COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 56

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 septembre 2003
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. René Couanau, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Examen du projet de loi relatif à la politique de santé (discussion générale) - n° 877 (M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur)

- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean-Michel Dubernard, le projet de loi relatif à la politique de santé publique - n° 877.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur, a estimé que la France paraît se réveiller d'une longue torpeur en matière de politique de santé publique. Depuis la loi fondatrice du 15 février 1902 sur l'hygiène publique, l'essor de la médecine curative a fait passer au second plan la prévention. A la fin du siècle dernier, la politique de santé publique longtemps délaissée est réapparue avec la réforme structurelle engagée par les ordonnances du 24 avril 1996 et la création des conférences de santé et des programmes régionaux de santé.

La loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme avec la création des agences sanitaires a aussi constitué une étape importante. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a complété le dispositif en matière d'organisation régionale de la santé. Ce texte a également introduit une définition de la prévention dans le code de la santé publique et créé l'Institut national de la prévention et de l'éducation à la santé (INPES).

Cependant, la santé publique souffre toujours d'un manque de cohérence : des politiques inégales sont appliquées par les conseils régionaux ; des associations se révèlent efficaces tout en se limitant à des domaines spécifiques ; les formations destinées aux spécialistes de santé publique sont disparates. Le projet de loi a donc pour but de mettre en réseau les compétences et les institutions pour une action publique efficace. Il comporte quatre titres traitant de la politique de santé publique (titre I), des instruments d'intervention (titre II), des objectifs et mise en œuvre des plans nationaux (titre III), de la recherche et de la formation en santé (titre IV).

Sur le titre I, le rapporteur a proposé de simplifier l'organisation nationale et régionale proposée par le projet de loi, en clarifiant les rôles de chacun au sein du groupement régional de santé publique (les financeurs et les opérateurs), en maintenant la conférence nationale de santé et en organisant la « renaissance » des conférences régionales. La politique de santé publique serait alors définie et mise en œuvre selon les deux schémas suivants :

ORS : observatoires régionaux de santé ; CRES : comités régionaux d'éducation pour la santé ; CODES : comités départementaux d'éducation pour la santé ; CPAM : Caisse primaire d'assurance maladie ; URML : unions régionales des médecins libéraux

Le titre II, consacré aux instruments d'intervention, prévoit la mise en place de programmes nationaux de santé. Ces programmes sont définis par l'Etat et incluent des programmes de dépistage, des actions d'éducation à la santé et surtout des consultations de prévention dans les cabinets médicaux. Ils font l'objet d'une mise en œuvre par l'INPES qui agit pour le compte de l'Etat. Par ailleurs, dans le domaine des menaces sanitaires graves, le projet de loi sera complété par les propositions résultant des travaux de la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule présidée par M. Denis Jacquat.

Le titre III décline 100 objectifs et 5 axes prioritaires : la lutte contre le cancer ; la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques ; les comportements à risques et les conduites addictives ; les risques liés à l'environnement ; la prise en charge des maladies rares.

Concernant le titre III relatif aux objectifs et à la mise en oeuvre des plans nationaux, la mission de la commission qui s'est rendue à Londres a pu constater que 100 objectifs de santé publique, organisés autour de 22 priorités, avaient également été définis au Royaume-Uni. Ceux-ci correspondent en réalité à des indicateurs qui doivent permettre de mesurer les efforts réalisés au cours des cinq prochaines années.

Parmi les cent objectifs, le projet de loi identifie cinq chantiers prioritaires : la lutte contre le cancer, les risques liés à l'environnement, les maladies chroniques, les comportements à risque et conduites additives, les maladies rares.

La création de l'Institut national du cancer (INC) répond à une volonté très forte du Président de la République. Il convient à cet égard d'en préciser les modalités de fonctionnement afin de dissiper certaines inquiétudes. En effet, l'INC doit être une « tête de réseau » permettant de coordonner les actions des différents intervenants dans le domaine clinique, de la prévention et de la recherche.

