens et les États-Unis. En Europe, je veux le souligner, on n'a pas expressément exclu la recherche sur l'embryon du programme de recherche. À la suite d'un débat, le groupe a rappelé qu'il fallait respecter la diversité, tout en restant vigilant et exigeant. C'est dans ces termes que le cinquième programme cadre a été adopté.

Dans le débat éthique en Europe, c'est l'acte que l'on juge et non pas la source du financement. Ce n'est pas le financement qui fait la moralité ou l'absence de moralité d'un acte. C'est approche, selon moi, est un « plus » pour l'Europe.

M. Carlos de Sola. - Il faut cependant noter, à la décharge des États-Unis, que la situation que vous décrivez provient du fait que l'État fédéral ne détient aucune compétence en la matière. Il ne peut donc pas légiférer. Le financement constitue donc le seul instrument pour le Gouvernement. On ne saurait donc prétendre qu'il y a absence de pensée éthique.

M. Bertrand Mathieu. - S'agissant du problème du financement de la recherche sur l'embryon, je suis tout à fait d'accord avec Mme Christiane Bardoux sur les effets juridiques de l'avis. J'ai seulement quelques réserves sur le raisonnement, en termes de droits fondamentaux, du groupe d'experts.

Je tiens à souligner la relative faiblesse de la conceptualisation et de l'effectivité en termes de droit international. Si je voulais être caricatural concernant la convention bioéthique du Conseil de l'Europe, je dirais qu'elle a au moins l'avantage de laisser au législateur national la faculté de faire ce qu'il entend, et qu'elle lui laisse en fait tout le poids de la décision.

Théoriquement, le texte est clair, mais on s'aperçoit que la notion d'être humain n'y est pas définie, même s'il est protégé. On s'aperçoit qu'une protection adéquate de l'embryon peut conduire à sa destruction et qu'une interdiction totale de créer des embryons à des fins de recherche permet à un État de le faire dès lors qu'il émet des réserves. Le texte n'est donc pas fondamentalement contraignant.

Cela dit, c'est le juge qui, institutionnellement, disposera du véritable pouvoir : face à un texte qui, théoriquement et seulement théoriquement, est peu significatif, c'est l'interprétation du juge national ou européen qui l'emportera. C'est un élément important dans l'équilibre des pouvoirs. Plus l'interprétation du texte, pour des raisons de recherche d'un consensus, est faible, plus le juge dispose d'un pouvoir important.

S'agissant des brevets, je suis globalement d'accord avec les propos du professeur Pompidou, mis à part quelques petites réserves. Sur le « en tant que tel », le Conseil d'État a en effet considéré que cette expression ne voulait rien dire. Trois interprétations de l'expression, a-t-il dit, étaient possibles. Soit elle n'enlève rien au principe général de l'interdiction, soit elle signifie, en l'état, dans les structures naturelles, soit, enfin, elle vise la caractérisation de ces éléments sans connaissances déterminées sur leur fonction. Personnellement, je crois que l'expression « en tant que tel » peut avoir une signification. Rappeler qu'elle n'enlève rien au principe général de l'interdiction, c'est priver un terme juridique de son sens. Par ailleurs, si elle signifie simplement « en l'état dans les structures naturelles », elle ne mériterait pas d'être utilisée, puisqu'on retrouve la distinction entre invention et découverte. Or, selon moi, la formule est significative. Elle est donc intéressante et utile.

Cela dit, je ne sais pas si elle résout l'un des problèmes importants et qui constitue peut-être l'une des seules divergences entre la directive et les principes constitutionnels ou les principes qui régissent le droit international.

À mon avis, il n'y a pas de contrariété entre la loi nationale et la directive européenne sur le plan juridique, sous réserves de deux points. D'une part, la directive européenne permet, en l'état, la brevetabilité d'opérations qui ont pu conduire à mener des recherches sur l'embryon, ce qui est interdit en l'état du droit. A contrario, elle interdit toute brevetabilité qui concerne la thérapie germinale, alors que certaines formes de thérapie germinale sont autorisées en France. En revanche, lorsque la directive précise que l'invention doit être susceptible d'application industrielle, c'est à mon sens contestable. Il faudrait préciser que c'est l'application industrielle qui est brevetée et non le gène. Si l'application industrielle est brevetée, il n'existe plus aucun problème, mais il faudrait le préciser. Il existe donc une ambiguïté qui nécessiterait sans doute une renégociation sur le fait que l'invention doit être susceptible d'application industrielle. En fait, on fait un brevet sur le gène en laissant entendre une application industrielle.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Au-delà des pratiques et des techniques juridiques, il serait utile aux membres de la mission que chacun d'entre vous donne son sentiment sur le sens des évolutions. Avez-vous le sentiment qu'on se dirige vers une homogénéisation du droit de la bioéthique ou l'inverse ? Pensez-vous qu'il y a rupture entre les intérêts économiques et les impératifs éthiques en Europe ? Quelles formes devraient prendre d'éventuelles initiatives sur le plan européen ? Quelles initiatives les gouvernements nationaux devraient-ils prendre sur le plan européen ?

S'agissant du gène, j'ai été assez séduit par la démonstration d'Alain Pompidou, mais lorsqu'on se souvient des auditions de la semaine dernière, la petite pirouette de la fin de son raisonnement me gêne. Vous nous dites en effet qu'il faut accepter la brevetabilité, s'il y a transformation et invention. Mais pour être cohérent, vous précisez qu'il faut dissocier le gène de la brevetabilité. Or, lors d'une précédente audition, un juriste inscrivait le gène dans le champ de la brevetabilité.

M. Carlos de Sola. - Pour ma part, je pense qu'on se dirige vers une certaine homogénéisation, parce que les sociétés deviennent plus semblables les unes aux autres. Les conditions de vie sont de plus en plus comparables. N'oublions pas également que les scientifiques forment une communauté internationale.

Il existe néanmoins des traditions qui perdurent, notamment entre les pays continentaux et le Royaume-Uni. Sur le continent, on a tendance à dire qu'une chose doit être autorisée si elle est bonne. En revanche, au Royaume-Uni, on laisse plus de latitude à l'individu : même si une chose n'est pas bonne, il est meilleur, ou moins mauvais, pour la société que l'individu ait la possibilité de choisir. C'est également une attitude qui sépare certaines sociétés nordiques des autres.

Mme Christiane Bardoux. - L'analyse de M. de Sola est exacte. Néanmoins, il existera toujours des divergences qui relèvent de la foi, de l'intime conviction ou de la conscience. Cela entraînera toujours des divergences d'opinion, y compris au sein d'un État. Face à cela, on peut appréhender les choses de deux manières. Premièrement, développer une approche uniquement conflictuelle, visant à faire gagner un parti sur l'autre. Cette approche est assez stérile, car elle conduit à des débats caricaturaux. Deuxièmement, mettre en avant une approche constructive, consistant, non pas à convaincre, mais à se faire comprendre. Cela suppose un effort individuel de clarification qui va dans le sens d'une meilleure rigueur éthique. Cela permet de ne jamais considérer les choses comme acquises, évidentes, comme coulant de source. Cela oblige à s'interroger sur le pourquoi et le comment des choses. C'est un exercice qui, selon le moi, va dans le sens d'une qualité éthique.

La Communauté européenne peut proposer ce type d'exercice en mettant en place des forums. N'ayant pas de compétences pour légiférer, elle n'est pas dans l'obligation de faire un choix crucial. Elle peut permettre que des opinions divergentes s'expriment en dehors d'un enjeu. C'est là l'apport constructif du débat communautaire.

M. Bernard Charles, président. - M. Carlos de Sola a parlé du Royaume-Uni. Mme Françoise Shenfield, membre de l'agence britannique Human Fertilization and Embryology Authorithy est présente parmi nous. Elle doit intervenir dans le débat de cet après-midi, mais je lui propose déjà de réagir à vos propos.

Mme Françoise Shenfield. - Je vous remercie de me donner la parole, monsieur le président. Comme Française et Britannique, je voudrais souligner, dans le cas de la Grande-Bretagne, le contexte de cette discussion et rappeler que, s'agissant de la recherche sur l'embryon, elle considère depuis une vingtaine d'années, et l'a inscrit dans un droit spécifique depuis dix ans, qu'il représente un problème de société aux retombées éthiques considérables. En outre, elle a précisé que le débat ne relevait pas d'un cas de conscience individuelle, comme le laisser-faire que la recherche britannique préconise bien souvent.

Nous disposons de la loi la plus complète, la plus longue dans le domaine de la procréation médicalement assistée et de la protection de l'embryon. Ce qui est très important, c'est que le rapport publié par le Chief medical officer qui informe le Gouvernement sur les possibilités de la recherche concernant les cellules souches, a pour titre Un rapport médical qui tient compte de notre responsabilité. Il s'agit de la responsabilité de la société, non celle de l'individu.

M. Alain Pompidou. - Comme M. Carlos de Sola, je crois qu'il y a un mouvement d'homogénéisation dans la société occidentale et dans les pays de l'OCDE. Mais comme l'a très bien dit Mme Christiane Bardoux, il existe des divergences d'interprétation. Il faut donc se faire comprendre pour éviter les conflits. Les pays d'Asie, quant à eux, sont complètement à l'opposé de cette démarche. Tout est relatif dans le système culturel asiatique, tout est dans tout et rien dans rien. Tendre vers une homogénéisation leur est donc très difficile. Si les pays occidentaux et un certain nombre de pays en voie de développement, notamment francophones, développent une argumentation, une clarification, il y aura alors une possibilité de dialogue avec les pays d'Asie.

La rupture entre les valeurs économiques et les valeurs éthiques sera de moins en moins grande en matière de bioéthique. L'être humain prendra conscience de sa responsabilité, comme l'a bien dit Mme Françoise Shenfield. Néanmoins, il existe un domaine beaucoup plus dangereux, celui des technologies de l'information et de la communication où le système Internet risque de faire exploser toute dimension éthique. L'infoéthique sera à n'en pas douter l'un des grands enjeux des dix prochaines années.

Quant à la question des gènes, il convient de noter que la subsidiarité renvoie au droit national. On peut distinguer deux définitions de la subsidiarité. L'une renvoie à chaque État membre la responsabilité de la décision ; l'autre, celle des pères de l'Europe et du président Jacques Delors, vient de la collégialité des monastères au Moyen Âge où la subsidiarité s'exerçait de la manière suivante : les moines se réunissaient régulièrement autour du père abbé, et un père qui avait une idée la soumettait au collège où elle était discutée et incrémentée. On ne renvoyait donc pas à chacun la responsabilité de ses actes, mais on opérait de façon collégiale l'analyse et la mise en pratique de l'idée de l'un des leurs. Il s'agissait d'essayer de faire mieux à plusieurs ce qu'on ferait moins bien tout seul.

Les Français ont trop tendance à considérer que la subsidiarité consiste à tenir compte de la volonté de chaque membre pris isolément. C'est une définition, certes, mais la subsidiarité peut également être un principe dynamique et constructif de gestion collégiale.

Quant à la dernière question du rapporteur, les experts juridiques que vous avez auditionnés sous-entendent que pour avoir des licences croisées et des brevets dépendants, il est nécessaire de pouvoir assurer le brevet sur un gène donné. Alors, toute application dérivée d'utilisation du gène réfère à un brevet, et celui qui s'est attribué un brevet percevra des royalties. C'est tout à fait discutable.

M. Bernard Charles, président. - Certes, mais sur quelque chose à laquelle il n'avait pas pensé.

M. Alain Pompidou. - Oui ! C'est pourquoi c'est l'application et donc l'utilisation qui doit être brevetable, puisqu'elle est gage d'inventivité, de nouveauté et d'application industrielle. Dès lors, il est possible de sortir de la dialectique promue par les juristes et les avocats de défense des brevets qui permettent aux industriels de s'approprier un gène, et alors, tout brevet dérivé de ce gène (c'est-à-dire dans la mesure où le gène donne lieu à une invention) implique le paiement de royalties à son premier utilisateur. Nous sommes là dans le domaine de l'identification des fonctions et des possibilités d'application industrielle.

M. Patrick Delnatte. - M. Mathieu a souligné qu'en dehors des problèmes de finalité, le clonage reproductif ne portait pas atteinte au principe de protection de l'être humain. Or il me semble que la différence générationnelle est un élément essentiel de la dignité de l'être humain. J'ai donc l'impression que, au détour d'une petite phrase, vous modifiez une approche qui faisait l'objet d'un consensus sur le caractère inacceptable du clonage reproductif.

M. Bertrand Mathieu. - C'est volontairement que j'ai utilisé une comparaison provocatrice. Pour autant, je ne voulais pas dire que le clonage reproductif n'était pas susceptible de porter atteinte à la dignité humaine. En général, il l'est par ses motifs ou par les situations qu'il engendre.

Pour autant, si un enfant vient au monde grâce à cette technique, sa dignité sera identique à celle de tout autre enfant. En revanche, si un embryon est créé et qu'on l'utilise à des fins de recherche, on porte atteinte à sa dignité puisqu'on l'instrumentalise. Je ne dis pas que le fait de procéder à un clonage n'est pas attentatoire à la dignité. Je me place du point de vue de l'attitude que l'on a vis-à-vis de l'embryon ainsi créé.

Je tiens à répondre à la question générale posée à l'ensemble des intervenants. Va-t-on vers une homogénéisation ? En termes de droits fondamentaux, les systèmes juridiques sont divergents dans leur logique, le système anglo-saxon étant davantage attaché au principe de liberté, alors que le système de l'Europe continentale se construit davantage sur le principe de dignité. Cela ne signifie pas que les deux systèmes ne reconnaissent pas les deux principes, mais l'ordre des facteurs de priorité est différent.

M. le rapporteur a eu raison de lier deux questions. Nous allons, me semble-t-il, vers une homogénéisation, au prix de distorsions très nettes dans les raisonnements suivis en matière de droits fondamentaux. Cette homogénéisation est le fruit d'une action cohérente des impératifs scientifiques et économiques. Elle tient donc au fait que l'éthique ou les droits fondamentaux s'adaptent, au cas par cas, aux exigences de la science et de l'économie.

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Christiane Bardoux sur la nécessité de trouver des consensus. Cela dit, je ne suis pas vraiment persuadé que l'on puisse réagir de cette manière sur le plan national où des choix doivent être faits.

Mme Christine Boutin. - On distingue de façon très abusive le clonage thérapeutique et le clonage reproductif. M. Mathieu a rappelé qu'il n'existait pas de différence profonde entre les deux techniques.

M. Bertrand Mathieu. - Les deux techniques sont traitées de manière différente par le droit. Si je pousse le paradoxe à l'extrême, l'instrumentalisation est encore plus forte lorsqu'on utilise un embryon à des fins qui lui sont étrangères, que dans le cas où on crée un embryon en vue de faire naître un enfant. Ma position, je tiens à le souligner, ne conduit pas à une défense du clonage visant à faire naître un enfant.

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - M. Alain Pompidou a souligné la situation particulière en Asie, mais il a également insisté sur le « débordement » par Internet. Pensez-vous qu'il soit possible d'encadrer Internet et de mener une réflexion éthique sur le sujet. Ne risque-t-on pas d'être débordé ?

