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N° 2198

N° 238

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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

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Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale
le 24 février 2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 24 février 2000

     

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    OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
    DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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    RAPPORT

    SUR

    LE CLONAGE, LA THÉRAPIE CELLULAIRE
    ET L’UTILISATION THÉRAPEUTIQUE
    DES CELLULES EMBRYONNAIRES

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    Comptes rendus des auditions

     

PAR M. Alain CLAEYS,

PAR M. Claude HURIET,

Député.

Sénateur.

     

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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Jean-Yves LE DÉAUT,
Premier
Vice-Président de l'Office

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Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Henri REVOL,
Président de l'Office.

     

Bioéthique

     

    Comptes rendus des auditions

    Comptes rendus des auditions 81

    Audition du 30 septembre 1999

    Professeur Pierre CESARO, chef du service de neurologie de l’Hôpital Henri-Mondor

    de Créteil, professeur Gilles DEFER, chef du service de neurologie du CHRU de

    Caen, et docteur Marc PESCHANSKI, directeur de l’Unité 421 de l’INSERM « Neuroplasticité et thérapeutique » 81

    Audition du 7 octobre 1999

    Professeur Jean-Pierre CAMPION, Centre hospitalier régional universitaire

    de Rennes 84

    Auditions du 21 octobre 1999

    1. Professeur François FORESTIER, chef du service de médecine et biologie fœtale

    à l’Institut de puériculture de Paris 86

    2. Professeur Jean-Louis TOURAINE, chef du service de néphrologie, Hôpital

    Edouard-Herriot de Lyon 88

    Audition du 28 octobre 1999

    Professeur Jean-Paul VERNANT, chef du service d’hématologie à la

    Pitié-Salpêtrière, président de la Société française de greffe de moelle 91

    Auditions du 10 novembre 1999

    1. Professeur Claude SUREAU, membre de l’Académie de médecine 94

    2. Docteur François PATTOU, Centre hospitalier régional universitaire de Lille 96

    Audition du 2 décembre 1999

    M. Charles THIBAULT, Professeur émérite à l’Université Paris VI-

    Pierre et Marie Curie 99

    Auditions du 9 décembre 1999

    1. Dr Philippe BRACHET, U 437 de l’INSERM (Immuno-intervention dans les allo

    et xénotransplantations) 106

    2. M. Jacques SAMARUT, directeur de recherche au CNRS, chef du groupe « Oncogenèse virale et différenciation cellulaire » à l’ENS de Lyon,

    et Mme Martine LOISEAU, chargée de mission éthique au département

    des sciences de la vie au CNRS 108

    Audition du 26 janvier 2000

    M. Michel FOUGEREAU, conseiller scientifique pour les sciences de la vie et de la médecine à la Direction de la Recherche, professeurs Alain FISCHER (Université Paris V) et Marc TARDIEU (Université Paris XI) 111

    COMPTE RENDU DES AUDITIONS PUBLIQUES DU 25 NOVEMBRE 1999 115

    Le rôle des autorités britanniques de régulation en matière de thérapie cellulaire et de clonage, et la ligne adoptée par les différents pays de

    l’Union européenne. Docteur Anne Mc LAREN, Membre de l’HFEA et du

    Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies 118

    Les conséquences médicales de la recherche sur les cellules souches pluripotentes. M. John GEARHART, Professeur de gynécologie et

    d’obstétrique à l’Université Johns Hopkins de Baltimore 124

    Les applications du clonage animal reproductif et les perspectives

    économiques escomptables dans ce domaine. M. Ian WILMUT,

    Professeur à l’Institut Roslin d’Edimbourg 128

    Les objectifs de recherche, les prévisions et la stratégie générale de la

    société Geron Bio-Med. M. Simon BEST, Directeur général de

    Geron Bio-Med 140

    La législation américaine et les évolutions prévisibles en matière de clonage

    et de recherche sur les cellules embryonnaires. Mme Lori ANDREWS, Professeur de droit à l’Université de Chicago 140

    Le statut de l’embryon. M. Gordon DUNSTAN, Professeur émérite de

    théologie morale et sociale au King’s College de Londres, Membre du

    Nuffield Council on Bioethics de 1991 à 1995 140

    Comptes rendus des auditions

    Audition du 30 septembre 1999

    Professeur Pierre CESARO, chef du service de neurologie de l’Hôpital Henri-Mondor de Créteil, professeur Gilles DEFER, chef du service de neurologie du CHRU de Caen, et docteur Marc PESCHANSKI, directeur de l’Unité 421 de l’INSERM « Neuroplasticité et thérapeutique »

    L’unité 421 de l’INSERM que dirige le docteur PESCHANSKI a été créée en 1995 pour la mise en œuvre de thérapies interventionnelles, cellulaires et géniques, destinées au traitement des maladies du système nerveux central. Elle a réuni les compétences de deux équipes travaillant précédemment sur la greffe de neurones embryonnaires d’une part, l’imagerie cérébrale d’autre part, et regroupe des biologistes et des chercheurs-cliniciens.

    La première implantation de neurones fœtaux sur une patiente atteinte de la maladie de Parkinson a été effectuée en juin 1991 à Henri-Mondor par l’équipe du professeur CESARO. Depuis cette date, 25 interventions portant sur les deux hémisphères cérébraux ont été pratiqués sur 13 malades parkinsoniens.

    A partir de 1996, une étude expérimentale et clinique a été conduite parallèlement sur la greffe de neurones fœtaux pour le traitement de la chorée de Huntington, maladie neurodégénérative génétique de l’adulte aboutissant à la démence qui est très mal prise en charge, et pour laquelle il n’existe actuellement aucune thérapie. Une série de cinq patients a fait l’objet d’implantations bilatérales en deux périodes (juin 96-décembre 97, janvier 98-octobre 98). L’évaluation finale est en cours.

    Depuis avril 1998, l’équipe du docteur PESCHANSKI expérimente une technique de thérapie génique déjà validée chez les primates : elle consiste dans l’administration d’un facteur de protection des neurones par implantation de cellules génétiquement modifiées et encapsulées dans un polymère, afin d’éviter les réactions immunitaires. Ce procédé a permis d’utiliser, dans un premier temps, des cellules de hamster. Les xénogreffes soulevant pour l’instant un problème de principe, l’expérimentation se poursuit maintenant avec des fibroblastes humains (cellules du tissu conjonctif). Les résultats semblent positifs en termes de tolérance et de faisabilité.

    Le professeur DEFER présente un bilan du traitement de la maladie de Parkinson par l’implantation de cellules fœtales.

    Les essais cliniques s’effectuent avec des neurones prélevés sur des embryons issus d’avortements légaux de 8 à 10 semaines post-gestation dont les cellules du système nerveux central sont en cours de différenciation. On les qualifie de cellules fœtales bien que le stade fœtal soit généralement fixé à 12 semaines de grossesse. Ces embryons proviennent d’IVG. Conformément au protocole établi en 1990 par le CCNE, l’accord de la mère sur un prélèvement éventuel à des fins scientifiques ou médicales est recueilli par écrit, par les obstétriciens et non par les neurologues. Une information plus précise sur l’utilisation des prélèvements peut être fournie sur demande de la patiente. Elle n’est que très rarement sollicitée.

    La transplantation de cellules neuronales, inaugurée en Suède à partir de 1989, s’est développée ensuite aux Etats-Unis, en France et en Belgique. Elle a été pratiquée, les premiers temps de façon unilatérale (i.e. sur un seul hémisphère cérébral), sur des patients sévèrement atteints et présentant les principales complications de la maladie (fluctuations motrices et dyskinésies).

    Après une greffe bilatérale, on a pu noter une amélioration, que l’on peut chiffrer de 30 à 40 % de l’état antérieur dans la majorité des cas, se traduisant par une réduction des périodes de blocage, une amélioration des capacités motrices et une modification des dyskinésies, le tout sans effets secondaires majeurs. Les critiques initiales fondées sur l’effet placebo ont été abandonnées face à l’homogénéité des résultats cliniques. D’autre part, l’autopsie de patients décédés accidentellement a mis en évidence les effets positifs et persistants des greffes.

    Le cerveau étant considéré comme immuno-protégé, la pratique française s’est orientée vers un traitement immunosuppresseur réduit sans que l’on ait constaté de phénomènes de rejet.

    La plus récente étude clinique américaine « randomisée » avec groupe contrôle réalisée sur des fonds fédéraux par les équipes de Curt FREED et Stanley FAHN a été communiquée en avril 1999. Elle a été effectuée en double aveugle avec un groupe placebo sur un échantillon de 40 individus. Un an après, plus de la moitié des transplantés présentent une augmentation significative de la production de dopamine mais la durée et la persistance de cet effet restent à préciser. D’autre part, seules les personnes traitées de moins de 60 ans, soit 9 patients, ont connu une amélioration significative de leur état. L’ancienneté et la sévérité de la maladie influent incontestablement sur l’efficacité du traitement.

    Un programme coordonné par le professeur DEFER et le docteur LEVIVIER (hôpital Erasmus, Bruxelles) vise à mettre au point un protocole d’évaluation standardisée, destiné à tous les types de chirurgie du Parkinson (greffe neuronale, stimulation électrique intracérébrale et pallidectomie). Il doit être complété cette année par l’ouverture d’une « data-bank » européenne localisée à Bruxelles (registre des patients opérés), quel que soit le type d’intervention.

    La greffe ne fournit pas de réponse appropriée pour la sclérose latérale amyotrophique ni, en l’état actuel des connaissances, pour la maladie d’Alzheimer et les autres pathologies neurodégénératives.

    Se pose par ailleurs la question de l’obtention en quantité suffisante des cellules neurales, sachant que plusieurs fœtus sont nécessaires pour traiter un seul patient. Le docteur PESCHANSKI est favorable à toute solution qui permettrait d’échapper au prélèvement fœtal.

    Les cellules souches pluripotentes ouvrent à cet égard des possibilités très intéressantes. Duplicables indéfiniment, elles permettraient la création de banques de tissus et le développement de traitements à l’échelle industrielle. Cette perspective pourrait devenir réalité d’ici dix ans si aucune barrière biologique ne s’oppose à la maîtrise du processus de différenciation contrôlée. Le docteur PESCHANSKI fait état d’une expérience menée par son équipe sur un tératocarcinome qui a donné des fibroblastes, des neurones, des astrocytes et des cellules musculaires. Si l’on a déjà pu établir une liste des très nombreux facteurs qui agissent sur la différenciation neuronale, on ne sait pas encore comment procéder pour que ces cellules se spécialisent à volonté.

    D’autres voies expérimentales sont actuellement explorées sur des animaux à partir de cellules progénitrices qui ne sont pas nécessairement d’origine neurale. La société américaine Genzyme Tissue Repair a développé des cellules neuronales provenant de fœtus de porcs non transgéniques. Des essais sont en cours sur des patients atteints de maladie de Parkinson et de chorée de Huntington. Pour parer aux inconvénients d’une immunosuppression permanente, une tolérance pourrait être recherchée soit par transgenèse, soit par traitement des cellules avec une molécule inhibitrice de la réaction immunitaire. Aucun résultat thérapeutique n’a encore été annoncé mais l’autopsie d’un des patients a permis de constater la survie de quelques centaines de neurones porcins pendant huit mois dans son cerveau.

    Le docteur PESCHANSKI souligne en conclusion que les applications thérapeutiques des cellules embryonnaires sont encore lointaines et qu’aucune confusion ne doit être entretenue avec les prélèvements fœtaux que lui-même et son équipe utilisent pour les transplantations neuronales. Il met d’autre part en évidence le caractère artificiel, au regard de sa pratique scientifique, de la distinction entre thérapie cellulaire et thérapie génique. Un vaste domaine existe, en effet, dans lequel les deux approches se recouvrent. Une forme de thérapie génique très répandue utilise, pour délivrer une substance potentiellement thérapeutique (par exemple « neuroprotectrice »), des cellules d’origines et de phénotypes divers, modifiées génétiquement ex vivo puis implantées. Dans le cas des maladies neurodégénératives, l’implantation intracérébrale de ces cellules rejoint ainsi totalement la problématique de la thérapie cellulaire. On peut imaginer –et il s’agit d’une voie de recherche existante– de modifier des neurones fœtaux pour les implanter chez des patients chez lesquels ils joueraient, ainsi, en même temps, un rôle de substitution et un rôle neuroprotecteur. La frontière entre thérapie cellulaire et thérapie génique, déjà souvent virtuelle, tomberait alors totalement.

    Audition du 7 octobre 1999

    Professeur Jean-Pierre CAMPION, Centre hospitalier régional universitaire de Rennes

    Le professeur CAMPION précise que dans le cadre de la recherche et du développement sur les hépatocytes isolés, deux unités INSERM à Rennes (U 522 « recherches hépatologiques » et U 456 « détoxication et réparation tissulaire ») travaillent actuellement sur les hépatocytes, en collaboration avec le service clinique d’Hépatologie médicale et le service de Chirurgie viscérale.

    Les hépatocytes sont des cellules du parenchyme hépatique à fonctions multiples (par exemple : transformations, synthèses, détoxication, production de bile…). La recherche sur ces cellules hépatiques a pris un tournant décisif lorsqu’ont été mises au point des méthodes d’isolement et de purification par digestion enzymatique de l’organe entier par la collagénase. De nombreuses étapes préliminaires ont analysé le fonctionnement et le métabolisme de ces cellules, puis ont été mis au point des modèles de culture et de stockage, notamment par congélation.

    Désormais, divers axes de recherche se sont organisés.

    1 – Une recherche pré-clinique, dans le cadre de la thérapie cellulaire avec deux programmes en cours de réalisation :

        – Le premier concerne la mise au point d’un foie bioartificiel qui pourrait être fonctionnel et disponible à tout moment pour faire face, en urgence, à la menace vitale des insuffisances hépatiques aiguës, telle l’hépatite fulminante. L’organe artificiel constitue une suppléance hépatique transitoire, extra-corporelle. Le maintien en survie du patient (correction par détoxication des désordres cérébraux responsables du décès) laisse au foie natif le délai nécessaire pour une régénération spontanée. Ceci fait l’économie d’une transplantation d’organe, opération lourde qui, en outre, assujettit ultérieurement le patient à un traitement immunosuppresseur permanent, non dénué d’effets secondaires.

        – L’autre est relatif à la transplantation d’hépatocytes pour le traitement des déficits enzymatiques congénitaux d’origine hépatocytaire (exemple : hémophilie). Une recherche pré-clinique est en cours sur l’animal mais aucun programme n’a encore été entamé chez l’homme. Cette transplantation d’hépatocytes pourrait également être un des moyens de traiter en urgence l’hépatite fulminante.

    2 – La recherche fondamentale concerne des axes très variés comme le rôle de l’hépatocyte dans son environnement matriciel, les virus hépatotropes et le foie, l’immortalisation cellulaire, la cancérogenèse, le métabolisme des xénobiotiques et les dysfonctionnements cellulaires induits par ces xénobiotiques (médicaments, polluants, carcinogènes).

    3 – Le développement industriel. Le savoir-faire et les personnels issus de la recherche ont été à l’origine de la création d’une entreprise « start-up », création soutenue par l’INSERM. Cette entreprise biotech « Bioprédic International » se situe en interface avec l’industrie pharmaceutique en testant molécules et médicaments quant au rôle du foie dans leur métabolisme et quant à leur toxicité hépatique. Elle est également pourvoyeuse d’hépatocytes, notamment grâce aux « liverbeads », technologie développée spécifiquement par cette entreprise.

    Le professeur CAMPION souligne la nécessité de recourir à des hépatocytes humains, que ce soit dans le domaine de la recherche fondamentale (aucune des données observables chez l’animal n’étant, dans ce domaine, transposable à l’homme) ou de la recherche clinique (compte tenu des restrictions qui s’appliquent actuellement à la pratique des xénogreffes).

    Le professeur CAMPION rappelle que la présence de cellules souches dans le foie reste encore très hypothétique. Leur isolement et leur usage thérapeutique le sont encore plus. Quoi qu’il en soit, il faudrait recourir à l’isolement de ces cellules au sein de parenchyme hépatique humain.

    A l’heure actuelle, les hépatocytes sont essentiellement obtenus par le biais des déchets opératoires, à l’occasion d’interventions chirurgicales pratiquées pour le traitement de pathologies tumorales. Dans cette hypothèse, l’ablation pratiquée est assez large pour permettre de récupérer une partie du parenchyme non affecté par la tumeur et d’en extraire les cellules hépatiques. Toutefois, la proximité de ces cellules avec une tumeur les rend impropres à un usage clinique. Pour la recherche fondamentale, elles sont imparfaites puisque ces patients ont souvent reçu de nombreux médicaments qui modifient l’expression des gènes régulant les fonctions hépatocytaires. A propos de ces déchets opératoires, les textes restent certes permissifs mais très flous. On regretterait toutefois qu’un encadrement trop rigoureux ne vienne altérer la relation médecin-malade, si par exemple une autorisation devait être demandée au malade pour l’usage de ces déchets opératoires.

    Les prélèvements post-mortem fourniraient en revanche une source d’approvisionnement qualitativement satisfaisante. Mais les familles sont dotées par la loi d’un véritable pouvoir de décision. Les demandes de dons d’organes faites aux familles se soldent encore trop souvent par des refus. En outre, il conviendrait d’assouplir les textes sur ce point car il est fait distinction dans la loi bioéthique actuelle entre l’autorisation de prélèvement à but scientifique et l’autorisation de prélèvement à but thérapeutique.

    Le professeur CAMPION souhaiterait donc que la loi se simplifie au profit d’un don sans caractère spécifique dès l’instant où le produit de ce don ne serait pas à but commercial.

    Enfin, dans l’optique d’une transparence, d’une traçabilité et d’une bonne gestion des propositions des organes ou tissus, le professeur CAMPION sollicite la reconnaissance d’un Centre de ressource d’hépatocytes humains, dont l’approvisionnement serait piloté par l’Etablissement français des greffes. Ce centre de ressource serait à son tour pourvoyeur en hépatocytes isolés auprès des établissements qui en seraient demandeurs.

    Auditions du 21 octobre 1999

    1. Professeur François FORESTIER, chef du service de médecine et biologie fœtale à l’Institut de puériculture de Paris

    Professeur d’hématologie à Paris XI et directeur scientifique au CHU de Lausanne, le professeur FORESTIER a participé à la commission « Bioéthique et droit » présidée par M. Guy BRAIBANT et a créé à Sceaux un diplôme universitaire de droit, éthique et biologie.

    Le projet de recherche dont il est responsable s’appuie sur le fait qu’il existe, dans la nature, des chimérismes, c’est-à-dire des situations dans lesquelles des individus peuvent vivre en symbiose avec des cellules ne provenant pas de leur organisme. L’objectif est de traiter des maladies fœtales, notamment monogéniques, qui sont actuellement incurables et auxquelles la transplantation ne peut apporter qu’une réponse très imparfaite.

    Après une tentative infructueuse de coopération franco-américaine, ce projet est devenu franco-suisse et réunit l’université Paris IX et le CHU de Lausanne, après accord de son comité d’éthique.

    L’expérimentation fait appel à des foies fœtaux prélevés après avortement entre 12 et 14 semaines de grossesse. L’accord de la mère, sollicité après la décision d’interruption de grossesse, est totalement indépendant de cette décision. Le don est rigoureusement anonyme et exclusif de toute rémunération comme de toute association de la donatrice aux résultats futurs de la recherche.

    Aucune date limite d’utilisation n’a été imposée pour les sept organes prélevés qui ont été traités et immédiatement congelés. Ceci implique la mise en place d’une structure de conservation et de transfusion compte tenu du mode de traitement.

    L’intérêt que présentent ces cellules de foie fœtal tient au fait :

        - qu’entre 12 et 14 semaines de développement du fœtus, elles sont immunologiquement neutres et ne suscitent donc pas de phénomènes de rejet ;

        - qu’à ce stade, elles sont multipotentes et peuvent, sous l’influence de facteurs de croissance, conduire à une différenciation contrôlée en globules rouges, globules blancs, plaquettes, cellules musculaires, cellules osseuses. On découvre progressivement la grande plasticité des cellules souches, comme l’a illustré une expérience récente où des neurones ont pu être différenciés en cellules sanguines.

    Ces cellules fœtales ont, par ailleurs, une très grande capacité de prolifération, leur nombre s’accroissant d’un million au bout de 90 à 120 jours. Un seul foie permettrait ainsi d’offrir une transplantation de moelle osseuse à 150 receveurs.

    Une banque de 27 foies fœtaux congelés a pu ainsi être constituée à partir de 52 organes prélevés, cet écart s’expliquant par le délai variable et non contrôlable qui sépare l’interruption de grossesse du prélèvement.

    Deux contrôles de séroconversion sont pratiqués sur la mère, l’un le jour du prélèvement, l’autre trois mois plus tard.

    La phase thérapeutique entamée après ce second contrôle va consister dans l’injection de ces cellules par voie péritonéale à des fœtus atteints de déficits immunitaires sévères, constatés par un diagnostic prénatal effectué à 10 semaines. L’injection sera effectuée entre la douzième et la treizième semaine de grossesse. Une prise de sang fœtal permettra de contrôler l’expression du chimérisme créant une molécule particulière.

    L’appréciation du résultat sera communiquée aux parents, à qui reviendra la décision d’une éventuelle interruption de grossesse.

    Le professeur FORESTIER souligne que le foie constitue au stade fœtal un organe hématopoïétique majeur dont la nature est, à la fois, hépatique et médullaire. Il estime que cette voie thérapeutique mérite d’être explorée parallèlement à l’utilisation du sang de cordon qui permet de pallier en partie la pénurie de donneurs de moelle mais dont les effets sont encore grevés d’incertitudes. Il explique les réticences de nombreux pédiatres à l’égard de ces nouvelles démarches thérapeutiques par le fait qu’ils perdront, si elles s’avèrent efficaces, la maîtrise du traitement d’un certain nombre d’affections.

    Quant aux cellules souches embryonnaires, il est hautement probable qu’elles offriront à terme des ressources thérapeutiques supérieures à celles des cellules fœtales, mais leur coût d’utilisation sera nécessairement élevé en raison de l’emprise sur ce secteur de la biotechnologie américaine qui s’est déjà traduite par le dépôt de nombreux brevets. L’importance du capital-risque investi dans cette recherche s’explique en grande partie par les restrictions que la législation fédérale impose à l’utilisation d’éléments fœtaux. Indépendamment des prohibitions qui pourraient être fondées sur des considérations éthiques, la limitation de l’usage des cellules ES pourrait être obtenue par une administration à prix coûtant des autres traitements cellulaires.

    2. Professeur Jean-Louis TOURAINE, chef du service de néphrologie, Hôpital Edouard-Herriot de Lyon

    Le professeur TOURAINE participe à un groupe de réflexion sur l’éthique des transplantations présidé par M. Jean MICHAUD. Par delà ses positions personnelles, il souhaite faire connaître les points de vue dominants qui s’expriment aujourd’hui dans la communauté médico-scientifique.

    Depuis un certain nombre d’années se pratique le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur des fœtus et embryons dont le décès peut résulter de causes multiples (grossesse extra-utérine, interruption thérapeutique ou volontaire de grossesse). Ces cellules peuvent permettre à des malades, après greffe, dans des conditions appropriées, de reconstituer leur système hématologique ou immunitaire. Les indications sont voisines de celles de la greffe de moelle osseuse mais l’avantage de cette technique est de s’affranchir des exigences de compatibilité. Ce traitement est notamment appliqué aux « enfants-bulles » qui sont privés de système immunitaire.

    Les règles applicables à ces opérations ont été fixées en 1984 par le premier avis du CCNE relatif aux prélèvements embryonnaires et fœtaux à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Elles garantissent notamment une stricte séparation entre la décision de recourir à une interruption de grossesse et l’acte de prélèvement d’organes ou de tissus.

    Ces règles n’ont pas fait l’objet d’une transposition législative qui paraissait à l’époque prématurée. On peut aujourd’hui s’interroger sur la nécessité d’un encadrement juridique qui permettrait de réprimer les agissements contraires aux principes ainsi édictés.

    Ce type de traitement s’applique à des nouveau-nés mais aussi à des enfants plus âgés. D’autres types de prélèvements fœtaux sont également expérimentés pour le traitement de maladies neurologiques (Parkinson, chorée de Huntington).

    On parle indistinctement en l’espèce de prélèvements embryonnaires ou fœtaux parce qu’ils sont effectués entre la huitième et la douzième semaine suivant la fécondation alors qu’on place la frontière, nécessairement floue, entre l’embryon et le fœtus à la huitième semaine de grossesse.

    Ces cellules sont très indifférenciées et ont une capacité quasi infinie de multiplication. Une expérimentation menée chez la souris a permis de démontrer qu’une seule de ces cellules pouvait, chez un animal soumis à une dose mortelle d’irradiation, reconstituer la totalité du compartiment sanguin alors qu’il faut, pour parvenir au même résultat, plusieurs milliers de cellules de moelle osseuse.

    Grâce à leur immaturité, ces cellules peuvent transgresser les barrières d’incompatibilité, y compris d’une espèce à une autre. Ainsi peut-on développer, à partir de souris affectées de déficits immunitaires sur lesquelles sont greffées des cellules fœtales humaines, des modèles permettant de tester des médicaments, notamment contre le SIDA.

