N° 1114

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2003.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,

TOME III

DÉFENSE

ESPACE, COMMUNICATIONS ET RENSEIGNEMENT

PAR M. Yves FROMION,

Député.

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Voir le numéro : 1110 (annexe n° 40)

S O M M A I R E

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Pages

INTRODUCTION 5

I. -  L'ESPACE, CLÉ DE VOÛTE DU SYSTÈME DE FORCES « COMMANDEMENT, COMMUNICATIONS, CONDUITE DES OPÉRATIONS ET RENSEIGNEMENT » (C3R) 7

A. LE C3R, AU C_UR DES CAPACITÉS DE COMBAT MODERNES ET FUTURES 7

1. Le cycle « observation, orientation, décision, action » 7

2. L'espace, support essentiel des systèmes d'armes modernes 8

B. LA PRÉPONDÉRANCE DU FACTEUR SPATIAL DANS LES PROGRAMMES DE COMMANDEMENT, DE COMMUNICATIONS ET DE CONDUITE DES OPÉRATIONS 9

1. Les systèmes de transmission, de liaison et de commandement 9

2. L'importance grandissante des programmes spatiaux de cohérence opérationnelle 12

C. LES LIENS DE PLUS EN PLUS ÉTROITS ENTRE RENSEIGNEMENTS HUMAIN, TECHNIQUE ET SPATIAL 13

1. Le renseignement humain, de plus en plus dépendant des technologies spatiales 13

2. L'apport des drones, indissociables des systèmes de transmission de données par satellites 17

3. La révolution du renseignement d'origine spatiale 19

D. LA MESURE DES ENJEUX SUR LE PLAN BUDGÉTAIRE 21

II. -  LA NÉCESSITÉ DE COMBINER INVESTISSEMENTS ET PROJETS EUROPÉENS POUR CONSERVER UNE AUTONOMIE TECHNOLOGIQUE 23

A. UN CONTEXTE INTERNATIONAL MARQUÉ PAR UNE RELANCE DES DÉPENSES CONSACRÉES À L'ESPACE ET AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION 23

1. Une priorité pour les Etats-Unis 23

2. Le maintien de l'expertise russe 25

3. Les ambitions des nouvelles puissances spatiales 26

B. LE BESOIN D'UNE VERITABLE POLITIQUE EUROPÉENNE DE L'ESPACE ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS 28

1. Les évolutions en cours de la politique spatiale européenne 28

2. La multiplication des coopérations multilatérales dans le domaine militaire, à défaut d'une politique commune 29

3. L'impératif de rationalisation industrielle pour faire face à une situation de surcapacités mondiales 32

4. La nécessité de nouer des coopérations sur les nouvelles technologies de l'information et des communications, à vocation duale ou militaire 34

CONCLUSION 35

TRAVAUX DE LA COMMISSION 37

INTRODUCTION

Les communications et le renseignement constituent l'un des fondements de l'efficacité des forces armées, car ils touchent aussi bien à la collecte et à la sélection des informations pertinentes pour la conduite d'opérations militaires qu'à leur diffusion et à leur exploitation tactique. L'introduction de la dimension spatiale a progressivement révolutionné les techniques de communication et d'acquisition du renseignement, au point qu'il n'est pas exagéré de dire que l'espace a changé l'art de la guerre. Les conflits les plus récents, dans les Balkans, mais surtout en Afghanistan et en Iraq, en ont apporté une démonstration éclatante. Surveillance tous temps du champ de bataille, interception électronique, transmissions de données, positionnement géographique, guidage des armes, autant de domaines où la dimension spatiale s'est imposée, bouleversant le cadre espace-temps de la man_uvre.

Il faut se féliciter qu'en dépit des moyens contraints qu'elle a pu y affecter, la France n'ait pas manqué son rendez-vous avec l'ère spatiale et qu'elle ait entraîné l'Europe dans son sillage. Sans doute le décalage avec la puissance américaine est-il considérable, mais l'essentiel a été préservé, permettant à notre pays de tenir son rang sur la scène internationale.

Communications, renseignement et espace s'analysent comme un ensemble, dont la cohérence générale est nécessaire.

La France consent depuis de nombreuses années un effort significatif en la matière. D'ailleurs, la priorité accordée à la réalisation d'une chaîne complète de commandement (aux niveaux stratégique et tactique) permet d'envisager un rôle de nation-cadre pour la planification et la conduite d'une ou plusieurs opérations d'envergure, qui seraient menées par la force de réaction rapide de l'Union européenne, dont la mise en place a été décidée lors du Conseil européen d'Helsinki en 1999. Cette capacité suppose une certaine continuité des investissements, tant dans les systèmes d'information et de communication, dont les exigences en débits sont toujours croissantes, que dans la chaîne des capteurs du renseignement ou la formation des états-majors de forces.

Les attentats commis contre les Etats-Unis, le 11 septembre 2001, n'ont fait que renforcer cette priorité. Plus que jamais, l'espace, les communications et le renseignement sont au c_ur de la défense de pays développés et ouverts aux échanges face aux menaces nouvelles que fait peser le terrorisme international, qu'il s'agisse des risques nucléaire, biologique et chimique (NBC) ou des vulnérabilités économiques et industrielles. La ministre de la défense, dans un entretien à une revue spécialisée (), n'a pas dit autre chose lorsqu'elle a déclaré : « Je suis convaincue que l'espace représente le même enjeu aujourd'hui que la dissuasion nucléaire dans les années soixante. ».

Et la ministre de la défense d'ajouter : « Nous nous préparons à relever ce nouveau défi. ».

De fait, la loi de programmation militaire 2003-2008 () a apporté des éclaircissements sur les efforts que le ministère de la défense s'apprête à continuer à fournir. Il appartient à la représentation nationale de veiller à son exécution et l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2004 en offre l'occasion, puisqu'il concerne la deuxième annuité de la programmation en cours d'application. D'une manière générale, le Gouvernement s'est attaché à se conformer à la loi n° 2003-73 du 27 janvier 2003. Pour mémoire, le gouvernement précédent n'avait pas eu ce scrupule en décidant, dès 1998, une revue de programmes pour la loi de programmation 1997-2002, ce qui avait notamment abouti à l'abandon du projet de satellite radar national (Horus).

Le projet de loi de finances initiale pour 2004 permettra de continuer ou d'achever les programmes spatiaux majeurs, de poursuivre le renouvellement des systèmes de commandement et de communication, de conforter les moyens des unités et des services de renseignement. Certes, ni le projet de loi de finances pour 2004, ni la loi de programmation militaire ne combleront l'écart creusé lors de la précédente programmation, mais, pour pallier une certaine révision du niveau des dépenses, il n'est pas forcément obligatoire de sacrifier les ambitions.

Une coopération accrue au niveau européen est le gage d'économies substantielles, pour peu qu'une véritable politique commune soit conduite en ce domaine. Les instruments de cette coopération existent pour partie ; de même, les militaires échangent leurs analyses et leurs points de vue. Il reste à l'Union européenne à se saisir de cette question et à ébaucher une véritable convergence des programmes, de manière à garantir un niveau suffisant d'interopérabilité entre les différentes forces armées des Etats membres et avec celles des Etats-Unis. La France, qui dispose d'un savoir-faire technologique et militaire qui l'a placée au premier rang européen aérospatial et qui reste l'un des rares Etats membres de l'Union européenne à consacrer un montant significatif de crédits aux secteurs de l'espace, des communications et du renseignement, a un rôle de premier plan à jouer dans ce vaste chantier.

I. -  L'ESPACE, CLÉ DE VOÛTE DU SYSTÈME DE FORCES « COMMANDEMENT, COMMUNICATIONS, CONDUITE DES OPÉRATIONS ET RENSEIGNEMENT » (C3R)

La loi de programmation militaire 2003-2008 présente les principaux équipements des armées selon huit systèmes de forces, qu'elle définit comme des « ensembles fédérateurs et cohérents de capacités » (). Le commandement, les communications, la conduite des opérations et le renseignement sont regroupés au sein de l'un de ces systèmes de forces, sous l'acronyme « C3R ». L'espace constitue le ferment technologique de ce système.

Les finalités et les justifications opérationnelles des composantes du C3R sont très importantes, car elles touchent à ce que l'on pourrait qualifier de « système nerveux » des forces armées, hors et sur le champ de bataille.

Le système de forces C3R donne les capacités d'apprécier une situation de manière autonome, de maîtriser l'information, planifier et conduire des opérations, commander à l'échelon stratégique, mais aussi au niveau tactique. Il conditionne l'efficacité et la rapidité du processus, à la base de toute action opérationnelle, qui part de l'observation pour aller jusqu'à la décision et, éventuellement, l'intervention. En diffusant les informations pertinentes à ceux qui sont les mieux placés pour les exploiter, le C3R accélère toutes les phases du cycle « observation, orientation, décision, action » et, partant, le rythme des opérations militaires.

L'observation, première phase du cycle, joue un rôle déterminant. Au déclenchement des crises, toutes les sources d'information ouvertes sont à prendre en compte, y compris Internet, la télévision, les satellites. Il faut néanmoins pouvoir discerner, dans cette masse de données, l'information pertinente. Le C3R contribue donc à optimiser les flux d'information : les capteurs collectent les données sur le terrain, les fusionnent et les organisent, afin de les diffuser sous une forme cohérente aux systèmes centraux d'aide à la décision, pour faciliter l'analyse de la situation opérationnelle.

L'orientation, elle, s'applique à l'aide à la décision par la simulation. Le C3R permet de modéliser le théâtre opérationnel, en y projetant des forces armées virtuelles pour analyser leur interaction avant de les engager réellement. De cette manière, la dynamique du théâtre des opérations est fidèlement restituée aux autorités. Grâce à cette capacité d'aide à la décision, les commandements pourront synchroniser leurs approches et mieux évaluer solutions et scénarios.

La phase ultime et qui donne tout son sens à l'efficacité du cycle « observation, orientation, décision, action » est l'intervention. Cette phase synchronise les systèmes d'armes, avec des systèmes d'information et de communication. L'état-major peut alors coordonner les effectifs et les matériels en temps réel. Ce concept dit « sensor to shooter » assure un engagement et une évaluation immédiats. Les récents conflits en Afghanistan et en Iraq ont démontré la réalité de ce mécanisme. Alors qu'une journée de planification s'avérait nécessaire pour organiser une intervention à la suite du repérage d'une cible, pendant la guerre du Golfe de 1990-1991, ce délai a été raccourci à moins d'une heure hors de l'intervention américaine du printemps 2003.

Les armées françaises et européennes ne peuvent s'enorgueillir de disposer de moyens aussi performants, même s'ils leur garantissent tout de même un bon niveau d'interopérabilité. Pour cette raison, et sans chercher à rattraper intégralement les retards pris, il est indispensable de consacrer des financements suffisants au C3R.

Les applications militaires de l'espace sont très récentes puisqu'elles datent de la seconde moitié du XXème siècle. Elles ont néanmoins profondément bouleversé les stratégies, les méthodes de combat et même les rapports de force. D'aucuns ont pu évoquer la naissance d'une « quatrième dimension » dans les conflits armés. Rien n'est pourtant moins sûr, car, en dépit de la réflexion de certains pays sur la transposition des batailles dans l'espace, via notamment des satellites dotés de moyens de destruction de satellites adverses, les combats conserveront longtemps encore une dimension terrestre.

