Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires
Deuxième partie :

La reconversion des stocks de plutonium militaire
L'utilisation des aides accordées aux pays d'Europe centrale
et orientale et aux nouveaux États indépendants

Par M. Claude Birraux,
Député

Première partie
La reconversion à des fins civiles des stocks de plutonium militaire
(suite)

Chapitre 3 : Le programme américain 37

Section I : Le débat scientifique américain 37

Section II : Le débat politique américain 42

Section III : La mise en _uvre des solutions retenues 45
A - La solution du stockage a du mal à être engagée 45
B - Le recours à la solution du MOX est engagé 45

Section IV : La coopération américano-russe 48
A - L'exigence américaine d'un effort international accru 48
B - Les conditions mises par les Etats-Unis à la mise en place d'un dispositif global 49

Chapitre 3 : Le programme américain

Les questions de non-prolifération revêtent une importance considérable pour l'opinion publique américaine, bien supérieure à ce qu'elle est en France.

Section I : Le débat scientifique américain

Dès la mise en _uvre des premiers accords de démantèlement, la question du devenir du plutonium militaire américain s'est posée. Ils résultent de la politique initiée par le traité START 1 de 1991 entre les USA et la Russie puis par le traité Start 2 de 1993.

Aussi dès 1992 le Président Clinton a-t-il pris la décision d'éliminer le plutonium militaire déclaré en surplus.

A partir de cette décision, le Département de l'énergie (DOE) et l'Académie américaine des Sciences ont étudié de 1993 à 1996 les solutions technico-économiques pour aboutir en 1997 à la décision du DOE de poursuivre l'approche « dual-track » (MOX et immobilisation).

Le Ministère américain de l'énergie (DOE) a balayé, avec l'Académie des Sciences, une quarantaine de solutions possibles pour essayer de parvenir à la destruction de ces stocks, considérés par le Gouvernement américain comme posant un danger clair et immédiat à la sécurité nationale et internationale (« these materials pose a clear and present danger to national and international security »1) . Cette décision a conduit à une série de rapports du DOE et de la NSA (avec le concours notamment des laboratoires de Los Alamos et de Lawrence Livermore), destinés à faire le point sur les différents aspects du dossier (techniques, environnementaux, économiques, non-prolifération, ... ).

Au terme de quatre ans de réflexion deux solutions se sont dégagées pour être retenues à la fin de 1996 par le Ministère américain de l'énergie (DOE) : la vitrification des déchets hétérogènes de haute activité et, deuxième schéma, l'intégration du plutonium dans du combustible pour produire de l'électricité.

Le préjugé dominant au départ était favorable au stockage, de préférence à l'incorporation du plutonium dans du combustible. En effet le stockage apparaissait plus facile et plus rapide à mettre en _uvre. Mais, après étude il est apparu que l'intégration du plutonium dans du combustible MOX permettrait de retraiter les deux tiers du plutonium concerné par ce programme.

Cette approche a conduit le Ministère américain de l'énergie (DOE) à mettre en place un programme comportant trois composantes :

- Le démantèlement/conversion qui comprend le contrat de conception attribué à Raytheon en 1998 pour un démarrage de l'installation prévu en 2005.

- Le projet MOX qui correspond au contrat de conception et de qualification, attribué à Duke-Cogema-Stone & webster en mars 1999 pour un démarrage de l'installation prévu en 2007 permettant de brûler ce combustible jusqu'en 2022 dans quatre réacteurs2.

- L'immobilisation : l'appel d'offre pour le contrat de conception n'a pas encore été publié pour un démarrage théorique de l'installation prévu en 2007.

Le rythme américain d'élimination du plutonium correspond à un régime de croisière annuel de trois tonnes qui conduit à un programme étalé sur quinze ans.

(Une carte du plutonium aux Etats-Unis n'a pas été reproduite.)

Section II : Le débat politique américain

Tous mes interlocuteurs américains ont insisté sur le fait qu'aux États-Unis la tolérance est plus grande vis-à-vis des programmes militaires que des programmes civils or, nous nous situons ici à la charnière du militaire et du civil ce qui rend relativement difficile l'appréciation des réactions à venir de l'opinion publique.

