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Annexe II :
SURVEILLANCE SCIENTIFIQUE ET
PROTECTION DES POPULATIONS DANS
LES ZONES À RISQUE VOLCANIQUE

Sylvie GRUSZOW

I - LE MONT UNZEN AU JAPON

De la gestion officielle à l'improvisation

Situé à 6 kilomètres de la ville de Shimabara qui compte 45 000 habitants, le Mont Unzen constitue une des plus fortes menaces naturelles du Japon. Depuis environ 20 000 ans, l'activité du volcan s'est concentrée dans la zone est, autour du Mont Fugen (1 359 m). Elle est caractérisée par l'émission de laves acides (andésite et dacite) et par un dynamisme très explosif avec production de dômes de lave, nuées ardentes et coulées pyroclastiques.

Deux éruptions historiques, en 1663 et 1792, ont produit de volumineuses coulées de laves 1 et entraîné des glissements de terrain et des tsunamis. On estime qu'environ 15 000 personnes périrent dans le raz de marée associé à l'éruption de 1792. Après une longue période de repos de près de 200 ans, le Mont Unzen s'est réveillé soudainement en novembre 1990. Cette éruption d'une durée exceptionnelle, près de cinq années du 17 novembre 1990 à mars 1995, fut précédée par une crise sismique importante (juillet - octobre 90). De 1990 à 1995, 200 millions de m3 de lave ont été extrudés. Pendant toute la durée de l'éruption, un scénario éruptif s'est répété plusieurs fois : croissance d'un dôme de lave  destruction de ce dôme engendrant une coulée pyroclastique  naissance d'un nouveau dôme de lave.

A) LES OBSERVATOIRES DU MONT UNZEN

Comme le sont la plupart des volcans japonais, le Mont Unzen est surveillé par deux observatoires : l'observatoire universitaire et l'observatoire de l'agence météorologique nationale. Les rôles de ces observatoires sont complémentaires : le premier est essentiellement dédié à la recherche fondamentale sur les phénomènes volcaniques, la structure des volcans, les techniques de prévisions, le second centralise l'information en cas de crise. Ces deux observatoires possèdent leur propre réseau de surveillance (sismicité, déformation, ...) (figure I.1).

Figure I.1 : La menace volcanique est très présente au Japon : 83 volcans actifs dont une vingtaine considérés comme très dangereux. Les observatoires volcanologiques universitaires ont une mission de recherche et de surveillance tandis que les observatoires de L'agence météorologique du japon (JMA) ont avant tout une mission d'information en cas de crise (plan d'urgence, évacuation). La classification des volcans japonais en trois catégories selon leur degré d'activité est un des objectifs du plan national (1994-1998) pour la prédiction des éruptions. Le Mont Unzen, surveillé par le SEVO et le JMA, est un des volcans les plus actifs et les plus dangereux du pays.

Fondé en avril 1971, l'observatoire universitaire du Mont Unzen est situé dans la péninsule de Shimabara à l'est du centre volcanique actuel. Depuis 1984, il a été réorganisé en centre d'étude sur la prédiction volcanologique et sismologique. Le SEVO (Shimabara Earthquake and Volcano Observatory), dirigé par le professeur Kazuya Ohta (mai 1997), compte une dizaine de chercheurs permanents et techniciens.

Depuis 1990, plus d'une vingtaine de stations sismologiques fonctionnent sur le volcan. Des capteurs de déformations et des senseurs magnétiques ont été installés dans des puits. Toutes ces données sont télétransmises et analysées en temps réel à l'observatoire. La composition géochimique des fumerolles, le niveau d'eau et la composition chimique des bulles de gaz dans un forage profond (360 m) font aussi l'objet d'une surveillance permanente (un relevé toutes les quinze minutes) (figure I.2).

B) LE PLAN D'EVACUATION AU MONT UNZEN

La politique d'évacuation au Mont Unzen est conforme à celle des autres volcans japonais. En période de crise volcanique, deux organismes nationaux ont en charge la collecte des informations scientifiques et de leur diffusion  : l'agence météorologique japonaise (JMA) et le Comité de Coordination pour la Prédiction des Eruptions Volcaniques (CCPVE), lequel réunit des volcanologues de plusieurs observatoires japonais et des scientifiques d'autres établissements nationaux (Bureau d'Etudes géologiques, Institut géographique...).

En théorie, le JMA et le CCPVE ne peuvent en aucune manière décider d'une alerte ou intervenir dans le processus d'évacuation mais ils doivent assurer la bonne circulation de l'information entre les différents groupes concernés (autorités civiles, presse, population, scientifiques...) (figure I.3).

D'une manière générale, le maire, en tant que représentant des autorités locales, a la responsabilité du plan d'évacuation et de son application.

Créé en 1974, le Comité de Coordination pour la Prédiction des Eruptions Volcaniques (CCPVE) centralise les informations sur l'activité volcanique et la recherche en matière de prévision. Ses 27 membres se réunissent trois fois par an.

En période de crise, le CCPVE se réunit en séances extraordinaires pour synthétiser les différentes observations scientifiques, évaluer les différents scénarios éruptifs et assurer la liaison entre les scientifiques et les responsables gouvernementaux.

Le JMA est, quant à lui, chargé d'informer officiellement les autorités civiles, le public et les médias sur l'activité des volcans. Il publie aussi des bulletins (trimestriels et mensuels) et des rapports préliminaires sur l'activité volcanique.

Deux niveaux ont été définis pour caractériser la menace qui pèse sur un secteur donné en période de crise 2 : un secteur peut être recommandé (" recommended area ") ou contrôlé (" restricted area "). Dans le premier cas, il s'agit d'un secteur protégé où l'on ne pénètre que sous sa propre responsabilité. Dans le second cas, l'accès du secteur est réellement interdit sauf autorisation spéciale.

La dernière crise éruptive du Mont Unzen a mis clairement en évidence certaines failles dans le plan d'urgence. " L'information officielle sur l'activité volcanique fournie par le JMA et le CCPVE n'a pas suffi aux autorités civiles pour définir leur plan d'évacuation ", explique Kazuta Ohta, directeur du SEVO (voir annexe Ia et figure I.4).

En nous rappelant la chronologie des événements survenus entre 1990 et 1992, le professeur Kazuya Ohta nous a confirmé que les décisions importantes concernant l'évacuation ont été le fait de réunions souvent informelles entre lui, les maires des différentes communes menacées par l'activité du volcan et le Gouverneur de la province.

Selon le professeur K. Ohta, le rôle de l'armée a été déterminant dans la seconde phase de la crise éruptive. Un millier de soldats de la Ground Self Defence Force (GSDF) ont en effet été détachés immédiatement après la tragédie du 3 juin 1991 (40 personnes tuées par une coulée pyroclastique alors qu'elles avaient pénétré la " recommended zone ", 179 maisons brûlées). L'armée a aussi prêté ses moyens logistiques aux volcanologues du SEVO et des autres observatoires, qui ont pu -grâce aux hélicoptères- survoler plus de 1 400 fois la zone éruptive et réunir lors de ces sorties des observations scientifiques précieuses pour la gestion de la crise.

Cette coopération entre l'armée et l'Université est la première du genre au Japon. A plusieurs reprises, l'armée et l'université ont dû conseiller les autorités locales pour réévaluer en temps réel le plan d'évacuation.

De mai 1991 à juin 1993, plusieurs secteurs du volcan ont été interdits. En mai 1991, sans attendre les recommandations officielles du JMA, le maire de la ville de Shimabara décide de faire évacuer 1 094 personnes résidant autour du cratère et définit un secteur de sécurité de niveau 1 (" recommended area "). Ce secteur sera par la suite élargi et une zone de sécurité de degré 2 (" restricted area ") sera mise en place après le 3 juin 1991. Toutes les victimes 3 de la coulée pyroclastique du 3 juin avaient pénétré dans la " recommanded zone " et périrent brûlées par le souffle de la coulée. Après cet événement , plus de 10 000 personnes furent évacuées. Le retour de la population dans les villages s'est étalé sur plusieurs mois -de mars 1994 à juin 1995- après les dernières manifestations pyroclastiques (voir figure I.5). Plusieurs centaines de personnes n'ont pu retourner chez elles, leur maison ayant été recouverte par les cendres volcaniques.

Annexe Ia

L'ERUPTION DU VOLCAN UNZEN EN 1990-1995 :

GESTION DE LA CRISE

Témoignage du Professeur Kazuya Ohta, Directeur de l'Observatoire Sismologique et Volcanologique de Shimabara (SEVO)

(traduction de la version anglaise)

Mars 1997

(Loi sur l'évacuation des habitants au Japon)

D'après le " Règlement Fondamental de Mesures contre les Désastres ", le Maire, chef du Quartier Général Municipal pour les catastrophes naturelles, est chargé de la décision et de la direction des secours (évacuation des habitants de la région en danger...). Dans ce Règlement, deux degrés d'évacuation sont prévus. L'un concerne l'évacuation de la " Zone Recommandée " où n'importe qui peut entrer à ses risques et périls, et l'autre la " Zone Contrôlée " où l'entrée est strictement interdite sans l'autorisation préalable du Maire.

