COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 mars 2003
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Jean-Claude Abrioux tendant à créer une commission d'enquête sur les violences et les maltraitances dont font l'objet les enfants - n° 397 (Mme Chantal Bourragué, rapporteure).

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- Examen de la proposition de résolution de Mme Christine Boutin tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'impact de l'image sur les mineurs dans le processus délinquant - n° 470 (M. Yves Bur, rapporteur).

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- Examen de la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser la dimension éducative de la télévision et à évaluer les instruments de socialisation que sont les médias, tous supports confondus, et à en tirer les conséquences sur l'éducation des enfants et sur leur appréciation de la société - n° 511 (M. Yves Bur, rapporteur).

5

- Examen de la proposition de résolution de M. Georges Hage tendant à la création d'une commission d'enquête afin d'évaluer la situation des handicapés dans les centres d'aide par le travail et de définir des propositions pour que ceux-ci remplissent plus efficacement leur mission - n° 527 (M. Jean-François Chossy, rapporteur).

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Examen de la proposition de loi de M. Alain Bocquet tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans - n° 129 rectifié (M. Alain Bocquet, rapporteur).

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de Mme Chantal Bourragué, la proposition de résolution de M. Jean-Claude Abrioux tendant à créer une commission d'enquête sur les violences et les maltraitances dont font l'objet les enfants (n° 397).

Mme Chantal Bourragué, rapporteure, a indiqué que cette proposition de résolution tend à créer une commission d'enquête qui serait chargée de procéder à des investigations sur les trois thèmes que sont la pédophilie et les agressions sexuelles, la violence à l'école et la maltraitance, afin de dresser un état réel et précis de la situation puis de formuler un certain nombre de propositions concrètes visant à lutter plus efficacement contre la violence et la maltraitance des enfants.

La recevabilité d'une proposition de résolution doit s'apprécier au regard des dispositions conjointes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première condition de recevabilité est relative à la définition précise, soit des faits qui donnent lieu à enquête, soit des services publics ou des entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion. La proposition de résolution a pour objet de réaliser une enquête très générale. Chacun des thèmes proposés fournit à lui seul un champ d'investigation considérable. Elle ne paraît pas satisfaire à l'exigence de précision qui s'attache à la détermination des faits donnant lieu à enquête.

La seconde condition de recevabilité concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre en date du 19 décembre 2002, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait connaître que plusieurs procédures judiciaires sont actuellement pendantes.

Cependant il n'y a pas lieu de proposer le rejet de cette proposition de résolution pour des seules raisons de recevabilité.

La France est confrontée sur l'ensemble de son territoire à des situations d'enfants maltraités qui sont révoltantes et pour lesquelles les dispositifs existants ne permettent pas d'intervenir de manière satisfaisante. Des enfants otages du divorce, des enfants ni écoutés ni entendus, un manque de dialogue et de relation parents-enfants : ces situations peuvent perdurer et un enfant peut continuer à être martyrisé.

Face à ces situations, le dispositif législatif est en progrès constant mais pas encore satisfaisant, d'où la préoccupation légitime de la majorité des députés de l'améliorer.

L'impulsion décisive donnée à ce combat peut être datée de 1989, année marquée par l'adoption, à l'unanimité, par l'assemblée générale de l'ONU de la convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, d'ailleurs rapidement ratifiée par la France le 7 août 1990. La même année a été adoptée la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance.

Cette avancée législative a permis de lever les tabous autour de la question de la maltraitance et a mis en place des outils permettant une approche nouvelle et une meilleure connaissance de ces situations. L'article 3 de la loi a notamment donné le jour au service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée, le SNATEM, communément appelé « Allô Enfance Maltraitée ». Depuis mars 1997, le service bénéficie d'un numéro d'appel simplifié à 3 chiffres - le 119 - plus facilement mémorisable par les enfants et n'apparaissant pas sur les factures détaillées de téléphone. Son affichage est obligatoire dans tous les lieux recevant des mineurs.

Même si aujourd'hui encore le recueil d'informations statistiques sur le phénomène de maltraitance demeure difficile, l'existence depuis 1990 de l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS) permet néanmoins de disposer d'informations recueillies auprès des conseils généraux. Cet organisme de forme associative a mis en place un observatoire de l'enfance en danger qui recense les signalements adressés aux conseils généraux concernant les enfants maltraités et les enfants encourant un risque de maltraitance. Ces deux catégories, qui ont reçu de la part de l'ODAS une définition précise, représentent l'ensemble des enfants en danger, catégorie qui fixe la compétence de l'aide sociale à l'enfance et du juge pour enfants. Il reste que les signalements transmis directement au procureur de la République ne sont pas comptabilisés en raison de la carence des parquets en matière statistique. Par ailleurs, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, a permis de renforcer la répression des infractions sexuelles et d'améliorer la protection des victimes.

L'Assemblée nationale a déjà exercé ses compétences en matière d'enquête et de contrôle en direction de l'enfance maltraitée. A l'initiative du président de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius, une commission d'enquête s'est en effet penchée en 1998 sur l'état des droits de l'enfant en France, notamment au regard des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité. Un important chapitre est consacré à la protection de l'enfant. Les propositions formulées par cette commission sont à l'origine de plusieurs mesures législatives en faveur de la protection de l'enfance.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales s'est pour sa part intéressée à la violence à l'école, à travers une mission d'information sur la sécurité dans les établissements scolaires dont le rapporteur était M. Bruno Bourg-Broc (rapport d'information n° 2923 du 7 février 2001).

La période récente a vu apparaître de nouvelles initiatives.

Dans le prolongement des recommandations émises en 1998 par la commission d'enquête ci-dessus évoquée, la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000 a institué une nouvelle autorité administrative indépendante - le Défenseur des enfants - chargée de défendre et de promouvoir les droits de l'enfant tels qu'ils ont été définis par la loi ou par un « engagement international régulièrement ratifié ou approuvé » par la France.

Sa mission consiste à recevoir directement les réclamations émanant des enfants eux-mêmes, de leurs parents ou tuteurs ou encore d'associations reconnues d'utilité publique. Le Défenseur des enfants cherche à résoudre la situation ou fait intervenir les autorités compétentes en matière d'aide sociale et de justice. Il remet chaque année au Président de la République et au Parlement un rapport sur ses activités et formule les propositions d'amélioration de la législation ou du fonctionnement des administrations en charge de l'enfance.