Certes, l'objectif d'élimination du plutonium militaire en excédent aux Etats-Unis explique le consensus assez général sur ce point, du moins pour le moment, qui s'accompagne de fortes réserves sur la coopération avec la Russie, soupçonnée de souhaiter utiliser ce programme pour renforcer l'énergie nucléaire, alors que pour les Américains il est limité en durée. J'ai pu ressentir également la crainte que l'arrivée au pouvoir de l'équipe Bush ne se traduise par la mise en place de personnalités moins sensibles à l'approche environnementale. Toutefois, pour certains de mes interlocuteurs du Carnégie Institute les mouvements antinucléaires n'accepteront jamais un usage commercial de réacteurs fonctionnant au plutonium et défendront à tout prix la politique d'immobilisation car ce n'est pas le MOX le problème mais le plutonium. Ils ont également souligné que les Etats-Unis n'avaient pas à l'échelon fédéral de véritable politique énergétique et, que de ce fait nous ne devions pas prêter au problème de la reconversion des stocks de plutonium d'origine militaire trop d'importance sur le plan de la politique intérieure américaine.

D'autres interlocuteurs, plus proches de la sensibilité écologiste, tel Thomas B Cochran, Director nuclear programm de la NRDC3, ont insisté sur leur méconnaissance des stocks réels de plutonium russe et la nécessité de réduire leur niveau. Ils se sont montrés sensibles au fait que le programme américain n'incluait que des réacteurs existants et ont manifesté leurs craintes devant les projets russes d'importation de plutonium. A leurs yeux l'opposition des Verts est réelle même s'ils admettent que cette question n'a aucune influence sur les élections américaines.

Le Sénateur Pete Dominici qui suit particulièrement ces débats au sein du Sénat américain m'a adressé le message suivant 4qui reflète, me semble-t-il, une partie de la sensibilité américaine telle que j'ai pu la percevoir au cours du déplacement que j'ai effectué aux États-Unis :

« ...La fin de la Guerre Froide a présenté de nouvelles possibilités et de nouveaux défis au monde puisque la menace de confrontation globale a été fortement réduite. Le monde n'est cependant toujours pas un endroit très sûr. Les conflits localisés et le terrorisme international représentent encore une menace véritable et ils sont suffisamment sérieux, avec des armes conventionnelles ou traditionnelles. Si l'on y ajoutait des armes nucléaires, leurs conséquences seraient extrêmement graves.

« Il est donc dans l'intérêt de tous d'éviter la dissémination des armes nucléaires au-delà des états qui en disposent actuellement. Ces états doivent être très prudents et ne pas encourager les fuites. Les États-Unis et la Russie possèdent d'énormes stocks de produits de qualité militaire, certains dans les armes, d'autres en stockage. J'espère qu'une réduction continue de ces armes se produira et augmentera les volumes stockés.

« Dans le système soviétique, les armes et les matières pour les armes ont été gardées par du personnel extrêmement bien rémunéré. Des contrôles très rigides existaient et ces matières pour les armes ne pouvaient être déplacées sans que le Gouvernement ne le sache. Après l'effondrement de l'Union Soviétique, les conditions sont devenues plus inquiétantes et la sécurité de ces matières pour les armes s'est dégradée, accompagnée de toute une série de chocs socio-économiques. Nous sommes par conséquent très préoccupés par l'avenir.

« J'ai essayé de voir ce que faisaient les États-Unis à ce sujet et j'ai dirigé une étude en 1998 pour le Centre d'Études Internationales et Stratégiques. Cette étude a confirmé les conclusions d'une précédente étude de l'Académie Nationale des Sciences : ce plutonium de qualité militaire présente un véritable danger pour la paix et la sécurité mondiale. J'ai encouragé le soutien au programme américain et l'assistance à la Russie afin que les contrôles sur les matières fissiles puissent être améliorés. Ce programme seul s'élève à 174 millions par an. Nous appuyons la construction de l'utilisation Mayak5 pour le stockage de matières de qualité militaire avec les sauvegardes ou les normes de l'AIEA ainsi que d'autres programmes tels l'initiative des villes nucléaires et la prévention de la prolifération qui visent au même objectif.

