COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 52

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 3 juillet 2003
(Séance de  16 heures 15)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Audition, ouverte à la presse, de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, et de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, sur le débat national sur l'éducation

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, et M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, sur le débat national sur l'éducation.

Le président Jean-Michel Dubernard a d'abord rappelé que cette réunion avait fait l'objet de deux reports successifs, son organisation ayant été légèrement perturbée par le déroulement de la discussion sur le projet de loi portant réforme des retraites. Il a souhaité que cette audition soit l'occasion pour les ministres de donner leur analyse des derniers événements et d'indiquer, s'agissant du débat national sur l'éducation attendu par tous, les perspectives de travail pour les prochains mois.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, après s'être félicité que le débat s'ouvre enfin au Parlement, a rappelé qu'il devait durer près d'un an avant d'aboutir au vote d'une nouvelle loi d'orientation sur l'école. L'engagement d'ouvrir ce débat a été pris il y a longtemps, mais les événements internationaux, en particulier la guerre en Irak, et l'ampleur du mouvement social ont différé et compliqué son lancement, du moins sur le terrain. Lors du Comité interministériel du 27 mai dernier, le Premier ministre a néanmoins rappelé toute l'importance de ce processus de discussion et d'échanges.

Concernant la crise de l'éducation, il faut être conscient que la trêve des vacances ne réglera pas les problèmes de fond. L'épreuve du baccalauréat s'est bien déroulée grâce au sens des responsabilités qui caractérise les enseignants et au talent des chefs d'établissement et des autorités académiques. La réforme des retraites a cependant révélé le profond malaise des enseignants, qui se traduit notamment par une crise des vocations dans le second degré, à l'inverse d'ailleurs du premier degré où l'on constate une augmentation du vivier de recrutement. Il ressort des enquêtes effectuées par deux syndicats que les enseignants imputent, en premier lieu, la pénibilité de leur métier aux problèmes d'autorité et de discipline puis au manque de motivation des élèves. L'ampleur de la présente crise est telle qu'elle ne saurait être résolue au moyen des mesures habituelles, telles qu'une rallonge budgétaire ou le passage en force d'un projet de loi. On entend fréquemment dire que les enseignants sont à côté des réalités économiques. Ces derniers ont en réalité le sentiment que les valeurs de la République et du savoir qu'ils transmettent et défendent ne sont plus reconnues par la société de consommation d'aujourd'hui.

En toute bonne foi, il s'agit donc d'ouvrir un large débat en vue de réconcilier l'école avec la nation. Ce débat qui vise, au-delà des experts, à associer tous les acteurs du monde de l'éducation - enseignants, parents d'élèves, partenaires sociaux...- doit commencer par l'élaboration d'un diagnostic partagé sur l'état de l'école. Ce diagnostic, qui pourra être établi par les organismes d'évaluation et les corps d'inspection et de contrôle internes à l'éducation nationale ne devra pas ignorer les réussites de l'école. Car elle a su mener à bien un lourd processus de démocratisation, et ce grâce aux talents exceptionnels des enseignants et des chefs d'établissement. A cet égard, chacun connaît ou a connu un enseignant formidable qui fait preuve sur le terrain d'une grande ingéniosité. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer un certain nombre de problèmes rencontrés aujourd'hui par l'école, relatifs à l'autorité, à l'échec scolaire et au collège unique. Les enseignants sont confrontés aux problèmes de la société, d'où leur difficulté, par exemple, à remédier à l'échec scolaire. En bref, l'essentiel n'est pas d'organiser une communication de sortie de crise mais de créer les conditions d'un vrai débat afin de refonder le sens de l'éducation et des enseignements dispensés par les professeurs dans les établissements scolaires.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, a indiqué que le présent débat, loin d'être de nature conjoncturelle, est inscrit au programme du candidat à l'élection présidentielle, M. Jacques Chirac. A défaut de pouvoir organiser un référendum sur l'éducation, il s'agit donc d'organiser un grand débat en vue de préparer un projet de loi d'orientation pour l'école pour les années à venir. A cet égard, le gouvernement n'a pas l'intention de faire le procès de la loi d'orientation sur l'éducation de 1989. Mais cette loi, qui a des qualités, est historiquement datée car elle a été adoptée à la fin de la période de la massification de l'enseignement. Depuis, les budgets ont été multipliés par deux, le nombre d'enseignants a augmenté de 23 % et il y a 500 000 élèves en moins. Il faut maintenant prendre en compte l'aspect qualitatif pour penser autrement la politique éducative. Il ne s'agit donc pas de revanche mais d'une nouvelle loi pour de nouveaux temps.