    Ces cellules ont fait la preuve de leur efficacité pour le traitement, chez les nourrissons et les enfants, des déficits immunitaires congénitaux, des maladies sanguines et de quelques erreurs innées du métabolisme avec, cependant, un taux d’échec de 30 % qui tenait à deux causes principales :

        - la survenue d’infections avant que le traitement ne soit devenu opérant ;

        - la manifestation de phénomènes de rejet.

    A partir de 1988, on a donc décidé, après expérimentation animale, d’appliquer le traitement dès le stade fœtal, immédiatement après le diagnostic prénatal, pour parer à des réactions de rejet. Cette méthode a très sensiblement amélioré les résultats.

    S’agissant de l’avenir, le clonage ouvre des perspectives très intéressantes. Aussi convient-il de bien distinguer le clonage à but reproductif qui fait, à juste titre, l’objet d’une réprobation quasi unanime et le clonage thérapeutique dont l’usage, strictement encadré, permettrait d’accomplir des progrès considérables dans le domaine de la thérapie cellulaire.

    La technique du transfert de noyau de cellule somatique dans un ovocyte énucléé conduit à la création d’un blastocyste dont il sera possible d’extraire les cellules pluripotentes semblables en tous points à celles de l’adulte qui les aura engendrées. Ainsi pourra-t-on traiter, sans risque de rejet, de multiples affections en exploitant, grâce à des facteurs appropriés, l’extraordinaire capacité de différenciation de ces cellules pluripotentes. Il est possible d’envisager à plus long terme la reconstitution de tissus, voire d’organes, grâce à une organogenèse développée in vitro.

    Les potentialités ainsi offertes ont atténué, si elles ne les ont pas fait totalement disparaître, les réticences qui se manifestaient dans la communauté scientifique à l’égard de la recherche sur l’embryon et de l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires. Le sentiment dominant est que l’on se situe là dans le prolongement des pratiques développées dans le cadre de la fécondation in vitro et du diagnostic préimplantatoire. Il y aurait en revanche une véritable rupture si l’on admettait l’utilisation du clonage à des fins reproductives.

    Selon le professeur TOURAINE, la différence entre l’utilisation, pour l’obtention de cellules ES, d’un embryon surnuméraire ou du clonage somatique est qu’il y avait, dans le premier cas, un projet de vie qui devra, par hypothèse, être absent dans le second.

    L’avantage du clonage sur le plan de l’efficacité thérapeutique sera de mettre à disposition des cellules « personnalisées » excluant tout problème d’immunocompatibilité. Il n’est pas certain, en revanche, que la transgenèse permette la mise au point de cellules universelles adaptées à tous les types de receveurs, car elle ne peut jouer que sur un nombre limité de gènes.

    Audition du 28 octobre 1999

    Professeur Jean-Paul VERNANT, chef du service d’hématologie à la Pitié-Salpêtrière, président de la Société française de greffe de moelle

    Le professeur VERNANT pratique la greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) depuis 1972.

    Les CSH peuvent provenir de trois sources qui sont, dans l’ordre d’ancienneté de leur utilisation, la moelle osseuse, le sang périphérique et le sang placentaire (ou sang de cordon). La loi ignore actuellement ces deux derniers types de prélèvement.

    Ceci pose particulièrement problème pour la greffe allogénique de CSH périphériques qui nécessite l’administration préalable au donneur, sans bénéfice personnel, d’un facteur de croissance (GCSF recombinant). D’autre part, ces procédures concernant les CSH périphériques peuvent s’appliquer en situation apparentée (frère et sœur) et situation non apparentée. Dans ce deuxième cas, on se trouve dépendant d’un fichier mondial interconnecté qui regroupe environ 5 millions de donneurs. Certains pays ont une législation permettant l’administration de ce facteur de croissance et le prélèvement de CSH périphériques et peuvent donc en fournir aux receveurs français alors que la réciproque n’est pas possible en l’état actuel de la loi française. Il y a donc là un problème de mise en concordance des différentes législations européennes. Aux Etats-Unis, l’administration de facteurs de croissance est admise en cas de don entre frère et sœur mais il n’y a pas encore, de façon large, d’utilisation de produits de ce type pour les donneurs non apparentés.

    Le recours aux CSH périphériques comporte un avantage certain, qui réside dans une prise de greffe et une sortie d’aplasie (7 à 8 jours) plus rapides.

    Les risques théoriques du facteur de croissance sont liés à l’hyperleucocytose qu’il provoque chez le donneur et qui a conduit, dans deux cas, à des infarctus du myocarde dans les 48 heures suivant son administration. On a pu d’autre part relever deux cas de rupture de rate chez des donneurs sains, dont l’un était âgé de 17 ans.

    Certains incidents ont pu résulter d’un mauvais calcul consistant à juger moins risqué le recours au GCSF que le prélèvement de moelle sous anesthésie générale qui présente probablement moins d’inconvénients, si cette anesthésie est bien planifiée, qu’une induction d’hyperleucocytose.

    Un autre risque tient au fait qu’en stimulant la cellule souche qui est la cible du GCSF pour favoriser la sortie d’aplasie, on va recruter des cellules en amont et, peut-être, libérer des clones leucémiques. Ce risque n’a jusqu’ici été démontré ni chez l’animal ni chez l’homme et il est, en tout état de cause, difficile de l’établir : le risque de leucémie myéloïde chronique est actuellement de 1,5 à 2 pour 100 000 par an. Même si l’on admettait qu’il est multiplié par 5, cela impliquerait de suivre pendant plusieurs années plusieurs milliers de patients ayant reçu le produit.

    La seule constatation que l’on a pu faire porte sur les dizaines de milliers de sujets qui ont reçu du GCSF et étaient atteints de lymphomes ou de cancers du sein ; avec un recul de près de dix ans, on n’y a pas relevé plus de leucémies myéloïdes chroniques ou de leucémies aiguës que dans une population témoin de sujets ayant les mêmes maladies.

    Le GCSF est le médicament recombinant le meilleur marché au monde et occupe la troisième place dans le marché mondial avec 2,8 milliards de dollars par an. Son utilité pour favoriser la sortie d’aplasie est sans doute surestimée. En revanche, son efficacité est incontestable comme facteur mobilisant du greffon.

    La troisième source de CSH est le sang placentaire. Son avantage est de fournir des cellules relativement immatures, donc moins sujettes à l’immunostimulation de différence HLA.

    Les greffes de CSH requièrent une identité entre donneur et receveur qui soit la plus parfaite possible, l’idéal étant, dans l’ordre décroissant, le jumeau monozygote et le frère ou la sœur géno-identique. Même dans cette seconde situation, la réaction GVH (graft versus host) déclenchée par le greffon survient dans 30 à 40 % des cas et est mortelle dans 10 % des cas. Le fichier mondial ne permet de satisfaire à cette exigence d’identité que dans 50 % des cas.

    L’avantage des lymphocytes « naïfs » existant dans le sang placentaire est d’être beaucoup plus tolérants à l’égard des différences d’antigènes existant entre eux et le receveur, donc de réduire considérablement le risque de GVH.

    Cependant, le sang placentaire ne peut être recueilli qu’en très faible quantité (quelques dizaines de millilitres) et ne fournit donc qu’un nombre de CSH insuffisant pour un adulte de taille et de poids normaux. L’avenir passe par la mise au point de techniques d’expansion sur lesquelles travaille actuellement une équipe bordelaise.

    L’utilisation du sang placentaire s’est développée tardivement, malgré son intérêt, en raison de la plus grande complexité et du coût relativement important des opérations de recueil, typage et stockage (par congélation). La première greffe a été effectuée il y a une dizaine d’années par Eliane GLUCKMAN sur un jeune patient atteint de la maladie de Fanconi.

    Les crédits dégagés devraient permettre de recueillir et de congeler, dans les cinq années à venir, environ 10 000 sangs placentaires. Il permettra de traiter des catégories de population qui sont sous-représentées dans les fichiers de donneurs volontaires.

    L’utilisation de cellules souches de foie fœtal, expérimentée par le professeur TOURAINE à Lyon, il y a une dizaine d’années, ne semble pas tenir toutes les promesses escomptées. Les greffes sur le petit enfant en haplo-identique à partir de moelle des parents donnent de meilleurs résultats que le foie fœtal, à condition de retirer tous les lymphocytes T du greffon. Il est vrai que les cellules de foie fœtal permettent, plus facilement encore, de surmonter les problèmes d’immunocompatibilité.

    Si l’on va plus loin dans l’utilisation des cellules souches embryonnaires pluripotentes, il faut permettre aux laboratoires de travailler sur ce sujet avec un contrôle approprié sur le plan éthique et économique. Cela suppose un nombre d’équipes limité et un encadrement strict de la recherche dont les finalités devront être préalablement approuvées. Faute de quoi, les recherches se développeront de toute façon, dans des conditions anarchiques.

    Cette voie de recherche est indispensable. Elle permettra de comprendre le fonctionnement très primitif de l’hématopoïèse. Elle va de pair avec la recherche génomique : des cellules souches permettront de tester l’hypothèse que tel facteur dérivé du programme « Génome humain » peut effectivement assurer l’expansion de la cellule souche, son maintien en survie, son orientation vers la différenciation dans tel ou tel lignage. La conjonction de la biologie cellulaire et de la connaissance des gènes qui contrôlent véritablement la différenciation ouvre un champ très novateur de la recherche et de la thérapeutique.

    Une des limites de cette nouvelle technique thérapeutique rejoint celles de l’autogreffe. Pour les leucémies, les lymphomes, il y a un avantage à avoir un système immunitaire qui ne soit pas celui du receveur, afin de bénéficier de la GVL (graft versus leukemia), le système immunitaire du donneur reconnaissant et détruisant les cellules leucémiques qui peuvent subsister. C’est la raison pour laquelle, en cas de choix entre deux donneurs – un jumeau monozygote et un frère HLA identique – pour le traitement d’une leucémie myéloïde chronique, on choisit de préférence la seconde solution.

    Auditions du 10 novembre 1999

    1. Professeur Claude SUREAU, membre de l’Académie de médecine

    On peut réfléchir sur l’avenir de la thérapie cellulaire, qui est en évolution très rapide, à partir de trois points de vue.

        - Il est d’ores et déjà des cas où l’utilisation des cellules ne soulève aucun problème juridique ou éthique. Ainsi en va-t-il pour les greffes de peau à partir de kératinocytes prélevés sur le patient, mis en culture et réimplantés pour le traitement des brûlures. La question se pose des délais dans lesquels une telle méthode pourra être appliquée à d’autres lignées cellulaires.

        - Une perspective très novatrice vient d’être révélée par la découverte, récemment publiée, de la capacité des cellules nerveuses de se transformer en cellules souches hématopoïétiques lorsqu’elles sont soumises à certaines conditions. Si l’exploitation d’une telle plasticité s’avère possible, elle rendra caduque toute réflexion sur l’utilité des cellules embryonnaires et du clonage thérapeutique.

        - Ne faut-il pas, dans l’attente, qui peut être longue, de cette ressource thérapeutique, considérer comme une solution intermédiaire et temporaire l’utilisation de cellules embryonnaires et de cellules clonées ou, plus précisément, résultant d’un transfert nucléaire ? Si ces lignées de cellules sont développées à l’étranger, on risque de se trouver soumis à une pression de l’opinion publique tendant à les acheter pour les utiliser en France. Est-on en droit de perdre du temps ? C’est sur ces considérations que s’est fondé l’avis n° 53 du Comité consultatif national d’éthique pour recommander l’utilisation de cellules extraites de la masse interne d’un embryon de quelques jours.

    Faut-il sacrifier le concept de l’embryon, personne humaine réelle dès la fécondation, à un intérêt thérapeutique immédiat ? Il y a là un conflit d’intérêts entre un concept transcendant et une préoccupation « utilitariste ».

    Ce point est directement lié à la définition du statut de l’embryon et du fœtus. A titre personnel, le professeur SUREAU juge quelque peu dérisoire une situation fondée sur une analyse juridique issue du droit romain, aux termes de laquelle il n’existe que des personnes et des choses alors que cette classification est objectivement battue en brèche depuis des années, notamment par le CCNE qui qualifie l’embryon de personne humaine « potentielle ». La chambre criminelle de la Cour de cassation elle-même a jugé que dans le cas d’un accident fœtal, involontaire mais fautif, la destruction d’un fœtus de cinq mois n’est pas constitutive d’un homicide.

    Le professeur SUREAU estime qu’il y a, jusqu’à la naissance, une élaboration progressive de la personne humaine et qu’on ne peut confondre dans la même définition un embryon de quatre cellules, un embryon extra-utérin, un embryon de six semaines éventuellement soumis à une IVG et un fœtus de quatre mois qui fera l’objet d’un avortement thérapeutique à la suite d’un diagnostic de mongolisme. C’est la raison pour laquelle l’Académie de médecine a esquissé la notion de statut médical de l’embryon et du fœtus qui peut autoriser des décisions au cas par cas.

    Le clonage par transfert nucléaire permettra peut-être d’échapper à ce dilemme car l’être résultant de cette opération n’est pas au sens propre un embryon. Il peut certes se développer pour donner un individu mais, si l’on suit cette ligne de pensée, toute cellule somatique est un embryon potentiel. On peut par ailleurs souligner que le diagnostic préimplantatoire est un clonage par séparation blastomérique, à visée diagnostique et éventuellement reproductive pour le clone conservé.

    Il est possible d’utiliser des produits d’IVG pour certaines expériences thérapeutiques comme c’est actuellement le cas dans le domaine neurologique mais l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires imposera nécessairement le recours à des embryons sains.

    La recherche sur les cellules pluripotentes obtenues par prélèvement embryonnaire ou par transfert de noyau est déjà très avancée aux Etats-Unis et risque de prendre le pas sur l’étude des possibilités offertes par les changements de lignées cellulaires même si cette seconde voie a pour avantage de contourner les problèmes philosophiques liés à l’utilisation de l’embryon. Mais si les cellules embryonnaires sont, dans les vingt ans qui viennent, couramment utilisées à des fins thérapeutiques, il n’est pas exclu que cela modifie, dans la mentalité collective, le contenu donné au concept d’embryon. Une évolution comparable s’est produite, au cours des trente dernières années, à propos de la grossesse extra-utérine que personne aujourd’hui n’envisagerait de laisser se développer au motif qu’elle peut éventuellement aboutir à la naissance d’un enfant vivant.

    L’un des objectifs qui fondent le développement de la recherche sur les gamètes et l’embryon est de renforcer la sécurité et l’efficacité de la fécondation in vitro en évitant, en particulier, les grossesses multiples et leurs conséquences en termes de prématurité. La voie la plus efficace serait de parvenir à congeler les ovocytes, ce qui rendrait inutile la congélation embryonnaire. Cependant, un ovocyte décongelé ne pourra être utilisé pour une FIVETE que si l’on a pu préalablement s’assurer de l’innocuité de cette méthode de conservation. Ceci implique donc que des embryons soient créés à cette fin, sans but procréatif, ce qu’interdit la Convention d’Oviedo. C’est l’une des raisons qui ont conduit les Britanniques à ne pas la signer.

    Il est permis de penser que le recours au clonage thérapeutique permettra un jour d’obtenir des cellules pluripotentes sans passer par un embryon mais ceci implique, là encore, une phase de recherche utilisant l’embryon en dehors de tout projet procréatif. D’autre part, le transfert de noyau nécessite un don d’ovocyte à des fins de pure recherche, ce qui ne va pas sans problème. La question se posera de l’utilisation d’ovocytes de femmes décédées accidentellement, question à laquelle la HFEA britannique a donné une réponse négative dans le cadre de la FIV.

    La solution pourrait être, comme certaines expériences américaines le laissent entrevoir, d’utiliser des ovocytes de vache comme réceptacle du noyau humain. Resterait à déterminer l’influence du cytoplasme d’origine animale dans le développement de ces cellules.

    Une autre solution pourrait consister à recourir à des ovocytes fœtaux, compte tenu des progrès déjà effectués en matière de maturation in vitro des ovocytes.

    Le professeur SUREAU souligne en conclusion la nécessité de soumettre tout programme de recherche :

        - à l’autorisation préalable d’une commission renforcée sur le modèle de la HFEA britannique .

        - à une surveillance de la mise en œuvre ;

        - à un suivi ultérieur, tant médical que scientifique.

    2. Docteur François PATTOU, Centre hospitalier régional universitaire de Lille

    Praticien hospitalo-universitaire au CHRU de Lille et à l’Université de Lille II, le docteur PATTOU dirige un laboratoire dont le thème principal de recherche est le traitement du diabète par la thérapie cellulaire, sous forme de greffe allogénique d’îlots de Langerhans, cellules sécrétrices de l’insuline. Un programme d’expérimentation clinique a été mis en œuvre depuis deux ans.

    Les îlots de Langerhans sont des cellules provenant du pancréas dont elles représentent 2 % de la masse totale. L’organe est prélevé sur des donneurs en état de mort cérébrale puis préparé afin d’en extraire les cellules destinées à être greffées.

    Les patients candidats à cette thérapie sont des diabétiques soumis à un traitement immunosuppresseur parce qu’ils attendent une transplantation rénale ou en ont déjà bénéficié.

    Les perspectives qui s’ouvrent à l’heure actuelle aux chercheurs sont bien identifiées grâce, notamment, à l’action de l’Association américaine des diabétiques qui finance cette recherche à une hauteur équivalente à celle des NIH, le but affiché étant de guérir le diabète dans les dix ans à venir. Les plus grands groupes de recherche américains s’intéressant au diabète, assurés d’un financement récurrent, se sont lancés dans cette bataille qui était jusqu’ici l’œuvre d’équipes plus restreintes.

    Deux objectifs ont été définis.

        - Le premier est de parvenir à se passer de l’immunosuppression afin de pouvoir proposer cette technique à tous les diabétiques. Avec des cellules qui présentent la particularité d’être disponibles quelques jours, voire quelques semaines avant d’être greffées – ce qui n’est pas le cas des organes – de nombreuses solutions théoriques sont possibles et quatre voies au moins ont été expérimentées avec succès chez l’animal (action sur le thymus, tolérisation du receveur, transfection des cellules par des gènes protecteurs, protection physique par une membrane semi-perméable). Elles restent encore à démontrer chez le gros animal.

        - Le second est de développer une source alternative de cellules insulino-sécrétrices, quasiment illimitée et éventuellement accessible à un projet industriel.

        · La xénogreffe, solution théorique initialement avancée, a subi, pour ce qui concerne les îlots de Langerhans, un sérieux coup d’arrêt en raison de problèmes infectieux qui, dans le cas du diabète, maladie létale, revêtent une particulière gravité.

        · La source principale est celle qu’offre l’embryologie à partir des cellules souches. Le pancréas, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, n’est pas un organe de la sphère neurologique mais un organe d’origine endothéliale. Des cellules souches endothéliales ont été caractérisées chez le rongeur adulte et, plus récemment, chez l’homme. On peut sous certaines conditions, pathologiques chez l’homme, expérimentales chez l’animal, réinduire leur différenciation. Des cellules souches canalaires pancréatiques peuvent ainsi conduire à la création de cellules endocrines pancréatiques.

    Ceci ouvre la porte à deux voies principales :

        - la néoformation in vitro, à base de cellules souches adultes, de lignées continues qui se développent de façon illimitée, ce qui n’est pas le cas des cellules primitives pancréatiques qui se dédifférencient immédiatement si l’on tente de les faire se multiplier. Ces lignées pourraient être, soit allogéniques, soit autologues. Cette solution paraît réalisable dans les dix années qui viennent ;

        - les lignées continues de génie génétique qui posent cependant, sur le plan scientifique, un problème conceptuel important : si l’on peut très facilement faire sécréter de l’insuline à une cellule musculaire, on ne possède pas actuellement les outils permettant de réguler cette sécrétion.

    Le docteur PATTOU met en évidence deux types de problèmes posés par la loi de 1994 en ce qui concerne le prélèvement des cellules et l’utilisation qui en est faite.

    S’agissant du prélèvement, la règle du consentement présumé applicable à l’utilisation scientifique ou thérapeutique ne soulevait, avant 1994, aucune difficulté. La distinction opérée par la loi de 1994 entre prélèvement scientifique et thérapeutique n’a pu être mise en œuvre immédiatement faute de textes d’application. A titre temporaire, il a été recouru localement au comité d’éthique.

    En l’état actuel des textes, la mise en œuvre de la greffe de cellules pancréatiques n’est possible que lorsqu’il y a, sur la liste nationale de l’EFG, un receveur lillois compatible avec le donneur envisagé.

    En revanche, les activités de développement (procédure d’isolement d’îlots) et de recherche ne sont pas prévues par la loi et ont donc dû être interrompues. Si la loi permet en théorie les prélèvements à but scientifique, elle ne les autorise pas du tout en pratique : l’obligation faite de s’assurer de l’identité du donneur en cas de prélèvement scientifique aboutissait à une interruption des prélèvements. Une solution tacite a été mise en place avec l’EFG afin d’assimiler les prélèvements scientifiques – par ailleurs très encadrés – à des prélèvements thérapeutiques afin de lever cet obstacle.

    Il conviendrait donc de séparer nettement les phases de prélèvement et d’utilisation. Une fois le prélèvement réalisé, les cellules devraient être « dépersonnalisées » et détachées de leur origine.

    En conclusion, le docteur PATTOU souligne le problème posé par les produits « ancillaires », utilisés pour la préparation des cellules en laboratoire, qui ne sont pas destinés à agir chez le malade mais s’y retrouvent à l’état de trace. D’autre part, la notion de lot pose, dans le cas des cellules primaires humaines, un problème de définition, le lot étant dans ce cas constitué par le donneur lui-même. Aussi conviendrait-il de prévoir les adaptations nécessaires pour que l’évaluation du produit thérapeutique n’aboutisse pas à sa destruction.

    Audition du 2 décembre 1999

    M. Charles THIBAULT, Professeur émérite à l’Université Paris VI-Pierre et Marie Curie

    Le professeur THIBAULT formule quatre remarques générales :

        - l’utilisation des cellules embryonnaires et des cellules souches ne fournit actuellement que des résultats faibles, voire très faibles ;

        - il y a des perspectives séduisantes mais l’expérimentation animale est encore insuffisante pour autoriser le passage à l’application humaine ;

        - l’expérimentation qui doit être menée sur des cellules embryonnaires humaines ne peut actuellement que viser à vérifier la concordance entre l’humain et plusieurs espèces de mammifères ;

        - il ne faut pas céder à la pression de l’opinion pour brûler les étapes mais faire prendre conscience aux patients des délais nécessairement longs qu’impose la recherche.

    Le clonage est une méthode permettant d’obtenir des entités génétiquement identiques en substituant au génome de l’œuf celui d’une cellule somatique. Quatre types de cellules ont été jusqu’ici utilisées. Des résultats positifs ont pu être obtenus avec :

        - des cellules des premières divisions de l’œuf (blastomères de morula, cellules du blastocyste) ;

        - des fibroblastes issus de tissus fœtaux ou adultes.

    Deux autres types de cellules (cellules ES et cellules EG) n’ont pour l’instant donné aucun résultat chez la souris ni chez le lapin. Dans le cas des cellules EG (cellules germinales primordiales), l’hypothèse avancée pour expliquer cet échec est l’absence de l’empreinte qui rend fonctionnel l’allèle « mâle » ou l’allèle « femelle » d’un gène et permet ainsi un développement normal de l’embryon.

    La résultante du clonage est appelée « œuf reconstitué » pour le distinguer de l’œuf fécondé. Les vraies lignées clonales de vertébrés ou d’invertébrés existent depuis des milliers d’années. Le clonage n’est donc pas une fantaisie de laboratoire contre nature. On peut même dire que cloner les mammifères est leur rendre une possibilité dont l’évolution les a privés.

    Les études réalisées dès les années 50 chez des amphibiens et, plus récemment, chez quelques mammifères montrent que le rendement, estimé par le nombre d’éclosions ou de naissances, est d’autant plus mauvais que l’on utilise des cellules plus différenciées. On peut globalement estimer que le rendement est de :

        - 7 à 10 % avec des noyaux de blastomères de morula ou de blastocystes ;

        - 2 % avec des cellules de fœtus ;

        - moins de 1 % avec des cellules d’adulte.

    Ce faible rendement à partir de cellules provenant de fœtus âgés ou d’adultes résulte, comme l’a montré Jean-Paul RENARD, d’une mortalité embryonnaire tardive qui se poursuit même au delà de la naissance, par suite d’une diminution des défenses immunitaires.

    Il est vrai que des chercheurs japonais sont parvenus, en décembre 1998, à créer huit veaux à partir de quelques cellules prélevées sur une seule vache mais il s’agit pour l’instant d’une expérience isolée dont la portée doit être appréciée avec la plus grande prudence.

    Pourquoi persister malgré un taux d’échec aussi élevé ? Cinq raisons le justifient pour les mammifères d’élevage ou de laboratoire. Deux concernent la poursuite de la recherche fondamentale :

        - sur les mécanismes par lesquels le cytoplasme de l’ovocyte initie l’expression du génome de l’œuf fécondé ou reconstitué ;

        - sur la création de clones d’animaux, modèles de maladies génétiques humaines.

    Trois objectifs économiques sont par ailleurs visés :

        - réduire le nombre d’animaux utilisés pour les tests (pharmacologie, nutrition, facteurs de l’environnement, …) ;

        - améliorer la transgenèse en clonant avec des cellules dont on est sûr qu’elles expriment le gène que l’on veut introduire (facteur de coagulation du sang dans le lait par exemple) ;

        - reproduire à l’identique des animaux de haute performance (lait, viande, fourrure, aptitude à la course, résistance à des maladies).