Il est en revanche exact que l'espace est devenu un paramètre technologique du champ de bataille. Il donne d'ailleurs un avantage déterminant à quiconque le maîtrise. Qu'il s'agisse de la mise en _uvre de satellites d'observation et de télécommunications, qui permettent aux informations de circuler entre les forces, ou de satellites de navigation, qui sont indispensables pour l'usage de missiles de croisière ou de bombes guidées, il n'existe quasiment plus de contexte d'emploi des forces armées qui puisse faire abstraction des équipements spatiaux. Les avions de combat, la grande majorité des bâtiments de la marine, les véhicules blindés lourds comme le char Leclerc disposent de systèmes de réception de données ou de communication par satellites. Même les forces spéciales possèdent des récepteurs du système de navigation américain global positionning system (GPS) et, demain, l'ensemble des fantassins sera équipé de moyens de communication ou de positionnement tout aussi sophistiqués (programme de fantassin à équipements et liaisons intégrées - FELIN). Des expérimentations vont aussi être conduites pour examiner la possibilité d'une liaison optique haut débit entre un satellite et un aéronef. Ce projet de liaison optique laser aéroporté (LOLA) devrait aboutir en 2006 et permettre, à terme, une diffusion d'informations sur un théâtre d'opérations entre des satellites et des plates-formes mobiles (avions de combat ou drones, notamment).

De fait, l'espace est de plus en plus amené à jouer un rôle fondamental dans l'accomplissement quotidien des missions des forces armées. Il est donc nécessaire de lui accorder une attention budgétaire suffisante, sous peine de laisser se créer un écart technologique vis-à-vis de nos alliés, ce qui serait dommageable en portant préjudice à l'interopérabilité de forces qui sont appelées à intervenir en coalition.

Le développement des satellites de télécommunications a profondément modifié l'organisation des chaînes de commandement. Désormais, tous les équipements doivent être compatibles avec les satellites, quand ils n'en découlent pas directement.

La diffusion des données (renseignements, ordres, communications, entre autres) est indispensable à l'efficacité d'ensemble des forces. Leur transit par satellites a pris le pas sur les voies télégraphiques ou téléphoniques, car il est plus rapide et il permet de transmettre davantage d'informations.

Les communications spatiales militaires ont pris une importance considérable depuis le milieu des années 1980. Les crises du Kosovo et de l'Afghanistan ont montré les limites de Syracuse II (charges utiles intégrées aux satellites civils Télécom II) pour ce qui est des hauts débits, insuffisants pour transmettre des images numériques, et de la couverture. Comme les derniers éléments de Syracuse II ne seront plus opérationnels en 2006, la France a dû opter, après l'abandon par le Royaume-Uni du projet Trimilsatcom en 1998, pour une solution nationale de satellites exclusivement consacrés aux télécommunications militaires et interopérables avec les autres pays membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Le premier exemplaire, Syracuse III-A, sera mis en orbite courant 2004 ; le second viendra le compléter d'ici 2006. À cette date, de nouvelles stations de réception et un nouveau système de gestion de l'ensemble devront avoir été mis en service. Le coût total prévisionnel du programme, dont la réalisation est supervisée par Alcatel Space, est estimé à 2,42 milliards d'euros. Les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2004 (220,6 millions d'euros d'autorisations de programme et 254,7 millions d'euros de crédits de paiement) excèdent légèrement les montants inscrits dans la loi de programmation militaire.

ventilation des crédits de paiement pour syracuse iii sur 2003-2008

(en millions d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

215

243

266

236

232

153

Les satellites Syracuse III marqueront un saut technologique important par rapport aux satellites antérieurs, avec neuf canaux de fréquences d'ondes centimétriques, ou super high frequencies (SHF), et six canaux extremely high frequencies (EHF), gages de débits plus rapides. Le programme Syracuse III recèle un potentiel plus important encore, car il pourrait servir de support au développement d'une première capacité nationale de relais géostationnaire pour la transmission de données, dans le prolongement de l'expérience LOLA. En effet, il existe un satellite de réserve, qui n'a actuellement pas vocation à être lancé ; moyennant quelques développements à financer sur le début de la prochaine loi de programmation militaire, il pourrait servir de relais en orbite d'ici 2010 et ainsi accélérer considérablement la diffusion des données d'Hélios II, de drones ou d'avions de reconnaissance, y compris sur le champ de bataille. A défaut, la France devrait attendre longtemps encore pour accéder à une technologie que les Etats-Unis maîtrisent depuis les années 1970 et dont les opérations en Iraq, au printemps 2003, ont démontré toute l'utilité.

Les moyens de communication de niveau interarmées et du haut commandement reposent sur des canaux de transmission à la fois télégraphiques et satellitaires. On dénombre trois systèmes principaux :

- le réseau interministériel de base uniformément durci (RIMBAUD), système interministériel au service des plus hautes autorités civiles et militaires impliquées dans la défense nationale. Les matériels utilisés s'appuient sur des concessions civiles de France Télécom, mais sont durcis aux impulsions électromagnétiques. Les serveurs du centre de sécurité ont été récemment revalorisés et les terminaux achèvent leur remise à niveau ;

- le réseau interarmées d'infrastructure (RETIAIRE), principalement orienté vers les unités nucléaires spécialisées. Il supporte aussi certaines applications de l'état-major des armées. Comme le réseau RIMBAUD, il est durci à l'impulsion électromagnétique et assure un niveau de confidentialité secret-défense, mais ses fonctions seront progressivement transférées au système SOCRATE ;

- le réseau SOCRATE qui, compte tenu de l'obsolescence ou de l'insuffisance des réseaux de transit propres à chaque armée, remplace les services de téléphonie, de télégraphie et de transmission de données existants par un seul système interarmées. Le coût total de ce programme est estimé à 1,04 milliard d'euros. Le projet de loi de finances pour 2004 prévoit un financement s'élevant à 73,7 millions d'euros en autorisations de programme et 67 millions d'euros en crédits de paiement.

S'y ajoute un réseau national permettant des échanges essentiellement télégraphiques et téléphoniques entre la métropole, les départements et territoires d'outre mer et les points d'appui de la France en Afrique (Djibouti, Dakar, Libreville et Abidjan) : l'organisation mondiale interarmées des transmissions (OMIT), qui pallie parfois l'absence de couverture satellitaire et reste, en ce cas, le seul moyen militaire national de communication. Une rénovation est en cours par l'intermédiaire du programme de modernisation et d'amélioration des télécommunications interarmées de longue distance (MATILDE), dont le déploiement doit se dérouler jusqu'en 2005 et pour lequel 26,6 millions d'euros sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2004. A compter de 2004, les moyens télégraphiques seront remplacés dans les armées par le système de messagerie universelle sécurisée (MUSE) ; la transmission des ordres et documents écrits sera ainsi assurée de façon électronique, formelle et traçable.

Pour être performante, une chaîne de commandement doit être opérationnelle aux niveaux stratégiques (c'est-à-dire décisionnel), opératif (à proximité du théâtre d'opérations) et tactique (sur le champ de bataille). Le projet de loi de finances pour 2004 conforte les programmes qui garantissent cette cohérence d'ensemble. Il s'agit là encore d'équipements qui dépendent, pour partie au moins, de liaisons satellites.

Le système informatique de commandement des armées (SICA), qui doit relier les moyens de commandement des forces, bénéficiera de 18,3 millions d'euros en autorisations de programme et de 15,3 millions d'euros en crédits de paiement.

Pour ce qui concerne la chaîne de diffusion des ordres et informations au sein des forces, l'armée de terre poursuivra en 2004 la modernisation de son système d'information et de commandement des forces (SICF), grâce à 20 millions d'euros d'autorisations de programme et 19 millions d'euros de crédits de paiement. Le SICF vise à relier les postes de commandement (PC) des divisions, à stocker et à traiter leurs informations. Sa première version équipe déjà deux brigades depuis 2001. La seconde version, dont la mise en service est prévue pour 2004, doit équiper onze PC de différents niveaux et son coût total est estimé à 78,9 millions d'euros. La loi de programmation militaire a prévu une troisième version, devant entrer en service en 2006. La numérisation de l'espace de bataille est également envisagée pour deux brigades d'ici à 2008. A cet effet, le programme de système d'observation et de renseignement aéroterrestre (SORA) interconnectera un ensemble de capteurs d'observation à un ensemble de bases de données, afin de fournir une image en temps réel du déroulement des opérations.

L'armée de l'air continuera à améliorer son système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA), destiné au recueil, à la gestion, au traitement et à la diffusion de l'information pour l'ensemble de ses missions conventionnelles. Ce programme, qui regroupe le développement de capteurs radars, de centres d'opérations pour les échelons de commandement et de moyens de transmission, a été scindé en trois étapes, dont la première est opérationnelle depuis 2001. Les deux étapes suivantes seront poursuivies, grâce notamment aux 261,1 millions d'euros inscrits en autorisations de programme et aux 210,5 millions d'euros prévus en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2004. Le coût total du système est aujourd'hui estimé à environ 2,5 milliards d'euros.

Enfin, la marine renouvellera ses équipements grâce à 8 millions d'euros en autorisations de programme et à 11,7 millions d'euros en crédits de paiement, alloués à son programme de système d'information et de commandement du XXIème siècle (SIC 21). Trois versions seront mises en _uvre entre 2004 et 2008. Le coût total du programme est estimé à 96 millions d'euros.

Par ailleurs, les trois armées mettent en _uvre des équipements disposant de moyens très perfectionnés de transmission automatique de données, les liaisons 11 et 16. Si la première est plus répandue parmi les unités, la seconde n'est disponible que sur les matériels de génération plus récente, tels les Rafale ou le porte-avions Charles de Gaulle. Ces données transitent par voie satellitaire et bénéficient de relais aériens (AWACS ou Hawkeye notamment). La liaison 16 est désormais le standard en vigueur au sein des forces américaines, ce qui justifie des efforts budgétaires pour en doter les équipements emblématiques des armées. Il n'est pas pour autant nécessaire de généraliser son emploi sur tous les matériels ; à cet égard, la décision d'acquérir des modules interchangeables, notamment pour les hélicoptères de l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT), constitue un choix pertinent.

Ces programmes, non spécifiquement militaires, sont devenus de précieux outils dans la conduite des opérations. Les besoins actuels en données météorologiques sont couverts par les satellites civils géostationnaires Meteosat complétés par les satellites à orbite polaire Metop à l'horizon 2005 ; les capacités satellitaires en matière d'océanographie, quant à elles, reposent sur Jason I. Une réflexion est en cours sur le système européen d'information global monitoring for the environnement and security (GMES), dont l'objet englobe la surveillance des changements climatiques, le contrôle des risques naturels, la gestion des ressources en eau et la sécurité des approvisionnements alimentaires. L'intérêt stratégique global de ce système justifie que l'agence spatiale européenne (ESA) lui accorde des financements ; d'ailleurs, le satellite Envisat, lancé en 2001, joue un rôle majeur pour la mise en _uvre du plan d'action GMES.

Pour ce qui concerne la navigation et le positionnement, si le système américain de navigation par satellites GPS, dont l'accès est gratuit, est de plus en plus utilisé par les forces armées (), les conseils des ministres de l'ESA et de l'Union européenne ont décidé de lancer le développement d'un système européen indépendant, Galileo. Composé d'une constellation de trente satellites à orbite intermédiaire ou, alternativement, de vingt-quatre satellites à orbite intermédiaire couplés à huit satellites en orbite géostationnaire, Galileo sera opérationnel en 2008. Il devrait permettre aux forces des pays européens de s'abstraire du contrôle indirect du Pentagone et de garantir ainsi l'efficacité des futurs systèmes européens de missiles de croisière et de bombes guidées par satellites.