Toutes les évacuations qui ont suivi les éruptions volcaniques récentes au Japon, comme à Usu (1977), Miyake-jima (1983) et à Izu-Oshima (1986) -à l'exception de Unzen (1990-1995)- n'ont pas été organisées en " Zones Contrôlées " mais seulement en " Zones Recommandées ". La " Zone Recommandée ", ou " Zone au-delà des limites ", a été établie pour des situations devenues vraiment dangereuses. La plupart des habitants se sont déplacés de leur propre chef hors de la " Zone Recommandée " pour sauver leurs vies. Mais les habitants ne sont pas pénalisés s'ils ne suivent pas les recommandations du Maire.

Le Service Météorologique du Japon (JMA), qui est officiellement chargé de la surveillance des volcans et le Comité de Coordination pour la Prévision des Eruptions Volcaniques, associé au JMA, constitué de volcanologues appartenant aux laboratoires universitaires ainsi que d'agents de compagnies publiques, ont l'obligation de fournir les informations concernant l'activité de tous les volcans du Japon. Cependant, ces organismes ne sont pas habilités à décider des alertes et des évacuations.

L'éruption du volcan Unzen en 1990-1995

La première éruption de gaz a eu lieu le 17 novembre 1990. A la suite d'explosions continues pendant six mois, les premières coulées de laves sont apparues le 20 mai 1991. La croissance du dôme de lave a commencé à l'extrémité orientale du sommet, à la limite des villes de Shimabara et de Obama. Le 24 mai, un effondrement partiel du dôme de lave a provoqué une coulée pyroclastique qui s'est précipitée sur 1 km vers l'est, près de Shimabara. La coulée pyroclastique progressait de jour en jour. Le 26 mai, une coulée pyroclastique a blessé un ouvrier qui travaillait sur le barrage en terre situé sur la montagne.

Comme directeur de l'observatoire (SEVO en anglais) et comme scientifique reconnu dans cette région, j'ai proposé au Maire de Shimabara de conseiller l'évacuation des habitants de la région de Kamikoba. Le Maire a rapidement décidé la création d'une " Zone Recommandée ", avant même d'avoir reçu les renseignements officiels du JMA, et l'évacuation de 1 094 personnes appartenant à 252 familles. La région de Kamikoba est la zone habitée la plus proche, située à 3-4 km du cratère.

Le 30 mai, une coulée pyroclastique dépassant 2,8 km de long s'est arrêtée à 200 m des habitations de Kamikoba. Bien que les habitants aient reçu le conseil, dès ce moment, d'évacuer cette zone, certains sont revenus pour récupérer leur affaires et leurs animaux domestiques. Plusieurs journalistes et scientifiques sont aussi rentrés dans cette zone pour photographier et filmer ces coulées pyroclastiques spectaculaires. Des pompiers étaient stationnés dans un secteur désigné pour surveiller les maisons vides des évacués utilisées par les journalistes. Ces journalistes étaient stationnés à 4 km de là, au front de la coulée. Je les ai avertis par radio, par des policiers et par le Quartier Général pour les Mesures Contre les Désastres de Shimabara. Mais les gens qui se trouvaient sur la " Zone Recommandée " n'ont pas pris au sérieux mes avertissements.

Le 3 juin, à 15 heures, les coulées pyroclastiques sont devenues plus fréquentes. Un membre de la Station Météorologique de Unzen, branche locale du JMA, a appelé le Quartier Général de la ville en lui demandant d'informer les gens installés sur la " Zone Recommandée " car la situation devenait très dangereuse. L'avertissement a été transmis à deux policiers stationnés à l'entrée de cette zone. Les deux policiers sont entrés immédiatement dans la " Zone Recommandée " pour dire aux journalistes, aux pompiers et aux autres d'évacuer la zone. Mais, très vite, à 16 h 8 min, une énorme coulée pyroclastique a atteint la " Zone Recommandée " touchant gravement 52 personnes. Quarante personnes ont été tuées, 3 n'ont toujours pas été retrouvées et 179 maisons ont été brûlées. La coulée s'est arrêtée dans cette zone (figure Ia.1* et figure Ia.2*).

Suite à cet événement tragique, les Forces pour l'Autodéfense du Territoire (FAT ou GSFD, c'est-à-dire l'armée japonaise) ont affecté un détachement de secours composé de 1 000 soldats à la demande du Préfet de Nagasaki. Ils ont commencé par sauver les gens qui se trouvaient dans la zone atteinte par les coulées pyroclastiques mais ils ont aussi commencé à surveiller le volcan en collaboration avec nous, le SEVO, en utilisant nos sismographes ainsi que leurs instruments de reconnaissance tels que des radars, des télescopes infrarouges, des caméras T.V., des hélicoptères etc...

Avec leurs hélicoptères, ils nous ont aussi aidés pour la surveillance aérienne quotidienne du dôme de lave et des coulées pyroclastiques. Le résultat d'une telle collaboration a permis de conseiller à temps les Maires, la police et les pompiers impliqués dans les secours pendant cette catastrophe. Enfin, notre système de surveillance du volcan, résultant d'une collaboration entre l'armée et le SEVO, a joué un rôle important dans l'organisation des secours par les autorités locales. Notre système de surveillance ainsi organisé n'était pas fondé sur les plans officiels préalablement établis mais sur des idées immédiates, générées par la situation en temps réel.

A la suite de cet événement tragique, le Maire de Shimabara a décidé l'extension de la " Zone Recommandée " au double de sa surface initiale. Le Maire de Fukae, ville voisine de Shimabara, a aussi décidé la création d'une " Zone Recommandée ". Le 7 juin, les Maires ont délimité une " Zone Contrôlée " à la demande du Préfet de Nagasaki. Au Japon, une telle " Zone Contrôlée " n'avait jamais été créée auparavant.

Le jour suivant, le 8 juin, une grande coulée pyroclastique s'est épanchée jusqu'à 5,8 km du cratère, couvrant presque totalement la " Zone Contrôlée" (figure Ia.3*). Dans cet épisode, 207 maisons ont brûlé mais il n'y a pas eu de victimes. Nous redoutions alors une nouvelle coulée encore plus grande qui aurait pu atteindre la côte située à 7 km du cratère. C'est pourquoi, les Maires de Shimabara et de Fukae ont décidé, encore une fois, de doubler la surface de la " Zone Contrôlée "(figure Ia.4*). Environ 10 000 habitants ont été sommés de quitter leur maison.

Par la suite, le Préfet a participé à nos discussions sur l'évacuation et il en a accepté la direction. Bien que les décisions définitives apportées à la question de l'évacuation aient été prises par les Maires sur la base du Règlement Fondamental, les décisions ont été réellement prises après discussion entre le Préfet ou ses représentants d'une part, les Maires et le directeur du SEVO d'autre part. Nos réunions préliminaires étaient informelles d'un point de vue légal ou réglementaire mais toujours organisées à la suite d'une demande du Préfet.

Après les événements tragiques du 3 et du 8 juin, aucune coulée pyroclastique importante n'a eu lieu. Le 14 août, cependant, un nouveau " lobe " de lave a commencé à se former vers le nord-est. Puis, des coulées pyroclastiques se sont précipitées dans une autre direction. La distance parcourue par ces coulées augmentait tous les jours en suivant le même processus que précédemment. Nous avons aussi observé la naissance de craquelures et un bombement partiel sur le dôme de lave. C'est pourquoi, le Maire de Shimabara et moi-même avons discuté la nécessité de créer une nouvelle " Zone Contrôlée " dans les zones habitées du nord-est, à Senbongi. Le Maire à recommandé leur évacuation le 31 août et il a créé une " Zone Contrôlée " le 10 septembre.

Cinq jours plus tard, le 15 septembre, une nouvelle coulée pyroclastique importante s'est formée. Cette coulée n'a touché aucune des nouvelles " Zones Contrôlées " mais d'autres régions au sud et au sud-est qui étaient déjà déclarées " Zones Contrôlées "(figure Ia.5*). 200 maisons ont brûlé mais il n'y a pas eu de victimes.

