COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 43

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 3 juin 2003
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président

SOMMAIRE

 

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- Audition, ouverte à la presse, de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur le projet de loi portant réforme des retraites - n° 885

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur le projet de loi portant réforme des retraites (n° 885).

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné que le projet aujourd'hui soumis au Parlement est l'une des réformes les plus importantes de la législature qui concerne tous les Français. Il s'agit d'une question de société et sur tous les bancs politiques, même si des divergences existent, l'objectif commun est de défendre le système par répartition. Les députés de tous bords préparent ce débat depuis longtemps qui a été ouvert par le discours cadre prononcé par le président de la République le 6 janvier dernier, suivi de la présentation par le Premier ministre des grandes orientations de la réforme devant le Conseil économique et social le 3 février et de l'audition par la commission des ministres en charge des affaires sociales et de la fonction publique le lendemain. Les syndicats ont longuement été consultés pour préparer ce texte dont l'économie générale a été présentée en Conseil des ministres le 7 mai, puis a de nouveau donné lieu à consultation des organisations professionnelles avant d'être adopté par le Conseil des ministres et présenté au Parlement, auquel reviendra la charge d'adopter un projet responsable. Préalablement, les parlementaires ont procédé à de nombreuses auditions et sont désormais prêts pour voter le meilleur texte possible - certains points méritent certainement encore d'être améliorés - c'est-à-dire celui qui arrêtera les solutions les plus justes, les plus sûres, les plus souples.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a indiqué que, après dix ans de débats, de rapports et d'hésitations, c'est avec une conscience aiguë de l'enjeu et une certaine émotion qu'il présente devant la commission la première réforme globale de notre système de retraite depuis l'après-guerre.

Le temps du débat parlementaire est enfin venu. Il va permettre aux élus d'éclairer les enjeux, de croiser les arguments et de prendre leurs responsabilités devant la nation.

La réforme des retraites a été différée, alors que la plupart de nos partenaires européens s'y sont déjà attelés : il n'est plus possible d'attendre. Le statu quo, chacun en convient, est impossible. Il menacerait gravement notre système de retraites en sanctionnant principalement les Français les plus modestes. Les premières difficultés commenceront à apparaître en 2006 avec une augmentation annuelle de 300 000 départs supplémentaires à la retraite. Ce n'est que le début d'une révolution démographique qui changera le visage de la France. Il y a aujourd'hui douze millions de retraités. En 2040, un Français sur trois aura plus de soixante ans : le nombre des retraités aura quasiment doublé.

Notre nation est-elle définitivement réfractaire à toute réforme d'envergure ? Aucun effort raisonnable pour sécuriser notre modèle social n'est-il désormais plus possible ? Tout gouvernement est-il appelé à renoncer ou à esquiver devant les difficultés de la tâche ? Certainement pas. Certes nos concitoyens éprouvent certaines appréhensions devant le changement, mais au fond d'eux-mêmes ils sentent bien qu'il faut aller de l'avant. Le 21 avril 2002 l'a démontré : ils sont plus sévères vis-à-vis de l'impuissance publique qu'à l'égard du courage politique. C'est bien pourquoi le gouvernement est déterminé. Cette détermination est d'autant plus forte que c'est le modèle social et républicain qui est défié. Or, face à ce défi, l'action est un devoir.

Les crispations et la diversité d'opinions qui s'expriment ces dernières semaines ne peuvent pas être ignorées mais cette réforme devrait nous rassembler : elle n'est pas inspirée par des considérations dogmatiques ; elle est fondée sur un constat partagé et des pistes définies par les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR) mais aussi explorées depuis le Livre Blanc de Michel Rocard ; elle est juste et équitable ; elle est marquée par de véritables avancées sociales ; elle est progressive, rythmée par des rendez-vous réguliers permettant un pilotage et un ajustement continus. Enfin, et surtout, elle s'inscrit dans un choix de société qui nous est commun : celui de la solidarité et de la répartition. Il n'y a pas de changement de système : il est réformé pour continuer à le faire vivre.

Cette réforme fera du système des retraites français l'un des plus généreux et des plus solidaires d'Europe. Ceux qui en doutent devraient examiner de près les options retenues par nos partenaires européens. Le Parlement sera le juge final de ce projet de loi qui est le fruit du dialogue social.

De concertations en négociations, cette phase de dialogue s'est achevée par l'accord du 15 mai 2003, entre le Gouvernement, la CFDT, la CGC et les organisations patronales. Cette phase a été longue et intense. Du début février à la mi-mai, le dialogue aura duré trois mois et demi, marqué par plus de vingt réunions au cours desquelles tous les aspects de la réforme ont été abordés. Il est un peu facile pour ceux qui ont mis le dossier des retraites au placard, faute d'avoir cru possible d'établir un compromis, de donner aujourd'hui des leçons de dialogue social. La vérité, c'est qu'au cours de ces cinq dernières années, jamais le ministère des affaires sociales et du travail n'a vu se nouer un tel dialogue.

Cette méthode du dialogue social a porté ses fruits puisqu'un compromis a été trouvé avec plusieurs organisations syndicales. Au nom de quoi ces organisations seraient stigmatisées, tandis que celles qui ont, en définitive, choisi la voie de la contestation seraient encensées ? Aucun jugement ne doit être porté ni sur les unes ni sur les autres : chacun a pris ses responsabilités.

Contrairement à certains propos désobligeants et démagogiques entendus ces temps-ci, le gouvernement ne cherche à humilier personne, pas plus qu'il ne cherche à opposer les secteurs public et privé. Il est simplement déterminé à avancer et estime être en droit de souligner et de corriger l'inéquité qui existe entre les régimes du public et du privé. Ce droit, certains le contestent au nom d'une étrange défense du service public qui verrait l'Etat et ses fonctionnaires exonérés des efforts demandés à tous les Français. Telle n'est pas la conception du gouvernement de l'égalité républicaine.

Les choix et convictions de chacun doivent être respectés. D'ailleurs, certaines organisations syndicales, aujourd'hui contestataires, ont apporté une contribution importante et utile au projet. Mais le respect n'est pas synonyme de retrait, de report ou de réécriture du projet. La CFTC ayant choisi de rester « neutre », deux des cinq confédérations syndicales ont décidé de s'opposer au projet de réforme. Etait-il possible de les convaincre de nous suivre jusqu'au bout ? Cela est douteux. Leur hostilité porte sur une réforme vieille de dix ans, celle de 1993, que la gauche au pouvoir n'a au demeurant jamais cru utile de remettre en cause. Elle porte également sur l'alignement de la durée de cotisation du public sur le privé, point sur lequel il n'est pas possible - au nom de l'équité - de transiger. D'ailleurs, dans la déclaration intersyndicale du 6 janvier, il n'était à l'époque nullement question d'un retour aux « 37,5 années et demie de cotisations pour tous ». Mais voilà qu'aujourd'hui cette revendication ressurgit. Quel crédit peut être accordé à une revendication qui instille l'idée qu'en proposant à tous les Français de travailler moins nos retraites pourraient y gagner ?

Il est important d'être attentif à ce qui se passe dans la rue et de ne pas être enfermé dans des certitudes. Mais comme l'immense majorité des Français, le gouvernement ne comprend pas que l'on puisse faire grève contre l'équité. En lisant et en entendant les mots d'ordre et les slogans, il est difficile de discerner les axes d'un projet alternatif qui ne compromettrait pas l'avenir de nos retraites ou de notre économie.

Dans toutes les contre-propositions, on voit surtout des dépenses qui conduiraient à un besoin de financement bien supérieur aux quatre points supplémentaires de PIB chiffrés pour 2040 par le Conseil d'orientation des retraites. On ne voit en fait, pour l'essentiel, que des impôts, des cotisations ou des taxes, c'est-à-dire des charges supplémentaires pour les Français d'aujourd'hui et surtout pour les Français de demain. Ces charges seraient dangereuses pour notre économie et pour nos emplois. Dans un monde ouvert et compétitif, la France n'est pas la mieux placée dans le domaine des prélèvements obligatoires. Il serait irresponsable d'alourdir la barque.

D'une certaine façon, cette quête éperdue de prélèvements supplémentaires masque un objectif inavoué : financer à tout prix le statu quo, notamment le statu quo sur la durée de cotisation, et financer en définitive l'absence même de réforme. Cette option n'est pas celle du gouvernement, qui a décidé, au nom de l'intérêt général, de réformer. Cette réforme dépasse, en effet, la question même de l'équilibre comptable des retraites. Ce qui est aujourd'hui en cause c'est notre capacité à consentir sur nous-mêmes l'effort partagé pour garantir et enrichir notre modèle social.

Le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a ensuite présenté le projet de loi, construit autour de quatre orientations principales.

