N° 1114

--

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2003.

AVIS

PRÉSENTÉ

TOME VIII

DÉFENSE

CRÉDITS D'ÉQUIPEMENT

PAR M. François Cornut-Gentille,

Député.

--

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. -  LA POURSUITE DU REDRESSEMENT DES CRÉDITS D'ÉQUIPEMENT MILITAIRE : UN CHOIX PLEINEMENT JUSTIFIÉ 7

A. UN EFFORT BUDGÉTAIRE NÉCESSAIRE À PLUSIEURS ÉGARDS 7

1. Une priorité : garantir la sécurité de la France 7

2. Des incidences économiques que l'on ne peut négliger 9

B. DES MOYENS TRÈS SATISFAISANTS, S'INSCRIVANT DANS LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE POUR 2003-2008 11

1. Un accroissement significatif des crédits d'équipement 11

2. La modernisation des équipements militaires et la restauration de leur disponibilité 15

II. -  L'ÉQUIPEMENT DES FORCES ARMÉES AU C_UR DE LA CONSTRUCTION DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE 23

A. DES MOYENS ET DES APPROCHES QUI DIFFÈRENT SELON LES ETATS MEMBRES 24

1. Le poids variable des dépenses militaires 24

2. La diversité des approches 27

3. Des points de convergence réels 29

B. LE DÉVELOPPEMENT DES COOPÉRATIONS EN MATIÈRE D'ÉQUIPEMENT 30

1. La multiplication des mécanismes de coopération 31

2. De réels succès, en dépit des difficultés associées aux processus de coopération 34

C. LA NÉCESSITÉ D'ALLER PLUS LOIN 36

1. Ne pas laisser s'approfondir l'écart entre les Etats-Unis et l'Europe 36

2. Définir le rôle et le mode de fonctionnement de la future agence européenne de l'armement 37

3. Intervenir davantage en amont 38

4. Poursuivre les restructurations industrielles européennes 41

CONCLUSION 43

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 45

TRAVAUX DE LA COMMISSION 47

I. -  AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE DE LA DÉFENSE 47

II. - EXAMEN DES CRÉDITS 54

INTRODUCTION

Deuxième annuité de la loi de programmation militaire pour 2003-2008, le projet de loi de finances pour 2004 constituait une épreuve de vérité. Alors que les projets de budget s'étaient régulièrement affranchis des dispositions de la précédente loi de programmation, en revoyant à la baisse les crédits consacrés à la défense, la loi de finances initiale pour 2003 avait rompu avec cette pratique et respectait scrupuleusement l'annuité des crédits des titres V et VI fixée par l'actuelle loi de programmation. Il était indispensable que cette inflexion soit poursuivie en 2004 et le rapporteur se félicite que ce soit effectivement le cas. Cette évolution décisive, réalisée pour la seconde année consécutive, est d'autant plus remarquable que la loi de programmation prévoit pour l'année 2004 une forte augmentation des crédits d'équipement, de l'ordre d'un milliard d'euros, par rapport à 2003.

Dans un contexte budgétaire contraint, on ne peut que saluer la volonté du Gouvernement de respecter ses engagements et de ne plus faire des crédits d'équipement militaire une variable d'ajustement commode au sein du budget de l'Etat, comme ce fut souvent le cas par le passé.

Cependant, rien ne serait plus erroné de voir dans cette augmentation davantage que l'effort absolument indispensable pour assurer le redressement et la consolidation de notre outil de défense. En effet, la précédente loi de programmation militaire, caractérisée par la diminution continue des moyens budgétaires alloués aux équipements, a conduit à de nombreux étalements des programmes ainsi qu'à une forte dégradation de la disponibilité des matériels, ce qui a pesé sur les capacités opérationnelles des forces armées. Dans ce contexte, le montant des crédits d'équipement prévu par le projet de loi de finances pour 2004 ne constitue que le juste nécessaire pour rattraper les retards qui ont été accumulés et pour envisager la poursuite de la réalisation du modèle d'armée 2015.

Cet effort apparaît d'autant plus indispensable que la situation internationale s'avère particulièrement incertaine : nul ne peut dire que l'année 2003, marquée par la persistance de tensions et de conflits au Moyen-Orient, en Afrique et dans les Balkans, par le développement du terrorisme et par la prolifération balistique et nucléaire, ait été particulièrement paisible. Dans ce climat international durablement incertain, notre outil de défense doit impérativement disposer de moyens suffisants et appropriés pour garantir la sécurité des Français sur le territoire national, mais aussi hors de nos frontières.

De surcroît, la politique de défense française ne peut plus désormais s'analyser dans un cadre exclusivement national : par ses initiatives, la France a largement contribué à donner corps à l'Europe de la défense, qui a acquis une dimension nouvelle par les avancées décisives réalisées au cours des derniers mois, et elle entend conserver un rôle déterminant en son sein. La France doit donc accorder ses moyens à ses objectifs, de même que les autres Etats européens ; la crédibilité de l'Europe de la défense en dépend.

Dans cette perspective, le rapporteur a estimé pertinent de procéder à l'analyse de la politique d'équipement de la France et de ses partenaires européens au regard des exigences de la construction de l'Europe de la défense. Celle-ci impose en effet un effort accru de coopération, afin de remédier à la dispersion des efforts de défense des Etats de l'Union. L'acquisition d'équipements en commun et un partenariat étroit en matière de recherche constituent à ce titre des moyens puissants de renforcement des capacités opérationnelles européennes et d'amélioration de leur interopérabilité.

I. -  LA POURSUITE DU REDRESSEMENT DES CRÉDITS D'ÉQUIPEMENT MILITAIRE : UN CHOIX PLEINEMENT JUSTIFIÉ

L'année 2004 constitue sans nul doute un tournant décisif : pour la deuxième année consécutive, les dispositions de la loi de programmation militaire sont pleinement mises en _uvre par le projet de loi de finances, alors que leur non-respect avait été érigé en principe lors des budgets précédents. L'augmentation des crédits des titres V et VI prévue pour 2004 permettra de poursuivre l'effort indispensable de modernisation et de renforcement de nos forces armées, en donnant les moyens de réaliser les programmes d'équipement nécessaires et de restaurer la disponibilité des matériels, qui s'était fortement détériorée au cours de la précédente loi de programmation militaire. Si l'on ne peut que se féliciter de cette inflexion, il faut souligner qu'elle ne constitue que le strict nécessaire pour garantir la crédibilité de notre outil de défense.

L'accroissement des crédits d'équipement militaire, dans la continuité de l'évolution engagée en 2003, apparaît pleinement justifié, et ce pour plusieurs raisons : dans un contexte international incertain, marqué par l'apparition de nouvelles menaces, le redressement de notre effort de défense est indispensable pour assurer la sécurité de la France ainsi que l'accomplissement de ses missions sur la scène internationale, tout particulièrement au sein de l'Union européenne ; cette exigence est d'autant plus prégnante que la précédente loi de programmation a été caractérisée par d'importants retards en matière d'équipement. De surcroît, la hausse des crédits des titres V et VI participe à la consolidation de l'industrie de défense française, secteur stratégique de haute technologie, dont le poids au sein de notre économie ne peut être ignoré.

Ainsi que l'a souligné la ministre de la défense lors de son audition devant la commission le 30 septembre dernier, le budget de la défense n'est pas un budget comme les autres : il est la condition de notre sécurité et de la capacité de la France à remplir son rôle sur la scène européenne et internationale. Il a pour objectif primordial d'assurer la protection des Français et de leurs intérêts sur le territoire national, mais aussi à l'extérieur de nos frontières, la France comptant un million et demi de ressortissants à l'étranger.

Les forces armées françaises doivent assumer cette lourde mission en toutes circonstances, tant par la protection de l'espace aérien national que par la surveillance des côtes et la sauvegarde des approches maritimes. Elles peuvent également être amenées à intervenir à l'étranger, ainsi que le montrent les opérations conduites en Côte d'Ivoire, en République centrafricaine et au Libéria, où elles ont assuré la protection et l'évacuation de nos concitoyens, mais également des ressortissants d'autres Etats, européens ou non, assumant ainsi leur devoir de solidarité.

En outre, les armées apportent leur concours à la protection et à la sécurité civiles en cas de catastrophe naturelle, de crise ou d'événement exceptionnel. L'importance et la diversité de telles missions, souvent peu connues, sont largement illustrées par les opérations menées par l'armée de terre au cours de l'année 2003 : les forces terrestres ont notamment participé au plan Vigipirate renforcé, puis au nouveau plan Vigipirate de niveau orange, ainsi qu'au nettoyage des côtes françaises souillées par les hydrocarbures issus du Prestige ; elles ont également contribué à assurer la sécurité du sommet du G8 à Evian du 1er au 3 juin et ont pris part à la lutte contre les incendies de forêt dans le cadre du plan Hephaïstos, déclenché le 24 juin.

Face à l'émergence de nouvelles menaces et formes de violence, ces missions de sécurité et de protection prennent une importance renouvelée et grandissante, qu'il est impératif de prendre en compte. L'apparition du terrorisme de masse, la multiplication dans toutes les régions du monde de crises et de conflits, dont les acteurs ne sont plus nécessairement étatiques, ainsi que la prolifération des potentiels balistiques et des armes de destruction massive imposent l'adaptation et le renforcement de notre effort de défense. Les « dividendes de la paix » escomptés à l'issue de la guerre froide semblent aujourd'hui bien illusoires.

En outre, la politique de défense française s'inscrit désormais pleinement dans un cadre européen : par ses initiatives successives, la France a largement contribué à l'édification de l'Europe de la défense et celle-ci a pris une dimension nouvelle, ainsi que le démontre de façon éclatante la conduite d'opérations communes en Macédoine et en Ituri au premier semestre 2003. La France entend continuer à jouer un rôle moteur au sein de l'Europe de la défense et doit, pour être crédible, s'en donner véritablement les moyens. L'effort réalisé en faveur de notre outil de défense doit s'apprécier également au regard de cette exigence.

Parallèlement, compte tenu de ses engagements internationaux, la France doit être en mesure de prendre part à des opérations extérieures de maintien ou de rétablissement de la paix sur mandat des Nations unies ou au sein de coalitions. Les forces françaises sont particulièrement sollicitées à ce titre : en septembre 2003, 3 700 hommes étaient déployés au Kosovo et plus de 1 300 hommes étaient présents en Bosnie.

Si les grandes orientations du modèle d'armée à l'horizon 2015, définies en 1996 et résultant d'une analyse stratégique approfondie, conservent toute leur pertinence, certains ajustements se sont avérés nécessaires afin de prendre en compte les évolutions du contexte stratégique international et de tirer les leçons des récents engagements des forces françaises. La loi de programmation militaire pour 2003-2008 tient pleinement compte de cette exigence et actualise ce modèle autour de quatre idées principales : le renforcement des moyens de commandement, de renseignement et de communication ; le développement des capacités de projection et de mobilité des forces ; l'accroissement des capacités de frappe dans la profondeur ; celui, enfin, des moyens de protection. La loi de programmation réaffirme également le caractère central de la dissuasion nucléaire dans la stratégie française de défense : à l'heure où la prolifération balistique et nucléaire concerne un nombre croissant d'Etats, tels que l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, l'Iran, la Syrie et l'Arabie Saoudite, lesquels sont souvent situés dans des zones connaissant de fortes tensions, la dissuasion nucléaire constitue une garantie fondamentale contre toute menace sur les intérêts vitaux français ainsi qu'un facteur important de stabilité internationale.

La mise en _uvre des adaptations du modèle d'armée 2015 et l'engagement résolu de la France dans la construction de l'Europe de la défense imposent un effort significatif en faveur de notre outil militaire : l'accroissement des crédits d'équipement ne représente nullement un luxe, mais un impératif incontournable.

Cet effort est d'autant plus nécessaire que la précédente loi de programmation, portant sur la période 1997-2002, a été réalisée sous forte contrainte budgétaire, ce qui a conduit à ralentir la marche vers la réalisation du modèle d'armée 2015. Les mesures de régulation budgétaire ayant affecté les crédits d'équipement ont conduit à la perte d'une annuité complète de ces crédits sur la période concernée. Les étalements de programmes en résultant ont entraîné d'importants retards dans l'équipement des forces armées et, dans certains cas, de véritables creux capacitaires. Cette situation a été aggravée par la dégradation de la disponibilité des matériels, résultant de la diminution des crédits de maintien en condition opérationnelle (MCO). La forte hausse des dotations des titres V et VI engagée en 2003 et poursuivie en 2004 constitue donc un rattrapage indispensable.

Du fait de la spécificité de leur production, les entreprises d'armement françaises, de même que leurs homologues à l'étranger, se caractérisent par leur forte dépendance à l'égard des commandes de leur principal client, l'Etat. Le redressement des crédits d'équipement réalisé depuis 2003 participe ainsi à la consolidation de notre industrie de défense, secteur stratégique de haute technologie, dont le poids au sein de l'économie française est considérable. De surcroît, le caractère dual de certaines des technologies issues de la recherche militaire, financée pour une large part par les crédits des titres V et VI, conduit à dégager des coopérations avec les activités de recherche civile et à stimuler l'innovation et la compétitivité des entreprises nationales. Si l'augmentation des crédits d'équipement engagée depuis 2003 répond à des impératifs indéniables de sécurité nationale, on ne peut ignorer ses incidences considérables sur notre économie.

L'importance de l'industrie d'armement au sein de l'économie française doit être tout d'abord appréciée à l'aune de son chiffre d'affaires, qui atteignait 12,3 milliards d'euros en 2001, dont 9,5 milliards d'euros pour la France et 2,8 milliards d'euros à l'exportation. Les grandes entreprises de défense françaises, au premier rang desquelles figurent Thales, Dassault, DCN, Snecma, SNPE, Giat Industries et Sagem, mais aussi EADS, entreprise européenne issue de la fusion du français Aérospatiale Matra, de l'allemand DASA et de l'espagnol CASA, proposent des produits de haute technologie, sont présentes sur toute la gamme de matériels militaires et représentent environ le quart de l'industrie européenne de défense. De surcroît, leur activité draine un tissu très dense de PME et de PMI sous-traitantes.

Évolution du chiffre d'affaires de l'industrie de défense française

(en milliards d'euros)

 

France

Exportations

Total

    1996

10,4

4,5

14,9

    1997

9,4

6,6

16,0

    1998

9,4

6,3

15,7

    1999

9,4

3,8

13,2

    2000

9,3

2,7

12,0

    2001

9,5

2,8

12,3

Source : délégation générale pour l'armement

Les effectifs directs des entreprises d'armement s'élèvent à 166 000 personnes, soit 4 % des emplois industriels français, répartis sur tout le territoire national : environ les deux tiers des emplois directs sont situés en province et, dans certaines régions, le secteur de la défense représente plus de 7 % des emplois industriels. Les constructions navales en Bretagne, en Normandie ainsi qu'en Provence-Alpes-Côte d'Azur, l'industrie aéronautique et spatiale dans le Sud-Ouest, l'armement terrestre dans le Centre ainsi que l'électronique de défense dans la région parisienne jouent ainsi un rôle prépondérant dans l'économie locale, qui ne peut être négligé.