    S’agissant de l’application à l’homme des techniques de clonage, un certain nombre de pseudo-indications méconnaissent les difficultés et les résultats de la technique, ce qui permet soit de fantasmer (copie de soi ou d’un enfant mort) soit de négliger des traitements médicaux plus efficaces.

    On a pu invoquer l’intérêt de recherches fondamentales sur l’embryon humain pour étudier la multiplication et la différenciation cellulaire et la cancérogenèse humaines. Pour le professeur THIBAULT, rien ne justifie actuellement une telle demande :

        - elle est déontologiquement inacceptable : on ne fait pas de recherches fondamentales sur l’humain alors que de telles études n’ont pas donné lieu à des développements chez les mammifères de laboratoire ou d’élevage (il est seulement nécessaire de vérifier sur l’humain les conclusions des expériences animales par suite des différences spécifiques) ;

        - elle est scientifiquement déraisonnable : ce sont des recherches lourdes, difficiles, nécessitant un très grand nombre d’ovocytes ou d’embryons, impossibles à obtenir chez l’humain et même chez les primates.

    Le professeur THIBAULT aborde ensuite l’utilisation thérapeutique des cellules humaines.

    Il existe chez toutes les espèces des stocks de cellules qualifiées d’« indifférenciées », ou qui n’ont pas atteint un stade de différenciation terminale irréversible.

    Parmi les cellules indifférenciées, on distingue :

        1) les cellules souches dont les fonctions consistent à s’autorenouveler pour maintenir un pool permanent de cellules souches et, parallèlement, à fournir à la demande des cellules différenciées. Elles peuvent être unipotentes (cas des spermatogonies du testicule qui ne donnent qu’un seul type de cellules différenciées, les spermatogonies souches AS et AO) ou multipotentes (c’est-à-dire donner naissance à plusieurs types de cellules différenciées, comme la cellule souche hématopoïétique qui donne les différentes catégories de cellules sanguines mais aussi des cellules souches d’un autre type cellulaire, telle la cellule ovale du foie) ;

        2) les cellules embryonnaires qui sont dites pluripotentes lorsqu’elles peuvent redonner les différents types de cellules différenciées (cas des cellules ES et EG) ;

        3) l’œuf fécondé et les premières cellules de l’embryon (morula de 2 à 8 cellules) qui, isolées, peuvent aboutir à la formation d’un être complet et sont donc des cellules totipotentes.

    Les expériences menées aux Etats-Unis ont démontré que les cellules internes du blastocyste (cellules ES), placées dans certaines conditions de culture, se multipliaient sans se différencier pendant des mois mais pouvaient ensuite se différencier dans tous les types de cellules de l’organisme selon les facteurs utilisés. Elles sont donc pluripotentes. Lorsqu’on les introduit dans les tissus d’une souris adulte, elles forment, en se multipliant, des tératomes (amas de cellules indifférenciées et différenciées en cellules musculaires, nerveuses, épidermiques) ou des tératocarcinomes. C’est donc seulement après différenciation en un type cellulaire précis qu’elles peuvent être utilisées. La question qui se pose maintenant aux chercheurs est de savoir si les cellules ES humaines (ce type de cellule n’ayant pu être isolé que chez l’homme et chez la souris) sont capables de se différencier en cellules souches de différents tissus.

    En ce qui concerne les cellules EG (cellules germinales primordiales qui sont encore pluripotentes lorsqu’elles migrent dans l’embryon avant de peupler les glandes génitales), le fait que leur génome n’ait pas subi l’empreinte pourrait limiter leur potentialité.

    L’intérêt thérapeutique des cellules ES a été tout de suite évident. C’est pourquoi elles font l’objet de recherches par les firmes privées, principalement pharmaceutiques, dans le but de prendre des brevets.

    En France, ces recherches sont restées pour la plupart au sein des organismes publics de recherche. C’est bien ainsi car tous doivent pouvoir accéder à la connaissance de ces cellules et à leur usage thérapeutique. Il faut donc les encourager tout en sachant qu’elles coûtent cher.

    Les spécificités zoologiques interdisent de penser que des cellules ES d’un autre mammifère, le porc par exemple, pourraient être utilisées pour l’homme. Par ailleurs, l’expérience visant à fusionner un noyau humain et un ovocyte de bovin est hérétique du point de vue du fonctionnement cellulaire : la température de l’ovocyte bovin est de 39°5, celle de l’ovocyte humain de 37° et tout donne à penser que cette différence perturbe les mécanismes moléculaires, biochimiques et enzymologiques.

    Plusieurs types de thérapie génique sont, selon le professeur THIBAULT, envisageables en utilisant ces types cellulaires.

        - La première s’appliquerait à des tissus ou organes anormaux par suite de la présence d’un gène muté, chez des individus jeunes ou adultes.

        A partir de cellules ES, différenciées en culture, selon le type de tissu, il est possible d’envisager une thérapie génique, visant à introduire ces cellules normales dans des organes dont les cellules expriment une mutation handicapante ou létale. Un bel exemple vient d’être publié chez le rat. Des cellules ES ont été cultivées en présence de deux facteurs de croissance capables de provoquer leur différenciation en oligodendrocytes fonctionnels (cellules du système nerveux produisant de la myéline). Ces cellules introduites dans la moelle épinière et le cerveau de jeunes rats présentant un défaut de myélinisation, analogue à la maladie mortelle de Pelizaeus-Merzbacher (PMD), héréditaire chez l’homme, se sont multipliées, ont migré à partir du site d’injection et ont assuré une myélinisation de ≤ 50 % des axones de ces rats. Mais cette myélinisation ne s’étend qu’autour du site d’injection des cellules, ce qui complique singulièrement leur utilisation.

        Il vient immédiatement à l’esprit de traiter ainsi des enfants à la naissance, ou mieux, des fœtus par cette technique, à condition bien évidemment de disposer de cellules ES humaines, d’être capable de les différencier et de s’assurer de leur diffusion dans tout le système nerveux.

        Le problème de l’histocompatibilité se pose. Pour le résoudre, il faudra soit disposer d’une large palette de cellules souches pour y puiser le type histocompatible, soit, peut-être, produire des cellules ES histocompatibles par transgenèse.

        - La seconde consisterait dans la correction, par thérapie génique somatique, d’une anomalie génique portée par les parents et transmise à l’œuf fécondé. L’objectif serait que l’enfant ne présente pas la maladie résultant de l’anomalie génique de ses parents. Pour ce faire, il conviendrait :

        · que soient obtenues des cellules ES issues de blastocystes du couple et qui seront corrigées par transgenèse ;

        · que ces cellules soient utilisées pour une thérapie génique embryonnaire, par injection dans une morula ou un blastocyste du couple, porteur de l’anomalie.

        Il conviendrait de modifier la loi qui interdit aujourd’hui toute création de chimères.

        L’enfant ne serait guéri que si les cellules corrigées pour le gène muté étaient présentes dans les tissus défaillants. Dans la grande majorité des cas, il restera porteur de l’anomalie génique dans sa lignée germinale et sera donc susceptible de la transmettre à sa descendance. A-t-on le droit, s’interroge le professeur THIBAULT, de diffuser des anomalies ?

        - La troisième vise à corriger une anomalie génique par clonage intra-couple, c’est-à-dire à obtenir une guérison définitive par la voie du clonage : clonage à partir d’ovocytes de la femme par transfert de noyaux de cellule ES, corrigés et provenant d’un blastocyste du couple.

        Cette solution doit retenir l’attention car c’est la seule qui permette d’éliminer définitivement et à coup sûr l’anomalie génique, tout en créant un œuf reconstitué à partir des génomes des deux parents. Il s’agit à la fois d’un clonage et d’une thérapie germinale, mais à l’intérieur du couple. C’est dire que l’embryon ayant servi à produire les cellules ES ne sera pas sacrifié mais aura, au contraire, ses chances de conduire à la naissance d’un jeune indemne de l’anomalie.

        Utilisée ainsi, la thérapie germinale, loin de menacer la dignité de la personne humaine comme on l’affirme de par le monde, constitue la voie de recherche qu’il faut choisir pour protéger notre espèce contre la diffusion de gènes défectueux, acte particulièrement dangereux quand la reproduction est en cause, compte tenu des caractéristiques déjà défavorables de la fertilité humaine (fréquence élevée de spermes anormaux, défaut d’ovulation et ovaires polykystiques, mortalité embryonnaire très élevée, période de reproduction de la femme relativement courte par rapport à la durée de vie).

    Le professeur THIBAULT évoque en dernier lieu les ressources offertes par les cellules souches. On sait depuis l’antiquité que le foie se régénère et, depuis longtemps, que des cellules de la moelle osseuse renouvellent en continu les lignées de différentes cellules sanguines. Durant ces dernières années, on a pu identifier et isoler dans presque tous les tissus (cornée comprise) ou organes (cerveau) des cellules souches somatiques capables de reconstituer ces tissus en cas de dégradation physiologique, traumatique ou pathologique. Ces cellules souches existent même dans le système nerveux central (macaque, homme) où il vient d’être mis en évidence que des cellules de soutien sont capables de générer des neurones et que des neurones sont capables de se multiplier dans le cortex (macaque) ou dans l’hypothalamus (homme).

    Les spermatogonies souches servent normalement à repeupler les tubes séminifères en cas de traumatismes non irréversibles (action de la chaleur par exemple). Il a été observé, chez des souris privées de leur lignée germinale par mutation, que l’injection de spermatogonies provenant d’un testicule normal ou de spermatogonies multipliées en culture permettait le repeuplement des tubes séminifères : trois mois après l’injection, 28 % des tubes séminifères présentaient une spermatogenèse complète se déroulant selon la chronologie caractéristique de l’espèce.

    On peut donc penser à utiliser cette technique chez l’homme pour repeupler un testicule irradié, voire en utilisant la transgenèse appliquée aux spermatogonies en culture pour « réparer » une lignée germinale porteuse d’un gène anormal.

    Dans ce cas, il s’agirait d’une thérapie génique germinale typique. La poursuite de recherches dans ce sens ne paraît pas critiquable si le but visé est de corriger une anomalie génique à l’origine d’une pathologie grave ou de rétablir une spermatogenèse normale.

    En ce qui concerne les cellules souches somatiques, il apparaît qu’elles peuvent se multiplier en culture en conservant leur caractère propre. La question est de savoir si ces cellules souches peuvent se comporter comme des cellules souches d’autres tissus que celui auquel elles appartiennent.

    Il semble, d’après trois résultats récents, que la réponse à cette question soit positive.

        - Des cellules souches du système nerveux de souris, ou leurs cellules filles obtenues en culture, injectées à des souris irradiées pour détruire presque totalement les cellules hématopoïétiques, participent à la restauration de tous les types de cellules lymphocytaires se comportant comme des cellules souches hématopoïétiques.

        - Des cellules souches hématopoïétiques injectées à des rats dont le foie a été sévèrement détruit forment des cellules souches hépatiques (cellules ovales) puis des hépatocytes. Leur transformation en cellules souches hépatiques est réelle, les marqueurs moléculaires utilisés ne laissant subsister aucun doute. Mais la participation de ces cellules souches hématopoïétiques est très faible, de 0,10 à 0,16 %.

        - Des cellules de la lignée hématopoïétique d’une souris normale, injectées à des souris (mdx) présentant une anomalie du gène de la dystrophine (myopathie de Duchenne) sont capables de fonctionner comme des cellules hématopoïétiques dans la souris mdx mais aussi de se comporter comme des cellules souches musculaires restaurant partiellement l’expression de la dystrophine dans les muscles de cette souris mdx.

    Le professeur THIBAULT souligne, sur un plan général, que les risques que peuvent faire courir certains esprits malfaisants ne doivent pas occulter les possibilités considérables offertes par les techniques nouvelles – notamment le clonage associé à la transgenèse – pour le traitement de pathologies clairement et strictement définies.

    Auditions du 9 décembre 1999

    1. Dr Philippe BRACHET, U 437 de l’INSERM (Immuno-intervention dans les allo et xénotransplantations)

    L’unité 437, constituée initialement autour de la greffe de rein, s’est orientée vers la xénotransplantation de tissus périphériques. Le docteur BRACHET a rejoint cette unité pour y développer un axe de transplantation neuronale. L’objectif est de passer prochainement au stade clinique pour des pathologies du type Parkinson qui se prêtent bien, du moins en théorie, à la transplantation de cellules nerveuses embryonnaires. Les essais menés par le docteur PESCHANSKI pourraient devenir multicentriques et être étendus à l’hôpital de Nantes.

    L’utilisation de cellules fœtales a déjà fait l’objet d’essais cliniques en France, notamment à Créteil, et dans différents pays européens. La Suède vient de publier des résultats à ce sujet. Il existe un débat en France sur les mérites comparés de la stimulation électrique et de la transplantation cellulaire pour le traitement de la maladie de Parkinson. La transplantation permet une restauration de la cytoarchitecture et des fonctions naturelles et peut apporter une réponse que ne fournit pas la stimulation électrique pour le traitement de la chorée de Huntington et d’accidents vasculaires tels qu’un infarctus central suffisamment localisé. La difficulté tient au fait que le système nerveux central est un mauvais terrain pour les repousses axonales ; il est donc nécessaire d’utiliser des cellules fœtales qui ont un puissant pouvoir de différenciation. Ce tissu fœtal n’est pas aisément accessible et il est, d’autre part, tentant de manipuler ce type de cellules pour améliorer leur pouvoir régénérateur. Cette manipulation soulève des problèmes éthiques qui sont moins insolubles si l’on utilise des cellules adultes prélevées post-mortem.

    Il y a une dizaine d’années, la conviction généralement répandue était qu’il n’y avait aucune possibilité de régénération neuronale dans le cerveau adulte. Cette idée est aujourd’hui totalement remise en question : il est apparu que dans les fosses nasales comme dans le premier relais central du système olfactif, il y avait des progéniteurs (cellules souches neuronales) qui sont générés en permanence dans le cerveau. On a ensuite trouvé des renouvellements dans d’autres structures, y compris l’hippocampe qui est un des lieux relais des phénomènes cognitifs.

    Aujourd’hui, des rapports établissent que, chez la souris, les neurones dopaminergiques de la substance noire, qui sont affectés par la maladie de Parkinson, sont également sujets à renouvellement. Les cellules souches ainsi identifiées peuvent être développées à partir du cerveau fœtal mais aussi à partir du cerveau adulte. Des expériences sont menées aux Etats-Unis et, en France, par l’équipe de Jacques MALLET.

    Ces cellules souches neuronales ne donnent, jusqu’à plus ample informé, que des tissus nerveux (oligodendrocytes, astrocytes, neurones). Beaucoup d’entre elles sont dotées d’une très grande plasticité qui multiplie leur capacité de différenciation. Ainsi, un précurseur cérébelleux, isolé en 1994 aux Etats-Unis, développe des neurones pyramidaux, une fois greffé dans le cortex. Si l’on parvient à agir sur les facteurs environnementaux qui jouent ici un rôle considérable, on peut imaginer qu’un précurseur fournisse, à 99 %, du neurone dopaminergique adapté au traitement de Parkinson.

    Le transplanteur peut partir de cellules fœtales ou de cellules souches neuronales qu’il soumettra à des modifications génétiques pour en renforcer l’efficacité. Mais le problème majeur est celui de l’insuffisance quantitative du matériel humain face à la progression de la maladie (6 000 nouveaux parkinsoniens chaque année). L’implantation de cellules dans le striatum nécessite l’utilisation de dizaines de fœtus pour chaque patient.

    Pour cette raison, le laboratoire du docteur BRACHET a ciblé sa recherche sur le porc et travaille sur des fœtus porcins de 25 à 28 jours, âge auquel le mésencéphale se différencie. Le système nerveux central a un statut immunologique particulier car il n’est pas vascularisé de la même manière que les tissus périphériques. De ce fait, on peut plus facilement maîtriser les réactions immunologiques. Aussi les Américains ont-ils déjà transplanté des neurones fœtaux porcins sur des patients parkinsoniens qui sont cependant placés, de façon permanente, sous cyclosporine. Les Européens, estimant que les choses ne sont pas mûres, n’ont pas voulu emboîter le pas. Un réseau européen, en cours de renouvellement, a pour objectif d’améliorer les traitements immunosuppresseurs, la manipulation des cellules neuronales porcines et d’amener à la clinique la transplantation neuronale d’origine porcine pour le traitement de la maladie de Parkinson. Un essai clinique, après expérimentation sur le primate, est envisageable d’ici trois ans.

    L’objectif du docteur BRACHET dans ses expériences de transplantation porc-rat est de modifier par transgenèse les neurones transplantés pour qu’ils sécrètent des cytokines anti-inflammatoires et immunosuppressives de sorte qu’ils inactivent, une fois implantés dans le cerveau, le peu de système immunitaire dont il est doté, rendant inutile l’administration de cyclosporine. Ainsi pourrait-on parvenir à terme à un porc transgénique dont les neurones survivront chez l’homme.

    L’utilisation de matériel humain pose, en dehors de sa disponibilité, le problème de ce qui est ou n’est pas licite selon les termes de la loi. Aussi est-il pour l’instant plus simple de travailler sur la cellule souche porcine : un chercheur recruté l’an prochain à l’INSERM aura pour mission de trouver des procédés permettant de maîtriser la différenciation vers des neurones prédéterminés.

    S’agissant des risques de transmission virale liés aux xénogreffes d’origine porcine, des enquêtes ont été menées auprès des patients qui ont été en contact avec des tissus porcins (valves cardiaques, insuline porcine administrée aux diabétiques, greffes temporaires de peau). Aucune trace d’anticorps suscités par des virus d’origine porcine ne semble avoir été retrouvée. Des essais sont en cours aux Etats-Unis pour le traitement de la maladie de Parkinson et de la chorée de Huntington par l’implantation de neurones porcins. En Europe, le réseau constitué entre différents pays (Grande-Bretagne, Suède, Danemark, Allemagne) se prépare à la transplantation dans les trois années à venir en la soumettant à des précautions pré et postopératoires plus strictes que celles qui s’appliquent aux Etats-Unis.

    Les cellules ES d’origine humaine constitueront très certainement une solution d’avenir mais il paraît prématuré au docteur BRACHET de s’aventurer sur ce terrain tant que l’on n’a pas totalement exploité les enseignements que peut fournir l’expérimentation animale. Pour satisfaire l’exigence du prérequis animal, l’idéal serait évidemment de parvenir à isoler chez le porc des cellules ES comme on a pu le faire chez les rongeurs.

    2. M. Jacques SAMARUT, directeur de recherche au CNRS, chef du groupe « Oncogenèse virale et différenciation cellulaire » à l’ENS de Lyon, et Mme Martine LOISEAU, chargée de mission éthique au département des sciences de la vie au CNRS

    M. SAMARUT juge hautement souhaitable que l’on puisse travailler en France sur des cellules ES d’origine humaine.

    Elles constituent tout d’abord un sujet d’étude fondamental pour le biologiste dont l’un des enjeux est de comprendre comment une cellule peut avoir des potentialités multiples et les exprimer dans certaines conditions.

    En deuxième lieu, elles permettent de reconstituer certaines étapes très précoces du développement embryonnaire que l’on connaît actuellement très mal chez l’homme. On l’imagine par inférence de ce que l’on observe chez l’animal mais il est fort probable qu’il y a des différences importantes ; au niveau moléculaire, notamment, aucune étude n’a pu être faite sur l’embryon humain très précoce. Les extrapolations à partir du modèle animal ne sont pas toujours fiables et l’on peut rappeler à ce propos l’exemple de la thalidomide qui n’avait pas été testée sur l’espèce humaine.

    Troisième point d’intérêt pour la connaissance fondamentale, ces cellules ES, par certaines de leurs caractéristiques (vitesses de division, réactions biochimiques, expressions de gènes) s’apparentent de près à des cellules précancéreuses. Elles constituent donc, par leur état instable, un modèle intéressant qui permet d’aborder une situation dans laquelle une cellule peut basculer vers l’état cancéreux. Le fait de disposer de telles cellules chez l’homme permettrait d’affiner des études aujourd’hui impossibles puisqu’on ne peut induire artificiellement des développements de cancers comme on le fait chez l’animal.

    Sur le plan des applications thérapeutiques, deux possibilités doivent être distinguées :

        1) La mise au point d’outils thérapeutiques qui ne sont pas constitués par la cellule elle-même : actuellement, les recherches de thérapeutique par l’utilisation de drogues se font dans un premier temps sur des tissus animaux puis sur un tissu humain dont la disponibilité est très limitée. Lorsqu’on aura maîtrisé la différenciation in vitro des cellules ES en divers types de tissus, on disposera de modèles biologiques humains qui apporteront beaucoup pour le criblage des drogues et le développement thérapeutique.

        2) L’utilisation de la cellules ES comme outil thérapeutique : ici, les perspectives sont moins immédiates. La fabrication de tissus de substitution à partir de ce type de cellule constitue une entreprise de longue haleine qui mérite d’être soutenue de préférence aux xénogreffes qui posent d’importants problèmes sur les plans éthique et sanitaire.

    Les cellules ES ne sont pas les seules à offrir des possibilités en ce domaine : on commence à identifier des cellules souches dans un certain nombre de tissus mais elles sont, généralement, extrêmement rares et difficiles à isoler en quantité suffisante, notamment au stade avancé du développement de l’individu.

    Le jour où l’on saura induire la différenciation contrôlée de la cellule ES dans un certain nombre de tissus, tout donne à penser que l’on pourra développer leur réimplantation. Cinq à dix ans seront sans doute nécessaires pour mener à bien ces applications cliniques.

    Se pose, bien évidemment, le problème de la compatibilité d’un tissu ainsi développé in vitro avec l’organisme du receveur. On a évoqué, à ce sujet, la possibilité d’un clonage permettant de reconstituer des cellules ES à partir d’une cellule somatique du patient. M. SAMARUT se déclare défavorable à cette méthode qui présente, à son point de vue, d’énormes risques : à partir du moment où l’on prélève un noyau sur une cellule déjà largement engagée dans une voie de différenciation, on ne peut être certain de l’intégrité du patrimoine génétique de cette cellule. On sait que dans un tissu somatique, la proportion de cellules qui renferment des anomalies génétiques est très importante. On pourra détecter un réarrangement chromosomique mais non des anomalies ponctuelles et ce risque paraît trop élevé pour une utilisation thérapeutique.

    Pour résoudre les problèmes de compatibilité, il est préférable de s’orienter vers les solutions déjà utilisées pour la transplantation d’organes en neutralisant, temporairement ou à long terme, le système immunitaire. Il sera peut-être possible de reprogrammer génétiquement, de façon très ciblée, les cellules ES en y introduisant des éléments bien identifiés qui permettent de les rendre compatibles ou de ne pas exprimer certains déterminants qui conduiraient à leur rejet. La mise au point de ces techniques demandera sans doute un certain temps.

    Ces cellules expriment leur caractère cancéreux chez la souris si on les réimplante ailleurs que dans l’embryon très immature, par exemple sous la peau ou dans les capsules surrénales. Si on parvient à leur faire subir in vitro une détermination – « commitment » selon l’expression anglaise – elles ne présentent plus ce potentiel oncogène. Le biologiste devra contrôler les conditions assurant la détermination qui permettra l’utilisation de ces cellules dans des conditions de sécurité.

    Les deux sources possibles de cellules ES sont, d’une part, l’embryon très précoce au stade blastocyste, d’autre part le tissu germinal, à un stade beaucoup plus avancé du développement embryonnaire : au moment où les gonades se forment, elles sont colonisées par des cellules précurseurs qui vont donner les spermatozoïdes et qu’on appelle cellules germinales primordiales. Il semble qu’on puisse, à partir de ces dernières, dériver en culture des cellules qui s’apparentent à des cellules ES. Les taux de réussite sont plus élevés chez la souris à partir de l’embryon qu’à partir des cellules EG. Les biologistes s’interrogent aujourd’hui sur la véritable nature des cellules dérivées de cette deuxième source et sur leurs potentialités.

    La solution, en France, pourrait consister à utiliser dans les cinq années qui viennent les embryons surnuméraires pour déterminer l’avenir de ces cellules ES. Si les perspectives thérapeutiques se trouvaient confirmées, il faudrait adopter de nouvelles dispositions pour trouver des sources de cellules ES dans des conditions très strictement contrôlées. On ne pourra pas, en tout état de cause, multiplier trop longtemps des lignées en culture, compte tenu des risques de dérives génétiques que l’on n’est pas capable de détecter. On ne pourra donc pas créer une ou deux lignées de cellules ES qui seront universellement utilisables, surtout dans la phase de recherche des cinq années à venir où les tâtonnements et les pertes seront inévitables. Au delà, il sera peut-être possible de créer des conditions de culture assorties de contrôles très stricts qui permettront de limiter le nombre de lignées susceptibles de couvrir les besoins.

    M. SAMARUT se déclare défavorable à toute manipulation tendant à créer, à partir de l’implantation de cellules ES génétiquement modifiées dans un embryon, un chimérisme germinal pour la correction d’une anomalie génétique.