- La première orientation est le choix majeur de maintenir le niveau des pensions aussi haut que possible par l'allongement de la durée d'activité et de la durée d'assurance.

De plus en plus nombreux à la retraite, les Français aspirent à la sérénité de ce temps de la vie. Ils veulent à juste titre un haut niveau de retraite. Personne ne peut croire sérieusement que cet objectif passe par une forte augmentation des cotisations ou un nouveau mode de financement qui viendrait miraculeusement changer la donne. C'est pourquoi la meilleure garantie, la plus juste et la plus sûre, pour assurer un haut niveau de retraite, sans reporter sur les actifs de demain une charge excessive, est bien d'allonger la durée d'activité et la durée de cotisation. Il n'y a pas d'autre choix si l'on ne veut pas handicaper la croissance et l'emploi.

C'est une nécessité pour l'équilibre et la sécurité de nos retraites par répartition. On ne soulignera jamais assez combien ceux qui suggèrent d'asseoir le financement des retraites sur les flux financiers ou les bénéfices des entreprises - ressources par nature incertaines et volatiles et de surcroît insuffisantes - en lieu et place des revenus stables du travail, font le lit de la capitalisation qu'ils exècrent par ailleurs.

C'est enfin une nécessité au regard de l'équité : la durée d'assurance doit être égale pour tous. Une fois l'étape des quarante ans atteinte dans les régimes de la fonction publique, en 2008, le gouvernement propose que la durée de cotisation augmente de manière très progressive, afin de stabiliser le rapport entre le temps de travail et le temps de retraite. Aujourd'hui, toute l'augmentation de l'espérance de vie après 60 ans bénéficie à la retraite. Le temps de retraite des Français continuera à augmenter et à bénéficier des gains d'espérance de vie. C'est une bonne chose, mais le partage et le gain entre le temps de travail et le temps de retraite est devenu nécessaire pour garantir l'avenir de la répartition.

La stabilisation de ce partage conduit à une durée de cotisation de 41 ans en 2012. Mais cette évolution ne sera pas automatique. Une commission spécialement constituée à cet effet se réunira à échéances régulières pour examiner les données démographiques, économiques et sociales, et tout particulièrement les caractéristiques du marché du travail, et ce sera ensuite au gouvernement de prendre les décisions d'adaptation nécessaires.

L'augmentation de la durée d'assurance serait en effet difficile si aucun progrès n'était constaté quant à l'âge réel de cessation d'activité. C'est pourquoi le gouvernement n'a pas souhaité augmenter, dès 2004, la durée d'assurance du secteur privé. La France a cinq ans pour réussir le premier rendez-vous en 2008. Nous ne pouvons plus nous contenter d'assister à l'exclusion du marché du travail des salariés de plus de 55 ans. Dans le même temps, tout le monde est conscient de l'impossibilité de supprimer, du jour au lendemain, tous les dispositifs de préretraites.

C'est pour cette raison qu'un objectif réaliste a été défini, tendant à faire passer l'âge moyen de cessation d'activité de 57,5 à 59 ans en 2008. C'est pour cette raison qu'il faut recentrer les dispositifs de préretraite sur deux outils :

- les préretraites « pénibilité », les partenaires sociaux étant les mieux à même, au niveau interprofessionnel puis au niveau des branches, de définir les métiers et les secteurs justifiant un départ anticipé ;

- les préretraites « restructuration », qui s'avèrent nécessaires dans le cadre de plans sociaux pour assurer la survie de l'entreprise.

Dans le cadre d'un élargissement du taux d'activité, le travail au-delà de 60 ans, pour ceux qui le souhaitent, doit être favorisé. Plusieurs mesures sont proposées, comme l'assouplissement des règles sur le cumul emploi-retraite ou le report à 65 ans de la possibilité de mise à la retraite d'office à l'initiative de l'employeur.

Mais l'essentiel est dans la formation continue qui doit permettre aux salariés de plus de cinquante ans de valoriser leur expérience, une expérience qui va devenir d'autant plus précieuse que la démographie va peser fortement sur le marché du travail. Les partenaires sociaux ont engagé une négociation sur le sujet et le gouvernement présentera un projet de loi à l'automne.

Au-delà de ces mesures et de ce projet de loi, il faut prendre la mesure du défi : le vieillissement de la France va nous obliger à un changement culturel majeur sur le rôle des seniors dans la société et sur le marché du travail. Il faut ouvrir aux salariés les possibilités d'une seconde carrière, miser sur la transmission des savoirs et des métiers et permettre aux retraités qui ont quelque chose à apporter de le faire en retrouvant un emploi, ne serait-ce qu'à temps partiel. A tout cela la réforme ouvre la porte. Les entreprises doivent comprendre que si elles ne favorisent pas cette mutation des esprits et des pratiques, alors il n'y aura pas d'autre choix que d'augmenter de façon drastique leurs charges pour financer les retraites.

Pour réussir ce changement culturel, chacun devra assumer sa part de responsabilité : l'Etat avec ses agents, les entreprises avec leurs salariés et le législateur en utilisant les leviers et les rendez-vous que cette loi lui offre.

- La deuxième orientation de cette réforme est celle de l'équité et de la justice sociale.

Le projet de loi définit tout d'abord un objectif, associant le régime de base et les régimes complémentaires, en faveur des salariés ayant toujours travaillé au SMIC : leur retraite s'élèverait, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008, contre 81 % aujourd'hui. Cette avancée sociale en faveur des salariés les plus modestes a été définie conjointement avec les organisations syndicales qui ont choisi de soutenir le processus de réforme. C'est une réelle amélioration de la retraite des salariés modestes rendue possible par la revalorisation du minimum contributif, que le gouvernement s'engage à revaloriser de 9 % d'ici 2008 avec une augmentation de 3 % d'ici 2004.

La réforme met également fin aux inégalités de traitement entre monopensionnés et pluripensionnés - ces derniers représentant 40 % de ceux qui prennent leur retraite chaque année - et entre salariés et non-salariés. Les commerçants bénéficieront de la mise en place d'un régime de retraite complémentaire obligatoire, qui permettra à terme d'améliorer leurs pensions, tandis que les professions libérales, à leur demande, connaîtront une réforme profonde de leur régime de base, dans le sens d'une plus grande équité. La mensualisation des retraites des exploitants agricoles ne sera plus quant à elle une éternelle promesse, mais une réalité.

La demande de ceux qui ont travaillé très tôt, et qui doivent attendre l'âge de soixante ans pour partir à la retraite, malgré une très longue durée d'assurance, est inlassablement relayée depuis deux ans par des parlementaires de tous horizons politiques. Au nom de la justice sociale, le gouvernement a décidé de proposer cette disposition.

Dans le cadre de la négociation, ce droit a été ouvert à ceux travaillant depuis l'âge de 14, 15 et 16 ans : ils pourront partir en retraite à taux plein, entre 56 et 59 ans. C'est une avancée considérable et unique en Europe.

La garantie du pouvoir d'achat de tous les retraités, à travers l'indexation sur les prix, est également une importante mesure d'équité. Le projet de loi propose - au-delà de cette garantie - que, tous les trois ans, une conférence réunisse le Gouvernement et les partenaires sociaux, afin qu'ils définissent ensemble, par la négociation, si un « coup de pouce » peut être effectué en fonction de la croissance et de la situation financière des régimes d'assurance vieillesse.

Le projet de loi comprend également une importante réforme de la réversion dans le régime général et les régimes alignés : la pension de réversion sera attribuée désormais sans condition d'âge. Le système sera rendu davantage lisible et équitable, en remplaçant la double condition de ressources et de cumul par un plafond de ressources. Il s'agit d'une très importante simplification au bénéfice des veuves.

Les avantages familiaux seront maintenus, et notamment la majoration de pension pour trois enfants élevés. Dans les régimes de la fonction publique, la prise en compte de la jurisprudence européenne s'avère nécessaire, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004. Les bonifications de durée d'assurance seront ainsi ouvertes aux hommes et aux femmes sous condition d'une cessation effective, totale ou partielle, d'activité. Mais elles ne seront plus limitées à un an : elles pourront prendre en compte jusqu'à trois ans par enfant.

Une autre avancée pour les fonctionnaires est l'intégration d'une partie des primes des fonctionnaires dans le calcul de leur retraite par la création d'un régime additionnel obligatoire.

Enfin, la réforme engage les partenaires sociaux à négocier sous trois ans, dans les branches, la définition des métiers relevant de la pénibilité et donnant droit à des départs anticipés.

Toutes ces avancées démontrent que réforme ne signifie pas régression sociale, bien au contraire. C'est l'effort partagé demandé à tous qui permet de dégager des marges de manœuvres pour ceux qui en ont le plus besoin. Il est temps de dire que l'immobilisme creuse l'inégalité sociale et que la réforme la fait reculer.