Loin de rester cantonné au sein de l'école, le débat sur l'école doit être celui de la nation. En effet, le système scolaire est confronté à des enjeux tels que la violence ou l'emploi qui trouvent leur origine en dehors d'une école qui est bien évidemment ouverte sur le monde. Il est donc légitime d'entendre le plus grand nombre d'acteurs, de personnes concernées sur le terrain, dans les académies, les établissements, dans les circonscriptions parlementaires. Au préalable sera établi un diagnostic partagé, sur la base d'avis d'experts. Au terme du débat national, au début de l'année 2004, sera élaboré une sorte de livre blanc avant d'aborder, au deuxième semestre, la phase législative avec la présentation au Parlement d'un projet de loi d'orientation. Le débat national se conclura par la définition d'une feuille de route pour l'école pour les quinze prochaines années.

Le président Jean-Michel Dubernard a évoqué la question de la décentralisation en insistant sur la nécessité d'accompagner la réforme de pédagogie. A cet égard, les médecins scolaires ont exprimé une réelle inquiétude sur le devenir de leur activité tout en aspirant à rompre avec la rigidité actuelle de leur organisation hiérarchisée et de leur cadre de travail.

Le ministre délégué à l'enseignement scolaire a indiqué qu'il avait semblé, dans un premier temps, cohérent de rapprocher la médecine scolaire des départements, compétents en matière sociale, et les conseillers d'orientation des régions, compétentes en matière de formation professionnelle, mais que le projet de réforme n'avait sans doute pas été suffisamment expliqué. En revanche, en ce qui concerne les personnels TOS, ils seront, en l'état actuel du projet de loi, transférés aux régions.

M. Jean Le Garrec a remercié M. Luc Ferry d'avoir évoqué une forme de lassitude qui semble peser sur les enseignants et qui nécessite une réflexion préalable à toute réforme sur l'évolution des métiers de la fonction publique, en général, et de l'enseignement en particulier, tout en regrettant que cette réflexion n'ait pas été menée par le Premier ministre avant la présentation du projet de loi portant réforme des retraites.

M. Yves Bur a considéré que la crise actuelle au sein de l'éducation nationale constitue une interpellation sur la signification de sa mission éducative. C'est la raison pour laquelle cette crise justifie l'organisation d'un grand débat de société qui n'a pas eu lieu dans notre pays depuis de nombreuses années. Il faut dépasser les modes de consultation traditionnelle et introduire ce débat là où se posent les problèmes, dans les écoles, les collèges et les lycées. On observe un décalage entre la transmission classique du savoir et les nouveaux modes d'accès à la connaissance des jeunes, notamment dans le domaine des nouvelles technologies. Le problème de l'autorité qui se pose au sein de toutes les familles, quel que soit le niveau social, se répercute également à l'école. Enfin, l'école n'est pas suffisamment ouverte sur les collectivités territoriales en dépit des compétences respectives de celles-ci en matière scolaire. C'est ainsi qu'il a découvert, seulement en fin d'année que, dans sa propre commune, huit maîtres sur douze demandaient leur mutation.

M. Luc Ferry est revenu sur la réforme des retraites en indiquant que cette réforme, délicate, offre le choix entre la corde, le poison ou le revolver. Le gouvernement a néanmoins apporté quelques aménagements en faveur des enseignants.