De surcroît, l'industrie de défense, qui représente environ 1,6 % des exportations françaises, contribue pour une part significative à l'excédent de la balance commerciale : le solde positif des transferts d'armement s'élève à plus de 3,7 milliards d'euros en moyenne chaque année, sans tenir compte cependant des compensations accordées dans le cadre de grands contrats, qui peuvent réduire ce montant. Dans un secteur de l'armement fortement concurrentiel, la France constitue le troisième exportateur mondial après les Etats-Unis et le Royaume-Uni, le niveau annuel moyen de prise de commandes de matériels militaires se situant entre 5 et 6 milliards d'euros. À titre d'exemple, ont été enregistrés en 2001 la commande de 38 hélicoptères de transport NH 90, dont 18 pour la Suède et 20 pour la Finlande, ainsi que des contrats d'entretien de flotte de surface pour l'Arabie Saoudite et de modernisation de radars de couverture aérienne pour le Brésil.

Les dépenses de recherche et développement militaire ont des incidences directes sur l'innovation dans les secteurs civils, du fait de la dualité des technologies qu'elles permettent de développer, ce que recouvre la notion de « spin-off ». De telles convergences sont particulièrement fortes dans le secteur aéronautique et spatial, mais aussi dans le domaine des technologies de l'information, de l'énergie et des matériaux avancés. La recherche liée à la défense stimule ainsi de façon décisive l'innovation et la compétitivité de toute l'économie, en assumant la prise de risque ainsi que les coûts de démonstration et d'amortissement de technologies de pointe.

L'exemple des Etats-Unis est particulièrement éclairant : Internet, le microprocesseur RISC, qui est aujourd'hui utilisé dans les téléphones mobiles, ou le GPS (Global Positioning System) sont autant de systèmes financés à l'origine par la recherche militaire américaine, notamment au travers de l'action de la Defence Advanced Research Project Agency (DARPA).

Si l'interpénétration de la recherche civile et militaire est moindre en Europe, la recherche militaire participe également au développement de technologies utilisées ensuite par les industries civiles. Ainsi, une partie des technologies des grands programmes aéronautiques civils, tels que les matériaux composites, les commandes électriques et les simulateurs pour l'entraînement, est en partie dérivée des programmes militaires. De même, le développement de la famille des lanceurs européens Ariane est très lié aux efforts engagés par la France dans les programmes de missiles balistiques. Des constats comparables peuvent être faits dans le domaine nucléaire, notamment en matière de techniques d'enrichissement de l'uranium et de retraitement des déchets.

La loi de programmation militaire du 27 janvier 2003 prend pleinement en compte la nécessité de redresser l'effort de défense français après plusieurs années de baisse continue des crédits militaires : elle prévoit la consolidation de la professionnalisation des armées et la poursuite de la fabrication des matériels dont le développement a été engagé, mais aussi l'accélération de la modernisation des équipements et la restauration du niveau de leur disponibilité opérationnelle, qui a fortement diminué au cours des dernières années. Ces objectifs imposent une revalorisation significative des crédits d'équipement, qui doivent s'établir à 14,64 milliards d'euros en moyenne sur la période 2003-2008.

De même que la loi de finances initiale pour 2003, le projet de loi de finances pour 2004 respecte scrupuleusement l'annuité des crédits des titres V et VI définie par la loi de programmation, ce qui se traduit par une forte augmentation de ces derniers.

Les crédits de paiement inscrits aux titres V et VI du projet de loi de finances pour 2004 s'élèvent à 14,89 milliards d'euros, en hausse de 9,2 % par rapport à 2003. S'agissant des autorisations de programme, elles s'établissent à 16,77 milliards d'euros, soit une augmentation de 9,6 % par rapport à 2003.

Évolution des crédits du titre V et VI

(en millions d'euros)

 

Autorisations de programme

Crédits de paiement

 

LFI 2003

PLF 2004

AP 2003/2004

LFI 2003

PLF 2004

CP 2003/2004

Titre V

14 960,8

16 410,6

9,69 %

13 290 ,3

14 536,5

9,37 %

Titre VI

339,1

358,2

5,63 %

353,6

361,4

2,2 %

Total

15 299,9

16 768,8

9,6 %

13 643,9

14 897,9

9,19 %

Source : ministère de la défense

Alors que les crédits d'équipement avaient crû en 2003 de 11,16 % pour les crédits de paiement et de 17,6 % pour les autorisations de programme, la hausse prévue par le projet de loi de finances pour 2004 poursuit l'évolution ambitieuse engagée l'année précédente afin de permettre l'acquisition des équipements nécessaires ainsi que la maintenance et la mise à niveau des matériels existants. Il s'agit bien de répondre à des besoins identifiés comme prioritaires par le Président de la République et la ministre de la défense.

Cet effort considérable constitue une nette inversion de la tendance qui prévalait jusqu'en 2002 : l'érosion continue des crédits des titres V et VI constatée depuis 1997 est désormais interrompue et l'on ne peut que s'en féliciter.

Évolution des crédits de paiement
et des autorisations de programme des titres V et VI depuis 1997

(en millions d'euros courants)

 

LFI

Année

Crédits de paiement

Autorisations de programme

1997

13 522,993

13 522,993

1998

12 348,812

12 348,812

1999

13 110,615

13 110,615

2000

12 646,449

13 334,025

2001

12 718,269

12 915,995

2002

12 273,924

13 009,384

2003

13 643,889

15 299,899

2004

14 987,884

16 768,884

Source : ministère de la défense

De surcroît, il convient de rappeler que les dotations budgétaires alors votées par le Parlement avaient été largement réduites en cours d'exécution en raison des mesures récurrentes de régulation budgétaire, non seulement par le biais d'annulations de crédits, mais aussi par la difficulté d'engager et de consommer les crédits ou par le jeu des reports en fin d'exercice. En revanche, à l'exception d'une annulation de 321 millions d'euros de crédits de paiement () par la loi de finances rectificative du 19 décembre 2002, qui reste modeste au regard des annulations antérieurement pratiquées, aucune mesure n'est venue modifier le montant des crédits des titres V et VI voté en 2002 et 2003. L'abandon des pratiques antérieures de régulation rend d'autant plus marquante l'inflexion réalisée depuis 2002 en faveur des crédits d'équipement.

Enfin, les dispositions du projet de loi de finances pour 2004 s'inscrivent dans la loi de programmation militaire pour 2003-2008, qui prévoit une hausse progressive des dépenses en capital afin qu'elles s'élèvent en moyenne à 14,64 milliards d'euros sur la période 2003-2008. Le montant des crédits de paiement des titres V et VI pour 2004 est même supérieur à celui prévu par la loi de programmation militaire.

Évolution des crédits de paiement des titres V et VI
dans la loi de programmation militaire pour 2003-2008

(en milliards d'euros courants)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

13,65

14,60

14,72

14,84

14,96

15,08

L'effort considérable réalisé en faveur des crédits d'équipement se traduit par un renforcement de leur poids au sein du budget de la défense : les crédits du titre III, incluant les rémunérations et charges sociales ainsi que les dépenses de fonctionnement, n'augmentent que de façon très modérée en 2004 et la hausse du budget de la défense, de l'ordre de 4,28 %, résulte pour l'essentiel de l'accroissement des dépenses d'équipement. Ces dernières représentent en 2004 près de 46 % du budget total de la défense, contre 43,9 % en 2003. Cette évolution illustre la priorité donnée à l'équipement de nos forces armées, pleinement justifiée par les retards accumulés dans ce domaine au cours de la dernière loi de programmation.

Évolution des crédits de titre III et des titres V et VI

(en millions d'euros)

 

LFI 2003

PLF 2004

Part dans le budget en 2003

Part dans le budget en 2004

Titre III

17 426

17 504

56,08 %

54,02 %

Titres V et VI

13 644

14 898

43,92 %

45,98 %

Total

31 070

32 402

100 %

100 %

Source : ministère de la défense

La hausse des crédits d'équipement est répartie comme suit entre les différentes armées :

évolution des crédits des Titres V et VI

(en millions d'euros)

 

Autorisations de programme

Crédits de paiement

Armée

LFI 2003

PLF 2004

AP 2004/2003

LFI 2003

PLF 2004

CP 2004/2003

Air

3 110,4

4 075,2

+ 31 %

3 070,4

3 614,7

+ 17,7 %

Terre

3 280,4

3 213,9

- 2 %

2 620,3

2 997,2

+ 14,4 %

Marine

4 060

4 738

+ 16,7 %

3 421

3 837,6

+ 12,2 %

Source : ministère de la défense

Parmi les évolutions marquantes, il convient de mettre en exergue la croissance importante des crédits de paiement des différentes armées, imposée par la poursuite de programmes d'équipement de grande envergure, tels que l'avion de combat Rafale ou l'hélicoptère de transport Tigre, et par l'effort réalisé en matière d'entretien des matériels. S'agissant des dotations de la marine, 332 millions d'euros de crédits de paiement sont toutefois destinés à participer à l'apurement des comptes de DCN et à financer l'application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la taxe professionnelle ainsi que certaines assurances ; ces crédits ne peuvent être assimilés à une augmentation des capacités d'acquisition de la marine.

Alors que les autorisations de programme de l'armée de l'air et de la marine sont en forte hausse, celles destinées à l'armée de terre connaissent une légère diminution, de l'ordre de 2 %, et s'établissent à 3 213,9 millions d'euros. Cependant, ce niveau ne devrait pas être pénalisant, dans la mesure où l'armée de terre pourra utiliser les autorisations de programme issues des exercices précédents et non encore consommées. Certaines opérations initialement prévues en 2004 devront cependant être reportées au début de l'année 2005, mais les calendriers de livraisons et les devis correspondants ne devraient pas être modifiés.

Le projet de loi de finances maintient l'effort réalisé en 2003 en matière de recherche et technologie (R& T) : cet agrégat, qui mesure l'effort consenti en amont des programmes d'armement afin d'acquérir l'expertise et les capacités technologiques nécessaires pour leur définition et leur lancement, s'établit à 1,26 milliard d'euros, contre 1,24 milliard d'euros en 2003. L'agrégat R& T comprend notamment le budget d'études amont sous gouvernorat de la délégation générale pour l'armement (DGA), les subventions versées aux organismes de recherche sous tutelle de la DGA, tels que l'ONERA (office national d'études et recherches aérospatiales), ainsi que la participation du ministère de la défense au budget civil de recherche et développement (BCRD). Celle-ci s'élève à 200 millions d'euros en 2004, contre 190,6 millions d'euros en 2003, et est inscrite dans le projet de loi de finances sur un chapitre nouvellement créé, intitulé « fonds pour la recherche duale », afin d'élargir le champ des recherches et des destinataires. Il a été décidé de mieux définir l'utilisation de cette dotation, afin qu'elle soit affectée à des programmes de recherche précis intéressant directement la défense, alors qu'auparavant elle servait pour l'essentiel à financer les équipes du CNES (centre national d'études spatiales) sans contrepartie directe et apparente pour le ministère de la défense.

La forte dégradation de la disponibilité des matériels militaires au cours des dernières années, mise en lumière en 2002 par deux rapports parlementaires (), a fait de l'entretien des équipements une priorité, soulignée à plusieurs reprises par le Président de la République ainsi que par la ministre de la défense.

Si les difficultés rencontrées en matière de MCO ne trouvent pas seulement leur source dans l'insuffisance des moyens financiers qui lui sont consacrés et résultent notamment des problèmes logistiques d'approvisionnement en pièces de rechange et du vieillissement des équipements, on ne peut occulter que les dotations destinées à l'entretien programmé des matériels (EPM) ont considérablement diminué depuis 1997 et ont de plus subi de plein fouet les mesures de régulation budgétaire appliquées au budget de la défense.

La loi de programmation militaire pour 2003-2008 prévoit donc un effort budgétaire considérable en faveur de la restauration de la disponibilité des équipements. Le redressement des crédits d'EPM a été amorcé dès 2002, par l'ouverture de crédits de paiement d'un montant de 100 millions d'euros en loi de finances rectificative d'août 2002 (), puis a été poursuivi par l'augmentation importante des crédits d'EPM dans la loi de finances initiale pour 2003, de l'ordre de 8,3 % pour les crédits de paiement et de 9,76 % pour les autorisations de programme.

Le projet de loi de finances pour 2004 maintient l'inflexion engagée dans ce domaine : les crédits de paiement d'EPM s'établissent à 2 899,5 millions d'euros, en hausse de 8,9 %, alors que les autorisations de programme connaissent une légère diminution de 1,6 % et s'élèvent à 3 175 millions d'euros. De même qu'en 2003, les dotations prévues en 2004 restent supérieures à l'annuité moyenne définie par la loi de programmation militaire. Par ailleurs, les crédits d'EPM de titre III ont été intégralement transférés au titre V en 2004 afin d'assurer une plus grande lisibilité budgétaire, conformément aux observations de la Cour des comptes.

évolution des dotations d'entretien programmé des matériels des armées depuis 1997

(en millions d'euros courants)

 

LFI 1999

LFI 2000

LFI 2001

LFI 2002

LFI 2003

PLF 2004

PLF 2004/ LFI 2003

Autorisations de programme

2 975,6

2 663,3

2 447,6

2 940

3 227

3 175

- 1,6 %

Crédits de paiement

2 704,4

2 531,2

2 393,4

2 459,4

2 663,3

2 899,5

+ 8,9 %

Source : ministère de la défense.

Il convient de saluer l'effort financier considérable, qui était indispensable, réalisé en matière d'entretien des matériels. Parallèlement, le ministère de la défense a déterminé des objectifs chiffrés de disponibilité technique opérationnelle :

- pour l'armée de terre, 80 % pour les matériels terrestres et 75 % pour les matériels aériens ;

- pour la marine, 75 % pour la flotte et 75 % pour les matériels aériens ;

- pour l'armée de l'air, 75 %.

La revalorisation des crédits d'EPM, conjuguée à une profonde réforme des structures de maintenance, a permis d'obtenir dès 2003 des résultats tangibles sur la disponibilité des équipements des trois armées, qui laissent espérer que les objectifs fixés seront atteints à l'issue de la loi de programmation militaire, en 2008, voire, pour certains matériels, avant cette date.

Évolution des taux de disponibilité des principaux matériels de l'armée de terre

Parc de matériels

2001

2002

2003

Char Leclerc

33 %

48 %

50 %

Char AMX 10 P

64 %

56 %

48 %

Char AMX 10 RC

46 %

62 %

56 %

Hélicoptère Cougar

64 %

51 %

65 %

Hélicoptère Gazelle NA

67 %

49 %

59 %

Source : ministère de la défense.

Évolution des taux de disponibilité des principaux matériels de l'armée de l'air

Parc de matériels

2001

2002

2003

Mirage 2000 D

63 %

49 %

62 %

Mirage 2000 N

63 %

59 %

74 %

Mirage 2000 B/C

68 %

66 %

80 %

Mirage 2000-5F

68 %

58 %

68 %

Hélicoptère Puma Air

57 %

56 %

66 %

Source : ministère de la défense.