Nous avons appris beaucoup sur les coulées pyroclastiques du volcan Unzen. Par exemple, la coulée principale dévale les parties les plus basses (vallée d'une rivière...) mais les nuages de cendres volcaniques remontent directement au-dessus de leur point d'émission. Les endroits les plus sûrs étaient alors situés derrière la montagne, sur les collines et sur les hauteurs. Le trajet des coulées ne semblait pas dépasser 6 km. Souvent, avant chaque coulée pyroclastique importante, des petites coulées apparaissaient et leur trajet augmentait chaque jour. Bien que nous n'ayons pas pu prévoir la date et l'heure de chaque coulée, nous avons été en revanche capables de localiser les zones où le danger était imminent.

Une évacuation généralisée aurait eu des inconvénients pour la vie quotidienne des personnes déplacées et pour l'économie locale. C'est pourquoi nous avons essayé de calmer la population et retarder leur évacuation autant que possible sur la base de nos observations volcanologiques.

L'extrusion de lave a diminué et s'est quasiment arrêtée à la fin de 1992. Par la suite, la surface des " Zones Contrôlées " a été réduite à une surface inférieure à celle qui avait été couverte par les coulées pyroclastiques. Le nombre des personnes déplacées a aussi été réduit à 2 000.

Soudainement, en février 1993, l'extrusion de lave a repris, produisant de nouveau des coulées pyroclastiques dirigées vers l'est et le nord-est. Le 24 mai, le Maire de Shimabara a créé une " Zone Contrôlée " dans la moitié sud de la partie habitée de Senbongi. Le 23 à 24 juin, des coulées pyroclastiques ont de nouveau atteint Senbongi et un homme qui était entré dans cette zone pour regarder sa maison brûler a été tué par une nouvelle coulée massive (figure Ia.6*).

Alors, nous avons informé le Quartier Général de Shimabara que la région de Senbongi était devenue dangereuse. Le Quartier Général a plusieurs fois informé la population par haut-parleurs de " ne pas entrer dans la zone désignée ".

Les éruptions se sont arrêtées en février 1995.

Quelques remarques de plus :

1 - Les informations officielles sur l'activité volcanique, fournies par le JMA et le Comité de Coordination pour la Prévision des Eruptions Volcaniques (CCPEV), étaient insuffisantes pour permettre aux autorités locales d'organisation les secours. Le JMA et le CCPEV n'ont pas donné aux autorités locales des directives pour faire face aux dangers de l'éruption ; les dédommagements de l'état pour les pertes humaines et économiques peuvent résulter d'erreurs d'appréciation sur l'évacuation des habitants.

C'est pourquoi, le Préfet de Nagasaki a demandé à l'armée (GSDF) et au SEVO non seulement d'assurer la surveillance du volcan et de fournir les informations sur l'activité du volcan, mais aussi de conseiller les autorités locales pour les mesures de secours nécessaires.

L'armée a joué un rôle important tant pour l'organisation des secours par les autorités locales que pour l'aide apportée aux scientifiques qui observaient le volcan.

Nous, membres du SEVO, avons pu installer des instruments de mesure et maintenir leur fonctionnement grâce à l'aide apportée par l'armée (GSDF). Les volcanologues du SEVO et de quelques autres universités ont pu effectuer des observations aériennes en utilisant les hélicoptères militaires ; 1 400 vols ont été effectués pendant l'éruption.

C'est la première fois au Japon que l'armée collabore avec les universitaires pour soutenir les autorités locales dans l'organisation des secours et du plan d'urgence.

Les volcanologues des universités ne se sont pas chargés de l'organisation des secours ; ils ont cependant joué un rôle important dans cette organisation au cours d'éruptions précédentes.

2 - Les autorités locales de la région du volcan Unzen n'avaient pas préparé un plan d'évacuation en cas d'éruption volcanique, à l'exception de la désignation de sites de refuge tels que écoles, centres sportifs, salles municipales etc... pouvant servir pour un court séjour. Les détails opérationnels ont été décidés après confirmation du type de l'éruption. Pour ce type d'éruption où le déplacement des populations risque de durer longtemps, les autorités locales construisent des habitations provisoires (maisons préfabriquées) utilisables deux ans et des appartements utilisables pendant dix ans.

3 - Un déplacement de longue durée constitue un dommage important pour la population et la société (vie) locale. C'est pourquoi, il est difficile de conseiller l'évacuation d'une région sauf si l'on est assuré de pouvoir persuader les habitants. Nous avons effectué une surveillance du volcan zélée et nous avons conseillé les autorités locales.

(10 mars 1997)

* JMA : Japan Meteorological Agency

II - LA SOUFRIERE DE MONTSERRAT DANS LES PETITES ANTILLES

Eruption " on-line " et gestion à l'anglaise

Située dans l'arc des petites Antilles, la Soufrière de Montserrat est caractérisée par une reprise d'activité tous les 30 ans environ (figure II.1). Les trois dernières crises (1897-1898 ; 1933-1937 ; 1966-1967) ont été des crises sismiques sans activité éruptive proprement dite.

L'éruption récente, qui débute en juillet 1995 4 et n'est toujours pas terminée au moment où nous écrivons ce rapport (mai 1997), est considérée par les spécialistes comme un événement extraordinaire dans l'histoire de la volcanologie. Elle a tout d'abord engagé une véritable collaboration entre scientifiques anglais, français, américains et caraïbiens. Pour suivre la montée du dôme de lave et ses changements de forme, une nouvelle méthode de surveillance a été mise au point combinant les mesures GPS (Global Positioning System) et les mesures laser 5. Cette éruption a aussi été l'occasion d'étudier en détail les flux de magma au cours du temps en associant des levés par hélicoptère, des mesures de précision au sol et l'analyse de photos. Ces données ont permis d'améliorer considérablement les modèles proposés jusque-là sur les processus magmatiques.

Pour les volcanologues français, le suivi de l'éruption en cours à Montserrat devrait permettre une meilleure évaluation du risque volcanique en Martinique et en Guadeloupe : le volcan de Montserrat présente en effet un système hydrographique comparable à celui de la Soufrière de Guadeloupe ; son activité éruptive actuelle est, de plus, très proche des récentes éruptions de la Montagne Pelée (1902 et 1929).

Cet aspect scientifique plutôt positif ne doit pas faire oublier le problème social et humain que pose une éruption de ce type. Neuf kilomètres de large et seize kilomètres de long : face aux coulées pyroclastiques et aux nuées ardentes, pratiquement toute l'île de Montserrat se trouve menacée, soit une population totale de près de 11 000 habitants (la capitale Plymouth, située à l'ouest du volcan, compte 5 000 habitants).

A) L'OBSERVATOIRE DE MONTSERRAT

Les volcans de l'arc des Petites Antilles (à l'exception de la Montagne Pelée en Martinique et de la Soufrière de Guadeloupe) sont sous la surveillance officielle de l'Unité de Recherche Sismologique (Seismic Research Unit : SRU) basée à St-Augustine sur l'île de Trinidad. Comme son nom l'indique, ce centre est aussi responsable de la surveillance sismologique de l'arc (îles anglophones). Jusqu'en juillet 1995, la Soufrière de Montserrat était donc surveillée à distance depuis Trinidad grâce à l'implantation de stations sismologiques télémétrées.

L'observatoire de Montserrat (MVO) a été créé après l'éruption phréatique du 18 juillet 1995. Composé de scientifiques et techniciens du SRU de Trinidad et du Bureau d'Etudes Géologiques britannique (British Geological Survey : BGS), il est financé essentiellement par le Gouvernement de Montserrat et l'organisme britannique chargé du développement des territoires d'outre-mer. Il peut accueillir des chercheurs d'autres organisations (USGS, CNRS...) qui sont alors intégrés comme membres à part entière, affiliés ou associés pour une période donnée. Les scientifiques indépendants qui souhaitent venir à Montserrat pour leur propre recherche peuvent aussi bénéficier de la logistique de l'observatoire 6.

Le statut particulier de l'observatoire a nécessité la mise en place d'une charte définissant certaines règles de base, comme par exemple, le devenir des données scientifiques et leur utilisation à des fins de publication. Ses codes sont accessibles à tous sur le site WEB de l'observatoire au chapitre " Research and publications policy for MVO ". L'observatoire se réserve par exemple le droit d'utiliser les données scientifiques acquises par les chercheurs affiliés (ou associés) pour sa recherche interne ou pour réévaluer le risque volcanique. Une règle stricte interdit aux chercheurs de l'observatoire (membre permanent, affilié ou associé) d'écrire un article (ou de contribuer à un article) dans la presse grand public sans autorisation préalable du directeur scientifique de l'observatoire. Toutes ces règles ont pour but d'éviter une cacophonie qui aurait un impact direct sur le travail et la crédibilité des experts de l'observatoire.

L'observatoire a pour mission d'informer les autorités locales de l'évolution de l'activité volcanique. Pour cela, il dispose de plusieurs types d'observations (figure II.2*) :

_ le réseau sismologique de surveillance comprend 16 stations au total, dont 5 capteurs large-bande (échantillonnage à 0,03-30 Hz) permettant l'enregistrement des mouvements du sol dans trois directions perpendiculaires (ces dernières stations ont été installées à l'automne 1996).