Une initiative toute récente de l'Assemblée nationale traduit l'attention particulière apportée par la représentation nationale aux droits des enfants. Notre assemblée a adopté à l'unanimité, le jeudi 13 février 2003, une proposition de loi présentée par M. Jacques Barrot, président du groupe UMP, et M. Dominique Paillé tendant à créer une délégation parlementaire aux droits des enfants dans chacune des deux assemblées du Parlement. Leur rôle sera d'examiner tous les textes votés par l'Assemblée nationale et le Sénat, quel qu'en soit le sujet, au regard de leurs conséquences sur le respect des droits de l'enfant. Elles pourront auditionner les ministres ainsi que le Défenseur des Enfants et établiront des rapports qui seront rendus publics. Cette dernière initiative doit permettre de répondre aux interrogations des parlementaires et leur permettre de conduire les travaux utiles aux futures actions législatives.

A l'occasion de ce débat, M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille, a par ailleurs annoncé son intention de créer un observatoire de l'enfance maltraitée ayant vocation à être un outil d'information le plus exhaustif possible sur la maltraitance des enfants en France.

Beaucoup de progrès restent à accomplir et les procédures existantes demandent sans aucun doute à être mieux coordonnées, de même que les rapports entre travailleurs sociaux, magistrats et professionnels de la santé doivent être approfondis. Les institutions récemment créées ou en cours de création devront sans aucun doute trouver chacune leur place pour mieux assurer la protection de l'enfance. Pour autant, sans méconnaître l'ampleur ni la gravité des phénomènes de maltraitance des enfants, il apparaît que la création d'une commission d'enquête sur ce sujet n'est pas opportune compte tenu des travaux déjà effectués et des outils nouveaux mis à la disposition des pouvoirs publics dans cette action.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, la rapporteure a proposé à la commission de rejeter la proposition de résolution présentée par M. Jean-Claude Abrioux.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Simon Renucci a salué l'initiative de M. Jean-Claude Abrioux tout en relevant les points suivants :

- La violence et les mauvais traitements dont les enfants peuvent être victimes sont la traduction d'un mal-être au sein de la société française, aussi convient-il de se pencher sur ces phénomènes avec mesure. En effet, le battage médiatique dont font l'objet les agissements pédophiles constitue un prisme déformant pour un sujet dont la solution n'est pas seulement politique.

- De nombreuses institutions et pratiques existent déjà dans le cadre de la décentralisation, qu'il convient de coordonner. Il faut établir un suivi de l'ensemble de ces actions, évaluer les pratiques et déterminer quel est le rôle exact de chacun.

- Les diverses violences exercées à l'encontre des enfants constituent un fléau dont les causes résident souvent dans une situation sociale difficile, le chômage et les difficultés diverses. Le diagnostic lui-même permettant la détection des mauvais traitements se révèle malaisé et il est également souvent difficile d'enquêter au sein des familles. A cet égard, les écoles peuvent permettre le développement de mesures de prévention.

M. Frédéric Dutoit a indiqué que le groupe communiste est favorable à la création de la commission d'enquête dont il convient cependant de bien déterminer l'objet et de clarifier le sujet.

M. Dominique Richard a considéré que la seule justification au rejet de la création de cette commission d'enquête tient à ce qu'elle serait redondante avec la création de la délégation aux droits des enfants.

Conformément aux conclusions de la rapporteure, la commission a rejeté la proposition de résolution présentée par M. Claude Abrioux tendant à créer une commission d'enquête sur les violences et les maltraitances dont font l'objet les enfants (n° 397).

*

La commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Yves Bur, les propositions de résolution de Mme Christine Boutin tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'impact de l'image sur les mineurs dans le processus délinquant (n° 470) et de M. Jean-Marc Ayrault tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser la dimension éducative de la télévision et à évaluer les instruments de socialisation que sont les médias, tous supports confondus, et à en tirer les conséquences sur l'éducation des enfants et sur leur appréciation de la société (n° 511).

M. Yves Bur, rapporteur, a indiqué que la proposition de résolution n° 470 tend à créer une commission d'enquête chargée de déterminer le degré et les formes d'imprégnation des images, quel que soit leur média de transmission, sur les enfants de tous âges, afin d'évaluer leur influence sur le comportement, le développement et le passage à l'acte délinquant des mineurs. Cette commission d'enquête aurait également vocation à définir les critères de protection du jeune public par rapport aux programmes violents et pornographiques.

En ce qui concerne la recevabilité de la proposition de résolution, l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et le Règlement de l'Assemblée nationale exigent que ce texte détermine avec précision les faits pouvant donner lieu à enquête.

On peut ici considérer, même si le champ d'investigation visé apparaît comme très vaste, que le phénomène d'imprégnation croissante des enfants et des adolescents par le monde des images représente à lui seul une réalité incontestable susceptible de constituer un fait précis pouvant justifier la constitution d'une commission d'enquête.

Quant à la seconde exigence de recevabilité, qui concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir par lettre du 25 février 2003 qu'il n'y a aucune procédure judiciaire en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution. Celle-ci est donc recevable.

Le rapporteur s'est ensuite attaché à évaluer l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête. L'importance et l'actualité du problème posé par les auteurs de la proposition de résolution sont incontestables, comme en a d'ailleurs témoigné l'ampleur des débats qui se sont développés en décembre dernier en commission et en séance autour de la proposition de loi n° 317 visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie.

Néanmoins, les auteurs de la proposition de loi soulignent eux-mêmes que différentes études et réflexions ont déjà été menées sur les questions qui les préoccupent. Parmi les travaux les plus récents, on peut effectivement utilement se reporter aux actes de la rencontre-débat organisée le 26 avril 2001 par le Groupe de recherche sur la relation enfants-médias (GRREM) sur l'impact des images et des discours de violence sur les enfants, au rapport sur l'environnement médiatique des jeunes de zéro à dix-huit ans remis en mai 2002 par le Comité interassociatif enfant-média (CIEM) à Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées sous le précédent gouvernement ou, plus récemment, au rapport de la commission de réflexion présidée par Mme Blandine Kriegel sur la violence à la télévision, remis en novembre dernier à M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

La formule de la commission d'enquête ne semble donc pas adaptée au souci - par ailleurs tout à fait légitime - de permettre aux parlementaires, « par une meilleure connaissance des effets des images », de « définir les solutions législatives efficaces à la protection des mineurs ».