 

évolution des taux de disponibilité des principaux matériels de la marine

Parc de matériels

2001

2002

2003

Transports de chaland de débarquement

68 %

42 %

70 %

Frégates anti-sous-marines

62 %

53 %

55%

Frégates anti-aériennes

35 %

33 %

23 %

Frégates type « La Fayette »

77 %

66 %

74 %

Sous-marins nucléaires d'attaque

35 %

45 %

46 %

Source : ministère de la défense.

 

C'est pour les matériels de l'armée de l'air que l'amélioration est la plus perceptible : la mise en place de la SIMMAD (structure intégrée de maintenance des matériels aéronautiques de la défense) au 1er janvier 2001 a permis de réaliser d'importants progrès en matière de contractualisation et de gestion des rechanges.

L'évolution est moins marquante pour les matériels de la marine et de l'armée de terre, mais reste dans l'ensemble favorable. La reprise de la fonction des rechanges par la marine, la poursuite du développement du service de soutien de la flotte et les réformes actuelles de la chaîne de maintenance des matériels terrestres devraient de plus permettre de réaliser des progrès significatifs en 2004.

Cependant, il faut souligner qu'un accroissement ponctuel des crédits d'EPM ne saurait suffire à restaurer durablement le taux de disponibilité des équipements. Nombre de parcs de matériels sont vieillissants et imposent des dépenses considérables d'entretien. De plus, l'arrivée d'équipements neufs dans les armées ne se traduira sans doute pas par la baisse des coûts de maintenance, ce qui peut paraître paradoxal, mais s'explique par le fait que les nouveaux matériels, tels que l'avion Rafale et le char Leclerc, intègrent davantage d'électronique et sont plus complexes à entretenir. Leur coût de MCO est pour l'heure difficile à estimer, mais sera en tout état de cause supérieur à celui des matériels qu'ils remplacent. Les dépenses d'entretien sont donc destinées à augmenter de façon structurelle, ce qui impose de maintenir dans la durée l'effort financier engagé dans ce domaine.

S'inscrivant dans la droite ligne de la loi de programmation militaire ainsi que dans le modèle d'armée 2015, cadre général définissant les grands objectifs militaires qui doivent être réalisés à cet horizon, les dispositions du projet de loi de finances pour 2004 permettent de poursuivre les grands programmes d'équipement destinés à assurer la maîtrise des milieux aéromaritime, aéroterrestre et aérospatial.

En raison de leur ampleur, les programmes aéromaritimes doivent faire l'objet d'une attention particulière. En effet, le nécessaire renouvellement des forces sous-marines et de la flotte de surface se traduit pour la marine par la conjonction de programmes nombreux et coûteux au cours de l'actuelle loi de programmation militaire. L'année 2004 est notamment marquée par la commande globale de quatre frégates multimissions, qui impose une forte dotation en autorisations de programme, à hauteur de 1 689,2 millions d'euros. Parallèlement, la poursuite de trois programmes majeurs nécessite des moyens financiers importants. Le programme de bâtiments de projection et de commandement (BPC), d'un coût prévisionnel de 623,3 millions d'euros, doit permettre le remplacement en 2005, puis en 2006, de deux transports de chalands de débarquement, entrés en service en 1965 et 1968. Le programme de frégates anti-aériennes Horizon assure le renouvellement de bâtiments anciens : deux frégates, dont le coût total s'établit à 1,94 milliard d'euros, doivent être livrées en 2006 et 2008 et une troisième doit être commandée en 2007. Le programme de sous-marins lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), d'un montant total de 14 milliards d'euros, permet de remplacer les quatre sous-marins composant la force océanique stratégique : deux SNLE-NG sont déjà entrés en service, respectivement en 1997 puis en 1999, alors que le troisième sera livré en 2004 et le quatrième en 2010. Enfin, le programme de sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, dont les premières livraisons débuteront en 2012, doit assurer la relève de six sous-marins entrés en service opérationnel entre 1983 et 1993 ; d'un montant prévisionnel d'environ 5,4 milliards d'euros, ce programme bénéficie en 2004 de 87,3 millions d'euros de crédits de paiement et de 59,4 millions d'euros d'autorisations de programme afin de financer des études de définition.

La maîtrise du milieu aéroterrestre repose en premier lieu sur le programme de char Leclerc, aujourd'hui en cours d'achèvement : en 2004, l'armée de terre doit recevoir 50 chars, les derniers exemplaires devant être livrés en 2005, et 12 dépanneurs, destinés à porter assistance aux chars sur le champ de bataille. Toutefois, les difficultés actuelles de Giat Industries pourraient perturber ces prévisions ; alors que 50 chars devaient être livrés en 2003, seuls sept ont été effectivement reçus à ce jour par l'armée de terre. Le programme d'hélicoptère de combat Tigre, devant assurer la relève des appareils Gazelle, se poursuit et l'armée de terre doit recevoir sept hélicoptères en 2004. L'achat par l'Espagne de vingt-quatre de ces appareils en version HAD (hélicoptère d'appui-destruction) va conduire l'armée française, en accord avec l'industriel, à modifier sa commande. Après une première tranche de 37 appareils équipés en version HAP (hélicoptère d'appui protection), l'armée de terre recevra à son tour la version HAD, plus polyvalente et mieux adaptée aux nouvelles missions que l'ancienne version HAC (hélicoptère antichar) commandée dans un premier temps et désormais abandonnée. Enfin, en 2004, seront commandés 1 000 systèmes Felin (fantassin à équipements et liaisons intégrés), destinés à fournir au fantassin un équipement disposant de fonctions de protection, d'armement et de communication.

S'agissant de la maîtrise du milieu aérospatial, il convient de mettre l'accent sur le programme d'avion de combat Rafale. Le déroulement de celui-ci, lancé en 1986, a été caractérisé par des retards répétés : si la loi de programmation militaire pour 1997-2002 prévoyait un décalage de deux ans et demi de la mise en service du premier escadron de l'armée de l'air, la revue des programmes réalisée en 1998 a entraîné un nouveau glissement de la livraison des premiers avions ; la mise en service de ce premier escadron a été ensuite reculée de six mois supplémentaires en 2002 et doit finalement intervenir en septembre 2006, cinq, puis dix avions devant être livrés à l'armée de l'air respectivement en 2004 et en 2005. Alors qu'il est actuellement envisagé que la commande globale de 59 avions (dont 46 pour l'armée de l'air et 13 pour la marine), initialement prévue en 2003, soit finalement passée en 2004, le rapporteur souhaite insister sur le fait que les livraisons doivent intervenir selon le calendrier qui a été défini, afin d'envisager dans de bonnes conditions l'accomplissement de l'objectif fixé par le modèle d'armée 2015 de 300 avions de combat.

Par ailleurs, l'année 2004 est marquée par la livraison de 60 missiles air-air MICA, qui équipent l'avion Mirage 2000-5 ainsi que le Rafale. Parallèlement, le programme de missile d'interception air-air à domaine élargi (MIDE, appelé aussi Meteor), dont les performances sont supérieures à celles du MICA, a été lancé le 27 décembre 2002 ; ce programme, mené en coopération par le Royaume-Uni, la France, la Suède, l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne, était suspendu jusqu'alors à la décision définitive de ce dernier Etat. La France a signifié une intention d'achat de 396 missiles, dont 296 pour l'armée de l'air, et devrait recevoir ses premiers exemplaires en 2012. Sont inscrits à ce titre 19,1 millions d'euros de crédits de paiement et 98 millions d'euros d'autorisations de programme dans le projet de loi de finances pour 2004.

Crédits consacrés aux principaux programmes de maîtrise des différents milieux dans le projet de loi de finances pour 2004

(en millions d'euros)

 

Autorisations de programme

Crédits de paiement

Frégates multimissions

1 689,2

54,2

FAA Horizon

23,9

257 ,1

Barracuda

59,4

87,3

BPC

19,3

104

SNLE-NG

426,6

394,8

Char Leclerc

21,7

246

Hélicoptère Tigre

26,5

262,4

Felin

55,4

8,9

Rafale

911,5

1 249,3

Missile MICA

134,6

124,3

Missile Meteor

98

19,1

Source : ministère de la défense

L'année 2003 a été marquée par le lancement de deux programmes importants, qui trouvent leur traduction financière dans le projet de loi de finances pour 2004.

En premier lieu, le lancement du programme A 400 M, décidé en mai 2003, permettra d'assurer la relève de la flotte française d'avions de transport, vieillissante et inadaptée aux exigences actuelles des opérations de projection des forces armées.

Le programme A 400 M, mené en coopération par sept Etats (France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Turquie, Belgique et Luxembourg), a connu nombre de vicissitudes, imputables pour une large part à l'Allemagne, qui, premier acheteur de l'A 400 M, a longtemps tergiversé sur le nombre d'appareils qu'elle souhaitait acquérir. La signature du contrat d'acquisition, intervenue le 27 mai 2003, constitue donc l'aboutissement bienvenu d'un long processus de négociations et devrait permettre à la France de recevoir ses premiers appareils en 2009, la livraison des suivants s'échelonnant jusqu'en 2019. Il convient cependant de souligner que la date de mise en service de l'A 400 M ayant été initialement prévue en 2006, le retard du programme va imposer à l'armée de l'air de gérer une période de transition difficile jusqu'en 2011, année à partir de laquelle l'accroissement de la flotte d'A 400 M permettra de pallier les conséquences du retrait progressif des avions de transport Transall.

La totalité des autorisations de programme nécessaires à la commande des 50 appareils A 400 M, soit 6 662 millions d'euros, a été mise en place, d'abord par la deuxième loi de finances rectificative pour 2000, à hauteur de 3 049 millions d'euros, puis par la loi de finances rectificative pour 2001, pour un montant de 3 163 millions d'euros. Le lancement effectif du programme se traduit par l'inscription dans le projet de loi de finances pour 2004 de crédits de paiement d'un montant de 192,6 millions d'euros, contre 60,4 millions d'euros en 2003.

En second lieu, la ministre de la défense a annoncé en juin 2003 la mise en oeuvre d'un programme de démonstrateur d'avion de combat sans pilote UCAV (Unmanned Combat Aerial Vehicle), permettant de maintenir les compétences et les technologies nécessaires pour mettre en oeuvre les futurs programmes d'avions de combat européens, pilotés ou non, à l'horizon 2020. Ce projet, dont le coût de 300 millions d'euros sera financé par les crédits de recherche et développement du budget de la défense, doit être confié à Dassault et sera ouvert à des coopérations européennes, les Etats désireux d'y participer comme partenaires de lancement devant faire connaître leur décision avant la fin de l'année 2003. Il conduira à l'évaluation d'un nouveau drone de combat en situation opérationnelle en 2009 et permettra à la France et aux Etats européens de ne pas se laisser distancer par les Etats-Unis dans la maîtrise de ces technologies.

Si le projet de loi de finances pour 2004 permet de poursuivre la modernisation et l'acquisition des équipements nécessaires, on ne peut occulter la persistance d'incertitudes sur l'évolution de certaines capacités opérationnelles des forces armées.

Tout d'abord, les retards du programme de véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) risquent de provoquer d'importantes difficultés pour l'armée de terre. Le programme VBCI a connu des décalages successifs résultant de problèmes de définition de ses spécifications opérationnelles ; alors qu'il devait assurer la relève des engins AMX 10 P et PC sur la période 2006-2013, le VBCI n'entrera finalement en service qu'en 2008 et le parc d'appareils ne sera significatif qu'à partir de 2012. L'armée de terre se trouve donc dans l'obligation de prolonger la vie opérationnelle des véhicules blindés AMX 10 P, lesquels accusent trente-cinq ans d'âge et doivent actuellement faire l'objet d'importantes réparations : sur un parc de 516 appareils, 334 sont affectés de fissures plus ou moins larges. Il est donc indispensable que le parc de véhicules AMX 10 P soit fiabilisé jusqu'en 2012, mais aussi que le programme VBCI ne connaisse pas de nouveaux retards, sans quoi l'armée de terre pourrait subir de véritables ruptures capacitaires.

S'agissant de la capacité de projection de l'armée de terre, le renouvellement de ses hélicoptères de transport apparaît tardif, alors que ce type d'appareil est de plus en plus sollicité dans les crises actuelles, notamment dans les fonctions de soutien logistique, pour le recueil de renseignement et les missions de transport tactique des unités d'infanterie. L'âge moyen du parc d'hélicoptères de transport des forces françaises, composé de SA 330 Puma et d'AS 532 Cougar, atteint vingt-deux ans pour les premiers et onze ans pour les seconds et leur taux de disponibilité s'établit à 60 % seulement en raison de leur vieillissement, de leur utilisation intensive et des problèmes rencontrés dans l'approvisionnement en pièces de rechange. Or le renouvellement des appareils de l'armée de terre n'est pas envisagé avant 2011, date de livraison des premiers exemplaires de leur successeur, l'hélicoptère de transport NH 90. Cette situation n'est guère satisfaisante au regard de l'importance des missions assumées par les hélicoptères de man_uvre.

Afin de résoudre les problèmes de disponibilité rencontrés par le Puma et le Cougar, la loi de programmation prévoit un plan de rénovation profonde de la majorité de ces appareils et le projet de loi de finances pour 2004 inscrit 16 millions d'euros de crédits de paiement à ce titre. Cependant, il serait envisageable de compléter cette solution en recourant à des solutions innovantes de financement, telles que la location-vente, afin d'anticiper la livraison des 34 premiers NH 90 à l'armée de terre.

Principales commandes et livraisons prévues en 2004

 

Commandes

Livraisons

Dissuasion

Un lot de missiles M 51

Un sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), le Vigilant

Le dernier lot de missiles M45

Domaine Spatial

 

Mise en orbite du satellite de télécommunication militaire Syracuse III et du satellite d'observation optique Helios II

Projection et mobilité des forces

Deux avions de transport à long rayon d'action

Deux avions cargos légers CN 235

Un avion de transport à long rayon d'action

Frappe dans la profondeur

 

110 missiles Scalp-EG (air)

Quatre missiles Apache

Trente missiles AS30 laser

Maîtrise du milieu aéroterrestre

1 000 systèmes du combattant futur Felin

44 chars AMX 10RC rénovés

88 véhicules blindés légers

50 chars Leclerc

7 hélicoptères Tigre

88 véhicules blindés légers

52 chars AMX 10RC rénovés

4 radars de contrebatterie Cobra

Maîtrise du milieu aéromaritime

Quatre frégates européennes multimissions

Quatre chasseurs de mines modernisés Eridan

Un bâtiment hydrographique et océanique

Maîtrise du milieu aérospatial

Quatre systèmes et 205 munitions FSAF (famille sol-air futur)

Cinq avions Rafale air

60 missiles Mica air

Maintien de la capacité opérationnelle

29 000 pistolets automatiques de nouvelle génération

42 000 gilets pare-balle à port discret

1615 véhicules de brigade et de police

Un hélicoptère EC 145 pour la gendarmerie

Source : ministère de la défense.

II. -  L'ÉQUIPEMENT DES FORCES ARMÉES AU C_UR DE LA CONSTRUCTION DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE

Engagée dès 1992 par la prise en compte d'une dimension militaire dans le traité de Maastricht et relancée de manière décisive en 1998 par la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, l'édification de l'Europe de la défense a connu au cours des derniers mois des avancées considérables auxquelles la France a largement contribué.