Dans les domaines de l'alerte et du contrôle du départ des missiles balistiques, la France a abandonné le projet medium exended air defense system (MEADS), élaboré au sein de l'OTAN, pour des raisons de coût. Néanmoins, des études relatives à la défense antimissiles et à la détection infrarouge des tirs sont menées au niveau national. Lors de son discours à l'institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), le 8 juin 2001, le Président de la République a d'ailleurs souhaité que la France se dote de capacités de protection de sites ponctuels ou d'une force déployée sur un théâtre d'opérations extérieures face à des missiles balistiques.

Un démonstrateur de satellites d'alerte avancée, dont la mise en orbite interviendra en 2006-2007, sera donc réalisé pour un coût de 100 millions d'euros ; il permettra d'identifier les fonds de terre et la signature infrarouge des missiles, préalable indispensable à tout programme de défense antimissiles. Dans un premier temps, la défense de théâtre sera assurée par le système de défense de zone sol-air moyenne portée/terre (SAMP/T), dont la France et l'Italie devraient passer commande à la fin de l'année 2003, à raison, respectivement, de douze et six exemplaires. Livrés à compter de 2006, ils seront couplés à un radar mobile modulaire multifonctions (M3R) d'ici à 2012, afin d'intercepter des missiles balistiques d'une portée excédant 1 000 kilomètres, et non plus 600 kilomètres. A cette échéance, il pourrait s'avérer nécessaire de réfléchir au développement, dans un cadre européen, d'une capacité antimissiles exo-atmosphérique, qui permettrait en outre de conforter les compétences européennes acquises en matière balistique par le groupe EADS, une fois le développement du programme de missile stratégique M 51 achevé.

Les services de renseignement recourent de plus en plus aux nouvelles technologies de l'information et des communications. Pour cette même raison, ils en subissent les développements extrêmement rapides. Il ne serait sans doute pas inutile d'accroître leurs crédits d'investissement à l'avenir, de manière à leur permettre de rester dans la course aux nouvelles technologies qui fait rage.

Bien que l'ensemble des structures consacrées au renseignement soit communément appelé « communauté du renseignement », il convient de faire la distinction entre les services, chargés de la collecte et de l'interprétation de renseignements d'intérêt national, et les unités de renseignement dans la profondeur, qui agissent à des fins tactiques sur le champ de bataille. Tous, néanmoins, sont dépendants des équipements spatiaux, à l'origine de la grande majorité de leurs renseignements images ou électromagnétiques.

Le tableau ci-après retrace les dotations prévues par le projet de loi de finances pour 2004 en faveur des services de renseignement. Le titre III devrait augmenter de 1,5 %, mais le titre V diminuera de 12 %.

Évolution des crédits concernant

l'agrégat budgétaire du renseignement humain

(en millions d'euros)

 

Loi de finances 2001

Loi de finances 2002

Loi de finances 2003

Projet de loi de finances 2004

Personnel :

Fonctionnement :

112,87

36,95

123,65

37,69

125,50

47,69

128,42

47,41

Titre III :

149,82

161,34

173,19

175,83

Titre V :

125,54

127,10

130,97

115,27

Trois services de renseignement, aux missions bien distinctes, sont rattachés au budget de la défense.

La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), instituée par le décret n° 82-306 du 2 avril 1982, est chargée de rechercher et d'exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France et également de détecter et d'entraver les activités d'espionnage dirigées contre les intérêts français hors du territoire national. Elle présente deux spécificités majeures par rapport aux autres services français : elle est généraliste (), car elle recueille des renseignements d'origines humaine, mais aussi technique, et elle détient le monopole des actions clandestines, c'est-à-dire que ses personnels peuvent être amenés à _uvrer dans une certaine indétermination juridique, dont la seule contrepartie en matière de sécurité est le secret défense. Pour faire face aux enjeux du contre-terrorisme et de la prolifération, elle a adapté ses structures et s'est dotée d'un centre de situation et de suivi des crises fonctionnant, le cas échéant, en temps réel, 24 heures sur 24.

La direction du renseignement militaire (DRM), créée à la suite de la guerre du Golfe, par le décret n° 92-523 du 16 juin 1992, a pour principales missions de conduire et coordonner la recherche et l'exploitation du renseignement d'origine militaire et à caractère opérationnel. Pour ce faire, elle dispose d'organismes extérieurs (). Si elle reste d'une taille relativement modeste par rapport au defense intelligence staff (DIS) britannique (), elle est néanmoins très sollicitée lors de chaque crise pour fournir des renseignements d'intérêt militaire indispensables à la préparation d'interventions ou de mesures de protection.

La direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), est, aux termes du décret n° 2001-1126 du 29 novembre 2001, le service dont dispose le ministre de la défense pour assumer ses responsabilités en matière de sécurité du personnel, des informations, des matériels et des installations sensibles. Sa compétence s'étend aux entreprises titulaires de marchés intéressant la défense, ainsi qu'au suivi des dispositions du décret de 1939 sur le commerce illicite de matériels d'armement. Service interarmées, la DPSD est fortement implantée sur l'ensemble du territoire et est présente auprès des forces déployées sur des théâtres extérieurs.

C'est tout à l'honneur de ces services d'assumer efficacement leurs missions, malgré l'absence d'une revalorisation de leurs dotations budgétaires à la hauteur des défis auxquels ils font face. Par la force des choses, les objectifs ont connu, dans certains cas, quelques inflexions. Le rapporteur s'interroge notamment sur le relatif désengagement du théâtre africain, qu'illustre la quasi absence d'anticipation de la tentative de coup d'Etat du 19 septembre 2002, qui a provoqué la crise ivoirienne actuelle. En l'occurrence, l'augmentation de 1 % des effectifs de la DGSE en 2004 (+ 47 postes), si nécessaire soit-elle, paraît insuffisante. Faute de recrutements supplémentaires, des redéploiements internes d'effectifs, y compris opérationnels, ne devraient peut-être pas être exclus. Mais ce pis-aller ne constitue pas une politique responsable, alors que la menace terroriste s'est globalisée et que les foyers d'instabilité grave se multiplient.

En outre, la DRM et la DPSD devront ajuster le nombre de leurs personnels malgré de réels besoins, de l'ordre de 70 postes pour la seule DRM d'ici à 2008. Au regard du contexte international, il faut convenir qu'il sera nécessaire d'apporter une réponse à ces carences, ne serait-ce qu'en redéfinissant les contours des missions de chacun. A titre d'illustration, depuis la professionnalisation, qui exige un suivi accru de l'état du moral et des recrutements, et le recours à des technologies spatiales et informatiques complexes, les tâches de la DPSD se sont diversifiées à un point tel qu'il n'est sans doute pas inutile de s'interroger sur l'adéquation des objectifs assignés à ce service avec ses moyens.

 

Évolution des effectifs budgétaires de la DGSE, de la DRM et de la DPSD

Catégories de personnels

DGSE

DRM

DPSD

Loi de finances initiale 2003

Projet de loi de finances 2004

Loi de finances initiale 2003

Projet de loi de finances 2004

Loi de finances initiale 2003

Projet de loi de finances 2004

Officiers

505

506

391

386

245

228

Sous-officiers

940

940

881

871

750

750

Militaires de rang

12

12

81

81

102

102

Total Militaires

1 457

1 458

1 353

1 338

1 097

1 080

Personnels civils

3 241

3 287

237

237

378

381

TOTAL

4 698

4 745

1 590

1 575

1 475

1 461

Les crédits de fonctionnement de la DGSE et de la DPSD (respectivement 33,3 millions d'euros et 7,7 millions d'euros en crédits de paiement) sont appelés à se maintenir à un niveau significatif, en raison des adaptations de leurs locaux ou de leur réaménagement.

L'évolution du titre V est en revanche contrastée. Les crédits de paiement destinés aux dépenses d'investissement de la DGSE diminueront de 16 %, à 94,7 millions d'euros, en raison essentiellement de l'achèvement de travaux d'infrastructure, puisque les acquisitions d'équipements bénéficieront d'une hausse de 6,9 %. On peut légitimement s'interroger sur l'adéquation des financements accordés aux investissements technologiques de la DGSE avec les défis qu'elle a à relever, d'autant plus que l'exécution budgétaire sur les exercices 2001 et 2002 s'est traduite par des annulations de crédits d'équipement à hauteur de 55 millions d'euros. Les dotations de la DRM, elles, augmenteront de 20,8 % (à 16,82 millions d'euros), afin de poursuivre la modernisation des équipements qui contribuent au renseignement d'origine électromagnétique stratégique.

Les crédits détaillés ci-dessus offrent une vision incomplète des moyens dont disposent les services de renseignement. La DRM bénéficie de certains programmes de l'état-major des armées, notamment en matière d'espace et de systèmes d'information et de communication. De même, le financement de certaines activités opérationnelles de la DGSE relève des fonds spéciaux des services généraux du Premier ministre, pour environ 30 millions d'euros. Le contrôle de l'utilisation de ces fonds est assuré par les services financiers de la DGSE et, depuis le vote de la loi de finances initiale pour 2002, par une commission de vérification, composée de deux députés, deux sénateurs et deux hauts magistrats de la Cour des comptes. Cette transparence n'est pas seulement comptable puisque, à la fin du mois de septembre, le rapporteur et une délégation de la commission de la défense nationale et des forces armées ont pu visiter les installations et rencontrer des personnels de la DGSE ; ce souci d'ouverture doit être salué et encouragé.

Les unités chargées du renseignement dans la profondeur interviennent directement sur le champ de bataille, en uniforme. Certaines sont rattachées au commandement des opérations spéciales (COS), alors que d'autres conservent une certaine autonomie.

Le COS a été créé le 24 juin 1992, à la suite de la guerre du Golfe. Son commandant est directement rattaché au chef d'état-major des armées. Il peut recourir à un état-major d'une soixantaine de personnes et à un réservoir de forces dites du premier cercle (commando parachutiste de l'air n° 10 -CPA 10-, 1er régiment parachutiste d'infanterie de marine -1er RPIMa-, 13ème régiment de dragons parachutistes -13ème RDP-, et commandement des fusiliers marins et commandos - Cofusco -), soit environ 3 000 hommes, qui dépendent sur un plan organique des différentes armées (). À la différence de la composante terrestre, les commandos de marine et de l'armée de l'air n'assurent pas exclusivement des missions relevant du COS. L'intégration du 13ème RDP aux forces spéciales, le 1er juillet 2002, se justifie par la proximité de son mode d'engagement et de ses méthodes d'entraînement avec ceux du 1er RPIMa. Ces deux unités interviennent désormais de concert, comme c'est le cas actuellement en Afghanistan (150 hommes déployés) ou, à l'été 2003, à Bunia (150 hommes également).