Dans l'attente du projet de loi sur l'eau annoncé par le gouvernement, le chapitre III relatif à la santé et à l'environnement propose d'améliorer le régime des eaux minérales et la protection des captages d'eau. Il prévoit également de renforcer l'efficacité des mesures d'urgence et de prévention contre le saturnisme.

S'agissant du Titre IV relatif à la recherche et à la formation en santé, l'école des hautes études en santé publique (EHESP) a, elle aussi, vocation à être une « tête de réseau », qui pourra notamment s'appuyer sur l'école de Bordeaux, souvent citée en exemple dans ce domaine. En tout état de cause, il ne s'agit en aucun cas de la substituer aux structures de recherches existantes, telles que l'INSERM, le CNRS ou l'université Paris XI. Il semble cependant nécessaire de mieux distinguer les deux filières suivantes : l'administration et la gestion des institutions sanitaires (AGIS) et la formation en santé publique (SP).

Le titre IV comporte également plusieurs dispositions concernant la formation médicale continue, en particulier : le recentrage des objectifs sur l'amélioration de la qualité des soins, l'abandon des sanctions disciplinaires et la simplification de l'organisation régionale.

Afin de transposer la directive n° 2001-20 du 4 avril relative aux essais cliniques de médicaments, le projet de loi procède enfin à une réforme d'ensemble du régime de protection des personnes se prêtant à une recherche biomédicale. En collaboration avec M. Pierre-Louis Fagniez, des amendements seront proposés à la commission sur ce chapitre.

M. René Couanau, président, a exprimé deux préoccupations sur les conceptions qui ont sous-tendu l'élaboration du texte.

La première concerne la conception de l'organisation de l'Etat reflétée par le projet de loi. Dans le domaine de la santé publique, peut-être encore plus qu'ailleurs, on assiste aujourd'hui à une « balkanisation » de cette action, à la suite d'une multiplication des institutions et des structures qui dilue et éparpille les responsabilités. Dans ce contexte, la création du GIP régional n'est pas une bonne chose car ce groupement confond une nouvelle fois les fonctions de commandement, de mise en commun des moyens et de coordination des actions. Où sera le chef ? La loi affirme les compétences de l'Etat et de son représentant dans la région, le préfet, mais, sur le terrain, qui conduira réellement l'action du GIP ? Le risque de fractionnement de l'action de l'Etat est donc encore accru.

La deuxième interrogation porte sur le nouvel institut de formation. On peut craindre que l'on soit ici tombé dans un effet de mode. La création de cet organisme semble justifiée par la nécessité de créer une tête de réseau. Mais, qu'est-ce qu'un réseau ? Que signifie la mise en place d'un tel réseau en termes de budget, de fonctionnement, de personnel et de direction ? S'il s'agit de transformer l'actuelle ENSP en « tête de réseau », de quel réseau parle-t-on ?

Sans mettre en cause le contenu même du projet de loi, il semble donc que le législateur ne puisse s'abstenir de réfléchir à ces questions et de s'interroger sur la conception de l'Etat - et de la décentralisation - reflétée par ce texte.

Le rapporteur a reconnu toute l'importance de la question posée par M. René Couanau mais a souligné le caractère novateur du texte qui constituera la première loi complète de santé publique adoptée en France. Son but est avant tout de mettre de l'ordre dans une organisation très compliquée et de simplifier les structures et les mécanismes. Son ambition est d'affirmer le rôle premier de l'Etat en la matière : la santé publique relève de l'Etat qui a en charge l'amélioration du bien-être de la population.

Par ailleurs, les systèmes d'alerte doivent être améliorés et l'on peut compter sur les membres de la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule présidée par M. Denis Jacquat pour faire des propositions d'amendements en ce sens.

M. Jean-Luc Préel s'est tout d'abord félicité de la présentation de ce texte novateur qui propose de véritables améliorations du système de santé publique et place enfin la prévention et l'éducation à la santé à leur juste place. Il a ensuite formulé les observations suivantes :

- En matière de prévention, les lacunes du système français s'expliquent en grande partie par le trop grand nombre d'intervenants qui agissent chacun de leur côté sans coordination, ce qui a conduit à un véritable éclatement des moyens. Ceux-ci sont habituellement évalué à environ 3 % des dépenses de santé. En réalité, ils sont plus élevés (de l'ordre de 9 milliards d'euros) car, bien souvent, une intervention au titre du soin comprend également des actions de prévention. C'est pour cela que la séparation du curatif et du préventif effectuée par le texte est considérée par les membres du groupe UDF comme une incompréhension du système de santé.