    Audition du 26 janvier 2000

    M. Michel FOUGEREAU, conseiller scientifique pour les sciences de
    la vie et de la médecine à la Direction de la Recherche, professeurs Alain FISCHER (Université Paris V) et Marc TARDIEU (Université Paris XI)

    La thérapie cellulaire est en pleine expansion. Les plus récentes publications scientifiques mettent en évidence l’extraordinaire plasticité des cellules souches adultes et leur utilité corrélative pour le traitement d’un très grand nombre de maladies. Des cellules souches issues de divers tissus semblent pouvoir être manipulées pour produire des cellules appartenant à d’autres tissus : des cellules souches nerveuses peuvent être transformées en cellules sanguines ; de même, des cellules souches de la moelle osseuse peuvent générer des cellules osseuses, des cellules cartilagineuses, les cellules qui forment les parois des vaisseaux sanguins et des cellules musculaires. Ces cellules sont facilement accessibles et leur utilisation ne pose pas de problème éthique. Une application médicale partielle a déjà pu être réalisée pour le traitement de la maladie des os de verre à partir d’une greffe de cellules souches de la moelle osseuse.

    Des équipes américaines ont pris, dans ce domaine, une avance importante sur les pays européens mais, compte tenu de la nouveauté de cette recherche, ce retard n’a rien d’irrémédiable à condition que nos équipes s’orientent rapidement dans cette direction. Cette recherche offre des potentialités considérables, dont certaines sont encore insoupçonnées, mais le passage à l’application thérapeutique nécessitera un assez long délai.

    Les cellules souches embryonnaires ont révélé, au moins chez l’animal, une pluripotence qui permettrait, à condition d’en maîtriser la différenciation, de les orienter vers tous les types cellulaires présents dans l’organisme humain. A terme, mais on se situe là à un niveau de complexité beaucoup plus élevé, il est envisageable de reconstituer des tissus à partir de ce type de cellules. Il est encore difficile de mesurer l’étendue des ressources qui seront effectivement exploitables dans ce domaine. L’obtention de ces cellules soulève par ailleurs des problèmes éthiques. Il reste encore, en tout état de cause, à la recherche fondamentale un long chemin à parcourir avant d’envisager le passage à l’application thérapeutique.

    Si l’on compare globalement le financement public de la recherche en France et aux Etats-Unis, on peut considérer, compte tenu du rapport des populations, que les efforts consentis sont équivalents. En revanche, si l’on ne retient que le domaine des sciences de la vie, le rapport est de un à trois en défaveur de la France. L’objectif du Gouvernement est de corriger ce déséquilibre. L’action peut s’exercer en direction d’organismes, tels l’INSERM ou l’INRA, qui sont orientés vers la recherche biomédicale. Elle peut aussi se traduire par des dispositions législatives favorisant la mobilité des chercheurs et par des incitations budgétaires.

    Ces dernières se sont concrétisées par la création de deux fonds d’intervention : le Fonds national de la science et le Fonds de la recherche technologique. Pour 1999, le budget du FNS était de 500 MF. Il a été porté à 700 MF pour 2000 et l’objectif est d’atteindre le milliard de francs d’ici 2002. Le FRT disposait en 1999 de 670 MF, portés à 900 MF en 2000. Il devrait connaître la même progression que le FNS dans les deux prochaines années.

    Un effort majeur a été fait pour le développement de la recherche sur le génome (Génopole d’Evry, Centre national de séquençage et Centre national de génotypage). Quatre génopoles ont été créés en province (Lille, Strasbourg, Toulouse et Montpellier) et deux devraient l’être cette année (Marseille, Lyon-Grenoble). Leur rôle est de conduire l’analyse du génome (séquençage, décryptage et description des gènes). On entrera ensuite dans l’« après-génome », phase de physiologie intégrée où sera étudié le fonctionnement des gènes.

    Le FNS et le FRT permettent une mobilisation très rapide des crédits. Une partie de ce financement provient des fonds initialement alloués aux grandes entreprises. Le rapprochement des secteurs de la recherche et de l’entreprise devrait s’opérer principalement en direction de PME et de PMI. Dans le domaine des sciences du vivant, en effet, la recherche doit être, dans un premier temps, développée en faisant appel au capital-risque. La mobilité des chercheurs et leur participation à des créations d’entreprises seront, d’autre part, facilitées par la loi sur l’innovation.

    L’incitation à la recherche développée par le FNS à travers le génome et le post-génome intéresse très directement la thérapie cellulaire sur le plan de la recherche fondamentale : si une équipe française est capable de cloner un gène qui code une protéine essentielle pour un certain type de différenciation cellulaire, cela constituera une clé scientifique majeure pour ce type de développement technologique. Dans le domaine de la recherche appliquée, l’INSERM est engagé dans une aide au développement de projets, essentiellement publics, touchant la biothérapie. Cet effort reste encore insuffisant et devra être également accentué. De son côté, le ministère de la Santé a son propre programme hospitalier de recherche clinique qui permet de financer des essais thérapeutiques ; certains d’entre eux concerneront cette année la thérapie cellulaire et génique. Enfin, certains hôpitaux ont mis en place les structures nécessaires pour développer des essais cliniques : tel est le cas de l’hôpital de Nantes qui a créé dans ce domaine un très bel outil avec des entreprises start-up. A l’AP-HP, deux ou trois centres, principalement orientés vers les cellules souches hématopoïétiques, devraient être constitués mais ce projet n’en est encore qu’à son début.

    Au plan européen, dans le cadre du cinquième PCRDE, une série de programmes auxquels participent des équipes françaises se développe autour des biothérapies mais il n’existe pas, actuellement, de coordination avec les actions mises en œuvre au plan national, sauf par le biais d’initiatives individuelles.

    Il est aujourd’hui nécessaire que les chercheurs acquièrent une culture d’entreprise à côté de leur culture scientifique. Leur participation à des sociétés start-up peut y contribuer, mais aussi une sensibilisation, déjà en cours, aux prolongements industriels de la recherche dans le cadre des formations de 3ème cycle.

    L’utilité des start-up peut être illustrée par un exemple tiré d’une expérience ratée : une équipe française a trouvé une substance, la thrombopoïétine, qui permet de différencier les cellules de la moelle osseuse en plaquettes. Elle a donc des applications très importantes en hématologie et pour la thérapie cellulaire au sens large. Une entreprise start-up aurait pu être créée autour du développement de ce projet et aboutir au dépôt d’un brevet qui aurait assuré le succès de cette entreprise. C’est la démarche qu’a adoptée une start-up américaine, privant ainsi les chercheurs français du bénéfice de leur découverte.

    De la même façon, l’identification par un chercheur anglais, dans le cadre de la recherche fondamentale, des anticorps monoclonaux n’a pas donné lieu au dépôt d’un brevet et l’économie britannique a vu lui échapper les substantielles retombées financières engendrées par les applications de cette découverte.

    Il est donc important que s’établisse entre le monde scientifique et la vie économique une jonction que devrait favoriser la loi sur l’innovation.

    Les brevets déjà déposés par les sociétés américaines créeront sans doute des difficultés pour le développement européen des nouvelles thérapies cellulaires mais elles ne sont pas insurmontables : si l’on dispose d’une monnaie d’échange en brevetant une ou plusieurs substances nécessaires aux différentes étapes du développement des cellules, on se ménagera une marge de négociation.

    La recherche doit en tout état de cause progresser sans exclusive pour déterminer, le cas échéant, quel type de cellules souches, embryonnaires ou adultes, sera le plus approprié pour le traitement de tel ou tel type de pathologie.

    Il conviendrait de simplifier les procédures d’encadrement de la recherche dans le domaine de la thérapie cellulaire et de la thérapie génique, bien qu’il y ait eu des progrès sensibles depuis quelques années : trop de commissions indépendantes sont amenées à évaluer les projets, simultanément ou séquentiellement. Ces procédures devraient être regroupées, même si elles font intervenir de nombreux ministères (Recherche, Santé, Environnement, Agriculture…). D’autre part, l’encadrement des banques de tissus et de cellules devrait être organisé de façon plus claire et moins artisanale ; l’interface entre la recherche et l’hôpital doit être beaucoup mieux définie.

    Compte rendu des auditions publiques
    du 25 novembre 1999

    Ouverture

    Alain CLAEYS

    Je suis heureux, au nom de Claude HURIET et de moi-même, de vous accueillir pour cette journée d’auditions publiques placée sous le double patronage du Président du Sénat et du Président de l’Assemblée Nationale, et qui est réalisée à l’initiative de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. L’Office parlementaire est un office paritaire, composé à égalité de sénateurs et de députés. Je voudrais saluer tous nos invités, qui ont bien voulu consacrer une journée à nos débats.

    En 1994, le législateur a adopté les lois bioéthiques. Et il a prévu que la loi 654 du 29 juillet 1994 devait être évaluée cinq ans plus tard par l’Office. Claude HURIET et moi-même avons été désignés par l’Office pour réaliser cette évaluation. C’est le sens du premier rapport que nous avons remis, relatif aux dons, à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Ce rapport, comme d’autres contributions, servira à la réactualisation de la loi qui doit intervenir dans le courant de l’année 2000. Suite à cette première étude et à une proposition du Professeur Axel KAHN, faite devant le Conseil scientifique de l’Office le 20 janvier 1999, il est apparu utile de poursuivre la réflexion sur des sujets qui n’avaient pas été traités par le législateur en 1994. Nous avons donc décidé de réaliser une seconde étude sur le clonage, la thérapie cellulaire et l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires. C’est dans le cadre de cette deuxième étude que nous avons décidé d’organiser ces auditions publiques.

    Le problème du clonage n’a pas été abordé par le législateur en 1994 dans la mesure où cette technique ne semblait pas pouvoir à l’époque être applicable à l’homme. Depuis la naissance, au mois de juillet 1996, de Dolly, les expériences se sont multipliées. Aujourd’hui, le débat sur l’application à l’homme de techniques de clonage a pris une dimension nouvelle avec l’introduction d’une distinction entre le clonage reproductif, unanimement condamné, et le clonage thérapeutique, dont de nombreux scientifiques soulignent aujourd’hui l’intérêt. En particulier, il pourrait occuper une place importante dans l’exploitation des ressources médicales offertes par les cellules souches pluripotentes.

    A travers ces auditions, nous souhaiterions traiter trois grandes questions. Tout d’abord, il est nécessaire de distinguer ce qui est scientifiquement déjà possible de ce qui sera réalisable à court et moyen terme. Ceci nous permettra de présenter les solutions alternatives qui pourront être développées en matière de thérapie cellulaire. Nous attendons beaucoup des informations de ce matin. L’information va extrêmement vite. En tant que parlementaires, nous avons un rôle pédagogique à jouer. Il ne faut pas laisser croire n’importe quoi sur les possibilités thérapeutiques. Cette journée devrait permettre de nous éclairer.

    Ensuite, il convient de décrire et d’apprécier l’environnement économique dans lequel s’inscrivent les découvertes scientifiques. Les enjeux économiques importants des découvertes scientifiques ne doivent en effet pas être négligés.

    Nos travaux serviront au législateur, dans le cadre de la réactualisation des lois de 1994. Notre souhait est donc, enfin, de mettre en évidence les tensions qui existent entre les principes posés par la loi de 1994 et les perspectives thérapeutiques offertes par le progrès scientifique. Si ces perspectives étaient retenues, un assouplissement du cadre législatif en vigueur s’avérerait nécessaire. Il convient tout à la fois d’assurer le progrès thérapeutique pour les malades et de préserver l’humanité des thérapies.

    La journée d’aujourd’hui sera rythmée par six interventions, qui aborderont à la fois les aspects scientifiques, économiques, éthiques et juridiques du clonage. Je voudrais vous présenter les membres du Comité de pilotage, qui vont intervenir tout au long de la journée et poser des questions à nos invités. Et je voudrais rendre hommage à Monsieur COSTA, Directeur adjoint de l’Assemblée, qui travaille à l’Office. Par sa disponibilité et son talent, il nous a apporté énormément. Axel KAHN fait partie du Comité de pilotage. Malheureusement, il ne pourra pas être parmi nous aujourd’hui. Jean-Paul RENARD, ici présent, est Directeur de recherche à l’INRA, dont le laboratoire a réalisé plusieurs clonages de bovins par transfert de noyau de cellules somatiques. Jacques MONTAGUT est Médecin biologiste de la reproduction, Directeur de l’Institut francophone de recherche et d’études appliquées à la reproduction et la sexologie. Il est membre du Comité consultatif national d’éthique et expert à la Commission européenne. Enfin, Bernard LOTY est Docteur en médecine, Chef du département médical et scientifique de l’Etablissement français des greffes.

    Je vais maintenant vous présenter nos invités. La première intervenante est le Docteur Anne Mc LAREN que je remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Le Docteur Mc LAREN est membre de la HFEA, Human Fertilization and Embryology Authority, et du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies. Son intervention permettra de préciser le rôle des autorités britanniques de régulation en matière de thérapie cellulaire et de clonage, les positions gouvernementales sur ces mêmes problèmes, et la ligne adoptée par les différents pays de l’Union européenne. John GEARHART est professeur de gynécologie et d’obstétrique à l’Université Johns Hopkins de Baltimore. Il a isolé et mis en culture, en 1998, des cellules souches pluripotentes à partir de cellules germinales primitives prélevées sur un fœtus. Il précisera les possibilités offertes par ce type de cellules et les problèmes que la recherche devra résoudre avant que puissent être expérimentées sur l’homme de nouvelles thérapies cellulaires. Enfin, le dernier intervenant de la matinée est le Professeur Ian WILMUT, qui a réussi, à l’Institut Roslin d’Edimbourg, le premier clonage de mammifère à partir d’une cellule somatique adulte (la brebis Dolly). Dans son exposé, il nous parlera des diverses applications du clonage animal reproductif et des perspectives économiques escomptables en ce domaine.

    Le rôle des autorités britanniques de régulation en matière de thérapie cellulaire et de clonage, et la ligne adoptée par les différents pays de l’Union européenne

    Docteur Anne Mc LAREN

    Membre de l’HFEA et du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies

    Il existe un grand nombre d’infections graves du foie, du sang, du cœur (l’arthrite, le diabète), qui pourraient être soignées par des greffes de cellules ou de tissus. Les cellules nécessaires pour réparer l’organe atteint sont de différents types : les cellules du sang, les cellules nerveuses, les cellules musculaires, etc. Les chirurgiens souhaiteraient disposer d’une source permanente de cellules et de tissus. Leur objectif est que la greffe ne provoque pas un rejet. Il existe deux stratégies actuellement pour répondre aux besoins : d’une part, la recherche sur les cellules souches, d’autre part, le développement des xénogreffes. Aujourd’hui, je vais vous parler de la recherche sur les cellules souches.

    Qu’est-ce qu’une cellule souche ? Il s’agit d’une cellule capable de produire une autre cellule, qui lui ressemble et qui est capable de se différencier en types tissulaires. Les cellules souches sont très importantes dans l’organisme. Parfois, la cellule souche non seulement se renouvelle mais elle produit un autre type cellulaire. Dans la peau et la muqueuse intestinale, il existe des cellules souches qui se reproduisent en un seul type de cellules spécialisées. En revanche, les cellules multipotentes produisent différents types de cellules. Ainsi, dans la moelle osseuse, la cellule souche peut produire dix à quinze types différents de cellules du sang. Les cellules neurales produisent différents types de cellules de notre cerveau. Les cellules souches pluripotentes produisent plusieurs types de cellules. Le type le plus courant de cellule souche pluripotente sur lequel on a travaillé, sur la souris en particulier, est la cellule souche embryonnaire, la cellule ES. Une cellule souche pluripotente peut être produite à partir des cellules germinales primordiales, les ancêtres des ovocytes et des spermatozoïdes. Ces cellules s’appellent les cellules EG.

    Je voudrais vous parler plus particulièrement des cellules ES. La “ totipotence ” est un terme difficile à utiliser. La meilleure définition est la suivante. La totipotence concerne une cellule qui est capable seule de produire un organisme adulte. Certains utilisent le terme dans la même acception que “ pluripotence ”, pour des cellules qui sont capables de produire de nombreux types de cellules mais qui ne sont pas capables de produire un organisme entier.

    Comment fabrique-t-on les cellules souches embryonnaires dans la recherche animale ? L’ovule fertilisé produit deux cellules, puis quatre cellules. Le stade des quarante cellules est le stade du blastocyste. A ce stade, les cellules extérieures constituent le placenta et les cellules intérieures produisent certaines parties du placenta et le fœtus lui-même. Si les cellules intérieures sont cultivées avec des produits chimiques appropriées, une population de cellules se développe en se subdivisant indéfiniment, pour s’immortaliser en cellules uniques. De nombreuses recherches ont été effectuées pour inciter les cellules souches à produire des cellules sanguines, nerveuses ou musculaires. Des réussites ont été observées dans ce domaine.

    Les cellules souches embryonnaires ont certaines propriétés. Elles sont dérivées d’embryons au stade blastocyste, prolifèrent indéfiniment in vitro, se différencient en de nombreux types de cellules in vitro. Si on les remet dans un embryon, elles colonisent tous les tissus. Mais elles ne peuvent pas seules constituer un embryon. Ce sont des cellules souches d’embryons. Ce ne sont pas des embryons.

    Il y a deux ans, Jammy THOMSON, aux Etats-Unis, a fabriqué des cellules embryonnaires à partir d’un blastocyste humain. A la même époque, John GEARHART a fabriqué des cellules pluripotentes EG. Il a réussi à obtenir une lignée de cellules souches. Les blastocystes humains utilisés pour ce travail ont été donnés par un couple non fertile, qui suivait un traitement IVF et qui a fait don du blastocyste à des fins de recherche. Ce type d’expérimentation pose la question de la recherche sur l’embryon humain.

    Dans mon pays, au Royaume-Uni, un long débat a eu lieu dans les années 80 sur le fait de savoir si la recherche sur l’embryon humain, même strictement réglementée, était ou non éthique. En 1990, notre Parlement a voté en faveur de l’autorisation d’une recherche réglementée sur l’embryon humain (234 voix favorables et 80 voix défavorables à la Chambre des Lords, 364 voix favorables et 193 voix défavorables à la Chambre des Communes). Suite à ce vote, l’Autorité d’embryologie humaine a été créée. Elle a l’autorisation de contrôler toutes les utilisations cliniques d’insémination, la conservation de gamètes et d’embryons, et également la recherche sur tous les embryons humains. Pour qu’un projet de recherche soit autorisé, il doit respecter certaines règles. Il faut qu’il soit scientifiquement valable et approuvé par le comité d’éthique local. Par ailleurs, l’embryon qui fait l’objet de recherche ne doit pas être cultivé in vitro plus de quatorze jours. Enfin, l’embryon ne doit pas être remis dans l’utérus. Les finalités d’un projet de recherche sur l’embryon humain sont précisées dans la loi de 1990. Un tel projet doit avoir pour but de faire progresser les traitements de l’infertilité, d’accroître les connaissances sur les causes des maladies congénitales et des fausses couches, de développer des techniques plus efficaces de contraception ou d’élaborer des méthodes de détection des anomalies géniques ou chromosomiques des embryons avant l’implantation. La fabrication de cellules souches embryonnaires à partir d’embryons humains est autorisée au Royaume-Uni pour ces motifs. Des autorisations de recherche ont donc été données pour produire de telles cellules, mais non pour développer la thérapeutique cellulaire ou tissulaire. L’avis de l’Autorité d’Embryologie et de Fertilisation Humaine (HFEA) et celui de la commission consultative auprès du gouvernement ont été d’ajouter une autre fin autorisée : le développement de méthodes de thérapie pour des tissus ou des organes endommagés.

    Les types de thérapies cellulaires ou tissulaires dont j’ai parlé présentent un problème, celui du rejet du greffon. On peut actuellement contourner cette difficulté avec des médicaments immunosuppressifs. Ces médicaments sont de plus en plus efficaces. Ils comportent cependant un inconvénient : le patient devient plus vulnérable aux infections et aux cancers. Différents moyens pourraient être utilisés pour prévenir le rejet du greffon : la constitution d’une banque de cellules souches ES humaines, la manipulation génétique, l’induction de tolérance dans le patient ou la technologie de remplacement nucléaire du clonage.

    Je voudrais dire quelques mots de l’utilisation du clonage à cette fin. Par clonage, j’entends la production d’organismes génétiquement identiques, qui partagent les mêmes ensembles de gènes nucléaires. Je parle des 50 000 à 100 000 cellules qui se trouvent dans le noyau. Il existe deux méthodes de clonage : le clonage par scission d’embryons et le clonage par remplacement du noyau cellulaire. Dans le deuxième cas, il s’agit de prendre l’ovule non fertilisé d’une brebis, d’en enlever les gènes et le noyau, et d’insérer dans l’ovule ainsi vidé un noyau emprunté à une cellule adulte d’une autre brebis. Cet embryon reconstruit est implanté dans l’utérus d’une mère porteuse. Ainsi est-on parvenu à la naissance de Dolly. Cette technique n’est pas très efficace. Elle a été utilisée pour des brebis et pour des bovins. Il existe également une souris clonée en France. Je crois que personne n’a encore pu faire de clonage sur les lapins ou les porcs. Le clonage par remplacement du noyau cellulaire n’est pas garanti de succès et produit parfois des anomalies. De ce fait, il y a un consensus en Europe pour que le clonage reproductif humain soit interdit. Un clonage non reproductif, en revanche, pour produire le blastocyste à partir duquel les cellules souches embryonnaires pourraient être cultivées, représente une technique acceptée au Royaume-Uni. Il s’agirait, à partir d’un patient frappé d’une des pathologies dont je vous ai parlé au début de mon exposé, de prélever une cellule somatique, dont le noyau serait transféré à un ovocyte d’un donneur femme. Le noyau serait retiré de l’ovocyte et les gènes du patient insérés. Une lignée de cellules souches pluripotentes serait ainsi obtenue. On pourrait imaginer, dans un avenir lointain, de produire des cellules de muscle cardiaque que l’on pourrait réinsérer, sans crainte de rejet, dans le cœur du patient atteint. Les cellules souches pluripotentes sont extrêmement précieuses.

    Mais la fabrication d’embryons in vitro à des fins de recherche est interdite dans de nombreux pays. Il est possible d’utiliser des embryons donnés, formés in vitro, pour un traitement contre l’infertilité, mais il n’est pas autorisé de créer des embryons à des fins de recherche. Au Royaume-Uni, le Parlement a voté en 1990 l’autorisation de la création spéciale d’embryons à des fins de recherche, par 214 voix favorables et 80 voix défavorables à la Chambre des Lords, et par 246 voix favorables et 208 voix défavorables à la Chambre des Communes. En vertu de cette loi sur la fertilisation humaine et l’embryologie, une autorisation de recherche peut être accordée pour produire des embryons in vitro.

    Je suis membre du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies de la Commission européenne. Le Groupe a déclaré que le clonage reproductif n’était pas acceptable sur le plan éthique mais il n’a pas exclu la possibilité d’un clonage non reproductif pour la thérapie tissulaire. Le Parlement européen a présenté un amendement au cinquième Programme cadre, qui interdirait le financement d’un projet de recherche sur l’embryon humain. Après étude de cet amendement, le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies a conclu que la situation de la recherche sur l’embryon humain et le statut de l’embryon humain dans les différents pays d’Europe présentaient un caractère extrêmement hétérogène. L’Allemagne, la Norvège, l’Irlande et l’Autriche interdisent toutes recherches sur l’embryon humain. D’autres pays, comme l’Italie, autorisent tous types de recherche. Au Royaume-Uni, la réglementation en matière de recherche sur l’embryon humain est très stricte. Le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies a donc déclaré qu’il serait peu démocratique que les pays européens qui autorisent la recherche sur l’embryon humain se heurtent au veto d’autres pays. Finalement, l’amendement proposé par le Parlement européen a été rejeté par le Conseil des Ministres.

    Questions de la salle

    Jacques MONTAGUT

    Je vous remercie pour cet exposé très clair, qui va nous permettre de bien nous comprendre au cours de nos débats. La Commission HFEA, à laquelle vous siégez depuis sa création, a de par la loi de 1990 un cadre précis pour l’orientation des recherches sur l’embryon susceptibles d’être autorisées au Royaume-Uni. Vous n’avez pas aujourd’hui, du fait de ce cadre normatif, la possibilité d’entreprendre des recherches sur l’embryon humain à propos du clonage non reproductif.

    Anne Mc LAREN

    Ce n’est pas tout à fait exact. Nous ne pouvons pas entreprendre des recherches sur la thérapie cellulaire tissulaire.

    Jacques MONTAGUT

    Mais quelle est pour vous l’utilité que soit défini, dans un texte de loi, un cadre de recherche, et quelles sont vos possibilités d’adapter ce texte en fonction de l’évolution de la connaissance ? En France, nous avons la possibilité de réexaminer la loi cinq après son adoption. Au Royaume-Uni, est-ce au niveau de la Commission de l’HFEA que les propositions d’extension des programmes de recherche sur l’embryon sont examinées ?

    Anne Mc LAREN

    Le fait que la loi précise le cadre de recherche permet de rassurer la population, en montrant que les scientifiques et les médecins ne peuvent pas agir comme bon leur semble. Mais l’inconvénient d’une loi sur les autorisations de recherche réside souvent dans son manque de souplesse. Il est difficile de modifier la législation d’origine. Il existe dans le texte de loi une disposition qui permet au Secrétaire d’Etat d’adopter de nouveaux règlements, en les présentant aux deux chambres. Mais il ne s’agit pas d’une modification de la législation de base elle-même. L’HFEA peut apporter des changements dans le cadre établi mais sans aller au-delà de ce qu’autorise la loi.