M. Alain Pompidou. - Chacun a le droit de s'exprimer sur Internet, et on ne censure que ce qui porte atteinte à l'ordre public ou aux bonnes m_urs. Ma crainte est beaucoup plus profonde. Je me pose le problème des atteintes aux libertés individuelles liées à l'utilisation de l'outil informatique qui peut devenir un moyen d'instrumentaliser l'individu dans sa propre expression.

L'intérêt d'Internet sur le plan éthique est lié au fait que chacun peut exprimer son point de vue. Cet outil rend possible un dialogue entre tous les pays sur l'appropriation du vivant et la bioéthique.

M. Roger Meï. - Mme Yvette Roudy nous avait signalé la présence, sur Internet, d'une proposition d'achat et de vente d'ovocytes d'une personne venant des pays de l'Est. Le débordement est donc déjà en cours.

M. Carlos de Sola. - Dans le domaine de la génétique, certains sujets peuvent avoir des incidences économiques importantes. Je pense en particulier aux assurances, notamment à l'assurance vie. Il existe des divergences sur le plan européen. Les Britanniques et les Néerlandais, en particulier, ne souhaitent pas être bridés. Une telle situation peut avoir des conséquences, notamment en matière d'eugénisme. Si l'on a tendance à écarter des personnes qui comportent un « défaut » génétique, il y aura une pression pour que ne naissent pas d'enfants portant ce défaut. Le débat éthique est important et va bien au-delà du simple droit du contrat d'assurance.

En ce qui concerne le brevet, il me paraît tout à fait logique que si l'application est une condition pour breveter une séquence, le brevet soit limité à cette application-là. Un gène peut avoir des incidences sur beaucoup d'autres fonctions, ne l'oublions pas. Le Parlement allemand s'oriente vers cette position.

M. Alain Pompidou. - Je pense, moi aussi, qu'il faut s'orienter vers cette solution. Cela dit, si les États-Unis ne nous suivent pas, nous serons dans une position de distorsion de concurrence vis-à-vis de ce pays. C'est pourquoi il faut une harmonisation avec l'Office européen des brevets et mettre en _uvre une discussion sur le plan mondial. Car si les Américains nous suivent, qui nous dit que les Japonais ou les Chinois nous suivront ?

M. Bernard Charles, président. - En effet. Le dispositif que vous proposez est intellectuellement satisfaisant et éviterait une pression pour bloquer un gène. Pour ma part, j'ai été frappé de l'état d'esprit un peu « cow-boy » de l'agence américaine qui s'occupe des brevets. Un travail considérable de discussion et de négociation devra être mené auprès de ce type d'institution.

M. Jean-Luc Préel. - Nous sommes confrontés au problème de la dignité de la personne, de l'être humain et du respect de la vie. Cette situation nous met en difficulté en fonction de nos convictions.

M. Bertrand Mathieu a distingué deux concepts, celui de la personne et celui de l'être humain. Jusqu'où entend-il cette distinction ? M. Carlos de Sola justifie le pragmatisme, puisqu'il juge souhaitable de ne pas apporter une définition de l'embryon et du début de la vie. Mais si l'on assigne une dignité à l'embryon, l'absence de projet parental change-t-il la dignité ?

M. Carlos de Sola. - Aucune législation européenne ne se réfère à un être humain déjà né. Dans l'élaboration de la convention du Conseil de l'Europe, nous avons tenu compte de cette réalité pour rappeler que, parfois, il ne suffisait pas de protéger la personne si, par personne, on entend un être humain déjà né. La protection doit également s'étendre à l'être humain avant sa naissance. Être humain est une expression qui vient plutôt de la biologie. Le concept désigne un individu de l'espèce humaine.

La distinction entre embryon et être humain, selon moi, n'est pas une véritable distinction. Un embryon, c'est un embryon d'être humain ou encore un être humain embryonnaire. Ce n'est pas un être humain accompli. En ce sens, il n'est pas une personne. Une dignité doit-elle s'attacher dès l'origine ? La convention répond par la positive et rappelle que la dignité ne doit pas dépendre des circonstances extérieures ou d'un projet parental.

Mais en matière de recherche sur l'embryon surnuméraire, quelles sont les alternatives ? La conservation ad infinitum n'est pas un destin humain. Cela n'a pas de sens humain. L'intérêt de l'embryon est de pouvoir se développer et de devenir un être humain accompli. Autres possibilités  : laisser périr l'embryon ou l'utiliser pour la recherche. Deux positions sont inconciliables. Soit on respecte la dignité humaine, et alors, toute destruction pour une utilité serait une atteinte à la dignité ; soit l'on considère que la destruction de l'embryon aura lieu, qu'il y ait un projet de recherche ou non. Ces deux positions sont défendables et légitimes.

M. Alain Pompidou. - La différence entre dignité de la personne et « statut » de l'embryon tient à plusieurs points. Lors d'une discussion antérieure avec Mme Christiane Bardoux, nous avions rappelé que la dignité de l'embryon faisait appel à la responsabilité parentale : les parents sont responsables de la création et du devenir de l'embryon, puis de l'éducation de l'enfant. Lorsqu'il n'y a plus de responsabilité parentale, il y a abandon du projet parental, donc de l'embryon. Or, certains pensent que les parents sont responsables de leur procréation, alors que d'autres pensent qu'ils peuvent parfois démissionner de leur responsabilité de parents potentiels.

Sur le plan biologique, il est intéressant de considérer les raisons de la protection de l'identité génétique de l'embryon. L'embryon, en effet, est le seul être vivant au monde qui ait une identité génétique, puisqu'il est la conséquence, après remaniement chromosomique des cellules germinales et après fusion des gamètes, de l'appariement des chromosomes du père et de la mère. Dans le monde vivant, il est un être en raison de son identité génétique propre. Cette réalité justifie la position du Vatican et de l'Église catholique sur la protection de l'embryon humain. L'Église n'y a pas pensé, mais l'embryon dispose d'une identité génétique propre qui en fait un être unique dans l'univers. Dans le mécanisme qui a aboutit à la création de la planète Terre, il existe donc une entité qui a une identité génétique propre.

La religion musulmane a un point de vue différent. Elle considère que l'embryon acquiert sa capacité de personne humaine après l'implantation chez la mère. Cette position conduit à l'analyse des propriétés du bouton embryonnaire. Lorsque l'embryon se développe, le bouton embryonnaire apparaît. Les cellules de la couronne s'identifient et vont permettre l'implantation chez la mère. Un prélèvement sur ces cellules montre qu'aucune d'elles n'est capable d'élaborer les cellules qui permettront l'implantation. Donc, les cellules du bouton embryonnaire n'auront aucune capacité de s'implanter chez la mère.

D'où la question : peut-on prendre des cellules, au stade de quatre cellules, des blastomères qui sont des cellules germinales ayant toutes les potentialités ? On considère que cet embryon est donneur de cellules, mais, en fait, il est donneur de jumeaux. Ou de clone. Actuellement, ce n'est pas encore au point. Pour le DPI, on prend uniquement quelques cellules du blastomère ; mais en cas de prélèvement de cellules dans le bouton embryonnaire, on pourrait considérer, si cette technique était au point, que comme l'être humain, l'embryon devient « donneur » de cellules, et qu'ensuite on le laisse se développer et s'implanter. Avec cette différence que les cellules que l'on prélève sur le bouton embryonnaire ne pourront jamais donner la couronne périphérique et ne pourront pas s'implanter chez l'homme.

M. Bertrand Mathieu. - Je veux revenir aux définitions de la convention bioéthique du Conseil de l'Europe. La distinction entre être humain et être humain embryonnaire est contestable, car à partir du moment où un être humain est né, il est une personne. J'ai tendance à penser que si l'on distingue être humain de personne humaine, c'est que l'on distingue la situation d'après la naissance de la situation d'avant la naissance. Or, la convention bioéthique protège la dignité de l'être humain. Dès lors, il appartient au juriste, indépendamment de positions, philosophiques ou religieuses, de donner une signification aux termes.

Dans son sens juridique, la dignité est la traduction de l'impératif catégorique kantien qui interdit toute instrumentalisation de l'être humain. Qu'est-ce que l'être humain ? Le rapport explicatif de la convention fait référence à l'expression « dès le commencement de la vie ». Cela signifie donc que le principe de dignité s'applique dès le commencement de la vie, et qu'on laisse le soin au scientifique de nous éclairer.

D'un point de vue strictement juridique, la convention bioéthique ne permet donc pas d'instrumentaliser l'embryon.

Reste alors à considérer les conséquences que l'on peut en tirer pour répondre à la question des embryons surnuméraires. Certains sont voués à la destruction par abandon de projet parental. Que doit-on en déduire au regard des principes juridiques ? Le fait qu'ils soient destinés à la destruction conduit-il à une possibilité d'instrumentalisation ? A priori, non. Le fait qu'une personne soit condamnée à mort, à supposer que la peine de mort existât, ne permettrait pas, au nom du principe de dignité, de conduire des expérimentations sur elle.

L'absence de projet parental a-t-elle des incidences juridiques ? Théoriquement non, puisque les droits fondamentaux protègent l'être humain en tant que tel. L'idée même que le destin de cet être humain puisse être lié au projet parental conduirait à méconnaître sa dignité.

Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je veux rappeler qu'il existe une différence assez fondamentale entre l'avortement et l'utilisation d'un embryon à des fins de recherche. La législation française en matière d'avortement reconnaît les droits fondamentaux de l'embryon puisqu'elle concilie les droits de la mère et les droits de l'embryon. Cette conciliation peut, pendant un certain moment, conduire à privilégier les droits de la mère sur les droits de l'embryon. On raisonne donc là à l'intérieur d'un système qui reconnaît la dignité de l'embryon.

En revanche, un raisonnement analogue est impossible pour des exigences de santé publique ou des exigences tenant à la recherche publique. Pourquoi ? Parce que l'article 2 de la convention bioéthique du Conseil de l'Europe rappelle que l'intérêt et le bien de l'être humain, on ne parle pas de la personne, doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science. Cela signifie que l'on ne peut pas faire prévaloir un intérêt collectif sur la protection de l'embryon, alors qu'on pourrait, dans le système des droits fondamentaux, faire prévaloir un droit individuel sur le droit de l'embryon.

Mme Christiane Bardoux. - S'agissant de l'embryon, le groupe européen d'éthique a objectivement pris acte que deux conceptions se dégageaient dans la façon dont l'embryon était perçu. Dans une première conception, l'embryon est protégé dès le début de son existence, dès sa conception et, à ce titre, toute recherche sur l'embryon est exclue. Dans une autre conception, le statut de l'embryon et le degré de protection dont il doit bénéficier dépendent du stade et du contexte de son développement.

Le groupe a donc pris acte des conceptions différentes. Mais quel que soit le statut moral ou légal qu'on reconnaît à l'embryon, il a considéré qu'il méritait toujours d'être protégé par la loi.

Trop rapidement, on oppose conception religieuse et laïque ou athée. Dans la préparation de son avis sur les cellules souches, le groupe européen d'éthique a auditionné les représentants des principales religions. Nous avons donc rencontré un musulman, un juif, un représentant des églises protestantes et un représentant de l'Église catholique. Toutes ces religions reconnaissent une dignité à l'embryon mais ont cependant des approches différentes, des conceptions de l'animation différentes (animation immédiate, c'est-à-dire l'union de l'âme et du corps dès la conception, ou animation retardée, l'âme n'étant considérée comme présente qu'à partir d'un certain stade du développement in utero). Certaines églises protestantes ont une vision moins absolue et formelle que l'Église catholique qui, pourtant, au cours de son histoire, a reconnu le dogme de l'animation retardée, conceptualisé par Saint Augustin.

Il ne faut donc pas trop donner à la génétique la clé de toutes les explications.

M. Bernard Charles, président. - Y a-t-il d'autres observations ?

En l'absence d'observations, je vous propose de clore cette séance en vous remerciant de votre participation.

Audition publique sur la dimension européenne
des questions de bioéthique

Les praticiens face au droit

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 septembre 2000)

Présidence de M. Bernard Charles, président.

M. Bernard Charles, président. - Mesdames, messieurs, mes chers collègues, nous avons abordé ce matin la question européenne d'un point de vue plus spécifiquement juridique même si, en certains domaines, le juridique s'est mêlé au scientifique, voire au politique.

La bioéthique intéresse tout le monde et nous en avons une vision citoyenne. Mais elle touche au premier chef les scientifiques qui doivent prendre en compte, non seulement l'adhésion de la société à la recherche ou sa réprobation, mais aussi les lois et règlements qu'ils doivent respecter dans leur vie professionnelle.

Si nous avons constaté, ce matin, que le droit européen de la bioéthique se développait, nous avons également souligné que les approches pouvaient, dans ce domaine, être différenciées dans les pays de l'Union.

En effet, compte tenu des aspects historiques et culturels qui lui sont propres, chaque État a mis en place des règles différentes.

Aujourd'hui, avec nos invités, nous allons nous efforcer d'examiner quelles sont les contraintes auxquelles les chercheurs de chaque pays sont soumis en Europe et pour aborder cette problématique, nous avons retenu les exemples britannique, allemand et belge.

Je suis donc très heureux d'accueillir le docteur Françoise Shenfield, qui est membre de la HFEA - Human Fertilization and Embryology Authority - que nous avons déjà eu l'occasion d'entendre, lors de notre journée consacrée à l'agence britannique, et qui, aujourd'hui, nous parlera, en français puisqu'elle est pour ainsi dire « bicéphale », de son expérience de médecin au Royaume-Uni, ainsi que le professeur Detlev Ganten, directeur scientifique du Max-Delbrück-Centrum für molekulare Medizin de Berlin qui parle très bien français mais qui s'exprimera en allemand pour répondre à notre demande d'adopter une certaine liberté de ton et le professeur Yvon Englert, directeur du laboratoire de biologie et psychologie de la fertilité humaine à l'Université libre de Bruxelles.

Je vous remercie madame, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation et d'avoir accepté de consacrer une journée complète à nos travaux.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Ce matin, nous sommes sortis des auditions pleins d'interrogations : nous ne savons plus où s'arrête la frontière de la brevetabilité...

M. Bernard Charles, président. - Nous avons tout de même avancé...

M. Alain Claeys, rapporteur. - Certes !

Concernant le statut de l'embryon, notre histoire commune se poursuit et nous avons évoqué longuement, à travers les règles de droit, les problèmes de subsidiarité et la façon dont la législation européenne pouvait évoluer.

Au-delà de toutes ces considérations politiques, juridiques et éthiques, nous voulions savoir cet après-midi - et c'est l'objet de cette rencontre avec trois chercheurs - comment les scientifiques au Royaume-Uni, en Allemagne et en Belgique vivent ces droits différents, issus d'histoires différentes, sur le plan culturel notamment, et la quasi-absence de législation que permettent parfois la performance des encadrements et l'ancrage des valeurs éthiques comme c'est, par exemple, le cas en Belgique.

D'abord, nous entendrons Mme Françoise Shenfield, que nous avons déjà auditionnée lors de la rencontre avec la structure de coordination britannique, pour connaître la situation qui prévaut de l'autre côté de la Manche.

Quand on parle, ici, du Royaume-Uni, on tombe facilement dans la caricature en évoquant le laxisme, le réalisme, l'utilitarisme, au point de finir par se demander où se situe la personne humaine. Or, en réfléchissant un peu, on prend conscience de l'existence d'un suivi.

Je souhaite donc que, sans tabou, vous puissiez, madame, nous parler, d'une part, de votre démarche par rapport aux recherches, à la bioéthique et au débat qui s'est ouvert, il y a quelques semaines, en Grande-Bretagne, à propos de la recherche sur l'embryon.