En revanche, il est tout à fait souhaitable que le Parlement puisse, sur ces questions graves et évolutives, jouer un rôle de veille et de vigilance. Or, le 13 février dernier, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi de MM. Jacques Barrot et Dominique Paillé relative à la création, dans chaque assemblée, d'une délégation parlementaire aux droits de l'enfant.

Ces délégations seront des structures permanentes qui fonctionneront sur le modèle de la délégation aux droits des femmes. Ces organes semblent donc tout désignés pour mener, de façon continue, une activité d'information et de veille sur l'impact de l'image et les conséquences de l'environnement médiatique sur les enfants et la délinquance des jeunes.

Par ailleurs, deux groupes d'études fonctionnent actuellement à l'Assemblée nationale : l'un, relatif à la protection de l'enfance, est présidé par M. Michel Vaxès et l'autre, relatif aux droits de l'enfant, par Mme Ségolène Royal.

En conclusion, le rapporteur a proposé à la commission de rejeter la proposition de résolution n° 470 présentée par Mme Christine Boutin ainsi que, pour les même raisons, la proposition de résolution n° 517 présentée par M. Jean-Marc Ayrault.

Un débat sur les deux propositions de résolution a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean-Marie Le Guen a indiqué que la question de l'impact des images sur les mineurs est un sujet d'importance, comme l'a démontré le débat en séance publique sur la proposition de loi de M. Yves Bur visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie. En effet, si chacune des sensibilités politiques représentées dans l'hémicycle s'est alors exprimée, certains députés envisageant la question d'un point de vue moral, d'autres d'un point de vue éducatif, les orateurs ont, à l'unanimité, exprimé la nécessité de réfléchir sur ce thème et de définir des propositions concrètes.

Différentes études démontrent que, dès l'âge de deux ans, les enfants passent deux à trois heures par jour devant la télévision. Or, l'impact de la télévision sur le développement de l'enfant est une donnée insuffisamment prise en compte pour l'établissement des programmes par le service public de l'audiovisuel. Le gouvernement actuel, comme le précédent d'ailleurs, alors même qu'il met en place une politique de prévention et de répression à l'égard des mineurs délinquants, est incapable de faire de la création d'une chaîne éducative de service public une de ses priorités.

Dès lors, la commission aurait tort de renvoyer la réflexion sur ce thème à un quelconque groupe d'études car cela reviendrait à enterrer le débat. De plus, c'est le rôle de la commission de traiter de ces sujets. Ne pas donner suite à cette proposition de résolution est une décision coupable.

Après avoir précisé qu'il partage les propos tenus par M. Jean-Marie Le Guen, M. Frédéric Dutoit a déclaré que le refus opposé par la majorité aux initiatives de création de commissions d'enquêtes sur le thème de la violence et l'enfance ne témoigne pas d'une grande ouverture. Pourtant, la constitution d'une telle commission permettrait d'effectuer une étude précise et en profondeur sur un sujet qui le mérite et viendrait en complément des travaux qui doivent être menés par la délégation aux droits de l'enfant actuellement en cours de constitution. Si l'on souhaite plus de cohérence dans le travail parlementaire, les deux propositions de résolution pourraient sûrement être fusionnées.

M. Dominique Richard a indiqué qu'il partage dans leurs grandes lignes les positions de M. Jean-Marie Le Guen quant à l'impact des images violentes sur le développement des enfants et au rôle du service public audiovisuel. Les études publiées en ce domaine proviennent essentiellement d'enquêtes menées aux Etats-Unis. Il serait donc intéressant que des recherches similaires soient diligentées en France. Si la délégation aux droits de l'enfant a la possibilité de mettre en œuvre de tels travaux, alors la constitution d'une commission d'enquête n'est pas nécessaire. Dans le cas contraire, une nouvelle proposition de résolution devra être déposée dans les prochains mois.

M. Jean Le Garrec a déclaré que le débat sur le thème de l'image, la violence et l'enfance n'est pas nouveau mais qu'il n'a jusqu'alors trouvé aucune réponse satisfaisante. Une commission d'enquête est une structure lourde qu'il convient de mettre en place avec parcimonie. Cependant, la question en débat aujourd'hui mérite d'être étudiée avec précision. De plus, la création d'une commission d'enquête répond à une demande unanime des intervenants qui se sont exprimés sur la proposition de loi de M. Yves Bur précédemment discutée en séance publique.

Après avoir indiqué qu'il est à l'origine de la création de la délégation aux droits de l'enfant, M. Dominique Paillé a fait part de son opposition à la création d'une telle commission d'enquête. En effet, celle-ci ferait double emploi avec la délégation et risquerait de lui ôter sa raison d'être. Il convient donc de surseoir à la création d'une commission d'enquête au moins jusqu'à ce que l'ordre du jour de la délégation aux droits de l'enfant soit établi.

Soutenant cette proposition, M. Bernard Perrut a déclaré que la délégation aux droits de l'enfant allait permettre aux parlementaires de mener une réflexion sur la problématique de l'enfance et la violence. Un autre aspect, complémentaire, de cette question est l'atteinte à la dignité de la femme par l'image publicitaire, qui n'est pas sans impact sur le développement de l'enfant, et qui a donné lieu au dépôt d'une proposition de loi présentée par M. Jean-Marc Nesme.

M. René Couanau s'est déclaré embarrassé quant à la méthode à suivre. Le débat sur la proposition de loi de M. Yves Bur visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie a démontré, s'il en était besoin, l'étendue de la réflexion à mener. De la délégation aux droits de l'enfant ou d'une commission d'enquête ad hoc, laquelle de ces deux structures est la mieux adaptée pour répondre aux questions qui se posent ? Une commission d'enquête comporte des avantages certains : elle permet le débat et la collecte de l'ensemble des données techniques et scientifiques objectives, elle est dirigée par des parlementaires, elle dispose pour produire ses conclusions d'un temps limité. Au contraire, la délégation effectue un travail de « veille » étendu dans le temps.