Se sont ainsi succédé le sommet franco-britannique du Touquet en février 2003, au cours duquel ont été notamment évoquées les perspectives d'une coordination accrue des capacités aéronavales des deux Etats, et le sommet réunissant le 29 avril 2003 la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, lesquels ont formulé des propositions ambitieuses afin de jeter les bases d'une Union européenne de la sécurité et de la défense. Parallèlement, les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe ont abouti en juillet 2003 à l'adoption d'un projet de Constitution européenne comportant des dispositions novatrices en matière de sécurité et de défense, parmi lesquelles figure la possibilité pour les Etats qui le souhaitent de mettre en _uvre des coopérations structurées. Les opérations communes conduites en Macédoine et en République démocratique du Congo ont permis de concrétiser les progrès considérables réalisés par les Etats européens en matière de coopération militaire.

A ces avancées politiques et opérationnelles indéniables, s'est ajouté le succès récent de deux programmes d'équipement majeurs menés en coopération européenne : le lancement du programme d'avion de transport A 400 M en mai 2003 par sept pays européens ainsi que l'acquisition de 24 hélicoptères de combat franco-allemands Tigre par l'Espagne en septembre 2003, conduisant ce pays à prendre part au programme. Parallèlement, la création d'une agence européenne de l'armement prévue par le projet de Constitution européenne devrait permettre de développer l'acquisition de matériels militaires en commun par les Etats membres.

La construction de l'Europe de la défense passe sans nul doute par la mise en _uvre de coopérations d'envergure en matière d'équipement, pour plusieurs raisons : elles permettent aux Etats européens d'acquérir des matériels à un coût moindre du fait des économies d'échelle obtenues et de réaliser ainsi une meilleure allocation des moyens financiers européens consacrés à la défense, dans un contexte budgétaire contraint ; plus important encore, ces coopérations favorisent le rapprochement des différentes armées nationales lors de la définition d'un besoin opérationnel commun, puis permettent à celles-ci de disposer de matériels pleinement interopérables, ce qui présente un intérêt manifeste dans la perspective de la constitution d'une force européenne commune.

C'est pourquoi le rapporteur a jugé utile d'analyser l'édification de l'Europe de la défense à travers le biais des équipements militaires, en étudiant tout d'abord les moyens et les choix respectifs des différents Etats européens dans ce domaine, puis les mécanismes existants de coopération et leurs résultats.

Le niveau des dépenses militaires des Etats européens, et plus particulièrement de leurs dépenses d'équipement, s'avère très disparate, de même que leur évolution.

L'examen du montant des budgets militaires des différents Etats fait apparaître la nette prépondérance au sein de l'Union européenne du Royaume-Uni et de la France, qui ont consacré en 2002 respectivement 33,9 et 31,07 () milliards d'euros à leur défense en 2002. Vient ensuite l'Allemagne, dont le budget atteignait 23,6 milliards d'euros en 2002, alors que l'Italie se situe en net retrait, avec un budget de 12,92 milliards d'euros. Enfin, des Etats tels que l'Espagne, la Grèce et la Pologne dépensent pour leur outil de défense entre 5 et 7 milliards d'euros. Si la structure des budgets militaires, définissant les modalités de répartition entre dépenses d'équipement et dépenses de personnels et de fonctionnement, est variable selon les Etats, cette hiérarchie reste pertinente en matière de dépenses d'équipement.

Le poids du budget militaire au sein du PIB constitue également un indicateur utile pour apprécier l'effort de défense de chacun des pays européens. Seuls cinq () des quinze Etats membres consacrent plus de 2 % de leur PIB aux dépenses militaires alors que nombre d'Etats, parmi lesquels l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne et le Danemark, allouent entre 0,9 et 1,3 % de leurs ressources nationales à leur outil de défense. A contrario, ce ratio atteint un niveau particulièrement élevé en Grèce, de l'ordre de 3,5 %.

Parallèlement, si la fin de la guerre froide a conduit la plupart des Etats européens à réduire significativement leurs budgets de défense dès le début des années 1990, l'évolution actuelle des dépenses militaires s'avère plus contrastée.

Le Royaume-Uni et la France ont ainsi décidé de revaloriser fortement leurs crédits militaires. Il convient néanmoins de préciser que le Royaume-Uni a infléchi la tendance à la baisse de ses dépenses militaires dès 1995, par une augmentation significative de ses crédits d'équipement. En revanche, le redressement du budget de défense français, plus particulièrement des dépenses d'équipement, est intervenu plus tardivement, ainsi que cela a été retracé dans la première partie du présent rapport. De ce fait, est apparu à partir de 1996 un véritable décrochage entre les deux pays, particulièrement en matière d'équipement, que la hausse marquée des crédits de titre V réalisée en 2003 et 2004 par la France doit permettre de limiter.

Source : DGA

Parallèlement, nombre de pays européens ont poursuivi la baisse de leur budget de défense engagée depuis 1991, ainsi que le montre l'évolution du poids des dépenses militaires au sein de leur PIB depuis 1994.

Montant des dépenses de défense en pourcentage du PIB depuis 1994

 

(basées sur les prix courants)

 
 

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

prévisions

France

2,36

2,16

2,07

2,04

1,87

1,84

1,75

1,69

1,70

1,74

Royaume-Uni

3,07

2,79

2,75

2,52

2,48

2,37

2,34

2,31

2,32

2,28

Allemagne

1,37

1,28

1,26

1,21

1,19

1,18

1,18

1,16

1,16

1,11

Italie

1,24

1,07

1,15

0,85

0,89

0,94

1,04

1,01

0,92

0,92

Grèce

3,54

3,51

3,72

3,76

3,98

3,99

3,99

3,69

3,51

3,47

Pologne

2,27

2,14

1,58

1,67

1,59

1,52

1,45

1,47

1,43

1,47

Espagne

1,24

1,19

1,12

1,06

1,02

0,99

0,96

0,94

0,92

0,89

Source : Memorandum statistique de l'OTAN

 

Cette inflexion est actuellement poursuivie. Ainsi, le gouvernement allemand a décidé en décembre 2002 de stabiliser son budget de défense à 24,4 milliards d'euros et de réduire sensiblement plusieurs de ses commandes d'équipement : 60 avions de transport A 400 M seront finalement acquis, au lieu des 73 appareils initialement prévus ; de même, les intentions d'achat allemandes du missile air-air Meteor ont été fortement réduites, passant de 1 488 à 600 exemplaires, les commandes de missiles air-air Iris-T subissant une déflation proportionnellement moins importante, avec 1 250 exemplaires contre 1 812 décidés à l'origine.

Le ministère de la défense des Pays-Bas s'est vu également imposer une série de mesures d'économies en juillet dernier, qui doivent se traduire par la fermeture d'installations et le retrait du service de nombreux matériels, au nombre desquels figurent 29 chasseurs F-16A, 10 avions de patrouille maritime et 6 hélicoptères de combat Apache. L'arrivée de missiles anti-aériens Patriot sera retardée de deux ans et la commande d'avions de combat Joint Strike Fighter pourrait être revue à la baisse.

Si le budget de défense italien a connu une légère progression en 2003, celle-ci a concerné pour l'essentiel les dépenses de rémunération des personnels ; les crédits d'investissement, incluant la recherche et le développement ainsi que le renouvellement des équipements, ont diminué de 4,1 % par rapport à 2002, passant de 3,499 à 3,357 milliards d'euros.

Enfin, le budget de défense de la Grèce reste stable en valeur absolue, mais diminue régulièrement en part du PIB : les estimations actuelles prévoient une réduction des dépenses militaires à environ 3 % du PIB à l'horizon 2008, en vue d'une harmonisation progressive avec les taux des autres Etats membres. De surcroît, les dépenses d'équipement doivent diminuer en 2004 au profit de celles de personnel et de fonctionnement des armées ; cette évolution risque d'affecter les capacités d'acquisition de matériels, même si certains programmes d'armement sont financés par des procédures d'emprunts directement remboursés par le ministère des finances, donc hors du budget de la défense.

Ce bref panorama met en exergue la tendance à la baisse des dépenses militaires en Europe, qui résulte pour partie des contraintes budgétaires des différents Etats. Les gouvernements allemand et italien affichent d'ailleurs leur volonté de redresser à terme leur effort de défense, pour atteindre un ratio des dépenses militaires par rapport au PIB de 1,5 %. Pour autant, les évolutions actuelles conduisent à un renforcement de l'écart constaté entre les deux principales puissances militaires européennes, le Royaume-Uni et la France, et les autres Etats, ce qui n'est pas sans conséquences sur la mise en oeuvre de coopérations dans un cadre européen.

Enfin, il n'est pas sans intérêt de comparer les ratios des dépenses d'équipement rapportées aux effectifs des forces armées pour les différents Etats : leur examen permet de constater de fortes disparités, illustrant des conceptions et des priorités très différentes en matière d'équipement des forces.

Dépenses d'équipement rapportées aux effectifs

(en milliers d'euros)

Royaume-Uni

France

Pays-Bas

Danemark

Allemagne

Italie

Espagne

Portugal

2001

40,7

25,6

26,4

18,4

13,2

10,4

9,6

3,4

2002

39,6

27,3

24,7

20,2

12,8

13,8

10

3,2

Source : Eurodéfense.

Si la protection du territoire national constitue le principal objectif des concepts de défense des différents pays européens, certains d'entre eux, tels que la France, le Royaume-Uni et l'Italie, s'engagent davantage dans des interventions extérieures, cette spécificité trouvant sa source dans leur histoire, mais aussi dans le rôle qu'ils entendent assumer dans une région ou, plus généralement, sur la scène internationale. À ces différences conceptuelles, s'ajoutent des problématiques particulières à certains Etats. À titre d'exemple, au-delà de la défense du territoire national, les forces armées grecques ont pour mission d'assurer celle de Chypre, qui est pour partie sous occupation turque ; la Grèce a signé en 1997 un accord intégrant l'île dans un « espace unique de défense » et y entretient une force de 2 500 hommes. Il convient de rappeler également que l'Union européenne compte deux puissances nucléaires, la France et le Royaume-Uni.

De surcroît, le statut des Etats membres de l'Union européenne et des pays candidats à l'égard de l'OTAN n'est pas homogène : la plupart de ces pays sont membres de l'OTAN ou sur le point de le devenir, mais d'autres ont fait le choix de la neutralité, coopérant avec l'OTAN dans le cadre du partenariat pour la paix.

Au-delà des différences de statut, les Etats de l'Union membres de l'OTAN n'ont pas nécessairement la même conception du rôle et de la position de l'organisation vis-à-vis de la politique européenne de sécurité et de défense. Certains, tels le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne et la Portugal, manifestent un fort attachement à l'OTAN, considérant que cette organisation est la plus à même d'assurer la sécurité de l'Europe ; ils insistent sur le fait que les moyens de l'Union en matière de gestion des crises de haute intensité ne doivent pas dupliquer ceux de l'OTAN. Par ailleurs, la plupart des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, longtemps soumis à la domination soviétique, comptent parmi les Etats les plus atlantistes d'Europe.

Tant la diversité des concepts de défense des différents pays que l'intensité de leur ancrage à l'OTAN emportent des conséquences directes sur leurs priorités définies en matière d'équipement, mais aussi sur l'acquisition ou non de matériels auprès du partenaire américain et sur leur volonté de participer à des programmes d'armement en coopération européenne : les Etats souhaitant conserver une certaine autonomie vis-à-vis des Etats-Unis, tels que la France, donnent la priorité à l'achat d'équipements nationaux ou européens, alors que des pays plus atlantistes recourent davantage à des matériels américains.

Le cas du Royaume-Uni est à cet égard particulier : du fait des relations étroites qu'il entretient avec les Etats-Unis et de l'ancrage américain de son industrie de défense, le Royaume-Uni coopère de façon approfondie avec ce pays en matière d'équipement ; ses forces armées ont fait l'acquisition de nombreux matériels américains, tels que les missiles de croisière navals Tomahawk ou encore les avions de transport Hercule C 130. Par ailleurs, le Royaume-Uni a acquis la force nucléaire en bénéficiant d'une aide particulière des Etats-Unis, en application des accords de Nassau et de Washington ainsi que de son adhésion à l'accord AUSCANUKUS (Australie, Canada, Royaume-Uni et Etats-Unis). Toutefois, ce partenariat transatlantique n'exclut nullement un ancrage européen, le Royaume-Uni participant également à plusieurs programmes d'équipement en coopération européenne, tels que l'avion de transport A 400 M, le missile de croisière Meteor et l'avion de combat Eurofighter.

D'autres Etats européens diversifient leurs acquisitions d'équipement et disposent de matériels tant américains que nationaux et européens. La Grèce a ainsi commandé 60 avions de combat américains F-16 Block 52 et 25 appareils français Mirage 2000-5 Mk2, dont les premières livraisons doivent intervenir respectivement en 2003 et 2004 ; de même, son parc d'hélicoptères comportera des appareils américains Apache, les 12 exemplaires récemment acquis s'ajoutant aux 20 AH-64A déjà en service, mais aussi des hélicoptères de transport européens NH 90, 20 exemplaires ayant été commandés à Eurocopter en septembre 2003. De même, si l'Espagne participe à deux programmes européens majeurs par sa commande de 27 avions A 400 M et de 87 avions de combat Eurofighter, elle a également lancé un programme de six frégates F-100 développé en coopération par le groupe espagnol Izar et l'américain Lockheed Martin.

Le degré de coopération de certains pays européens avec les Etats-Unis a été considérablement renforcé par leur participation au programme américain d'avion de combat Joint Strike Fighter, appelé aussi F-35 : le Royaume-Uni, l'Italie, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège se sont ainsi engagés à financer ce programme à hauteur de 4 milliards d'euros sur dix années. D'aucuns ont pu déplorer l'incapacité des Etats européens à fédérer leurs efforts autour d'un programme européen d'avion de combat, au lieu de consacrer une part significative de leurs ressources budgétaires à un projet américain.

Si des différences conceptuelles apparaissent entre les différents Etats européens, l'examen de leurs doctrines militaires et de leurs stratégies d'équipement permet de dégager plusieurs points de convergence, susceptibles de se traduire par l'émergence de besoins opérationnels et d'équipement communs.

· Le développement de capacités de projection et l'engagement dans des opérations extérieures :

La capacité de projeter des forces armées dans le cadre d'une opération extérieure, mise en _uvre soit par l'OTAN, soit par l'Union européenne, soit par des coalitions, constitue une orientation essentielle des doctrines militaires actuelles des principaux Etats européens, qui leur impose de développer leurs capacités de transport stratégique et tactique.

Ainsi, le modèle d'armée 2015, défini par la France en 1996 et actualisé depuis lors, ainsi que la Strategic Defence Review, qui définit la politique de défense du Royaume-Uni et a été revue en juillet 2002, assignent pour objectif à leurs forces armées de pouvoir se déployer dans la durée dans des opérations extérieures de haute intensité. S'agissant de l'Italie, sa stratégie d'équipement et d'emploi de forces, déterminée par le nouveau modèle d'armée 2007-2010, précise que ses forces armées doivent être en mesure de conduire des opérations de gestion de crise, le volume maximal de forces projetables dans la durée pour l'armée de terre étant estimé à 13 000 hommes. De même, la nouvelle stratégie de défense de la Grèce, adoptée le 29 mars 2002, prévoit la réforme de ses forces et de ses structures de commandement afin de les adapter aux exigences des engagements extérieurs.