Ensuite, nous nous intéresserons, avec le docteur Detlev Ganten, à l'Allemagne, où tous ces sujets ne sont pas simples : pour avoir discuté préalablement avec notre invité, je crois pouvoir dire qu'il vous parlera très franchement à la fois des aspects culturels, du contexte historique et de sa position de chercheur en Allemagne. Il est très important que nous puissions l'entendre.

Enfin, nous en viendrons à la Belgique avec le professeur Yvon Englert. Nous sommes curieux de connaître la vision des laboratoires et des chercheurs belges qui, plus qu'à une loi nationale, se réfèrent aux codes internes qui existent dans chaque laboratoire pour encadrer et orienter la recherche.

Bien entendu, nous aurons quelques questions à poser au docteur Yvon Englert sur la pratique de l'ICSI qui est partie d'un laboratoire belge. Nous aimerions notamment recueillir son opinion sur cette pratique et cerner les problèmes éthiques qu'elle peut poser.

En outre, à travers ces trois témoignages de chercheurs entretenant des relations avec d'autres équipes de chercheurs à travers le monde, nous souhaiterions apprendre, à travers leurs conclusions, ce qui les rassemble actuellement d'un point de vue éthique et scientifique et savoir quel est le tronc commun de leurs réflexions et de leurs recherches.

Mme Françoise Shenfield. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invitée à vous expliquer comment fonctionne le système de recherche en Grande-Bretagne, lequel permet, depuis dix ans, la recherche sur l'embryon.

On m'a demandé de vous exposer à la fois les problèmes pointus et courants en Grande-Bretagne en matière de reproduction, d'éthique et de droit. Je parlerai également du diagnostic préimplantatoire et, bien sûr, du sujet qui intéresse et passionne tout le monde : celui de l'embryon que nous avons déjà un peu évoqué ce matin.

En Grande-Bretagne, comme vous le savez sans doute, la recherche sur l'embryon est permise mais elle est très encadrée.

Elle est permise dans le contexte d'un principe - la chose peut surprendre de ce côté de la Manche mais elle prouve que les Britanniques ne sont pas totalement utilitaristes - à savoir le respect de l'embryon qui représente un potentiel de personne sans pour autant nier qu'il est une vie à partir de sa création.

Ce principe de potentialité, qui s'accompagne d'un respect proportionnellement croissant, est, sinon inscrit, du moins implicite dans l'encadrement que prévoit le droit médical anglais, qui est un droit positif et non pas une jurisprudence comme le veut la coutume juridique anglaise. Il s'agit de la loi la plus complète, la plus longue, en droit médical en Grande-Bretagne.

C'est donc dans ce cadre que j'exerce, depuis dix ans, en qualité de clinicienne et que, depuis un an, j'ai été nommée membre de la HFEA ce qui suppose certains devoirs comme je vous l'expliquerai par la suite.

Depuis 1990, cette recherche embryonnaire est strictement encadrée et doit répondre à cinq objectifs :

- promouvoir les progrès thérapeutiques en stérilité puisque l'embryon a, après tout, été créé initialement in vitro pour pouvoir résoudre le grave problème de couples en mal d'enfant qui ne pouvaient pas être aidés par d'autres moyens technologiquement plus simples ;

- comprendre les causes des maladies congénitales ;

- comprendre les causes des fausses couches et surtout des fausses couches à répétition, problème bien connu des médecins ;

- développer de nouvelles méthodes de contraception ;

- développer des méthodes de détection des anomalies génétiques ou chromosomiques chez l'embryon avant son implantation, ce qui revient à permettre le diagnostic préimplantatoire.

Il existe aussi des interdictions pour éviter tout ce qui est censé être une forme d'atteinte, que la société britannique refuse, à la dignité que l'on accorde à cet embryon en assumant, vis-à-vis de lui et surtout du potentiel d'enfant qu'il représente, une responsabilité.

Quels sont ces interdits ?

Il est, par exemple, interdit de créer des chimères comme l'énonce la première interdiction qui s'applique au transfert d'ovocytes, de spermatozoïdes ou d'embryons animaux chez l'humain.

Dans l'autre sens, il est également interdit de procéder à un transfert d'embryon humain chez l'animal.

En outre, il est interdit de conserver l'embryon in vitro pendant plus de quatorze jours.

Je ne reviendrai pas sur l'historique que vous connaissez si ce n'est pour dire, puisqu'il a été fait, ce matin, allusion au «  préembryon », qu'il s'agit d'un terme que nous n'utilisons plus depuis très longtemps et que notre société européenne de reproduction a clairement écarté. En effet, si nous tenons à respecter l'embryon avant son implantation, nous refusons de parler de « préembryon », au motif que ce terme avait été très critiqué - selon moi, à juste titre - pour laisser croire qu'une entité « pré » était moins importante que l'embryon lui-même.

Il existe une différence biologique entre l'embryon hors du corps féminin et dans le corps féminin - pour l'instant, il ne peut être implanté que dans le corps féminin - car, dans le premier cas, c'est une entité que nous respectons pour le potentiel d'humanité qu'elle représente. Que ce soit ou non un être humain est une question plus d'ordre philosophique que biologique mais il reste que l'embryon représente une potentialité de vie humaine. Nous sommes tous d'accord sur ce point !

Selon la loi de 1990, il est aussi interdit - c'était le seul clonage connu à l'époque - de remplacer le noyau d'une cellule embryonnaire par celui d'une cellule de toute autre personne ou de tout autre embryon.

Personne, à l'époque, n'avait imaginé que l'on pourrait pratiquer un transfert nucléaire selon la « méthode Dolly » .

Mme Yvette Roudy. - Qu'est-ce que l'on n'imaginait pas ?

Mme Françoise Shenfield. - De créer un embryon en transférant une cellule somatique, comme on l'a fait dans l'expérience de Dolly, à partir de la glande mammaire, qui plus est de la glande mammaire congelée, d'une brebis enterrée depuis déjà longtemps...

La HFEA a donc été créée par la loi de 1990 et a démarré ses travaux en 1991. Elle est composée de vingt et un membres nommés par le ministre de la santé mais qui sont indépendants du ministère et responsables de la politique de licence. Il faut savoir, en effet, que chaque acte thérapeutique permis par la loi et chaque projet de recherche doit être soumis à la HFEA afin d'obtenir une licence pour lui permettre d'être réalisé.

Pour ce qui concerne la recherche, ces licences sont d'une durée de trois ans et, chaque année, tout projet de recherche doit être soumis à la HFEA pour savoir quels sont les progrès de ladite recherche, pour confirmer son utilité et mesurer ses chances d'aboutir dans la direction prévue dans le projet de recherche.

Pour vous donner une idée des chiffres, puisque l'on parle souvent de milliers d'embryons congelés et peut-être suspendus dans les limbes, je préciserai qu'entre 1992, soit un an après la promulgation de la loi de 1991, et 1998 - ce sont les derniers chiffres que nous avons pu analyser puisque nous attendons pour le mois de décembre le rapport de l'an 2000 qui nous donnera les chiffres de l'année 1999, y compris ceux concernant les grossesses et les embryons créés in vitro - ce sont 763 509 embryons qui ont été créés en Grande-Bretagne.

Un peu moins de la moitié d'entre eux - exactement 351 617 - ont été « utilisés » pour le traitement des couples demandeurs et donc donneurs des gamètes à l'origine de ces embryons.

Ce sont 183 786 embryons qui ont été congelés, généralement pour un futur projet d'enfant, le premier cycle n'étant pas toujours un succès et, quand bien même il l'est, l'embryon pouvant servir un projet d'enfant ultérieur, 237 600 embryons ont été détruits et ce, dans la plupart des cas, avec le consentement des donneurs de gamètes.

À ce propos, il convient de préciser que la loi anglaise permet la congélation pendant cinq ans, renouvelables depuis deux ans, dans des circonstances « cliniques », par exemple, si un couple a un motif précis pour ne pas vouloir une grossesse dans l'immédiat, ce qui est le cas si la femme souffre d'une maladie qui l'empêche de mener à bien sa grossesse. On peut renouveler la congélation pour cinq ans. Après ce délai, le couple sait que les embryons seront, soit détruits, soit donnés à la recherche s'il a permis, avant la congélation, qu'il en soit ainsi.

Par conséquent, les 44 888 embryons donnés à la recherche l'ont été par des couples qui, ayant ou non satisfait leur désir d'enfant, dans un élan de générosité ou dans le souci d'aider d'autres personnes souffrant du même désir d'enfant, veulent contribuer au progrès des technologies dont ils ont eux-mêmes bénéficié.

En tout et pour tout, ce sont donc 118 embryons qui ont été créés spécifiquement pour la recherche ce qui est une proportion vraiment minime par rapport à l'ensemble des embryons créés en Grande-Bretagne.

En outre, pour chaque projet de recherche, la HFEA s'attache à savoir si la création d'un embryon spécifiquement pour la recherche, avec, bien sûr, le consentement des donneurs de gamètes, ovocytes et spermatozoïdes, est vraiment justifiée.

Que dit la loi ? La loi dit que la recherche embryonnaire doit être nécessaire et en anglais il est précisé par un double négatif, cher aux latinistes, qu'une licence ne sera pas octroyée à moins que cette activité de licence, qu'elle soit thérapeutique ou de recherche, soit reconnue nécessaire et désirable.

En pratique, la HFEA dispose d'un groupe d'experts auquel sera soumis le projet de recherche et qui, comme c'est le cas pour tous les experts du monde, qu'il s'agisse de la recherche nationale ou internationale, décident si le projet de recherche satisfait les conditions scientifiques de sûreté et d'éthique puisque le consentement des donneurs doit être requis.

Pendant ces deux dernières années, 51 projets nous ont été soumis, chacun faisant l'objet d'un peerreview, c'est-à-dire d'une analyse menée par des scientifiques de haut niveau et à même de juger cette recherche et qui se prononcent sur sa nécessité. Il ne peut, en aucun cas, être question d'entreprendre une recherche pour le plaisir, ni de traiter l'embryon sans le respect minimum qui lui est dû.

Il est tout à fait clair qu'avec les pouvoirs qui lui sont octroyés par la législation britannique, la HFEA interdit le clonage reproductif, autrement dit, en résumé, l'expérience Dolly.

Cela correspond, comme nous l'avons dit ce matin, au sentiment mondialement répandu que cette démarche irait à l'encontre, sinon de la dignité dont il nous a été donné la définition juridique, du moins de la responsabilité que nous avons vis-à-vis de l'enfant à venir qui se sentirait probablement beaucoup trop déterminé par le désir profondément narcissique d'un couple, ou d'une personne seule, de se reproduire.

Toute forme de clonage est également interdite actuellement mais il ne faut pas oublier que les cellules souches embryonnaires, dont on espère qu'elles pourront avoir des applications extrêmement fructueuses dans le traitement de nombre de maladies, pourraient venir, non pas du clonage, mais tout simplement de l'utilisation d'une partie des cellules de l'embryon.

En effet, au stade du blastocyste, certaines cellules de cet embryon créé in vitro, que ce soit à des fins reproductives ou non, et donné pour la recherche, ne pourront donner un enfant puisque, ainsi qu'on nous l'a expliqué ce matin, si l'on sépare les cellules de « la coquille externe » qui permet à l'embryon de s'accrocher à l'utérus, la masse interne perd tout potentiel de devenir un enfant.

Le « transfert nucléaire » expression que nous préférons scientifiquement au terme de clonage, n'est qu'une partie des différentes méthodes qui permettront, peut-être, d'utiliser ces cellules souches qui ont ce potentiel de se transformer en cellules matures, lesquelles pourront, dans de nombreuses conditions, remplacer les cellules défectueuses chez l'adulte malade.

Par conséquent, le clonage thérapeutique n'est qu'une partie de ce qui peut être possible et, pour le savoir, il faudrait permettre la recherche. C'est la raison pour laquelle le clonage thérapeutique sera peut-être autorisé en Grande-Bretagne, après une double consultation : une consultation tout d'abord, de la HFEA, ensuite, de la Human Genetic Advisory Commission qui a rendu son avis en décembre 1998 pour dire qu'il faudrait effectivement pouvoir modifier la loi puisque les cinq cas de figure pour lesquels la recherche embryonnaire est permise ne recouvrent pas la thérapie pour un adulte - rappelez-vous qu'elles ne recouvrent que la thérapie contre la stérilité ou ce qui se rapporte aux avortements répétés et aux maladies congénitales.

Le clonage thérapeutique est donc maintenant envisagé. On pourrait ainsi, à partir des cellules souches de l'embryon, obtenir des cellules pluripotentes, et non pas totipotentes comme le prétendent à tort certaines publications puisque l'adjectif « totipotent » signifie qu'une cellule peut devenir un embryon entier qui, lui-même pourrait, après réimplantation, donner un f_tus qui, comme nous le savons tous, sans entrer dans le débat de savoir s'il serait un être humain depuis sa conception, serait une personne légale à la naissance. Comme ces cellules ne peuvent pas donner une personne légale, ce sont bien des cellules pluripotentes qui, en revanche, peuvent être transformées - certaines données scientifiques nous permettent de le penser - en d'autres cellules matures et différenciées jusqu'à devenir ou des neurones, qui seraient fort utiles dans le traitement de la sclérose en plaques, de la maladie d'Alzheimer, de la maladie de Parkinson, ou encore des cellules cutanées, fort utiles, elles, dans le traitement des grands brûlés, ou des cellules musculaires cardiaques.

Or la différence entre ces cellules issues d'embryons surnuméraires et celles obtenues par transfert nucléaire en appliquant « la méthode Dolly » à l'embryon humain réside dans le fait que ces dernières préviendraient - j'emploie le conditionnel car tout cela n'est encore que de la théorie - le phénomène de rejet. En effet, il ne faut pas oublier que les cellules issues d'un embryon surnuméraire n'auront pas les mêmes gènes de compatibilité que celles du receveur ce qui, comme dans les greffes de rein, de foie, ou de poumon, entraînerait probablement un phénomène de rejet.

Cette spécificité permettrait peut-être de traiter certaines affections sans besoin d'avoir recours aux molécules extrêmement puissantes antirejet qui peuvent aussi avoir des effets négatifs sur la santé du patient.

Qu'a fait le gouvernement anglais ? Le gouvernement anglais, conscient du débat national européen et international qui s'instaurait sur le statut de l'embryon, après le premier rapport de décembre 1998, a souhaité avoir un second rapport qui a été demandé au CMO - Chief medical Officer - qui a été publié au mois d'août et que le Gouvernement a finalement accepté en précisant que, de manière démocratique, il allait, pour le soumettre au vote de tous les parlementaires, le présenter aussi bien à la Chambre des communes qu'à celle des Lords.

Les conclusions du rapport du CMO sont les suivantes : permettre la recherche afin d'améliorer la compréhension des maladies humaines, c'est-à-dire au-delà des cinq cas permis par la loi britannique, des applications de la thérapie cellulaire ainsi que du traitement des maladies mitochondriales, catégorie moins importante que les autres, puisqu'elle recouvre une minorité de maladies rares, liées à quelques gènes présents dans la cellule de l'ovocyte, et non dans le noyau, mais qui peuvent quand même avoir des conséquences désastreuses pour l'enfant alors que le transfert nucléaire permettrait à une mère d'avoir un cytoplasme sain avec son patrimoine génétique qui représente plus de 98 % de ses propres gènes.