M. Michel Françaix a estimé que la proposition de résolution déposée par le groupe socialiste, qui a sa préférence, et celle présentée par Mme Christine Boutin incitent toutes deux à ouvrir un large débat, ce qui constitue l'objectif essentiel. Conclure à un rejet au motif que l'on créé une délégation aux droits de l'enfant n'est pas satisfaisant : cette délégation abordera certes des questions intéressantes mais elle ne traitera pas du sujet initial, c'est-à-dire de l'influence de l'audiovisuel, de la publicité, des jeux vidéo ou de l'Internet. Traiter la question, comme cela a été fait, par le cryptage du film pornographique de Canal + pouvait constituer un début mais on ne peut en rester là. On ne peut que regretter que le consensus manifesté à l'époque sur la nécessité de créer une commission d'enquête soit aujourd'hui brisé par la majorité.

M. Michel Herbillon a fait part de points d'accord et de divergences avec les propos tenus par les commissaires socialistes. Chacun s'accorde sur la nécessité d'un débat, sur l'inaction des acteurs concernés ces dernières années et sur le renforcement souhaitable de la mission éducative du service public.

Les divergences tiennent aux modalités de l'action à mener : on ne peut que regretter que l'opposition ait tenté d'exploiter l'examen de la proposition de loi de M. Yves Bur en empêchant son adoption par un abus de l'espace de débat ainsi ouvert. S'y ajoute aujourd'hui le caractère désobligeant des propos tenus à l'encontre de la future délégation aux droits de l'enfant. Les délégations pour l'Union européenne et aux droits des femmes ont fait depuis longtemps la preuve de l'utilité de ce type de structures. On peut également rappeler que, conformément à ce qui a été évoqué lors de l'audition du Président de France Télévisions par la commission, les parlementaires peuvent agir pour veiller au respect du cahier des charges.

M. Jean-Marie Le Guen a déclaré comprendre la difficulté politique que rencontre la majorité, difficulté à laquelle aurait d'ailleurs également été confrontée l'opposition à sa place. Il existe un réflexe constant de l'exécutif face au Parlement dans ce genre de situation, qui consiste à créer une institution censée régler les problèmes ... pour mieux les enterrer ! Si la majorité s'en contente, l'opposition se saisira pleinement de la question.

M. Maxime Gremetz a considéré que la solution de la délégation n'en est pas une et que la question des rapports de l'image et des jeunes ne concerne pas que les enfants. Une commission d'enquête est donc tout à fait souhaitable sur cette question. Elle permettra notamment de mieux cerner les besoins par l'audition de personnes compétentes et d'horizons variés.

M. Jean Le Garrec a jugé que la création de la délégation est utile et nécessaire mais que celle-ci aura à s'occuper de questions multiples : dispositifs juridiques, politiques éducatives, ... L'examen de la question abordée par les propositions de résolution ne sera donc qu'annexe. Apporter une réponse positive à celles-ci correspondrait en outre à la demande exprimée sur tous les bancs lors de l'examen de la proposition de loi de M. Yves Bur en décembre dernier.

Le président Jean-Michel Dubernard s'est réjoui de ce débat nourri, intéressant et passionné et a rappelé que la durée de vie d'une commission d'enquête est par nature limitée à six mois, ce qui peut être un avantage mais également un inconvénient. Si les propositions de résolution ne sont adoptées ni l'une ni l'autre, la délégation sera, dès sa constitution, saisie par la commission sur les thèmes évoqués par ces deux textes.

Le rapporteur a souligné que le débat commun sur les deux propositions de résolution a montré l'intérêt de tous pour une dimension éducative accrue de la télévision. Malheureusement, la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault restreint le champ de réflexion à la télévision alors que d'autres médias ont autant d'impact.

Quant au débat sur la proposition de loi visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes violentes ou pornographiques, celui-ci a en fait dévié sur la Commission de la classification des films, ce qui a fortement biaisé la teneur des échanges. Même si ce texte n'a pas pu être adopté par l'Assemblée nationale, il n'aura pas été inutile puisque son seul examen a conduit Canal + ainsi que les chaînes concernées du câble et du satellite à mettre en place un double cryptage, ce qui était le but recherché.

La méthode de la commission d'enquête n'est pas adaptée, par sa solennité et par sa durée limitée, à l'objectif recherché. Elle suppose par ailleurs de viser des faits précis, ce qui n'est pas véritablement le cas des deux propositions de résolution examinées. En revanche, la délégation aux droits de l'enfant constituera un cadre adapté à la réflexion à mener, à l'élaboration de propositions et à l'interpellation du service public de l'audiovisuel. Cela permettra par ailleurs de ne pas éparpiller le travail parlementaire en multipliant les structures de réflexion. Il convient donc de rejeter les deux propositions de résolution.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution présentée par Mme Christine Boutin (n° 470) et la proposition de résolution présentée par M. Jean-Marc Ayrault (n° 511).

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La commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Jean-François Chossy, la proposition de résolution de M. Georges Hage tendant à la création d'une commission d'enquête afin d'évaluer la situation des handicapés dans les centres d'aide par le travail (CAT) et de définir des propositions pour que ceux-ci remplissent plus efficacement leur mission (n° 527).

M. Jean-François Chossy, rapporteur, a rappelé que cette proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête qui serait chargée « d'évaluer la situation des handicapés dans les centres d'aide par le travail, ainsi que les dysfonctionnements pouvant exister dans ces établissements en matière de gestion » et « de définir les moyens dont il convient de se doter pour améliorer le fonctionnement des CAT et leur permettre de remplir efficacement leur mission ».

La recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête s'apprécie au regard des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires  et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première exigence posée par ces textes est de déterminer avec précision les faits pouvant donner lieu à enquête. En l'occurrence, la proposition de résolution apparaît suffisamment précise quant à son champ d'investigation.

La seconde exigence concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre du 17 février dernier, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que les faits ayant motivé le dépôt de la présente proposition de résolution ne font pas l'objet de poursuites judiciaires.

La proposition de résolution est donc recevable. En revanche, l'opportunité de la création d'une commission d'enquête sur la situation des handicapés dans les CAT n'apparaît pas clairement.