- La troisième orientation fondamentale de cette réforme est de permettre à chacun de mieux construire sa retraite en donnant davantage de souplesse et de liberté de choix.

Le droit de liquider sa retraite à 60 ans est confirmé. Ceux qui accusent le gouvernement de vouloir remettre en cause ce droit font mine d'oublier que le système de retraite, dans le régime général et les régimes alignés, repose aujourd'hui et depuis très longtemps - à la fois sur l'âge et sur la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein. Il n'y a jamais eu un droit de liquider sa retraite à 60 ans à taux plein, quelle que soit la durée d'assurance. Ce droit est aujourd'hui donné à 65 ans. Ce sera toujours le cas demain : rien ne change donc sur ce point.

Aujourd'hui, si un salarié souhaite partir à 60 ans alors qu'il ne dispose pas de la durée d'assurance nécessaire, il est soumis à une décote d'un taux de 10 % par année manquante. Pour donner davantage de choix, il est proposé d'alléger considérablement ce taux, pour atteindre progressivement 5 % par année manquante. Cette mesure sera prise par voie réglementaire.

Parallèlement, afin d'instaurer une véritable égalité entre cotisants, le projet de loi crée dans la fonction publique une condition de durée d'assurance tous régimes, ce qui signifie l'introduction à partir de 2006 d'une décote. Elle montera progressivement en charge et respectera les spécificités de la fonction publique, qui comprend des limites d'âge différenciées. En 2015, la décote sera donc la même pour tous, que l'on soit salarié du privé ou fonctionnaire, comme l'exige l'équité.

En ouvrant la possibilité de la retraite progressive aux personnes n'ayant pas à 60 ans la durée d'assurance nécessaire, en ouvrant dans la fonction publique la cessation progressive d'activité, le projet donne une marge supplémentaire de souplesse pour tous ceux qui souhaitent passer de manière moins brutale du « tout travail » au « tout retraite ».

Pour donner du sens à l'idée de la retraite « à la carte », la décote est complétée par un mécanisme de surcote, dont le taux sera de 3 % par an. Ceux qui souhaitent continuer à travailler au-delà de 60 ans et au-delà de la durée d'assurance requise, seront ainsi incités à le faire. La souplesse consiste également à ouvrir le droit au rachat de trimestres, dans des conditions financièrement neutres pour les régimes.

Ces éléments de liberté et de souplesse rendent nécessaire une meilleure information des cotisants. Ce droit à l'information est double. Premièrement, une information collective sur la situation financière des régimes de retraite et sur l'évolution des niveaux de vie entre actifs et retraités : cette mission sera confiée au Conseil d'orientation des retraites. C'est la meilleure réponse à tous ceux qui agitent le spectre d'une « paupérisation » des retraités. Deuxièmement, une information individuelle sur le calcul des droits, complexe aujourd'hui à mettre en œuvre compte tenu de la multiplicité des régimes et des parcours professionnels. A cette fin, le projet de loi crée un groupement d'intérêt public, qui permettra d'assurer la bonne coordination des traitements informatiques nécessaires. L'objectif est de permettre à chaque Français d'avoir accès très tôt à un décompte de ses droits à la retraite et d'avoir une estimation du montant de sa pension.

Enfin, la liberté et la souplesse signifient l'élargissement de l'accès à des outils d'épargne retraite. Le projet de loi crée une garantie forte : quelle que soit la politique sociale menée par son employeur, un salarié du secteur privé bénéficiera d'une incitation fiscale lui permettant de disposer d'une rente à l'âge de la retraite. Par ailleurs, le projet de loi simplifie considérablement la galaxie des différents dispositifs existants et il les sécurise. Il allonge la durée du « plan partenarial d'épargne salariale volontaire », créé par la loi Fabius de 2001, afin de permettre aux salariés de disposer d'une véritable épargne en vue de la retraite, en rente ou en capital.

- La quatrième et dernière orientation de la réforme est de garantir le financement des retraites d'ici 2020.

Les Français sont légitimement attachés à la répartition. Ils souhaitaient conserver un haut niveau de retraite. Mais ils aspirent surtout à la sécurité.

Les mesures d'allongement, pour le régime général, représentent un peu plus du tiers du besoin de financement en 2020, chiffré à 15 milliards d'euros par le COR. Les mesures de justice sociale décidées dans le cadre de la réforme devraient être financées par la hausse de 0,2 point des cotisations vieillesse, prévue en 2006. Ces mesures s'appliqueront par définition au seul flux des retraités, à partir de 2004. Elles n'auront pas fini de monter en charge d'ici 2020.

Le choix étant fait de ne pas baisser le montant des pensions, deux tiers du besoin de financement du régime général seront ainsi financés par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites et donc par une augmentation des cotisations vieillesse. C'est un effort partagé. Dire que le gouvernement fait de la durée d'assurance le seul paramètre d'équilibre est un contresens.

En cohérence avec sa volonté de réduire, ou tout au moins de stabiliser, le niveau des prélèvements obligatoires, le gouvernement estime que l'augmentation des cotisations vieillesse pourra, en quelque sorte, être gagée par la diminution des cotisations chômage. Aujourd'hui cette perspective apparaît à certains comme inatteignable, mais notre objectif est 2020. Et dans cet esprit nul ne peut accepter l'idée que le taux de chômage reste identique à celui d'aujourd'hui.

Cette perspective est en partie liée à la croissance, mais elle découle aussi - et en grande partie - des évolutions démographiques. Pour la première fois dans notre histoire, le nombre de ceux qui entrent chaque année sur le marché du travail va, à partir de 2002, diminuer. Si nous améliorons parallèlement notre système de formation, initiale et continue, si nous optimisons nos dépenses publiques, si nous résistons à notre tendance à toujours accroître nos prélèvements, nous devrions raisonnablement atteindre un niveau de chômage en 2020 de 5 à 6%, chiffre supérieur à celui retenu dans la projection du COR qui est de 4 %. Il sera alors possible de réduire les cotisations chômage et d'augmenter les cotisations vieillesse. Au regard de ces conditions, la réforme est donc financée.

Elle permet enfin de lever les inquiétudes de ceux qui sont déjà à la retraite ou le seront d'ici 2020 et d'écarter les doutes des plus jeunes sur notre système de retraite par répartition. Nous leur montrons que ce système est capable d'évoluer : il suffit d'anticiper, de proposer et de décider.

D'aucuns disent qu'ils remettraient en cause cette réforme en cas d'alternance. En fait, quelle que soit la prochaine majorité - et singulièrement si elle est de gauche - nul ne reviendra sur l'esprit et l'architecture de cette réforme et cela d'autant plus qu'elle instaure des mécanismes de pilotage en continu. Si le Parlement accepte ce principe d'adaptation qui est au cœur de la réforme, le mérite du gouvernement aura été de dissiper enfin la crispation de notre pays autour du problème de l'avenir des retraites.

En conclusion, le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a estimé que la France n'est pas réfractaire à la réforme, qu'elle est capable de se projeter vers l'avenir en transcendant ses particularismes au nom de l'intérêt général et qu'elle est prête à un effort raisonnable pour sauver son modèle social. Le projet de loi est porté par la détermination qui inspire notre idée de la responsabilité en politique. Cette détermination puise sa source dans le choc du 21 avril 2002. Nos concitoyens souhaitent que ceux qui sont en charge de tracer l'avenir prennent leurs responsabilités et respectent leurs engagements. C'est ce que le gouvernement fait. Il appartient désormais au Parlement de se saisir et de débattre de cette réforme.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, a salué le chemin parcouru dans le domaine de la réforme des retraites. Les ministres concernés n'ont eu de cesse de rencontrer les partenaires sociaux sur le terrain comme dans les ministères. Les nombreuses améliorations apportées au texte présenté aujourd'hui témoignent de cet état d'esprit.

Le programme présenté par M. Lionel Jospin le 20 mars 2000 comportait, concernant la fonction publique, quatre axes : ce sont les mêmes axes qui figurent dans le texte présenté aujourd'hui.

On observe, sur le sujet de la retraite, une angoisse chez les Français. La question se pose de savoir si la France est capable de se réformer.

Force est de constater que les Français manquent d'information sur les retraites et des arguments non fondés ont fini de jeter la confusion dans les esprits. Ainsi, les Français imaginent souvent que, pour avoir travaillé une certaine durée, ils ont droit à une retraite équivalente. Là ne réside précisément pas le principe de la répartition.