« Ceci dit, l'aspect principal de l'étude de 1998 et l'un des plus grands défis se présentant à nous est l'élimination de ces matières. Un programme actif concernant l'uranium existe : il consiste à mélanger ces matières et à les réduire de façon à pouvoir les utiliser dans des réacteurs civils. Les enjeux sont plus importants s'agissant du plutonium. Aux États-Unis, nous avons une double approche pour l'utilisation du plutonium : le MOX et l'immobilisation. Je suis en faveur du MOX, je considère que l'immobilisation est une alternative plus faible et crée une sorte de mine de plutonium susceptible d'être exploitée par la suite. La solution du MOX fait que le plutonium devient du combustible usé et permet de récupérer le potentiel énergétique du plutonium.

« Lors de mes contacts avec la Russie, il a été clairement exclu de parler de l'utilisation du plutonium si nous ne pouvions le récupérer à des fins énergétiques. J'ai également noté les préoccupations concernant la solution de l'immobilisation.

« Lorsque je suis venu en France en 1998, j'ai rencontré les dirigeants du Parlement afin d'explorer cette idée du MOX. J'ai proposé que l'expérience française relative à la fabrication et à l'utilisation du MOX soit utilisée afin d'augmenter l'utilisation du plutonium russe.

« Les Français ne semblent cependant pas très enthousiastes à l'idée d'utiliser leurs installations de fabrication pour faire du MOX militaire ou pour utiliser ce MOX dans les réacteurs en France.

« La plupart des dirigeants français ont prévenu qu'un équilibre devait être trouvé entre la production d'énergie et l'utilisation du plutonium civil et que nous devions effectuer une séparation claire entre le civil et le militaire. Certains ont affirmé que ma proposition mêlait l'aspect civil et l'aspect militaire. Je pense cependant que la destruction de plutonium militaire dans des réacteurs civils serait un compromis acceptable qui supprimerait la menace pour les populations civiles. Lors de cette visite, j'ai été heureux de constater un certain enthousiasme à l'idée d'utiliser les compétences françaises et de les partager avec la Russie. Depuis 1998, je me suis concentré sur certaines démarches qui permettraient à la fois à la Russie et aux États-Unis de disposer de leur surplus de plutonium. En 1998, le Congrès a mis de côté 200 M$ afin d'aider la Russie dans ces programmes MOX.»

Le Sénateur Dominici a un discours extrêmement clair, et le programme américain de neutralisation du plutonium militaire ne fait pas véritablement l'objet de contestations internes, du moins à ce que j'ai pu juger lors de ma mission aux États-Unis. Les seules critiques significatives que j'ai pu noter, émanant en particulier du Président de la Commission des affaires étrangères du Sénat, le Sénateur Helmes6, portent sur la nécessité et l'ampleur de l'aide américaine au programme russe équivalent.

A la différence de la Russie ou de la France, les États-Unis ne conçoivent pas la mise en _uvre d'une politique énergétique volontariste, les problèmes d'alimentation en électricité que vient de rencontrer la Californie les incitera peut-être à changer d'avis, mais plusieurs de mes interlocuteurs américains ont insisté sur cette dimension qui explique que la mise en _uvre de ce programme d'élimination du plutonium ne soit pas conçu autrement que comme un volet de la politique de non-prolifération. Ce n'est en aucun cas un élément d'une relance d'une politique de production d'énergie nucléaire.

Cette dernière, surtout avec l'arrivée d'une administration républicaine n'est pas pour autant exclue : elle ne devrait pas toutefois être engagée dans l'immédiat car si l'exploitation des centrales nucléaires se porte bien (103 réacteurs sont en fonction aujourd'hui contre 112 au lendemain de Three Miles Island) les conditions économiques nécessaires à la construction de nouvelles centrales ne sont pas réunies : la rentabilité du capital investi n'est pas suffisante pour un secteur en voie de dérégulation : le coût du capital allié à la crainte d'une diminution des prix si la production augmente trop rapidement, ou si l'on préfère l'absence de visibilité à moyen terme du niveau des prix (les prix moyens varient de 5 à 10 cents selon les états et 16 états nucléaires sur 31 sont dérégulés) rendant difficile l'investissement dans un secteur nucléaire fragmenté entre 40 exploitants.