En effet, il est très probable que quelques CAT sont susceptibles de fonctionner de façon peu satisfaisante ou sont à l'origine d'une mauvaise gestion tant de la rémunération des travailleurs handicapés que des fonds publics alloués pour leur fonctionnement. Cependant, faut-il pour autant faire peser le soupçon sur l'ensemble de ces institutions dès lors que les nombreuses associations présentes sur le terrain et représentant les intérêts des personnes handicapées sont susceptibles de signaler des dysfonctionnement aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale, voire à la justice ?

La création d'une commission d'enquête parlementaire ne manquerait pas de trouver dans la presse un écho risquant d'être mal interprété par le grand public. Le danger serait de voir jeter a priori le soupçon et l'opprobre sur l'ensemble des 1 313 CAT actifs en France, qui accueillent environ 100 000 travailleurs. Il ne paraît pas, par ailleurs, opportun de semer le trouble et la discorde au sein du mouvement associatif lié notamment au fonctionnement des CAT.

En outre, lors de sa séance du jeudi 12 décembre 2002, le Sénat a adopté une résolution créant une commission d'enquête sur « la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la prévenir ». Or, ainsi que le souligne M. Georges Hage dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution, les centres d'aide par le travail font partie des institutions sociales et médico-sociales. A ce titre, ils sont donc susceptibles de faire l'objet de constatations sur pièce et sur place de la part de la commission d'enquête sénatoriale. Créer une commission d'enquête à l'Assemblée nationale, qui mènerait ses investigations à peu près pendant la même période, paraît redondant.

Enfin, le Président de la République a, le 14 juillet dernier, rappelé la place que la France doit tenir dans le cadre de l'année européenne des personnes handicapées et le gouvernement a annoncé la réforme de la loi n° 75-534 d'orientation en faveur des personnes handicapées ; l'emploi de ces personnes en milieu protégé (CAT et ateliers protégés) se situe au cœur de ce projet : nul ne peut douter que toutes les consultations seront faites en amont de ce travail législatif important. Il est d'ailleurs à noter que cette réforme, venant logiquement après celle de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, parachèvera la refonte d'ensemble du diptyque législatif encadrant ce secteur.

Au bénéfice de ces observations, le rapporteur a conclu au rejet de la proposition de résolution.

Après l'intervention du rapporteur, Mme Marie-Renée Oget a indiqué que le groupe socialiste ne soutiendrait pas cette proposition de résolution car elle risque de trop stigmatiser les CAT. Il serait préférable de créer une mission d'information avec un champ plus large portant sur le handicap et le travail. Il serait ainsi possible de favoriser la reconnaissance du travail des handicapés par la promotion de leur insertion professionnelle dans des entreprises adaptées.

M. Maxime Gremetz a fait part des problèmes rencontrés par les personnes handicapées au sein des CAT : absence de reconnaissance de leur travail, absence de salaire réel, non-respect du droit du travail, ...

M. Pascal Terrasse a considéré que cette proposition de résolution, faisant suite à un article de presse paru à l'automne dernier, risque de stigmatiser les CAT. Les handicapés réalisent un travail remarquable en CAT, lesquels répondent à des besoins énormes. On peut donc se réjouir de la création de places supplémentaires dans ces structures.

Il serait préférable de demander une meilleure intégration des handicapés en milieu ordinaire, ainsi que l'aurait permis la création d'une mission d'information sur l'ensemble des travailleurs handicapés comme l'a demandé le groupe socialiste. Une telle mission d'information pourrait utilement préparer la réforme de la loi d'orientation de 1975 en faveur des handicapés, comme cela avait été le cas en 2001 pour préparer la réforme de la loi de 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution présentée par M. Georges Hage (n° 527).

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La commission a enfin examiné, sur le rapport de M. Alain Bocquet, sa proposition de loi tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans (n° 129).

Le président Jean-Michel Dubernard a rappelé que, déjà saisie d'une proposition identique sous la précédente législature, la commission avait décidé le 21 novembre 2001 de ne pas proposer de conclusions, mais que le contexte politique et social est aujourd'hui sensiblement différent compte tenu l'annonce d'une réforme globale des retraites par le gouvernement actuel.

M. Alain Bocquet, rapporteur, a indiqué que, après les démarches engagées sous la précédente législature et demeurées infructueuses, le groupe des Député-e-s Communistes et Républicains a décidé d'utiliser à nouveau la matinée qui lui est réservée dans le cadre des travaux de l'Assemblée nationale pour présenter une proposition de loi tendant à permettre le service d'une retraite à taux plein avant l'âge de soixante ans aux salariés ayant cotisé quarante annuités.

Le nombre de ces personnes est estimé à 800 000 ; âgées de cinquante à cinquante-neuf ans, les plus jeunes d'entre elles sont nées en 1952, les plus âgées en 1943. La moitié de ces travailleurs est aujourd'hui concernée par des dispositifs de cessation anticipée d'activité, sans compter les 39 300 bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite (AER) prévus pour l'année 2003.

La situation des intéressés est claire : ceux qui sont encore au travail ne recevront plus aucune formation et ceux qui sont concernés par les dispositifs d'attente précités ne retourneront pas au travail. La situation spécifique de ces personnes ne saurait trouver sa solution dans une réforme globale du système de retraite français, fût-elle progressive. Bien au contraire, chaque année qui passe sans voir de mesure prise en leur faveur ne peut que les persuader que leur cas appelle une solution rapide et particulière. Il n'est donc pas illégitime de se poser la question suivante : le contexte économique et social permet-il qu'une réponse positive soit enfin apportée à cette attente ? Les députés communistes estiment que la société française a les moyens de faire face à la dépense afférente et qu'une issue favorable représente un gage d'efficacité économique accrue en permettant notamment l'insertion par l'emploi de dizaines de milliers de personnes et de jeunes, aujourd'hui exclus du marché du travail.

Il importe donc à présent que le temps de l'action voulu par le Président de la République et réaffirmé par le Premier ministre soit celui de la concrétisation et de l'aboutissement de ce dispositif, espéré par des centaines de milliers de Françaises et de Français. Au demeurant, Mme Anne-Marie Comparini, membre du groupe UDF, a déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale, le 30 janvier dernier, une proposition de loi ayant le même objet que celle ici examinée.