- Le projet de loi semble animé par une volonté de recentralisation qui pose un véritable problème.

- Le fait de présenter cent objectifs détaillés et chiffrés est certes intéressant mais également très dangereux car, sur bien des points, il sera vraisemblablement difficile de rendre des comptes au bout du délai de cinq ans prévu par le texte. Qu'en sera-t-il, par exemple, de la volonté de réduire de 30 % l'exposition des citadins à la pollution ?

- Le texte reflète également une conception très épidémiologique de la santé publique, alors que les critères « populationnels » sont également très utiles, notamment en matière de prévention.

- Le projet est muet sur les modalités de recueil et de validation des données, alors que la France manque aujourd'hui cruellement d'instruments efficaces en la matière.

- Le rapporteur propose la suppression des conseil régionaux de santé au profit de la restauration des conférences régionales et nationale de santé. Or, l'expérience a montré la faible utilité de ces grandes messes, souvent intégralement préparées à l'avance et qui ne permettent pas de véritables échanges.

- Confier au préfet la responsabilité de la prévention est une grave erreur et le groupe UDF déposera des amendements pour substituer les ARH au représentant de l'Etat.

- Les relations mises en place par le texte entre l'INPES et les organismes membres de la Fédération nationale des comités d'éducation pour la santé (FNES) ne sont pas claires. Pour qu'une politique de prévention soit efficace, elle doit disposer d'acteurs sur le terrain. Or, pour remplir ce rôle, les délégués régionaux de l'INPES semblent bien moins adaptés que les comités départementaux et régionaux d'éducation pour la santé (CODES et CRES) fédérés dans la FNES.

- La mise en place de l'Institut national du cancer qui pourra recevoir dons et legs du public ne menace-t-elle pas l'avenir d'associations comme la Ligue nationale contre le cancer ou l'ARC ?

- La France a incontestablement besoin d'une grande école de santé publique mais la définition de ses missions doit être précisée. Il conviendrait notamment de mieux distinguer les formations des directeurs d'hôpitaux, des cadres hospitaliers et des chercheurs-épidémiologistes.

- Il est regrettable que le projet de loi ne rende pas la formation médicale continue obligatoire, ne prévoit pas son financement et son évaluation et ait « oublié » la formation continue des médecins hospitaliers.

- Enfin, les mesures prévues en matière de saturnisme apparaissent comme très volontaristes mais ne semblent pas avoir fait l'objet d'un concertation préalable. Elles inquiètent beaucoup les associations de copropriétaires et les agents immobiliers car elles créent des obligations très lourdes pour un danger sanitaire certainement surestimé.

M. Yves Bur s'est réjoui que la santé publique soit enfin consacrée comme une véritable priorité politique. La santé publique relève en effet des missions régaliennes de l'Etat, même si celui-ci n'est pas le seul à la piloter. En cela, il est faux de dire que le texte procède à une recentralisation puisque la politique de santé publique n'a jamais été décentralisée.

La volonté du rapporteur d'instaurer plus de « démocratie sanitaire » que n'en permettent les structures proposées par le projet de loi est bonne mais la suppression des conseils régionaux de santé instaurés par la loi du 4 mars 2002 est néanmoins regrettable, car par le passé les conférences régionales et nationale de santé n'ont pas permis de véritables échanges et se sont transformées en grandes messes entièrement préparées à l'avance. Au côté des organes décisionnels, il semble important de mettre en place, sur le modèle des conseils économiques et sociaux régionaux, une structure permettant de rapprocher les différents acteurs et d'organiser le débat sur l'ensemble des questions relatives à la santé publique. Les missions des conférences régionales et nationale de santé devront donc être précisées dans ce sens et à cette fin les moyens mis à leur disposition renforcés.