Le fait que le Congrès des États-Unis ait dégagé des crédits pour l'étude des réacteurs à haute température montre que l'opinion politique est en train de bouger et qu'aujourd'hui une relance à moyen terme de l'énergie nucléaire aux États-Unis est plausible.

Elle ne se fera pas toutefois sans réticences comme l'ont expliqué à votre Rapporteur, lors de son séjour aux Etats-Unis des personnalités aussi diverses que les chercheurs du Carnegie indowment for international peace ou certain des commissaires de la NRC7 ont signifié à votre Rapporteur que la mise en place d'une économie du plutonium se heurterait à de grandes réticences de la part de la population.

Section III : La mise en _uvre des solutions retenues

A - La solution du stockage a du mal à être engagée

Il semble que les procédés d'immobilisation du plutonium aient été plus complexes à définir que le recours au MOX, pour lequel il est vrai que des pays comme le nôtre disposent d'une expérience significative, et qu'en l'état actuel des connaissances l'immobilisation ne garantisse pas autant l'irréversibilité que l'utilisation sous forme de combustible8.

De fait, au début de l'an 2000, l'appel d'offre pour l'immobilisation n'avait toujours pas été publié par le DOE alors qu'il a été lancé en 1998 pour le MOX et attribué à un consortium intégrant COGEMA ; les trois consortiums soumissionnaires intégraient d'ailleurs tous un européen

Or, sur la base initiale de cinquante tonnes, il était prévu d'utiliser les deux tiers du plutonium sous forme de MOX, un tiers devant être immobilisé en céramique de plutonium.

Au total, 17 tonnes de plutonium devaient être céramisées contre 33 tonnes MOXées mais il apparaît aujourd'hui relativement probable que la part relative du MOX sera plus importante, l'immobilisation ne concernerait que le plutonium impur non MOXable et le gallium intégré au plutonium militaire.

B - Le recours à la solution du MOX est engagé

Le Département américain de l'énergie s'est prononcé le 14 janvier 1997 en faveur d'une gestion de son excédent de plutonium militaire mettant en _uvre les deux options évoquées ci-dessus, donc, l'irradiation MOX pour le plutonium directement récupéré des ogives .

Selon ses propres termes : « l'administration Clinton considère que les deux options retenues répondent, pour l'élimination des stocks de plutonium issu du démantèlement des armes, aux objectifs de non-prolifération. S'agissant de l'élimination sous forme de MOX, il est prévu de construire sur un site du DOE une usine de fabrication dédiée à ce type de combustible. La mise en exploitation de celle-ci est programmée pour 2007. Le combustible MOX produit par cette usine sera chargé dans des réacteurs civils américains, l'ensemble du programme devant s'achever en 2007.

200 millions de $ de crédits, provenant de l'état fédéral, sont apportés pour la première tranche d'élimination du plutonium (neutralisation en matrice radioactive pour le plutonium contenant des impuretés) conformément à la position exprimée en décembre 1996 par Mme Hazel O'Leary, alors Secrétaire à l'énergie, lors de la publication d'un volumineux rapport d'étude d'impact sur l'environnement des différentes solutions 2022".

La France à travers COGEMA Inc., filiale américaine de COGEMA9, s'est associée à Duke Engineering & Services et à Stone & Webster pour former un groupement industriel (DCS) qui, avec ses partenaires électriciens Duke Power et Virginia Power, a permis d'offrir une solution globale incluant l'irradiation en réacteur. Sont également associés au projet : Framatome Cogema Fuels (FCF), Nuclear Fuel Services (NFS) et, au travers de COGEMA : EDF, Belgonucléaire, PacTec, SGN et Transnuclear Inc.

Le groupement DCS a été retenu et le contrat signé en mars 1999 porte sur la première phase des opérations. Ce contrat concerne la conception de l'usine de fabrication de combustible MOX et la qualification de ce combustible. Outre les éléments prévus au titre de ce premier contrat, DCS a également été retenue pour fournir une prestation globale incluant la construction, la mise en service et l'exploitation de cette usine. DCS sera chargé d'obtenir les licences nécessaires, délivrées par la NRC, permettant l'exploitation de l'usine et le chargement du combustible MOX dans quatre réacteurs civils préalablement adaptés appartenant à Duke Power. Votre Rapporteur a rencontré individuellement quatre des cinq commissaires composant le collège de la NRC et il ne lui est pas apparu que l'utilisation du combustible MOX posait des problèmes particuliers.