L'opinion publique ne comprendrait pas que certaines catégories sociales accomplissent un effort tandis que d'autres en seraient exemptées. Le sauvetage de la retraite par répartition exige des efforts partagés et justement répartis. C'est pourquoi il n'était plus possible de laisser de côté le régime de la fonction publique. La réforme que propose le Gouvernement est juste et équitable. Il ne s'agit pas de s'en prendre à la fonction publique ou à toute autre catégorie, mais de faire contribuer les différents milieux professionnels à un sauvetage qui ne peut plus être différé.

Même si le régime des fonctionnaires de l'Etat n'est pas au sens strict un régime par répartition, puisque ses charges sont en grande partie budgétisées, il est évident que l'inaction conduirait rapidement à une rupture de l'équilibre économique sur lequel repose ce système. L'Etat verse aujourd'hui 60 milliards d'euros de traitements et 30 milliards de pensions. En 2020, il versera 60 milliards de traitements et 60 milliards de pensions, en euros valeur 2003. En 2040, les règles actuelles conduiraient à débourser 60 milliards de traitements et 90 milliards de pensions.

Pour l'avenir, le statut des fonctionnaires n'est pas modifié, il demeure fondé sur la carrière. Le besoin de financement de 14 milliards d'euros pour 2020 est assuré. Ainsi, les fonctionnaires conservent les mêmes droits à la condition de travailler plus longtemps qu'aujourd'hui. Le principe retenu consiste à allonger la durée de cotisation pour parvenir au taux plein, le nombre d'annuités correspondant à une carrière complète étant porté de 37,5 à 40 d'ici à 2008.

Des dispositions sont prévues pour inciter les agents à adapter leurs choix de départ à cette nouvelle situation. Tout d'abord, des mesures visent à rendre plus attractives les fins de carrière : il s'agit d'ouvrir pour les enseignants un droit à une deuxième carrière et d'élargir pour tous les fonctionnaires civils les possibilités de bénéficier d'une cessation progressive d'activité à temps partiel.

Pour ne pas pénaliser les fonctionnaires par rapport aux salariés, les règles de validation et d'acquisition des périodes comptant pour la retraite ont été revues :

- Une durée d'assurances « tous régimes » est instituée. Elle permettra à ceux qui ont eu des carrières successives dans la fonction publique et dans d'autres régimes de ne pas être pénalisés pour l'application des règles de décote et de surcote : toutes les années compteront.

- Le temps partiel n'est pas pénalisé pour le calcul de la durée d'assurance : il comptera comme un temps plein, ce qui est particulièrement important pour les femmes mères de famille. Il sera aussi possible de surcotiser sur la base d'un temps plein pour améliorer le niveau de sa pension.

- Une mesure particulière vise les personnels dans les services actifs de la fonction publique hospitalière, qui recevront une année d'assurance supplémentaire tous les 10 ans de carrière.

- Comme dans les autres régimes, il sera possible de racheter jusqu'à trois années d'études, comptant soit pour la durée d'assurance, soit pour la liquidation.

Les avantages familiaux sont maintenus :

- La majoration de 10 % pour les parents d'au moins 3 enfants demeure inchangée, comme dans le régime général.

- La pension de réversion des hommes est alignée à la hausse sur celle des femmes.

- Le droit au départ avec disposition immédiate de la pension après 15 ans de service des femmes ayant élevé trois enfants est conservé. Ce point est particulièrement sensible dans les métiers de la santé et de l'éducation.

- Quant à la bonification pour enfants, la jurisprudence européenne a rendu nécessaire l'adaptation du dispositif antérieur pour pouvoir le conserver : pour le passé, il a été décidé de ne pas diminuer les droits des femmes dont les enfants étaient déjà nés. Certains recommandaient de diviser l'avantage par deux, pour le baisser à 6 mois, et de l'étendre ainsi plus facilement aux hommes. Cette solution, qui ignorait la réalité sociologique, a été écartée : les femmes ont des carrières moins favorables que celles des hommes car elles s'arrêtent souvent pour élever les enfants. Le choix a été fait de traduire la jurisprudence en conservant pour le passé la bonification d'un an par enfant, qui est étendue aux hommes mais est conditionnée par le fait de s'être arrêté de travailler pour la naissance ou l'éducation de l'enfant. Pour le futur, la bonification est remplacée par une validation comme période de service des périodes d'arrêt en relation avec la naissance, l'adoption ou l'éducation de l'enfant, cette validation pouvant atteindre trois ans par enfant. La mesure bénéficiera aux femmes et aux hommes.

Un coefficient de majoration, ou surcote, permettra d'augmenter la pension de ceux qui compteraient 40 annuités après l'âge de 60 ans. Symétriquement, un coefficient de minoration, ou décote, sera appliqué aux années manquantes, dans la limite de 5, pour ceux qui choisiraient de partir à compter de l'ouverture des droits avec une carrière incomplète. Cette décote atteindra 3 % par année en 2011 et sera portée à 5 % en 2015, la décote du régime général étant parallèlement abaissée à ce niveau. Ce mécanisme ne vise pas à baisser le montant de la pension comme l'affirment les adversaires de la réforme, mais incite les agents à différer leur départ pour se rapprocher de la limite d'âge de leur corps, limite à laquelle s'annule la décote.

Ainsi, un agent qui partira avec le nombre d'annuités requis pour le taux plein, soit 40 à compter de 2008, sera garanti de percevoir comme aujourd'hui avec 37,5 annuités une pension égale à 75 % de son dernier traitement, lequel continuera d'être calculé sur les six derniers mois de la carrière. En cas de carrière incomplète, la décote s'annulera à la limite d'âge : 65 ans dans le cas général, 55 ou 60 ans pour les fonctionnaires classés dans ce que l'on appelle les « services actifs » correspondant à des métiers dangereux ou pénibles.

Le projet de loi a prévu des dispositions transitoires très longues, la décote ne commençant à s'appliquer qu'à partir de 2006 et atteignant son intensité maximale en 2020 seulement. Les fonctionnaires proches de la retraite auront ainsi le temps de se préparer et pourront faire évoluer leurs choix de départ sur une longue période.

L'indexation de la revalorisation des pensions sur les prix apporte la garantie du maintien du pouvoir d'achat ; il s'agit là d'un rapprochement du régime général. Par ailleurs, la réforme aborde la délicate question des primes. L'intégration des primes dans la pension proprement dite n'était pas envisageable en raison notamment de son coût très élevé : 5 à 6 milliards d'euros par an en 2020. Cependant, le gouvernement est soucieux d'avancer sur ce point très attendu par les fonctionnaires.

Le projet de loi institue pour tous les fonctionnaires civils et les militaires un nouveau régime, distinct du régime des pensions. Un régime par répartition et par points sera garanti par un mécanisme de provisionnement selon des modalités qui doivent être précisées d'ici à sa création. Il sera obligatoire. Ce point est central pour la répartition et a été affirmé à l'issue des rencontres avec les partenaires sociaux.

Après les exposés des ministres, un débat s'est engagé.

M. Bernard Accoyer, rapporteur, a estimé que la discussion de ce texte est essentielle à la sauvegarde du pacte entre les générations. Des travaux importants ont été menés depuis plusieurs mois ayant permis d'aboutir à un texte contenant des avancées considérables qui honorent les membres du gouvernement comme les partenaires sociaux. Le courage de certains hommes politiques de l'opposition, dont les interventions rappellent chaque jour qu'un large consensus existe, doit être salué.

Le texte présenté comporte de nombreuses mesures de justice relatives aux petites pensions et aux carrières longues. Des négociations relatives à la pénibilité seront engagées. La réforme, en s'appuyant sur les partenaires sociaux, garantit les valeurs de l'échange, de la richesse partagée et de la retraite assise sur la contributivité des actifs. Par ailleurs, le plan famille, développé en parallèle à la réforme des retraites, permettra d'assurer le sauvetage de la sécurité sociale.

Malgré le nombre des amendements, malgré les critiques proférées par ceux qui hier préconisaient ces mêmes réformes, des progrès sont acquis qui concernent la réversion, la famille, les parents d'enfants handicapés ainsi que les handicapés eux-mêmes. Il est donc temps d'ouvrir un vrai dialogue avec l'opposition, cela sans polémique, dans le but commun de sauver le pacte républicain.

Mme Claude Greff, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a salué la pérennisation du système de retraite par répartition pour les hommes et les femmes. Un effort collectif est demandé à tous, au secteur privé comme au secteur public. La délégation, qui estime positive la place reconnue aux femmes dans cette réforme, tient néanmoins à formuler quelques propositions d'amélioration.

Dans le régime général, pour l'attribution de la pension de réversion, le nouveau plafond des ressources personnelles du conjoint survivant, les siennes propres ou celles du ménage, devra être fixé à un niveau suffisant pour répondre à un double souci : ne pas léser les veufs(ves) ayant encore une activité professionnelle ou bénéficiant d'un avantage personnel vieillesse ; aller dans le sens de l'équité et d'un rapprochement avec le régime de la pension de réversion dans la fonction publique, même si la comparaison est difficile à faire, compte tenu des régimes complémentaires.