    Jacques MONTAGUT

    Peut-on imaginer des possibilités de thérapies géniques germinales ? La modification génique de cellules ES sur un blastocyste sur lequel on aurait diagnostiqué une maladie est-elle envisageable ? Peut-on concevoir des perspectives de thérapie génique germinale, pour une médecine de l’embryon ?

    Anne Mc LAREN

    Les manipulations génétiques de l’embryon sont interdites par la loi de 1990. Par ailleurs, les manipulations génétiques de cellules souches ne seraient pas couvertes par la loi. Dans un avenir lointain, la thérapie génique germinale méritera sans doute une réflexion de l’HFEA.

    Jean-François MATTEI, Député des Bouches-du-Rhône, Professeur de biologie à Marseille

    Je voudrais saluer Madame Mc LAREN, avec qui je travaille dans une commission de l’OMS sur les sujets dont nous discutons aujourd’hui. J’aurais aimé qu’elle donne le point de vue de l’OMS. Au sujet de la grande Europe, je rappelle qu’il existe au Conseil de l’Europe un Comité directeur de bioéthique qui regroupe les 41 pays actuellement adhérents au Conseil de l’Europe, qui a donné lieu à la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, et qui travaille également sur un protocole additionnel concernant notamment l’embryon. A Strasbourg, le groupe de travail sur l’embryon n’avance pas. Ses membres éprouvent de grandes difficultés pour trouver un terrain d’entente, y compris sur les définitions les plus simples. En ce qui concerne la terminologie et la sémantique, vous avez vous-même, dans votre exposé, souligné la difficulté d’utilisation du terme “ totipotence ”. Le débat public est pollué par la confusion entre le clonage, qui a une vocation reproductive, et le lignage, c'est-à-dire la création de lignées cellulaires. Vous avez utilisé le terme “ embryon ” au sujet du vote à la Chambre des Lords et à la Chambre des Communes. Mais ne s’agit-il pas plutôt de “ pré-embryon ” ? Au Royaume-Uni, vous avez en effet introduit la distinction entre les périodes situées avant et après le quatorzième jour. N’y a-t-il pas là encore une confusion qui s’établit ? Vous avez défini l’embryon différemment que dans les autres pays.

    Anne Mc LAREN

    Il existe en effet une possibilité de confusion. Aujourd’hui, la technologie importante est celle des cellules souches, pour l’obtention de lignées cellulaires. Mais il serait dommage de fermer la porte à la possibilité, un jour, d’utiliser une technologie de clonage pour obtenir des lignées cellulaires qui ne seraient pas rejetées par le patient. Mais la technologie des cellules souches est la plus importante pour l’instant. Il est nécessaire de faire une distinction entre le pré-embryon et les autres stades. Nous utilisons le terme “ embryon ” pour le stade précoce, lorsque nous parlons de recherches sur l’embryon. Nous utilisons le terme “ fœtus ” après le quatorzième jour. Je ne connais pas la déclaration officielle de l’OMS. Il me semble que notre Comité a conseillé de laisser la porte ouverte à l’utilisation de technologies pour la thérapie cellulaire et tissulaire. Je suis membre du groupe du Conseil de l’Europe qui travaille sur l’embryon. Je ne suis pas d’accord avec vous pour dire qu’il n’avance pas. Il avance simplement très lentement. Le protocole supplémentaire sur le clonage proposé par le Conseil de l’Europe est aujourd’hui signé et ratifié par certains pays. Ce texte interdit le clonage “ d’êtres humains ”. Le terme “ êtres humains ” sera interprété dans chaque pays conformément à la législation et aux coutumes de ce pays. En Allemagne, dès la fertilisation, on utilise le terme “ être humain ”. Ce n’est pas le cas au Royaume-Uni. Pour nous, un embryon de huit cellules ne constitue pas un être humain. Une tentative d’harmonisation des différentes conceptions européennes est nécessaire, mais elle prendra du temps.

    Les conséquences médicales de la recherche sur les cellules souches pluripotentes

    M. John GEARHART

    Professeur de gynécologie et d’obstétrique à l’Université Johns Hopkins de Baltimore

    Dans le cadre de nos travaux sur les cellules souches, nous avons dû respecter les réglementations américaines qui obéissent à des considérations éthiques. Les conséquences psychologiques et économiques des maladies chroniques aiguës sont énormes. Dans notre pays, environ 128 millions de personnes souffrent de maladies chroniques aiguës (diabète, maladie de Parkinson, hémiplégie, immunodéficience, arthrite, etc.). Dans ces maladies, des cellules isolées, individuelles, sont atteintes, et non des organes. La séquence des événements fait que l’organe lui-même est atteint. Malgré les progrès dans la prévention, le diagnostic et le traitement de ces maladies, les victimes sont nombreuses en raison de l’insuffisance des thérapeutiques existantes. Etant donné l’incidence élevée de ces maladies, un grand nombre de personnes sont touchées. Il est fréquent que l’un de nos proches ou l’un de nos amis soit atteint par l’une de ces maladies.

    Les recherches récentes en biologie ont permis d’isoler les cellules humaines souches. Ces cellules peuvent produire en laboratoire différents types cellulaires. Outre le fait que nous avons pu apporter de nouvelles informations sur la biologie de l’être humain, nous pensons que les cellules souches permettront d’aboutir à une thérapeutique. De quelles cellules souches s’agit-il ? Il existe différents types de cellules souches. Certaines sont connues et d’autres ne le sont peut-être pas. Depuis des années, les fœtus humains ont été utilisés comme une source de tissus étudiés pour tenter de soigner certaines maladies chroniques aiguës. Nous savons que le fœtus contient des cellules capables non seulement de se scinder mais aussi de se différencier en types cellulaires que l’on trouve généralement chez l’adulte. Il est normal que l’on tente de trouver différentes stratégies thérapeutiques pour soigner le diabète et d’autres maladies. Le problème qui se pose à nous est que le matériel n’est pas renouvelable. Dans les essais cliniques sur les infections de la moelle épinière, on peut utiliser sept ou huit tissus embryonnaires pour une seule moelle épinière. S’il existait une source renouvelable de cellules souches que l’on pouvait appliquer aux êtres humains, il ne serait pas nécessaire de se reporter constamment aux tissus des fœtus pour ces thérapeutiques.

    Récemment, des cellules souches ont été isolées à partir de tissus. C’est très intéressant. Vous savez sans doute que les cellules sanguines se renouvellent régulièrement, ce qui signifie que le corps a la possibilité, par le biais de la moelle osseuse, de reconstituer les cellules sanguines. Il n’est donc pas étonnant que la moelle osseuse soit la source des cellules souches. Ce qui l’est davantage c’est que ces cellules souches peuvent constituer d’autres éléments que les éléments sanguins. Elles sont aussi constitutives des cellules nerveuses. On a considéré pendant longtemps que les neurones du cerveau ne pouvaient pas se reconstituer. Nous savons aujourd’hui que le cerveau reproduit des neurones, mais en quantité insuffisante pour remplacer les cellules détruites dans une maladie comme la maladie d’Alzheimer. Toutefois, nous savons aujourd’hui que les neurones se reconstituent.

    Certains tissus très importants, comme le muscle cardiaque, ne produisent pas de cellules souches. Le type de cellule souche le plus exceptionnel est la cellule embryonnaire. Deux laboratoires, cette année, ont pu isoler des cellules embryonnaires. Elles peuvent remplacer n’importe quel type de cellule dans le corps. Leur potentiel est illimité. Elles peuvent constituer plus de 200 types différents de tissus en laboratoires. Selon les chercheurs, les noms divergent. Ces cellules peuvent être appelées “ cellules embryonnaires ”, “ cellules germinales ” ou “ cellules pluripotentes ”.

    Les cellules souches embryonnaires, bien qu’elles aient le plus gros potentiel pour contribuer à des thérapeutiques pour les maladies chroniques aiguës, ont nourri un grand nombre de débats, religieux, politiques et éthiques. Mais les débats ne portent pas uniquement sur ce type de cellules souches. Un grand nombre des informations que nous avons sur les cellules pluripotentielles nous viennent des expériences menées sur les souris. Grâce aux extrapolations que nous faisons sur les cellules pluripotentielles de souris, nous pensons que si les cellules humaines ont le même potentiel, elles auront une importance extrême pour les thérapeutiques humaines. Ces cellules comportent trois propriétés qu’aucun autre type de cellule ne possède. Elles peuvent se répliquer de manière indéfinie. Elles sont auto-renouvelables en laboratoire. Par ailleurs, elles sont normales du point de vue génétique. Elles ne présentent pas de mutations, ni un nombre anormal de chromosomes. Enfin, elles ont la possibilité, en culture de laboratoire, de se différencier en un grand nombre de types de cellules (cellules nerveuses, de cartilage, sanguines, etc.). Il est important d’insister sur le fait que ces cellules ne peuvent pas former d’embryons ni d’organes. A ce stade, il s’agit uniquement de cellules et de tissus qui ne peuvent être cultivés qu’en milieu de laboratoire.

    Nous avons prouvé que les cellules cultivées pouvaient être greffées sur la souris et fonctionner comme des greffons. On peut donc non seulement isoler et cultiver ces cellules, mais on peut aussi les réimplanter sur l’animal sous forme de greffons. Il existe deux sources pour ces cellules : les blastocystes (Université du Wisconsin) et les cellules germinales d’un fœtus isolées après une fausse couche (Université Johns Hopkins de Baltimore). Dans les deux cas, les chercheurs ont suivi toutes les réglementations en vigueur sur le prélèvement et l’utilisation des cellules souches pluripotentielles. Peu à peu , des commentaires ont été exprimés sur l’identité ou l’équivalence des deux types de cellules, les cellules ES et les cellules EG. Si elles sont identiques, pourquoi ne pas utiliser simplement les cellules isolées sur le fœtus ? Les cellules ES et les cellules EG partagent des propriétés communes mais également des différences. Nous avons encore besoin d’un peu de temps pour déterminer si elles peuvent se substituer les unes aux autres. En pratique, dans nos travaux de laboratoire, les cellules germinales embryonnaires sont plus difficiles à manipuler et à cultiver que les autres. Mais c’est là toute la connaissance que nous avons sur le sujet actuellement.

    Après avoir dérivé les cellules souches pluripotentes, nous avons démontré que, comme chez la souris, ces cellules sont capables de produire un grand nombre de types de cellules. Je voudrais vous présenter des projections d’utilisation de ces cellules pour l’usage humain. Les cellules souches pourraient être utilisées pour certaines maladies. Après un infarctus du myocarde, une cicatrice très profonde subsiste sur le muscle cardiaque. Des expériences ont été réalisées sur ce muscle. Elles ont montré que si l’on pouvait introduire un greffon dans ce muscle, la cicatrice serait réduite. Dans le cas de la souris, les cellules souches embryonnaires cultivées qui sont utilisées pour le muscle cardiaque et transplantées sur le cœur d’une souris adulte fonctionnent comme le muscle cardiaque. Deux laboratoires ont effectué cette expérience, qui est très impressionnante. En ce qui concerne les affections motrices et les affections de la moelle épinière, il est clair que les cellules souches forment des neurones moteurs et peuvent se substituer à ceux qui sont atteints. Pour ce qui est de la sclérose en plaques, les cellules peuvent reconstituer la moelle. Des essais cliniques sont actuellement menés sur les commotions cérébrales, dues à l’hypoxie pour la plupart. Une cellule liée de manière très étroite à la cellule souche mais dérivée d’une tumeur a été introduite et greffée sur plusieurs patients qui avaient souffert de commotions cérébrales, sur la base d’études réalisées sur l’animal. Ces études ont montré que les cellules souches réduisent l’hypoxie et les dommages causés au cerveau.

    Dans notre université, nous étudions les maladies des yeux et la dégénérescence maculaire, qui touche souvent les personnes âgées. Des remplacements de cellules sanguines sont également étudiés. Nous avons montré qu’il était possible de reconstituer entièrement les cellules après des traitements radiothérapiques chez les animaux. Ainsi, il existe de nombreux exemples d’utilisation de cellules souches chez les animaux qui pourraient être repris chez l’être humain.

    Il est également possible d’envisager des manipulations tissulaires. Il s’agit de fabriquer des organes artificiels et de produire un substrat sur lequel on pourra implanter des cellules. Nous pensons que les cellules souches ont un rôle à jouer pour la manipulation tissulaire des organes fabriqués en laboratoire et greffés sur l’être humain. Les cellules souches ont prouvé qu’elles pouvaient produire les quatre types de muscles cardiaques existants et fonctionner. Pourquoi ne pas utiliser ces cellules pour les implanter sur le substrat tissulaire ou sur le muscle lisse des vaisseaux sanguins du cœur ?

    S’agissant du rejet des greffons, il serait possible d’utiliser les cellules souches pour altérer les antigènes de surface de manière à réduire la fréquence des rejets. Il serait alors nécessaire de diminuer la prise de médicaments immunosuppresseurs. Les principales questions éthiques qui entourent la recherche sur les cellules souches dérivent de ces formes de thérapies envisageables. Je voudrais vous indiquer où nous en sommes, du point de vue de la loi, sur ces questions éthiques.

    Nous avons débattu largement de ces questions au sein de différents groupes, le Groupe de transplantation du fœtus humain et plus récemment la Commission nationale de bioéthique. Après de longues délibérations cette année, la Commission a conclu que la culture de cellules souches pouvait être compatible avec des principes éthiques et que la recherche devait pouvoir être financée. Le problème le plus crucial dans notre pays est celui du financement de la recherche par le gouvernement. Il n’y a pas d’interdiction au niveau fédéral, ni pour produire les tissus, ni pour les utiliser. Mais le financement pose problème. Les chercheurs ou les universités qui reçoivent des financements du gouvernement fédéral ne peuvent pas utiliser ces cellules. Il existe une prohibition du financement de ces travaux par l’Etat. Nous devons constituer un cadre de recherche nous permettant de travailler sur les cellules souches. La Commission a développé une politique de communication ayant pour but de démontrer que le développement des cellules souches a des fins thérapeutiques.

    Les progrès scientifiques, spontanés ou planifiés, donnent lieu à des connaissances qui n’ont pas de valeur intrinsèque ou de valeur éthique. L’éthique entre en jeu lorsque les expériences portent sur des animaux ou des êtres humains, ou lorsque la connaissance scientifique s’applique à la technologie. En tant que scientifique, j’ai le devoir de présenter au public les implications sociales de mon travail et la manière dont la technologie utilisée dans le cadre de mes travaux pourrait être mise en application. Il ne m’appartient pas, ni à d’autres scientifiques, de prendre des décisions d’ordre éthique sur l’application des découvertes scientifiques. En revanche, je dois participer au processus de prise de décision. Je suis parmi vous aujourd’hui pour nourrir le débat et répondre à vos questions sur le domaine de la biologie, que je connais bien. Je vous suis très reconnaissant de m’avoir fourni cette occasion de m’exprimer.

    Les applications du clonage animal reproductif et les perspectives économiques escomptables dans ce domaine

    M. Ian WILMUT

    Professeur à l’Institut Roslin d’Edimbourg

    Je vous remercie de me donner l’occasion de vous présenter les objectifs de nos recherches futures. Le Docteur Mc LAREN et le Professeur GEARHART ont expliqué comment il était possible d’obtenir des cellules pour traiter des maladies humaines. Ils ont montré que des traitements nouveaux seront envisageables à l’avenir pour des maladies difficiles à traiter aujourd’hui. Certaines maladies sont particulièrement pénibles. Nous avons tous autour de nous des personnes qui ont souffert ou qui souffrent de ces maladies. Malheureusement, beaucoup d’entre nous dans cette salle seront atteints à un moment ou un autre de ces maladies. Il existe des traitements pour ces maladies, mais ils ne sont pas complètement efficaces. Mon père a été diabétique pendant cinquante ans avant de mourir. Au bout de trente ans de diabète, il a perdu la vue et une partie de sa jambe. Au bout d’un certain temps, il ne pouvait plus lire en braille parce que le bout de ses doigts était devenu insensible. Il a été maintenu en vie par un traitement à l’insuline. Son traitement n’était pas très efficace…

    Les cellules souches sont faciles à obtenir, mais elles ont un inconvénient majeur : elles sont immunologiquement différentes de celles du patient. Dans la plupart des cas, l’utilisation des cellules souches reviendrait à prélever l’organe d’une personne pour le transplanter dans l’organisme d’une autre personne. Le rejet immunitaire obligerait le patient à prendre des médicaments toute sa vie pour éviter le rejet. Si le procédé est efficace, il a donc des effets secondaires graves. Les patients sont plus vulnérables à la maladie. Les médicaments qu’ils prennent sont très puissants. Ils ont des effets physiologiques importants. Dans le cas d’une greffe cardiaque, il est indispensable d’éviter le rejet. Mais certains choix sont difficiles. Est-il pire de souffrir d’une maladie ou d’être astreint à un traitement d’immunosuppression ?

    Il est nécessaire d’éviter le besoin de ces médicaments. Les médicaments ne seraient pas nécessaires si les cellules étaient génétiquement identiques à celles du patient. Il existe deux moyens d’obtenir ce résultat. On peut tout d’abord essayer de développer des stratégies permettant de modifier la surface de la cellule. On peut également essayer de produire des cellules à partir de celles du patient. Deux manières de le faire sont possibles. La première est de produire un embryon par clonage afin d’obtenir des cellules à partir de l’embryon. La deuxième est de reprogrammer la cellule pour pouvoir l’utiliser sans en faire un embryon. Je vais traiter ces deux possibilités tour à tour.

    La méthode du clonage pour produire un embryon est intéressante. Deux cellules sont nécessaires pour un clonage : un ovule et une cellule donnée. Il est nécessaire de retirer l’information génétique de l’ovule. Puis, en fusionnant les deux cellules, l’information génétique de la cellule donnée est introduite dans l’ovule. Cette information génétique décide du type de personne ou d’animal qui va se développer. La cellule donnée provient bien entendu du patient. Il s’agit d’une cellule saine, qui provient du sang du patient ou de sa peau. Nous ne savons pas encore suffisamment de choses sur le clonage pour savoir quelle est la méthode la plus appropriée pour choisir la cellule qui donne l’information génétique. L’ovule non fertilisé est récupéré au moment de l’ovulation. L’information génétique de la cellule donnée détermine le nouvel embryon. Le cytoplasme de l’ovule joue le rôle critique pour reprogrammer l’information génétique, pour que la cellule se comporte de manière appropriée. La cellule est cultivée pendant six ou sept jours jusqu’au stade du blastocyste. Celui-ci est tellement petit qu’il est à peine visible à l’œil nu. Il représente environ un dixième de millimètre de diamètre. Il est constitué de 250 cellules creuses remplies de liquide. Les cellules de l’embryon sont des cellules encore très simples. Le système nerveux n’a pas commencé à se développer. L’embryon n’a aucune conscience. Cela me paraît très important. Les cellules obtenues à partir de l’embryon sont des cellules souches pluripotentes, qui permettent de produire plusieurs types de cellules.

    Il est également possible d’effectuer des modifications génétiques au niveau de la cellule, avant d’utiliser la cellule pour traiter le patient. Si le patient est génétiquement vulnérable à une maladie, il est possible de corriger cette déficience, afin que la même maladie ne se reproduise pas. Les cellules obtenues de cette manière seraient immunologiquement identiques à celles du patient. Il n’y aurait donc pas de rejet immunologique. Dans un grand nombre de cas, ces cellules pourraient remplacer les cellules endommagées.

    Toutes les maladies chroniques aiguës sont dues à des dommages de cellules qui ne se réparent pas, qui ne se remplacent pas. C’est la caractéristique commune de toutes ces maladies. Il s’agirait donc d’injecter dans le patient une population de cellules qui permettrait de remplacer les cellules endommagées. Actuellement, la technologie de transfert est inefficace. Des recherches sont encore nécessaires, notamment sur les animaux de ferme. Nous savons qu’il existe des différences entre les espèces. Il importe donc que la recherche travaille également sur l’embryon humain. Nous devons être certains que la technologie développée sur une espèce animale pourra être utilisée pour l’espèce humaine.

    D’où viendront les ovules non fertilisés ? Ici se pose la question éthique de la production et l’utilisation d’embryons humains. Il existe plusieurs sources d’ovules possibles. Les ovules peuvent être obtenus de femmes qui subissent un traitement hormonal pour stimuler l’ovulation. Les ovules sont prélevées immédiatement avant le moment de l’ovulation au moyen d’une intervention chirurgicale mineure. Comme des personnes donnent leurs cellules de moelle osseuse, par une intervention chirurgicale mineure mais douloureuse, dans bien des cas, les femmes seraient prêtes à donner leurs ovules si cela pouvait permettre de soigner des maladies graves. S’il était possible de prendre l’ovule d’une mère dont l’enfant est atteint de leucémie, pour produire un embryon génétiquement identique à l’enfant malade, il serait possible d’obtenir les cellules nécessaires pour remplacer les leucocytes endommagés. Beaucoup de femmes seraient certainement très heureuses de pouvoir sauver ainsi leur enfant. Elles seraient sans doute également prêtes à aider de la même manière un de leurs parents, un ami, un proche. Vous connaissez tous des personnes atteintes des maladies que nous avons évoquées. Envisageriez-vous de donner un ovule pour aider un ami atteint ?

    Il est techniquement possible de recueillir les ovules. Mais le nombre des patients potentiels est si grands que les ovules ne pourraient pas constituer une source suffisante. Il pourrait être possible de récupérer les ovules de tissus ovariens lorsque l’ovaire est retiré pour des raisons cliniques. Les ovaires d’une femme possèdent un petit nombre d’ovules qui peuvent parvenir à maturation en 24 heures de culture. Des méthodes ont été établies pour faire parvenir à maturation des ovules d’espèces animales, de la souris et de la vache. Sans aucun doute, il serait possible de trouver des méthodes similaires pour les ovules humains. Le tissu ovarien contient des centaines d’ovules à différents stades de maturation. Il serait nécessaire de trouver des méthodes pour les faire mûrir en laboratoire. Il y a donc un potentiel important d’ovules disponibles. Mais des progrès techniques sont indispensables pour y avoir accès.

    Est-il acceptable d’utiliser l’embryon humain pour produire des cellules souches ? Je sais que cette question inquiète de nombreuses personnes. Au Royaume-Uni, l’embryon humain reçoit un statut spécial. Il a le potentiel de devenir une personne, mais il n’est pas encore une personne. Il n’a pas de conscience. Il n’a pas de système nerveux lui permettant d’éprouver des émotions. Pour cette raison, l’embryon a un statut spécial. Il est potentiellement humain, mais il est différent d’un être humain. Personnellement, je suis favorable à l’obtention de cellules à partir d’un embryon. Je serais également heureux d’être traité avec des cellules obtenues à partir d’un embryon si cela devait m’aider à mieux vivre.

    Pour que des cellules obtenues à partir d’embryons puissent soigner les maladies chroniques aiguës, de nombreux chercheurs doivent encore travailler beaucoup sur les animaux. Mais la recherche doit également porter sur les embryons humains. J’ai expliqué qu’il existait deux manière d’obtenir des cellules proches de celles du patient. La première consiste à produire un embryon, et la seconde vise la fabrication de cellules sans faire appel à un embryon. Nous ne pouvons pas dire si cette seconde méthode sera possible, ni quand cela sera possible. Mais nous nous sommes fixé cet objectif à l’Institut Roslin.

    Nous venons tous de la cellule unique d’un embryon. Ensuite, la division cellulaire intervient, qui produit progressivement des cellules différenciées. Ces changements sont permis par la mise en œuvre de l’information génétique des cellules. Toutes les cellules ont la même information génétique mais elles se différencient progressivement les unes des autres. Il serait possible d’extraire l’information génétique de certaines cellules pour la transférer dans un ovule, afin de revenir au début du développement et produire un nouvel individu. Les changements dans le fonctionnement de l’information génétique, dans certains cas, se trouvent être réversibles. Nous pensons que de nombreux éléments dans l’ovule entraînent cette inversion de développement. Ce sont probablement des protéines. Pourrait-on trouver une autre cellule pour remplacer l’ovule ? Ce serait souhaitable. On n’aurait ainsi pas besoin de l’ovule humain. Mais cette idée est extrêmement ambitieuse. Il semble improbable que nous trouvions des cellules comparables à l’ovule. Toutefois, certaines cellules répondent à certaines conditions exigées. Il pourrait être envisagé de leur donner toutes les caractéristiques nécessaires pour la reprogrammation de l’information génétique. D’après les expériences sur la souris, il semblerait que les cellules souches pluripotentes se prêteraient à cette modification. Des expériences vont commencer pour observer les effets de l’introduction d’un noyau humain dans une cellule souche pluripotente. Pourrons-nous modifier les cellules souches pluripotentes pour remplacer l’ovule ?

    Il y a beaucoup d’avantages à disposer de cellules immunologiquement appareillées à celles du patient. On pourrait les produire par un clonage d’embryon. Les chercheurs devraient envisager prioritairement cet axe de recherche en travaillant sur les animaux mais également sur l’embryon humain. On pourrait également chercher à produire des cellules immunologiquement appareillées à celles du patient sans utiliser des embryons. Le Groupe de Roslin est passionné par les nouvelles possibilités cliniques. J’espère vous avoir communiqué cette passion. Et je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’expliquer pourquoi, selon nous, toutes ces recherches doivent commencer.