Du point de vue des équipements, il a été souligné à maintes reprises que ces unités ne disposaient pas des moyens héliportés nécessaires pour accomplir leurs missions dans de bonnes conditions. Dans l'attente de l'hélicoptère NH 90, la loi de programmation militaire a prévu la livraison aux forces spéciales de huit EC-725 « Cougar Mk-2 + », dont le rayon d'action atteint 700 kilomètres avec une masse maximale de 11 tonnes, à partir de 2005. Ce programme majeur pour le COS s'accompagne de projets de veille de faible envergure, mais néanmoins nécessaires. En l'espèce, il semblerait que les crédits prévus à cet effet par le projet de loi de finances initiale pour 2004 diminueront de 37 %, en passant de 3,8 millions d'euros à 2,5 millions d'euros, en crédits de paiement. Ce choix est d'autant plus regrettable que les engagements récents des forces armées en opérations extérieures ont toujours sollicité les forces spéciales, dont l'utilité et la performance ont été chaque fois soulignées. Au demeurant, l'économie ainsi réalisée paraît minime.

D'autres unités relevant de chaque armée jouent également un rôle de renseignement : pour l'armée de terre, il s'agit entre autres des 54ème et 44ème régiments de transmissions, du 61ème régiment d'artillerie et du 2ème régiment de hussards (reconnaissance blindée rapide) ; sont également concernés, pour l'armée de l'air, l'escadron qui met en _uvre le Sarigue de nouvelle génération, la 54ème escadre de Metz, qui sert les deux C 160 Gabriel et une composante sol de recueil, les escadrons de reconnaissance aériens de Mirage F1 CR et l'escadron de Mont de Marsan, qui met en _uvre les Mirage IV-P ; enfin, pour ce qui concerne la marine, il convient de citer l'équipage qui sert le Bougainville.

En tout état de cause, la France dispose de structures efficaces de renseignement et d'action dans la profondeur. Il faut néanmoins veiller à leur donner des moyens suffisants pour rester compétentes et interopérables, ce qui suppose davantage de crédits d'investissement et un soutien ponctuel en matière de fourniture de systèmes d'information et de communications, par le 41ème régiment des transmissions notamment, lorsque la France assume la responsabilité de nation-cadre, comme ce sera le cas pour la composante forces spéciales de la force de réaction rapide de l'OTAN, au premier semestre 2004.

Les drones sont des systèmes réutilisables, pilotés ou programmés à partir du sol, d'une plate-forme aérienne ou navale. Ils regroupent des composants articulés (un vecteur, une charge utile, un système de liaison des données, un segment-sol d'exploitation et de conduite, un ou plusieurs opérateurs), qui peuvent voler, pour des missions d'ordre stratégique, à haute altitude avec une longue endurance (HALE) et à moyenne altitude avec une longue endurance (MALE) ou, à des fins purement tactiques, à basse altitude.

Le ministère de la défense ainsi que les industriels nationaux, tel Sagem, se sont intéressés de longue date à ces équipements. Certains programmes ont été conçus et développés en France, que ce soit dans un cadre strictement national, comme les Crécerelle et Sperwer (Sagem), ou en coopération, à l'image des CL 289 (EADS avec Canadair et Dornier) et Eagle (EADS avec Israel Aircraft Industry). La compétence française est reconnue au niveau européen et ce n'est sans doute pas un hasard si le groupe chargé de réfléchir sur les besoins des Etats membres de l'Union européenne en matière de drones, dans le cadre du plan d'action européen sur les capacités (ECAP), est animé par la France.

Les drones offrent une capacité continue d'observation et d'investigation dans la profondeur du dispositif, devenant indispensables à la man_uvre aéroterrestre. Ils présentent aussi une souplesse d'emploi importante (relais de communications, surveillance, cartographie) en évitant d'exposer les personnels. En outre, par leur mobilité et leur faible coût unitaire, ils constituent un moyen complémentaire du renseignement tactique par voie aérienne ou spatiale. Leur mise en _uvre est toutefois complémentaire des satellites, tendance appelée à s'accentuer avec le mécanisme des relais satellitaires.

L'intervention en Afghanistan a conféré une nouvelle vocation aux drones, puisque c'est à cette occasion que le système Predator a été équipé de missiles Hellfire, afin de raccourcir le délai entre la collecte d'informations et la frappe sur une cible d'opportunité. Initialement fondées sur un concept d'emploi limité au recueil du renseignement, les conditions d'utilisation des drones pourraient donc s'élargir à des applications militaires beaucoup plus diversifiées.

Les onze Crécerelle du 61ème régiment d'artillerie de l'armée de terre et les trois Hunter de l'escadron d'expérimentation des drones 56/330 de l'armée de l'air arrivent au terme de leur vie opérationnelle. À l'exception des CL 289, sorte de missiles programmés de portée moyenne (150 kilomètres) et évoluant à grande vitesse (720 kilomètres par heure) et faible altitude (de 125 à 1000 mètres), opérationnels jusqu'en 2008, les drones en service sont donc renouvelés en 2004 :

- l'armée de terre mettra en service dix-huit drones Sperwer, dans le cadre du programme de système de drone lent et tactique intérimaire (SDTI). Ce type de drones correspond à un petit avion lent (165 km/h), mais endurant (5 heures extensibles à 8) et évoluant à moyenne altitude (300 à 5 000 mètres), destiné à l'acquisition de jour comme de nuit des objectifs dans la zone de responsabilité d'une division. Outre la France, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et la Grèce se sont portés acquéreurs ;

- l'armée de l'air est également sur le point de recevoir trois MALE Eagle avec une station sol, afin d'en expérimenter les applications, dans le cadre du programme de système intérimaire de drone MALE (SIDM).

Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2004 correspondent aux prévisions de la loi de programmation militaire. Les dotations futures seront destinées à couvrir les frais de maintien en condition opérationnelle.

Financements prévus pour le SDTI et le SIDM de 2003 à 2008

(en millions d'euros)

 
     

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Total

 

SDTI

Autorisations de programme

8,6

8,8

8,8

5,0

5,1

5,0

41,0

 

Crédits de paiement

17,0

8,2

8,0

6,0

4,5

3,6

47,6

 

SIDM

Autorisations de programme

-

5,8

6,1

5,3

5,6

4,7

37,2

 

Crédits de paiement

20,6

7,5

8,4

5,8

6,0

5,3

53,5

 

Source : ministère de la défense.

 

À plus long terme, la loi de programmation militaire prévoit que les armées posséderont des drones tactiques multicapteurs-multimissions (MCMM), à partir de 2008, et de nouveaux drones MALE, en 2009. Ainsi, quarante drones MCMM et dix stations sol seront commandés, dix exemplaires étant livrés en 2008 avec deux stations sol. Des dotations de 165,2 millions d'euros en autorisations de programme et de 84,2 millions d'euros en crédits de paiement sont prévues à cet effet sur la période 2003-2008. Pour ce qui concerne les MALE, douze exemplaires seront commandés et livrés à partir de 2009. Les crédits inscrits à cette fin dans la loi de programmation militaire s'élèvent à 253,3 millions d'euros en autorisations de programme et 100,8 millions d'euros en crédits de paiement.

Loin de s'en tenir aux seules applications de renseignement pour les drones futurs, le ministère de la défense a décidé d'engager un programme complémentaire de démonstrateur d'unmanned combat aerial vehicle (UCAV). Ce projet de 300 millions d'euros sera financé par les crédits de recherche-développement du budget de la défense. Il devrait être confié, en 2004, à Dassault Aviation, qui a déjà développé sur fonds propres les systèmes Petit et Moyen Duc. Il débouchera sur l'évaluation d'un drone de combat en situation opérationnelle dès 2009 et permettra ainsi d'éviter que la France et l'Europe ne se laissent distancer dans la maîtrise de ces technologies par l'industrie américaine. Parallèlement, plusieurs programmes d'études et de développement seront poursuivis concernant les drones à très courte portée, les minidrones susceptibles d'être mis en _uvre dans un contexte de combat urbain (appel d'offres sur le drone de reconnaissance et de contact - DRAC -) et les drones marine (drone maritime tactique -DMT- et drone embarqué longue endurance -DELE-). En revanche, aucun programme de drone HALE avec des capteurs de renseignement d'origine électromagnétique n'est actuellement envisagé, alors que le besoin s'en fera sentir à l'horizon de la fin de la décennie. A cet égard, l'intérêt manifesté par l'Allemagne pour le système Global Hawk n'ouvre-t-il pas un champ de coopération ?

Il existe deux types de renseignements obtenus par satellites : les images optiques ou radar et les interceptions de communications. La France, forte de l'excellence des compétences acquises par Alcatel Space et Astium lors du développement de la filière de satellites pour l'observation de la terre (SPOT), s'est lancée dans les programmes de satellites d'observation optique Hélios. Aujourd'hui, les images recueillies par ces satellites sont devenues indispensables au travail de la DRM et de la DGSE. Dans le domaine de l'écoute, il n'existe pas de programme à proprement parler, mais des démonstrateurs, tout aussi utiles aux services précités.

Les moyens d'observation optique par satellites participent à des missions d'intérêt stratégique et tactique : la prévention des conflits, la surveillance (volet qui prend une importance considérable dans le cadre d'une participation active à la lutte contre la prolifération d'armes de destruction massive), l'évaluation des dégâts causés à l'ennemi (le battle damage assessment), l'identification des auteurs d'éventuelles agressions (élément indispensable de toute politique de dissuasion). L'imagerie par satellites est donc désormais absolument nécessaire aux services de renseignement. La France, l'Italie et l'Espagne, partenaires du programme Hélios I, disposent actuellement de deux satellites d'observation optique opérationnels. La prochaine génération, Hélios II, doit intégrer des améliorations techniques pour la prise de vues, avec notamment une capacité infrarouge pour la nuit, la réduction des délais d'accès aux informations recueillies et la résolution des images. Depuis 2001, la France conduit ce programme avec la Belgique et l'Espagne.

Pour recouper les images d'Hélios II avec d'autres systèmes spatiaux (SAR-Lupe, Cosmo-Skymed et Pléiades), un programme de segment sol d'observation spatiale (SSO) sera engagé. La programmation française de l'ensemble des satellites sera centralisée à l'horizon 2006-2007, mais le programme ne s'achèvera qu'en 2010. Le coût de réalisation d'Hélios II a été estimé à 1,52 milliard d'euros. Le projet de loi de finances pour 2004 prévoit 59,5 millions d'euros en autorisations de programme et 46,5 millions d'euros en crédits de paiement, conformément aux dispositions de la loi de programmation militaire 2003-2008.

ventilation des crédits de paiement
pour hélios ii et le sso sur la période 2003-2008

(en millions d'euros)

Le satellite Hélios II-A devrait être opérationnel jusqu'en 2008, tandis qu'Hélios II-B devrait l'être jusqu'en 2012. Le problème de leur remplacement ne se posera donc pas avant quelques années. Cette question fait pourtant déjà l'objet de réflexions importantes, puisqu'à l'horizon 2008-2009, la permanence de l'observation, y compris en infrarouge, sera plus hypothétique. Si elle ne tranche pas les options techniques, la loi de programmation militaire 2003-2008 prévoit néanmoins le lancement d'études-amont et la recherche d'une coopération européenne pour assurer la pérennisation d'une capacité globale tous temps. En tout état de cause, il sera nécessaire d'engager, dès le début de la prochaine loi de programmation militaire, les premiers développements soit de satellites futurs, soit d'un drone HALE de substitution en coopération avec l'Allemagne, qui a manifesté un grand intérêt pour le Global Hawk américain.