· Le renforcement des systèmes de commandement, de renseignement et de communication :

De nombreux Etats européens ont pris conscience de l'importance de tels systèmes, permettant d'apprécier une situation de manière autonome, de maîtriser la transmission des informations obtenues et de planifier et de conduire des opérations.

L'actualisation du modèle d'armée 2015 français met ainsi l'accent sur l'augmentation des moyens de commandement, de renseignement et d'appréciation de situation au sein du système de forces dit C3R (commandement, communication, conduite, renseignement). L'Italie a décidé d'accroître les moyens consacrés aux capacités de commandement et d'information de ses forces et l'Espagne a fortement augmenté les crédits budgétaires alloués à la fonction de renseignement. Parallèlement, la Strategic Defence review britannique fixe pour priorité le développement de la « network centric capability », permettant l'acquisition de renseignements précis alimentant des centres décisionnels en temps réel.

· L'interarmisation :

L'inflexion vers une interarmisation accrue des forces armées est particulièrement marquée au Royaume-Uni, qui a engagé en ce sens de profondes réformes. Ainsi, depuis le 1er avril 2000, les moyens logistiques des trois armées ont été regroupés au sein d'une seule organisation, la Defence Logistic Organisation (DLO), dont le chef a le même rang qu'un chef d'état-major. La responsabilité de l'ensemble des budgets d'équipement des trois armées relève désormais d'un organe unique, le Central Staff, qui détermine le financement des capacités jugées prioritaires. Enfin, l'essentiel des moyens de défense anti-aérienne de l'armée de terre et de l'armée de l'air a été mis en commun et les centres de doctrine de chaque armée ont été fusionnés en un seul centre interarmée, le Joint Defence Center.

D'autres Etats ont engagé une telle évolution, dans de moindres proportions néanmoins. La Grèce cherche ainsi à remédier à la mauvaise coordination entre ses armées et a révisé pour ce faire ses structures de commandement opérationnel en créant cinq états-majors interarmées subordonnés au chef d'état-major général. L'Espagne a également entrepris de réformer ses structures militaires, quatre décrets du 6 septembre 2002 mettant en _uvre une réorganisation des forces afin de privilégier l'action interarmée.

· La professionnalisation des armées :

Nombre d'Etats européens ont mis en _uvre la professionnalisation de leurs forces armées, à des degrés divers cependant ; une telle évolution n'est pas sans incidence sur le format des armées et sur leurs stratégies d'équipement.

Si le Royaume-Uni a mis en place une armée de métier dès 1964, la professionnalisation est plus récente dans les autres pays. Elle a été engagée en 1996 en France et est désormais achevée, alors qu'elle est effective en Espagne depuis le 1er janvier 2002. Parallèlement, elle est progressivement mise en place en Italie et devrait être terminée en 2005. L'Allemagne a également amorcé en 2000 une réforme en ce sens, alors que la Grèce a décidé une professionnalisation partielle de ses forces par la réduction de la durée du service national.

Prenant conscience que la construction de l'Europe de la défense devait être étroitement associée à la mise en place d'une véritable politique d'armement commune, les Etats européens ont créé les premiers mécanismes de coopération en matière d'équipement au cours des années 1990, tant dans un cadre institutionnel qu'au titre d'initiatives ad hoc. Ces instruments, dont la portée et l'efficacité sont variables, se sont multipliés, mais c'est à partir de 1999 que la réflexion sur ces coopérations a connu une impulsion importante, aboutissant à la proposition de créer une véritable agence européenne de l'armement. De nombreux programmes communs d'équipement ont été engagés dans le cadre de ces différents instruments, mais aussi par des accords conclus directement entre les Etats, et ont abouti, dans certains domaines, à de véritables réussites.

Dès les années 1960, les gouvernements des principaux Etats européens producteurs d'armement ont mis en place les premiers accords de coopération, qui ont notamment conduit aux programmes franco-allemands d'avions Transall et Alphajet ainsi qu'aux programmes franco-britanniques d'hélicoptères Lynx, Puma et Gazelle. Cependant, afin de développer de telles coopérations et de leur donner un cadre plus formalisé, plusieurs instruments ont été mis en place au cours des années 1990.

Les traités de Maastricht et d'Amsterdam ont désigné le GAEO (groupe armement de l'Europe occidentale), organe rattaché à l'UEO () (Union de l'Europe occidentale), comme l'instance européenne de coopération dans le domaine de l'armement. Réunissant les ministres de la défense et les directeurs nationaux d'armement, le GAEO s'est vu confier la mission de contribuer à l'harmonisation des besoins opérationnels des Etats membres, au développement en commun de programmes d'équipement ainsi qu'au renforcement de la recherche et technologie (R & T) de défense. Dans ce dernier domaine, le GAEO dispose d'instruments destinés à faciliter et à intensifier les coopérations ; le programme Euclid, auquel participent l'industrie et divers établissements de recherche, a ainsi été mis en place en 1990, date de la signature du mémorandum d'entente cadre : 165 projets de recherche et de technologie ont été lancés dans ce cadre, 120 d'entre eux étant actuellement poursuivis. Il convient de mentionner également la procédure Eurofinder, devenue opérationnelle en mars 1996 et destinée à promouvoir les propositions spontanées des industriels, le programme Thales, créé en 1996 pour renforcer les coopérations entre les laboratoires étatiques ainsi que le dispositif Europa, créé en mai 2001, qui constitue un cadre de coopération plus souple.

En revanche, dans le domaine du développement en commun de programmes d'équipement, l'activité du GAEO a été largement limitée : l'absence de personnalité juridique, l'application de la règle de l'unanimité pour toute décision et les volontés parfois peu compatibles des Etats producteurs d'armement et de ceux ne disposant pas d'une base industrielle de défense ont finalement réduit son efficacité, le GAEO devenant de fait un simple forum de discussion (). Afin de pallier ces difficultés, le Conseil des ministres de l'UEO a décidé le 19 novembre 1996 de créer un organisme subsidiaire, l'organisation de l'armement de l'Europe occidentale (OAEO), jouissant, dans le cadre de la personnalité juridique de l'UEO, d'une plus grande autonomie ; cependant, à ce jour, ses activités restent limitées à la passation de contrats dans le domaine de la recherche de défense.

Parallèlement, la Commission européenne a cherché à intervenir en matière d'armement, son action étant cependant fortement encadrée par l'article 296 du traité instituant les Communautés européennes : cet article introduit la possibilité de déroger aux règles du marché commun dans le domaine de la production ou du commerce d'armes, de munitions et de matériels de guerre, qui relève de la protection des intérêts de sécurité des Etats membres. La Commission a néanmoins fait part aux Etats membres de sa volonté de s'impliquer dans ce domaine et a publié trois communications sur ce thème en 1996, puis en 1997 : considérant qu'il existait une réelle compétence communautaire en matière d'armement, elle préconisait l'utilisation conjointe des instruments communautaires et de ceux relevant de la PESD. Cependant, la démarche de la Commission s'est heurtée aux réticences des Etats membres et n'a pas été suivie d'effet.

La portée limitée des travaux du GAEO et la complexité des mécanismes communautaires ont conduit les principaux Etats européens producteurs d'armement à créer deux structures ad hoc de coopération, l'organisation conjointe en matière d'armement (OCCAR) et la LoI (letter of intent).

C'est sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, rejoints ensuite par le Royaume-Uni et l'Italie, qu'a été créée en 1996 l'OCCAR (organisation conjointe de coopération en matière d'armement), destinée à gérer des programmes en coopération européenne. En application d'une convention signée par les quatre Etats le 9 septembre 1998, elle a acquis la personnalité juridique le 28 janvier 2001, ce qui lui confère une autonomie contractuelle, la capacité d'employer des personnels et la possibilité d'acquérir des biens. En revanche, elle n'est pas dotée de fonds propres et ne peut être propriétaire des matériels militaires qu'elle acquiert.

L'OCCAR est fondée sur des principes de coopération particulièrement intégrateurs afin de conduire les programmes d'armement de façon plus efficace, en évitant les duplications d'investissements industriels. La nouvelle organisation privilégie ainsi la constitution d'équipes de programme transnationales et prévoit la globalisation du juste retour industriel sur plusieurs programmes et sur plusieurs années. Dans la majorité des programmes d'équipement menés en coopération jusqu'alors, les Etats appliquaient strictement la règle du juste retour, selon laquelle le niveau de participation de l'industrie des Etats dans un programme doit être proportionnellement équivalent à celui de leur contribution financière ; cette règle très contraignante a souvent abouti à la constitution de montages industriels inefficaces.

Aux termes de la convention, l'OCCAR est ouverte à d'autres Etats, à condition qu'ils participent à un programme significatif géré par l'organisation et qu'ils en acceptent les règles et les principes de fonctionnement. C'est ainsi que la Belgique, qui participe au programme A 400 M, a rejoint l'OCCAR le 27 mai 2003 en ratifiant la convention. L'Espagne, qui a annoncé son engagement dans le programme d'hélicoptère Tigre en septembre 2003, a lancé le processus de ratification pour devenir membre.

Les Etats membres ont confié à l'OCCAR un nombre significatif de programmes : en 1996, ont ainsi été intégrés les programmes franco-allemands d'hélicoptère Tigre, de systèmes de missiles Roland, Hot et Milan (), suivis en 1999 par le programme franco-germano-britannique de radar de contrebatterie Cobra, le programme franco-italien FSAF (famille de systèmes sol-air futur) et le programme germano-britannique de véhicule blindé MRAV/GTK, rejoint en 2000 par les Pays-Bas et rebaptisé depuis Boxer. L'année 2003 constitue une étape marquante pour l'OCCAR puisque cette dernière s'est vu confier en mai la gestion du programme A 400 M, qui engage sept Etats européens pour un montant total de plus de 20 milliards d'euros.

Adoptant une approche pragmatique et concrète, l'OCCAR a obtenu des résultats tangibles en matière de coopération sur des programmes d'équipements. Toutefois, si sa convention constitutive lui ouvrait la possibilité d'intervenir en matière de recherche et de convergence de besoins opérationnels, ces potentialités sont restées en sommeil.

Parallèlement, dans la droite ligne des travaux menés au sein du GAEO, les ministres de la défense des quatre pays fondateurs de l'OCCAR ainsi que ceux de la Suède et de l'Espagne se sont accordés sur la nécessité d'harmoniser leurs réglementations nationales en matière d'industrie de défense, afin de réduire les obstacles au bon fonctionnement des groupes européens d'armement en voie de création. Les négociations entre les six Etats, qui représentent à eux seuls 90 % de la production d'armement en Europe, ont abouti à la signature en juillet 1998 d'une lettre d'intention (letter of intent) dite LoI, destinée à faciliter les restructurations des industries de défense. Ce document a conduit à la conclusion en juillet 2000 d'un accord-cadre juridiquement contraignant ayant valeur de traité international. La LoI peut ainsi se définir comme un cadre de réflexion en matière industrielle et ne relève pas de la même démarche que l'OCCAR.

La multiplicité et la diversité des mécanismes mis en place ont conduit à un certain manque de lisibilité de la politique de coopération européenne, faisant apparaître la nécessité de rationaliser les instruments existants.

La nouvelle impulsion donnée à la PESD lors des Conseils européens de Cologne puis d'Helsinki, en 1999, a privilégié une approche opérationnelle, en prévoyant de doter l'Union des capacités militaires nécessaires pour déployer à l'horizon 2003 une force de 60 000 hommes. Cette inflexion a suscité une intensification des débats sur la coopération des Etats membres en matière d'armement, aboutissant à deux initiatives.

Une démarche capacitaire a été tout d'abord engagée afin d'identifier les insuffisances opérationnelles des Etats membres et de les pallier. Au cours de l'année 2001, les moyens disponibles des différents pays ont ainsi été recensés. Ces travaux ont permis d'identifier les lacunes capacitaires européennes et ont conduit au lancement du processus ECAP (European Capabilities Acquisition Plan) en février 2002, qui vise à combler ces lacunes. La démarche du plan ECAP comporte deux phases. Tout d'abord, dix-neuf groupes capacitaires ont été constitués afin d'affiner le besoin opérationnel commun, d'analyser les projets en cours et à venir et d'établir des recommandations sur les coopérations possibles et sur la mise en commun des ressources et des moyens ; coordonnés par la Headline Task Force, les groupes ont rendu leurs travaux en mars 2003. Ensuite, s'appuyant sur les résultats obtenus, dix groupes de projet ont été lancés afin de renforcer des capacités spécifiques et de créer des pôles d'excellence dans ces domaines.

Parallèlement, les travaux menés dans le cadre du groupe « défense » de la Convention sur l'avenir de l'Europe ont abouti à une proposition ambitieuse : la création d'une agence européenne d'armement et de recherche stratégique, destinée à renforcer la coopération européenne en matière d'équipement. Cette proposition a été reprise dans le projet de Constitution européenne, qui prévoit dans son article III-212 la création d'une Agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires et définit les missions de celles-ci.

Si les négociations sur le projet de Constitution européenne viennent de s'ouvrir dans le cadre d'une conférence intergouvernementale et peuvent conduire à des modifications du texte proposé, le projet de création d'une agence européenne de l'armement recueille l'adhésion de nombreux Etats membres. Les conclusions du Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 soulignaient ainsi la nécessité de créer une telle agence au cours de l'année 2004. De fait, sa mise en place constituerait une avancée considérable, en permettant de rationaliser et de simplifier les mécanismes de coopération actuels, qui pourraient y être intégrés.

Dans le cadre des mécanismes de coopération ainsi détaillés, mais aussi dans celui de l'OTAN et sur la base de partenariats conclus directement entre Etats, nombre de programmes communs d'équipement ont été menés avec succès. La France a joué un rôle particulièrement actif dans ce domaine : les programmes conduits en coopération représentent une part significative de ses dépenses d'équipement, de l'ordre de 20 %, et c'est avec l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie qu'elle a engagé le plus grand nombre de partenariats.

Trois programmes communs d'hélicoptères constituent des réussites manifestes : le programme d'hélicoptère de transport NH 90, associant la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal ; le programme d'hélicoptère d'attaque Tigre, mené par la France et l'Allemagne ; le programme d'hélicoptère de transport EH 101, réunissant le Royaume-Uni et l'Italie. Ces trois programmes répondent aux besoins opérationnels des Etats participants et obtiennent également de bons résultats à l'exportation ; à titre d'exemple, l'appareil NH 90 a fait l'objet de commandes de la part de la Grèce, de la Finlande, de la Norvège et de la Suède.

La coopération européenne en matière de missiles s'est également avérée fructueuse : des programmes majeurs sont en cours, tels que le missile de croisière Scalp/Storm Shadow, associant la France, le Royaume-Uni et l'Italie, le système de missiles sol-air FSAF/PAAMS, conduit par la France et l'Italie, ou encore le missile air-air Meteor, réunissant six Etats européens.