    Questions de la salle

    Jacques MONTAGUT

    Je voudrais remercier les deux intervenants pour leurs exposés, qui ont permis d’apporter tous les éléments d’un débat qui promet d’être riche. Depuis quelque temps, se multiplient les publications concernant les perspectives d’une véritable médecine régénérative. Nous découvrons l’extraordinaire plasticité d’un certain nombre de tissus (cellules neurales pouvant donner des cellules hématopoïétiques, elles-mêmes se transdifférenciant en cellules musculaires, hépatiques, souches…). La recherche va devoir gérer la compétition entre les cellules indifférenciées, sources potentielles de greffons à partir de la transdifférenciation, et les cellules souches d’origine embryonnaire ou fœtale. Nous entendons dire que les cellules souches pourraient présenter un risque oncogène au fur et à mesure de leur différenciation. Pouvez-vous nous éclairer sur l’état de connaissance de ce risque, en fonction de l’origine des cellules ?

    John GEARHART

    La question que vous posez est très pertinente. S’agissant des cellules souches prélevées sur des cellules adultes, nous n’en sommes qu’aux premiers balbutiements de la recherche. Nous sommes mieux informés sur les cellules souches dérivées des embryons et des fœtus. Nous savons qu’elles se prêtent aux manipulations génétiques, qu’elles peuvent être cultivées en grand nombre. Nous savons comment les différencier en types de cellules spécifiques. Pour ce qui est des cellules adultes, nous savons que la moelle osseuse contient des cellules souches qui ont un bien plus gros potentiel que nous ne le pensions. Mais ces cellules sont plus réfractaires aux manipulations génétiques. Les cellules souches dérivées du système nerveux central, d’après nos études sur les animaux, n’ont pas les profils génétiques des cellules souches normales observées au cours de l’embryogenèse. Nous sommes préoccupés par leur évolution après une greffe. Certains résultats tendent à prouver qu’elles pourraient ne pas se différencier. Cela dit, il n’existe pas tant une compétition entre cellules qu’une compétition entre chercheurs qui utilisent différentes sources de cellules. Mais c’est précisément le moteur de la science. Je pense que cette compétition permettra de déterminer les cellules qui se prêteront le mieux aux applications cliniques. Probablement, en fonction des applications, certains types de cellules conviendront mieux que d’autres. A ce stade, si nous excluons l’une ou l’autre des approches, ce ne sera pas bénéfique à long terme.

    La question du potentiel oncogène de ces cellules est fondamentale, particulièrement pour les cellules d’origine embryonnaire. Ces cellules ont un potentiel énorme de développement. Si l’on prend une cellule souche embryonnaire pour l’implanter sur un modèle animal, elle peut donner lieu à une tumeur. On peut inoculer ce type de cellules sur des souris. Une petite proportion d’entre elles va donner lieu à des tumeurs. Mais il n’est pas question d’implanter des cellules embryonnaires sur des patients. Nous souhaitons dériver ces cellules, afin qu’elles suivent différentes voies, neurales, hépatiques, etc. Des tumeurs sont donc peu probables. Même après avoir sélectionné des cellules souches pour produire des éléments sanguins, un tri de cellules interviendra. Seules les cellules ayant les caractéristiques de la cellule souche hématopoïétique seront retenues. La fréquence d’anomalies et de cancers sera très faible. Notre stratégie consiste à introduire une situation génétique dans ces cellules qui entraînera leur mort si elles ne se différencient pas. Cette technologie est très pointue mais elle fonctionne.

    Ian WILMUT

    Il est impossible de connaître les différents résultats de la recherche future. C’est la raison d’être de la recherche scientifique. Nous devons être très ambitieux et chercher dans toutes les directions. Il y a cinq ans, personne ne s’attendait à la naissance de Dolly. Il est extrêmement important que nous travaillions sur l’utilisation des cellules adultes, des cellules fœtales et des cellules embryonnaires. Toutes les possibilités doivent être étudiées pour trouver la meilleure thérapeutique possible pour soigner les maladies. Il y a bien sûr un risque que les cellules inoculées aux patients changent de nature pendant leur culture. Il est important de réaliser des essais sur les cellules. Une population stable et large de cellules a l’avantage de permettre de nombreux essais en laboratoire, avec les instruments modernes de la biologie. Nous reconnaissons qu’il y a un réel besoin de recherche. Dans un laboratoire, les essais sont garantis d’une bonne pratique de fabrication. Les risques d’infection à partir d’une cellule cultivée en laboratoire sont donc moins grands que lors d’une transplantation d’organes.

    Bernard LOTY

    J’ai beaucoup appris en écoutant les deux orateurs. Mais ils ont essentiellement mis en avant les bénéfices potentiels de ces techniques, sans souligner les risques et les limites à ne pas franchir, notamment dans le domaine de la recherche sur l’embryon humain. Comment Messieurs WILMUT et GEARHART perçoivent-ils personnellement les risques de la recherche ? Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, ont-ils affronté des réactions négatives vis-à-vis de leur travail ?

    John GEARHART

    Au cours de l’année passée, il est apparu que notre sujet de recherche était différent de tous les autres. Des commissions ont été créées. Des articles de presse sont parus. Ils ont eu une incidence sur la manière dont nous travaillons. Nos recherches sont menées en respect avec les réglementations qui prévalent dans notre pays. Il est évident que nous avons rallumé la flamme de la controverse éthique. Nous ne souhaitons pas faire outrage au public puisque c’est pour lui que nous souhaitons atteindre notre objectif. Nous sommes attentifs aux avis donnés par les différentes commissions constituées et nous faisons notre possible pour éviter les impacts négatifs de nos travaux. Mais je ne crois pas que le risque soit grand. Si l’autorisation est donnée au niveau national, des travaux vont être menés pour acquérir le matériel embryonnaire le plus large possible. Si les cellules que nous prélevons peuvent se répliquer en culture, alors nous disposerons de suffisamment de lignées de cellules pour nos recherches. S’il est nécessaire de créer une banque de tissus, combien de lignées cellulaires différentes faudra-t-il générer ? Un grand nombre de laboratoires ont développé des cellules EG et ES. Mais la demande de tissus n’est pas excessive.

    Ian WILMUT

    Nous sommes tous d’accord sur le fait que la décision de développer certains axes de recherche ne doit pas revenir aux seuls scientifiques. Les patients, la société, le Parlement doivent être à l’origine de cette décision. Notre responsabilité, en tant que scientifiques, est d’expliquer au public les différentes opportunités offertes par les différents axes de recherche possibles. Selon moi, le plus grand risque est de passer à côté de découvertes scientifiques primordiales. Nous devons nous tourner vers le passé pour nous rappeler comment certaines découvertes ont été perçues à leur époque. A un moment, les péridurales étaient très contestées sur le plan éthique. On pensait alors qu’une femme devait souffrir lors de son accouchement. Nos attitudes ont beaucoup évolué. Nous ne condamnons plus comme avant les expérimentations animales dans la mesure où elles peuvent avoir des effets positifs pour l’homme. Il faut peser le pour et le contre. Nous devons nous montrer généreux pour tirer avantage de ces nouvelles découvertes scientifiques qui s’annoncent.

    Fabrice COSTA

    Pour pallier la rareté des ovules humains, des expériences, qui n’ont pas encore fait l’objet de publications scientifiques, ont eu lieu sur le transfert d’un noyau de cellule humaine dans un ovule de bovin, sans expérimentation animale préalable. Il me semble que le Président CLINTON a saisi de ce problème le Président de la Commission consultative de bioéthique américaine. Que pensez-vous de ces expériences, de la nature des embryons ainsi conçus, et de l’utilisation qui pourrait être faite des cellules obtenues ?

    Ian WILMUT

    Il y a eu des échos dans les journaux d’expériences réalisées aux Etats-Unis sur des noyaux humains implantés dans des ovocytes bovins. Mais nous n’avons pas beaucoup d’informations sur ce qui s’est vraiment passé. Il est assez peu vraisemblable qu’un embryon produit de cette manière puisse fonctionner normalement et qu’il puisse se développer. Il y a 30 ans, des expériences ont été réalisées sur des amphibiens. Elles consistaient au transfert de noyaux entre espèces. Si les deux espèces étaient voisines, l’embryon ne pouvait pas se développer. Les mécanismes que j’ai décrits tout à l’heure sont très compliqués. De toutes petites différences entre espèces suffisent à freiner le développement d’un embryon. Je suis donc très pessimiste quant à l’issue de l’expérience dont vous avez parlé.

    John GEARHART

    Chez les espèces animales, les gènes situés dans le noyau et les gènes situés dans le cytoplasme ont connu une évolution. Les deux groupes génétiques règlent le fonctionnement et l’évolution des espèces. Il ne s’agit pas simplement d’une évolution génétique mais également d’une évolution cytoplasmique. Nous savons, grâce à des études de laboratoire, que le noyau et le cytoplasme ne peuvent pas être échangés entre espèces. Lorsqu’ils le sont, le métabolisme ne peut pas se mettre en place. Il est donc difficile de concevoir qu’une expérience consistant à implanter des noyaux humains dans des ovocytes bovins puisse aboutir.

    Jean-Paul RENARD

    Je remercie les orateurs d’avoir montré qu’une démarche de chercheurs peut intégrer une dimension éthique et la prise en compte du contexte dans lequel s’insèrent les recherches. Nous sommes en France dans une période où la notion de risque est très aiguë, compte tenu de l’histoire récente de notre pays. L’anticipation du risque est extrêmement importante à l’heure actuelle. La France est très focalisée sur cette question.

    Avec quelle efficacité peut-on produire aujourd’hui des cellules multipotentes embryonnaires ? Cette question s’adresse à Monsieur GEARHART. Cette question est intéressante parce que ces cellules n’existent pas chez les mammifères. Elles existent chez la souris uniquement pour certaines lignées. Or il semble que l’on puisse les obtenir avec une certaine facilité chez l’homme. Qu’en est-il réellement ? Peut-on craindre un risque de banalisation de la production de ces cellules ?

    Pour offrir une sécurité suffisante dans le fonctionnement des cellules une fois replacées dans le tissu ou l’organe, faudra-t-il passer par des modifications génétiques de ces cellules ? Des stratégies existent. Il existe des systèmes qui suicident la cellule qui se différencie mal. Le gain de sécurité obtenu d’un côté sera-t-il mis en balance avec la crainte de modification génétique de l’autre ?

    John GEARHART

    Chaque embryon possède 20 000 à 40 000 cellules ES. A une fréquence élevée, chaque expérience peut donner lieu à la production d’un nombre élevé de cellules pluripotentes. Mais nous en sommes encore au stade de l’apprentissage pour la culture de ces cellules. Nous essayons d’améliorer cette culture et nous progressons. Certains laboratoires ont choisi d’obtenir des cellules à partir du blastocyste, mais ils ne sont pas parvenus à obtenir des lignées. Jammy THOMSON a réussi. Son succès semble être dû à son souci du détail. Il a travaillé sur des macaques. Il est difficile de parler d’un taux de réussite à ce stade. Nous n’en sommes qu’au stade de l’apprentissage.

    En ce qui concerne la sécurité, les choses ne sont peut-être pas aussi simples que l’on pense. On ne connaît pas toujours l’historique des patients à partir desquels les cellules sont obtenues. Il serait nécessaire de tester les cellules à différents niveaux génétiques pour étudier les oncogènes. Notre réglementation interdit toute question à propos du donneur. Les chercheurs doivent soumettre le matériau à des tests variés, y compris HIV. Nous ne pouvons donc pas faire mieux que ce que permet la technologie actuelle. Nous essayons d’identifier les facteurs de risques. Nous sommes très préoccupés de ce problème. Mais nous constatons des évolutions positives. Sommes-nous en mesure de mesurer les propriétés oncogènes à court terme et à long terme de ces cellules ? Aux Etats-Unis, le premier receveur de rein a dû se faire implanter un second rein vingt ans après sa première implantation. Les cellules du rein situées dans la partie filtrante ne remplissaient plus leur fonction. On a dû lui transplanter un nouveau rein. Les transplantations dont nous parlons connaîtront-elles des problèmes similaires ? Nous ne le savons pas encore. Nous devons essayer.

    Ian WILMUT

    Vous avez évoqué la possibilité d’un gène suicide. Cette possibilité est réelle. Il s’agirait d’insérer dans les cellules un gène qui les rendraient sensibles à un certain produit chimique. Dès que le patient prendrait ce produit, en cas de dysfonctionnement, les cellules dont la fonction deviendrait insatisfaisante seraient aussitôt éliminées. Les médecins devraient bien entendu étudier ce projet de manière pragmatique. Nous allons mener des expériences sur des souris et des rats, mais également sur des singes. Certaines cellules ES sont dérivées du singe. Une sélection très attentive des premiers patients utilisant le procédé du gène suicide sera effectuée, de manière à réduire les risques.

    John GEARHART

    En ce qui concerne les essais cliniques aux Etats-Unis sur les accidents cérébraux et l’introduction de cellules ES, nous avons eu le sentiment que les choses allaient trop vite. Les demandes sont très nombreuses par téléphone ou courrier électronique de personnes qui souhaiteraient faire immédiatement l’objet d’expériences scientifiques. Ces personnes se trouvent dans une situation désespérée. Les chercheurs sont dépassés. Ce type de décision revient à la société toute entière.

    Claude HURIET

    Le clonage est un transfert nucléaire. Suivant que l’on arrête le développement à un stade plus ou moins avancé, en particulier au niveau du blastocyste pour le prélèvement de cellules ES, ou bien qu’on laisse le développement se poursuivre, on aboutit au clonage thérapeutique dans un cas et au clonage reproductif dans un autre. Le mécanisme du clonage est un mécanisme unique. Je crois que cette notion gagnerait à être clarifiée auprès de l’opinion. J’aimerais que vous confirmiez mon interprétation.

    Au sujet de l’utilisation des cellules EG et des cellules ES, j’ai cru comprendre qu’elle pouvait être bénéfique mais qu’elle imposait une immunodépression, avec les inconvénients qu’on lui connaît.

    Par ailleurs, vous avez souligné la nécessité d’une réflexion éthique dans le cadre de la recherche. L’utilisation des cellules embryonnaires constitue-t-elle la seule voie envisageable ou s’agit-il de la plus simple, de la plus commode, de la moins onéreuse ? Dans ce cas, on laisserait de côté les autres perspectives thérapeutiques, qu’il s’agisse de l’utilisation de cellules fœtales, ou des phénomènes de dédifférenciation et de redifférenciation des cellules ? Aujourd’hui, si l’on refuse l’utilisation de cellules embryonnaires, on condamne des malades atteintes d’affections. Si d’autres perspectives thérapeutiques existaient, cela permettrait d’éviter une réponse unique aux maladies chroniques aiguës.

    Ian WILMUT

    La différence entre les deux types de clonage est facile à faire. Le clonage reproductif consiste à placer un embryon dans le circuit reproductif d’une femme. En nous projetant dans le temps, la question suivante s’impose à nous : combien de temps est-il possible de cultiver un embryon ? Les embryons développent un système nerveux. Au Royaume-Uni, il est autorisé de cultiver un embryon jusqu’au quatorzième jour. Il est nécessaire de se poser la question sous un angle éthique. En ce qui concerne les autres ressources, nous n’avons pas parlé du prélèvement de cellules sur des adultes. Ces cellules ne peuvent pas être obtenues dans un large ensemble de tissus. Nous allons devoir étudier quels sont les tissus capables de nous fournir des cellules. Ces cellules sont plus âgées. Elles ont subi des modifications génétiques qui peuvent les rendre sensibles au cancer.

    A l’avenir, il existera différentes manières de traiter différentes maladies. Certaines seront traitées avec des cellules adultes, mais pour d’autres ce ne sera pas possible.

    John GEARHART

    Lorsque l’on parle de thérapie cellulaire, on parle de greffes de tissus et donc de rejets. Les cellules ES aident l’organisme à supporter une transplantation. Il existe une possibilité de stimuler certaines des cellules ES présentes dans notre organisme pour qu’elles se différencient dans le corps humain. Mais pour travailler sur le sujet en laboratoire, nous avons besoin de lignes cellulaires pour étudier les différents aspects du développement dans des conditions contrôlées. On m’a demandé pourquoi je ne m’étais pas encore lancé dans ces travaux ? Pendant vingt-cinq ans, mon travail a porté sur la pathogenèse du syndrome de Down. Lorsque nous étudions la trisomie et ses aspects cardiaques et gastro-intestinal, nous revenons toujours au début du processus de développement. Or nous ne pouvons pas étudier ce stade. Je souhaiterais disposer de lignées de cellules de différents organismes, de différents tissus, sur lesquels nous aurions pu travailler pour voir jusqu’à où remontent les défauts qui causent la trisomie. Nous pourrions apprendre beaucoup sur la biologie humaine si nous pouvions avoir accès à ces lignées.

    Madame BENAYOUN-NAKACHE, Députée

    Nous nous interrogeons beaucoup en ce moment sur la portée éthique des avancées scientifiques actuelles. Les législations dans les différents pays ne sont pas les mêmes. Quels sont les échanges que vous avez entre chercheurs en Europe et aux Etats-Unis ? Pensez-vous utile que des débats citoyens soient lancés au sujet de la recherche scientifique dans les différents pays ? Le devenir de l’homme est en question. Toute la population doit donc être associée. Dans vos pays, les opinions publiques soutiennent-elles vos travaux ? Avez-vous peur de ce que vous risquez d’engendrer en tant que chercheurs ? Avant d’entrer dans cette salle, j’avoue que je craignais de me retrouver face à Monsieur WILMUT. Maintenant, je sens un humain en face de moi et je me sens rassurée. Au début de son intervention, Monsieur WILMUT a témoigné de la souffrance de son père tout au long de sa vie. Il a expliqué ainsi sa ténacité à vouloir avancer dans ses recherches, pour aider tous les hommes qui souffrent.

    Ian WILMUT

    Je vous remercie pour vos aimables paroles. Les différences de législation entre les pays sont inévitables. Nous devons accepter nos histoires différentes. L’important est que chaque pays détermine clairement sa propre législation sur la recherche sur l’embryon humain. Cette législation est le reflet de notre conception de la famille et de notre attitude vis-à-vis des enfants. Nous tenons unanimement pour acquis que le clonage reproductif doit être interdit. Nous envisageons chaque enfant comme un individu.

    Devrait-il y avoir un débat public ? Je le pense. C’est pourquoi je suis très intéressé de participer à des débats dans mon pays mais aussi dans le vôtre. Il est difficile de promouvoir la recherche sur l’embryon humain. Le sujet est très complexe. Tout le monde ne fera pas l’effort d’écouter. Il est important de diffuser l’information le plus largement possible dans les médias. Seuls des groupes informés sont en mesure de prendre des décisions, de faire des recommandations qui feront l’objet de votes. Il est difficile pour chaque membre du parlement d’assister à chaque débat de ce type et de se faire une opinion. Dans ce type de circonstance, il est nécessaire de faire confiance à l’avis de groupes spécialisés.

    Jusqu’où pouvons-nous aller ? Je dirais que l’émergence de nouvelles technologies suscite toujours des préoccupations. Lorsque l’homme a utilisé une pierre tranchante en l’attachant à un bâton pour en faire une hache, il a créé un outil utile pour aller à la chasse ou faire du feu, mais il a aussi créé un outil pour tuer ses semblables. La technologie moderne a entraîné le bombardement de deux villes japonaises en 1945, mais elle a également permis la création des stimulateurs cardiaques. C’est une réalité. Les progrès technologiques produisent des bonnes et des mauvaises choses. Il est nécessaire de prendre des décisions éclairées.

    John GEARHART

    Où va la science ? D’où vient-elle ? Je crois que nous avons commis, en tant que scientifiques, un certain nombre d’erreurs, dont la plus grande est peut-être de ne pas avoir participé pendant longtemps aux débats de l’opinion publique. Pourtant, nous avons le devoir de nous assurer que l’information vulgarisée sur la science est exacte. Une étude a été réalisée sur les publications d’organisations et de revues de haute tenue pour vérifier à quel point les comptes rendus des découvertes scientifiques étaient fidèles. Nous avons été accablés par les conclusions de cette étude. Les articles n’informent pas sur des faits précis mais recherchent les faits sensationnels. De plus en plus, la science va influencer la société. La société doit pouvoir se prononcer sur les choix scientifiques. Le dialogue entre la science et la société doit se consolider. En quarante années d’activité scientifique, on ne peut pas faire un très bon travail. On se trompe toujours lorsque l’on tente de faire des prédictions. Je ne peux pas prédire où nous en serons dans trois ans. L’essentiel est que les chercheurs gardent le contact avec l’opinion publique. La science donne des moyens. C’est à la société de dire comment ces moyens doivent être utilisés.

    Jacques MONTAGUT

    Dans certains pays, la recherche sur l’embryon est limitée, voire interdite. Il y a dans nos laboratoires des embryons abandonnés de leur projet parental, pour lesquels nos lois limitent la durée de conservation. Il s’agit d’embryons dont la finalité sera l’arrêt de leur conservation, qui pourraient, sans qu’ils aient été conçus intentionnellement en vue d’une recherche, bénéficier à l’avancée de la connaissance, en permettant l’extraction de cellules ES. Cette source embryonnaire pour obtenir des lignées de cellules ES est-elle une source unique ? Pourra-t-on obtenir des lignées de donneurs universels avec une altération du complexe majeur d’histocompatibilité telle qu’elle pourrait empêcher le rejet et garantir la compatibilité des cellules ? Si ce type de recherche évoluait, la source embryonnaire pourrait s’en trouver tarie...

    John GEARHART

    L’opinion publique ne sait pas combien d’embryons sont entreposés dans le monde… Ce sont des centaines de milliers dans notre pays, qui sont conservés dans de l’azote liquide. De nombreux embryons ne seront jamais utilisés au sens reproductif. A la différence du Royaume-Uni, nous n’avons pas le droit aux Etats-Unis de détruire les embryons en quelque circonstance que ce soit. Nous sommes obligés de les conserver à l’état congelé indéfiniment… Au niveau fédéral, il n’existe pas de politique de reproduction. Nous ne pouvons pas utiliser les embryons conservés tant que nous n’avons pas une autorisation officielle. Mais si nous avions cette autorisation, notre besoin en matière première ne serait pas telle que nous serions obligés d’utiliser la totalité des embryons disponibles. De nombreux embryons seront détruits à un moment ou à un autre, dès que notre gouvernement aura mis en place une réglementation sur la médecine reproductive.

    De la salle

    Lorsque les scientifiques demandent des crédits de recherche, ils mettent toujours en avant l’impact thérapeutique potentiel. C’est un cercle vicieux parce qu’en retour, la société demande à être traitée le plus rapidement possible. Je pense que les chercheurs ont une responsabilité dans ce domaine, celle de dire très clairement que les recherches sont préliminaires et fondamentales, et qu’elles n’aboutiront pas tout de suite. Nous allons à la catastrophe. La demande du public est légitime, puisque les chercheurs affirment qu’ils vont trouver des thérapies pour les maladies graves. Il y a un problème éthique du côté des chercheurs eux-mêmes. Ils doivent dire tout de suite qu’ils ne sont pas près du but. Ceux qui accordent des crédits doivent être conscients qu’ils les accordent à long terme. Sur le Web, les traitements potentiels de maladies sont présentés en grand nombre. Quel est le parent qui ne souhaiterait pas essayer ces traitements pour soigner son enfant ? Or ces traitements n’ont donné aucun résultat tangible et le parent ne le sait pas. Un moratoire doit être appliqué à la recherche, accepté par le politique qui attribue les crédits à long terme.

    John GEARHART

    Notre mission, aujourd’hui, était de vous présenter notre vision de l’avenir. Je ne pense pas qu’aucun d’entre nous ne vous ait annoncé la situation de la recherche de demain. Dans nos délibérations, devant les instituts nationaux de la santé, nous avons traité un grand nombre des questions que vous avez évoquées. Nous reconnaissons que chaque maladie représente une entité distincte. Dans la plupart des cas, nous traitons de situations précises. Les financements que nous demandons n’ont pas pour objet de mener des études de greffes. A ce stade, ce sont des financements de recherche fondamentale. Si nous disposons de lignées de cellules qui nous permettent d’étudier la production de types différents de cellules, nous disposons alors d’une base de recherche importante sur les thérapies. Nous ne demandons pas des financements pour des essais cliniques. La recherche fondamentale doit nous permettre d’aller de l’avant.

    Ian WILMUT

    Je plaide coupable à votre accusation. Mais je voudrais faire valoir une circonstance atténuante. On m’a demandé de donner une interview à France 3. Je n’ai eu que 45 secondes pour expliquer tout ce dont nous avons discuté ce matin. C’est strictement impossible.

    Laurence ESTERLE, Directrice adjointe de l’Observatoire des Sciences et Techniques

    Je voudrais revenir sur la question de l’accès de la communauté scientifique à la production d’un matériel biologique disponible en quantité illimitée. Il me semble qu’il y là un fort enjeu technologique. La production d’un matériel reproductible donnera un avantage compétitif à l’une ou l’autre des deux voies que Monsieur WILMUT a décrites. Des enjeux commerciaux se poseront également. Comment concevez-vous la diffusion du matériel à la communauté scientifique ? Ne pensez-vous pas que le problème de la libre circulation de ce matériel va occulter le débat éthique au niveau national ?