Il est important de souligner que ce programme est aux yeux des américains un programme d'utilité publique, financé sur crédits budgétaires, destiné à éliminer un « déchet » encombrant et que les conditions de cession du combustible MOX aux exploitants s'effectueront à des conditions financièrement attractives pour eux, en clair hors de toute référence aux prix du marché, car il est pour le moment totalement exclu à leurs yeux de créer une "économie du plutonium".

Calendrier du programme américain d'élimination du plutonium

Unité de démontage des têtes nucléaires et de conversion des matières fissiles

Unité de fabrication du combustible MOX

Unité d'immobilisation du plutonium

 

graphique

Source : Bureau de l'élimination des matériaux fissiles - Secrétariat à l'Energie (DOE)

Votre Rapporteur a rencontré aux Etats-Unis quatre des cinq commissaires de la NRC (l'autorité de sûreté américaine), dont son Président Richard A Meserve, peu de temps avant que ce dernier ne vienne en France visiter l'usine MELOX. Conformément aux usages en vigueur outre atlantique il les a rencontrés séparément et en a retiré le sentiment qu'il n'existait pas d'objections majeures, liées à la sûreté, à la mise en _uvre du programme du DOE aux Etats-Unis même s'ils sont plus inquiets sur la sûreté du volet russe du programme, la position russe étant à leurs yeux parfois difficile à saisir du fait des contradictions entre les interlocuteurs qu'ils rencontrent.

Ce dernier point a été également abordé par mes interlocuteurs du Ministère américain de l'énergie qui considèrent que la politique russe manque parfois de visibilité et que les positions sur le nucléaire de certains responsables russes tel que le Ministre Adamov10, en charge de l'énergie nucléaire, ne sont peut-être pas aussi unanimement partagés que ne l'affirme leur discours. En outre le sentiment prévaut que les russes sont optimistes au-delà de la réalité des considérations économiques.

Certains des commissaires rencontrés m'ont toutefois fait part de leurs réticences sur les transports de plutonium à destination du Canada, et sont d'accord pour dire qu'une opposition écologiste existe à ce programme ; ils attendent également les propositions du DOE pour adapter la législation américaine à ce programme.

Section IV : La coopération américano-russe

Comme je l'ai indiqué en analysant le débat politique américain, le programme américain ne semble pas, sous les réserves évoquées à la section précédente, susciter d'oppositions internes fortes mais, les analyses sont plus nuancées sur le principe et l'ampleur de l'aide apportée à la Russie où, à l'évidence, les américains entendent poser des conditions au premier rang desquelles une contribution majorée des européens.

L'existence d'un budget de 200 Millions de $ pour l'aide aux programmes russes a sans doute fortement contribué à la bonne marche des négociations ayant abouti à l'accord du 1er septembre 2000 entre les Russes et les américains.

Lors de l'audition du 29 novembre 2000, Michaël Guhin a volontiers souligné que « ces 200 millions ne sont pas suffisants pour construire des installations MOX en Russie, qu'il souhaitait par conséquent proposer un soutien additionnel de la part des États-Unis.

A - L'exigence américaine d'un effort international accru

Ce soutien devra cependant s'opérer dans le contexte d'un effort international... « Les États-Unis estiment que le G8 doit envisager une élimination du plutonium russe en dehors de la Russie car cela pourrait grandement accélérer l'élimination minimale agréée de deux tonnes par an. Vingt ans environ seraient nécessaires pour l'élimination de ces 34 premières tonnes, une fois les installations nécessaires construites et modifiées. En outre, ce processus ne débutera pas avant 2007.

« L'objectif agréé pour les programmes américain et russe consiste à doubler ce rythme afin que l'élimination puisse être réalisée en moitié moins de temps. La fin du processus interviendrait donc en 2017 au lieu de 2025 voire 2027. Seules deux possibilités existent afin d'accroître ce taux d'élimination : l'une consiste à augmenter la capacité au sein de la Fédération russe elle-même et l'autre à utiliser un certain nombre de réacteurs se situant hors de Russie. Chacune de ces deux approches mérite une attention et une analyse de coûts afin de déterminer comment mener à bien ces missions de désarmement de la meilleure façon possible.