Un système d'écoute permet de localiser les sources d'émission, de surveiller les déplacements et les variations significatives d'intensité. Ce type d'équipement présente en outre l'avantage de n'être ni visible, ni intrusif, et de constituer de manière continue des bases de référence. À défaut d'engager un programme spécifique, une veille technologique a été maintenue.

Dans une première étape, deux microsatellites scientifiques d'environ 50 kilogrammes (Cerise, lancé le 7 juillet 1995, et Clémentine, mis en orbite le 3 décembre 1999) ont été développés de manière exploratoire et financés au titre des études-amont spatiales, afin d'effectuer des mesures d'impulsion électromagnétique dans certaines gammes de fréquences. La seconde étape consistera à mettre en _uvre le programme de démonstrateurs Essaim. Ces quatre microsatellites d'écoute des communications en constellation rapprochée et en bande basse seront lancés en 2004 et exploités jusqu'en 2009. Ils rempliront la fonction d'un indice d'alerte dans la gestion des crises, tout en favorisant l'évaluation des dommages. Le coût total du programme est évalué à 79,3 millions d'euros, dont 9,2 millions d'euros pour l'exploitation du système sur cinq ans.

A défaut de lancer un véritable programme dans la foulée, il est envisagé, pour préserver les compétences acquises, de souscrire à la réalisation d'un nouveau démonstrateur national, dont la mise en orbite pourrait intervenir en 2008. Son coût devrait avoisiner 100 millions d'euros.

Les dispositions du projet de loi de finances pour 2004 en faveur de l'espace restent cohérentes avec les objectifs fixés par le plan pluriannuel spatial militaire et la loi de programmation militaire : accès autonome à l'espace à des fins de souveraineté nationale et emploi d'équipements spatiaux comme multiplicateurs de force, notamment. Les dotations prévues pour l'espace militaire s'élèvent à 333,6 millions d'euros en autorisations de programme, dont 31,6 millions d'euros en études-amont, et à 402,3 millions d'euros en crédits de paiement, dont 35,6 millions d'euros pour la recherche. Il faut ajouter à ces montants la contribution du ministère de la défense au budget civil de recherche et développement (BCRD), qui représente 130 millions d'euros, en autorisations de programme et également en crédits de paiement. Cette dotation budgétaire est destinée à financer le centre national d'études spatiales (CNES). A la différence des années précédentes, elle est clairement retracée sur le chapitre 66-51 du titre VI (fonds pour la recherche duale), ce qui répond aux observations du rapporteur dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2003.

L'effort global pour le C3R reste significatif, mais l'achèvement des principaux programmes induit une tendance à la diminution. Objectivement, l'enveloppe globale destinée aux programmes spatiaux ne permettra pas de doter la France d'un ensemble d'équipements très performants qui couvrirait toutes les applications spatiales, alerte avancée et écoute incluses.

Crédits de la loi de programmation militaire 2003-2008
destinés aux programmes du système de forces C3R

(en millions d'euros)

 
 

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Total

Autorisations de programme

1 128

1 037

930

761

756

611

5 223

Crédits de paiement

931

1 008

1 025

843

758

693

5 258

 

Source : ministère de la défense.

La ventilation des crédits par grandes catégories de programmes permet de donner un aperçu plus complet de cette évolution d'ici à 2008. En fait, les trois principaux pôles du système de forces bénéficieront, sur la période de la loi de programmation militaire, de 1,3 milliard d'euros pour le renseignement d'origine technologique, 1,7 milliard d'euros pour les systèmes de commandement et 2 milliards d'euros pour les communications.

Les crédits de la loi de programmation militaire 2003-2008
répartis par grandes finalités du système de forces C3R

(en millions d'euros)

 
 

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Total

Renseignement stratégique

132

112

149

130

109

111

744

Renseignement opérationnel

24

9

11

11

11

35

101

Renseignement tactique

66

69

81

78

61

87

441

Commandement stratégique

22

29

28

21

27

30

157

Commandement tactique

168

263

299

297

297

250

1 573

Communications stratégiques

410

415

377

268

234

159

1 863

Communications tactiques

61

62

36

6

1

-

167

Sécurité des systèmes informatiques

16

21

20

9

1

1

68

Liaison de données tactiques

32

28

24

21

17

22

144

 

Source : ministère de la défense.

Au-delà de 2008, les perspectives semblent plutôt incertaines. Pour ce qui concerne l'espace militaire, plusieurs projets de démonstrateurs technologiques (liaison laser entre satellites, écoute, alerte avancée) esquissent les pistes qui pourraient être suivies par la prochaine loi de programmation militaire, mais tout cela reste flou, sans doute dans l'attente des futurs développements européens dans ce secteur. Seul le domaine de l'écoute est susceptible de faire l'objet d'un programme purement national ; pour le reste, les options restent ouvertes.

Quelles que soient les perspectives d'avenir qui se dégageront à moyen terme, le ministère de la défense ne peut faire l'économie d'une analyse stratégique sur ses besoins futurs et les moyens de les remplir. Il est encourageant de constater qu'un rapprochement a été engagé avec le CNES, au sein duquel une cellule défense composée de deux représentants de l'état-major des armées et de deux ingénieurs de la délégation générale pour l'armement (DGA) a été créée. Cette attitude traduit une meilleure appréciation de l'intérêt des programmes duaux, qui trouvent le plus de concrétisations dans le domaine spatial et les technologies de l'information. Elle est appelée à se poursuivre, dans l'intérêt bien compris de tous les acteurs du secteur.

II. -  LA NÉCESSITÉ DE COMBINER INVESTISSEMENTS ET PROJETS EUROPÉENS POUR CONSERVER UNE AUTONOMIE TECHNOLOGIQUE

Avec des dépenses consacrées à l'espace, aux communications et au renseignement excédant chaque année un milliard d'euros en moyenne, la France figure au premier rang des pays européens qui investissent dans ce secteur à forte valeur ajoutée technologique. Pour autant, l'écart avec les Etats-Unis est considérable et il n'est pas illégitime de s'inquiéter de l'intéropérabilité avec les forces américaines dans les décennies à venir. Ce constat est assez largement partagé avec d'autres secteurs de la défense et il conduit à la même conclusion : les pays européens, qui consacrent à leurs dépenses d'équipement et de recherche militaires plus de 35 milliards d'euros, doivent mutualiser et rationaliser davantage leurs investissements. C'est à cette condition seulement que leur autonomie sera garantie.

Les attentats du 11 septembre 2001 ainsi que les récents conflits d'Afghanistan et d'Iraq ont conduit à une réorientation de la politique de défense américaine en faveur de techniques militaires privilégiant la rapidité, la réactivité, la souplesse d'emploi et la supériorité technologique. L'espace et les moyens de guerre en réseau constituent plus que jamais une priorité. Les alliés des Etats-Unis n'ont pu que tenir compte de cette inflexion majeure, en essayant de maintenir le niveau de leurs capacités. D'autres pays, puissances reconnues ou émergentes, ont choisi d'amplifier leurs efforts dans la maîtrise des technologies spatiales, afin de ne pas être écartés de leurs applications nouvelles.

Le recueil, le traitement, la diffusion et le stockage des informations, des renseignements ou des ordres de commandement sont considérés par l'administration américaine comme un élément déterminant des conflits modernes, ce que la guerre d'Iraq a récemment confirmé. Ils sont à la base de la fonction militaire de « command, control, communication, computer and information, surveillance and reconnaissance » (C4ISR), notion sur laquelle le département de la défense fonde ses nouveaux concepts d'emploi des forces.

Le concept de C4ISR est supposé permettre aux états-majors, mais aussi aux soldats sur le champ de bataille, de recevoir partout, en permanence et par tous les temps, une quantité croissante d'informations, de plus en plus intégrées et immédiates. Il contribue donc au raccourcissement de la boucle partant de la détection d'une cible pour aller jusqu'à sa destruction. Il est également l'une des composantes essentielles du projet de défense antimissiles, qui dépend des satellites d'alerte avancée. Reposant sur les technologies spatiales, la notion de C4ISR place l'espace militaire au c_ur des priorités du Pentagone. Les systèmes spatiaux américains sont d'ores et déjà devenus l'une des composantes majeures des notions de « global awareness » (perception de la situation stratégique et tactique) et d'« information dominance » (maîtrise de l'information), deux concepts clés au c_ur de la transformation de l'outil de défense américain.

Signe révélateur de l'attention portée par les pouvoirs publics américains à l'espace, le Congrès américain a créé, en 2000, une commission parlementaire destinée à redéfinir les contours de la politique spatiale du pays à des fins de sécurité nationale. Ses conclusions, rendues publiques le 11 janvier 2001, soulignent que l'espace militaire doit être élevé au rang de priorité nationale. Comme la dépendance croissante à l'égard de capacités spatiales vulnérables fait partie des enjeux du XXIème siècle, il est suggéré au gouvernement américain d'encourager le développement de technologies particulièrement innovantes.

L'enjeu du futur proche, pour les armées américaines, est de parvenir à une fusion des dispositifs de commandement, de communication et de renseignement, afin d'aboutir à une gestion intégrée des systèmes d'armes. En complément d'autres supports, tels que les fibres optiques ou les plates-formes aéroportées, les systèmes spatiaux sont donc destinés à être insérés dans un réseau global d'information à l'échelle mondiale, de type Internet, qui soit adapté aux exigences militaires. Ainsi, la réflexion stratégique outre Atlantique place l'espace parmi les secteurs clés de la sécurité des nations occidentales au XXIème siècle. Dans de telles conditions, et compte tenu du traumatisme national causé par les attentats du 11 septembre 2001, il n'est pas étonnant que le choix politique d'un effort financier soutenu en faveur de l'espace et de ses applications militaires fasse l'objet d'un certain consensus.

Il n'est pas possible de chiffrer avec exactitude l'effort budgétaire des Etats-Unis en faveur de l'espace, des communications et du renseignement, car une partie des dépenses engagées en faveur de l'espace militaire relève aussi des moyens destinés au renseignement. Il est toutefois vraisemblable que le montant des dépenses en ce domaine excède 60 milliards de dollars.

Le budget spatial civil américain pour 2004 se situe aux alentours de 16,5 milliards de dollars. Les crédits de la national aeronautics and space administration (NASA) s'élèvent à 15,47 milliards de dollars, en hausse de 3,1 % par rapport à 2003 ; ceux de la national oceanographic and atmospheric administration (NOAA) représentent environ 800 millions de dollars. Pour ce qui concerne les programmes spatiaux militaires, les chiffres officiels (environ 15 milliards de dollars) ne reflètent pas la totalité de l'effort américain puisque, en incluant l'ensemble des lignes budgétaires qui concernent l'espace, y compris les volets spatiaux de la défense antimissiles et de la defense advanced research project agency (DARPA), les évaluations se rapprochent du chiffre de 25 milliards de dollars. Ainsi, les Etats-Unis consacrent 8 à 9 % de leur budget de défense à l'espace. L'US Air force est en charge du développement des programmes avec plus de 80 % des dotations.

L'infrastructure spatiale militaire actuelle comporte notamment des satellites d'alerte avancée (defense support program), d'observation optique (Keyhole) et radar (Lacross), de navigation (GPS), de météorologie (defense meteorological satellite programm) et de télécommunications (Milstar). Les principaux programmes futurs concernent l'observation avec la future imagery architecture (FIA), qui permettra un survol toutes les quinze minutes de n'importe quel point de la terre et dont le coût estimé avoisine 25 milliards de dollars, ainsi que l'alerte avancée, avec la génération des satellites space based infra red system (SBIRS), dont le coût prévisionnel s'élève à 20 milliards de dollars.