Ce plafond devra en outre être modulé pour tenir compte du nombre des enfants encore à la charge du conjoint survivant.

Le gouvernement et les partenaires sociaux devront étudier, à l'occasion des rendez-vous prévus par le projet de loi, les conditions dans lesquelles le taux de la pension de réversion du conjoint survivant, fixé aujourd'hui à 54 %, pourrait être augmenté. L'objectif est d'atteindre, à terme, un niveau de 60 %.

La suppression de la condition d'âge par le projet de loi pour accéder à la pension de réversion dans le régime général devrait être adoptée par les régimes complémentaires (ARRCO et AGIRC), de façon à donner à cette mesure toute sa portée.

Dans le régime de retraite complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles, la pension de réversion n'est accessible au conjoint survivant que si le conjoint décédé a déjà liquidé sa retraite. Cette condition très restrictive devrait être supprimée, la pension de réversion étant fixée, dans les autres régimes, en référence à la retraite dont bénéficiait ou aurait bénéficié l'assuré.

En matière de compensations familiales, terme préféré à celui d'avantages familiaux, la délégation a souhaité que, dans le régime de la fonction publique, la bonification d'une année d'assurance attribuée aux femmes et aux hommes pour les enfants nés avant 2004 sous réserve d'une interruption d'activité soit maintenue pour les enfants nés après 2004. Cela permettrait à toutes les femmes fonctionnaires de continuer à en bénéficier, en particulier celles qui assument à la fois les charges des enfants et celles de la vie professionnelle. La mise en œuvre du droit communautaire confère les mêmes droits aux hommes et aux femmes. Après 2004, la bonification pourra aller jusqu'à trois ans par enfant mais pénalisera les femmes qui continuent à travailler.

Outre les périodes de congés liées à l'éducation des enfants ouvrant droit à validation dans le régime de la fonction publique, devraient être également prises en compte des périodes liées à des obligations conjugales ou familiales : congé pour suivre un conjoint, ou congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie. Ce sont souvent les femmes qui assurent les soins aux personnes âgées.

Il conviendrait de reporter du 1er janvier 2004 au 1er juillet 2004 la date de prise en compte pour la mise en application du nouveau système de validation des périodes d'interruption de carrière, afin que les mères aient eu connaissance, au préalable, des conditions de leur retraite et en particulier de l'accès à la majoration d'assurance.

Dans le régime général, les conditions d'attribution de la majoration d'assurance de deux années par enfant élevé pendant neuf ans avant son seizième anniversaire devraient être assouplies. La majoration devrait être calculée en fonction de la durée effective de prise en charge de l'enfant, à raison d'un trimestre par année de prise en charge jusqu'à un maximum de huit trimestres. Il conviendrait de reprendre les dispositions envisagées lors de la discussion du PLFSS pour 2002 au bénéfice de toutes les femmes ayant eu des enfants.

En ce qui concerne les artisans et agriculteurs, pour améliorer la situation des femmes d'artisans à la retraite et leur permettre d'acquérir des droits propres, devrait être instituée l'obligation d'adhérer à l'un des trois statuts proposés par la loi du 10 juillet 1982. Pour les agricultrices qui optent pour le statut de conjoint-collaborateur, la possibilité de souscrire à la retraite complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles instituée par la loi du 4 mars 2002 devrait leur être ouverte.

Lors des négociations entre les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel et au niveau des branches sur les critères de pénibilité permettant un départ anticipé à la retraite, la pénibilité spécifique à certains emplois féminins devra être prise en compte.

En conclusion, cette réforme est positive par ses apports en termes de simplification et s'agissant des divers avantages familiaux.

Avant d'analyser le fond du projet de loi, M. Pascal Terrasse a tout d'abord formulé quelques remarques sur la forme du débat.

Le mardi 4 février 2003, le ministre s'est exprimé devant les membres de la commission pour expliquer les contours de la réforme que le gouvernement souhaitait engager. Il en ressortait qu'il souhaitait sortir de cet exercice par un dialogue social renforcé et que la négociation avec les partenaires sociaux lui donnerait raison. Trois mois après qu'en est-il réellement ?

Premier point, le président de la commission avait proposé que les élus de la majorité comme ceux de l'opposition soient rapidement associés au débat de cette réforme, par deux mesures très concrètes : l'audition de ministres des pays européens concernés par les réformes des retraites et celle de parlementaires d'autres Etats de l'Union européenne (suédois et espagnols), en collaboration avec le Sénat. Ces propositions sont restées lettre morte.

Le président Jean-Michel Dubernard est intervenu pour rappeler que la commission a reçu la commission du travail et de l'égalité professionnelle du Parlement finlandais, réunion qui a donné lieu à un échange de vues très intéressant sur les retraites.

M. Pascal Terrasse a poursuivi en regrettant, dans un deuxième point, que le gouvernement ait décidé de mener cette réforme au pas de charge, sans laisser le temps aux organisations syndicales de négocier, préférant le passage en force. Le résultat est que seules deux organisations de salariés sur huit ont approuvé, partiellement, les propositions du gouvernement.

Selon l'expression du ministre, le temps social est derrière nous, le temps politique s'ouvre à présent. Or, il est à craindre que la manière dont ont été traitées les organisations syndicales ne préfigure le traitement de l'opposition : le projet de loi a été distribué dans la journée d'hier à l'Assemblée nationale, les amendements devant être déposés ce même jour avant 17 heures. L'examen du texte a lieu cette semaine en commission et la semaine prochaine en séance. Il s'agit là aussi d'une véritable course de vitesse sans qu'il soit réellement permis à l'opposition d'engager un débat de fond sur le sujet, comme cela l'a été dans de nombreux pays étrangers. Une réforme est à l'évidence nécessaire mais l'absence de débat et d'un minimum de consensus sur la réforme risque d'obérer l'avenir de ce dossier.

Quelles premières analyses peut-on tirer du projet de loi : premièrement, qu'il s'agit d'un projet qui n'est pas financé ; deuxièmement, qu'il ne garantit en rien la pérennité du régime par répartition ; troisièmement, qu'il met un terme à une avancée sociale majeure, la retraite à 60 ans ; quatrièmement, qu'il va à très court terme appauvrir les retraités et tout particulièrement les femmes.

Sur le financement, le gouvernement a fait le choix d'allonger la durée de cotisation et de baisser les pensions plutôt que d'ouvrir un débat sur les paramètres financiers et la diversification des financements. Il s'agit d'une logique dogmatique et très libérale, encore faut-il l'assumer.

Les travaux du COR ont démontré que l'on peut garantir un très haut niveau de retraite, avec l'assurance d'un départ à 60 ans à taux plein, en s'appuyant sur des nouveaux financements tels que : le redéploiement des marges de manœuvre dégagées, notamment dans le champ des comptes sociaux, la CRDS, l'élargissement de l'assiette des prélèvements par la création d'une contribution assise sur la valeur du patrimoine et des produits financiers, l'augmentation des cotisations sociales, l'abondement non contributif du Fonds de réserve des retraites ou encore la création d'une contribution d'équilibre de 1'Etat assise sur l'impôt sur le revenu. Ce n'est pas le choix opéré par le gouvernement.

La croissance et la productivité devraient doubler ces vingt prochaines années : malgré cela, on choisit de se réfugier dans l'appauvrissement des retraites et, par conséquent, on contribue, encore un peu plus, à casser la croissance et l'emploi. Les retraités sont en effet des acteurs économiques qui contribuent pour une part importante à la croissance économique.

Il est en conséquence difficile de faire confiance au gouvernement sur ce dossier lorsque la seule hypothèse financière crédible du projet repose sur les excédents de l'assurance chômage, alors que la France a perdu 100 000 emplois en un an et que les comptes de l'UNEDIC sont déficitaires. Dans un système par répartition, il est nécessaire de pratiquer une politique tournée vers le plein emploi, ce qui était le cas du précédent gouvernement. Mais on ne peut pas en la matière, faire confiance aux entreprises privées non plus qu'à l'Etat puisque aussi bien une entreprise comme Metaleurop que la Banque de France licencient leurs salariés dès l'âge de cinquante ans.