Le caractère pénible de la situation de certains salariés est désormais bien connu. Il s'agit d'abord de la fragilité de l'emploi des plus de cinquante ans, en baisse d'un tiers, passant de 50 % en 1976 à 34 % en 1998, avec les conséquences sociales et morales que chacun mesure. Il s'agit ensuite de leur exposition plus forte que les autres catégories de salariés au chômage de longue durée et de leurs difficultés d'accès, souvent insurmontables, aux stages de formation. Enfin, il faut souligner la réalité des inégalités devant l'espérance de durée de retraite et de vie entre les diverses catégories professionnelles.

Au lieu de l'ignorer ou de la minorer, il convient donc de prendre résolument en compte au moment d'envisager - comme le Premier ministre s'est engagé à le faire le 3 février dernier devant le Conseil économique et social - la nécessité d'un véritable changement de l'image des salariés âgés, y compris auprès des chefs d'entreprises.

L'éventualité d'un « examen » de cette question dans le cadre de la réforme globale de notre système de retraite ne saurait suffire à répondre aux attentes de nos concitoyens ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans. Cet argument n'est en effet pas nouveau et cela à deux titres :

- Il a été utilisé par le précédent gouvernement lors de l'examen en séance publique, le 27 novembre 2001, de la proposition de loi présentée par le groupe communiste.

- Ce n'est pas une innovation de prévoir des dérogations en faveur de certaines catégories d'assurés dont la situation et la carrière peuvent justifier une liquidation anticipée des droits. En effet, la loi n° 75-1279 du 30 décembre 1975 relative aux conditions d'accès à la retraite de certains travailleurs manuels, a ainsi prévu que la pension de retraite des travailleurs manuels et des mères de familles ouvrières remplissant certaines conditions peut être calculée au taux normalement applicable à soixante-cinq ans.

Dans son discours prononcé devant le Conseil économique et social, le Premier ministre a indiqué que la réforme serait progressive, c'est-à-dire faite par étapes avec un rendez-vous tous les cinq ans par exemple, et que les droits acquis seraient préservés, c'est-à-dire que « ceux qui sont déjà à la retraite ne sont pas concernés par la réforme ». On ne peut que prendre acte de ces affirmations, cela d'autant plus qu'il est difficilement imaginable de revenir sur les droits acquis des actuels retraités.

Cependant, que dire de la situation des personnes déjà au chômage ou encore au travail, alors qu'elles totalisent la durée de cotisation nécessaire au service d'une retraite du régime général à taux plein ?

Nul ne peut contester que les femmes et les hommes concernés ont déjà gagné le droit au repos après une vie de labeur. Faut-il rappeler que ces personnes sont en général entrées sur le marché du travail dès l'âge de quatorze ou seize ans et qu'une grande partie d'entre elles ont effectué des travaux pénibles (semaines de quarante-huit heures, travail posté,...) et connu des conditions de vie souvent difficiles ? En outre, beaucoup d'hommes ont été impliqués dans le déroulement de la guerre d'Algérie. Ces générations de salariés ont été confrontées aux vagues de licenciements consécutives à la casse de pans entiers de l'industrie française, après avoir contribué de façon décisive, notamment dès les années soixante, à l'essor économique de notre pays. Ne pas reconnaître leur droit à retraite reviendrait à leur faire payer le fait d'avoir dû travailler très jeunes au lieu de pouvoir faire de bonnes études. Echaudés par l'histoire sociale de notre pays, ces travailleurs ne peuvent plus croire que la solution de leur problème relève d'une vaste réforme des régimes de retraites français.

Pour ce qui concerne le coût de la mesure, il convient tout d'abord d'estimer le nombre des personnes susceptibles de bénéficier du dispositif. Les âges des bénéficiaires se répartissent ainsi : 180 000 personnes de 59 ans, 150 000 de 58 ans, 131 000 de 57 ans, 100 000 de 56 ans et 98 000 de 55 ans. Il faut rappeler que la mesure concernerait dans le temps de moins en moins de personnes et que le dispositif connaîtrait ainsi une « sortie en sifflet » de ses bénéficiaires.

Pour assurer le financement, il serait nécessaire que l'Etat puisse intervenir par le biais d'un mécanisme d'aide exceptionnelle aux caisses des régimes de retraite obligatoire. A cet égard, faut-il rappeler que l'Etat est d'ores et déjà engagé dans le financement de nombreux dispositifs de préretraite comme il est engagé dans celui de l'allocation équivalent retraite (AER), qui est versée à des personnes visées par la présente proposition de loi alors qu'il s'agit d'un dispositif d'indemnisation du chômage. Une contribution assise sur le produit des revenus financiers pourrait, en outre, être envisagée.

Enfin, le départ en retraite des centaines de milliers de personnes concernées aura un effet positif sur l'emploi et l'économie. Dans une période marquée par la recrudescence du chômage, l'accumulation des plans sociaux et l'exclusion grandissante des jeunes à la recherche d'un emploi stable, la mise en œuvre de cette proposition de loi favorisera l'insertion professionnelle de nouvelles catégories de salariés, contribuera à l'entrée des jeunes sur le marché du travail du fait des postes libérés et suscitera l'apport de cotisants supplémentaires aux régimes de sécurité sociale.

C'est donc à la fois une mesure simple de justice sociale, d'équité, de dignité et d'efficacité économique, qu'il est proposée à la commission d'adopter.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Jean-Michel Dubernard a relevé le caractère parfaitement légitime et largement compréhensible du droit à la retraite pour les personnes ayant commencé très tôt à travailler, lequel correspond à une demande sociale réelle.

Le moment n'est pour autant pas idéal pour examiner cette demande car il faut attendre la concertation engagée par le gouvernement avec les partenaires sociaux qui peut déboucher sur une réforme globale des retraites présentée au printemps. Dans ce cadre, il sera possible de prendre en compte la pénibilité particulière de la vie professionnelles de salariés âgés ayant eu une très longue carrière.