Pour ce qui concerne les lanceurs, les Etats-Unis disposent désormais d'une flotte de fusées modernisée, puisque l'Atlas V de Lockheed Martin et le Delta IV de Boeing sont opérationnels depuis les 21 août et 21 novembre 2002. A plus long terme, la NASA supervise la space launch initiative afin de remplacer d'ici 2012 les navettes en service depuis 1981 par de nouveaux lanceurs réutilisables. Les programmes futurs associent le développement de nouvelles technologies de lancement à des capacités de frappe de précision à longue distance, comme en témoigne le projet de la DARPA de développer d'ici 2025 un avion spatial hypersonique (hypersonic cruise vehicle - HCV) qui permettrait de frapper, à partir du territoire des Etats-Unis, n'importe quel point du globe en deux heures. Les premiers démonstrateurs sont attendus en 2006, pour une validation en 2009.

Parallèlement, les moyens consacrés à la défense antimissiles demeurent très significatifs. Pour la seule année 2003, 10 milliards de dollars lui ont été consacrés. La phase de tests, inaugurée avec succès le 3 octobre 1999, a connu quelques vicissitudes, mais elle se poursuit. Des travaux d'aménagement de sites d'installation des batteries de missiles de défense ont commencé en Alaska. Il semblerait néanmoins que le volet spatial de ce projet ait été revu à la baisse. Pour le reste, les dotations budgétaires destinées aux services de renseignement (central intelligence agency - CIA -, national security agency - NSA -, defense intelligence agency - DIA - entre autres) en 2004 devraient être à nouveau réévaluées, à 38 milliards de dollars contre 35 milliards de dollars en 2003, dans la lignée des guerres d'Afghanistan et d'Iraq. Elles avaient déjà bénéficié d'une hausse substantielle après les attentats du 11 septembre 2001.

La Russie dispose de capacités réelles dans les secteurs de l'espace, des communications et du renseignement. Celles-ci sont néanmoins affectées par la situation économique et budgétaire du pays.

Le budget spatial russe peut être estimé à 300 millions d'euros, dont un tiers pour les programmes militaires ; dans une optique comparative, il est néanmoins nécessaire de tenir compte des spécificités du taux de change dollar rouble, ainsi que du faible niveau des coûts de production en Russie. Il n'empêche que si les armées russes disposent de satellites de télécommunications, de reconnaissance optique et d'alerte avancée, leurs capacités ne sont pas complètes, faute de crédits suffisants. Il en va de même des systèmes de défense antimissiles, certes plus étoffés (), mais soumis eux aussi aux restrictions budgétaires. Tel est du moins le constat dressé cette année par la Rand Corporation, dans un rapport sur le système dissuasif russe ().

Malgré ces difficultés financières, le secteur spatial russe conserve de nombreux atouts, au premier rang desquels figurent la maîtrise de technologies complexes et une main-d'_uvre très qualifiée à faible coût. C'est la raison pour laquelle plusieurs coopérations ont été nouées.

Les partenariats se sont le plus développés dans le domaine de la propulsion (association entre le motoriste américain Pratt & Whitney et la société russe Ergonomast pour le moteur destiné à équiper le lanceur américain Atlas III, coopération commerciale de Snecma avec Fakel OKB pour la propulsion plasmique de satellites) et des lanceurs (création de la société International Launch Service, qui regroupe des actifs du centre Khrounitchev, d'Energuia International et de Lockheed Martin afin de commercialiser le lanceur Proton-K, mise en place du projet Sea Launch, commun à Boeing et différents actionnaires russes pour réaliser des lancements à partir d'une plate-forme maritime, mise sur pied de la société franco-russe Starsem en vue d'exploiter les lanceurs de la famille Soyouz sur le marché international). Ces coopérations sont profitables à la Russie, mais aussi à ses partenaires. Il faut se réjouir que ces échanges soient appelés à se renforcer, notamment avec la France et l'Europe, le Président de la République ayant déclaré, lors de l'inauguration du salon du Bourget, le 14 juin 2003 : « Nous sommes très favorables au développement de la coopération dans le domaine aéronautique et spatial entre la Russie et l'Europe, et, en particulier, entre la Russie et la France ». La première concrétisation de ce rapprochement est la décision d'associer la Russie au programme européen de préparation des lanceurs du futur (future launchers preparatory program ou FLPP).

Le savoir-faire russe est également important dans le domaine du renseignement. Le service fédéral de sécurité (FSB) et celui du renseignement extérieur (SVR), ainsi que la direction du renseignement militaire (GRU), comptent plus de 150 000 hommes, mais, là encore, les restrictions budgétaires ont des conséquences capacitaires et, à la différence de l'espace, il n'est guère possible de nouer des partenariats susceptibles de pallier certaines carences financières.

Plusieurs pays d'Asie et d'Amérique latine affichent depuis une dizaine d'années l'objectif de maîtriser les applications civiles, puis militaires de l'espace, prélude à leur accès aux systèmes d'information, de combat et de renseignement modernes. Néanmoins, le niveau de leurs équipements n'est pas toujours équivalent à celui des puissances spatiales occidentales et russe.

Tel est le cas du Japon, même si sa politique spatiale a connu plusieurs échecs depuis le début des années 1990. Certes, l'effort budgétaire du pays en faveur de l'espace civil se réduit sensiblement (- 7,5 %), à 2,29 milliards d'euros pour 2004, et les trois agences impliquées dans la politique spatiale seront fusionnées, le 1er avril 2004, pour donner naissance à la Japan aerospace exploration agency (JAXA). Le Japon maîtrise cependant les technologies nécessaires aux lancements (grâce aux lanceurs H II-A, d'une capacité d'emport de 4 à 5 tonnes, et J I, capable de placer des satellites de taille moyenne) et à la conception de satellites scientifiques ou d'application dans les domaines des télécommunications (satellites relais de données pour 2004), de la météorologie (MOS, GMS) ou de la télédétection (JERS I et ALOS en 2005). À la suite du lancement, en 1998, par la Corée du Nord d'un missile Taepo-Dong, qui a échappé aux moyens de détection classiques, le gouvernement japonais a décidé de doter la Japan defense agency (JPA) de quatre satellites d'observation de résolution métrique. Le coût de développement de ce système baptisé information gathering satellites (IGS) est estimé à 2,3 milliards d'euros, auquel s'ajouterait un coût annuel d'exploitation de 100 millions d'euros. Une seconde génération est prévue pour 2007.

L'Inde elle-aussi figure parmi les pays capables de maîtriser de manière autonome des technologies complexes, notamment spatiales. Les dotations de l'Indian space research organisation (ISRO) s'élèvent à 502 millions d'euros pour l'année fiscale 2003-2004, soit une augmentation de 9,1 % par rapport à l'exercice antérieur. Cette augmentation résulte d'une accélération des programmes de satellites d'observation, de télécommunications et scientifiques (filières SROSS, GRAMSAT, INSAT, IRS, CARTOSAT), d'achats croissants de composants et d'équipements spatiaux auprès de fournisseurs étrangers et de difficultés dans la mise au point de la fusée geostationnary satellite launch vehicle (GSLV). Le contexte régional, marqué par les tensions avec le Pakistan au sujet du Cachemire, incite à penser que l'Inde consacre également une partie non négligeable de son budget de défense au renseignement. Il est vraisemblable qu'en dehors des informations obtenues par satellites de reconnaissance, les moyens de renseignement à la disposition des armées indiennes sont essentiellement d'origine humaine.

La Chine est sans conteste le pays du continent asiatique qui affiche les prétentions les plus ambitieuses dans le domaine spatial. Il est difficile d'en chiffrer le budget. Les orientations prioritaires portent tout à la fois sur l'accès à l'espace et les vols habités, qui ont été inaugurés le 15 octobre 2003. La fiabilité des lanceurs Longue Marche LM III-B n'est plus mise en doute et les compétences chinoises dans le domaine des satellites progressent, grâce notamment à des coopérations avec le Brésil. La République populaire de Chine s'intéresse également aux micro et mono-satellites, ainsi qu'aux systèmes de navigation. Ses capacités en matière de communications et de renseignement sont donc loin d'être négligeables. Il reste que le pays n'est pas encore en mesure de réaliser des équipements très précis et à vocation exclusivement militaire.

Le Brésil est le seul pays d'Amérique latine à mettre en _uvre une politique spatiale. Il consacre entre 80 et 100 millions d'euros au développement du lanceur veículo lançador de satélites (VLS), dont les tirs ont été des échecs jusqu'à présent, et à sa filière de construction de satellites, en coopération avec la Chine.

Le caractère stratégique de l'espace et des nouvelles technologies de l'information n'a pas échappé aux institutions européennes. Ce n'est pas un hasard si l'Europe peut se targuer d'avoir mis au point le lanceur de satellites qui occupe le premier rang mondial sur le marché des tirs commerciaux, ainsi qu'une filière de satellites météorologiques et océanographiques très performante. Ces réussites techniques sont les résultats du travail combiné de l'ESA, créée en 1975, et d'agences nationales, tel le CNES français. Il reste que, jusqu'à présent, l'implication européenne dans les programmes liés à l'espace, aux communications, voire au renseignement, était uniquement considérée par les Etats comme un complément de leurs politiques propres. Le processus de course aux technologies, très coûteux, qui caractérise aujourd'hui ce secteur, implique une révision de ce mode d'organisation. L'avènement d'une politique européenne commune est désormais une nécessité, mais beaucoup de chemin reste à parcourir.

La politique spatiale européenne a toujours été justifiée par un souci d'autonomie. Elle a été conduite essentiellement dans un cadre inter-gouvernemental, c'est-à-dire par l'ESA, dont la base de connaissance et l'expérience ont joué un rôle essentiel. Longtemps cantonnée à des applications civiles et commerciales, cette politique est sur le point de connaître des inflexions, pour tenir compte à la fois du contexte économique du secteur et des derniers développements de la construction européenne. Le 21 janvier 2003, la Commission européenne a publié un livre vert sur la politique spatiale européenne, préparé en coopération avec l'ESA. Ce document dresse un certain nombre de constats, notamment sur l'utilité de l'espace pour les citoyens de l'Union européenne, et il pose de nombreuses questions, afin de lancer une vaste réflexion devant déboucher sur un plan d'action, contenu dans un livre blanc, qui sera débattu par le Conseil et le Parlement européen au cours de l'automne 2003.

L'avant-propos du livre vert explicite d'emblée les données du problème : « La question fondamentale est celle de l'ambition européenne. Aucune des nations européennes ne saurait conduire de manière indépendante une politique spatiale à la hauteur des enjeux. Le fait que les Etats-Unis consacrent six fois plus de ressources publiques à l'espace que l'ensemble des pays européens ne peut laisser l'Europe indifférente si elle veut jouer un rôle dans le monde sur ces questions. » (). Et la Commission d'ajouter un peu plus loin : « Toute puissance spatiale est synonyme de volonté politique. Pour sa part, l'Europe a beaucoup à gagner - ou à perdre - selon sa présence ou son absence dans ce domaine. » ().