En outre, cette réforme a été le révélateur du malaise enseignant et de la lassitude vis-à-vis de leur métier, notamment en fin de carrière. Les jeunes enseignants n'aspirent plus comme dans le passé à effectuer une carrière de quarante années, le cas échéant dans le même poste. En début de carrière, ils souhaitent à présent s'engager pour une durée maximale de six à sept ans. On constate d'ailleurs une augmentation de 19 % des congés de maladie de plus de trois mois, dont 25 % concernent des enseignants de 25 à 30 ans et 50 % les plus de 50 ans. Cette concentration de l'augmentation des congés maladie de longue durée en début et en fin de carrière doit nous faire réfléchir à la manière dont celle-ci peut être aménagée. La réorientation vers une seconde carrière doit en particulier être envisagée pour répondre à la difficulté de ce métier au-delà de 50 ans.

Mais le malaise de nombreux enseignants est également d'un autre ordre, car, comment être heureux d'enseigner lorsqu'on ne peut se faire entendre au-delà du troisième rang de sa classe ? Ce malaise porte sur le sens de l'école.

Tout cela rend donc nécessaire l'organisation d'un grand débat qui associera, au-delà des experts, les élus et bien évidemment les parlementaires. Tous les républicains s'accordent autour de la nécessité de faire vivre les grands principes républicains, tel la laïcité, pour redonner du sens à l'éducation et faire barrage au communautarisme et à l'atomisation de la société. Mais pourquoi l'idéal républicain est-il empreint de nostalgie ? Pourquoi ne rattacher ses valeurs qu'au passé, à la IIIe République, aux plumes sergent-major et aux blouses grises ? Les valeurs de la République sont des valeurs d'avenir, porteuses de sens sur l'intégration et la connaissance, qui doivent nous aider à rénover l'enseignement sans nostalgie. Refonder l'idée républicaine pour le XXIe siècle, tel est le grand défi à relever.

Le ministre délégué à l'enseignement scolaire a rappelé que la question de la fin de la carrière des enseignants, fréquemment marquée par une réelle fatigue, préoccupe depuis plusieurs années les organisations professionnelles, qui n'ont d'ailleurs pas attendu le débat sur la réforme des retraites pour la soulever. En fait, la question de l'âge du départ à la retraite a révélé un malaise préexistant qui se traduit par un âge moyen de cessation d'activité à 58 ans et un mois. Le débat qui s'ouvre devra notamment répondre à la question de savoir pourquoi les dernières années du métier d'enseignant sont si difficiles. On constate également de la nostalgie envers un métier qui n'est plus ce qu'il était dans une école qui a elle-même changé. Désormais, pour enseigner, il ne suffit plus d'être bon dans sa discipline, il faut réunir d'autres compétences, ce qui rend nécessaire de repenser le métier d'enseignant. En effet, comment continuer à transmettre un savoir dans une société où l'on ne sait que communiquer et plus transmettre ?

M. Guy Geoffroy a tout d'abord remercié les ministres d'avoir respecté leur engagement d'ouvrir le grand débat sur l'école devant la représentation nationale. Loin d'être neutre, cette décision est au contraire très significative de l'ambition attachée à ce large débat.

Dans l'histoire récente de l'éducation nationale, de nombreux débats ont tenté d'effectuer un diagnostic en vue de réformer le système. Ces débats n'ont pas donné de résultats concrets car ils étaient dépourvus de la dimension fondamentale de l'école dans la nation que revêt le débat lancé aujourd'hui par le gouvernement. Il s'agit d'interpeller la nation au sein de l'école et l'école au sein de la nation. Le mal-être profond que vivent quotidiennement les enseignants vient d'abord du fait que la société a évolué et évolue plus rapidement que l'école. Il convient donc de s'interroger sur la capacité d'adaptation d'un système fortement centralisé. A cette fin, le système doit être plus adapté aux réalités du terrain, ce qui ne signifie en aucun cas son démantèlement ainsi que peuvent le laisser croire certains.