Cela étant, les conditions d'application seraient extrêmement strictes comme elles le sont au terme du HFEA Act de 1990. De surcroît, la HFEA, ou un autre organisme similaire, aurait pour mission de donner une licence à chaque projet de recherche - il n'est encore question que de recherche et pas encore de thérapie, cette recherche devant, d'une part, être essentielle, ce qui signifie dans le langage ramassé des juristes britanniques qu'il n'y pas d'autres moyens, que la recherche animale a laissé entrevoir des espoirs etc., d'autre part, bénéficier du consentement spécifique des donneurs de gamètes qui ont permis la création de l'embryon et être soumise à un contrôle continu ce qui laisse penser que, selon la méthode pratiquée par la HFEA, le projet de recherche serait, tous les ans, soumis par ses auteurs à leurs pairs afin d'en connaître les progrès et de contrôler le fondement scientifique des espoirs mis dans chaque projet.

Une autre condition vise à maintenir l'interdiction du transfert de cellules humaines dans un ovocyte animal vivant et à ajouter, dans la loi, que le clonage reproductif est un acte criminel - le clonage reproductif est interdit mais il convient d'en faire une mention spécifique pour que tout soit bien clair compte tenu de l'importance de l'opinion internationale. Il serait aussi prévu de procéder à une révision régulière de la loi et promouvoir la recherche.

Il me reste fort peu de temps pour évoquer le diagnostic préimplantatoire qui est un sujet qui, actuellement, préoccupe énormément la société britannique et la HFEA.

Le diagnostic préimplantatoire est permis par la loi britannique. Il y a eu, en 1999 une consultation publique dont nous attendons les résultats. Au nombre de ses devoirs, la HFEA doit en effet consulter l'opinion publique sur tous les sujets qui, du point de vue éthique, revêtent une grande importance pour la société.

Sachant que vous les connaissez, je ne vous dresserai pas la liste des maladies que l'on peut diagnostiquer, qu'elles soient liées au chromosome féminin X ou à des chromosomes uniques mais les questions posées sont importantes :

- quelle est la définition d'une maladie grave ?

- Qui décide si l'embryon est porteur ou non d'une maladie grave et s'il convient de le remplacer ?

- Faut-il contrôler l'accès à la technique du DPI pour les patients ?

- Faut-il permettre le diagnostic préimplantatoire pour les maladies d'apparition tardive ?

- Faut-il transférer des embryons porteurs mais non atteints dans les maladies récessives ?

- Faut-il aussi transférer des embryons atteints ?

Pour illustrer mon propos, je ne vous citerai qu'un exemple, celui d'une requête transmise à la HFEA, par un couple, dont les deux membres étaient atteints d'une surdité congénitale, qui voulaient savoir s'ils pourraient bénéficier d'un diagnostic préimplantatoire afin de s'assurer que leur enfant présenterait la même anomalie congénitale. Ils souhaitaient pouvoir unifier les relations et faire en sorte que l'enfant s'identifie mieux à ses parents.

Vous mesurez ainsi combien les problèmes peuvent être complexes...

Mme Yvette Roudy. - Pardonnez-moi, mais il s'agit bien d'un couple qui souhaitait bénéficier d'un diagnostic préimplantatoire de façon à s'assurer que son enfant serait également sourd afin d'avoir une famille harmonieuse ?

Mme Françoise Shenfield. - Exactement !

Mme Yvette Roudy. - Ont-ils obtenu une réponse positive ?

Mme Françoise Shenfield. - Pour l'instant, ils n'ont pas eu de réponse, mais je doute qu'elle soit positive compte tenu de la notion de responsabilité que nous avons vis-à-vis de l'enfant !

Quoi qu'il en soit, c'est un cas qui s'est présenté en pratique, tout comme deux autres cas relatifs à des maladies d'apparition tardive tels que les cancers du sein qui, comme vous le savez sans doute, sont, pour une minorité d'entre eux, des cancers familiaux liés aux gènes BRCA 1 ou 2 ou les cancers du colon qui sont exceptionnellement liés à la polypose du colon qui est également une maladie génétique.

Ces cas ne relèvent donc pas de maladies qui affecteraient l'individu dans son enfance ou dans son adolescence mais qui l'atteindraient inéluctablement, de façon extrêmement sérieuse, voire mortelle, à l'âge de trente ou quarante ans.

En pratique, pour vous donner une idée du nombre de cas en cause, nous avons, en Grande-Bretagne, depuis que le DPI est pratiqué, pratiqué 200 cycles de fécondation in vitro, pour lesquels les embryons ont été soumis au diagnostic préimplantatoire, et obtenu 20 naissances sur les 200 enregistrées au niveau mondial. Cette technique est, en Grande-Bretagne, pratiquée sous licence par cinq centres contre, si j'ai bien compris, seulement deux en France.

Avant de terminer mon exposé, je répéterai ce que j'ai dit très brièvement ce matin, à savoir que, pour la première fois, un rapport gouvernemental se fonde sur un principe : celui de la responsabilité vis-à-vis de l'enfant et de la personne adulte. C'est ainsi que la Grande-Bretagne rationalise l'utilisation des embryons afin de pouvoir, si possible, créer des cellules qui seraient multipotentes.

Il est bien sûr évident, comme il est également précisé dans le rapport, qu'en même temps la recherche sur les cellules adultes doit se poursuivre et que nul ne peut dire, pour l'instant, quelle sera la meilleure alternative.

M. Pierre Hellier. - Je limiterai mon propos à quelques réflexions très brèves.

On peut s'étonner de la position de ce couple qui souhaitait avoir un enfant atteint de la même affection mais la position des sourds et des associations de malentendants est parfois également étonnante par rapport aux implants cochléaires que certains sourds refusent pour leurs enfants.

Par ailleurs, vous avez créé 118 embryons pour la recherche. Puisque certains embryons étaient détruits au bout de cinq ans pourquoi en créer d'autres ? Répondaient-ils à un besoin spécifique et à des caractéristiques bien définies ? Comment et pourquoi ont-ils été créés ?

Mme Françoise Shenfield. - Je ne suis pas en mesure de vous dire pourquoi ils ont été créés : il faudrait étudier chaque projet de recherche. Néanmoins, tous ces projets de recherche ont été approuvés et agréés par un comité. Il est absolument clair, en droit anglais, que si les géniteurs de l'ovocyte et du spermatozoïde n'ont pas donné leur consentement pour faire de la recherche, il est hors de question de l'entreprendre sur des embryons abandonnés !

M. Pierre Hellier. - Cela ne répond pas à ma question : pourquoi avoir créé ces 118 embryons ?

M. Yvon Englert. - Pardonnez-moi d'intervenir mais je pense qu'aussi bien en Grande-Bretagne qu'ailleurs - en Grande-Bretagne, c'est d'ailleurs prévu dans le règlement de la HFEA - le recours à la création d'embryons pour la recherche implique une justification qui exclut la possibilité de recourir à des embryons surnuméraires.

On peut donner quelques exemples pour illustrer cette règle.

Le premier type de situations où l'on se trouve contraint de créer des embryons englobe toutes les études qui portent sur la fécondation elle-même. En effet, si vous voulez étudier le mécanisme de la fécondation, vous créez un embryon dans le cadre de la recherche car vous ne pouvez pas utiliser un embryon surnuméraire qui est déjà fécondé !

Par conséquent, dans toutes les études sur la fécondation, par définition, l'utilisation d'embryons surnuméraires est inconcevable.

Le second type de situations où l'on est obligé d'avoir recours à la création d'embryons, si l'on veut expérimenter avant la phase clinique, inclut les travaux portant sur des problèmes génétiques ou métaboliques particuliers. Pour faire simple, disons que c'est le cas si vous devez étudier une caractéristique tout à spécifique d'un embryon qui n'est pas présente dans la population générale des embryons. C'est vrai pour une maladie génétique particulière telle que la mucoviscidose, car vous ne pouvez pas l'étudier sur un embryon non atteint par la maladie...

Il peut donc exister un certain nombre de domaines dans lesquels il est possible d'argumenter clairement que le recours à des embryons surnuméraires n'est pas possible et, en principe, ce n'est que dans ces cas-là qu'il peut être envisageable, dans les pays où la création d'embryons pour la recherche n'est pas interdite, d'agréer un projet de recherche.

M. Bernard Charles, président. - À ce sujet, vous avez noté qu'il faut le consentement des géniteurs. Nous entrons donc dans un débat supposant une délégation de consentement puisque la base de la loi de 1988, pour les personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale, est le consentement libre et éclairé que l'on donne pour soi-même.

Or, nous avons eu, à l'occasion du vote de la loi, un débat très lourd et difficile auquel vous avez assisté, madame Roudy, concernant la recherche sur des personnes dans le coma ou sous tutelle. Comme nous nous y étions opposés, nous avions alors entendu de nombreux médecins, y compris les représentants de l'Association française d'anesthésie et de réanimation, nous dire que ces études étaient indispensables. Or c'est là - et nous en avons discuté précédemment avec nos invités - que l'on passe du consentement libre et éclairé à une autorisation qu'il faut encadrer pour éviter des dérives.

Nous aurons donc à débattre de cette question et à veiller que soit bien spécifié que, si, au cas par cas, on autorisait des recherches sur l'embryon, il faudrait obligatoirement les encadrer. Nous avons déjà eu un débat sur les embryons surnuméraires qui a donné lieu à une échange assez intéressant entre mon ami Jean-Luc Préel et M. Carlos de Sola et il est certain que nous aurons à travailler aussi cet aspect de la question.

Mme Yvette Roudy. - Si j'ai bien compris ce qui a été dit concernant le diagnostic préimplantatoire, si on a un projet de recherche dans le domaine, par exemple, de la mucoviscidose, il faut trouver un couple dont on sait qu'il est susceptible d'avoir un enfant atteint par cette maladie et obtenir dudit couple son consentement de façon à ce qu'il produise les éléments susceptibles de donner un embryon touché par l'infection ?

Mme Françoise Shenfield. - Dans la majorité des cas, ils ont été obtenus à partir de couples qui faisaient une fécondation in vitro pour eux-mêmes !

M. Bernard Charles, président. - C'est un point important : il s'agissait de couples qui s'inscrivaient dans une démarche.

Mme Françoise Shenfield. - Je n'ai pas calculé la proportion exacte mais c'est quand même l'immense majorité des cas !

Mme Yvette Roudy. - Vous avez parlé du diagnostic préimplantatoire en évoquant, à un moment donné, ces maladies dont on sait pertinemment qu'elles risquent fort de ne se déclarer qu'à partir d'un âge avancé ce qui pose une vraie question. Le cas s'est-il produit en Grande-Bretagne et quelle a été la réponse quant à ce diagnostic et à ses suites ?

Mme Françoise Shenfield. - Le cas s'est présenté une fois à l'équipe qui a découvert le diagnostic préimplantatoire à l'hôpital Hammersmith et, à l'époque, il a donné lieu à un débat intense dans le pays tout entier. C'est d'ailleurs pourquoi la HFEA a voulu connaître l'état de l'opinion à travers une consultation publique dont nous sommes en train d'analyser les réponses. D'ici à quelques mois, un débat aura lieu qui précédera l'élaboration d'un code de pratique.

Mme Yvette Roudy. - Votre loi ne répond pas donc pas à ce problème?

Mme Françoise Shenfield. - Elle va le faire dans les mois qui viennent. Actuellement, nous sommes en train d'analyser les réponses ce qui, naturellement, ne signifie pas que nous nous contenterons d'additionner le pour et le contre...

M. Alain Claeys, rapporteur. - Je ferai juste une remarque : c'est la deuxième fois que nous entendons Mme Shenfield sur la structure qui existe en Grande-Bretagne. Ce qu'il faut bien voir, au-delà des caricatures et des différences d'approche de nos pays respectifs, c'est que cet organisme est un organisme vivant ! Je veux dire par là que, contrairement à ce que l'on peut imaginer, il ne s'agit pas d'un organisme ayant une vue uniquement scientifique et mécanique des choses mais d'une entité capable, à un moment ou à un autre, sur un cas particulier, ou sur un certain nombre de sujets, à la fois de prendre le pouls de la société et d'assumer un certain nombre de suivis.

Pour ce qui concerne notre démarche, c'est là un élément important qu'il faut avoir bien présent en tête !

Mme Christine Boutin. - Plus que poser des questions aux intervenants, je souhaite faire réfléchir la mission sur le diagnostic préimplantatoire auquel vous me savez personnellement hostile !

Plus on avance dans nos travaux - cela fait maintenant presque dix ans que nous travaillons sur ces problèmes de bioéthique et bien qu'avec des choix différents nous tentons de progresser et de comprendre les choses - et plus je m'aperçois qu'en ce qui concerne l'embryon, on s'appuie, pour lui reconnaître une légitimité, sur le projet parental. Du reste, c'est son abandon qui va autoriser à donner l'embryon à la recherche et, faute de projet parental, on a le sentiment que l'embryon n'existe pas !

Le projet parental est donc capital et se situe au c_ur même du DPI. Or, j'ai senti dans la réflexion d'un certain nombre de nos collègues et également dans la réponse qui a été apportée par Mme Shenfield au problème des sourds-muets une émotion liée au fait qu'un couple de sourds-muets avait le projet parental d'avoir un enfant sourd-muet ce qui choquait un certain nombre de nos collègues et a conduit Mme Shenfield à dire qu'elle ignorait quelle serait la teneur de la réponse mais qu'elle serait vraisemblablement négative.

Je pose donc véritablement la question de la liberté. De quel droit en effet vais-je décider, moi, de ne pas accorder à un couple de sourds-muets désireux d'avoir un enfant sourd-muet, la possibilité d'en avoir un ?

Il y a là un éclairage tout à fait particulier qui demandera à être repris par rapport à ce concept de projet parental.

Alors qu'il y a quelques années encore on parlait du «  préembryon » - et je remercie Mme Shenfield d'avoir précisé que ce vocabulaire était maintenant tout à fait abandonné - nous avons vu ce matin, après en avoir discuté de façon très claire et sans qu'il y ait beaucoup de différences entre nous, qu'en la matière on pouvait adopter des positions philosophiques et religieuses divergentes.

À ce propos, et pour faire suite à notre réunion de ce matin, je rappellerai que nous avons fait quelques progrès et qu'il ne faudrait pas, à chaque fois, ressortir l'histoire ancienne et Saint-Augustin, pour justifier le préembryon.

Quoiqu'il en soit, par rapport au projet parental j'ai retenu de l'intervention du professeur Alain Pompidou qu'au niveau européen, on s'était beaucoup appuyé sur la responsabilité des parents pour justifier toute la législation bioéthique mais je crois que, là, nous sommes véritablement à la croisée des chemins.

Telle est la réflexion que je souhaitais porter à la connaissance de la mission.

M. Bernard Charles, président. - À partir du moment où, dans notre réflexion, nous privilégions le projet parental, la question de savoir de quel droit on impose certaines normes se pose - et je comprends votre souci - comme se pose également celle de savoir de quel droit on peut accepter que des parents imposent à un être humain de telles carences.

Mme Christine Boutin. - Si vous posez la question à des handicapés, ils ne vous diront pas qu'ils sont malheureux...