Plusieurs réussites méritent d'être soulignées dans le domaine spatial : le programme de satellite d'observation Helios II, mené à titre principal par la France, mais associant depuis 2001 la Belgique et l'Espagne, conduira à un partenariat avec l'Allemagne et l'Italie par le biais d'un échange de capacités, dans le cadre du programme de segment sol d'observation spatiale (SSO). Le lancement du programme de système de navigation par satellite Galileo, en mai 2003, par l'agence européenne de l'espace constitue par ailleurs une avancée considérable aux importantes retombées militaires, car il permettra aux Etats européens de s'affranchir des données fournies par le seul système existant actuellement, l'américain GPS (Global Positioning System).

La mise en oeuvre du programme A 400 M représente également un succès indéniable : ce matériel répond à un besoin opérationnel partagé par de nombreux Etats membres et dispose de réelles perspectives d'exportation.

Enfin, dans le domaine naval, il convient de signaler le développement du programme de frégates anti-aériennes Horizon par la France et l'Italie : si cette coopération a connu quelques difficultés à ses débuts en raison du retrait du Royaume-Uni en 1999, elle se poursuit actuellement de façon très satisfaisante. Un programme commun de frégates multimissions pourrait également être engagé par les mêmes pays, les négociations étant actuellement en phase finale.

Cependant, ces succès ne doivent pas occulter les difficultés associées à la conduite d'un programme en coopération, qui ont affecté nombre de projets, voire ont conduit à leur abandon. La première étape d'une coopération consiste en effet à identifier un programme susceptible de convenir à plusieurs pays, qui doivent avoir des besoins opérationnels proches, intervenant selon un calendrier similaire. La volonté politique des Etats joue alors un rôle essentiel : en l'absence de consensus sur les spécifications opérationnelles de l'équipement et sur le déroulement de la coopération, celle-ci est vouée à l'échec. À titre d'exemple, les Etats européens ne sont pas parvenus à s'accorder sur un projet commun d'avion de combat, ce qui a conduit à la coexistence de trois programmes différents en Europe : le français Rafale, l'Eurofighter, associant notamment le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie, ainsi que le suédois Gripen. La même situation se retrouve dans le domaine de l'armement terrestre, trois programmes de chars blindés - Léopard II, Challenger et Leclerc - ayant été développés dans un cadre national.

De surcroît, la définition du montage industriel impliquant les groupes de défense des différents Etats participants peut donner lieu à des difficultés : si ce montage doit préserver les intérêts des industries de chacun, il ne doit pas aboutir à entériner des solutions économiquement inefficaces. Or, la stricte application du principe de juste retour sur certaines coopérations a parfois conduit à dupliquer des structures industrielles, mais aussi à confier à un Etat des tâches nécessitant des compétences technologiques qu'il ne maîtrise pas suffisamment. Le cas de l'Eurofighter est ainsi souvent cité comme un contre-exemple en matière de coopération : la répartition des tâches qui a été retenue a entraîné des retards, des surcoûts ainsi que des difficultés techniques, lesquels ont été mis en exergue par un rapport de la Cour des comptes allemande en septembre 2003.

Les aléas pesant sur les ressources budgétaires des Etats participants ont parfois entraîné des difficultés pour le lancement et le déroulement des programmes, comme ce fut le cas pour l'avion de transport A 400 M et le missile Meteor. Enfin, il arrive que certains pays abandonnent un programme en coopération dans lequel ils avaient accepté dans un premier temps de s'engager, préférant recourir à une autre solution ; à titre d'exemple, le Royaume-Uni s'est retiré en 1998 du programme de télécommunication spatiale Trimilsatcom, alors que l'Italie, puis le Portugal se sont désengagés du programme A 400 M.

Donner une réelle crédibilité à l'Europe de la défense implique de renforcer les capacités opérationnelles et l'interopérabilité des équipements des Etats de l'Union. Ces impératifs, conjugués au niveau limité des ressources budgétaires européennes consacrées aux matériels de défense, plaident pour un fort développement des programmes d'armement en coopération, en rendant plus efficaces les mécanismes existants et en intervenant davantage en amont, notamment en matière de recherche et technologie. Une telle approche, permettant d'éviter la dispersion des efforts nationaux de défense, s'avère indispensable pour que l'écart entre l'Europe et les Etats-Unis ne s'accroisse pas davantage et doit être associée à la revalorisation des dépenses militaires européennes.

Le budget de défense des Etats-Unis s'élevait pour 2003 () à 364 milliards de dollars, en augmentation continue depuis 1998 ; ce montant ayant été ensuite complété par 46 milliards de dollars de crédits supplémentaires destinés aux opérations extérieures, il atteint finalement 410 milliards de dollars, soit environ 3,5 % du PIB.

Au total, le budget de défense américain représente environ 36 % du total des dépenses militaires mondiales et plus du double de celles de tous les Etats européens réunis. De surcroît, le gouvernement américain a décidé d'accroître son budget militaire jusqu'en 2009, alors que l'effort de défense de l'ensemble des pays de l'Union a tendance à diminuer, ou du moins à se stabiliser.

L'écart budgétaire croissant entre l'Europe et les Etats-Unis se traduit par un écart encore plus prononcé en termes opérationnels, du fait de la dispersion des moyens militaires des différents Etats européens ; on estime généralement que les capacités opérationnelles de ces derniers représentent environ 10 % de celles des Etats-Unis.

En outre, la supériorité militaire américaine est d'ordre quantitatif, mais aussi qualitatif, en raison des masses financières considérables que les Etats-Unis allouent à la recherche et technologie : elles s'élèvent à 56,8 milliards en 2003, soit environ cinq fois plus que les dépenses de tous les Etats européens dans ce domaine. C'est à ce titre qu'est souvent évoquée l'apparition d'un véritable gap (fossé) technologique entre l'Europe et les Etats-Unis, qui serait particulièrement manifeste dans certains domaines, tels que les tirs à longue distance, les liaisons de données, les drones et les systèmes de défense aérienne. S'il convient de ne pas exagérer le retard technologique de l'Europe à l'égard des Etats-Unis - ces derniers ayant été par exemple très favorablement impressionnés par les performances du missile Storm Shadow, produit en coopération par le Royaume-Uni, la France et l'Italie, lors du conflit irakien -, il est patent que l'évolution de leurs dépenses respectives de R & T risque de l'accentuer.

Il apparaît indispensable de ne pas laisser se creuser davantage l'écart militaire entre les Etats-Unis et l'Europe de la défense. D'une part, ce gap risque d'affecter à terme l'interopérabilité entre leurs forces armées, ce qui pourrait constituer un obstacle à la conduite d'opérations militaires communes sur un pied d'égalité. D'autre part, l'Europe doit être en mesure de mener une politique de défense autonome, ce qui implique qu'elle se dote des capacités opérationnelles nécessaires.

C'est pourquoi un double effort doit être engagé. Il est fondamental que les Etats européens revalorisent leur budget militaire, à l'exemple de la France et du Royaume-Uni, pour donner davantage de crédibilité à l'Europe de la défense. Ce redressement doit être accompagné d'une coopération accrue en matière d'équipement et de recherche, afin de réduire la dispersion des moyens financiers consacrés à la défense par les Etats européens.

La proposition de création d'une agence européenne de l'armement suscite beaucoup d'attentes : offrant un cadre institutionnel unique de coopération, une telle agence devrait permettre de rationaliser les mécanismes existants dans ce domaine, trop nombreux et dispersés, et conduire à développer considérablement l'acquisition en commun d'équipements militaires ainsi que la coopération en matière de R & T.

Aux termes du projet de Constitution européenne, l'agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires se voit assigner cinq missions :

- contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des Etats membres ;

- promouvoir l'harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption de méthodes d'acquisition performantes ;

- proposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs de capacités militaires et assurer la coordination des programmes exécutés par les Etats membres et la gestion de programmes de coopération spécifiques ;

- soutenir la recherche en matière de technologie de défense ;

- contribuer à identifier et, le cas échéant, mettre en _uvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires.

S'il n'est nul besoin d'insister sur l'importance et l'étendue des missions ainsi énumérées, nombre d'interrogations subsistent sur les modalités de fonctionnement et d'organisation de l'agence ainsi que sur ses compétences précises. De telles questions revêtent une importance considérable, car ce sont elles qui conditionneront in fine le bon fonctionnement du dispositif.

En premier lieu, tous les Etats de l'Union ont vocation à devenir membres de cette agence ; afin d'éviter tout risque de blocage, envisageable dans la perspective d'un fonctionnement à quinze puis à vingt-cinq membres, il convient de prévoir des mécanismes décisionnels appropriés, permettant aux Etats qui le souhaitent de renforcer leur coopération sur un programme donné d'équipement ou de recherche. Un fonctionnement à « géométrie variable » de l'agence semble être la meilleure garantie de son efficacité.

Par ailleurs, se pose la question de l'avenir des mécanismes de coopération existants, tels que l'OCCAR et le GAEO : à la différence des travaux du groupe « défense » de la Convention sur l'avenir de l'Europe, le projet de Constitution européenne ne précise pas s'ils ont vocation à être intégrés dans l'agence. En tout état de cause, il semble souhaitable de conserver les principes fortement intégrateurs définis par l'OCCAR pour la conduite de programmes d'équipement communs, notamment celui du juste retour globalisé.

Enfin, il serait envisageable de prévoir au sein de l'agence un mécanisme destiné à mieux garantir le financement par les Etats des programmes conduits en coopération, afin que les difficultés financières ponctuelles d'un pays ne remettent pas en cause le déroulement du projet, voire celui-ci dans son ensemble.

La création de l'agence européenne de l'armement constitue l'occasion d'améliorer considérablement les principes de coopération actuellement en application, afin de résoudre les difficultés jusque là associées aux programmes menés en commun. Sa mise en place doit se faire de façon pragmatique, avec pour seul objectif l'efficacité opérationnelle.

La démarche ECAP, dont les modalités ont été évoquées plus haut, s'avère particulièrement pertinente en ce qu'elle procède de façon concrète et progressive, en identifiant tout d'abord les lacunes opérationnelles des Etats européens, puis en recherchant les moyens d'y remédier dans le cadre de groupes de projet spécialisés. Dix groupes ont ainsi été constitués et travaillent sur des capacités opérationnelles très diverses : drones, espace, ravitaillement en vol, recherche et sauvetage de combat, états-majors d'opérations, forces d'opérations spéciales, transport aérien stratégique, protection nucléaire, balistique et chimique, défense antibalistique de théâtre et opérations d'évacuation humanitaire.

Une telle approche en amont semble la plus à même d'aboutir à l'émergence de projets concrets et elle doit constituer un axe majeur de la coopération entre les Etats européens. Il semble néanmoins nécessaire que les travaux menés dans ce cadre mettent l'accent sur deux domaines capacitaires spécifiques.

Tout d'abord, de réels efforts doivent être consentis en matière de structures de commandement. L'Union européenne ne dispose pas de structure intégrée opérationnelle à ce jour et reste tributaire de celles de l'OTAN, comme l'a illustré l'opération menée en Macédoine. Un accord, dit Berlin plus, a été conclu en décembre 2002 entre l'OTAN et l'Union européenne et prévoit la possibilité pour cette dernière de recourir aux moyens et capacités de l'OTAN.

Lors du sommet qui a réuni en avril 2003 la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, ces Etats ont proposé de constituer un « noyau de capacité collective de planification et de conduite d'opérations pour l'Union européenne », indépendante de l'OTAN. La mise sur pied d'une telle structure soulève toutefois des questions politiques difficiles et suscite notamment de vives oppositions au sein de l'organisation atlantique. Pour autant, une avancée significative a été obtenue à l'issue du sommet de Bruxelles du 20 septembre 2003 réunissant la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ce dernier s'étant rapproché de la position franco-allemande. La participation du Royaume-Uni à un tel projet semble indispensable, ce pays disposant dans ce domaine d'une avance considérable avec son dispositif de Permanent Joint Headquarters. Reste que si la constitution d'une telle structure de commandement relève d'une approche capacitaire, par la mise en place de centres de planification et de conduite des opérations, et pourrait être favorisée par l'interarmisation accrue des forces armées européennes, elle est largement subordonnée à des décisions d'ordre politique.

L'accroissement des capacités de renseignement et de communication doit également constituer une priorité : celles-ci représentent l'un des fondements de l'efficacité des forces armées et sont étroitement liées aux questions de commandement, car elles touchent aussi bien à la collecte et à la sélection des informations pertinentes pour la conduite d'opérations militaires qu'à leur diffusion et à leur exploitation tactique. Ainsi que cela a été relevé plus haut, nombre d'Etats européens ont engagé dans ce domaine des efforts significatifs, qu'il est nécessaire de réunir autour de projets d'équipement communs. La France et les Pays-Bas ont d'ores et déjà décidé de mettre en oeuvre un programme de drone de longue endurance en coopération, auquel la Suède et l'Espagne pourraient se joindre. De surcroît, le lancement par la France du programme de démonstrateur d'avion de combat non piloté (UCAV) devrait également donner lieu à la conclusion de partenariats européens.

La préparation de la conception et du développement des futurs équipements militaires impose un effort soutenu de recherche et technologie, lequel doit être fondé sur l'analyse des menaces auxquelles les Etats peuvent être exposés ainsi que sur l'impact des innovations et des ruptures technologiques sur les systèmes de défense. Les activités de recherche revêtent une importance considérable pour préparer l'avenir et adapter les outils de défense aux évolutions des conflits et des technologies.

Il est donc indispensable de fédérer les travaux de R & T réalisés par les pays européens, tant pour préparer en amont le développement des équipements à venir que pour réaliser des économies d'échelle et éviter la dilution des efforts des Etats dans une multitude d'initiatives. À cet égard, il convient de rappeler l'écart considérable entre les dépenses de R & T des Etats européens et celles des Etats-Unis, qui ont d'ailleurs augmenté de 17 % en 2003.

Plusieurs dispositifs ont été mis en place dans le cadre du GAEO pour promouvoir la coopération en matière de R & T, ainsi que cela a été retracé plus haut ; toutefois, leur portée est restée relativement limitée et seuls 2 % des crédits européens relevant de ce domaine sont gérés dans ce cadre. Parallèlement, depuis le milieu des années 1980, des partenariats bilatéraux ont été mis en _uvre, principalement entre la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ces trois pays assumant l'essentiel de l'effort budgétaire de recherche de défense en Europe ; ces partenariats prennent la forme de programmes au financement partagé, d'échanges de chercheurs et d'utilisation en commun de moyens et d'installations de recherche et d'essais.

Le développement de la coopération en matière de R & T militaire semble largement souhaitable et passe par l'amélioration des dispositifs européens et bilatéraux existants : l'agence européenne de l'armement pourrait jouer dans ce domaine un rôle prépondérant, alors que le projet de Constitution européenne lui assigne pour mission de « soutenir la recherche, coordonner et planifier des activités de recherche conjointes et des études de solutions techniques répondant aux besoins opérationnels futurs ». C'est dans ce cadre que pourront être mis en place des dispositifs souples de coopération, qui définiront les bases des futurs programmes d'équipement en commun.