_ deux réseaux de mesure de déformation sont actuellement en place à Montserrat : des mesures de distance effectuées au laser infrarouge entre plusieurs réflecteurs sur les flancs du volcan permettent un suivi de la montée du magma, des points GPS temporaires sur l'île sont mesurés toutes les semaines, enfin deux stations GPS fixes enregistrent pendant des périodes de 20 heures les mouvements du sol.

_ des analyses de gaz sont effectuées régulièrement sur les fumerolles et la production de dioxyde de soufre est mesurée sur les flancs du volcan ; sa dispersion est aussi enregistrée à Plymouth.

_ le suivi de la montée du dôme de lave est réalisé par la combinaison des techniques laser et GPS (" GPS-binocular technique ") et par l'analyse de photographies prises en trois points du volcan. Ce suivi est important dans la mesure où il permet de détecter d'éventuelles modifications dans la croissance du dôme (changement du centre d'extrusion, par exemple) qui auraient un impact direct sur le plan d'évacuation. Cette technique permet aussi d'estimer les taux de réalimentation du système magmatique.

B) LE PLAN D'EVACUATION DE MONTSERRAT

L'observatoire de Montserrat publie régulièrement des bulletins d'informations sur l'activité volcanique en cours : des bulletins journaliers publiés tous les jours à 16:00 et couvrant les 24 heures précédant leur parution, des bulletins matinaux publiés à 07:00 et résumant les 15 dernières heures d'activité, des rapports scientifiques publiés chaque samedi établissent le bilan des 7 jours passés, enfin des rapports spéciaux publiés à l'occasion d'un événement particulier. Archivées sur le site WEB de l'observatoire (voir annexe IIa), ces publications sont avant tout destinées à l'information des scientifiques et des responsables gouvernementaux.

Dans les bulletins matinaux et journaliers (1/2 page), on trouvera en premier lieu des données sur l'activité volcanique (sismicité, éjectats, météorologie...), des informations sur les départs et les arrivées de scientifiques, sur les expériences en cours. La dernière partie est en général consacrée à la " gestion du risque " : toute modification de l'état d'alerte y est signalée, des instructions sont données aux visiteurs des zones où l'accès est limité, les scénarios éruptifs les plus probables sont aussi décrits.

Les rapports hebdomadaires du samedi (3-4 pages) synthétisent les événements et les données de la semaine qui précèdent leur parution. Chaque discipline (sismicité, déformation, observations visuelles, surveillance du dôme de lave, mesures géochimiques...) est abordée en détail ; des tableaux de mesures accompagnent souvent les explications.

Enfin, un dernier type de rapport est publié lorsqu'un événement particulier survient. Actuellement (mai 1997), un seul rapport de ce type (10 pages) a été publié, relatant l'explosion des 17 et 18 septembre 1996. La conclusion de ce rapport soulignait l'importance de ce type d'événement volcanique pour améliorer et éventuellement réviser le plan d'évacuation.

Parallèlement, l'observatoire participe à l'élaboration des communiqués destinés à la population de Montserrat. Publié par le service de presse du Gouvernement de Montserrat, " the Volcanic Explanation " paraît chaque matin à 7:00 et résume en termes simples l'évolution de l'activité volcanique des dernières 24 heures.

La carte du risque volcanique (révisée en novembre 1996) définit 7 secteurs géographiques codés de A à G du plus menacé (A) au moins menacé (G). Les limites de ces secteurs sont clairement établies et accessibles à tous sur le site WEB de l'observatoire (figure II.3).

Pour décrire l'état du volcan et faciliter la gestion de la crise, un système d'alerte comportant 6 degrés de couleur (0 : blanc, 1 : jaune, 2 : ambre, 3 : orange, 4 : rouge, 5 : pourpre) a été mis en place. Chaque couleur correspond à un niveau d'activité volcanique et conditionne dans chaque secteur le type d'action à mener :

ACTIVITE VOLCANIQUE

DEGRE-COULEUR

ACTIONS

Sismicité de très faible niveau

Pas de manifestation de surface d'une activité volcanique

0 : BLANC

Aucune évacuation

Le plan d'urgence doit être cependant remis à jour

Faible niveau de sismicité

Déformation de surface et activité phréatique diffuse

1 : JAUNE

L'équipe responsable doit se tenir prête à intervenir

Une évacuation localisée au secteur A peut être envisagée, les secteurs B et C restent en stand-by

Niveau moyen de sismicité

Mise en place d'un dôme de lave et destruction périodique de celui-ci accompagné par des chutes de pierres et des petites coulées pyroclastiques

2 : AMBRE

SECTEUR A : pas d'accès

SECTEUR B : accès limité aux visites de la population résidente, aux autorités locales ou responsables

SECTEUR C : les résidents peuvent y pénétrer pendant la journée seulement

SECTEUR D : occupation normale mais niveau d'alerte maintenu

SECTEURS E, F et G : occupation normale

Forte sismicité

Coulées pyroclastiques et nuées ardentes

3 : ORANGE

SECTEURS A ET B : pas d'accès

SECTEUR C : accès limité aux visites des résidents et travailleurs (séjour restreint)

SECTEUR D : occupation seulement pendant la journée (services et agriculture, résidents). Plan d'évacuation en place

SECTEUR E : occupation normale mais niveau d'alerte maintenu. Les écoles fonctionnent mais se tiennent prêtes pour une éventuelle évacuation

SECTEURS F, G : occupation normale

La destruction du dôme de lave est imminente. Importantes Coulées pyroclastiques et nuées. Phase explosive attendue

4 : ROUGE

Mise en place de l'alerte rouge

Toutes les écoles sont fermées. Dans les secteurs E et F, les personnes qui nécessitent des soins sont évacuées

SECTEURS A, B, C, D : pas d'accès, évacuation rapide de toutes les personnes qui y seraient encore présentes

SECTEUR E : Evacuation rapide

SECTEUR F : niveau d'alerte. Risque de pluies de cendres et ponces

SECTEUR G : occupation normale

Activité explosive et nuées ardentes

5 : POURPRE

SECTEURS A, B, C, D, E : pas d'accès, évacuation rapide de toutes les personnes encore présentes

SECTEUR F : début d'évacuation. Risque de pluies de cendres et ponces

SECTEUR G : alerte

Activité de Montserrat depuis mai 1997 :

Depuis la rédaction initiale du présent rapport en mai 1997, le volcan de Montserrat a connu plusieurs périodes d'activité intense. L'événement du 25 juin 1997 a notamment conduit les scientifiques du MVO à réviser complètement la carte du risque volcanique. Cette révision s'est échelonnée en trois étapes.

Le 6 juin 1997, une recrudescence d'activité entraîne une première révision de la carte présentée en figure II.3 : la zone 4 est alors étendue vers le nord, de même que la zone C (figure II.4).

Le 24 juin, une seconde révision a lieu : la zone A est encore étendue vers le nord, mais elle est réduite au sud-ouest (figure II.5).

A 12:55 le 25 juin, une première coulée pyroclastique se détache du sommet du dôme de lave. L'instabilité sommitale donne naissance dans la demi-heure qui suit à d'autres coulées toutes très dévastatrices (volume de lave mobilisé : 5 millions de m3). Plus de 150 maisons seront détruites et l'on dénombre une vingtaine de victimes : toutes ces personnes avaient pénétré la zone A interdite.

Depuis le 3 juillet 1997, les sept secteurs géographiques d'alerte ont été remplacés par trois secteurs seulement  : une zone " d'exclusion " (accès limité aux scientifiques et au service de sécurité) couvre plus de la moitié de l'île, une zone " centrale " (accès limité aux résidents équipés), une zone nord (résidence et activité commerciale autorisées) (figure II.6). La zone d'exclusion comprend la capitale de l'île, Plymouth, recouverte par les coulées et les cendres volcaniques. Le seul aéroport d'île est également mis hors service après le 25 juin.

Pendant les six mois qui suivent, l'activité du volcan ne cesse de croître. Elle est caractérisée par des phases pyroclastiques, explosives, entrecoupées d'intenses crises sismiques. Le 26 décembre 1997 (le " Boxing day "), cinquante millions de m3 de roches volcaniques se détachent du flanc sud de l'édifice. Deux coulées successives déversent leurs débris dans la vallée de White river et les vallées avoisinantes. La dernière coulée parvient jusqu'à la mer et déclenche un tsunami qui se propagera le long des côtes de Montserrat (hauteur de la vague : environ deux mètres).

Deux rapports spéciaux publiés par le MVO sont consacrés aux événements du 25 juin et du 26 décembre 1997.