M. Bernard Charles, président. - Madame Boutin, vous n'ignorez pas que je connais bien ce dossier des handicapés mais quand des handicapés veulent former un couple, ce n'est pas dans l'idée de faire un enfant handicapé !

Mme Christine Boutin. - C'est l'égalitarisme démocratique !

M. Bernard Charles, président. - C'est un débat important et il nous faut étudier les deux aspects de la question. Si un couple de handicapés fait un enfant normalement, c'est-à-dire sans soutien médical pour procéder à une « sélection à l'envers » - car nous sommes tous conscients que c'est bien ce dont il s'agit - il ne souhaite pas avoir un enfant handicapé. Or dans la situation dont nous parlons, le couple fait l'inverse, pour des raisons psychologiques, ce qui pose problème...

Mme Christine Boutin. - J'en suis d'accord mais on s'est toujours appuyé sur la clé de voûte du projet parental...

M. Bernard Charles, président. - Cela affaiblit la clé de voûte du projet parental !

Mme Christine Boutin. - Je suis heureuse de vous l'entendre dire, monsieur le président.

M. Pierre Hellier. - Il ne s'agit pas exactement « d'une sélection à l'envers ».

M. Bernard Charles, président. - La formule est un peu caricaturale, mais il y a de cela.

Mme Françoise Shenfield. - En la matière, il nous semble que la responsabilité du praticien est engagée. La loi anglaise stipule que, sous licence, nous pouvons offrir un traitement à un couple ou à une femme qui souffre d'infertilité en tenant compte - et c'est inscrit très largement dans la loi puisque c'est en fait le paradigme et l'en-tête le plus important - de l'intérêt de l'enfant.

Par conséquent, la société anglaise représentée par le Parlement a décidé en élaborant cette loi, que notre responsabilité vis-à-vis de la personne vulnérable, qui est par définition l'enfant, était plus importante que celle que nous avons vis-à-vis des personnes adultes qui peuvent exprimer leur consentement ou leur refus par rapport à un quelconque traitement.

Je peux vous donner un exemple étudié à Chypre et en Grande-Bretagne où il y a une forte immigration de cette région. Dans de nombreuses communautés cypriotes sévissait la thalassémie. Il a été montré que les familles en attente d'enfant voulaient un enfant qui ne souffre pas et utilisaient une contraception radicale en attendant le « progrès » de la médecine. À partir du moment où il y a eu le diagnostic par amniocentèse, ils ont commencé à faire des enfants avec cette immense douleur de devoir, parfois, arrêter une grossesse désirée. Nombre d'entre eux ont poussé un soupir de soulagement avec la fécondation in vitro dont nous savons pourtant que loin d'être la voie de la facilité elle s'apparente plutôt au parcours du combattant. En effet, ils ont été nombreux à estimer que le diagnostic préimplantatoire constituait pour eux un progrès. Il leur permet d'éviter une amniocentèse et une interruption volontaire et thérapeutique de grossesse pour un enfant qui souffrirait comme ils avaient vu leurs petits-cousins ou leurs autres enfants souffrir.

Il faut préciser qu'ils ne veulent pas de cet enfant parfait auquel la presse fait souvent référence - cet enfant parfait est une illusion, un conte de fées - mais simplement un enfant qui n'ait pas plus à endurer plus que ce que Freud appelait « notre souffrance ordinaire ».

M. Yvon Englert. - Je souhaitais juste réagir, non pas sur le cas concret mais sur le sens même du débat parlementaire.

Je pense qu'il faut bien comprendre que le problème des indications du diagnostic préimplantatoire relève du même débat éthique que le problème du diagnostic prénatal et de l'interruption de grossesse en cas de maladie. Il renvoie au questions suivantes :

- Qu'est-ce qu'une indication de diagnostic prénatal ?

- Jusqu'où va-t-elle ?

- Que peut-on faire ?

- Qu'est-ce qu'une indication légitime d'interruption de grossesse ?

Je ne veux bien évidemment pas intervenir dans les décisions des représentants de la Nation et moins encore dans un pays qui n'est pas le mien mais tout cela, c'est de la clinique médicale. Il est bien admis, aujourd'hui, que ces questions sont extrêmement difficiles, qu'elles requièrent ce que l'on appelle un « conseil génétique » qui doit prendre ses décisions au cas par cas et qu'il est justement dangereux de vouloir dresser des listes et définir, classer, les anomalies en catégories en décrétant que telle ou telle serait ou non compatible.

Je considère donc que ce qui relève du rôle des médecins dans des situations concrètes ne pourra jamais être codifié dans un texte de loi.

En conséquence, la question qui me paraît vraiment pertinente concernant le DPI est la suivante : y a-t-il une problématique éthique différente, y a-t-il des enjeux éthiques plus aigus que ceux qui sont gérés depuis la découverte par le professeur Lejeune du chromosome 21 qui a ouvert le diagnostic prénatal du mongolisme il y a maintenant trente ans ? Ces questions-là sont-elles, ou non, retravaillées différemment ?

Pour ce qui me concerne, je pense que fondamentalement elles ne le sont pas parce que s'il y a cet aspect dit de « sélection positive » qui peut être inquiétant, on oublie par ailleurs que pour avoir une grossesse, il faut comme l'a dit Mme Shenfield, passer par toute la fécondation in vitro qui reste beaucoup plus aléatoire et beaucoup plus complexe que le diagnostic prénatal.

La vraie question aujourd'hui, pour nous, praticiens, c'est de trouver un bon équilibre entre les indications de diagnostic préimplantatoire et les indications de diagnostic prénatal mais pas de discuter sur des indications médicales qui seraient différentes pour l'une ou pour l'autre technique.

M. Carlos de Sola. - Puisque les Britanniques sont les inventeurs de l'expression du « fair-play », je voulais poser la question suivante à Mme Shenfield : vous avez dit que, dans la plupart des cas les couples qui donnent des embryons ou qui autorisent leur utilisation pour la recherche le faisaient dans le cadre d'une procréation médicalement assistée mais comment vous assurez-vous, puisque l'accent est mis sur le consentement des parents, qu'ils ne sont pas indûment influencés ? Ne se sentent-ils pas un peu redevables vis-à-vis du médecin qui peut leur vanter l'utilité de ce geste ?

Mme Françoise Shenfield. - Le principe de séparation du consentement constitue une certaine assurance même si c'est l'équipe qui pratique la fécondation in vitro qui le demande au moment de la congélation, puisque c'est à ce moment-là qu'il faut décider, au cas où la personne n'aurait plus, ultérieurement, la capacité légale de prendre une décision.

Le formulaire à signer précise textuellement, d'une part : « en cas d'incapacité mentale ou en cas de ma mort... » ce qui est donc un libellé assez drastique, et, d'autre part, puisqu'en Grande-Bretagne il n'est pas interdit de faire un traitement posthume avec le consentement du donneur de gamètes : « ... je veux que ces embryons soient réimplantés chez ma femme, qu'ils soient détruits, qu'ils soient donnés à un autre couple pour leur projet d'enfant ou qu'ils soient donnés à un projet de recherche ».

Une fois remplies ces formalités, ce sera une autre équipe qui déposera une demande de projet de recherche et qui analysera si la recherche satisfait à toutes les conditions usuelles.

M. Carlos de Sola. - Autrement dit, il existe une sorte de séparation entre l'équipe qui recueille le consentement et celle qui va éventuellement utiliser l'embryon ?

Mme Françoise Shenfield. - Absolument !

M. Jean-Marie Le Guen. - Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, la consultation de l'opinion publique. Je voulais savoir quelles étaient les méthodes employées pour mener à bien cette consultation qui est, si j'ai bien compris, déclenchée par l'institution de régulation.

Mme Françoise Shenfield. - La HFEA a, selon la loi, une double mission d'information et d'écoute du public. Elle tente de s'en acquitter en organisant des séances d'information, au rythme de deux ou trois par an, dans toutes les régions du pays avec les membres de la HFEA. Lorsqu'elle décide qu'une question présente un caractère d'extrême urgence, elle utilise une partie du budget qu'elle tient, pour partie, du ministère et, pour partie, de tous les centres qui, pratiquant sous licence les traitements, versent par cycle une somme minime, pour lancer des milliers de questionnaires dont les réponses sont analysées par une équipe administrative d'environ vingt-cinq civil servants, c'est-à-dire des administrateurs travaillant à plein temps pour la HFEA, en plus des vingt et un membres qui prennent les décisions

M. Jean-Marie Le Guen. - Mais quelle est la technique ? Ce sont des sondages ou des enquêtes qualitatives ?

Mme Françoise Shenfield. - Nous avons recours aux deux techniques ainsi qu'à des forums d'information et à des réunions publiques dont les comptes rendus écrits sont ensuite analysés et publiés dans les médias de même, naturellement, que sur le web : il faut être moderne !

M. Bernard Charles, président. - La parole est à M. Detlev Ganten pour nous parler de l'organisation de la recherche dans son pays et des problèmes scientifiques qui se posent face au droit.

M. Detlev Ganten. - Tout d'abord, je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invité à participer à cette discussion. Je suis très honoré de collaborer à vos travaux que je trouve extrêmement importants car ils permettent de saisir les positions des différents pays. Durant cette journée et pour ce qui me concerne, j'ai déjà beaucoup appris !

Je vous prie d'excuser mon français, peut-être mâtiné d'accent canadien puisque j'ai séjourné assez longtemps à Montréal, dont l'insuffisance ne me permet pas de m'exprimer sur des affaires aussi difficiles, ce qui explique que je parlerai en allemand en ayant recours à la traduction.

On m'a demandé de vous retracer un petit historique de la situation en Allemagne.

En effet, comme vous le savez, on ne peut pas comprendre l'avenir sans connaître le passé et, en Allemagne, étant donné notre histoire, les expériences que nous avons faites en matière de génétique et l'influence que les hommes politiques exercent sur les programmes scientifiques, la situation présente certaines particularités.

Dans le domaine de la génétique notamment, l'Allemagne a une tradition bien établie et les embryonnaires savent que notre prix Nobel, Hans Spemann que vous connaissez certainement tous, a été l'un des premiers à avoir développé l'embryologie expérimentale.

Après avoir travaillé à Heidelberg, je poursuis maintenant ma carrière dans un institut de recherche situé dans la partie Est de Berlin et qui, d'ailleurs, a une histoire.

Johannes Müller qui, le premier, avec la radiologie, a travaillé sur la mutation des mouches drosophiles et qui, en 1946, a reçu le prix Nobel pour ses travaux y a en effet séjourné.

A Berlinburg, le Russe, Tomifeef-Ressovsky, et le physicien allemand, Delbrück, ont travaillé ensemble : ce sont eux qui, les premiers, ont décrit la structure moléculaire des gènes.

Erwin Shrödinger, qui était lui-même physicien, a été influencé par ces travaux. Resté à Berlin jusqu'en 1933, il est ensuite parti à Dublin où il a écrit un livre dans lequel il décrit les fondements physiques de l'existence.

Si je passe autant de temps à vous retracer cet historique, c'est tout simplement parce que l'histoire a une influence sur la génétique et a justement conduit - ce qui fait l'objet de notre débat - à soutenir qu'il existait un déterminisme génétique ce qui est évidemment faux !

Lorsque nous parlons de diagnostic préimplantatoire, de « préanalyses », d'homme « déterminé par la génétique », il faut savoir que ces formules font référence à un concept qui est faux et qui a été apporté dans la biologie, dans la génétique, à partir d'autres concepts.

Tomifeef-Ressovsky, ce Russe dont je vous ai parlé et qui a travaillé à Berlin, en 1945, a été fait prisonnier par les Soviets et envoyé en camp de concentration. Staline était alors au pouvoir et la génétique pratiquée, à l'époque, en Russie était tout à fait particulière : il s'agissait de la génétique Lyssenko.

Les concepts de la génétique de Mendel et de la génétique moléculaire que nous connaissons et auxquelles nous faisons référence étaient totalement rejetés par cette nouvelle génétique et ont été réinterprétés idéologiquement pour monter qu'ils n'étaient pas sujets aux influences d'ordre social ou de tout autre type.

La génétique pratiquée par la RDA et l'Allemagne de l'Est, de 1945 à 1989, s'est appuyée sur cette théorie Lyssenko développée en Union soviétique.

Après la réunification, alors que la biologie et la génétique moléculaires avaient énormément évolué et connu un essor considérable à travers le monde, l'Allemagne s'est retrouvée totalement découplée car elle avait accumulé un gros retard dans certains domaines dont celui de la génétique humaine.

Personnellement, je me souviens parfaitement, que, dans les années quatre-vingt, alors qu'à Heidelberg où je travaillais un institut de génétique devait se construire, les palissades des chantiers étaient couvertes de protestations étudiantes refusant la génétique nazie en Allemagne. On a alors connu une vague de menaces d'attentats, d'attentats à la bombe, précisément dans le secteur de cet institut.

Si je reviens sur tout cela c'est pour que vous compreniez bien quelle était la situation en Allemagne, la nature du débat et les raisons de notre législation.

Avec le temps, les évolutions, le changement apporté par la génétique moléculaire, la participation de la médecine et de la pharmacie, les concepts économiques se sont trouvés de plus en plus associés au développement des sciences.`

L'un des premiers arguments avancés pour appuyer les travaux des scientifiques et entreprendre des recherches était d'abord d'ordre commercial. En tout cas, c'était vrai pour la sphère politique : je ne parle pas forcément des débats intellectuels qui, à l'époque, agitaient les milieux scientifiques.

Un autre argument important également avancé était que les jeunes Allemands de l'époque, dont je faisais partie, étaient tout à fait soucieux, pour des raisons tant politiques qu'économiques, de faire entrer dans la sphère du débat scientifique ce nouveau domaine de recherche et d'ouvrir par conséquent le débat politique.

En 1995, il y a donc cinq ans, un projet officiel du génome humain a été lancé en Allemagne dont le financement prévu par le ministère de la recherche et de la technologie s'élevait à 50 millions de marks par an.

Dans les milieux scientifiques, nous avons dit que si un pays tel que l'Allemagne ne s'intéressait pas à un secteur de la recherche, il ne s'y prendrait pas autrement tant le budget était dérisoire.

Évidemment, la situation a maintenant changé. Le débat s'est élargi depuis une dizaine d'années. Je dois dire que l'opinion publique s'est également mobilisée, que les milieux scientifiques et économiques font actuellement preuve de beaucoup plus de compréhension pour les recherches génétiques, même s'il ne faut pas oublier que nous avons une législation extrêmement restrictive.

Pour ce qui est de cette législation, ce que je peux vous dire en deux mots, c'est que nous avons adopté, en 1990, une loi qui porte sur la protection de l'embryon qui interdit absolument tout ce qui est autorisé en Grande-Bretagne. Je n'ai pas envie d'entrer dans le détail des choses pour la bonne raison que mes confrères ont déjà évoqué un certain nombre de points et je me limiterai donc, si vous le permettez, à attirer votre attention sur quelques incohérences allemandes.

Par exemple, en matière de fécondation in vitro ou de diagnostic préimplantatoire, on ne peut pratiquement rien faire en Allemagne : l'expérimentation au niveau humain est déjà interdite au stade des zygotes et on ne peut pas même dire qu'une fenêtre ait été ouverte en la matière. Le diagnostic prénatal, dont a parlé notre collègue belge, est quant à lui, évidemment autorisé.

In vitro, l'embryon est protégé mais in vivo, il ne l'est pas !