La conduite de programmes d'équipement communs repose sur l'existence d'une industrie européenne militaire performante, présente sur tous les segments de défense et capable de fournir les matériels répondant aux besoins opérationnels des forces armées. La construction d'une Europe de l'armement et de la défense crédible impose donc de consolider la base industrielle européenne de défense, qui doit faire face à la concurrence exacerbée des entreprises américaines.

Un large mouvement de regroupements engagé aux Etats-Unis dès 1991 a permis l'émergence de quatre groupes de défense puissants et leaders dans leurs secteurs : Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman et Raytheon. Ces entreprises, intervenant sur le marché domestique le plus important du monde, ont par ailleurs pleinement profité de la forte croissance du budget de défense américain ; leurs produits, bénéficiant de considérables réductions de coût du fait de l'effet de série, s'avèrent particulièrement compétitifs à l'exportation.

Face à cette concurrence et dans un contexte de contraction des dépenses militaires européennes, les industries de défense européennes ont à leur tour entrepris à la fin des années 1990 d'importantes restructurations, qui ont abouti à la constitution de trois groupes de dimension mondiale : le britannique BAe Systems, le français Thales et le franco-allemand EADS. Cependant, ces regroupements sont principalement intervenus dans les domaines aéronautiques et d'électronique de défense, les secteurs d'armement terrestre et naval restant largement à l'écart. Dans ces deux derniers domaines, l'industrie européenne s'avère relativement morcelée, ce qui pèse sur sa compétitivité et la rend plus vulnérable.

De fait, le secteur terrestre, et dans une moindre mesure le secteur naval, font face à une offensive sans précédent des entreprises américaines : quatre acteurs terrestres majeurs - le suédois Bofors, l'espagnol Santa Barbara, le suisse Mowag et l'autrichien Steyr - sont ainsi passés sous contrôle américain depuis 1998 alors que le chantier naval allemand HDW, premier constructeur mondial de sous-marins conventionnels, a été racheté par le fonds de pension américain One Equity Partner (OEP). De telles évolutions, qui risquent d'être à terme lourdes de conséquences pour l'indépendance de l'industrie européenne, imposent de rationaliser et de consolider ces secteurs.

La volonté du fonds d'investissement OEP de revendre sa participation dans le groupe allemand HDW pourrait cependant constituer l'occasion d'engager la restructuration du secteur naval européen : des négociations impliquant HDW, l'entreprise navale allemande Thyssen-Krupp et les groupes français Thales et DCN sont en cours et pourraient aboutir à un rapprochement des quatre groupes, voire à terme à la création d'un pendant naval à l'entreprise aéronautique EADS. S'agissant du secteur terrestre, si des restructurations ont été menées dans un cadre national, principalement en Allemagne et au Royaume-Uni, il serait souhaitable que soit engagée une véritable consolidation à l'échelle européenne.

En outre, l'existence de groupes industriels européens intégrés constitue sans nul doute un atout pour la conduite de programmes d'équipement communs, de même que la mise en _uvre de coopérations s'avère structurante pour l'industrie de défense. Il suffit pour s'en convaincre de rappeler que les principaux succès obtenus en matière de coopération sont intervenus dans des secteurs pour lesquels l'industrie européenne a été rationalisée. À titre d'exemple, la conduite de plusieurs programmes européens de missiles, tels que Scalp/Storm Shadow, Meteor et FSAF, est assurée par l'entreprise MBDA, filiale d'EADS, qui résulte de la fusion en 2001 de trois groupes français, britannique et italien. De même, les programmes d'hélicoptères Tigre et NH 90 sont menés par l'entreprise Eurocopter, née d'une fusion entre les activités d'hélicoptères du français Aerospatiale Matra et de l'allemand DaimlerChrysler Aerospace et devenue filiale d'EADS. Enfin, l'existence d'une entreprise européenne aéronautique, Airbus, a considérablement favorisé le lancement du programme commun d'avion de transport A 400 M.

La poursuite de la consolidation de l'industrie de défense européenne s'avère donc nécessaire tant pour garantir son indépendance que pour favoriser le développement de programmes communs d'équipement.

CONCLUSION

Le projet de loi de finances pour 2004 donne les moyens nécessaires pour poursuivre l'effort de redressement de notre outil de défense : la forte revalorisation des crédits d'équipement qu'il réalise permet de respecter l'annuité définie par la loi de programmation militaire pour 2003-2008 pour la seconde année consécutive, ce qui mérite d'être souligné, compte tenu des libertés conséquentes qu'avaient prises les budgets précédents avec les dispositions de la loi de programmation pour 1997-2002.

Pour autant, le montant des crédits des titres V et VI prévu en 2004 ne constitue que le strict minimum pour rattraper les retards accumulés et pour financer les programmes d'équipement indispensables à la réalisation du modèle d'armée 2015. À ceux qui considéreraient que l'effort accompli en 2003, puis en 2004, est excessif, voire disproportionné, on ne peut que rappeler que le budget de défense représente aujourd'hui moins de 1,8 % du PIB, alors qu'il atteignait 4,5 % en 1965.

Garantir la crédibilité et la cohérence de notre outil militaire impose de lui consacrer des ressources financières suffisantes dans la durée. C'est pourquoi l'accroissement du budget de défense réalisé depuis 2003, que l'on ne peut que saluer, devra être confirmé lors des prochains exercices budgétaires, en appliquant strictement les dispositions de la loi de programmation.

Cet effort est d'autant plus nécessaire que notre politique de défense s'inscrit désormais dans un cadre européen : la France assume un rôle moteur dans la construction de l'Europe de la défense, ce qui lui impose de donner des signes tangibles de sa volonté de lui donner de réels moyens. C'est par l'augmentation des dépenses militaires, qui doit être réalisée au niveau européen, et par une coopération accrue en matière d'équipement que l'Europe de la défense pourra être dotée de capacités opérationnelles crédibles.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Michel Barnier, commissaire européen et président du groupe « défense » de la Convention sur l'avenir de l'Europe ;

- M. le général Henri Bentegeat, chef d'état-major des armées ;

- M. le général Bernard Thorette, chef d'état-major de l'armée de terre ;

- M. l'amiral Jean-Louis Battet, chef d'état-major de la Marine ;

- M. le général Richard Woltsztynski, chef d'état-major de l'armée de l'air.

- M. Yves Gleizes, délégué général pour l'armement, accompagné de M. Jean-Pierre d'Hérouville et de M. Francis Chompret.

- M. Maxime Lefebvre, chercheur à l'Institut français des relations internationales ;

- M. Yves Boyer, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique ;

- M. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques ;

- M. Denis Verret, vice-président d'EADS chargé des affaires politiques, accompagné de M. le général Michel Courtet ;

- M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault Aviation, accompagné de M. Bruno Giorgianni.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. -  AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE DE LA DÉFENSE

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le projet de loi de finances pour 2004 (n° 1093), au cours de sa réunion du mardi 30 septembre 2003.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les armées avaient continué à être fortement sollicitées durant l'année, à l'intérieur du territoire national comme à l'étranger. En Macédoine et en République démocratique du Congo, la France a fait la preuve de sa capacité à tenir le rôle de nation cadre pour des interventions placées sous commandement de l'Union européenne. Ces résultats n'auraient pas pu être obtenus sans l'entraînement et les matériels garantis par la loi de programmation militaire.

Le budget de la défense n'est pas un budget comme les autres : il est la condition de notre sécurité, la manifestation de la capacité de la France à remplir son rôle international et un apport important à la vie économique. Le budget de la défense constitue une « assurance-vie » face aux menaces reconnues que sont le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive et la multiplication des conflits régionaux, où des ressortissants français et européens peuvent être touchés. La première mission de la défense nationale est donc la sécurité du territoire, notamment par le biais de la participation aux plans Vigipirate, Vigimer, Vigiair et Biotox. La défense a également pour objectif la sécurité de nos concitoyens hors de France ; un million et demi de Français résident à l'étranger. En Côte d'Ivoire, en République centrafricaine et au Libéria, les forces armées françaises ont assuré la protection et l'évacuation de nos concitoyens, mais également des ressortissants d'autres Etats, européens ou non, assurant ainsi notre devoir de solidarité.

Le budget de la défense contribue à l'affirmation du rôle de la France dans le monde, en donnant à notre diplomatie les moyens concrets qui permettent de mettre en _uvre les principes qu'elle défend. La France est un acteur clé au Conseil de sécurité de l'ONU, pour la lutte antiterroriste, et au sein des opérations de maintien et de rétablissement de la paix. Sa capacité opérationnelle lui permet aussi de jouer un rôle de premier plan dans la construction de l'Europe de la défense ; la loi de programmation militaire a permis à la France de recouvrer la crédibilité nécessaire pour faire progresser celle-ci de façon décisive.

Dans une période de tension budgétaire, il est nécessaire de rappeler que le budget de la défense est un acte économique fort. Il constitue le premier budget d'investissement public en France avec 14,9 milliards d'euros, représente 170 000 emplois directs et engendre des apports financiers, par le biais des exportations, de l'ordre de 4 milliards d'euros en devises. Le budget de la défense a également un fort contenu technologique, dont les retombées débordent largement la sphère militaire et contribuent à la qualité de notre industrie dans les secteurs de pointe. Ainsi, le laser mégajoule bénéficie à l'ensemble de la communauté scientifique. Le ministère de la défense est aussi le premier créateur national d'emplois publics, avec 37 000 recrutements par an, et il joue un grand rôle d'intégration professionnelle en assurant la formation et la reconversion de nombre de ses personnels.

Le projet de loi de finances pour 2004 respecte scrupuleusement la loi de programmation militaire et permet de poursuivre le redressement indispensable de l'outil de défense. Les crédits s'établissent à 32,4 milliards d'euros hors pensions, dont 14,9 milliards d'euros de crédits d'investissement, 3,45 milliards d'euros pour le fonctionnement et 14,06 milliards d'euros pour la masse salariale. Il permet de poursuivre les grands objectifs de la loi de programmation militaire. Au premier rang de ceux-ci, figure le rétablissement de la disponibilité des matériels. Les efforts fournis en 2003 ont porté leurs fruits, mais ils sont encore insuffisants, d'autant plus que le vieillissement des matériels fait fortement croître le coût du maintien en condition opérationnelle. Les crédits de maintien en condition opérationnelle augmenteront de 11 % en 2004 et s'établiront à 2,9 milliards d'euros.

Le projet de budget doit également permettre de poursuivre la modernisation des équipements en matière de dissuasion, pour faire face à la prolifération des armes de destruction massive, ainsi que le développement du renseignement, de la projection, de la frappe dans la profondeur et de la protection des forces et des populations. Les principales livraisons en 2004 seront les suivantes : la marine verra entrer en service le SNLE Le Vigilant ainsi que le dernier lot de missiles M 45 ; en matière de commandement, de communication et de renseignement, les satellites Helios II et Syracuse III seront lancés ; pour la frappe dans la profondeur, l'armée de l'air recevra ses cinq premiers Rafale, avec pour objectif la création d'un premier escadron opérationnel en 2006 ; pour la maîtrise du milieu aéroterrestre, l'armée de terre bénéficiera de sept hélicoptères Tigre et cinquante chars Leclerc ; pour la sécurité intérieure, un nouvel hélicoptère sera livré à la gendarmerie. D'autres commandes seront encore passées, en application des dispositions de la loi de programmation militaire.

La défense a besoin d'anticiper par rapport aux progrès continus des technologies ; l'effort de recherche et de développement atteindra 1,2 milliard d'euros, soit un niveau sensiblement équivalent à celui consenti par le Royaume-Uni. On peut noter que les crédits de recherche et de développement de la France et du Royaume-Uni représentent 80 % du total de l'effort militaire de recherche et de développement en Europe.

En 2004, le recours aux démonstrateurs technologiques se poursuivra. Il est prévu d'en lancer 654 entre 2004 et 2006. Ce sera le cas du drone de combat UCAV, du démonstrateur de satellite d'écoute et du démonstrateur de radar de défense aérienne élargie.

Mais la défense est d'abord constituée de personnels, militaires et civils, ainsi que de réservistes. L'adaptation des effectifs conduira à la création de 1 000 postes d'engagés volontaires de l'armée de terre, de 179 postes d'élèves médecins et infirmiers et de 1 200 postes dans la gendarmerie.

L'entraînement, gage de leur efficacité et de leur sécurité, sera amélioré. Après une détérioration ayant conduit à un seuil critique en 2002, le redressement de l'activité des militaires, engagé par la loi de finances pour 2003, se poursuivra en 2004 avec une hausse de 45,9 millions d'euros. Le nombre de jours d'exercice de l'armée de terre sera porté de 86 à 94, le nombre d'heures de vol des pilotes de l'armée de l'air passera de 165 à 175 et le temps de service à la mer des navires de combat de la marine nationale augmentera de 6 %. Le fonds de consolidation de la professionnalisation sera doté de 46 millions d'euros, dont 27 millions d'euros de mesures nouvelles. Le plan d'amélioration de la condition militaire recevra 53 millions d'euros de mesures nouvelles destinées à pérenniser l'attractivité des armées.

De fortes mesures de reconnaissance à l'égard du personnel civil étaient souhaitables. Des crédits d'un montant de 13,5 millions d'euros permettront de les financer. Ce montant sera, pour la seule année 2004, supérieur à celui des cinq années 1998-2002.

La réserve, dont le rôle est essentiel dans une armée professionnelle, fera l'objet d'une attention particulière. Les civils volontaires seront associés plus largement aux activités opérationnelles. 37 millions d'euros supplémentaires permettront d'augmenter la durée d'activité moyenne des réservistes de 18 à 27 jours par an d'ici 2008, accroissant d'autant leur qualification ; les armées bénéficieront, d'une manière plus régulière, de leur expertise, y compris en opérations extérieures.

Le ministère de la défense, comme tous les ministères, contribuera à la maîtrise des dépenses publiques. Le financement des priorités s'effectuera d'abord par le redéploiement des crédits au sein du budget de la défense. La masse salariale et les crédits de fonctionnement seront réduits de 0,6 % en termes constants. Les personnels civils partant en retraite ne seront pas tous remplacés, grâce à une réflexion générale sur les structures et les métiers du ministère. Une logique de résultats et de performance sera introduite. A cette fin, le contrôle de gestion va se développer. Dans le cadre de la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), des budgets globaux vont être établis dans cinq unités des armées, de la gendarmerie et la DGA (délégation générale pour l'armement). L'expérimentation du programme ministériel portant sur la préparation des forces sera conduite.

Le ministère de la défense entend continuer à rester à la pointe de la modernisation de l'Etat. La création de l'économat des armées entraînera une économie de 12 millions d'euros par an. Le développement de l'externalisation, dont les crédits seront augmentés de 20 millions d'euros, continuera de manière pragmatique, avec le souci de rechercher la plus grande efficacité. Pour 2004, le ministère étudie l'externalisation de la gestion du parc automobile non opérationnel, celle des logements des militaires, de la formation initiale des pilotes d'hélicoptères, du soutien logistique en opérations extérieures et du transport aérien de longue portée. Les établissements publics sous tutelle (écoles de la DGA, musées nationaux...) signeront chacun un contrat d'objectifs comme l'ont déjà fait l'Ecole polytechnique et l'Office national des anciens combattants.