A l'heure où nous écrivons ces lignes (mars 1999), l'activité du volcan décroît doucement mais les scientifiques craignent toujours la déstabilisation d'une partie du dôme de lave. Le risque d'un tsunami n'est pas non plus écarté. Un autre problème préoccupe les responsables du MVO : le risque associé aux fibres de silice contenues dans les cendres et les poussières volcaniques. Des analyses microscopiques ont en effet mis en évidence la présence de cristobalite dans les dépôts volcaniques issus du dôme de lave. Les mesures d'empoussièrement de l'air indiquent par endroit des taux de cristobalite élevés. Inhalée pendant longtemps, cette forme de silice est associée à un risque accru de cancer du poumon. Rien ne permet encore de quantifier ce risque pour la population actuellement regroupée dans sa grande majorité au nord de l'île (moins de 4 000 personnes).

Dans un rapport publié en janvier 1998 (" Preliminary assessment of volcanic risk on Montserrat ", janvier 1998), les scientifiques ont dégagé quelques enseignements sur le système d'alerte mis en place au MVO. Quatre points méritent d'être soulignés :

1- L'expérience de plusieurs mois d'éruptions a abouti à une meilleure compréhension des cycles du volcan. Par conséquent, les scientifiques sont maintenant en mesure d'anticiper plus efficacement les phases d'activité intense. Le système d'alerte est plus précis qu'avant malgré la détérioration d'une partie du matériel scientifique (capteurs de déformation, mesures des flux de gaz...).

2- Ce système d'alerte se heurte pourtant à un problème de taille : l'habitude. Après trois années d'éruption, les habitants finissent par s'habituer au risque et deviennent insensibles aux messages d'alerte du MVO.

3- Des améliorations du système d'alerte sont encore nécessaires. Par exemple, en janvier 1998, le centre et le nord de l'île n'étaient toujours pas équipés de sirènes d'alarme.

4- L'information et l'éducation de la population sur le risque volcanique est important mais peut conduire à une sous-estimation de ce risque. Les habitants croient connaître le volcan et sont donc moins sensibles aux messages des scientifiques....

Annexe IIa

Bulletins d'information sur l'activité du volcan
publié par l'Observatoire de Montserrat (MVO)

&

Bulletin d'information pour le grand public
publié par le Service de presse du Gouvernement de l'île
en collaboration avec le MVO

III - LE VESUVE

Un scénario catastrophe : évacuer 700 000 personnes

La ville de Naples se situe entre deux systèmes volcaniques menaçants : le Vésuve à 15 kilomètres au sud-est et les Champs Phlégréens (voir annexe IIIa) à quelques kilomètres à l'ouest.

Le Vésuve (1 281 m) est de loin le volcan italien le plus dangereux : il menace directement 18 communes, soit une population totale de 700 000 personnes. Le système volcanique est composé d'un ancien volcan (le Mt Somma) à l'intérieur duquel s'est érigé le cône volcanique actuel (le Vésuve), il y a 20-25 000 ans. Un forage effectué à Trecase sur les pentes de l'édifice a permis d'estimer à 300 000 ans l'âge des premières manifestations éruptives dans cette région. L'histoire des derniers 25 000 ans du Somma-Vésuvio révèle un comportement éruptif complexe, caractérisé par des éruptions d'intensité et de type très différents. On peut les classer suivant 3 catégories :

a) les éruptions relativement modestes ( 0,001-0,01 km3 de magma émis), de type mixte, effusif ou explosif. Exemple historique : l'éruption de 1906 (500 victimes).

b) les éruptions intermédiaires dites subpliniennes ( 0,1 km3 de produits émis) sont exclusivement explosives. Exemple historique : l'éruption de 1631 (6 000 victimes).

c) les éruptions explosives catastrophiques ( 1 km3 de produits émis) dites pliniennes en référence à la description faite par Pline le Jeune de l'éruption de 79 ( 3 km3) (" Lettres à Tacite "). Au moins 3 éruptions de ce type ont produit un effondrement de la caldeira (Pompéi 79, Avellino 3360, Mercato 7900).

Les éruptions pliniennes, 7 au cours de ces derniers 25 000 ans, sont précédées de longues phases de repos, d'environ 1 000 ans. Ce cycle peut être interrompu par des éruptions subpliniennes de moindre intensité, qui se produisent approximativement tous les 100 ans. Il peut aussi être interrompu par des éruptions plus modestes. De manière générale, plus les périodes de repos sont longues, plus l'éruption qui suit est forte.

Le Vésuve est surtout célèbre pour l'éruption plinienne de 79 a.p. J.C qui détruisit en deux jours Pompéi, Ercolano, Oplonti et Stabia, après une période de repos d'environ 700 ans. Il continua à déverser des produits volcaniques pendant 1 000 ans. Cinq cent ans de repos -de 1139 à 1631- firent oublier le danger. Mais une nuit de décembre 1631, le réveil du volcan surprit la population, tuant 6 000 personnes et dévastant une zone de 500 km2. Entre 1631 et 1944, les éruptions se succédèrent caractérisées par des petits phénomènes explosifs et des émissions effusives de lave, les périodes de repos ne dépassant jamais 7 ans. La dernière éruption en date fut courte : du 18 mars 1944 aux premiers jours d'avril 1944. La fin de ce cycle éruptif marqua le début de la période actuelle de repos.

A) L'OBSERVATOIRE DU VESUVE

Les informations historiques relatives aux derniers siècles d'activité du Vésuve relatent l'existence de phénomènes pré-éruptifs. En particulier, quelques semaines avant l'éruption de 1631, des séismes ont été ressentis jusqu'à Naples, des déformations du sol observées dans la zone du cratère. D'autres signes précurseurs, comme l'abaissement du niveau piézométrique de la nappe d'eau superficielle et une forte augmentation de l'émission de gaz et de vapeur dans le cratère, ont été également rapportés.

Si ces précurseurs n'ont pas éveillé les soupçons à l'époque, ils ont donné l'idée de surveillance des volcans à deux naturalistes de l'Académie royale des Sciences à Naples, l'abbé Monticelli et le minéralogiste Covelli. L'Observatoire du Vésuve (OV) fut fondé à leur initiative par Ferdinand II, en 1841 et construit par l'architecte Fazzini, sur le col del Salvadore à 609 m d'altitude entre Ercolano et Torre del Greco, lieu choisi pour n'avoir jamais été touché par une éruption.

Inauguré en 1845 par son premier directeur, Melloni, expert en physique expérimentale et spécialiste des flux de chaleur et du champ magnétique terrestre, il n'est achevé qu'en 1848. Le deuxième directeur Palmieri, donne sa véritable impulsion à l'observatoire : passionné d'instrumentation, il y conçoit un sismographe électromagnétique. Cet instrument permettra de mesurer la sismicité sous le Vésuve et en Italie du sud. En étudiant les relations entre l'activité sismique et volcanique, Palmieri découvre qu'il existe une possibilité de prévision volcanique. Il installe par la suite d'autres appareils de mesure pour détecter en continu les différentes variations du volcan : ce sont les premiers pas de la surveillance systématique des systèmes volcaniques actifs. Parmi les directeurs qui lui succèdent, signalons Mercalli, l'inventeur de l'échelle d'intensité des séismes et de la première classification moderne des éruptions volcaniques.

Le bâtiment historique a été transformé en musée, où sont exposées les collections d'instruments de mesure et de roches volcaniques. Le nouvel observatoire se trouve dans la ville de Naples et est dirigé par le Professeur Lucia Civetta. Il organise la surveillance des volcans de la région campanienne : le Vésuve et les Champs Phlégréens.

La surveillance en continu de cette zone a pour but de prédire à court terme la reprise de l'activité éruptive et d'alerter les autorités qui décident alors d'activer -ou non- le plan d'urgence. On ne sait cependant pas encore prévoir l'intensité et le moment exact d'une éruption (surtout dans le cas d'une éruption explosive). L'évaluation du danger d'après les informations scientifiques centralisées à l'observatoire conditionne l'organisation du plan d'urgence.

En mai 1997, le réseau de surveillance du Vésuve comprend des sismographes, des capteurs de déformation, des gravimètres, des capteurs géochimiques et des mesures de température (figure III.1*).

· Le réseau sismique permanent comprend 9 stations analogiques 1-composante et une station 3-composantes. Les signaux sismiques (échantillonnés à 100 Hz) sont transmis par radio : les stations sont connectées à un ordinateur qui permet l'acquisition en continu. Les signaux enregistrés par les stations situées au NE, sont ensuite transmis à la station de Nola, ceux des stations au SE sont transmis à la station CPV par un système intégré de radiotéléphones. Ces deux stations transmettent ensuite les données à l'observatoire. Six stations 3-composantes supplémentaires sont en cours d'installation (stations digitales, Mark L4C).