M. Pierre Hellier a rappelé qu'il avait voté l'amendement déposé par M. Maxime Gremetz sous la précédente législature, ensuite écarté par le gouvernement de l'époque. La proposition de loi examinée poursuit donc un objet légitime et très compréhensible, mais elle doit s'intégrer dans le cadre plus large d'une négociation sur la réforme du système des retraites.

M. Jean-Luc Préel a estimé qu'il existe effectivement des anomalies et des inégalités : un salarié âgé de moins de soixante ans ayant cotisé plus de quarante annuités ne peut accroître ses droits, pas plus qu'un salarié travaillant après soixante ans et ayant également cotisé plus de quarante annuités. Le groupe UDF recommande de redonner son autonomie à la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et d'élaborer un système par points, respectant la liberté de choix du salarié et aménageant des possibilités de bonification pour pénibilité et des rachats de cotisations. En tous les cas, la proposition de loi doit s'inscrire dans le cadre du projet global de la réforme des retraites.

M. Alain Néri a d'abord considéré que le problème des retraites, qui constituent une partie essentielle de notre système de solidarité, est crucial. Il relève en effet du droit de vivre dans la dignité après une dure vie de labeur. Le groupe socialiste souhaite manifester son attachement à trois principes : la retraite à soixante ans, le maintien du système de répartition et enfin un taux de remplacement suffisant. La problématique du taux de remplacement sera résolue grâce à une réforme du système des retraites complémentaires.

La proposition de loi examinée vise à permettre aux salariés ayant cotisé pendant quarante annuités et âgés de moins de soixante ans de prendre leur retraite à taux plein. Le texte s'adresse en particulier aux salariés ayant commencé à travailler très tôt, parfois dès l'âge de quatorze ans, et dont les conditions de travail ont été le plus souvent éprouvantes : travail précaire, travail de nuit, travail posté et bas niveau de salaire en raison d'une faible qualification. La durée du travail pouvait atteindre quarante-huit heures par semaine, dans des conditions de travail impitoyables. Ces salariés ont contribué au redressement du pays après les privations de la Seconde Guerre mondiale et l'ont ensuite servi lors de la guerre d'Algérie. Il s'agit d'une mesure sociale car ces salariés sont atteints d'une usure prématurée qui réduit leur espérance de vie à la retraite.

Si la proposition de loi déposée sous la précédente législature n'a pas été acceptée, l'allocation équivalent retraite (AER) a été créée. Cette solution s'expliquait par l'impossibilité de légiférer sur la retraite complémentaire, notamment en raison de l'absence de coopération du MEDEF, qui avait d'ailleurs fait échouer l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE). La proposition de loi examinée aujourd'hui ne vise pas à mettre en place une faveur : il s'agit d'une mesure juste, sociale et humaine, qui vise à introduire un droit légitime. Il y a en outre une urgence car le nombre de salariés ayant commencé à travailler depuis l'âge de quatorze ans se réduit. Il faudra d'ailleurs sans doute envisager une solution pour les salariés ayant commencé à travailleur à un âge plus tardif.

Le groupe socialiste votera donc cette proposition de loi mais déposera deux amendements. Le premier vise à mieux prendre en compte la retraite complémentaire et le second à permettre aux salariés bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite, qui est d'un montant de 877 euros, de pouvoir faire un choix entre le bénéfice de cette allocation et un départ à la retraite.

M. Georges Colombier a fait part, s'agissant des conditions de départ à la retraite des salariés ayant commencé à travailler tôt, d'une part de son expérience du travail posté dans l'entreprise et d'autre part des réactions recueillies dans sa circonscription. Si la proposition de loi poursuit un objectif légitime, elle a néanmoins un coût énorme. Il faut rechercher plus de souplesse, afin que les salariés n'aient pas l'impression de continuer à cotiser pour rien, et mieux prendre en compte la pénibilité du travail, même si elle est difficile à identifier. En tous les cas, la proposition de loi doit être discutée dans le cadre plus global de la réforme des retraites.

M. Frédéric Dutoit a souligné que la proposition de loi poursuit un objectif d'équité en visant les salariés ayant cotisé quarante annuités et n'ayant pas encore atteint soixante ans. Son adoption pourrait constituer une bonne base de départ pour les débats à venir sur la réforme des retraites.

Après avoir rappelé l'utilité du texte, M. Pascal Terrasse a relevé qu'il répond à un souhait exprimé autant sur les bancs de la gauche que de la droite. Ce souhait, selon une récente étude de la direction de la recherche des études et des évaluations statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales, est également celui d'une très grande majorité des Français. Sous la législature précédente, lors de la discussion de la proposition de loi, le Conseil d'orientation des retraites (COR) n'avait pas encore remis son rapport. Or ce document avait pour objet de fixer les bases d'un débat plus large : c'est pourquoi la proposition n'avait pas été adoptée. La situation est aujourd'hui comparable. Le ministre chargé des affaires sociales, M. François Fillon, a convoqué récemment le groupe confédéral et l'un des thèmes retenu pour la discussion est l'ouverture des droits à taux plein avant l'âge de soixante ans. Lors de l'examen du projet de loi de financement pour la sécurité sociale pour 2002, MM. Maxime Gremetz et Alain Bocquet avaient déposé un amendement en ce sens, disposition adoptée à l'unanimité par la commission contre l'avis du gouvernement. La réponse gouvernementale avait consisté dans la création de l'allocation équivalent retraite.

Par ailleurs la question de la retraite complémentaire doit être évoquée. En 1982, avait été créée l'association pour la gestion de la structure financière (ASF), en partie financée par l'Etat. En 2001, une nouvelle structure de gestion des retraites complémentaires a été mise en place par les partenaires sociaux, l'association pour la gestion du fonds de financement de l'Agirc et de l'Arrco (AGFF). La situation financière de cet organisme et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) devrait aller en s'améliorant et, si des excédents voient le jour, des fonds pourront donc être dégagés.

L'allocation équivalent retraite a été mise en place alors même que l'allocation chômeurs âgés et l'ARPE avaient fait l'objet d'une suspension provisoire, le MEDEF s'étant retiré des négociations. Cette année le dispositif de préretraite AS-FNE connaît une situation équivalente. Il est donc nécessaire de créer aujourd'hui les outils adéquats, stables et durables.