On doit se poser prioritairement quatre questions :

- Premièrement, le problème de l'autorité doit être étudié sous deux angles, celui de l'autorité de l'école et celui de l'autorité à l'école. Quel est le statut social et moral de l'école dans notre société ? L'autorité du maître à l'école est-elle ou non négociable ?

- Deuxièmement, la place de l'élève dans le système scolaire doit être repensée. L'élève est-il véritablement au centre du système scolaire ? Ou bien s'agit-il seulement de l'expression d'une politique volontariste et égalitaire afin que tous les élèves aillent au même rythme vers les mêmes résultats ? L'école ne doit pas nécessairement assigner le même objectif de réussite à tous mais tirer le meilleur de chacun. Chaque enfant a ses propres capacités, son propre parcours et sa propre excellence.

- Troisièmement, le métier d'enseignant doit être redéfini. Qu'est-ce qu'être enseignant aujourd'hui ? Quelle est la place de l'enseignant dans l'école et dans la société ? Quel est l'apport éventuel de la société à la pratique enseignante ? À l'avenir, l'enseignant ne pourra poursuivre sa carrière de manière linéaire, sans imprévu, parfois dans le même établissement. Il ne peut désormais accomplir correctement son métier sans remise en cause, sans retour à la nation, sans connaître le monde de l'entreprise.

- Quatrièmement, comment concilier le principe d'une école de la République toute entière, c'est-à-dire d'une éducation nationale et l'aspiration des enseignants à la reconnaissance, au niveau local ou dans les établissements, de leur identité et de leurs projets ?

Après avoir indiqué que, dans la mesure où chacun est un ancien élève, l'école concerne tout le monde, M. Yves Durand s'est déclaré atterré par le manque de souffle du débat lancé par le gouvernement, nonobstant les bouleversements de calendrier qui résultent de l'ordre du jour mouvementé de l'Assemblée nationale. Le débat ne doit pas se borner à recueillir des témoignages de praticiens de l'école mais bien au contraire donner les lignes directrices qui permettront à la nation de réfléchir sur son école. La présente audition aurait précisément dû être l'occasion, pour les ministres, de présenter ces lignes directrices. En l'absence de contenu, on ne peut que s'interroger sur l'utilité d'une telle réunion et souhaiter reprendre le débat à la rentrée.

Sur le fond, il faut tout d'abord s'interroger sur les missions assignées à l'école : l'école prépare-t-elle à un métier, à la citoyenneté ou à l'épanouissement personnel ? Il convient ensuite, après la massification réussie du système scolaire, de lui donner pour objectif la véritable démocratisation. Comment l'école peut-elle mettre en oeuvre une réelle égalité des chances ? Enfin, il faut redéfinir le temps de la scolarité obligatoire, réorganiser le temps scolaire entre six ans et seize ans et réfléchir à la place du collège dans le système scolaire : s'agit-il d'une école post-élémentaire ou d'un petit lycée ? En outre, il est indispensable de s'intéresser à la petite enfance pour en faire le socle de la formation ultérieure reçue tout au long de la vie. Ces questions fondamentales doivent être posées pour pouvoir aborder, dans un deuxième temps, le sujet du métier d'enseignant et résorber le malaise que connaît cette profession.

Il est à craindre que ce faux débat sur l'éducation ne soit en réalité un rideau de fumée. Ainsi, parallèlement à la tenue du débat, le gouvernement pourrait prendre des décisions importantes notamment en matière budgétaire. A cet égard, nombre de députés de la majorité comme de l'opposition regrettent que l'éducation ne constitue plus une priorité. Le gouvernement pourrait également profiter du débat pour réformer l'organisation de la scolarité en revenant sur le collège unique par l'institution d'un système de sélection ou d'orientation précoce. Organiser un faux débat dépourvu de sens pourrait ainsi servir à masquer une politique qui tait son nom. C'est tout au contraire un vrai débat de fond qu'attend la nation pour bâtir l'école dont la République a besoin pour le XXIe siècle.

Le président Jean-Michel Dubernard a rappelé que le débat sur l'éducation nationale commencera véritablement dans l'ensemble du pays à la rentrée.