Le projet n'est absolument pas financé. La seule source de financement consiste en l'affaiblissement des pensions de retraites. L'allongement de la durée de cotisation sera supporté à 90 % par les seuls salariés : où sont les efforts partagés ? Les mesures proposées ne garantissent même pas l'équilibre de la branche vieillesse à l'horizon 2010. Allonger la durée de cotisation des fonctionnaires n'équilibrera pas le régime général puisque la fongibilité n'existe pas. Comment les cotisations patronales de la caisse de retraite complémentaire des fonctions publiques seront-elles financées ? Sur quelles bases financières les exonérations et cadeaux fiscaux accolés aux nouveaux fonds de pension masqués sous le volet « épargne retraite » vont-elles reposer ? Sur quelles ressources le financement des carrières longues s'appuiera-t-il, alors que les négociations avec les caisses complémentaires et l'AGFF ne sont toujours pas ouvertes et relèvent des seuls partenaires sociaux ? Rien ne garantit l'évolution du minimum contributif au-delà de 2008, sauf à accepter de remettre en cause l'indexation sur le SMIC. En vérité, rien ne garantit la pérennité financière des régimes de retraite, dès lors que le gouvernement n'a pas le courage d'ouvrir un débat de fond sur les recettes. Tous les pays s'y sont employés sauf la France.

Le gouvernement fait croire aux Français qu'il n'y a pas d'autres choix. Or, à partir d'une meilleure distribution des richesses produites, de la prise en compte des diversités des emplois, des inégalités de durée de vie, de la pénibilité et des parcours professionnels, un débat volontaire aurait pu s'ouvrir, auquel auraient pris part l'opposition et les organisations syndicales. La Suède y a réussi, pourquoi pas la France ?

Les Français ne sont pas dupes, ils posent des questions simples. Quel sera le montant de la retraite ? A quel âge ? Après combien d'années de cotisation ? Le gouvernement doit avoir le courage de leur envoyer la formule qui leur permettrait de réellement calculer leur retraite après la réforme. La promesse de la baisse de l'impôt sur le revenu pour les plus riches et la suppression programmée de l'impôt de solidarité sur la fortune représentent 30 milliards d'euros sur cinq ans !

Ces baisses d'impôts devraient être affectées à l'amélioration des basses retraites et en particulier au relèvement du minimum contributif à 95 % du SMIC, à la sécurisation du pouvoir d'achat des retraités par la création d'une conférence annuelle sur les retraites et permettre à tous les salariés aux carrières longues de partir avant soixante ans.

Enfin, M. Pascal Terrasse a rappelé que lors de son intervention du 4 février 2003, il avait pris acte du « menu » en attendant les « plats ». En guise de plats, aujourd'hui, il s'agit d'un régime pour tous : « eau et pain sec » pour chacun. Il est évident que le projet affaiblit encore davantage ceux qui n'ont que leur retraite comme patrimoine.

Après avoir indiqué que l'UDF, partenaire de la majorité, soutient le projet qui constitue un pas important pour la sauvegarde de la retraite par répartition, M. Jean-Luc Préel a rappelé que ce système est au cœur du pacte républicain : solidarité entre les actifs qui payent les pensions des retraités, solidarité à l'intérieur d'une même génération et solidarité entre les régimes. Ce système est confronté, d'une part, au « papy-boom » et, d'autre part, à l'allongement de la durée de vie. La réforme est donc nécessaire et urgente. A cet égard, les précédents gouvernements ont perdu trop de temps, si bien que leurs représentants devraient aujourd'hui faire preuve de modestie. Tous les pays européens ont entrepris, et pour la plupart déjà réalisé, ces réformes.

Cette réforme sera également l'occasion de corriger des inégalités qui paraissent aujourd'hui insupportables, qu'il s'agisse de l'âge de départ à la retraite, du taux de cotisation ou des modalités de prise en compte du salaire de référence. Le projet, qui tend vers l'égalité, comprend de nombreuses améliorations.

Pourtant, selon l'UDF, un autre projet était possible. Ce système associerait davantage de démocratie sociale et de justice sociale à une souplesse accrue, grâce à une réelle retraite « à la carte » par points. L'Etat continuerait à assurer, par l'intermédiaire du fonds de solidarité vieillesse (FSV), la solidarité de la nation envers les plus démunis et ceux qui, victimes d'accidents de la vie, n'ont pu cotiser suffisamment.

Le projet du gouvernement tend vers l'égalité en proposant les mesures suivantes : l'harmonisation des durées de cotisation entre les salariés du secteur public et du secteur privé pour aboutir à une durée de 40 ans en 2008, partage du temps gagné entre temps de travail et temps de retraite, mise en œuvre à terme dans le public d'une décote et d'une surcote identiques à celles du privé et indexation des pensions sur les prix. Il affirme la volonté de maintenir un haut niveau de retraite pour permettre à ceux qui ont contribué à la richesse du pays de bénéficier d'un temps de retraite de qualité ; il garantit aux salariés rémunérés au SMIC une pension équivalant à 85 % du SMIC net. En outre, il diminue la décote dans le privé, prend en compte la pénibilité grâce à des négociations par branche et rend possible le rachat de trois années d'études. De plus, la création d'une retraite complémentaire des fonctionnaires intégrera une partie des primes. Les améliorations visant les polypensionnés ainsi que les conjoints survivants, l'amélioration des droits à l'information et enfin l'extension de la Préfon à tous constituent autant d'améliorations notables.

Le projet gouvernemental comporte cependant des lacunes. D'abord, il ne traite pas des régimes spéciaux dont le besoin de financement en 2020 atteindra 13 milliards d'euros par an, besoin laissé à la charge de la solidarité nationale. On ne peut expliquer aux Français que la réforme concerne tout le monde, tout en laissant de côté les retraites les plus favorables financées par la collectivité nationale. La mise en extinction de ces régimes aurait été une solution acceptable, à la condition qu'elle préserve les droits à la retraite déjà acquis. Ensuite, le projet ne réalise pas complètement l'équité puisque les taux de cotisation continuent à différer suivant les salariés. L'âge de départ à la retraite à taux plein demeure plus favorable pour certains ; les salaires de référence pour le calcul de la retraite diffèrent (les six derniers mois pour les uns, vingt-cinq ans pour les autres).

Le projet a surtout deux défauts majeurs. D'une part, il n'assure pas l'équilibre financier, sauf à espérer une très forte croissance économique et une très forte diminution du chômage. Il faudra donc augmenter les cotisations. D'autre part, le projet ne cherche pas à améliorer l'employabilité des plus de 50 ans : actuellement, la société ne valorise pas assez la compétence et l'expérience. Enfin, ce projet devrait s'accompagner d'une mise en perspective de la politique familiale, essentielle pour l'avenir démographique du pays et donc pour les retraites.

L'UDF souhaite davantage de démocratie sociale, davantage de justice sociale et davantage de souplesse. Elle a également proposé une autre méthode. Le système de retraite est au cœur du pacte républicain. Sa sauvegarde concerne donc tous les Français. L'UDF avait proposé qu'ils se prononcent par référendum à l'automne 2002 sur les grands principes d'une réforme qui privilégierait la répartition, l'équité entre tous les Français, l'autonomie de gestion et la retraite à la carte. L'accord aurait dû être obtenu sur ces principes, ce qui aurait rendu la suite plus facile. Le rapporteur a pointé le fait que le référendum aurait remis en cause le rôle des partenaires de la négociation, l'argument n'est pas recevable : si le référendum tranche sur les grands principe, l'UDF souhaite donner un réel pouvoir aux partenaires sociaux en leur confiant la gestion des retraites. L'UDF souhaite donc davantage de démocratie sociale et propose que la caisse du régime général des salariés, qui ne gère aujourd'hui que les fonds sociaux, ait enfin une réelle autonomie et décide des cotisations et des prestations et, le cas échéant, fixe la valeur du point. L'UDF souhaite également la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat, gérée paritairement et proposera également le principe d'une retraite à la carte, par points. Le conseil d'administration de la caisse fixera la valeur du point. Ce système ne diminuera pas le montant des pensions, mais permettra des bonifications pour pénibilité et pour les mères de familles.

En conséquence, seront proposés des amendements visant à garantir l'autonomie de gestion des caisses, à assurer l'extinction des régimes spéciaux, la mensualisation du paiement des retraites agricoles, la possibilité de racheter jusqu'à cinq années d'études et, enfin, l'extension du bénéfice de la Préfon à tous. Le projet mérite d'être soutenu. Il demande un effort à chacun et exigera donc de la part du gouvernement courage et intelligence politique.

M. Maxime Gremetz a d'abord indiqué qu'il s'agit d'un grand débat de société et de civilisation. Il faut, en effet, réformer le système, mais sans en changer la nature et surtout pas en passant d'un système de répartition à un système de capitalisation. Il faut rester dans la répartition et la solidarité entre les générations, de la naissance à la mort. En outre, l'histoire de la constitution de la protection sociale en France témoigne de son originalité et ne va pas dans le sens de l'adaptation de modèles étrangers. Il n'y a pas à chercher un modèle ailleurs. Il faut préserver le nôtre, il n'en faut pas moins le moderniser. On ne peut pas assimiler ceux qui s'opposent au projet de loi à des adversaires de la réforme. On ne peut pas nier le problème du financement du système de retraite mais il est d'autres voies que celle retenue.