Traduisant la volonté du président de la République et du Gouvernement de poursuivre l'effort de défense, ce projet de budget, fidèle à la loi de programmation militaire, contribuera à assurer la sécurité du pays et permettra à la France de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale. En même temps, il donne un signe clair de la volonté du ministère de la défense de participer pleinement à l'effort de modernisation de l'Etat et marque la confiance que la Nation accorde aux femmes et aux hommes qui assurent sa protection.

Le président Guy Teissier a salué la qualité du projet de budget du ministère de la défense pour 2004. Ce budget traduit un effort renouvelé, notamment pour donner à la France la compétence de nation cadre, un effort partagé, ce qui devrait lui valoir d'être apprécié par la communauté des personnels qui servent la défense, et aussi un effort équilibré, plaçant le ministère à la pointe de la réforme de l'État.

Il a ensuite rappelé à la ministre le souhait de la commission de voir résolue la question des lieutenants retraités avant 1976 et qui, en raison de modifications dans l'échelle des grades, perçoivent actuellement une pension de retraite inférieure à celle qu'ils recevraient s'ils étaient demeurés sous-officiers. Il en coûterait à la nation 380 000 euros pour rétablir l'équité à l'égard de 378 ayants droit et 1 178 ayants cause très âgés et dont le nombre décroît régulièrement, depuis un recensement de juin 2002.

Puis, il a demandé de quelle manière seraient financées les commandes que le ministère de la défense a annoncé vouloir notifier à Giat Industries et qui portent notamment sur 72 canons Caesar et la rénovation de blindés AMX 10 P, dès lors que ces actions ne sont pas prévues par la loi de programmation.

Tout en se déclarant sensible à l'argumentation développée par la commission en faveur des lieutenants retraités avant 1976, Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé qu'un arbitrage défavorable avait été rendu au sein du Gouvernement à l'égard de cette proposition.

Le président Guy Teissier a observé que les dispositions de l'article 40 de la Constitution ne permettaient pas d'envisager d'initiative parlementaire en faveur d'une mesure qui a un coût, même si celui-ci est modeste.

Pour ce qui concerne Giat Industries, Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que la négociation sur le plan social de l'entreprise se déroulait dans les conditions fixées par un accord de méthode conclu entre la direction et l'ensemble des syndicats. L'Etat n'a pas de titre à y intervenir ; en revanche, il a des responsabilités en matière d'aménagement du territoire et d'accompagnement des restructurations, mais aussi en tant que client, à travers le plan de charge. Après avoir examiné les propositions formulées, le Gouvernement a donc consenti un effort supplémentaire se traduisant notamment par la rénovation des AMX 10 P, de 65 engins blindés du génie et l'acquisition de 72 canons automoteurs Caesar. Ce surcroît de commandes est équivalent à 170 millions d'euros et s'ajoute aux 2 milliards d'euros déjà commandés ; il est intégré dans le projet de budget et sera réparti sur plusieurs exercices.

Après avoir indiqué que le groupe socialiste s'opposera à l'ensemble des budgets présentés dans le projet de loi de finances, M. Jean-Michel Boucheron a fait observer que, quoi qu'elle soit relativement bien dotée, la politique de défense de la France pourrait rencontrer deux difficultés majeures. En premier lieu, la justification d'un effort de dotation solide par l'objectif de créer un instrument de défense, non seulement pour la France, mais aussi pour une Europe de la défense naissante, se heurte à l'élément d'affaiblissement de l'Europe constitué par le non-respect par la France, avec un écart important, du pacte de stabilité. En second lieu, l'opinion peut légitimement s'interroger sur l'originalité de la politique de défense de la France et donc sur la pertinence d'un outil militaire spécifique, dès lors que la définition des menaces (terrorisme, armes de destruction massive) est identique à celle qui prévaut aux Etats-Unis et dans d'autres pays européens.

Il a ensuite posé plusieurs questions : les conditions de la diminution de 400 postes de personnels civils peuvent-elles être précisées ? Le budget de la recherche sera-t-il véritablement en augmentation par rapport à celui de l'exercice en cours, d'un montant de 1,24 milliard d'euros ? Des précisions peuvent-elles être données sur le démonstrateur de radar de défense aérienne élargie ? Enfin, comment les anticipations de l'application de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 dans le projet de loi de finances pour 2004 s'insèrent-elles dans la cohérence actuelle des systèmes de force ?

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que l'Europe de la défense, même si elle a besoin d'être confortée, est désormais une réalité. Les opérations menées en Macédoine et en Ituri, la création d'une force de réaction rapide, la réflexion sur un embryon de programmation européenne, les revues de capacités, les programmes européens, la perspective de création d'une agence européenne des capacités en sont autant d'exemples. Sa reconnaissance a beaucoup progressé, y compris au sein des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Il y a aussi une certaine injustice à inclure au sein du pacte de stabilité les dépenses engagées par certains pays européens en faveur de la protection des autres. Les opérations conduites en Côte d'Ivoire, en République centrafricaine et au Libéria ont permis l'évacuation de beaucoup plus de ressortissants européens que de Français, 17 Français sur 850 ressortissants au Libéria. Il est donc paradoxal de comptabiliser au débit de la France des crédits destinés à financer des actions au bénéfice de tous.

Il serait surprenant que la perception des risques par les Etats-Unis soit très divergente de celle des Etats membres de l'Union européenne. Les analyses de la menace sont proches et c'est logique. En revanche, la politique à mener face à ces risques peut être différente : la France est attachée au multilatéralisme, les liens particuliers qu'elle a noués avec certains pays, notamment en Afrique, supposent des moyens spécifiquement adaptés. Sur ce point, en acceptant de prendre à leur charge la stabilité des Balkans, les Etats membres de l'Union européenne ont prouvé que des moyens spécifiques pour l'Europe de la défense ne faisaient pas double emploi, mais apportaient une complémentarité justifiée par une politique spécifique.

La diminution du nombre de personnels civils porte sur 852 postes, soit une réduction de 1 %, obtenue en général par non-remplacement des départs à la retraite ; elle est partiellement compensée par le reclassement de 421 personnels de DCN au sein du ministère et, demain, de Giat.

La part du budget consacrée à la recherche passera de 1,24 milliard d'euros à 1,26 milliard d'euros. Il y a donc effectivement augmentation des dépenses du ministère en faveur de l'innovation et du futur.

Enfin, l'anticipation de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 est constituée par le regroupement de certains moyens par programmes, définis en tenant compte des finalités du ministère, à l'image de celui de la préparation des forces.

M. Yves Fromion a souhaité rendre hommage à la ministre de la défense et au président de la République, qui ont tenu les engagements pris lors de la loi de programmation militaire en les mettant scrupuleusement en _uvre dans le projet de loi de finances pour 2004, alors que les fortes contraintes budgétaires actuelles pouvaient susciter quelques inquiétudes.

Soulignant ensuite le rôle essentiel des moyens humains au sein de la DGSE, notamment pour le traitement des informations collectées, il s'est inquiété des limites de l'augmentation des effectifs prévue dans la loi de programmation militaire 2003-2008, de l'ordre d'une centaine de postes, par rapport aux moyens nécessaires et aux ambitions formulées et il s'est enquis des conditions d'une amélioration possible dans ce domaine.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que le projet de loi de finances pour 2004 prévoit d'emblée la création de 45 postes pour la DGSE, ce qui constitue un effort sensible. Il semble difficile aujourd'hui d'aller au-delà des dispositions de la loi de programmation militaire.

M. Gérard Charasse a fait observer que les habitants des régions affectées par les restructurations de Giat Industries auraient sans doute du mal à adhérer au projet de budget pour 2004. Une nouvelle recapitalisation de la société est-elle envisagée, compte tenu notamment des hausses de coûts qui pourraient survenir pour la dépollution des sites ? Y aura-t-il des postes ouverts aux personnels de Giat Industries au sein du ministère de la défense, alors que 421 postes sont prévus pour reclasser des personnels de DCN ? Il a enfin relevé avec satisfaction que Giat Industries avait pris en compte dans son plan certaines des demandes formulées au cours des négociations et a émis le souhait que la représentation nationale débatte de ce sujet et auditionne notamment les experts qui ont avancé des éléments nouveaux pour la restructuration de l'entreprise.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que, si les régions touchées par la restructuration de Giat Industries traversaient une période difficile, l'objectif du plan de restructuration est de constituer une société performante et viable, qui pourra s'imposer comme une entreprise leader dans l'industrie européenne d'armement terrestre. La réalisation de cet objectif passe par l'application des mesures qui ont été décidées. Les salariés du nouveau Giat Industries ne pourront que voir leur avenir conforté par les perspectives de développement, notamment international, qui s'ouvriront pour cette société.

S'agissant d'une nouvelle recapitalisation, la priorité actuelle est d'assainir l'entreprise. Enfin, 888 postes, pour les fonctionnaires, et environ 1 000 postes, pour les ouvriers sous décret, sont d'ores et déjà ouverts pour les salariés de Giat Industries au sein du seul ministère de la défense.

Après s'être félicité de la présentation d'un budget ambitieux et réaliste, M. Alain Moyne-Bressand s'est inquiété de l'évolution du taux de disponibilité des matériels militaires, qui avait fortement diminué au cours des dernières années.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué qu'elle prêtait une grande attention au niveau de disponibilité des équipements des armées et qu'un état des taux de disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels lui était remis tous les mois. Elle a précisé que le niveau de DTO des aéronefs était passé de 56 % en 2002 à 62 % en 2003 et celui des bâtiments de la marine de 44 % à 70 % sur la même période. S'agissant de l'armée de terre, la disponibilité des chars Leclerc, des véhicules de l'avant blindés et des hélicoptères se redresse également, mais à un rythme plus lent, notamment en raison de l'ancienneté de certains des matériels concernés.

M. Jean Michel a demandé si une ligne budgétaire consacrée au financement des opérations extérieures (OPEX) avait été instituée au sein du projet de loi de finances pour 2004.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que le financement des opérations extérieures pour l'année en cours serait assuré par la loi de finances rectificative votée en fin d'année. Pour 2004, le projet de loi de finances contient effectivement une ligne consacrée à cet objet, ainsi que le prévoit la loi de programmation militaire pour 2003-2008 ; elle représente une vingtaine de millions d'euros ; le solde sera bien évidemment pourvu par la loi de finances rectificative, comme chaque année. Dans le cadre du budget 2004, la défense a consenti à cet effort.

M. Axel Poniatowski a exprimé sa satisfaction sur le projet de loi de finances pour 2004 et plus particulièrement sur les mesures prévues en matière de maîtrise des dépenses de fonctionnement ; à ce titre, il a évoqué le montant des investissements rapporté aux personnels militaires au Royaume-Uni, qui est bien supérieur à celui de la France. Il a ensuite demandé comment l'augmentation du budget de la défense se traduirait en termes de capacités opérationnelles des militaires déployés en opérations extérieures.

Mme Michèle Alliot-Marie a précisé que les comparaisons entre la France et le Royaume-Uni sont difficiles à effectuer, en raison de différences sensibles de structures et de fonctionnement entre leurs forces armées. Nombre de fonctions, telles que le soutien médical, sont externalisées au Royaume-Uni alors qu'elles sont assurées en France par les personnels militaires.

La hausse du budget militaire permet en effet de renforcer les moyens d'action des forces armées françaises en opérations extérieures. La meilleure disponibilité des matériels permet de doter plus largement les forces projetées, qui peuvent aussi gérer plus sereinement leurs matériels. Elle permet aussi d'assurer un meilleur entraînement des personnels militaires, grâce à l'augmentation du nombre d'heures d'entraînement avec matériel qu'elle rend possible. Ainsi que l'illustrent les récentes opérations extérieures des forces françaises, les conflits sont toujours nombreux et de plus en plus dangereux ; une préparation solide des personnels est une nécessité afin de garantir leur sécurité.

M. Charles Cova a demandé selon quelles modalités les crédits du fonds de consolidation seraient distribués.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les moyens financiers seraient attribués en fonction des besoins et non plus répartis a priori par armée.

II. - EXAMEN DES CRÉDITS

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. François Cornut-Gentille, les crédits d'équipement pour 2004 (n° 1093), au cours de sa réunion du mercredi 29 octobre 2003.

Après l'exposé du rapporteur pour avis, M. Charles Cova a demandé des précisions sur le nombre de chasseurs Rafale livrés à l'armée de l'air en 2004. Mettant l'accent sur l'importance de la prochaine loi de programmation militaire pour l'équipement de la marine, avec notamment la mise en _uvre des programmes de sous-marins Barracuda et de frégates multimissions, il a demandé au rapporteur si des menaces particulières pesaient sur certains de ces projets.

M. François Cornut-Gentille, rapporteur pour avis, a précisé que cinq exemplaires du Rafale seront livrés à l'armée de l'air en 2004, quatre autres ayant déjà été reçus par la marine.

Aucune menace particulière ne pèse sur les programmes de la marine à l'heure actuelle ; toutefois, l'examen des montants des crédits du titre V et les retards que connaissent d'autres programmes, tels que le Rafale ou le VBCI, peuvent faire craindre certaines difficultés. Par ailleurs, il est intéressant de constater, dans une perspective comparative, que le Royaume-Uni consacre davantage de dotations à l'équipement de ses forces, le ratio des dépenses d'investissement rapportées aux effectifs s'établissant à un niveau supérieur à celui de la France.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits d'équipement pour 2004.

*

* *

Au cours de sa réunion du mercredi 29 octobre 2003, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la défense pour 2004, les membres du groupe socialiste votant contre.

N° 1114 - tome VIII - Avis de M. François Cornut-Gentille au nom de la commission de la défense sur les crédits d'équipement du budget de la défense du projet de loi de finances pour 2004


- Cliquer ici pour retourner au sommaire général

- Cliquez ici pour retourner à la liste des rapports et avis budgétaires



© Assemblée nationale

() Dont 21 millions d'euros ont été utilisés pour gager l'ouverture de crédits au titre III par décret d'avance.

() Rapport d'information n°328 : « l'entretien des matériels : un sursaut nécessaire », au nom de la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale ; rapport d'information n°350 (2001-2002) : « les hélicoptères de l'armée de terre : situation et perspectives » au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

() Loi de finances rectificative pour 2002 n° 2002-1050 du 6 août 2002.

() Hors pensions et allocations.

() En incluant la France, dont la part du budget de défense ne dépasse 2 % qu'en prenant en compte les dépenses de gendarmerie et de pensions.

() Ses activités opérationnelles ont été transférées à l'Union européenne en 2000.

() Cf. « La politique européenne d'armement : la méthode des petits pas », par Hélène Masson, Annuaire stratégique et militaire de 2003.

() Désormais achevés, les programmes Hot et Milan ont été retirés de l'OCCAR le 30 juin 2003.

() Le budget pour 2003 correspond à l'année budgétaire du 1er octobre 2002 au 30 septembre 2003.