Alors qu'in vitro, nous ne pouvons pas extraire de cellules souches embryonnaires, ni travailler sur les ES, la loi allemande permet d'extraire des cellules germinales de f_tus avortés, par exemple, et de les utiliser pour travailler.

Il s'agit évidemment d'incohérences inacceptables et qui, d'ailleurs, sont insupportables. À ce propos, je dois vous dire que le débat a été particulièrement intensif.

Tout cela m'amène à vous parler d'une autre question d'actualité qui fait un peu de bruit en ce moment : comment devons-nous nous comporter face aux citoyens allemands qui se rendent en Grande-Bretagne ou aux États-Unis pour travailler sur des cellules souches embryonnaires au motif que ce type de recherche est permis là-bas ? Ont-ils le droit de rapporter les matériaux de leur recherche ou sont-ils contraints de les abandonner et de faire comme s'ils n'avaient jamais travaillé sur quoi que ce soit ? Actuellement, une fois rentrés chez eux, ces citoyens allemands sont passibles de poursuites.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Y a-t-il des cas où la justice a été saisie ?

M. Detlev Ganten. - Jusqu'à présent ce sont des cas théoriques et aucune poursuite n'a été engagée au pénal mais il y a un projet de la Deutsche Forschung Gemeinschaft, structure équivalant à celle de l'INSERM et du CNRS, qui prévoit que l'on puisse ramener des États-Unis des cellules souches embryonnaires. C'est un projet qui est financé par notre institut.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Il existe donc une législation très stricte mais un organisme autoriserait des équipes à importer des cellules souches embryonnaires des États-Unis ?

M. Detlev Ganten. - C'est précisément la question que nous nous posons. Je vous ai dit que c'était un projet et qu'il y avait encore des incohérences pour lesquelles nous n'avions toujours pas trouvé de solution...

M. Alain Claeys, rapporteur. - Cela supposerait une évolution de la législation allemande ?

M. Detlev Ganten. - J'espère bien ! (Sourires.)

Cela illustre l'importance de toutes ces questions. Je pense que nous ne devons pas nous en tenir uniquement à des critères nationaux pour les aborder mais que, dans toute la mesure du possible, nous devons essayer de nous mettre d'accord, sur le plan international, sur des secteurs aussi importants que, par exemple, la recherche sur les cellules embryonnaires. En la matière, nous souhaitons évidemment participer aux discussions.

Quant à l'éthique dont nous avons beaucoup parlé ce matin, je me contenterai de dire très brièvement que, là aussi, bien sûr, le rôle de l'histoire est crucial. L'Allemagne compte de grands philosophes, notamment Emmanuel Kant à qui les politiques et les scientifiques se réfèrent constamment. Il a défini l'impératif catégorique et dit qu'un individu qui agissait tirait de son action une maxime qui devait ensuite gouverner les actions des autres. C'est un paradigme éthico-social qui contredit fondamentalement d'autres avis et la philosophie même de la Constitution américaine qui fait de la poursuite du bonheur personnel l'une des lois suprêmes des États-Unis.

Ce sont, bien sur, des extrêmes et en Allemagne - je dirai malheureusement et vous comprendrez pourquoi - nous avons aussi, sur ce point, une discussion de fond, ce qui ne nous facilite pas la tâche lorsque nous cherchons des solutions pratiques et essayons de définir le comportement à adopter face aux autres pays. C'est en raison de notre histoire et également de notre tradition philosophico-politico-scientifique que les instituts de recherche allemands se retrouvent dans une situation extrêmement épineuse. Ils doivent tout simplement trouver des solutions pragmatiques à partir du dilemme que je vous ai décrit et que nous connaissons tous !

Si je devais établir des prévisions, je dirai que je ne compte pas sur des progrès très rapides. Je n'y crois pas. Nos instituts de recherche, dont celui que je représente, ne sont pas très valeureux quand il s'agit de prendre position publiquement, même s'il en va naturellement autrement dans la sphère privée où les opinions sont beaucoup plus nuancées. Je dois donc vous dire que nous attendons énormément de choses de ce débat sur le plan international.

À titre personnel, je considère que ces différences fondamentales qui nous opposent peuvent s'avérer enrichissantes à un plus d'un titre. Je ne crois pas que, comme d'aucuns l'ont dit ce matin, nous devrions absolument faire converger nos points de vue puisque après tout, l'éthique est plurielle tout comme l'est la morale. Je pense surtout qu'il faut montrer beaucoup de tolérance et faire preuve de responsabilité sur le plan médical.

M. Bertrand Mathieu. - Très rapidement, je voudrais faire une remarque, mais sous le contrôle du Professeur Ganten, concernant le poids du juge constitutionnel en Allemagne.

En effet, on s'y trouve dans une situation où, non seulement le principe de dignité applicable à l'embryon est considéré dans la Constitution comme un principe totalement indérogeable mais où, en outre, - ce qui explique vos propos sur la responsabilité pénale - le juge constitutionnel exige des garanties pénales qui conduisent à préserver les droits fondamentaux. Je crois qu'il existe même un troisième paramètre, à savoir que le tribunal constitutionnel allemand considère que, de toute manière, le système du droit international ne s'applique qu'à partir du moment où il est plus protecteur, ou au moins aussi protecteur, que le système des droits fondamentaux allemands.

Nous nous trouvons donc là face à un système où le juge constitutionnel risque de jouer un rôle important.

Je profite d'avoir la parole pour poser très rapidement une question à Mme Françoise Shenfield sur la réelle pluridisciplinarité, puisque le rôle d'un comité ou d'un organisme de protection se trouve tout à fait au centre du débat. En effet, dans la plupart des systèmes, la pluridisciplinarité - et je ne parle pas du pluralisme qui est un autre problème - est assez théorique compte tenu de la fréquente surreprésentation des scientifiques et des médecins.

Or, si cette représentation est absolument essentielle, on peut néanmoins s'interroger sur les équilibres...

Mme Françoise Shenfield. - La loi énonce clairement que le chairman de la HFEA, le président ou la présidente, ne peut pas être scientifique. Les deux présidents que nous avons eus à la tête de HFEA ont, tous les deux, été professeurs de droit et sur les vingt et un membres que compte cette instance, moins de la moitié doivent être scientifiques ou médecins ayant un « intérêt » dans les techniques de la reproduction, les autres membres devant représenter la société britannique, dans sa pluridimension religieuse et éthique, les patients ayant subi le traitement et les personnes impliquées dans la discussion nationale. En outre, deux de ces vingt et un membres, sont des journalistes.

M. Bernard Mathieu. - Il me semble que vous avez très bien posé le problème de l'intérêt.

Mme Yvette Roudy. - Les femmes sont-elles représentées dans cette assemblée ?

Mme Françoise Shenfield. - Oui, nous sommes même pratiquement majoritaires puisque la présidence est assumée par une femme. Nous sommes donc tout à fait en parité.

Mme Yvette Roudy. - Quant à nous, nous avons de la chance puisque les fonctions de président et de rapporteur sont tenues par des messieurs mais c'est le reflet de l'Assemblée nationale où 90 % des députés sont des hommes... (Sourires.)

Mme Françoise Shenfield. - Les femmes sont un peu plus nombreuses au Parlement anglais sans pour autant atteindre la parité !

M. Bernard Charles, président. - Si vous le voulez bien, je vais maintenant passer la parole au docteur Yvon Englert qui représente la Belgique et qui va nous dire comment il exerce sa pratique par rapport à l'organisation belge et quelle est sa vision des choses au niveau européen.

M. Yvon Englert. - Monsieur le président, je tiens d'abord à vous remercier de votre invitation.

Je suis donc gynécologue obstétricien et je dirige une clinique universitaire de procréation assistée et un laboratoire de recherche associé. J'ai également un investissement social relativement important sur toutes ces questions de bioéthique pour avoir présidé, en 1996, le Comité belge de bioéthique dont je reprendrai la présidence l'année prochaine.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Bien que médecin !

M. Yvon Englert. - Effectivement, car ce n'est pas interdit chez nous même si, en revanche, la présidence est tournante. C'est un point sur lequel nous allons revenir et qui tient au pluralisme belge qui est une caractéristique importante pour comprendre la façon dont nous avons abordé et dont nous abordons ces questions, dans un pays à la fois si proche et si lointain de la France dans certains domaines conceptuels.

En outre, je continue de participer, au niveau du Conseil de l'Europe, aux discussions, conduites sous la direction de M. Carlos de Sola, sur le protocole additionnel à la convention sur la protection de l'embryon in vitro.

Je tiens à préciser que parlerai en mon nom personnel et qu'en aucune façon il ne faudrait considérer que je représente ici mon pays sous une quelconque forme.

Avant d'engager mon exposé, que je ferai le plus bref possible pour laisser place à la discussion, je souhaite projeter cinq diapositives pour bien distinguer les différents stades embryonnaires auxquels se rattache notre discussion.

● La première diapositive représente un _uf fécondé et l'on y voit l'ovocyte qui abrite les deux noyaux du spermatozoïde et de l'_uf qui ne sont pas encore fusionnés mais qui sont au stade pronuclei ce qui prouve une fécondation normale. En Allemagne, à ce stade, on ne parle pas encore d'embryon, puisque c'est à partir du moment de la fusion de ces noyaux que la loi allemande de protection de l'embryon s'applique.

Cette définition par rapport au stade pronuclei est évidemment tout à fait arbitraire mais nous allons revenir sur le fait que, selon moi, toutes nos définitions le sont.

Pour vous donner un ordre de grandeur, je précise que le diamètre de l'_uf est de cent microns, donc un dixième de millimètre. Nous en sommes donc au stade microscopique d'une cellule en cours de processus de fécondation.

● La deuxième diapositive a été prise le lendemain de la mise en fécondation, soit le jour suivant. On y voit un embryon au stade quatre cellules du deuxième jour. Traditionnellement, c'est à ce stade que les embryons sont, soit congelés, soit retransférés dans l'utérus maternel.

● La troisième diapositive représente l'embryon huit cellules, soit au troisième jour, juste avant la « compaction » de l'embryon, premier moment où les cellules vont se coller les unes aux autres et où l'embryon va organiser la première organisation spatiale relationnelle entre ses cellules.

● La quatrième diapositive représente le stade du cinquième jour. On y distingue les cellules dont nous parlons dans le débat sur les cellules souches. L'embryon a creusé une cavité mais conserve encore la même taille. Il est toujours dans sa coquille qui s'est légèrement affinée par digestion interne mais nous sommes toujours dans une échelle de grandeur de l'ordre du dixième de millimètre. L'embryon possède, à ce stade, environ une centaine de cellules dont 70% se sont spécialisées en cellules externes qui vont donner les annexes : le placenta, les membranes, etc.

On devine à l'intérieur de cette première petite cavité un petit amas cellulaire qui représente vingt à trente cellules qui sont à l'origine du f_tus lui-même, c'est-à-dire à l'origine de toutes les lignées qui vont constituer le f_tus et, à terme, l'enfant. Ce sont donc elles qui sont dites pluripotentes - soit capables de donner tous les tissus - et non plus totipotentes puisqu'elles ne sont plus capables de donner les cellules dont je vous ai parlé qui sont à l'origine du placenta.

Les cellules souches dont nous parlons sont donc les cellules prélevées au niveau de ce bouton embryonnaire, au cinquième jour après la mise en fécondation.

● La dernière diapositive montre, elle, le moment de l'éclosion de l'embryon. On distingue la coquille et l'embryon en train de sortir en sablier par un orifice qui s'est ouvert dans la coquille : c'est là que se produisent probablement la plupart des phénomènes de vrais jumeaux naturels car, au moment de cette sortie, si les cellules se cassent, on obtiendra deux moitiés identiques. C'est le clonage naturel de la paire de vrais jumeaux dont on pense raisonnablement qu'il intervient dans la plupart des cas pendant ce phénomène particulier.

Mme Yvette Roudy. - Nous en sommes à quel jour ?

M. Yvon Englert. - Nous en sommes au sixième ou au septième jour. On n'est pas aujourd'hui en mesure de cultiver l'embryon in vitro à des stades plus tardifs parce qu'il faut une implantation, une nutrition et que toute une série de phénomènes de nidation sont extrêmement complexes, et d'ailleurs très peu explorés.

Mme Yvette Roudy. - À quel moment intervient la nidation ?

M. Yvon Englert. - La nidation commence vers le huitième jour pour se finir environ au quatorzième jour. Mais il faut savoir que le placenta va se remanier tout au long de la grossesse et que, de nouveau, les frontières que nous allons poser sont beaucoup plus symboliques, philosophiques que scientifiques, même si elles ont un lien avec l'observation objective.

Dans la pratique de la fécondation in vitro, il faut rappeler trois faits qui me paraissent extrêmement importants pour le débat d'aujourd'hui.

Premièrement, l'importance des embryons surnuméraires en clinique humaine. Depuis Louise Brown qui est née suite à une fécondation in vitro en cycle naturel, c'est-à-dire avec un seul ovocyte, très vite des équipes, australiennes d'abord, françaises ensuite, ont montré, à travers des publications, l'intérêt de stimuler l'ovulation et d'avoir plusieurs ovocytes et plusieurs embryons et l'impact très important de cette démarche sur les chances de succès pour les couples.

Aujourd'hui où les chances de grossesse en fécondation in vitro ont évolué de manière très importante par rapport à ce qu'elles étaient il y a vingt ans, le problème reste posé. En effet, nous nous trouvons aujourd'hui engagés dans une politique de restriction du nombre d'embryons transférés de façon à limiter le risque de grossesse multiple qui reste certainement la critique majeure que l'on peut porter à la clinique de fécondation in vitro.

Or, paradoxalement, vous allez restreindre le nombre d'embryons que vous allez transférer, alors que si vous vous voulez maintenir des chances de grossesse convenables, il faut des embryons en nombre suffisant pour augmenter la probabilité d'en identifier un avec des chances élevées de grossesse.

J'en arrive au deuxième élément qui m'apparaît crucial pour le débat : la destiné de l'embryon humain. Il convient de se souvenir que la destinée normale d'un embryon humain n'est pas de donner un enfant puisque la norme veut que la mortalité embryonnaire précoce, l'arrêt du développement, concerne environ 80 % des embryons in vitro - le pourcentage est probablement identique chez les embryons in vivo, mais dans l'espèce humaine nous ne disposons que de données très parcellaires sur ce sujet.

En conséquence, la destinée normale de ce stade de notre reproduction n'est pas de conduire à une naissance : ce n'est qu'une minorité d'embryons qui se développeront jusqu'à la naissance et les fausses couches, que toutes les femmes connaissent comme étant un des éléments très stressants du premier trimestre d'une grossesse désirée, ne sont que la partie émergée de cet énorme iceberg de la mortalité embryonnaire dont la majeure partie des cas vont se produire avant l'implantation, sans même donner de retard de règles, ni être, par conséquent, détectables.

La troisième réalité que je voulais souligner de manière claire pour aborder le débat éthique pour lequel vous m'avez convié aujourd'hui, c'est que dans tous les laboratoires de fécondation in vitro, on détruit des embryons. C'est une partie incontournable de la technique. Je pense qu'y compris en Allemagne où l'on ne fabrique pas d'embryons surnuméraires, on est amené à détruire des ovocytes au stade pronuclei.

Nous sommes donc dans une question de sémantique mais fondamentalement le problème est le même et nous ramène évidemment à une légitimité qui interroge le statut de l'embryon.