Il faut assurer à chacun une retraite d'un montant décent. On ne peut donc qu'être en désaccord avec le projet du gouvernement. Les Français ne sont pas des imbéciles. Faire preuve de surdité et d'autisme face à leurs revendications et aspirations a déjà joué des tours aux responsables lors de précédentes confrontations. La démocratie sociale doit avoir un sens. Or, malgré un « pilonnage » médiatique quotidien en faveur du projet, les Français ne sont pas convaincus. Un récent sondage montre que 63 % d'entre eux sont aux côtés des grévistes et des manifestants.

Les députés du groupe communiste et républicain sont favorables à une réforme progressiste. Ce n'est pas le cas du gouvernement, qui en appelle à la démocratie sociale mais veut faire passer une réforme signée par deux organisations syndicales minoritaires, au mépris de la logique des accords majoritaires. Celle-ci devrait conduire à entendre la voix des deux organisations syndicales, majoritaires dans le pays, qui ont rejeté le texte.

Sur le contenu même de la réforme, des amendements, préparés avec différents syndicats et associations, seront présentés afin de proposer une autre solution et de supprimer les nombreuses inégalités créées par le texte. Parmi celles-ci, il faut évoquer :

- Le durcissement des conditions d'acquisition du droit à la retraite à taux plein à soixante ans, qui touchera particulièrement les femmes. La méthode suivie est subtile puisqu'il n'a pas été nécessaire de toucher à l'âge légal de départ ; il a suffi d'agir sur l'allongement des annuités nécessaires et sur la baisse des pensions.

- La pension minimale pour les quatre millions de salariés au SMIC est présentée comme garantie à hauteur de 85 % du SMIC mais, en réalité, l'indexation des pensions ne se faisant plus sur les salaires mais sur les prix, le niveau de garantie ne pourra qu'évoluer à la baisse avec le temps.

- Enfin, les dispositions destinées aux salariés ayant commencé à travailler très tôt ne bénéficieront qu'à 200 000 des 827 000 personnes concernées.

Ce projet de loi revendique un objectif d'égalité en alignant le régime du public sur celui du privé, issu de la réforme de 1993 dite « Balladur », qui a toujours été fermement combattue par les députés communistes. Cette réforme, effectuée par décret, a permis de porter la durée légale de cotisation de 37,5 à 40 annuités, de calculer la pension non plus sur les dix mais sur les vingt-cinq meilleures années et, enfin, de mettre en œuvre une décote. Pour le gouvernement, l'égalité, c'est donc le nivellement par le bas et la régression sociale. Ce texte en appelle également à un « effort partagé » mais, en réalité, 91 % de l'effort de financement supplémentaire sera demandé aux salariés par le biais d'une diminution des pensions, d'une hausse de la durée réelle d'activité et d'un redéploiement des cotisations à leur dépens. Tout cela conduit à une baisse de 12 % des pensions.

Dans le même temps, les employeurs continueront à bénéficier de 17 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales. Si l'on revenait au principe d'égalité des cotisations entre les salariés et les employeurs - ces derniers n'ont pas vu leur taux de cotisation augmenter depuis vingt-cinq ans - qui prévalait en 1945 et que l'on taxait les revenus financiers, cela pourrait apporter 20 milliards d'euros au système de retraite. Rappelons également qu'un million d'emplois créés génère 20 milliards d'euros de cotisations. Tout cela montre que d'autres choix de financements sont possibles, pour un autre choix de société. Dans cet esprit, les députés communistes proposeront une modification de l'assiette des cotisations afin de prendre en compte les revenus du capital, dont la part dans le PIB a augmenté de 11 % en vingt ans. Le parti communiste a d'ailleurs d'ores et déjà remis au ministre des affaires sociales, ainsi qu'au Premier ministre, une proposition de réforme alternative à ce texte inéquitable, conservateur et dramatique pour les salariés les plus exploités.

Si le gouvernement n'a pas peur de la démocratie, il doit entendre les partenaires sociaux, la voix des organisations majoritaires, le Parlement et le peuple français. C'est pourquoi l'idée d'un référendum sur les grands principes de la réforme des retraites doit être retenue. Seul un référendum permettra aux Français de se prononcer sur ce projet et il ne fait pas de doute que celui-ci ne « passera pas ». La question n'est pas plus compliquée que celle posée lors du référendum sur le Traité de Maastricht : acceptez-vous le texte qui vous est soumis ?

M. Denis Jacquat a considéré que le temps des rapports et des reports est terminé. Le Livre blanc sur les retraites lancé par M. Michel Rocard, Premier ministre à l'époque, a aujourd'hui douze ans et alertait déjà sur l'urgence d'une réforme face aux risques encourus par le système de retraite au-delà de 2006. Le système est aujourd'hui au bord de l'explosion, comme le constate d'ailleurs le Conseil d'orientation des retraites depuis des années.

Il a ensuite formulé plusieurs observations :

- Le projet de loi permet de répondre à l'objectif essentiel de sauvegarde du système de retraite par répartition. Trois clés de modulation étaient envisageables : les cotisations, les prestations, les durées d'activité et d'assurance. C'est cette troisième variable qui a été retenue car elle est la plus à même de préserver un haut niveau de prestations. La plupart des pays étrangers ont d'ailleurs fait ce même choix et, contrairement à leurs prises de positions actuelles, la plupart des responsables politiques de l'opposition avaient dans les années passées préconisé des mesures comparables. Il y a là un phénomène d'« amnésie rétrograde ».

- La suggestion de taxer les plus-values des entreprises pour financer le régime des retraites n'est pas une bonne idée car elle reviendrait à faire reposer le système sur une assiette par définition instable et donc à menacer sa pérennité.

- La réforme se fonde sur un principe d'équité : il s'agit avant tout de ne pas permettre la création de deux catégories de retraités dans le pays, ce qui conduirait à une explosion sociale. Quant à la promesse de l'actuelle opposition de remettre en cause cette réforme lorsqu'elle reviendra au pouvoir, on peut être perplexe à son sujet puisque, en 1995, le gouvernement socialiste n'a pas remis en cause la réforme « Balladur ».

- Plusieurs dispositions très positives de la réforme répondent à des demandes anciennes et récurrentes de l'actuelle majorité : il s'agit notamment des mesures concernant le conjoint survivant, la pénibilité du travail, les handicapés vieillissants, l'alignement du minimum contributif sur le minimum vieillesse et la situation des pluri-pensionnés.

- Les députés du groupe UMP, à l'écoute des Français, ont la certitude que la majorité d'entre eux souhaite que cette réforme soit menée à bien.

Mme Martine Billard a rappelé que les Verts sont favorables à une réforme des retraites fondée sur la défense du système de répartition et la réduction des inégalités actuelles face à la retraite. Ces exigences ne sont pas celles du présent projet de loi. Ainsi, celui-ci introduit de manière, certes discrète mais indiscutable, les fonds de pension avec la mise en place de l'épargne retraite. Soit l'épargne retraite sera individuelle et donc source d'inégalités entre ceux qui ont des ressources financières suffisantes pour épargner et ceux qui n'en ont pas, soit l'épargne retraite sera collective et obligatoire et débouchera sur un système de capitalisation mobilisant des sommes qui seraient mieux placées dans la répartition. Il ne faut pas oublier que le système actuel de répartition a été mis en place à la Libération en raison de la faillite des systèmes précédents fondés sur l'épargne des travailleurs.

L'allongement de l'espérance de vie est présenté comme l'argument principal en faveur d'une augmentation de la durée de cotisation. Premièrement, l'espérance de vie moyenne n'a pas de réelle signification. Deuxièmement, elle s'allonge au-delà de 80 ans, elle n'implique pas pour autant la capacité de travailler jusqu'à 70 ans. La logique est la suivante : « plus on vit vieux, plus on doit travailler longtemps ». Le gouvernement devrait aller jusqu'au bout de cette logique et proposer aux femmes de travailler plus longtemps puisqu'elles ont une plus grande espérance de vie ! Le lien fait entre l'espérance de vie et l'augmentation de la durée du travail est donc douteux.

Par ailleurs, beaucoup de salariés sont licenciés avant de pouvoir bénéficier du nombre d'annuités nécessaires à l'obtention d'une retraite à taux plein. Un tiers seulement des Français entre 55 et 65 ans sont actifs, la majorité des salariés qui liquident leur retraite ne sont plus en activité ; ils sont soit en préretraite, soit en maladie, soit au chômage. Sur ce dernier point, la réforme de l'UNEDIC va encore dégrader la situation financière des travailleurs âgés, notamment ceux des petites et moyennes entreprises.