Le livre blanc ainsi que la conférence intergouvernementale sur la future Constitution de l'Union européenne permettront sans doute d'apporter des réponses au livre vert sur les aspects institutionnels. Les propositions de la Convention sur l'avenir de l'Europe d'inscrire dans le projet de traité constitutionnel un article disposant que l'espace est un domaine de compétences partagées entre l'Union européenne et ses Etats membres et de consacrer un autre article, parmi les politiques communes, à la politique européenne de l'espace, vont assurément dans le bon sens. De même, l'institution d'une agence européenne de l'armement est de nature à harmoniser les programmes militaires. Il faudra sans doute aller plus loin, en dotant l'ESA des compétences d'une véritable agence spatiale militaire en plus de ses attributions actuelles, voire en créant un conseil des ministres de l'espace.

Sur le plan financier, deux décisions très importantes ont été prises lors du conseil ministériel de l'ESA qui s'est tenu à Paris les 26 et 27 mai 2003. En premier lieu, devant les menaces pesant sur la rentabilité de l'exploitation d'Ariane V et pour faire face aux conséquences de l'échec du tir de la fusée dans sa version de dix tonnes (ESCA), le 11 décembre 2002, un plan d'accès garanti à l'espace pour l'Europe (EGAS) a été entériné. Ce plan prévoit 960 millions d'euros pour le soutien de l'exploitation d'Ariane V sur la période 2005-2009 et 228 millions d'euros pour améliorer le moteur Vulcain II, responsable de l'échec de décembre 2002. De même, 314 millions d'euros seront consacrés à l'implantation à Kourou d'un pas de tir spécifique à Soyouz, de manière à compléter la gamme des lanceurs d'Arianespace. En second lieu, le budget de la phase de développement et de validation du programme Galileo (1,1 milliard d'euros), financé à parts égales par l'ESA et l'Union européenne, a été voté, mettant fin à près de deux ans d'atermoiements.

Ces actions sont évidemment bienvenues ; encore faut-il qu'elles soient effectivement financées, ce qui ne semble pas le cas actuellement pour les infrastructures nécessaires à Soyouz ni pour le public regulated service (PRS) de Galileo, qui doit permettre des verrouillages différenciés dans l'accès au système. Dans les deux cas, une solution devra rapidement être trouvée. Le débat sur le niveau des financements européens dans le domaine de l'espace n'est donc pas clos, surtout dans une perspective d'élargissement du champ de la politique spatiale européenne aux aspects militaires, que le rapporteur appelle de ses v_ux.

Les principaux pays membres de l'Union européenne ne consacrent pas un effort à la hauteur de l'ambition d'une Europe spatiale de la défense : l'espace est au nombre des capacités reconnues par les Etats membres comme insuffisantes pour garantir l'autonomie totale des moyens de renseignement et de communication de la future force européenne de réaction rapide. À défaut de mutualiser leurs ressources, les Etats de l'Union européenne exploitent en commun des systèmes définis sans concertation, de sorte qu'il n'existe pas, à ce jour, de système opérationnel européen.

Les coopérations européennes dans le domaine spatial sont affectées par l'insuffisance chronique des orientations budgétaires des principaux Etats européens.

La politique britannique est, certes, marquée par un regain d'intérêt en faveur de l'espace depuis quelques années, mais le budget global en faveur de l'espace civil et militaire n'excédera pas 500 millions d'euros en 2004. Le budget spatial militaire s'élève à environ 200 millions d'euros. Les priorités du ministère de la défense britannique portent principalement sur la réalisation des satellites de télécommunications de nouvelle génération Skynet V, dont le coût total est estimé à 3 milliards d'euros sur la période 2004-2018 et, dans une moindre mesure, l'accès aux données météorologiques au travers du programme Metop, ainsi que l'imagerie et l'observation (un microsatellite d'observation dual, TOPSAT, sera lancé en 2004). La defence procurement agency (DPA) du ministère de la défense supervise également des programmes spatiaux dans le domaine de l'écoute. Des coopérations sont certes recherchées, mais l'option européenne n'est pas prioritaire.

Pour ce qui concerne l'Allemagne, le budget de la Deutsche Luft Raumfahrt (DLR), agence fédérale qui gère toutes les activités civiles depuis 1997, s'élève à 1 milliard d'euros depuis 2001. Les dépenses de la République fédérale en faveur de l'espace militaire restent, malgré tout, relativement modestes. L'Allemagne a en effet décidé de réorienter ses priorités autour des initiatives industrielles et de la recherche scientifique. Si le concept spatial élaboré au printemps 1997 a reconnu que les télécommunications et l'observation de la terre prennent un rôle croissant dans la sécurité du pays, ce sont les événements du Kosovo qui semblent avoir décidé les pouvoirs publics allemands à financer un programme de satellites d'observation radar, à partir des études menées dans le cadre du projet SAR-Lupe. Le coût total des cinq satellites du système SAR-Lupe, lancés entre 2005 et 2007 et ayant une durée de vie de dix ans, est estimé à 320 millions d'euros. L'Allemagne va également développer deux satellites de télécommunications militaires (Satcom-Bw), dont le premier exemplaire devrait être lancé en 2006.

Enfin, si l'Italie cherche depuis quelques années déjà à affirmer sa présence sur la scène spatiale européenne (l'agenzia spaziale italiana-ASI a été créée à cet effet en 1988), le budget annuel moyen prévu par le plan spatial national, de l'ordre de 925 millions d'euros sur la période 2003-2005, n'est pas atteint. L'ASI disposait seulement d'un budget global de 877 millions d'euros en 2003. En outre, ces montants ont autant vocation à apurer la dette de l'agence qu'à permettre le développement de programmes spatiaux d'envergure. Néanmoins, même si elle y consacre une part assez réduite de son budget spatial (50 millions d'euros), l'Italie a des ambitions militaires. Pour preuves, sa participation à Hélios I, sa maîtrise des télécommunications spatiales à vocations civile et militaire (le premier satellite du programme Sicral, équivalent à Syracuse, a été mis en orbite en février 2001) et ses investissements dans le domaine de l'observation radar (projet Cosmo-Skymed).

Les coopérations multilatérales peuvent prendre la forme d'un partage industriel et financier de la réalisation d'équipements, donnant lieu à une exploitation à due concurrence des investissements de chacun des partenaires ; c'est le cas de programmes tels qu'Hélios I et II. Elles peuvent aussi consister à exploiter en commun les équipements de plusieurs pays, selon des critères d'échange définis entre parties prenantes ; c'est la voie qui semble privilégiée aujourd'hui par les membres de l'Union européenne. Ainsi, aux termes du mémorandum d'accord signé lors du sommet de Turin, le 29 janvier 2001, la France et l'Italie se sont engagées à mettre en _uvre de concert une constellation de deux satellites d'observation optique Pléiades, réalisés par la France pour un coût évalué à 517,2 millions d'euros (segment sol inclus), et de quatre satellites radar Cosmo-Skymed, produits par les industriels italiens pour un coût estimé à 570 millions d'euros. Un accord franco-allemand de fédération des programmes spatiaux d'observation Hélios II et SAR-Lupe a également été conclu le 30 juillet 2002, lors du sommet de Schwerin.

Pour dépasser, à plus long terme, ce cadre limité de coopérations bilatérales et favoriser l'émergence d'un système européen de reconnaissance par satellites qui soit complet, les états-majors des armées de plusieurs pays membres de l'Union européenne ont défini un besoin opérationnel commun (BOC) pouvant déboucher, à terme, sur un système conçu et financé à l'échelle européenne. Ce document d'orientation a été signé par les chefs d'état-major des armées français, allemand, italien, espagnol, belge et grec. Pendant que les coopérations européennes se renforcent dans le domaine de l'observation, le secteur des télécommunications spatiales militaires n'a toutefois donné lieu à aucun rapprochement, chaque pays poursuivant la réalisation de son programme national (Syracuse III pour la France, Skynet V pour le Royaume-Uni, Sicral II pour l'Italie, Spainsat pour l'Espagne et Satcom-Bw pour l'Allemagne), alors même que la convergence des besoins de renouvellement constituait une conjoncture idéale pour une coopération européenne.

Le coût cumulé de ces programmes excède celui d'un système spatial militaire complet au service des Etats membres de l'Union européenne, financièrement plus acceptable.

Coût annuel moyen d'une capacité spatiale militaire européenne

Applications (1)

Descriptif des besoins

Coût annuel en millions d'euros

Télécommunications

Capacité EHF à haut débit ; liaisons optiques intersatellites.

230

Observation

Constellations de satellites haute résolution avec capacités radar, pour imagerie hyperspectrale.

300

Alerte avancée

Système de satellites géostationnaires.

100

Surveillance de l'espace

Coordination des systèmes opérationnels ou des démonstrateurs existants.

25

Total

-

655

(1) A l'exclusion de l'écoute, pour laquelle il apparaît difficile de concevoir un programme commun.

Source : colloque à l'école royale militaire de Bruxelles du 19 mars 2003 : « L'Europe de la défense et de l'espace : convergence pour la sécurité ».

En transposant les barèmes qui s'appliquent au budget de l'ESA au financement d'une politique spatiale militaire commune, les Etats membres participeraient à hauteur de 30 % pour la France, 25 % pour l'Allemagne, 13,7 % pour l'Italie, 8 % pour le Royaume-Uni, 5,3 % pour la Belgique et 4,5 % pour l'Espagne. Les estimations financières de l'état-major des armées montrent que, dans le cas de la France, les annuités n'excèderaient pas 250 millions d'euros à l'horizon 2010, sous réserve d'une stabilisation du budget à son niveau actuel dans l'intervalle, le temps d'achever les programmes en cours.

Encore faut-il que les analyses des Etats membres convergent. Pour cette raison, la tenue d'une conférence spatiale militaire européenne, qui réunirait les ministres de la défense et de la recherche européens, serait utile, car elle pourrait ébaucher un véritable projet spatial militaire européen à partir d'une réflexion fonctionnelle, identifiant les besoins, les structures nécessaires et des solutions. D'ores et déjà, un groupe de projet sur l'espace, sous présidence française, a été institué dans le cadre du plan ECAP. Il est chargé de formuler des propositions pour répondre aux besoins de l'Union européenne pour les missions de Petersberg ; il serait intéressant qu'il se prononce également sur l'articulation des systèmes spatiaux militaires actuels avec le projet GMES, afin de mettre sur pied une sorte de global monitoring for intelligence and defense (GMID), qui serait le pendant militaire du GMES. Regroupant la France, l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, la Grèce et les Pays-Bas, il pourrait en tout cas déboucher, à terme, sur des coopérations structurées dans le domaine spatial.

La conception de lanceurs et de satellites ne constitue pas une activité fondamentalement commerciale. A peine un tiers des lanceurs mondiaux donne lieu à une mise en concurrence des opérateurs. Pourtant, s'il est marginal pour les Etats-Unis, ce marché commercial est essentiel pour la filière spatiale européenne. Dans un contexte de crise du marché commercial, la situation des industriels européens responsables de la conception d'Ariane et des satellites est donc extrêmement vulnérable et elle appelle certaines réorganisations.

Il existe actuellement trois groupes de lanceurs, qui se concurrencent sur le marché des lancements commerciaux : Ariane V (d'une capacité de 10 tonnes en orbite géostationnaire) alliée à Soyouz (4-5 tonnes en orbite basse), et Rockot (1 tonne en orbite basse) ; Atlas V (équivalent d'Ariane V avec un moteur russe) et Proton (d'une capacité de 7 tonnes en orbite géostationnaire) ; Delta IV (équivalent d'Ariane V) avec Sea Launch (lanceur Zénith, d'une capacité de 7 tonnes en orbite géostationnaire) ().