À son sujet, je voudrais d'abord rappeler qu'il s'agit d'un problème qui n'est pas d'ordre scientifique, mais philosophique, symbolique et que l'attribution d'un statut relève d'une décision sociale.

Pourquoi n'est-ce pas une discussion scientifique ? Parce que, pour la science, pour le médecin, un des principes fondamentaux de la vie est précisément son caractère continu. La vie ne commence jamais : elle se transmet d'une personne à ses cellules reproductives, de ses cellules reproductives à l'embryon, de l'embryon à la personne suivante, etc.

Ce caractère continu est l'une des caractéristiques fondamentales de la matière vivante.

En conséquence, à l'intérieur de cette réalité continue, nous attribuons, avec notre anthropocentrisme dont je pense qu'il est parfaitement légitime - je ne conteste pas cette légitimité mais je rappelle qu'elle est fondée sur des choix philosophiques et de société et non pas sur des réalités biologiques -, des statuts différents à l'embryon suivant des concepts philosophiques différents. Je considère d'ailleurs que toute nos sociétés font de même.

Nous sommes tous d'accord pour dire que l'embryon qu'on ne peut ni vendre, ni léguer, n'est pas une chose dont on dispose. Je pense qu'à quelques exceptions près, nous sommes aussi d'accord pour dire qu'il ne s'agit pas d'une personne. Pour illustrer mon propos, je vais donner quelques exemples simples.

Philosophiquement, on peut considérer - et il y a des gens pour défendre cette position que je respecte - que l'embryon, dès la conception, est une personne. Néanmoins, je rappellerai quelques faits sociaux relativement simples qui sont en contradiction fondamentale avec cette vision.

Si une femme fait une fausse couche de dix semaines, elle ne va pas inscrire l'embryon à l'état-civil, ni l'enterrer, ni lui donner de nom. Elle ne réalisera donc pas un certain nombre de gestes symboliques sociaux qui reconnaissent le statut de personne, dont bénéficiera, par exemple, un mort-né de trente semaines. Je pourrai multiplier les exemples : toutes les législations sur l'interruption de grossesse sont sous-tendues par cette progressivité puisqu'elles accordent des légitimités en fonction des âges de grossesse.

Il y a donc une progressivité et, finalement, une reconnaissance de ce caractère continu dans lequel on instaure des repères pour définir le statut de l'embryon.

Bien entendu, c'est un domaine hautement conflictuel. Il faut aussi rappeler qu'en arrière fond de ce débat sur le statut de l'embryon in vitro, se profile le débat sur l'interruption volontaire de grossesse - il faut avoir le courage de le reconnaître - et la réflexion sur l'embryon in vitro d'un gynécologue obstétricien qui, comme moi, s'est toujours battu pour l'accès à l'interruption de grossesse, ne peut pas en faire abstraction.

De ce point de vue, il faut comprendre la Belgique comme un pays ayant une tradition de pluralisme extrêmement ancrée.

C'est un pays à la rencontre des cultures latines, germaniques et anglo-saxonnes ; c'est un pays jeune, de tradition centralisatrice faible, qui à bien des égards conserve, malgré sa proximité géographique - Paris se trouve actuellement dans la banlieue de Bruxelles puisque je n'ai mis qu'une heure dix pour venir (Sourires.) - des systèmes conceptuels relativement éloignés des systèmes français.

En conséquence, sur ces questions, en Belgique, nous avons, d'une part, de grosses difficultés à trouver des consensus mais, d'autre part, une certaine reconnaissance de la valeur du dissensio, ce qui nous amène à chercher, au niveau de l'organisation sociale, la capacité de vivre ensemble tout en reconnaissant que nos systèmes référentiels ne sont pas les mêmes sur des questions aussi sensibles que l'a été le débat sur l'avortement ou que l'est celui sur l'euthanasie qui se poursuit actuellement au Parlement belge.

En tant que clinicien, face cette question très importante à laquelle j'ai beaucoup réfléchi au cours des vingt années durant lesquelles je me suis trouvé confronté à des embryons in vitro, je dois reconnaître que le projet d'enfant joue un rôle considérable dans le statut de l'embryon.

Pour moi, la première responsabilité de protection de l'embryon in vitro, consiste à bien réaliser que derrière cet embryon, indépendamment du statut qu'on lui attribue, se trouvent des personnes souffrant généralement d'un problème de stérilité - on peut si vous le désirez revenir sur la question du diagnostic préimplantatoire - qui sont en recherche d'enfant et que ces quelques cellules dans leur coquille microscopique représentent pour eux un espoir.

En conséquence, notre devoir de protection maximale des chances de cet embryon de donner un jour enfant est d'abord justifié par ce projet d'enfant.

Pour autant, cela ne signifie pas - ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit - que si ce projet disparaît, ce matériel biologique aurait le même statut qu'un embryon de souris ou de tout autre mammifère. Il y a incontestablement la reconnaissance que ce matériel biologique est celui de notre espèce, qu'il a un aspect symbolique particulier que nous devons reconnaître.

Dans ce contexte, nous avons pratiqué et nous pratiquons ouvertement - je vais dire tout de suite dans quel cadre - des expérimentations sur des embryons surnuméraires et nous avons pratiqué certaines expérimentations, notamment dans le développement de l'ICSI, qui ont nécessité la création d'embryons pour la recherche : c'est incontestable et nous ne l'avons jamais caché !

Ces recours à l'expérimentation impliquent une responsabilité médicale par rapport au développement des techniques : il n'y a pas de bonne clinique sans expérimentation. La cohérence, me semble-t-il, voudrait, si l'on s'oppose à l'expérimentation, que l'on s'oppose aussi à la clinique...

M. Alain Claeys, rapporteur. - Permettez-moi de vous interrompre mais il y a un préalable d'expérimentation : pour l'ICSI, cela a-t-il été le cas ?

M. Yvon Englert. - C'est une histoire que je connais bien puisque la pratique de l'ICSI a été d'abord développée dans l'université néerlandophone, s_ur de la mienne. Elle a été appliquée en clinique directement, d'après ses concepteurs, suite à un événement tout à fait imprévu au stade du laboratoire puisque l'on avait recours, à l'époque, à d'autres techniques de micro manipulation...

M. Alain Claeys, rapporteur. - Le développement de la technique en l'ab-sence de toute expérimentation, ce qui a été reproché, est uniquement le fait du hasard ?

M. Yvon Englert. - Il faudrait interroger directement les concepteurs de l'ICSI.

En discussion privée et les yeux dans les yeux, c'est toujours ce qu'ils ont déclaré et je n'ai pas de raison de ne pas les croire, d'autant qu'à l'époque tout le monde pensait la chose irréalisable. Des expérimentations avaient été faites sur des modèles animaux, notamment par Lanzendorf en Allemagne à la fin des années quatre-vingt, elles s'étaient toutes soldées par des échecs.

Je ne peux pas vous dire autre chose ! Je pense que la critique qui a été faite de ne pas avoir fait d'expérimentations préalables était légitime mais il faut, dans ce cas, être cohérent et laisser l'espace nécessaire à cette recherche pour se faire !

Ce dont il faut être bien conscient, c'est que toutes les questions bioéthiques sont des conflits de valeurs : qu'il s'agisse de la protection de l'embryon ou de l'intérêt des patients, c'est toujours la même chose ! Ces conflits de valeurs sont présents dans la société mais ils sont bien sûr présents en chacun de nous : nous avons aussi toutes ces valeurs en nous et elles s'entrechoquent.

Ce qui me semble important c'est que le conflit de valeurs, par rapport à la protection de l'embryon, ne se situe pas fondamentalement au niveau des chercheurs mais à celui des patients parce que ce qui est sous-jacent à cette expérimentation, c'est le développement de nouvelles possibilités cliniques pour une série de domaines de la médecine humaine.

Étant ici devant une assemblée parlementaire, je ne peux m'empêcher d'attirer votre attention sur un phénomène qui me met un peu mal à l'aise : nous nous trouvons, aujourd'hui, confrontés, avec le développement des cellules souches, à des enjeux de recherche colossaux qui touche à la santé de l'individu.

Les domaines des greffes, du cancer qui sont les deux grands secteurs qui pourraient bénéficier, en aval, du développement de l'expérimentation sur les cellules souches, représentent, bien entendu, des enjeux qui touchent tous les citoyens d'un pays.

Or, aujourd'hui, on assiste à une mobilisation pour remettre en question la recherche sur l'embryon contre laquelle personne, ou fort peu de gens, se sont battus à l'époque où elle ne concernait qu'une petite minorité de couples, une petite minorité de femmes - il ne faut pas oublier que ce sont elles qui suivent le parcours du combattant de la fécondation in vitro - et où les traitements ne présentaient d'intérêt que pour combattre la stérilité ou les maladies génétiques congénitales qui atteignent de petites parties de la population.

Je pense qu'il y a là un phénomène qu'a évoqué Mme Françoise Shenfield et auquel nous devons être très attentifs. Je ne suis pas sûr que l'opinion de quiconque ne sera jamais confrontée à ce problème doive être le seul déterminant des responsables élus de la Nation quand ils ont à se prononcer sur ces sujets qui touchent certes une minorité d'entre leurs concitoyens mais qui revêtent pour eux une telle importance !

Le problème de l'interruption de grossesse est un problème qui touchait au moins toutes les femmes et certains hommes qui voulaient s'intéresser aux problèmes de contraception de leurs compagnes. Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, nous travaillons sur un domaine qui touche une infime partie de la population et je ne suis pas sûr que l'on ait toujours respecté directement et complètement l'intérêt de ces personnes.

Comment gérer au quotidien ce type de problèmes ? Je vous ai apporté quelques documents qui me paraissent pertinents. D'une part, le projet de loi sur la protection de l'embryon qui est actuellement sur le bureau du Sénat de mon pays et sur lequel je vais dire quelques mots ; d'autre part, deux travaux que notre équipe a réalisés pour expliquer comment elle gère, par anticipation, le problème des embryons surnuméraires avec les patients et une étude portant sur 200 couples pour montrer comment les patients qui, pour moi, sont les premiers intéressés, vivent ce problème des embryons surnuméraires, vivent le problème de la recherche, vivent le problème de la destruction. Vous verrez ainsi que, de manière assez étonnante, et indépendamment des convictions philosophiques, 92% d'entre eux déclarent n'avoir pas de problème avec la destruction embryonnaire.

Il y a donc une gestion qui est, pour moi, une gestion paritaire entre les équipes médicales qui doivent définir le cadre de ce qui est légitime et les règles du jeu proposées, et les patients désireux d'être traités. À l'intérieur de ce cadre, s'impose un respect de l'autonomie des patients dans une société plurielle où nous sommes appelés à rencontrer aussi bien des témoins de Jéhovah - ils refusent les embryons surnuméraires, ce qui est leur droit le plus strict que nous avons le devoir de respecter - que d'autres qui n'ont pas de problème fondamental à voir détruire des embryons lorsque le projet parental s'éteint ni, éventuellement, à poursuivre l'expérimentation, car ils sont conscients du fait que les possibilités qui, aujourd'hui, leur sont offertes résultent d'une recherche qui a concerné un grand nombre d'embryons au cours des dix années ayant précédé la naissance de Louise Brown.

Le cadre juridique dans lequel nous évoluons n'a, en fait, aucune spécificité pour notre pratique puisque, pour ce qui concerne la fécondation in vitro, nous évoluons dans un règlement d'agrément : les centres qui peuvent produire des embryons sont des centres agréés. C'est une norme relativement récente. Pendant vingt ans, nous avons travaillé sans agrément et sans cadre législatif particulier pour la recherche sur l'embryon.

Le cadre général de la surveillance sur la recherche s'applique à la recherche sur l'embryon humain. Il implique l'obligation de déposer un projet de recherche devant une commission d'éthique qui doit donner un avis, l'obligation d'obtenir le consentement éclairé des géniteurs - et je parle ici à dessein de géniteurs et non pas de parents - et enfin l'obligation de respecter une série d'exigences, en termes de sécurité, qui sont évidemment primordiales dans les expérimentations où les embryons sont replacés.

Il faut être conscient que l'interdiction de la recherche peut se traduire par l'impossibilité de développer de nouveaux traitements et de nouvelles techniques. Elle peut aussi ouvrir cette voie extrêmement périlleuse qui consiste à laisser aux patients et aux équipes le seul choix de passer directement à l'application clinique sans prendre les précautions préalables que permettrait une expérimentation, ce que l'on a tellement reproché à l'ICSI. Je ne suis pas sûr que ce soit là une approche raisonnable !

En Belgique, un projet de loi reprend un projet gouvernemental de la précédente législature qui était presque sur le bureau du Sénat mais devant lequel les partenaires catholiques de la majorité avaient reculé au dernier moment ce qui laisse à penser qu'un certain nombre de pressions s'étaient exercées. Ce projet a été déposé à nouveau par un membre de la majorité et le calendrier proposé nous autorise à penser que le débat s'ouvrira au Sénat dès que sera clos celui sur l'euthanasie, c'est-à-dire probablement à la fin de l'année civile.

Il faut savoir que cette proposition n'a pas été déposée parce que les parlementaires estimeraient que la situation dans laquelle nous avons vécu depuis vingt ans aurait conduit à des excès - il n'y a pas eu de grands débats ou de grands conflits autour des recherches effectuées en Belgique dans le cadre de la reproduction humaine - mais parce qu'ils ont la volonté de se prémunir contre l'article 18 paragraphe 2 de la convention du Conseil de l'Europe qui interdirait la création d'embryons pour la recherche. Cet article ne semble pas - mais, bien sûr, ce sont les parlementaires qui trancheront in fine - être bien accueilli par une grande partie du monde politique belge, et il est très mal reçu par le monde scientifique et cela d'autant plus - et ce n'est pas parce que M. de Sola est parti que je formule cette critique puisqu'il connaît bien ma position sur ce plan - qu'il constitue incontestablement un compromis du genre « je te donne la légitimité de l'expérimentation sur l'embryon - art. 18 paragraphe 1 - et tu me donnes l'interdiction de création d'embryons pour la recherche - art. 18 paragraphe 2 »...

Ce faisant, je pense que le Conseil de l'Europe est passé à côté des vraies questions éthiques de la recherche sur l'embryon : qu'est-ce qui est légitime, pour quoi faire, dans quel cadre, moyennant quelles précautions et dans quel but ? En effet, ce sont les réponses à toutes ces questions qui déterminent la légitimité d'expérimenter.

S'il n'est pas légitime d'expérimenter, cela vaut alors pour tous les embryons. On comprendrait mal - sauf à être utilitaristes comme peuvent l'être les Britanniques, qui, en l'occurrence, ont précisément adopté la position inverse - pourquoi un embryon constitué dans le cadre d'un projet parental et un embryon constitué dans le cadre de la recherche ne disposeraient pas des mêmes niveaux de protection et auraient des statuts différents.

Il est logique de faire prévaloir la recherche sur les embryons surnuméraires quand elle est possible puisque ces embryons existent déjà et vont, de toute façon, être détruits. Mais je pense que la protection de l'embryon ne veut pas dire absence de destruction en toutes circonstances et que, si tel était le cas, il y aurait une remise en question immédiate et ingérable de toutes les lois sur l'interruption volontaire de grossesse.