« S'agissant de l'utilisation de réacteurs en dehors de Russie, un certain nombre de critères s'appliquera. Notre accord serait bien entendu indispensable pour de telles exportations et le combustible MOX devrait être exporté vers le pays présentant les meilleures garanties de sécurité en la matière.

« De plus, nous n'avons pas l'intention de favoriser la création d'un marché artificiel de combustible MOX russe au-delà des limites étroitement définies pour les besoins de cette mission de désarmement.

« La réussite de ce processus exigera que nous mesurions bien nos intérêts économiques et commerciaux. Nous comprenons que certains pays aient des préoccupations politiques. D'autres pays sont davantage préoccupés par une éventuelle concurrence commerciale. Aucun des participants ne devrait être lésé dans ce processus. Les progrès réalisés à ce jour ont exigé d'importants moyens de la part des États-Unis, de la France, de la Russie et du Japon. Tous ces progrès seront cependant réduits à néant si nous ne trouvons pas d'accord lors du prochain sommet du G8 en juillet prochain. »

Les conditions mises par les États-Unis à la réalisation de ce programme ne sont pas encore réalisées. Et des experts rencontrés à Washington doutent que les volumes financiers pourtant considérables qui sont engagés soient suffisants.

B - Les conditions mises par les Etats-Unis à la mise en place d'un dispositif global

Le point de vue officiel américain est le suivant11 :"Trois conditions devront être satisfaites. Nous devrons tout d'abord établir un plan de financement international agréé par le G8 et destiné au programme russe. Ce plan devra comprendre une série d'engagements de soutiens publics de la part des membres du G8 et nous l'espérons de la part de l'Union Européenne.

« Ces engagements devront totaliser au moins l'équivalent d'un milliard de $ afin de couvrir le coût de la construction, de la conversion des installations et de la modification des réacteurs russes. Le fait que nous ayons rassemblé plus de la moitié de cette somme constitue une bonne nouvelle. Cela comprend l'engagement des États-Unis à hauteur de plus de 400 M$ pour le programme russe, venant s'ajouter au versement de 4 Md$ pour le programme américain. Cela comprend également l'annonce britannique de 70 millions, l'annonce française de 450 MF et la promesse du Japon d'environ 33 M$.

« La difficulté consistera à rassembler encore 400 millions d'engagements par les finances publiques. Le plan financier devra étudier les modalités de financement de ces installations, dont le coût serait de l'ordre d'un Md$ voire davantage ainsi que des activités connexes après la construction.

« L'objectif du G8 est d'envisager le développement des flux financiers publics ou privés mais cette tâche ne sera pas aisée. Nous devrons également envisager les engagements politiques. Enfin le plan définira les contributions russes qui devraient être très importantes.

« Je tiens cependant à souligner qu'aucun pays n'a laissé entendre que la Russie devrait financer seule la totalité des coûts afférents à son programme.

« La seconde condition au succès du prochain sommet de Gênes concerne le dispositif global que nous devrons déterminer afin d'assurer la coordination du programme et des fonds. L'ensemble des membres du G8 devra se doter d'une structure s'assurant que ces fonds sont bien alloués et utilisés.

« Enfin, la dernière condition concerne le cadre multilatéral. Il devra être à pied d'_uvre en mars 2002 afin de débuter la construction. Il s'agit d'un calendrier extrêmement ambitieux mais cette mission de désarmement serait retardée si nous ne respections pas cet objectif de mars 2002. J'ajouterai que la coordination internationale deviendrait de ce fait bien plus complexe. »