Les déformations du sol sont surveillées de différentes manières : nivellement géodésique et planimétrie, mesures par GPS, inclinométrie, marégraphes. Le réseau géodésique comprend des mesures des déformations verticales et horizontales du sol (variations d'altitude et de distance entre points fixes du sol).

· Le réseau de nivellement consiste en 284 points de mesure distribués en 15 circuits fermés, représentant une longueur totale de 220 km. Il s'étend de Naples à la péninsule de Sorrento.

· Le réseau de planimétrie du Vésuve est constitué de 21 points permettant la mesure de 60 lignes.

Ces deux réseaux sont mesurés tous les ans.

·

Pour permettre la surveillance de toute la région du Vésuve (Champs Phlégréens compris), un réseau GPS a été installé. Pour cela, 20 points de mesures ont été identifiés pour le Vésuve, et 12 pour les Champs Phlégréens.

· Un inclinomètre complètement autonome est installé dans la cave de l'OV (un tranducer 2-composantes équipé d'un capteur de température). Les données sont télétransmises au centre de surveillance. Deux stations supplémentaires ont été installées et sont encore en cours de test à l'heure où nous écrivons ce rapport.

· Des mesures du niveau de la mer sont effectuées pour détecter les mouvements verticaux du sol dans la région du Vésuve. Les marégraphes sont installés à Torre del Greco, Castellammare di Stabia et Naples. Notons que la station de Naples, utilisée également pour les Champs Phlégréens, fait partie d'un réseau européen d'étude des variations à long terme du niveau de la mer.

· Le réseau gravimétrique a été implanté en 1982, et comprend, en mai 1997, 32 points. La station de référence est installée dans l'ancien observatoire.(sur le flanc NW du volcan). Les mesures sont réalisées par un gravimètre Lacoste & Romberg mod D no 126 équipé d'un système de feed-back.

· La surveillance géochimique comprend des mesures de radon dans des puits et dans le sol et le contrôle régulier des bouches actives (analyse de la composition des fumerolles dans la zone du cratère, analyses isotopiques). Les mesures de H2, CO2, Rn, He et de flux gazeux sont réalisées en continu.

Le traitement des données se fait en temps réel pour les données sismologiques (la localisation est effectuée à l'observatoire au fur et à mesure que les données arrivent, le calcul de magnitude est également automatisé). Les données de déformation sont analysées après chaque campagne de mesure.

Que peut-on dire de l'activité récente du Vésuve ? Une pointe d'activité a été enregistrée en novembre-décembre 94 (145 séismes dont 18 avaient une magnitude comprise entre 2,0 et 2,6). De janvier à juillet 95, la sismicité a retrouvé son niveau de base. La période allant de juillet 95 à mai 96 a été marquée par une nouvelle reprise d'activité (450 séismes de magnitude comprise entre 1 et 3,4). Depuis, la sismicité est redevenue quasiment normale : quelques dizaines de séismes par mois de faible énergie, de magnitude inférieure à 2,8 et localisés sous le cratère à des profondeurs superficielles (inférieures à 4 km). La nature des signaux ne révèle pas de mouvements de fluide.

La comparaison des mesures de déformation de 1994 à celles de 1992 ne montre pas de déplacements significatifs . En revanche, on détecte un mouvement de subsidence entre 1986 à 1994 (1-5 mm/an). Cette tendance est localisée et interprétée comme une compaction locale des zones de débris volcaniques. On ne voit pas non plus de déformation horizontale significative.

Les mesures de gravimétrie réalisées mars 1996 confirment la distribution générale des variations de champ de gravité : une zone négative à la base du cône et une zone positive autour de Torre del Greco.

L'absence de déformation sensible et de sismicité importante montre que la redistribution des masses dans le sous-sol doit se faire par des fissures préexistantes.

L'équipement de l'observatoire est donc en train d'évoluer : le plus vieil observatoire du monde, veillant sur le volcan européen le plus dangereux, avait besoin d'un souffle de modernité. Il semble que cette réorganisation soit en cours avec l'installation de nouvelles stations sismiques 3-composantes, la mise en place d'un réseau GPS, l'organisation d'une banque de données (opérationnelle en 1997) et l'ouverture dans les prochains mois d'un site WEB, pour présenter l'observatoire et fournir des informations sur l'activité du volcan.

B) LE PLAN D'EVACUATION DU VESUVE

A la fin de l'année 1995, les autorités civiles et l'observatoire du Vésuve ont mis en place en un nouveau plan d'évacuation de la zone vésuvienne, basé sur un scénario éruptif qui, s'il survenait dans les 20 prochaines années, entraînerait l'évacuation d'au moins 700 000 personnes. La conception de ce scénario se base sur l'hypothèse que le prochain grand événement touchera les mêmes zones, de la même façon qu'un des derniers grands événements historiques. Les études réalisées par le Gruppo Nazionale di Vulcanologia (GNV) ont établi que l'éruption maximale attendue dans les prochaines dizaines d'années serait similaire à celle de 1631. C'est sur cette base qu'une zonation du danger (cartographie des zones probablement touchées en cas d'éruption) a été réalisée.

Le scénario catastrophe prévoit une série d'explosions associées à la réouverture du conduit, précédée d'une sismicité intense, de soulèvements du sol, de formation de nouvelles fumerolles et d'ouverture de fissures. Une colonne éruptive composée de vapeur, de gaz, de fragments de magma plus ou moins solidifiés, sortira du volcan et atteindra une hauteur d'une dizaine de kilomètres. La nuée retombera en pluie de cendres et en bombes volcaniques dans la zone sous le vent, recouvrira routes et toits, et rendra la respiration difficile. Puis la colonne éruptive s'écroulera générant des écoulements pyroclastiques*, qui dévaleront à grande vitesse les pentes du volcan, détruisant tout sur leur passage. Face à ce type d'éruption, l'unique défense est l'éloignement des populations de la zone à plus grand risque, avant le début de l'éruption.

Le plan d'urgence individualise 2 domaines principaux d'intervention : la zone à plus haut risque (zone rouge) comprend les 18 communes les plus directement exposées ; la seconde zone (zone jaune) pourrait n'être que partiellement touchée, elle concerne 59 communes des provinces de Naples et de Salerne (voir figure III.2*).

Dans la zone rouge, l'évacuation totale de la population -environ 700 000 personnes- est prévue. Réalisée par camions et trains, elle devra être rapide (quelques jours seulement). L'hébergement en dehors de la région campanienne sera facilité grâce au système de jumelage entre toutes les régions italiennes. Dans la zone jaune, l'évacuation totale de la population n'est pas envisagée ; une évacuation partielle pourrait être décidée en fonction de paramètres non prévisibles a priori, comme la direction et la vitesse du vent. Dans cette zone, la population susceptible d'être évacuée -estimée à 100 000 personnes- serait accueillie en Campanie.

Les évidences historiques de l'existence de précurseurs et la connaissance du système volcanique ont permis d'articuler le plan d'urgence en 6 phases, en fonction de niveaux d'activité croissants notés de 1 à 7. Ces niveaux d'alerte sont définis à partir des variations de la sismicité, des déformations du sol (et des variations des paramètres géophysiques et géochimiques cités précédemment). Le niveau d'alerte 0 correspond à l'activité du Vésuve de ces dernières décennies (absence de déformation du sol, sismicité basse, absence de variation significative des champs de gravité et magnétique, valeurs constantes de compositions des fumerolles et valeurs décroissantes de la température). Les 7 niveaux d'alerte sont associés aux 6 phases du plan d'urgence de la façon suivante (voir résumé ci-dessous et figure III.3*) :

VESUVE : PLAN d'URGENCE 1995 (résumé)

PHASE I

(niveaux d'alerte 1 et 2)

sismicité anormale

Phase d'attention particulière qui peut durer longtemps

PHASE II

(niveau d'alerte 3)

 

Pré-alarme :

déclaration de l'état d'urgence

un commissaire délégué est nommé pour diriger les opérations

PHASE III

(niveau d'alerte 4)

 

Alarme :

évacuation des 18 communes de la zone rouge par bateaux, trains et cars vers les régions jumelées

PHASE IV

(niveau d'alerte 5)

 

Attente :

la zone rouge est interdite et ses frontières sont surveillées

PHASE V

(niveau d'alerte 6)

 

Eruption 

PHASE VI

(niveau d'alerte 7)

 

L'après-éruption :

état des lieux et organisation du retour de la population

L'organisation logistique de ces diverses opérations réquisitionnera 16 500 personnes des différents corps et brigades des forces de l'ordre (personale della Polizia di Stato, dei Carabinieri, della Guardia di Finanza, dei vigili del fuoco, del Corpo Forestale, dell'Esercito, della CRI ), ainsi que des volontaires.