L'industrie européenne des lanceurs a bénéficié, jusqu'à la fin des années 1990, de trois facteurs favorables cumulatifs : l'échec du choix américain de privilégier la navette réutilisable, l'absence des industriels russes sur le créneau commercial et la bonne adaptation d'Ariane IV au marché. Depuis lors, le contexte commercial a évolué : les industriels américains ont mené à bien des programmes de lanceurs concurrents d'Ariane V (Delta IV et Atlas V) et les industriels russes ont noué des partenariats commerciaux afin d'exploiter les lanceurs Zenith (avec Boeing, via Sea Launch) et Proton (avec Lockheed Martin) à des prix très inférieurs à ceux d'Arianespace pour des performances similaires.

Pour faire face à ce regain de concurrence, l'ESA a adopté un programme permettant de porter les performances d'Ariane V de 6 à 10 (ESCA), puis 12 tonnes (ESCB), de manière à pérenniser les capacités de lancements doubles de la fusée, gage de rentabilité accrue. L'échec du tir du 11 décembre 2002 a remis en cause le déroulement de ce projet. S'il est toujours prévu de donner à Ariane V des capacités de mise en orbite de 10 tonnes, il n'est plus question d'aller au-delà avant 2009. Cet événement a eu une autre conséquence, puisqu'il a accéléré la réorganisation de la filière Ariane, décidée le 27 mai 2003, autour de trois orientations :

- la réduction du nombre de contractants industriels à trois, pour la production des fusées (EADS pour les lanceurs, Snecma pour la propulsion liquide et Europropulsion -Snecma et Fiat Avio- pour les ergols solides) ;

- la reprise par EADS de l'exploitation des lanceurs, Arianespace ne conservant que leur commercialisation ;

- le changement d'actionnariat au sein d'Arianespace, le CNES devant céder tout ou partie de sa participation à des industriels du secteur ou une autre agence nationale au cours de l'année 2004.

En contrepartie, les coûts de production des industriels devront à nouveau diminuer. Grâce à la conjugaison de ces efforts, la spirale des pertes d'exploitation d'Arianespace (630 millions d'euros de 2000 à 2002) devrait s'interrompre dès la clôture de l'exercice 2003. Il était temps que l'Europe réagisse dans un domaine aussi stratégique. Sous l'impulsion de la France, c'est désormais chose faite. Tout n'est pourtant pas réglé ; il faudra veiller à présent à pérenniser les compétences des fabricants européens de lanceurs, ce qui implique de conforter le programme FLPP.

Actuellement, il existe cinq grands maîtres d'_uvre mondiaux pour la fabrication de satellites : trois américains, Boeing (25-30 % du marché), Loral (20-25 % du marché), Lockheed Martin (10 % du marché), ainsi que deux européens, Alcatel Space et EADS-Astrium (25-30 % du marché à eux deux). S'y ajoutent deux opérateurs de moindre importance : l'Italien Alenia Spazio et le Japonais Mitsubishi.

Or, les trois créneaux d'activité des fabricants de satellites (les satellites de télécommunications ainsi que les programmes institutionnels civils et militaires) offrent actuellement peu de débouchés. Alors que vingt-quatre satellites géostationnaires étaient commandés chaque année, en moyenne, sur la période 1993-2001, seulement six l'ont été en 2002. Les estimations pour l'année en cours portent sur une quinzaine de commandes. Un retour au niveau antérieur à la crise actuelle du marché n'est pas escompté avant 2005 pour les satellites de télécommunications et 2008 pour les satellites institutionnels. Les fabricants américains, dont 80 % de l'activité est engendrée par des commandes publiques, essentiellement militaires, sont moins affectés () que les industriels européens, dont 50 % du plan de charge dépend du marché commercial. Dans ces conditions, plus de deux ou trois maîtres d'_uvre de satellites peuvent-ils subsister au niveau mondial ?

Aux Etats-Unis, il est vraisemblable que Loral et Lockheed Martin fusionneront leurs branches satellites. En Europe, Alcatel Space, Astrium et Alenia pourraient éventuellement rassembler leurs activités, mais l'état actuel du marché ne se prête guère à des restructurations. Il n'est pas exclu qu'ils puissent également nouer des coopérations structurelles avec d'autres industriels, notamment russes ou japonais.

La « guerre en réseau » est devenue une réalité incontestable. La France dispose de réels atouts en la matière. Les industriels français possèdent un savoir faire réel, comme le montre la réussite du programme SICF, par exemple. Cependant, le fossé technologique qui sépare les Etats-Unis de l'ensemble de leurs alliés conduit à penser que, dans le domaine des technologies de l'information et des communications aussi, l'avenir ne peut être qu'européen.

Cet écart est d'ailleurs appelé à s'accentuer, puisque les Etats-Unis ont réorienté leurs priorités en privilégiant l'exploitation des informations, grâce au développement de technologies de sélection des renseignements, la guerre centrée sur les réseaux (concept de « network centric warfare »), à travers la mise en _uvre du programme war information network-tactical (WIN-T) et le développement d'une radio logiciel tactique (le joint tactical radio system ou JTRS), qui a vocation à devenir le nouveau standard de radio pour les forces armées en permettant une diffusion de l'information au plus bas de l'échelon opérationnel.

Actuellement, il n'existe pas d'interopérabilité des forces armées européennes en matière de télécommunications. C'est la nation-cadre de chaque opération qui assure la coordination des systèmes utilisés. Pour ne pas pérenniser cette situation, ni se voir imposer des technologies sur étagère, les Etats européens doivent envisager de nouer des coopérations, portant dans un premier temps sur la recherche-amont. La réalisation de démonstrateurs de systèmes de communication portatifs, intégrant différents modes de diffusion et de gestion de l'information, pourrait constituer une première étape. Par la suite, l'agence européenne de l'armement, qui devrait voir le jour conformément aux propositions de la Convention sur l'avenir de l'Europe, pourrait définir un besoin commun aux armées européennes amenées à être projetées sur des théâtres extérieurs. Cette échéance s'inscrit toutefois à plus long terme.

CONCLUSION

Le projet de loi de finances initiale pour 2004 marque la détermination du Gouvernement à respecter la loi de programmation militaire 2003-2008. Il mérite d'être salué, car il préserve le rang de la France parmi les grandes puissances spatiales et sa capacité à revendiquer la responsabilité de nation-cadre au plan européen, comme il conforte les moyens de fonctionnement des services et des unités spécialisés dans la collecte du renseignement.

Trop souvent sous-estimé, l'enjeu est considérable. En premier lieu, les technologies en cause fondent les systèmes de combat des armements du futur. En second lieu, l'espace et le renseignement déterminent le degré d'autonomie de décision d'un Etat et, partant, sa souveraineté. Si la France veut continuer à peser de sa voix dans les relations internationales, elle ne devra s'autoriser aucune impasse en la matière.

L'effort budgétaire doit, par conséquent, se poursuivre et le Parlement y sera attentif. Il serait en effet paradoxal que, dans les années qui viennent, la France et ses partenaires européens révisent à la baisse leurs ambitions dans les secteurs de l'espace et du renseignement, alors que les Etats-Unis ainsi que certains pays émergents en font une priorité de leurs politiques de défense.

Plus que jamais, néanmoins, l'avenir passe par des coopérations plus poussées au niveau européen, en attendant une véritable politique commune. À l'initiative de la France, les instances de l'ESA et celles de l'Union européenne ont commencé à davantage prendre en considération les enjeux stratégiques, industriels et militaires de l'espace. Il apparaît nécessaire d'approfondir cette démarche et de l'élargir au domaine du renseignement, secteur sans doute plus sensible, car touchant à des considérations régaliennes.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Yves Fromion, les crédits de l'espace, des communications et du renseignement pour 2004, lors de sa réunion du mercredi 22 octobre 2003.

Après l'exposé du rapporteur pour avis, M. Joël Hart, président, a souligné l'importance que revêt désormais le secteur spatial pour le renseignement et la conduite des opérations militaires. Il s'agit d'un domaine certainement plus abstrait que l'équipement ou les effectifs des différentes armées, mais il est essentiel. A cet égard, les possibilités de coopérations spatiales européennes sont très intéressantes et méritent de retenir l'attention, notamment dans la perspective de la construction de l'Europe de la défense.

M. Yves Fromion, rapporteur pour avis, a insisté sur l'implication grandissante des applications spatiales dans l'art de la guerre. L'espace n'est pas pour autant une nouvelle dimension du combat militaire, qui s'adjoindrait aux dimensions terrestre, maritime et aérienne. Il a simplement modifié les techniques et les équipements des forces.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'espace, des communications et du renseignement pour 2004.

*

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Au cours de sa réunion du mercredi 29 octobre 2003, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la défense pour 2004, les membres du groupe socialiste votant contre.

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N° 1114 - tome III - Avis de M. Yves Fromion au nom de la commission de la défense sur le budget de la défense du projet de loi de finances pour 2004 concernant l'espace, les communications et le renseignement


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© Assemblée nationale

() Air et Cosmos n° 1894, 13 juin 2003, p. 15.

() Loi n° 2003-73 relative à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008.

() Rapport annexé à la loi n° 2003-73 du 27 janvier 2003, Journal officiel du 29 janvier 2003, p. 1750.

() Le ministère de la défense a conclu un accord avec son homologue américain qui permet aux forces armées de recourir au GPS jusqu'en 2015.

() Cette spécificité rend également difficile toute comparaison internationale ; le service qui se rapproche le plus de la DGSE, tant à cause de ses moyens que de ses missions, est le Bundesnachrichtendienst (BND) allemand.

() L'école interarmées du renseignement et des études linguistiques (EIRL), le centre de formation et d'interprétation interarmées de l'imagerie (CF3I), le centre de formation et d'emploi relatif aux émissions électromagnétiques (CF3E) et les détachements avancés de transmissions (DAT), notamment.

() Ce service emploie quelque 4 000 personnes, dont 60 % de militaires.

() Cette organisation implique que l'état-major du COS veille en permanence à l'interopérabilité des moyens des forces mises à sa disposition.

() Trois systèmes de défense antimissiles de théâtre ont ainsi été développés : le S-300 PMU (SA 10 C) contre les missiles de portée de moins de 600 kilomètres ; le S-300 V (SA 12 B) contre les missiles d'une portée inférieure à 1 000 kilomètres ; le S-400 Triomf, dont la capacité d'interception concerne les missiles balistiques de moins de 3 500 kilomètres de portée.

() Rand center for Russia and Eurasia : « Beyond the nuclear shadow : a phased approach for improving nuclear safety and US-russian relations », 21 mai 2003.

() Livre vert sur la politique spatiale européenne, COM (2003) 17 final, p. 4.

() Ibidem, p. 7.

() Néanmoins, Boeing a annoncé le 15 juillet 2003 que le groupe comptait retirer son lanceur Delta IV du marché des lancements commerciaux pour le consacrer au marché des satellites militaires, plus captif.

()  A l'exception de Loral qui s'était spécialisé dans les télécommunications civiles et qui se trouve en grandes difficultés financières : le 15 juillet 2003, la société s'est placée sous la protection du chapitre XI de la législation américaine sur les faillites. Elle a accumulé des pertes d'un montant de 1,47 milliard de dollars en 2002 pour un chiffre d'affaires de 1,1 milliard de dollars.