Par ailleurs, il faut regretter l'absence de cotisation retraite sur les stocks options et de taxation sur les plus-values. Le gouvernement argue de l'instabilité économique pour repousser ces solutions. En réalité, la France est un pays développé dans lequel la richesse financière progresse de manière régulière. Il serait plus judicieux de fonder la réforme sur cet élément plutôt que sur le taux d'activité et la capacité très improbable des entreprises à ne plus licencier les travailleurs de plus de cinquante ans, même s'il faudrait moduler une telle taxation pour ne pas pénaliser les entreprises de main d'œuvre.

En ce qui concerne la pénibilité, le projet de loi ne garantit pas ce principe essentiel, pas même dans les trois premiers articles qui précisent les principes généraux régissant le système de retraite français.

S'agissant des avantages familiaux, les polypensionnés sont oubliés. Par exemple, la situation de certaines femmes fonctionnaires ayant travaillé dans le secteur privé n'est pas prévue.

Enfin, le gouvernement a tenté de dresser le secteur privé contre le secteur public. Or, cette réforme dégrade également la situation des salariés avec, d'une part, l'allongement de la durée d'assurance à 42 ans et la modification du mode de calcul et, d'autre part, le déplafonnement des cotisations salariales.

Les Verts ne peuvent être que défavorables à cette réforme des retraites qui débouchera sur une baisse importante du montant des retraites des salariés tant du public que du privé. Cette réforme vise certes l'harmonisation mais une harmonisation à la baisse.

En réponse aux intervenants, M. François Fillon, ministre du travail, des affaires sociales et de la solidarité, a souhaité souligner la qualité du débat et de l'écoute réciproque. Quels que soient les désaccords entre la majorité et l'opposition, le Parlement doit donner aux Français la vision d'hommes et de femmes qui traitent sérieusement et dignement d'un sujet considérable pour l'avenir de notre société. Rien ne serait pire que de donner l'image d'un débat uniquement polémique. Pendant plusieurs semaines au Parlement, ce débat devra se dérouler dans l'écoute mutuelle et dans le respect des convictions des uns et des autres.

Il a ensuite déploré que de nombreux intervenants aient critiqué la méthode utilisée par le gouvernement dans la préparation du projet de loi en l'accusant d'avancer à « marche forcée » ou de « passer en force ». Le processus a pourtant commencé en janvier par un discours de cadrage du président de la République, précisé ensuite par le Premier ministre. Les ministres ont ensuite reçu les formations politiques et mené vingt et une réunions officielles
- sans compter les autres - avec les organisations syndicales, sur tous les sujets liés à la réforme.

On aimerait pouvoir trouver dans l'histoire récente du pays un sujet ayant fait l'objet d'un travail de concertation aussi important et ayant abouti à un accord. Certes, toutes les organisations syndicales n'ont pas validé cet accord. Mais il faut rappeler que certaines d'entre elles se sont d'emblée placées sur un terrain qui ne permettait pas d'aller vers un accord. Par exemple, certaines organisations syndicales refusent l'harmonisation entre les régimes du public et du privé ou remettent en cause la réforme Balladur. Il est très difficile d'aboutir à une négociation réelle et sérieuse dans ces conditions.

Pour ce qui est du dialogue avec les partis politiques, il faut rappeler que l'opposition n'a pas fait de vraies propositions sérieuses et crédibles. Dans ces conditions, là encore, le dialogue est impossible. De toute façon, notre pays n'a pas la culture du consensus, chacun attendant que le gouvernement présente son projet pour faire ensuite des contre-propositions.

En ce qui concerne le référendum proposé notamment par M. Maxime Gremetz, il est assez étonnant que le parti communiste propose d'y recourir alors qu'il l'a longtemps considéré comme un instrument peu démocratique et plébiscitaire ; quant à l'UDF, son appréciation sur l'opportunité d'organiser un référendum varie selon les sujets. Cette décision revient en tout état de cause au Président de la République. Dans la situation politique actuelle de notre pays, s'en remettre au référendum signifierait que la classe politique ne prend pas ses responsabilités, ce qui constituerait un très mauvais signal donné à nos concitoyens.

Pour ce qui est du financement de la réforme, les critiques selon lesquelles celle-ci ne serait pas financée sont infondées. Le pays n'a pas besoin d'un taux de croissance plus élevé que celui retenu par le gouvernement dans son plan de financement. En effet, avec un taux de croissance du PIB de 2 %, ce qui est le taux de la majorité des pays européens depuis plusieurs années et, en même temps, 300 000 départs à la retraite tous les ans, le chômage ne pourra que régresser. Le gouvernement n'a d'ailleurs fait que reprendre les hypothèses du COR, en les minorant sur ce point.

Certains prétendent que les entreprises ne modifieront pas leur comportement, mettant à mal la mise en œuvre de la réforme. Les entreprises affirment à raison que l'augmentation du coût du travail ne pourra que les handicaper. Le gouvernement a donc accepté de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, à condition que les entreprises cessent de licencier les travailleurs de plus de cinquante ans et embauchent plus de jeunes. Si dans cinq ans les entreprises n'ont fait aucun effort dans ce domaine et que ne s'est produit aucune amélioration du taux d'activité des travailleurs âgés, il faudra bien augmenter les cotisations. Il y a donc une responsabilité collective et les entreprises doivent prendre leur part de responsabilité.

Certains ont également déclaré que, l'assiette des cotisations n'étant pas élargie, 90 % de la charge nouvelle sera demandée aux salariés. C'est faux dans la mesure où 60 % des cotisations vieillesse sont payées par les entreprises. Contrairement à ce qu'a déclaré Mme Martine Billard, il n'est évidemment pas question de demander une augmentation des cotisations pour les salariés sans qu'il y ait la même augmentation pour les employeurs.

Il existe bien sûr d'autres ressources possibles mais leur utilisation n'est pas compatible avec la situation économique et monétaire actuelle pour différentes raisons. Premièrement, les trente premiers groupes français ont perdu, en 2001, 4,5 milliards d'euros. Deuxièmement, les dividendes versés par les entreprises cotées en France ne représentent pas 1 % du PIB ; on peut donc vouloir mettre en place une taxe sur les dividendes mais ce ne serait évidemment pas un financement sérieux. Troisièmement, en dix-huit mois, les stocks options ont perdu 50 % de leur valeur. Il n'y a donc pas de trésor caché pour financer les retraites.

Un dernier argument milite en faveur du mode de financement des retraites choisi dans le projet de loi, sans augmentation des prélèvements obligatoires : beaucoup de députés, de droite comme de gauche, ont apporté leur soutien à l'adoption d'une monnaie unique européenne. Et aujourd'hui, certains de ces mêmes députés défendent le maintien voire l'accroissement d'un niveau de prélèvements obligatoires, de manière totalement incompatible avec le système économique et financier communautaire ainsi unifié.

M. Pascal Terrasse a présenté en modèle l'exemple suédois. Sans doute oublie-t-il que la réforme décidée en Suède se traduit par un recours obligatoire à la capitalisation et par un allongement de la durée de cotisation avec pour objectif de fixer l'âge légal de départ à la retraite à soixante-sept voire soixante-huit ans.

Pour conclure, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a exprimé sa satisfaction par rapport à l'accueil fait par les députés de la majorité aux avancées sociales proposées par le texte. Les députés de l'opposition, sans remettre en cause leur bien-fondé, ont simplement estimé qu'elles n'étaient pas suffisantes ou non financées. Le choix du mode de financement de ces avancées - notamment le départ anticipé à la retraite en cas de pénibilité des conditions de travail - par une augmentation, à horizon 2006, de 0,2 % des cotisations vieillesse, résulte d'une demande de certains syndicats. Le financement existe donc. Et sur ce point on ne peut que constater l'absence de propositions alternatives de la part de l'opposition.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, a fait les remarques suivantes :

- S'il existait un doute sur le choix du Président de la République et du gouvernement de présenter cette réforme au Parlement plutôt que de la soumettre au référendum, la qualité du débat d'aujourd'hui lève ce doute.

- La nécessité d'une réforme du système des retraites de la fonction publique n'est plus contestée par personne, notamment pas par le parti socialiste.

- Les propositions du rapporteur, visant à améliorer les avantages familiaux de retraite, les pensions des personnes handicapées et les pensions de réversion des conjoints survivants, reçoivent un accord de principe favorable de la part du gouvernement.

- La volonté du gouvernement de faire converger les régimes de retraite du secteur privé et du secteur public, notamment en ce qui concerne l'allongement de la durée de cotisation, est bien accueillie par les fonctionnaires, dans la mesure où elle vise à l'équité et qu'en contrepartie elle se double d'un projet d'épanouissement professionnel.

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