Il est souhaitable que cette proposition de loi vienne en séance publique, dans la perspective du prochain débat sur la réforme des retraites mais aussi pour permettre à l'opposition de développer ses thèses, notamment ses positions sur les problèmes du conjoint survivant et du minimum contributif, et au gouvernement de rendre compte des travaux du groupe confédéral.

M. Xavier Bertrand a considéré qu'il y a deux attitudes possible sur le problème soulevé par cette proposition de loi, selon qu'il s'agit de débattre ou de légiférer.

Le débat apportera incontestablement un éclairage intéressant sur un des aspects particulier de la réforme globale des retraites dont le Parlement sera très prochainement saisi. La demande dont est porteuse cette proposition de loi est incontestablement légitime, tant par le nombre des personnes concernées, que par la durée et la pénibilité du travail qu'elles ont accompli. Il s'agit d'un public particulièrement modeste, comme l'indique les montants des pensions à liquider, bien souvent victime d'une inégalité d'espérance de vie.

Il reste que l'adoption immédiate de ce texte n'est pas opportune aujourd'hui, au moment où la réforme globale des retraites est enfin engagée. Le discours du Premier ministre a été suivi d'une accélération de la concertation sociale et de la mise en place de groupes de travail ; le calendrier parlementaire d'examen de la réforme est dorénavant connu.

L'adoption de cette proposition de loi aurait en fait plusieurs effets pervers. Elle reviendrait tout d'abord à ne pas laisser toute sa place au dialogue social qui s'est engagé sur la réforme des retraites et doit pouvoir porter sur tous les problèmes, y compris celui-là. D'autre part, cela ne permettrait pas de traiter la totalité de la question, puisque le texte ne porte pas sur la retraite complémentaire. Enfin, adopter un tel texte pourrait laisser penser que la réforme des retraites se limite à ces mesures, alors qu'il n'en est rien et que des questions comme la pénibilité du travail, l'image des travailleurs et l'assouplissement de la retraite seront également examinées.

Faisant valoir une sortie en sifflet, les auteurs de la proposition de loi veulent régler le problème immédiatement. Cette analyse est en réalité infondée car l'apprentissage peut encore avoir de beaux jours devant lui et la réflexion sur la réforme globale des retraites s'intéressera également au traitement spécifique des personnes ayant commencé leur vie professionnelle de cette manière, c'est-à-dire autour de l'âge de quatorze ans.

M. Jean Le Garrec a observé que ce débat est demeuré dans sa mémoire comme le sujet le plus difficile qu'il ait eu à gérer lorsqu'il présidait la commission sous la précédente législature. Il avait alors eu à défendre une position tout à fait en contradiction avec ses convictions profondes.

La demande exprimée est bien évidemment totalement légitime. Elle est l'expression d'une des plus grande inégalité sociale existant actuellement, l'inégalité devant l'espérance de vie, qui peut varier de dix ans selon la vie professionnelle des personnes. De plus, ce texte s'inscrit pleinement dans la démarche entamée par le ministre des affaires sociales en matière de pénibilité du travail. Mais elle pose également un double problème : d'une part celui du taux de remplacement et du minimum contributif et d'autre part celui d'un nécessaire accompagnement par une retraite complémentaire.

Tous les commissaires ont débattu ce matin avec honnêteté et courage. Les propositions formulées par M. Pascal Terrasse ouvrent des perspectives intéressantes et permettraient de mener la réflexion à son terme. Il est indéniable que les initiatives prises sur ce problème par la précédente majorité n'ont pas été à la hauteur. Cette question peut désormais être posée dans le cadre du débat sur la pénibilité du travail. On doit donc se réjouir que l'Assemblée nationale en soit à nouveau saisie.

M. Céleste Lett a également considéré que sur le fond, la question soulevée par la proposition de loi était totalement légitime. Par contre, sur la forme, ce texte est « ubuesque », voire démagogique, car il a déjà été rejeté par le précédent gouvernement en raison de la nécessité de traiter le problème de façon globale, dans le cadre d'une réforme des régimes de retraite. Le gouvernement actuel est exactement sur la même position. Cette réforme globale est aujourd'hui soumise aux partenaires sociaux : il convient donc de laisser toute sa place à la négociation. De plus, il ne faudrait pas que l'opposition actuelle prenne prétexte de l'adoption de ce texte pour ensuite rejeter la réforme globale des retraites proposée par le gouvernement.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a souligné que sa position et son action sur ce sujet n'avaient pas variées depuis plusieurs années. Il n'y a pas là de démarche partisane mais la simple volonté d'apporter des solutions concrètes à des problèmes rencontrés par nos concitoyens. Il s'agit avant tout d'être constructif et sérieux et non pas de justifier à l'avance un éventuel refus de la réforme des retraites.

Les arguments développés pour refuser l'adoption du texte sont les mêmes que ceux utilisés il y a un an et demi. Il reste que cette proposition de loi a déclenché un véritable intérêt et une forte attente depuis sa publication. N'oublions pas qu'elle concerne 800 000 personnes (soit près de deux millions de personnes en comptant leurs familles), usées jusqu'à la corde par une vie professionnelle difficile et qui aujourd'hui - comme les salariés de Métal Europe qui après quarante et un ans de cotisations vont se retrouver au chômage - ne savent rien de leur avenir. Il s'agit là avant tout de défendre leur dignité et les élus, au-delà de leurs clivages politiques, doivent prendre conscience de cet enjeu.

On doit donc se féliciter que l'actuelle majorité accepte que cette proposition de loi vienne en débat en séance publique. Cela permettra peut-être que les principes défendus par ce texte soient retenus pour la réforme générale des retraites.

Le président Jean-Michel Dubernard a observé que la période actuelle, si elle n'est pas idéale, semble cependant meilleure qu'il y a dix-huit mois pour débattre de cette proposition de loi, car la réformes des retraites est désormais imminente.

Après avoir souligné que l'ensemble des commissaires avait tenu des propos positifs sur le sujet, il a proposé à la commission de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre ses travaux et de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi, cette décision n'empêchant ni la discussion en séance publique, ni la publication d'un rapport écrit incluant le compte rendu intégral des travaux de la commission au cours desquels chacun a eu tout loisir de s'exprimer.

Suivant la proposition de son président, la commission a décidé de suspendre l'examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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