    John GEARHART

    Une loi intéressante a été adoptée aux Etats-Unis au début des années 90. Il n’y a jamais eu d’interdiction aux Etats-Unis sur la recherche sur les tissus fœtaux. L’interdiction a porté sur la recherche sur la greffe de tissus fœtaux. Elle est due à un décret du Président REAGAN, repris par le Président BUSH. Cette interdiction a été levée par le Président CLINTON. Lorsqu’elle a été levée, des textes législatifs ont été adoptés. Dans le pays, certaines femmes entamaient une grossesse parce que l’un des membres de la famille était atteint d’une maladie de Parkinson. Comment les tissus peuvent-ils être recueillis ? Il ne s’agit pas de gagner de l’argent. Le prélèvement de cellules ne peut pas être à but lucratif. Les règlements sont extrêmement stricts sur la question du paiement des tissus. La question du partage est préoccupante. Un chercheur n’a pas le droit d’utiliser les cellules sur lesquelles travaille un autre chercheur. Tant que n’aura pas été déterminé officiellement qui peut utiliser les cellules, les chercheurs pourront avoir de gros ennuis s’ils détiennent des cellules dans leur laboratoire. Ce problème devrait certainement se résoudre rapidement.

    Claude HURIET

    Je donne maintenant la parole à Monsieur Simon BEST, Directeur général de Geron Bio-Med, filiale britannique de Geron qui concrétise l’alliance technologique de cette société américaine et de l’Institut Roslin dans le domaine des cellules souches pluripotentes, de la télomérase et du transfert nucléaire. Monsieur BEST va préciser les objectifs de recherche, les prévisions et la stratégie générale de cette société, qui occupe désormais une position clé dans la compétition scientifico-économique de la biomédecine.

    Les objectifs de recherche, les prévisions et la stratégie générale de la société Geron Bio-Med

    M. Simon BEST

    Directeur général de Geron Bio-Med

    Je vous remercie infiniment de me permettre de participer à votre débat, sur les questions qui nous occupent aujourd’hui. Mon témoignage portera sur les bienfaits cliniques, économiques et sociaux attendus de la médecine régénératrice. Je vous parlerai également des questions éthiques soulevées par la recherche dans ce domaine. Le clonage des cellules humaines pour la médecine régénératrice ouvre un champ de nouvelles opportunités pour le traitement d’un grand nombre de maladies dégénératives. Si la recherche est encouragée dans un cadre de réglementation et législatif adéquat, les thérapies cellulaires pourraient devenir une réalité clinique, et ce au cours de la prochaine décennie. Les techniques de clonage thérapeutique offrent la possibilité de fournir des cellules humaines pour des greffes régénératrices dans un grand nombre de maladies dégénératives caractérisées par la mort prématurée, par la perte de fonction de types de cellules particulières ou par l’incapacité de l’organisme à les remplacer.

    Le traitement de ces maladies est généralement palliatif et ne fait que retarder les complications inévitables liées à ces maladies. Aucune des thérapeutiques actuelles ne porte sur la régénération des tissus disparus. Les affections touchent essentiellement le monde en développement et le monde développé, lors du vieillissement. Les bienfaits des nouvelles thérapies seraient très importants du point de vue qualitatif (elles augmenteraient l’espérance de vie) mais également du point de vue quantitatif (avec une réduction du coût des maladies chroniques aiguës). Au cours des vingt dernières années, l’espérance de vie moyenne a augmenté de trois ans. Elle est aujourd’hui de 79 ans pour les femmes et de 74 ans pour les hommes. Les personnes âgées souffrent souvent d’une maladie chronique aiguë débilitante et dégénérescente, qui restreint leur mobilité et leur indépendance, et détériore leur qualité de vie au cours de leur retraite. Si les bénéfices potentiels des thérapies cellulaires sont confirmés, elles pourraient avoir un effet extrêmement positif dans les essais cliniques pour l’amélioration de la qualité de la vie de ceux qui souffrent de maladies dégénératives. Elles permettraient d’étendre la durée d’activité des personnes âgées et leur indépendance au sein de la famille. Ces personnes retrouveraient ainsi leur dignité. En outre, l’utilisation des thérapies cellulaires permettrait de réaffecter les ressources pour répondre à des besoins que nous ne pouvons pas satisfaire aujourd’hui. Les maladies liées au vieillissement consomment une très grande proportion des budgets de la Sécurité Sociale. Des économies importantes seraient possibles dans ce domaine avec les thérapies cellulaires.

    Dans les modèles animaux, les traitements à base de thérapie cellulaire ont prouvé leur efficacité pour reconstituer des cellules disparues. D’après la Société de cardiologie européenne, les affections cardiaques coûtent à l’économie française environ 100 milliards de francs par an, soit 15 % des dépenses de santé. La maladie de Parkinson est diagnostiquée chez 10 000 personnes. D’après l’OMS, ce chiffre va augmenter au fur et à mesure que la population vieillira. Le coût total de la maladie de Parkinson pour l’économie française est estimé à plus de 10 milliards de francs par an. Les thérapies cellulaires pourraient entraîner une réduction de 95 % de ces coûts, grâce au succès des traitements dérivés des cellules fœtales. Les bénéfices entraînés par les thérapies cellulaires pourraient être absolument considérables. Le diabète, qui touche 3 % de la population française, consomme entre 5 % et 10 % des ressources totales destinées aux soins médicaux. Les complications liées au diabète représentent la majorité des dépenses de santé. Les thérapies cellulaires pourraient avoir un impact sur 50 % de ce coût. Le diabète va augmenter au cours du prochain siècle. Sa prévalence va doubler et toucher au moins 5 % de la population du monde développé. Au Royaume-Uni, environ 3 millions de personnes seront touchées, et un nombre équivalent en France. Au-delà des exemples d’indications de thérapies cellulaires, les maladies dégénératives sont telles qu’elles déclenchent la demande de soins au long cours. Cette demande apparaît pour les soins à domicile et pour les soins hospitaliers. Les coûts liés à ces maladies dégénératives vont augmenter de 50 % à 100 %. Au Royaume-Uni, la diminution de 1 % de la dépendance liée à l’âge pourrait diminuer de moitié l’augmentation prévisible des coûts.

    Comment traduire toutes ces données en une opportunité économique pour une société comme la nôtre ? C’est difficile à dire. Nous sommes à un stade très précoce de développement des thérapies cellulaires. Du point de vue du marché et des experts, la médecine régénératrice pourrait augmenter de 25 % la valeur du marché mondial pharmaceutique d’ici 25 ans. Le marché pharmaceutique mondial représente environ 250 milliards de dollars. Ce chiffre ne fait qu’augmenter. Pour les laboratoires comme le nôtre, l’opportunité commerciale de la médecine régénératrice pourrait représenter quelque 60 milliards de dollars au cours des vingt prochaines années. Il y a donc là un créneau énorme, bien que difficile à évaluer puisque nous en sommes à un stade très précoce.

    Du point de vue de Geron, comme du point de vue de l’Institut Roslin, les thérapies cellulaires sont très prometteuses. Elles pourraient avoir une incidence énorme pour réduire les taux de morbidité et de dépendance. Elles pourraient également contribuer à mieux aider les populations vieillissantes. En France et au Royaume-Uni, toutes ces questions ont été largement évoquées lorsque nous avons mis en place nos législations sur les embryons. Doit-on élargir les législations nationales pour permettre la recherche embryonnaire ? Cette recherche met-elle en cause l’état juridique d’un stade précoce de l’embryon ? Je pense que ce débat aura lieu dans chaque pays. Il doit être mené dans la plus grande transparence et dans un processus consultatif qui permette à toutes les instances de la société de s’exprimer. Dans le cadre de ce débat, nous pensons qu’un élargissement des lois et des règlements, afin de permettre la recherche embryonnaire, ne doit pas dépasser le cadre existant des pays qui autorisent la recherche embryonnaire. Il s’agit là d’une appréciation personnelle. Mais les conséquences sociales énormes des thérapies cellulaires, étant donné l’augmentation de la population vieillissante, devraient inciter à encourager la recherche dans ce domaine. Aujourd’hui, nous ne faisons qu’amorcer le débat. Ce débat devra être suivi de la mise en place d’un cadre commercial précis, une fois que les bienfaits des thérapies cellulaires auront été prouvés.

    Questions de la salle

    Jean-Paul RENARD

    Monsieur BEST, pouvez-vous nous expliquer comment les financements rassemblés autour de Geron prennent en compte les perspectives d’application des thérapies cellulaires, qui sont relativement lointaines ? Ces financements sont privés pour la plupart.

    Alain CLAEYS

    Concrètement, quelle est l’alliance stratégique entre l’Institut Roslin et Geron ?

    Simon BEST

    Il nous faudra des fonds considérables pour traiter un petit nombre des indications dont nous avons parlé. Geron a des problèmes de financements. Mais nous avons réussi à trouver suffisamment de fonds pour financer pendant deux ans les programmes de recherche fondamentale. Nous devrons nouer des relations étroites avec des laboratoires pharmaceutiques. Les pourparlers avec ces laboratoires sont actuellement à un stade avancé. Je ne suis pas en mesure de vous donner des détails. Mais il s’agit d’engagements à long terme. Pour des applications de plus court terme, les cellules peuvent être étudiées pour le profilage du développement humain. Certaines sociétés sont intéressées par les perspectives de ce type de recherche. Il y a donc là d’autres sources de financement possibles. D’autres sociétés, en revanche, ne sont pas convaincues que les cellules pourront être développées en thérapies. Les partenariats potentiels sont trop nombreux. Il est long de déterminer lesquels sont valables et lesquels ne le sont pas. Nous pensons que nous allons pouvoir continuer à trouver des capitaux privés. Actuellement, nous recevons 25 à 30 milliards de dollars par an, y compris les fonds destinés à Roslin, soit 4 milliards de dollars par an. Mais nous aurons besoin de financements beaucoup plus importants à l’avenir. Les accords sont relativement compliqués à conclure. Il nous faudra du temps. Certaines conventions que nous avons signées seront prochainement portées à la connaissance du public.

    Les relations actuelles entre Geron et Roslin se fondent sur la relation établie en 1998, au moment où la société Geron Bio-Med a été créée. La politique du gouvernement britannique a sensiblement changé depuis quelques années, en faveur d’un appui plus prononcé à la recherche. Les scientifiques sont autorisés à travailler dans des sociétés dérivées. Ils ont le droit d’acheter des actions de ces sociétés. Roslin a été pionnier au Royaume-Uni en obtenant des capitaux d’entreprises. L’objectif de Roslin n’est pas de faire du capitalisme. La réalité du financement public de la recherche, au Royaume-Uni et dans d’autres pays, est telle que la disponibilité de fonds à long terme pour la recherche diminue. La mission de l’Institut est de promouvoir la recherche fondamentale dans la biologie de l’animal. En créant la société, l’objectif était d’assurer des gains à long terme permettant de soutenir la recherche. En raison de l’évolution rapide de ses applications, Geron a pu atteindre ses objectifs en un an au lieu de trois ans. Roslin bénéficie d’un financement assuré pour six ans pour mener à bien les programmes de recherche fondamentale en coopération avec Geron. Dans le cadre du projet d’application Dolly, Geron a engagé 20 milliards de dollars sur un horizon de six ans. L’objectif du projet était de comprendre les mécanismes fondamentaux du clonage et de la reprogrammation. Notre recherche fondamentale de pointe est complémentaire de la recherche de Roslin. Roslin détient une participation dans Geron. Il n’y a pas de conflits entre les différents objectifs des deux établissements. L’association de Roslin et Geron permet d’atteindre un niveau d’excellence dans la recherche sans que cela ne coûte rien aux contribuables.

    Bernard LOTY

    Il est intéressant que la recherche privée puisse s’associer à la recherche publique. Quels résultats escomptez-vous ? Pensez-vous aboutir à des brevets ? Ou bien le savoir-faire que vous aurez acquis suffira-t-il comme retour sur investissements ?

    Simon BEST

    Il ne fait aucun doute que toute recherche britannique financée par des fonds publics donne la priorité aux dépôts de brevets. C’est le meilleur moyen d’assurer un transfert de technologies. Tout l’effort national de recherche devrait parvenir à peser moins sur les contribuables. En Grande-Bretagne, un changement de culture est intervenu. On ne redoute plus que les dépôts de brevets poursuivent des intérêts contraires à ceux de la recherche fondamentale. Lorsqu’un groupe, privé ou public, estime qu’il est sur le point de mettre à jour une découverte qui relève de la propriété intellectuelle, il cesse toute communication sur ses recherches pendant un à trois mois. Les groupes font un effort, à l’heure actuelle, pour réduire cette période. La publication des résultats de recherche se fait de telle manière que le groupe s’assure un monopole pendant une période limitée de temps. Tous les instituts de recherche britanniques souhaitent protéger la propriété intellectuelle de leur recherche.

    Jacques MONTAGUT

    Il semble que vous ayez fait un choix prioritaire pour la médecine régénérative à partir de cellules ES embryonnaires. Pourquoi ne pas avoir opté également pour la thérapie à partir du principe de la transdifférenciation d’une lignée à l’autre ? Ce choix est-il lié au cadre législatif de votre pays, qui donne une protection plus grande au fœtus qu’à l’embryon ?

    Simon BEST

    Je dois reconnaître que je suis coupable d’avoir utilisé les termes à la légère en parlant des cellules embryonnaires. A Geron, nous menons un effort de recherche continu sur les cellules embryonnaires et sur les cellules adultes. Geron a des droits de propriétés intellectuels. Nous avons des brevets dans tous les domaines. Nous ne privilégions donc pas une direction par rapport à une autre. Je crois que nous devons nous intéresser aux thérapies géniques. Il nous faut examiner quels types de cellules répondent aux critères pris en compte par les autorités réglementaires pour autoriser les thérapies géniques. Sur le plan technique, il existe de fortes synergies entre nos travaux et les travaux d’autres chercheurs sur les cellules souches adultes. Les cellules qui seront transplantées ne seront pas les cellules finales différenciées mais les cellules décalées d’un ou deux niveaux dans le lignage. Le greffon sera une sorte de progéniture des cellules souches adultes, qui s’intégrera au processus normal pour régénérer les cellules endommagées. Nous avons des projets sur les cellules souches adultes. Nous développons une technologie intéressante pour ces cellules. Il s’agit de la télomérase, qui maintient les télomères à l’intérieur des chromosomes. Les cellules souches adultes étant plus différenciées, les télomères sont raccourcis. Lors de la culture, le vieillissement est accéléré. Les cellules transplantées ont alors un âge équivalent à celui de cellules ayant passé dix ans dans l’organisme. Avec la télomérase, nous avons la possibilité de rectifier ce vieillissement pour les cellules souches adultes. Au bout du compte, nous sommes pragmatiques. Nous n’avons pas choisi une voie par rapport à une autre. Les cellules embryonnaires peuvent être cultivées plus facilement. Mais nous n’avons pas encore suffisamment de bases scientifiques pour pouvoir prendre réellement parti.

    Ian WILMUT

    Dans le domaine de la transdifférenciation, nous avons réalisé trois ou quatre expériences qui ont consisté à transférer des cellules d’un animal à un animal différent. Au cours de l’opération, les cellules ont changé de type. Les expériences n’ont pas été réalisées en laboratoire. Ce travail est passionnant. Mais nous sommes encore loin d’un résultat effectif.

    Claude HURIET

    Je voudrais vous interroger sur deux principes, celui de la non-patrimonialité et celui de la non-disponibilité du corps humain. La question se pose de savoir si ces principes s’appliquent également à l’embryon. Comment conciliez-vous le principe de la gratuité avec l’idée d’une matière première ? La femme qui aura fait don d’un ovocyte aura contribué à produire un embryon, qui sera utilisé comme une source permettant d’avancer vers la thérapie cellulaire. Les firmes impliquées dans des projets de recherche espèrent toutes un jour ou l’autre passer à une phase industrielle. Comment pensez-vous résoudre ce problème à la fois technique et financier, mais essentiellement éthique ?

    Simon BEST

    En tant qu’industriel, j’essaie de prendre du recul. Faisons des hypothèses. Si les thérapies cellulaires sont étendues à des dizaines de millions de personnes, je pense que lorsque nous aurons atteint le stade de la commercialisation, nous n’utiliserons pas des ovules humains. Le matériel à partir duquel nous soignerons le patient sera prélevé sur lui. Le patient malade fournira une cellule saine, qui sera convertie en une source de tissus. Au stade de la commercialisation, nous disposerons d’un système artificiel basé sur d’autres cellules ou nous partirons d’essais in vitro pour programmer la cellule prélevée sur le patient. La programmation de la technologie sera fonction des essais que nous réaliserons à Roslin. A court terme, les matières premières pour les thérapies cellulaires ne doivent pas être considérées différemment des matières premières servant pour la procréation assistée. Il existe des recommandations sur les cas dans lesquels il est possible de payer les personnes et les cas où cela n’est pas possible. C’est pourquoi le cadre juridique est si important.

    Alain CLAEYS

    Si je vous entends bien, demain vous vendrez au patient sa propre matière première transformée…

    Simon BEST

    Oui, à partir d’une cellule unique du patient, dont on extraira le noyau, il sera possible de traiter la maladie. Mais nous en aurons utilisé des millions d’autres dans le cadre des travaux de recherche qui permettront un jour d’aboutir à ce résultat.

    De la salle

    Il me semble qu’il y a une contradiction dans vos propos. Le patient qui est malade ne dispose pas de cellules saines. Vous avez dit que le noyau d’une cellule du patient serait utilisé pour produire des lignées de cellules. Mais si le patient est porteur d’une maladie génétique, la cellule sera également porteuse de cette maladie.

    Simon BEST

    Les maladies que nous cherchons à traiter sont les maladies liées à l’insuffisance d’un type de cellules du corps. Dans le cas de la maladie de Parkinson, c’est un type de neurones qui est frappé de dysfonctionnements. Mais cela ne signifie pas que les cellules de la peau d’un malade atteint de la maladie de Parkinson ne sont pas saines. Notre objectif est de prélever une cellule saine de la peau du patient, de la différencier par un moyen ou un autre, afin qu’elle devienne un autre type de cellule. En effet, si un malade est porteur d’une maladie génétique, les erreurs d’information génétique se retrouvent dans le noyau de toutes les cellules. Mais il existe des applications de la thérapie cellulaire qui peuvent être utilisées pour corriger les maladies génétiques. Certaines affections sanguines, par exemple, dont souffrent une grande partie de la population de la Méditerranée, touchent une partie des cellules sanguines. Nous pourrons nous attaquer à ces maladies en amenant, par manipulation génétique, des cellules de la peau, qui contiennent l’information erronée, à produire de nouvelles cellules sanguines permettant de remplacer les cellules malades. Il sera donc possible à l’avenir d’utiliser une cellule de la peau d’un patient pour soigner sa maladie de Parkinson. Nous pouvons dès aujourd’hui corriger les erreurs génétiques.

    Professeur DUPRAT

    Je voudrais mentionner un exemple jurisprudentiel américain qui concerne la thérapie génique. La Cour d’appel de Californie et la Cour suprême américaine ont statué sur l’affaire Moore. Le juge s’est tout d’abord prononcé en faveur d’un droit de propriété sur les éléments bruts du corps humain. Puis il a déclaré que ce n’était pas la protection de sa propriété ou de sa vie privée qui était en cause. L’effet thérapeutique provient non pas de la cellule elle-même mais des modifications qui ont été apportées. Les procédés techniques par lesquels les modifications ont pu être introduites ont finalement été retenus comme donnant lieu à la brevetabilité. Mais je crois que Madame ANDREWS va nous apporter des informations sur le sujet dans son exposé.

    Claude HURIET

    Monsieur DUNSTAN devait intervenir maintenant. Mais il a été victime d’un accident, heureusement sans grande gravité. Il est actuellement hospitalisé. Monsieur BEST nous lira son intervention après l’exposé de Lori ANDREWS, qui est professeur de droit à l’Université de Chicago. Elle va faire état de la législation américaine et des évolutions prévisibles en matière de clonage et de recherche sur les cellules embryonnaires.

    La législation américaine et les évolutions prévisibles en matière de clonage et de recherche sur les cellules embryonnaires

    Mme Lori ANDREWS

    Professeur de droit à l’Université de Chicago

    Que deviennent les principes de la Révolution Française d’égalité, de fraternité et de liberté, au regard des évolutions des thérapies géniques et cellulaires ? Aujourd’hui, il arrive de plus en plus souvent que des citoyens américains se voient refuser un travail ou une assurance en raison de prévisions génétiques négatives les concernant. La fraternité est mise en cause par les perspectives d’améliorations génétiques et le clonage humain. A l’avenir, seuls les riches auront la possibilité d’améliorer la constitution génétique de leurs enfants. Finalement, deux espèces humaines apparaîtront. Cette vision est rejetée par bon nombre d’européens. En Europe, la protection est plus grande contre la discrimination génétique. En outre, la loi française de 1994 interdit de modifier les caractéristiques génétiques pour modifier la descendance d’une personne. Une personne qui se livre à des pratiques eugéniques visant l’organisation de la sélection des personnes est sanctionnée par la loi.

    Aux Etats-Unis, ce type de réglementation est rejeté. Les couples ont la possibilité de commander du “ sperme intelligent ” dans une banque de spermes dont les donateurs sont des prix Nobel. Ils peuvent participer à des enchères sur Internet pour acquérir des ovules de mannequins et utiliser certaines méthodes pour choisir d’avoir un garçon ou une fille. Les groupes anti-avortement s’opposent à toute technologie génétique et à la reproduction des embryons dans un but de recherche. Ils ont empêché l’utilisation de fonds fédéraux de recherche pour la technologie de la reproduction. En outre, ils ont fait adopter une loi qui interdit la création d’embryons à des fins de recherche. Paradoxalement, le règlement de protection des êtres humains dans la recherche ne s’applique aux Etats-Unis que si la recherche bénéficie de fonds fédéraux. En revanche, les chercheurs financés par le secteur privé peuvent travailler sur la technologie de la reproduction. Ainsi, Geron est spécialisé dans la recherche sur le vieillissement.

    En France, l’interdiction de recherche sur les embryons s’applique que la recherche soit financée par des fonds privés ou par des fonds publics. La loi de 1994 prévoit qu’un embryon humain ne peut pas être conçu ou utilisé à des fins commerciales ou industrielles, et que toute expérimentation sur les embryons doit être interdite.

    Comme nous l’ont expliqué les précédents intervenants, il existe trois manières d’obtenir des cellules embryonnaires. Les deux premières ont été longuement évoquées. La troisième a été révélée par un groupe de chercheurs de l’Université du Massachusetts. Un scientifique a prélevé une cellule de sa joue qu’il a intégrée dans une cellule de bœuf. Il a prétendu avoir réussi ainsi à obtenir des cellules ES. Monsieur GEARHART et Monsieur WILMUT ont parlé avec un certain mépris de cette expérience. Or ils sont liés au Groupe Geron, alors que les chercheurs de l’Université du Massachusetts appartiennent à un groupe concurrent. J’ai été récemment à une conférence organisée par ce second groupe. Ses représentants étaient assez optimistes quant à l’issue de l’expérience menée sur le bœuf.

    Les discours que nous avons entendus aujourd’hui étaient optimistes. Mais aux Etats-Unis, il existe un grand nombre de chercheurs sceptiques. En 1979, on avait annoncé que ces techniques allaient permettre de soigner le cancer. Ce n’est malheureusement pas arrivé. Sur 3 000 Américains qui ont subi des essais de thérapie génique, aucun n’a fait état d’une amélioration de sa santé. Les Instituts nationaux qui surveillent ces protocoles se sont aperçus que la recherche sur les nouvelles thérapies empêchait que des axes plus classiques de recherche soient poursuivis. Une personne est morte aux Etats-Unis alors qu’elle suivait un traitement de thérapie génique. Des singes sont également décédés suite à des expériences. Cela n’a pas empêché la recherche de continuer.

    Je crois que le but d’une réunion comme celle-ci est de contrebalancer l’optimisme des scientifiques par un réalisme nécessaire. Il a été dit que les cellules cultivées devraient être testées afin que l’on s’assure qu’elles ne transmettent pas des maladies. Mais il n’est pas possible, aux Etats-Unis, de pratiquer un nombre illimité de tests sur chaque cellule, en raison des problèmes de financement du système de santé. Les donneurs de spermes ne sont pas suffisamment soumis à des tests. Des bébés sont nés avec des maladies infectieuses parce qu’il avait été estimé que tester les donneurs coûtait trop cher.

    Ces questions s’ajoutent aux questions éthiques et morales soulevées par les nouvelles thérapies cellulaires. Les tribunaux américains ont estimé que les fonds publics ne devaient pas être utilisés pour pratiquer des prélèvements embryonnaires qui impliqueraient une destruction de l’embryon. En revanche, il est possible d’utiliser des cellules embryonnaires provenant du secteur privé, ce qui suscite une violente opposition de la part des groupes anti-avortement. Aujourd’hui, les nouvelles voies de recherche suggèrent des méthodes alternatives pour guérir les tissus humains. La question de l’utilisation des embryons se pose donc avec moins d’acuité. Au mois d’avril 1999, des recherches ont été menées en France sur l’utilisation de cellules provenant de la moelle épinière et du cordon ombilical. Il est apparu que certaines cellules de la moelle épinière pouvaient être utilisées pour former des tissus osseux ou cartilagineux.