Le concept du jumelage rationalise les ressources disponibles dans le pays et implique toutes les régions italiennes. Il est conçu pour assurer aux populations déplacées, une continuité des services publiques, la scolarisation des enfants, etc. Le retour de la population après l'éruption se fera progressivement, en fonction de l'amplitude des dégâts produits.

Révisé en 1995, le plan d'évacuation s'appuie sur des efforts de coordination au niveau national entre les divers acteurs. Le risque volcanique est malheureusement très difficile à évaluer au Vésuve. En outre, il pose certaines questions :

    ù Quel sera l'intervalle de temps entre les premiers précurseurs et l'éruption ? Observera-t-on les 7 niveaux d'activité définis dans le plan ? Seront-ils réellement " dissociables " ? Aura-t-on le temps d'évacuer 700 000 personnes d'une zone ayant un réseau routier déjà très encombré ?

    ù Un effort de sensibilisation de la population est mené par les autorités, mais ce travail est de longue haleine, dans une région où l'urbanisation croissante obéit à des intérêts qui ne prennent pas en compte le risque volcanique.

    ù Une fois les informations scientifiques communiquées par les volcanologues aux autorités, la responsabilité d'évacuation revient à ces derniers. Dans le cas du Vésuve, cette responsabilité est énorme. Le coût de l'opération, les risques de panique encourus et une mauvaise évaluation de la situation pourraient conduire les autorités à ne pas ordonner l'évacuation.

Inversement, une évacuation qui ne serait pas suivie d'une éruption pose un problème grave de crédibilité pour les crises suivantes.

Dans le cas d'une évacuation réussie, il reste la gestion du retour de la population : quand et comment fait-on revenir les 700 000 évacués de la zone rouge ?

Il apparaît donc que, si l'on s'accorde de manière générale sur les méthodes de surveillance, la conception et l'application du plan d'urgence au Vésuve dépend de facteurs démographiques, économiques et culturels complexes et assez mal contraints.

Annexe IIIa :

LES CHAMPS PHLEGREENS

L'immense caldeira des Champs Phlégréens ( 12 km de diamètre) compte actuellement une cinquantaine de centres éruptifs. Deux événements majeurs marquent l'histoire volcanique de cette zone :

1. Il y a 35 000 ans, un véritable cataclysme, l'éruption ignimbritique* campanienne, donne naissance à la caldeira et émet plus de 80 km3 de tufs*, ce qui représente un volume gigantesque (pour comparaison, le Pinatubo a éjecté entre 5 et 10 km3 de magma en 1991).

2. Il y a 12 000 ans, l'éruption dite de tuf jaune recouvrit la plaine campanienne sur près de 1 000 km2, avec un volume de tufs estimé entre 10 et 30 km3.

L'histoire volcanique plus récente, assez bien documentée, grâce aux archives de l'Eglise, relate des périodes de bradyséismes : phénomènes d'élévation et d'affaissement cycliques du sol. L'une d'entre elle est responsable notamment de la disparition de la ville romaine de Baia sous 15 m d'eau. La dernière manifestation éruptive donna naissance au Monte Nuovo (cône volcanique de 150 m de hauteur) en septembre 1538, avec environ 0,01-0,02 km3 de matériaux éjectés.

Depuis, les Champs Phlégréens connaissent régulièrement des crises d'intense déformation. Au cours de l'avant-dernière crise, de 1969 à 1972, les premières mesures des mouvements du sol au centre de la ville de Pouzzoles ont été effectuées : du niveau 0, en 1970, on est passé à 0,70 mètre à la fin de la crise en 1972. Dix ans plus tard, en juillet 82, une nouvelle crise s'annonce. Une élévation du sol de 50 cm suivie d'une centaine de secousses sismiques locales la confirment en mars 1983. L'activité va crescendo, et devient préoccupante dès octobre. Le 1er avril 1984, 500 séismes sont enregistrés en 6 heures et, en octobre, la protection civile décide d'évacuer 20 000 personnes vivant dans des immeubles et maisons fragilisés par les secousses répétées. Le niveau de déformation du sol a atteint 2,30 mètres en 1985. Ces derniers épisodes montrent que l'absence d'éruption n'est pas synonyme d'arrêt de l'activité volcanique.

Les Champs Phlégréens sont actuellement surveillés par l'observatoire du Vésuve. Leur histoire montre qu'une reprise d'activité devrait être précédée et accompagnée par des variations importantes du taux de sismicité et de déformation du sol et serait donc détectable. Les responsables de l'observatoire du Vésuve prévoient une prochaine éruption de type phréatique* ou phréato-magmatique, et de modeste intensité en terme de volume de magma émis. En première approximation une migration de la population vers le nord, nord-ouest de 30 km serait donc suffisante.

IV - LE MERAPI EN INDONESIE

Coopération internationale et hiérarchisation des tâches

Le Mérapi, édifice andésitique, situé au centre de l'île de Java, au nord de la ville de Yogyakarta, est sans doute le volcan le plus actif de toute l'Indonésie 7. Ses éruptions explosives et ses produits volcaniques (nuées ardentes, ...) menacent directement plus de 80 000 personnes (figure IV.1). Son activité se manifeste par de petites éruptions tous les 2-3 ans, de plus grosses tous les 10-15 ans, de très grosses tous les 50-60 ans 8.

Depuis janvier 1992, le Mérapi est entré dans une nouvelle phase éruptive caractérisée par l'extrusion d'un dôme de lave visqueuse. A plusieurs reprises entre décembre 1992 et mars 1996, la destruction partielle du dôme de lave a provoqué la descente de nuées ardentes parfois très meurtrières (64 victimes en novembre 1994, 6 000 personnes évacuées).

Le 11 août 1996, le Mérapi se réactive et, en novembre de la même année, plusieurs villages doivent être évacués. Le 17 janvier 1997 fut marqué par une éruption explosive de très forte intensité avec émission de laves incandescentes et nuages de cendres 9.

Au Mérapi, le risque associé aux lahars (coulées de boue qui se forment lorsque des pluies abondantes tombent sur les coulées de cendres) constitue une seconde menace naturelle importante pour les populations.

A) L'OBSERVATOIRE DU MERAPI

L'Indonésie et ses 129 volcans actifs compte une cinquantaine de petits observatoires volcaniques dont 5 appartiennent au domaine du Mérapi, dans l'île de Java.

Implantés sur les flancs du volcan, les observatoires du Mérapi (Kaliurang, Babadan, Ngedos, Jrakah et Selo) sont de taille réduite : 3 hommes (des villageois qui ont appris à lire les enregistrements sismiques) s'y relaient nuit et jour pour surveiller de près l'activité du volcan : sismicité (un sismographe au moins par observatoire), météorologie, observations visuelles du sommet. Tous les jours, par radio, ils envoient ces informations au MVO, l'observatoire central basé à Yogyakarta (figure IV.2*).

Fig IV.1 : Le Mérapi est situé sur l'île de Java, au nord de Yogyajarta

A la fois organisme de recherche et de surveillance, le MVO (Merapi Volcano Observatory) dépend directement de la Division Recherche du Bureau Volcanologique d'Indonésie (le VSI 10 pour " Volcanological Survey of Indonésia "). Il centralise les données scientifiques et doit rendre compte -à partir de ces observations- du niveau d'activité du volcan.

Regroupées en équipes par discipline (inclinométrie, sismologie, magnétisme, géochimie, gravimétrie), les 60 personnes qui y travaillent ont été aussi formées pour faire face aux pannes du matériel scientifique (enregistreur, capteurs...). Cet aspect des choses n'est pas anodin à l'observatoire : en effet, celui-ci fonctionnant sur un très petit budget, de nombreux pays (France, Etats-Unis, Japon, Allemagne) l'ont sponsorisé avec leur équipement.

Ceci explique en partie pourquoi la maintenance du réseau de surveillance est un peu plus complexe qu'ailleurs (par exemple, le réseau d'inclinométrie est constitué d'appareils français et allemand). En mai 1997, le réseau du Mérapi comprend (figure IV.3*) :

· 10 stations sismologiques (une seule station 3-composantes), télétransmises au MVO (signaux analogiques numérisés à l'observatoire par l'équipe responsable)

· 6 stations magnétiques télétransmises par modulation de fréquence

· 6 stations d'inclinométrie lointaines, sur les flancs du volcan, une dizaine d'autres sont installées au sommet. La transmission par télémétrie est numérique.