Cette longue citation permet à votre Rapporteur de s'appuyer sur une position officielle américaine mais, un certain nombre d'experts américains indépendant qu'il a rencontré ou des personnalités ayant occupé jusqu'à une époque récente des positions importantes dans l'administration américaine ne cachent pas leur scepticisme devant l'ampleur du programme russe de développement de l'énergie nucléaire et, en particulier sur la mise au point d'une nouvelle génération de réacteurs qui implique des moyens très important . Quasiment tous mes interlocuteurs ont relevé la complexité du processus de décision en Russie et leurs difficultés à appréhender la position de ce pays. Pour eux il est nécessaire de veiller à ce que les financements occidentaux ne conduisent pas à la mise en _uvre , ou à la rénovation, d'une véritable économie nucléaire russe bâtie sur fonds occidentaux et il ne faut pas aller au delà du programme actuel. Cette inquiétude s'est manifestée lors de ma rencontre avec le sous-secrétaire d'Etat à l'énergie12 qui après avoir souligné la nécessité d'une large entente internationale et le rôle positif joué par la France, n'a pas caché qu'il serait très difficile de traiter en Russie plus de deux tonnes par an de plutonium dans le cadre des projets actuels alors qu'à ses yeux il serait très souhaitable de passer à cinq tonnes.

Nous examinerons dans le chapitre 5 consacré aux questions en suspens les réponses qu'il est possible d'apporter à ces exigences.

A ce niveau de notre analyse je crois que deux idées doivent être retenues : le programme américain d'élimination des stocks de plutonium militaire est engagé mais fera probablement plus appel au combustible MOX qu'à la vitrification et à l'immobilisation. Si nous pouvons être raisonnablement optimistes sur la coopération internationale tous les obstacles à la coopération avec la Russie ne sont pas encore levés. Et, peut-être faudrait-il commencer, comme l'a souligné un expert américain rencontré à Washington, M. Harold Bengelsdorf, à se poser des questions sur la Chine et l'usage qu'elle fait du plutonium.

Les heurts récents entre les Etats-Unis et la Russie montrent que des obstacles sérieux subsistent à la coopération américano-russe. Il est trop tôt pour aborder la politique conduite par l'administration Bush toutefois les responsables du Carnegie Endowment for International peace rencontrés par votre Rapporteur lors de son séjour à Washington, en particulier Joseph Cirincione director non proliferation project et Jon B Wolfsthal , associate non proliferation project, lui ont fait part de leurs réserves sur la politique de coopération américano-russe, pas tellement au niveau des objectifs mais, surtout des phénomènes de fond qui déterminent les politiques d'un pays.

Dans les deux ouvrages qu'ils ont remis à votre Rapporteur13 ils s'attachent à raisonner à partir des intérêts fondamentaux des états, à la base de ce que nous pouvons appeler le «non-proliferation project » ils rappellent qu'il ne faut pas oublier que l'obstacle le plus fondamental réside dans le conflit d'intérêt entre ces deux puissances.

Le premier réside dans le désir russe de maintenir une parité avec les Etats-Unis dans le domaine des armes nucléaires, alors que les Etats-Unis avec des projets comme le bouclier spatial sont tentés de creuser leur avantage.

Si, nous sommes dans la bonne direction, malgré la promesse du candidat Bush (la rencontre a eu lieu au mois d'octobre de déployer un système anti-missiles et les objections des autres pays qui constituent une difficulté il faut se souvenir que les négociations starts 2 et 3 n'ont pas changé fondamentalement la donne

D'autre part la tranparence doit être réciproque et il convient d'être certain de la définition et du repérage de toutes les têtes , ce qui à priori ne pose pas de problèmes s'agissant de la Russie mais n'est pas le cas de la Corée du nord et de tous les pays qui veulent acquérir l'arme nucléaire.

La sensibilité n'est pas la même non plus dans le domaine de la non-prolifération. Les Américains redoutent beaucoup plus la dissémination de matière fissile que les Russes, qui n'acceptent pas l'idée qu'il puisse y avoir une insuffisance de contrôle à leur niveau.

Nous sommes dans un domaine sensible puisque touchant à la défense nationale or si les Russes sont moins réticents qu'au début des années 90 à ouvrir leurs portes à une activité de contrôle international la transparence est loin d'être parfaite, par exemple sur les chiffres de production de plutonium de qualité militaire, mais les Etats-Unis ne sont pas non plus dans le domaine nucléaire militaire un modèle de transparence et les affaires d'espionnage survenues, en particulier avec la chine, ne les incitent pas à agir en ce sens.

L'attitude vis-à-vis du marché, une certaine instabilité gouvernementale des deux côtés rend parfois difficile la mise en _uvre de politiques de long terme qui nécessitent une grande confiance de part et d'autre.