M. Pierre Hellier. - Je pourrais presque dire la même chose, compte tenu du fait que cet exposé, comme tous les autres, est d'une extrême qualité ! J'y ai seulement relevé un petit paradoxe entre ces quelques cellules du départ qui portent tout l'espoir du couple et le fait d'accepter une progressivité dans le « statut » de l'embryon. C'est fort peu de choses par rapport à tout ce que vous nous avez apporté...

M. Jean-Marie Le Guen. - Vous avez fait référence à une société plurielle et à la nécessité de répondre à des demandes très diverses, voire contradictoires. Quelle place donnez-vous, sur le plan des principes, au cadre juridique normatif, quel qu'il soit, à la demande parentale, qui nous renvoie, par exemple, aux parents sourds dont nous parlions précédemment, et au rôle du médecin ? Ce dernier est-il un pur technicien, met-il une pratique en adéquation entre une demande individuelle et un cadre juridique ou intervient-il avec une déontologie qui lui confère une responsabilité qui n'est pas simplement scientifique mais aussi éthique ?

M. Yvon Englert. - Vous avez partiellement apporté la réponse.

Vous aurez noté que j'ai précisé que nous avions un cadre qui est présenté au patient au sein duquel il dispose d'une liberté, d'une autonomie de choix parce que nous sommes dans une société plurielle comme l'énonce, en France, je pense, comme en Belgique, la loi sur l'interruption de grossesse.

Il est quand même assez particulier - mais c'est une marge de man_uvre qui se retrouve dans d'autres domaines et que j'estime être une qualité - de préciser dans une loi qu'un médecin peut, par une clause de conscience, décréter qu'il ne veut pas pratiquer un acte qui, par ailleurs, est légal et légitime dans le domaine de la relation médecin-patient.

Je ne vais pas esquiver la question et je pense qu'en ce domaine la responsabilité et le pouvoir du législateur sont très grands. Comme je suis un républicain convaincu, je crois à l'importance de la représentation nationale dans les décisions qu'elle prend pour les citoyens et donc aussi pour les médecins.

Mais il m'apparaît prudent de ne pas vouloir régler des questions aussi délicates que celles qui sont posées en matière de reproduction par un cadre légal qui précise trop les situations car une telle démarche est vouée à l'échec. Il est important de définir un cadre incluant la discussion collégiale, la limite d'âge et toute une série de paramètres qui font l'objet d'un consensus social, consensus d'ailleurs révisable parce qu'il est évolutif comme tous les concepts sociaux, et de laisser, à l'intérieur de ce cadre, interagir les médecins et les patients, étant entendu que le médecin intervient dans les limites fixées par la loi et dans le respect d'une déontologie.

Je vais vous donner un exemple dans un domaine qui me paraît être un prototype et dont on ne parle pas, ou peu, parce que tellement sensible. Je veux parler du problème de l'interruption volontaire de grossesse pour des pathologies malformatives.

Que se passe-t-il ? Dans un certain nombre de situations, un consensus existe pour dire que l'interruption est légitime au vu de telle ou telle anomalie. Disons que si vous présentez un dossier type à une vingtaine d'équipes, vous recevrez à peu près partout la même réponse.

De la même façon, dans un certain nombre de situations, tout le monde s'accordera à dire que l'interruption de grossesse n'est pas légitime.

Entre les deux types de situations, il reste cette zone grise qui est inévitable et qui est fonction de tellement de choses que l'exemple de la surdité que l'on a donné tout à l'heure ne m'a, personnellement, pas du tout surpris. Nous sommes, en effet, confrontés à des patients qui ont une vision très différente de leur handicap et du risque de transmission de ce handicap !

Il est bien admis aujourd'hui que vous ne pouvez pas obliger un couple porteur d'une anomalie à faire un dépistage anténatal s'il ne veut pas s'y soumettre, tout comme vous admettez qu'il peut accepter de faire le dépistage et de pratiquer l'interruption volontaire de grossesse pour des anomalies sur lesquelles il y a consensus. Vous acceptez donc que le risque génétique puisse relever de l'autonomie du couple.

Je pense que ce qui est important, pour le législateur, c'est de développer un cadre qui garantisse que les choses se déroulent dans de bonnes conditions. À cet égard, je rappellerai qu'on discute fort peu de la façon d'éviter que les équipes médicales aient des intérêts indirects propres - je pense notamment en termes financiers.

Si, en Belgique, nous avons été peu confrontés aux excès qu'a connus l'Italie, ce n'est pas parce que les Belges auraient plus de conscience que les Italiens, mais parce que nous intervenons dans un cadre où la pression de la relation à l'argent est extrêmement minorée. C'est donc une responsabilité sociale très importante que de donner un cadre susceptible d'empêcher les dérives.

On raconte que l'on paye au professeur Antinori 20 000 francs belges, donc 3 000 francs français, pour une consultation de dix minutes. Cela laisse imaginer le prix à payer pour un acte médical !

En Belgique, l'accès à des équipes de qualité est facile à l'intérieur du secteur public ou parapublic - l'hôpital où j'exerce relève officiellement du secteur privé mais il travaille avec des accords de tarifs publics - et il me semble important de garantir cet accès, aux patients, dans de bonnes conditions, sans ces listes d'attente de plusieurs années qui amènent à des systèmes de pénurie dont nous savons bien qu'ils génèrent des relations d'argent qui, elles, peuvent évidemment nourrir des conflits d'intérêts.

Un autre aspect me semble important : celui de la décision collégiale, de la discussion collégiale, mais aussi de la responsabilité du médecin in fine. J'attache une grande importance à la collégialité du débat mais également à l'identification de la personne qui est responsable et qui prend in fine la décision. En effet, les décisions collégiales sont aussi des décisions dans lesquelles, en fin de compte, plus personne n'assume la responsabilité de la décision finale.

Il faut donc trouver un bon équilibre entre collégialité et responsabilité, cette dernière devant, selon moi, revenir in fine au médecin qui traite les patients, qui est responsable de leur dossier et qui doit être identifié.

Mme Yvette Roudy. - La décision finale revient donc au médecin ?

M. Yvon Englert. - Attention ! Je parle de la décision finale de l'équipe. La demande étant adressée à l'équipe médicale par un couple, je pense que toutes les demandes, quelles qu'elles soient, doivent être accueillies, écoutées et discutées mais que toutes ne seront pas acceptables sans quoi il n'y aura plus de limites et il faudra avoir recours aux psychiatres car c'est une maladie que de n'avoir pas de limites.

L'important est de savoir que la limite, qui comporte une certaine dose d'arbitraire, peut être une violence par rapport au patient. Il faut donc être conscient de cette violence et pouvoir porter un regard autocritique sur ses propres décisions. Il n'empêche qu'in fine, il y a un partenariat où les patients décident pour eux et où l'équipe médicale doit se définir par rapport à cette demande pour estimer si, oui ou non, ils acceptent de participer au projet.

Si tel n'est pas le cas, il n'y a plus de responsabilité médicale et le médecin devient, comme le suggérait M. Le Guen, un technicien qui met son art, sa technique au service d'une relation véritablement contractuelle, sans autre réflexion, ce qui, pour moi qui pense que la médecine n'est pas une relation contractuelle comme peut l'être le commerce, signerait la mort de la médecine.

M. Detlev Ganten. - Je vais souligner deux autres aspects du débat.

Nous avons parlé du potentiel de la recherche scientifique à partir de cellules embryonnaires mais nous avons déjà précisé que les cellules souches de l'embryon sont probablement, dans toute la biologie, le domaine de recherche qui est appelé à se développer le plus au cours de la prochaine décennie.

Il n'existe pas de modèle et, en matière de recherches génétiques, vous savez qu'il n'est possible d'entreprendre des recherches sur l'homme qu'à partir de modèles. Comme il n'existe aucun modèle nous permettant d'étudier l'interaction des gènes dans des systèmes complexes chez l'homme, il est donc impossible de faire des recherches d'un niveau aussi satisfaisant que celui de la recherche sur des cellules embryonnaires. Et en disant cela, je ne pense pas uniquement à la thérapie génique mais aussi à des méthodes plus conventionnelles, ni uniquement à des maladies génétiques mais aussi aux maladies qui se déclarent parce que le sujet est prédisposé.

En outre, nous avons déjà entendu dire que, pour des raisons éthiques, morales ou autres la recherche sur l'homme est très limitée mais il y a une recherche à partir du poisson zèbre, du rat, de la souris qui peuvent être des recherches complémentaires et avoir une importance absolument cruciale. Mais aucun modèle non humain ne ressemblera autant au modèle humain que le modèle des cellules souches embryonnaires.

Les instituts de recherche qui sont responsables de la recherche clinique de demain devraient, selon moi, réfléchir afin de savoir s'ils veulent vraiment ouvrir ce secteur à la recherche.

À titre personnel, je considère que la voie empruntée par la Grande-Bretagne est celle dans laquelle nous devrons nous engager si nous voulons faire de la recherche embryonnaire avec des méthodes de biologie moléculaire modernes : c'est absolument indispensable pour la recherche future.

J'en arrive à un deuxième point que je développerai très brièvement et qui concerne les brevets. C'est un sujet que nous avons évoqué ce matin et je me contenterai donc de rappeler la position de l'Allemagne sur ce point.

Vous savez que nous estimons que les gènes ne doivent pas être brevetés parce que la vie ne peut pas l'être : nous émettons donc une interdiction catégorique qui est, elle aussi, à mon avis, une erreur puisque les gènes ne sont pas la vie.

Nous pensons qu'en matière de brevets, certains cas ne posent pas de problèmes. C'est vrai notamment lorsque les gènes sont des outils thérapeutiques ou diagnostics proprement dits comme, par exemple, avec la thérapie génique ou lorsque, soit on les fragmente pour pouvoir les utiliser, soit on s'en sert pour produire des protéines, c'est-à-dire quand il existe une fonction directe entre le gène, la production et le médicament, facteur huit ou autres...

En revanche, les choses se compliquent singulièrement lorsque les gènes n'ont pas de dépendances linéaires directes par rapport à la fonction qu'ils doivent exercer, lorsque la relation entre le gène et la fonction est complexe. Je crois que c'est vraiment là où intervient le travail de l'inventeur.

Dans ces conditions, les brevets de gènes ne doivent pas forcément servir uniquement à des fins de recherche, à des fins de preuves, lorsque l'on a affaire à des systèmes complexes de cellules et non pas uniquement à une interrelation entre le gène et sa fonction, il convient d'y penser !

C'est là, selon moi, un domaine où il faut avoir des conventions internationales car ce n'est pas parce que nous aurons exprimé nos avis au niveau international que le problème sera forcément résolu.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Je ne reviendrai pas sur ce problème de la brevetabilité des gènes mais sur la coopération scientifique en Europe.

Je crois que, depuis ce matin, nous considérons que cette coopération scientifique est nécessaire et qu'elle s'imposera mais je voudrais avoir votre sentiment sur des initiatives qui sont prises par une branche du NIH américain, notamment sur un projet visant à analyser les processus de signalisation cellulaire, qui va être doté de 25 millions de dollars et qui va occuper pendant cinq ans 50 chercheurs américains qui vont abandonner leurs droits de propriété intellectuelle.

Que pensez-vous d'une telle initiative et existe-t-il des projets similaires au niveau européen ?

Mme Yvette Roudy. - Qu'est-ce que la signalisation cellulaire ?

M. Alain Claeys, rapporteur. - Cela consiste à trouver comme modèle d'étude, une cellule virtuelle pour la mise au point de nouvelles molécules.

M. Jean-Marie Le Guen. -À qui seront abandonnés les droits de propriété intellectuelle ?

M. Alain Claeys, rapporteur. - Ils seront versés au « pot commun ».

M. Bernard Charles, président. - Cela équivaut à une mutualisation...

M. Jean-Marie Le Guen. - Ils restent au domaine public ou au NIH ?

M. Bernard Charles. - Au NIH.

M. Jean-Marie Le Guen. - Donc au NIH, au « CNRS américain » ?

M. Alain Claeys, rapporteur. - Oui.

M. Detlev Ganten. - Je pense qu'il s'agit du projet du prix Nobel Gilman qui avait été élaboré avec un groupe assez important. Il avait pour objet d'étudier les signaux connus dans une cellule et, à partir de là, de réaliser un modèle informatique de la cellule humaine, en connaissant le génome complet. Ce modèle virtuel qui est en fait un modèle in silico pourrait être utilisé dans les cellules humaines à des fins de recherches médicamenteuses.

Finalement, c'est un projet qui s'apparente un peu au projet Manhattan : il s'agit d'une synthèse d'un nombre de connaissances absolument incroyable au sein d'un seul consortium. Dans ce système, il y aura des brevets pour un certain nombre de choses étant entendu que le système global, lui, ne sera pas breveté.

Il serait tout à fait formidable qu'en Europe nous parvenions à coordonner des approches qui vont dans ce sens.

Il me semble que c'est sur une cellule du foie que porte l'étude mais elle pourrait se faire à partir de cellules souches embryonnaires prélevées sur la souris ou tout autre animal. À partir de là, on pourrait faire beaucoup de choses nouvelles ce qui serait merveilleux pour un projet européen.

M. Bernard Charles, président. - Il s'agit tout de même d'un changement notable dans la recherche biomédicale car cette formule - notre invité allemand dit qu'il faudrait trouver un système européen et j'abonde dans son sens - conduit les chercheurs à abandonner leurs droits de propriété alors que le libre accès dépasse la structure puisque la note que nous avons reçue précise que : « cette banque de données sera accessible à tous les scientifiques ou toutes les personnes intéressées par le sujet » ce qui marque une évolution dans le système.

M. Yvon Englert. - Je crois qu'il faut replacer le problème des brevets dans sa problématique. L'abandon du contrôle à des personnes ou à des organismes - peu importe - à travers les brevets correspond à une application, dans le domaine de la biologie, du concept général de protection de l'investissement dans un quelconque domaine.

La vraie question sous-jacente est celle de savoir si on abandonne au secteur privé ce type de recherches. Si c'est le cas, pour que les recherches se fassent, il faut permettre le dépôt de brevets parce que les investissements sont là pour donner du return. Si on n'accepte pas que ce soit un domaine commercial comme un autre et que nos sociétés, dans un sursaut de valeurs collectives, souhaitent réinvestir dans la recherche collective, elles peuvent légitimement faire en sorte que ces recherches soient distribuées au bien commun.

On en revient, finalement, à la discussion sur l'existence d'un grand secteur public de la recherche pharmaceutique et biologique. Vous ne pouvez pas, à la fois, ne pas investir dans la recherche publique et empêcher le return sur les fonds privés, sauf à accepter que les recherches ne se fassent pas. C'est là que se situe tout le problème !

Je pense que l'on a trop vite abandonné l'idée d'un secteur public d'investissement collectif, pour le bien-être collectif dans le domaine de la santé. Mais si on persiste dans cette voie, il faut en accepter les conséquences : le brevet n'étant jamais qu'une protection du return économique.

C'est donc très important que le NIH soit capable de financer un projet pour lequel il y aura une mise en commun des résultats. Personnellement, je trouve cela extraordinaire. C'est envisageable en Europe mais cela suppose que l'Europe dégage des moyens financiers pour la recherche dans le domaine public car il faut tirer les conséquences de ses choix !

M. Bernard Charles, président. - Mes chers collègues, il me reste à remercier nos invités, aussi bien ceux de ce matin que ceux qui ont travaillé avec nous cet après-midi, ainsi que tous les parlementaires qui ont répondu à notre invitation.