    Au cours de l’année passée, la Commission de bioéthique a beaucoup réfléchi aux questions soulevées par la recherche sur les cellules embryonnaires. Elle a fait des recommandations pour que les cellules ES de tissus fœtaux morts soient utilisées. L’utilisation du tissu fœtal cadavérique est permise par la loi. Mais les donneurs n’ont pas la possibilité de choisir le receveur.

    Il existe des réglementations au niveau de chacun des cinquante Etats des Etats-Unis. Les lois varient beaucoup d’un Etat à l’autre. Dans douze Etats, les fœtus peuvent être utilisés à condition qu’ils ne proviennent pas d’un avortement volontaire. Cependant, des difficultés pratiques se posent pour obtenir du tissu fœtal provenant d’avortements spontanés. En général, la recherche sur les cellules embryonnaires n’utilise pas le tissu fœtal provenant d’avortements spontanés. Elle utilise le tissu d’embryons IVF. Dans neuf Etats, les embryons in vitro sont totalement interdits. La sanction peut aller, dans certains Etats, jusqu’à la prison. Dans d’autres Etats, les restrictions concernent les fœtus qui proviennent d’avortements. Si le Professeur GEARHART travaillait dans l’un de ces Etats, ses recherches seraient passibles de poursuites.

    Les pratiques commerciales sont très fortement régulées. Dans treize Etats, le paiement des embryons éprouvettes est puni. Dans vingt-et-un Etats, l’achat de tissu fœtal est interdit, même s’il est utilisé pour des transplantations. Dans d’autres Etats, la législation a été modifiée de sorte que la vente des embryons soit interdite mais la vente d’une lignée de cellules permise. Dans certains Etats, la recherche va beaucoup plus loin. Les couples qui suivent des traitements de fertilisation sont informés de la possibilité de faire don des embryons non utilisés à la recherche. Ces couples sont précisément informés de l’utilisation qui sera faite de l’embryon donné et ont la possibilité de refuser telle ou telle utilisation. Certaines personnes n’accepteraient pas que l’on utilise des cellules humaines pour les traiter. Il est nécessaire d’étudier toutes les alternatives possibles.

    Si les embryons acquièrent une grande valeur pour la recherche, les médecins seront tentés d’augmenter les doses dans les traitements pour la fertilité. Certaines cliniques voudront à tout prix obtenir des résultats élevés dans la fécondation in vitro. Après l’annonce de l’isolation des cellules ES dans les embryons, le responsable d’une clinique m’a appelé pour m’informer qu’il disposait d’un grand nombre d’embryons non utilisés, donnés par des couples qui avaient utilisé la fécondation in vitro… Les abus sont nombreux aux Etats-Unis. Il est possible de déposer un brevet pour une lignée cellulaire. Les cellules sont transformées en des produits commerciaux.

    Il n’existe pas d’interdiction fédérale du clonage. Certains Etats ont condamné les expériences sur les embryons sans interdire le clonage. Les deux procédures ne sont pas forcément liées. Le Président CLINTON a interdit l’usage de fonds fédéraux pour le clonage humain. Cette interdiction n’a pas eu beaucoup d’effets sur les cliniques de fécondation privées. Pendant vingt ans, le gouvernement fédéral a refusé de financer les fécondations in vitro, mais cela n’a pas empêché 300 cliniques de créer des dizaines de milliers de bébés. Le Président ne pourra pas empêcher les scientifiques qui désirent le faire de poursuivre la recherche sur le clonage avec des fonds privés. Certains groupes religieux ont proposé des fonds à des scientifiques pour qu’ils développent la recherche sur l’infertilité. Une recherche a eu lieu notamment sur le clonage à destination des couples homosexuels qui souhaitent avoir un enfant issu de l’un d’entre eux. Un couple de milliardaires texans a donné 2,3 millions de dollars à des scientifiques pour qu’ils clonent son chien. Non seulement le clonage humain est permis dans un grand nombre d’Etats américains, mais il existe très peu d’obstacles au clonage de personnes contre leur volonté. Que se passerait-il si un barbier prélevait sur un poil de barbe d’un de ses clients très riches une cellule pour créer un clone ? Actuellement, la loi ne permet pas aux personnes d’avoir le contrôle de l’utilisation du tissu de leur corps une fois que le tissu a été prélevé. Dans l’Université de Californie, un patient s’est aperçu que l’on avait utilisé ses tissus contre son gré. Mais il n’avait aucun moyen de se défendre. Si Bill GATES voulait se cloner, il choisirait peut-être de le faire en une version plus grande, plus robuste. Il ne serait pas reconnu comme le parent légal du clone dans certains Etats, dans lesquels les parents légaux seraient les vrais parents de Bill GATES. Le clone serait alors le frère de Bill GATES. Dans d’autres Etats, le clone serait considéré comme l’enfant de la mère porteuse. Dans de nombreux Etats, on n’a pas encore déterminé les règles à appliquer en matière de clonage.

    Le clonage humain doit-il être permis ? Certaines cliniques de fécondation appliquent actuellement un moratoire volontaire sur le clonage humain. Elles savent que les taux de succès sont faibles. Si un musicien célèbre était cloné, la pression sur l’enfant serait terrible. Si une personne atteinte du cancer se faisait cloner, son clone ne réussirait sans doute pas à se faire assurer aux Etats-Unis. Le clonage entraîne toutes sortes de complications. Nous sommes dans un pays de marché libre. Mais nous ne pouvons pas accepter que les enfants deviennent des produits de consommation. Certains parents feraient n’importe quoi pour donner de nouveaux gènes à leurs enfants. Une enquête a montré que 42 % des parents souhaiteraient, s’ils le pouvaient, utiliser les thérapies géniques sur leurs enfants pour les rendre plus intelligents. Ainsi, 43 % des parents souhaiteraient utiliser ces thérapies pour améliorer le physique de leur enfant.

    En France, la structure d’un gène ne peut pas être brevetée comme elle peut l’être aux Etats-Unis. Le régime de la propriété intellectuelle interdit de breveter un produit de la nature et une formule. Or les gènes appartiennent à ces deux catégories. Le brevetage de gènes a beaucoup fait évoluer la biologie. Le travail d’un scientifique aujourd’hui est plein d’ambiguïtés. Il est difficile pour un scientifique de rester neutre. Tous les scientifiques sont contactés par des sociétés de biogénétique. Sur 34 des 789 rapports biomédicaux publiés par l’Université de Massachusetts, au moins un des auteurs attendait une rétribution de la découverte dont il faisait état dans son rapport. De nombreuses questions se posent aujourd’hui au sujet des technologies reproductives. Elles nous concernent tous.

    Questions de la salle

    Claude HURIET

    Compte tenu de la diversité des lois des Etats fédéraux, est-il envisageable qu’une loi fédérale soit instituée ?

    Lori ANDREWS

    Je ne le pense pas. La seule réglementation qui existera au niveau fédéral concernera l’utilisation des fonds fédéraux. En matière de médecine, la réglementation applicable incombe à chaque Etat.

    Jean-Paul RENARD

    A l’avenir, les instituts de la santé américains vont probablement financer la recherche publique. Une homogénéisation des lois dans les différents Etats ne sera-t-elle pas nécessaire dans le domaine de la recherche médicale ? En tant que juriste américain, quel est votre point de vue sur la situation législative en Europe ?

    Lori ANDREWS

    L’homogénéisation des lois dans les différents Etats n’est pas intervenue dans le passé. Même si des instituts américains financent la recherche publique, les approches resteront différentes à l’avenir selon les Etats.

    Il me semble que le cadre juridique français est excellent en ce qui concerne les questions de bioéthique. Si vous décidez d’amender la loi de 1994 et d’autoriser certaines recherches embryonnaires, il vous faudra réfléchir au type de consentement que vous vous voudrez obtenir de la part des participants à la recherche. Vous devrez également déterminer si l’utilisation des cellules embryonnaires peut avoir d’autres fins que la médecine régénérative.

    Claude HURIET

    Dans certains Etats, la commercialisation de certains produits est interdite. En France, si les restrictions actuelles de la loi étaient maintenues, la question se poserait de savoir si les malades français pourraient bénéficier des traitements issus d’expérimentations réalisées dans d’autres pays. En l’état actuel de la législation, cette interdiction de commercialisation est-elle effective ? Quels effets pourrait-elle avoir, s’il est possible d’obtenir dans un Etat ce que l’on ne peut pas obtenir dans un autre, dont la législation est plus restrictive ?

    Lori ANDREWS

    Dans certains Etats américains, il est interdit d’être mère porteuse, mais dans d’autres non. Il existe donc un trafic commercial important entre les Etats. Au Royaume-Uni, le paiement des donneuses d’ovules n’est pas autorisé, alors qu’il l’est aux Etats-Unis.

    Jean-François MATTEI

    Vous avez indiqué que le vivant faisait désormais partie du marché. Au moment où nous allons devoir nous entendre au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, les produits commercialisés à partir du vivant ont-ils leur place dans les négociations ? Nous vivons une période de mondialisation. Il est relativement facile, par télépaiement, d’acquérir sur Internet, un enfant, des ovules ou des spermatozoïdes. Sur le site de la secte raëlienne, il est possible de s’inscrire sur une liste d’attente pour le clonage, moyennant une somme qui n’est pas mince. Légiférer à l’intérieur de frontières est donc probablement vain. La seule solution ne serait-elle pas une solution à l’échelle planétaire ? Les valeurs qui sont en cause dépassent de loin les seules valeurs marchandes. Ce qui relève des valeurs humaines ne peut pas être régulé par des seuls traités économiques. Nous avons commencé à nous mettre d’accord pour renoncer à acheter des produits dont nous savons qu’ils ont été fabriqués par des enfants. Ne pourrait-on pas, au niveau international, tenter de s’engager dans une démarche pour créer un label éthique, préservant la dignité du vivant ? Cette proposition me paraît susceptible de faire avancer le débat.

    Je trouve étonnant qu’un pays laïc comme la France se pose ce type de questions, alors qu’un pays dans lequel le Président prête serment sur la bible adopte d’autres références… C’est que notre sujet sort du domaine strictement religieux pour entrer dans celui de la dignité humaine. Aux Etats-Unis, les situations sont différentes d’un Etat à l’autre. Les pays européens connaissent également des divergences de politiques entre eux. Mais l’argument selon lequel les recherches sur l’embryon humain doivent être autorisées pour qu’un pays ne soit pas en retard par rapport aux autres ne me paraît pas recevable. Je reviens d’un long voyage en Chine. Nous avons des difficultés à nous mettre d’accord entre Européens et Américains. Mais lorsqu’on aborde les questions éthiques avec les Chinois, on est véritablement stupéfait. Les Chinois viennent d’adhérer à l’OMC. Pourrons-nous un jour trouver des règles communes pour l’ensemble de la planète ? Cela semble difficile aujourd’hui.

    Alain CLAEYS

    Dans notre premier rapport, nous avons proposé d’instituer le droit d’ingérence. Je crois qu’il est nécessaire. Mais nous ne devons pas, en tant qu’Européens, nous placer dans la position des donneurs de leçons. Le principe de subsidiarité est appliqué en Europe. Nous ne recherchons pas actuellement une position commune. Les droits nationaux sont automatiquement mis en avant. Avant de réfléchir à une harmonisation mondiale, peut-être devons-nous commencer par modifier notre démarche au niveau européen.

    Lori ANDREWS

    L’idée d’un label éthique me convient tout à fait. Je crois qu’elle pourrait découler de la Déclaration de l’Unesco sur le génome humain, ou de la Convention des droits de l’homme et de la biomédecine du Conseil de l’Europe. Tony Blair et le Président CLINTON ont indiqué que les organismes vivants ne pouvaient pas être brevetés. Les brevets ne peuvent être déposés qu’à un certain moment du développement, lors d’un test de diagnostic. Un brevet sur un gène ferait obstacle à des développements ultérieurs entre des laboratoires concurrents. Actuellement, les services de pathologie dans les hôpitaux et les différents organismes de santé publique disposent de différents échantillons de tissus, qui sont vendus à des sociétés de biotechnologie sans autorisation des personnes. Ce n’est pas normal. Il faudrait demander le consentement de l’individu dont les tissus sont utilisés à des fins de recherche. Aujourd’hui, on envisage de créer une banque de tissus nationale. Les scientifiques pourraient accéder à ces tissus sous réserve de l’autorisation des donneurs. Les femmes ont servi de modèles pour les fécondations in vitro, et non les primates. La dignité humaine doit être respectée. L’utilisation de cellules embryonnaires devrait être présentée comme un dernier recours, alors que d’autres voies sont étudiées pour l’expérimentation.

    Professeur DUPRAT

    J’aimerais connaître la réaction du Professeur GEARHART et du Professeur WILMUT sur ces constats et ces perspectives.

    John GEARHART

    Mes sentiments sont mélangés. Nous savons bien qu’il y a eu des abus dans le domaine de la fertilisation in vitro. J’y vois davantage le reflet d’une absence de réglementation fédérale qu’un complot mené par les acteurs d’un marché dérégulé. Les juristes ont parfois tendance à peindre un tableau très sombre à partir d’avancées scientifiques intéressantes. Les scientifiques américains ont mis au point des formulaires de consentement éclairé. Les juristes d’universités et d’hôpitaux sont à l’origine de la rédaction de ces premiers formulaires.

    Qu’est-ce que la science ? Selon moi, elle ne ressemble en rien à ce qu’elle paraît dans les articles du New York Times. Notre préoccupation au sujet des recherches réalisées à l’Université du Massachusetts est liée à notre manque d’information sur ces recherches. Pourquoi les chercheurs n’ont-ils pas publié le résultat de leurs recherches dans des publications scientifiques reconnues ? J’ai passé un accord de recherche avec Geron. Mais le Groupe n’a jamais fait pression sur moi pour que j’oriente mes recherches en fonction de ses intérêts.

    S’agissant du coût des tests que nous effectuons sur les lignées de cellules que nous cultivons, il ne constitue pas un vrai problème. Les tests ne durent qu’une trentaine de minutes. Pour les lignées cellulaires utilisées dans le cadre de greffes, la FDA exige que les receveurs soient informés de la provenance des tissus qu’ils reçoivent. Nous suivons les directives de la FDA. Nous respectons cette loi fédérale.

    Après une fausse couche, 80 % des fœtus conçus sont perdus au cours des premières semaines. Ils ne peuvent donc pas constituer une matière première pour la recherche. Dans toutes les lignées cellulaires que nous avons cultivées, l’empreinte était satisfaisante. Nous nous sommes donné beaucoup de mal pour aboutir à ce résultat. Nos recherches sur les neurones de l’animal ont pour objectif d’établir qu’il est possible de parvenir à une bonne conductibilité des neurones pour différentes maladies. Mais ces recherches prendront du temps. Je crois que nous avons suffisamment prouvé la validité du concept. Je ne fais pas du sensationnalisme. Je suis très conservateur sur le plan scientifique. Ce qui a été fait par les centaines de chercheurs qui travaillent sur les cellules souches d’embryons de souris a prouvé que la technologie développée permettrait sans doute de combattre efficacement les maladies humaines et les troubles dégénératifs. Le Comité national de bioéthique réfléchit aux questions éthiques posées par la recherche sur les embryons. Je crois que nous devons investir dans la recherche sur les cellules embryonnaires. Je ne suis pas venu ici aujourd’hui pour réclamer de l’argent, ou pour en tirer un profit personnel. Je suis venu informer le public de l’évolution de la recherche sur les thérapies cellulaires.

    Ian WILMUT

    Madame ANDREWS est experte en droit. Son exposé m’a rendu particulièrement heureux d’être européen…

    Simon BEST

    L’un des trois Etats des Etats-Unis qui interdisent formellement le clonage humain est la Californie, dans lequel est situé le Groupe Geron. En pratique, l’exposition massive à des procès limite les abus.

    Lori ANDREWS

    Le Professeur GEARHART a indiqué que les journalistes commettaient souvent des erreurs dans leurs articles sur les avancées scientifiques. Les articles sont souvent assez peu réalistes parce que les chercheurs espèrent obtenir des financements. Je pense que les scientifiques et les médias doivent travailler ensemble pour élaborer le contenu des articles de journaux. L’Université Johns Hopkins met en œuvre le principe du consentement éclairé, mais ce n’est pas le cas dans la plupart des institutions américaines. Les réglementations de la FDA ne fournissent aucune protection aux donneurs dans le cadre de recherches sur les cellules souches embryonnaires.

    Professeur DUPRAT

    Un avis récent rendu par le Groupe européen d’éthique indique que l’Union européenne n’a pas de compétences dans le domaine de la protection du vivant. Mais elle ne peut pas se désintéresser de la question. Le Groupe européen d’éthique va donc en débattre. Il me paraît intéressant qu’une institution dans la mouvance de la Commission européenne formule des normes qui ne pourront pas être ignorées dans la mise en œuvre des programmes européens de recherche financés par des fonds communautaires. Dans le domaine du génie génétique, j’ai toujours été frappé de la superposition des normes aux Etats-Unis entre les Etats. Les normes fédérales s’ajoutent aux normes des Etats fédérés, qui s’ajoutent aux normes locales du comté ou de la municipalité. Dans le domaine des thérapies cellulaires, pensez-vous que des normes pourront être édictées au niveau local ?

    Lori ANDREWS

    Les normes locales actuelles sont des normes datant des années 70. Elles portent sur la protection de l’environnement. Il n’existe pas de normes locales pour les thérapies géniques et cellulaires. De manière générale, les autorités locales et nationales s’inclinent devant les réglementations fédérales.

    Alain CLAEYS

    Monsieur Gordon DUNSTAN est professeur émérite de théologie morale et sociale au King’s College de Londres. Le Révérend DUNSTAN a été notamment membre du Nuffield Council on Bioethics de 1991 à 1995. Il a publié plusieurs ouvrages sur le statut de l’embryon. Dans son exposé, il apporte un éclairage éthique sur les positions qui se développent actuellement à ce sujet dans le monde anglo-saxon.

    Le statut de l’embryon

    M. Gordon DUNSTAN

    Professeur émérite de théologie morale et sociale au King’s College de Londres, Membre du Nuffield Council on Bioethics de 1991 à 1995

    Je suis un produit du système universitaire anglais. Par ailleurs, je suis prêtre de l’église établie du Royaume-Uni. Je suis donc le fruit d’une tradition morale dérivée non seulement de la théologie judéo-chrétienne et de sa doctrine de l’homme créé à l’image de Dieu, mais je me place également dans la lignée d’Aristote et des Grecs, pour lesquels la rationalité caractérise l’être humain. L’homme a le désir inné de chercher la connaissance, de raisonner et d’atteindre la vérité. Albert Legrand, l’un des grands professeurs de l’Université de Paris au XIIIe siècle, nous a appris que la recherche de la vérité faisait partie de la nature de l’âme humaine. Roger Bacon, à Oxford, était également un pionnier de la recherche expérimentale de la vérité. Le principe de la tradition morale anglicane est la recherche du bien dans la société.

    Notre sujet porte sur le clonage par transfert nucléaire et sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires. La recherche expérimentale ne peut être autorisée que si deux conditions sont respectées. La première est que les méthodes utilisées soient déontologiques. La connaissance ne doit pas être recherchée par des moyens illégitimes. Par ailleurs, la connaissance doit être utilisée à des fins éthiques, moralement valables. Sur cette base, la thérapie cellulaire et l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires sont acceptées par les penseurs britanniques, par les milieux scientifiques, médicaux, philosophiques, éthiques et religieux.

    Toute mesure qui menace la vie de l’embryon humain, à quelque stade que ce soit, est considérée par l’église catholique comme mauvaise et illicite. L’église catholique interdit l’utilisation des cellules embryonnaires. En détruisant les cellules du placenta, on condamne l’embryon à mort. Le prélèvement de cellules primordiales sur un fœtus avorté est considéré comme une complicité d’avortement, interdit dans toute circonstance. Le dogme sous-jacent à ces interdictions attribue une sainteté à l’embryon humain, c'est-à-dire un droit absolu à la protection dès le moment de la conception.

    Ceux qui rejettent ce dogme le font sur le plan scientifique et sur le plan moral. Scientifiquement parlant, il ne peut y avoir d’individu humain tant que les cellules ne sont pas organisées pour former une lignée primitive au quinzième jour. Sans l’individualité, il ne peut y avoir de personnalité. Il n’y a pas de sujet de droit ou de devoir : Persona est individua substantia rationalis naturae. Cette maxime philosophique a été la base de la tradition morale de la civilisation occidentale depuis deux millénaires. L’individualité n’est pas possible dès la conception, mais seulement une quinzaine de jours plus tard.

    En 1860, le Vatican a décrété la protection absolue de l’embryon humain précoce. Les législateurs hésitent à imposer une restriction si mal fondée scientifiquement aux embryologistes humains. En 1990, le Parlement britannique a rendu légale l’utilisation pour la recherche d’embryons humains jusqu’à quatorze jours. Leur utilisation est interdite au-delà de l’apparition de la lignée primitive. Par ailleurs, il est interdit de replacer l’embryon dans l’utérus après son utilisation à des fins de recherche. Le clonage humain par remplacement du noyau d’une cellule de l’embryon par un autre noyau a également été interdit.

    La base morale de ces pratiques est que la recherche de la connaissance doit être utilisée pour le bien. Elle est régie par une licence de la HFEA, en collaboration avec la Commission consultative chargée d’éthique humaine. Le 28 avril 1999, un débat a eu lieu au sein d’un comité de la Chambre des Lords au sujet d’une proposition émise par des lords hostiles à la pratique établie. Des théologiens, des savants, des philosophes et des docteurs ont participé à ce débat. Ils ont affirmé qu’ils tenaient compte des faits scientifiques. Comme moraliste anglican, je partage leur jugement. Leur principal argument est celui de l’utilité. Les avantages potentiels et prévisibles, sans dommages disproportionnés, de la recherche doivent être recherchés.

    Nous avons adopté les moyens nécessaires pour contrôler la recherche, et protéger les animaux, les mères, les enfants contre l’exploitation ou la tromperie. Nous avons posé le principe de la séparation à chaque stade de la collecte des tissus ovariens. Une banque de tissus doit être mise en place. Il ne peut y avoir transfert immédiat de la mère aux chercheurs. La HFEA a souhaité que le consentement de la mère soit obtenu pour l’utilisation de ses tissus dans le cadre de recherches. En ce qui concerne les cellules nerveuses, nous avons adopté les mêmes règles, qui permettent d’éviter l’exploitation des personnes.

    J’accepte la distinction courante entre clonage thérapeutique et clonage reproductif. Ils ont des procédures et des objectifs respectifs. Le remplacement nucléaire et l’utilisation de cellules embryonnaires ont été interdits par le Parlement en 1990. La HFEA a donné des autorisations de recherche pour le transfert nucléaire dans un ovule non fertilisé. L’interdiction du clonage reproductif est unanimement souhaitée dans le pays. La HFEA a effectué une consultation sur le sujet en 1998 : 80 % de ceux qui ont répondu ont voté contre le clonage reproductif humain. Seuls quelques philosophes brillants, progressistes, ont exprimé des positions en faveur de ce type de clonage. Les arguments scientifiques contre le clonage reproductif humain sont connus. Le clonage reproductif engendre un gâchis extraordinaire. Il y a une Dolly pour 29 ovules reconstruits, venant de 270 cellules somatiques adultes transférées dans 277 ovocytes dénucléés. Le transfert nucléaire de cellules somatiques adultes dans des cellules d’ovules receveurs entraîne un vieillissement prématuré, avec toutes les maladies qui en découlent. En outre, par rapport à nos schémas familiaux et sociaux, le risque de confusion d’un enfant avec son jumeau génétique, qui serait son parent, semble gigantesque. C’est un affront pour la dignité et la liberté humaine que de considérer une personne humaine comme un moyen d’atteindre une fin.

    Le clonage de cellules à des fins de diagnostic répond à des préoccupations tout à fait différentes. L’efficacité des traitements est prouvée. L’amélioration des cellules souches embryonnaires et des cellules primordiales permettra de trouver de nouveaux moyens pour traiter les maladies de dégénérescence des cellules nerveuses, des cellules de la peau, des cellules hématopoïétiques, etc. A l’avenir, il sera peut-être possible de bloquer la transmission de maladies génétiques d’une mère à ses enfants. Il ne s’agit pas de servir des ambitions égoïstes. Mes propos sont dictés par un devoir d’intégrité et par un sentiment de respect pour la vie animale et humaine. Il serait plus grave de voir nos cœurs s’endurcir que de voir nos artères durcir.

    Conclusion

    Alain CLAEYS

    Je voudrais sincèrement remercier les différents intervenants de cette journée d’avoir répondu à notre invitation. Je connais leurs contraintes. Je les remercie du fond du cœur d’avoir accepté de venir enrichir nos débats. Nos débats d’aujourd’hui ont été libres. Des oppositions se sont exprimées. Pour nous, qui nous trouvons au cœur d’une démarche difficile en France, cette journée aura été très enrichissante.

    Quelle que soit la réflexion que nous mènerons en France, je crois que nous ne pouvons plus exclure la dimension européenne de la recherche sur le clonage et les thérapies cellulaires. Aujourd’hui, il est important que des organismes internationaux se saisissent de ce sujet. Les scientifiques s’interrogent. Les enjeux économiques sont nombreux. Ils posent des problèmes par rapport à notre législation actuelle. Ainsi, dans le domaine du droit, de nombreuses questions sont posées.

    Je remercie les membres du Comité de pilotage qui travaillent avec nous au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ils nous apportent beaucoup du fait de leur expérience et de leur recul.