La Russie ne manifeste pas forcément un intérêt important pour la non prolifération si elle n'y trouve pas un intérêt financier mais, inversement les américains redoutent que l'argent dépensé dans ces actions ne disparaisse vers des circuits de corruption.

Il faut ajouter à ce problème des difficultés inhérentes au système bancaire russe et à la réglementation administrative et douanière qui complique souvent inutilement les actions d'assistance et stérilise les énergies.

Bien que la situation ne soit plus celle de 1990 les difficultés que je viens d'évoquer ne doivent pas être sous-estimées.

Déclaration commune USA-Russie sur la gestion du plutonium Moscou, 1er septembre 1998

« Les progrès du contrôle des armements ont permis aux USA et à la Russie de réduire de beaucoup le nombre d'armes nucléaires de leurs arsenaux. Les Présidents Clinton et Eltsine ont fait aujourd'hui un grand pas pour s'assurer que ces réductions sont permanentes et irréversibles. Ils se sont mis d'accord aujourd'hui sur des mesures concrètes permettant de s'assurer que le plutonium récupéré lors du démantèlement des armes ne tombera pas entre les mains de terroristes ou de pays tiers cherchant à se doter d'armes nucléaires.

Les USA et la Russie se sont tous deux engagés à retirer de leur programme d'armement 50 tonnes de plutonium chacun -quantité suffisante pour fabriquer des milliers de bombes- de façon à ce que ce plutonium ne soit plus jamais utilisable pour la production de bombes nucléaires. Les présidents se sont mis d'accord sur les principes de mise en _uvre de cette conversion en construisant des installations de taille industrielle dans les deux pays.

L'évacuation de ce plutonium se fera soit par son utilisation comme combustible dans les réacteurs commerciaux existants, soit en l'envoyant, mélangé à des déchets de haute activité, dans des installations de stockage à long terme de combustibles irradiés. Des mesures de transparence et de vérification internationale adaptées, ainsi que des normes strictes de sûreté, de protection de l'environnement, et de protection, de contrôle et de comptabilité des matières nucléaires s'appliqueront à ce programme.

Il se basera sur l'accord de Coopération Scientifique et Technique sur la Gestion du Plutonium signé en juillet 1998 par le Vice-Président, Al Gore, et le Premier Ministre de l'époque, Kiryenko, ainsi que sur les efforts de recherche communs en cours auxquels participent des laboratoires et des scientifiques des deux pays.

La coopération USA-Russie sur la gestion du plutonium sera menée en coopération et en coordination étroites avec les efforts parallèles auxquels participent la Russie et d'autres pays du G-8. Les Présidents ont donné l'instruction à leurs experts d'engager des négociations visant à transformer ces accords de principe en accords bilatéraux qui ouvriront la voie à des mesures concrètes pour la gestion du plutonium et guideront leur coopération future dans ce domaine. Le Président Clinton et le Président Eltsine sont convenus d'engager des négociations sur cet accord bilatéral rapidement, avec l'intention de le conclure d'ici la fin de l'année 1998 »

(Source : White House Media Briefing, traduction WISE)

1 plaquette de présentation de ce programme diffusée par le DOE

2 Quatre réacteurs sont prévus actuellement, au lieu de six initialement, depuis le retrait de Virginia Power du projet

3 NRDC : Natural Ressource Defense Council

4 Ce texte a été lu par M Peter Lyons, collaborateur du Sénateur Dominici, lors de l'audition de l'OPECST le 29.11.2000

5 Un grand site de stockage des matières fissiles provenant des armes nucléaires est en construction à Mayak.

6 Le texte de cette lettre se trouve à l'annexe n°5

7 La NRC, Nuclear Regulatory Commission, est l'autorité de sûreté américaine

8 cf. chapitre 2

9 Votre Rapporteur a longuement rencontré le Président de Cogema Inc, M Michaël Mc Murphy lors de sa mission à Washington, le 16 octobre 2000

10 Ce dernier vient d'être déchargé de ses fonctions

11 Intervention de Michäel Guhin devant l'OPECST le 29/11/2000

12 Le 17 octobre 2000 à Washington

13 « Repairing the regime, preventing the spread of weapons of mass destruction » & « tracking nuclear proliferation »