M. Pierre-André Périssol a rappelé qu'il y a un an, en qualité de rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire, il avait déjà posé la question de l'organisation d'un débat national conformément à l'engagement du Président de la République. En octobre dernier, alors qu'il était rapporteur pour avis dans le cadre de l'examen du budget, ce débat n'avait pu avoir lieu. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, au seuil de l'été, on peut être satisfait d'apprendre que le gouvernement organise cette consultation avec le plus grand nombre d'interlocuteurs possible. En effet, la société doit dire ce qu'elle attend de l'école car de l'école dépend l'avenir de la nation.

A cet égard, il convient de ne pas oublier le rôle du Parlement et de ne pas le cantonner, au terme d'un vaste débat national, dans sa fonction législative lors de la présentation du projet de loi d'orientation. Il convient en réalité d'engager la discussion dès le mois de septembre en y associant le Parlement. Ce doit être l'occasion pour les ministres de définir la feuille de route du débat national, de structurer la réflexion à venir et de donner les orientations de la politique éducative du gouvernement indépendamment du débat budgétaire.

Sur le fond, la réflexion sur l'école ne saurait se réduire aux idées générales car l'école n'a pas besoin d'idéologie, chacun s'accordant à reconnaître que la question essentielle porte sur le trop grand nombre d'élèves, de l'ordre d'un tiers ou d'un quart, qui ne parviennent pas à trouver leur place dans l'école.

Le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire a précisé que la présente rencontre n'a jamais prétendu constituer l'alpha et l'oméga du débat national sur l'école. Si les ministres ont une idée précise des thèmes à aborder, ils n'en souhaitent pas moins que les parlementaires s'associent à la réflexion. En tout état de cause, les ministres se devaient de venir devant la représentation parlementaire pour lancer le débat national sans exclure pour autant la perspective d'un nouveau rendez-vous au mois de septembre. Ce débat s'inscrit en effet dans un processus lent et, peut être, tâtonnant.

M. André Samitier, évoquant trente-huit années d'expérience d'enseignant dans la ZEP des Mureaux, a rappelé que les générations d'enseignants formées par les hussards de la République avaient reçu des outils leur permettant de canaliser dans leurs classes les énergies de l'ensemble des élèves. En revanche, les jeunes enseignants se sentent, à l'heure actuelle, totalement démunis. C'est la raison pour laquelle il convient de s'interroger sur la formation des maîtres. Par ailleurs, il faut dégager les notions fondamentales qui constituent la base des enseignements et dont certaines ont été éliminées par l'esprit de mai 68 ; c'est ainsi, à titre d'exemple, que l'apprentissage « par cœur » doit être restauré.

Mme Béatrice Vernaudon a estimé que l'école a besoin de davantage s'ouvrir sur le monde afin de faire place à la joie de vivre ensemble. En ce qui concerne l'enseignement primaire, il est essentiel de faire porter l'effort sur le cours préparatoire afin que les élèves sachent lire et écrire à la fin de cette année capitale pour la suite de leur scolarité. C'est la raison pour laquelle il convient de diminuer le nombre d'élèves par classe. Dans le second degré, l'âme d'un établissement s'incarne dans celui qui le dirige. Le chef d'établissement joue donc un rôle déterminant en matière d'animation de l'équipe pédagogique et d'ouverture de l'école vers les familles. A cet égard, il faut non seulement réconcilier l'école et la nation, mais également l'école et la famille car la distance est d'autant plus grande que les enfants rencontrent des difficultés scolaires.

En outre, la formation des enseignants constitue une question fondamentale. Evoquant sa propre expérience de maître-auxiliaire, Mme Béatrice Vernaudon a estimé que les enseignants, sélectionnés sur le seul critère des connaissances, sont ensuite livrés à eux-mêmes et souffrent d'un manque d'accompagnement pédagogique propre à leur délivrer un savoir-être.