· 2 extensomètres au sommet, télétransmis

· 1 gravimètre fonctionne en continu sur un des flancs du volcan

· 1 réseau gravimétrique (comportant une vingtaine de points) est mesuré chaque année par une équipe de l'Institut de Physique du Globe de Paris (Laboratoire de gravimétrie et géodynamique dirigée par Michel Diament)

· 1 réseau GPS (15 points) est mesuré 1 à 2 fois par an par l'équipe de l'observatoire

· des mesures EDM (visées laser) sont effectuées régulièrement

· des mesures géochimiques (température et composition des fumerolles, analyse d'échantillons provenant du dôme de lave, ...) sont réalisées chaque mois au sommet du volcan

· une analyse quotidienne du taux de SO2 (appareil COSPEC)

D'autres appareils allemands (GPS continu) et japonais sont en cours d'installation.

Rappelons que ces différentes mesures sont complétées par les observations visuelles et les données météorologiques des 5 postes d'observation (transmission quotidienne par radio au MVO).

Dans le cadre d'un accord gouvernemental avec l'Indonésie, la France a installé depuis le début des années 90 une dizaine de stations permanentes au Merapi (inclinomètres, sismomètres, magnétomètres), et y envoie tous les 14 mois un coopérant 11 (CSN). Ce programme de coopération scientifique, mis en place en 1986 et coordonné côté français par Georges Poupinet (Université de Grenoble) et côté indonésien par le directeur du VSI, le Professeur Wimpy Tjetjep, est renouvelé tous les cinq ans 12.

Cet accord de coopération scientifique implique un grand nombre de laboratoires français (IPGP 13, LGO 14, CRV 15, etc.). Pour nos chercheurs, il ne s'agit pas de " faire de la prévision " au Mérapi mais d'acquérir une expérience de longue durée sur un volcan andésitique actif afin d'améliorer le système actuel de surveillance des deux volcans français explosifs (la Montagne Pelée à la Martinique et la Soufrière de Guadeloupe). Ce retour d'expérience est essentiel à la gestion du risque volcanique dans les Antilles françaises.

L'accord de coopération facilite aussi l'accueil de jeunes scientifiques indonésiens qui viennent effectuer un stage, un DEA ou une thèse dans les laboratoires français.

B) LE PLAN D'EVACUATION AU MERAPI

En Indonésie, comme dans d'autres pays où la menace volcanique est importante, les responsables du plan d'évacuation sont les représentants gouvernementaux. Un bureau national pour la prévention et la gestion des catastrophes naturelles a été mis en place. Ses membres appartiennent à différents ministères et corps administratifs : ministères des Affaires Sociales, de l'Intérieur, de la Santé, des Transports, des Travaux Publics, Armée, gouverneurs de provinces. En période calme, les informations scientifiques sont publiées chaque semaine par le MVO dans un bulletin 16 (1-3 pages) envoyé au VSI, qui résume les différents types d'observations et le niveau d'activité du volcan (figure IV.4*). Le VSI informe le Département général des ressources minières et géologiques de tout changement d'activité. Le cas échéant, c'est ce dernier organisme qui prévient les responsables gouvernementaux. Le VSI (et le MVO) ont pour mission d'évaluer le risque volcanique qualitativement et quantitativement.

A l'époque où nous écrivons ce rapport (mai 1997), le système d'alerte du Mérapi a été allégé. De 5 degrés d'alerte, on est passé à 4 degrés pour faciliter et accélérer le processus décisionnel en cas de crise. Ces 4 niveaux d'alerte correspondent à des états d'activité croissants du volcan (tableau 4.1) :

NIVEAUX

ACTIVITÉ VOLCANIQUE

I

NORMAL

Les observations visuelles et les données sismiques sont normales.

II

ATTENTION (WASPADA)

Les observations visuelles (lointain plus visite) et les données sismiques révèlent une reprise d'activité.

III

PRÊT (SIAGA/SIAP)

L'activité sismique est plus forte. La source des séismes remonte et l'énergie cumulée des séismes augmente. Une éruption est probable. On se tient prêt.

IV

ALERTE (AWAS)

L'évacuation est nécessaire (conseil).

Tableau 4.1 : Les quatre niveaux d'activité du Mérapi définis par le VSI

Au Merapi, la carte du risque volcanique établie par le VSI fait apparaître trois secteurs géographiques, trois couleurs qui correspondent aux zones les plus menacées (figure IV.5* et tableau 4.2) :

 

Nombre de villages

Superficie

(km2)

Population

(hab.)

Densité de la population

(hab. par km2)

Taux de croissance de la population

Altitude >200 m

296

    949

1 083 400

1 399

    3,6

Altitude > 500 m

89

    374,5

258 200

690

    3

Zone Rouge

32

    186,4

79 100

424

    3,9

Zone Jaune

37

    100,8

114 800

1 139

    3,6

Tableau 4.2 : Distribution de la population autour du Mérapi
(source : A guide book for Merapi volcano, VSI, Octobre 1995)

Le plan d'évacuation au Mérapi est construit de la façon suivante : l'alerte IV peut n'affecter qu'une seule des trois zones (dans ce cas, la zone Rouge) et ne donner lieu qu'à une évacuation partielle (quelques villages 17). Lorsque le risque est plus important et/ou bien défini géographiquement, l'alerte peut toucher plusieurs zones (par exemple, la Rouge et la Jaune). Les niveaux d'alerte intermédiaires (II et III) sont appliquées en général à toutes les zones en même temps : Rouge, Jaune et Bleue. Dès le niveau III, les militaires sont réquisitionnés et présents sur le terrain.

_ La Zone Rouge (" Forbidden Zone ", zone centrale sombre sur la figure jointe) entoure le volcan. Elle est de loin la zone la plus touchée par les nuées ardentes et les nuages de cendres. D'après le dernier recensement (1995), 79 100 personnes vivent dans cette zone.

_ La Zone Jaune (" First hazardous zone ", zone délimitée par un trait épais sur la figure jointe) a été affectée à plusieurs reprises par des retombées pyroclastiques. Sa population actuelle avoisine 115 000 personnes.

_ La Zone Bleue (" Second hazardous zone ", langues périphériques sur la figure jointe) correspond aux vallées des rivières. Sa topographie basse la rend très vulnérable aux effets des lahars.

Comment la circulation de l'information est-elle assurée ? Comment l'évacuation est-elle perçue par la population ? Tous les scientifiques français interviewés sont unanimes pour dire qu'au Mérapi, la gestion des crises volcaniques s'effectue dans le calme et de façon ordonnée. Si une évacuation s'avère nécessaire et est décidée par les responsables gouvernementaux, le MVO téléphone aux chefs de districts concernés (quelques villages) lesquels préviennent les chefs de villages. Ces derniers annoncent alors aux chefs de quartiers l'ordre d'évacuer (il y a dans chaque village un " tam-tam " ou une sirène qui prévient tout le monde) (figure IV.6).

L'organisation pyramidale de la vie sociale facilite la gestion des crises : les habitants sont prévenus rapidement et suivent les recommandations. L'armée se charge alors de transporter par camions les évacués dans les zones protégées. Les résistances sont rares mais peuvent se produire (dans ce cas, on ne force pas les villageois à partir).

1  Les volumes de laves estimés sont 2.10m3 pour l'éruption de 1663 et 3.10m3 pour celle de 1792.

2  La mise en place de ce système est annoncé dans le " Disaster Countermeasures Basic Act " japonais.

3  C'est dans cette éruption que périrent les volcanologues français Maurice et Katia Krafft.

4  Cette éruption a été annoncée par une sismicité anormale à partir du mois de décembre 1992.

5  Dans cette technique, un hélicoptère -positionné grâce au système GPS- va suivre par visée infrarouge le mouvement de plusieurs points du dôme de lave.

6  Leur projet de recherche détaillé doit être préalablement envoyé au directeur du SRU à Trinidad et au directeur scientifique de l'observatoire de Montserrat.

7  L'Indonésie compte 129 volcans actifs.

8  Les plus grosses éruptions sont celles de 1003, 1786, 1822 et 1930.

9  Cette explosion fut précédée d'environ quatre-vingts nuées ardentes.

10  Le VSI, dirigé par le Professeur Wimpy Tjetjep, dépend du ministère des Mines.

11  Le CSN est payé par la Délégation aux Risques Majeurs ou par le MAE (alternance).

12  En France, le responsable de l'accord est le délégué aux Risques Majeurs. Le prochain renouvellement de l'accord est prévu pour 1997.

13  IPGP : Institut de Physique du Globe de Paris (Laboratoire de gravimétrie et géodynamique, laboratoire de sismologie).

14  LGO : Laboratoire de géophysique d'Orléans.

15  CRV : Centre de Recherche en Volcanologie (Clermont-Ferrand).

16  Chaque semaine, les scientifiques du MVO se réunissent pour faire un bilan des 7 derniers jours. Cette réunion est quotidienne dès le deuxième niveau d'alerte.

17  En janvier 1997, 600 personnes ont été évacuées de la Zone Rouge.