Enfin, les difficultés de l'école outre-mer sont plus accentuées qu'en métropole. Dans la collectivité territoriale de Polynésie, 40 % des enfants sont en situation de retard scolaire dans l'enseignement secondaire. Cela provient notamment du décalage des programmes et des méthodes pédagogiques nationales par rapport à la réalité de l'outre-mer. 15 % seulement des enseignants sont d'origine polynésienne mais les enseignants métropolitains ne peuvent rester en poste plus de quatre ans si bien qu'ils n'ont pas réellement le temps de s'adapter et de s'investir. La possibilité de prolonger cette durée devrait être offerte à ceux qui se sont engagés dans des projets pour l'école.

M. Jean Lemière a jugé que l'ampleur de la question scolaire peut induire des propos contradictoires. Dans le contexte du débat national, il est souhaitable que chaque parlementaire puisse s'imprégner des réalités du terrain en rencontrant sans idée préconçue les professionnels concernés. Il convient de définir une méthode de travail à même de permettre la formulation de questions. La plupart des élus ont d'ailleurs rencontré, au cours des dernières semaines, des acteurs du monde enseignant. L'effectivité du travail des enseignants est incontestable et leur malaise réel. Au cœur du problème de l'école se trouve la question de l'organisation d'un système et de ses missions.

En réponse aux intervenants, le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a apporté les précisions suivantes :

- Il existe bien entendu une liste de thèmes qui semblent particulièrement fondamentaux, tels que le statut du collège, l'ouverture de l'école sur la voie professionnelle, la pérennité de l'idée républicaine. Les différents thèmes évoqués aujourd'hui par les parlementaires sont également pertinents. Pour autant, il n'est pas souhaitable d'ouvrir le débat par la présentation d'une liste de thèmes définitivement arrêtés.

- Ce débat a vocation à durer une année, il est donc légitime de prendre son temps tout en veillant à en préciser les modalités.

- Le débat au Parlement se poursuivra à l'automne selon la procédure choisie par les parlementaires eux-mêmes. Il pourrait prendre une forme plus ou moins solennelle dans l'hémicycle ou en commission élargie. La présente réunion a pour seul objet de lancer le débat national et d'en présenter la méthode.

- La Lettre à tous ceux qui aiment l'école avait pour objectif d'expliciter les grandes orientations de la politique menée par le gouvernement dans le domaine éducatif. Il s'agit d'un texte programmatique qui aborde des sujets très précis tels que l'échec scolaire ou la place de l'élève dans le système et qui peut tout à fait servir de base de discussion si toutefois il est lu par les intéressés.

M. Yves Durand a pris acte de la place accordée à la Lettre à tous ceux qui aiment l'école dans le débat à venir et a souligné ses importants désaccords avec l'idéologie qui la sous-tend. Il a souhaité qu'aucune réforme d'importance ne soit entreprise avant la présentation du projet de loi d'orientation qui conclura le débat national, en insistant particulièrement sur le collège unique et la sélection ou l'orientation précoce des élèves dès la classe de cinquième. Soulignant que l'instauration d'un débat véritable est tributaire du rétablissement de la confiance avec le monde enseignant, il a souhaité savoir si l'éducation a vocation à redevenir la priorité nationale, et ce, tout particulièrement en matière budgétaire.

En réponse, le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a tout d'abord rappelé que le débat budgétaire aura lieu en son temps, c'est-à-dire à l'automne. Il s'est déclaré opposé au rétablissement du palier d'orientation à la fin de la classe de cinquième souhaité par certains dont le syndicat Force Ouvrière. En revanche, une réforme visant, tout en préservant l'intégrité du collège, à diversifier les parcours sans créer pour autant de nouvelles filières est envisageable. Le débat ne doit en effet pas avoir pour conséquence de paralyser l'action et d'obérer les réflexions en cours, par exemple, sur le dédoublement du cours préparatoire ou la formation en alternance.

En conclusion, le président Jean-Michel Dubernard s'est félicité de ce que le grand débat sur l'école soit lancé sous d'aussi bons auspices.

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