M. Jean-Marie Le Guen, après avoir affirmé que les députés socialistes souhaitent examiner ce texte important hors de tout esprit de polémique malgré le contexte particulier dans lequel il est discuté, a exprimé sa perplexité face au projet de loi qui est aujourd'hui présenté. En effet, après plusieurs mois de travail - fort riche, il faut le souligner - au sein de la commission, l'opinion du groupe socialiste ne s'est pas infléchie. Il s'agit d'un mauvais projet qui, sur un sujet particulièrement important, va le plus souvent à l'encontre de ce qu'il aurait fallu faire. Cette médiocrité s'explique notamment par le fait que sa préparation n'a donné lieu à aucun travail collectif : ses dispositions résultent essentiellement des arbitrages d'un petit groupe d'experts. Il s'agit également d'un texte « mesquin » qui reflète un volonté de réécrire et d'effacer le loi du 4 mars 2002, à laquelle les parlementaires de tous les groupes sont pourtant très attachés. Les députés socialistes sont donc déçus car ils souhaitent réellement parvenir à l'adoption d'un texte positif en matière de santé publique et ne veulent pas faire de ce débat l'occasion d'attaques systématiques contre le gouvernement.

En outre, alors qu'il était initialement annoncé comme une loi de programmation, le projet de loi ne prévoit aucun financement, ce qui paraît pour le moins problématique. Surtout, il existe des divergences profondes quant à la philosophie générale du texte et au rôle qu'il accorde à l'Etat. Ce projet relève en effet d'une conception très étatiste de l'organisation du système de santé, en ce qu'il procède tout à la fois à une reconcentration et à une recentralisation.

S'agissant de la simplification de l'organisation nationale, on ne peut que s'interroger sur les raisons de la fusion du Haut conseil de la santé, instance stratégique de réflexion, et du Conseil supérieur de l'hygiène publique, qui intervient sur des problèmes plus techniques, tels que la vaccination.

Il en va de même concernant la fusion du Comité national de sécurité sanitaire, compétent en matière de gestion de crise, et du Comité technique de prévention, qui a vocation à harmoniser les différentes orientations dans ce domaine. Dès lors, le directeur de la nouvelle instance sera-t-il un technicien de l'urgence ou bien un appui à la réflexion stratégique ? En définitive, ces projets de réorganisation nationale paraissent assez aberrants.

Enfin, l'institution d'un groupement d'intérêt public (GIP) au niveau régional conduira évidemment à réétatitser la politique publique de la santé.

Ce projet de loi soulève par ailleurs une série de questions :

- Est-il prévu d'embaucher les personnels nécessaires à la mise en œuvre de ce dispositif ?

- Quel sera le rôle des unions régionales des caisses d'assurance maladie (URCAM) et surtout de l'assurance maladie en général dans ce nouveau dispositif étatiste ?

- De quelle façon et selon quelle méthode les priorités de santé publique ont-elles été définies ?

Le projet de loi comporte toutefois des mesures positives, concernant en particulier la lutte contre les infections nosocomiales en médecine de ville, la lutte contre le saturnisme ou encore le renforcement de la médecine du travail.

En conclusion, tous les amendements sont les bienvenus pour sortir par le haut de la situation actuelle, mais il n'est pas possible d'approuver en l'état la philosophie et l'architecture du projet de loi s'il n'est pas profondément modifié.

M. Bernard Perrut a jugé ces critiques excessives, en soulignant que le précédent gouvernement n'avait pas avancé autant de propositions dans le domaine de la santé publique.

Le projet de loi permet tout d'abord de donner les moyens nécessaires à la mise en œuvre de la politique de santé publique. Il n'est donc pas choquant qu'à travers le préfet, les compétences de l'Etat, qui doit assumer ses responsabilités, soient renforcées. Le projet permet d'autre part de renforcer significativement le rôle du Parlement.

Plusieurs points méritent cependant d'être précisés :

- Qui assumera la direction du groupement régional de santé publique ?

- La création de l'Institut national du cancer ne risque-t-elle pas de freiner les efforts des associations ?

- Des actions concrètes de lutte contre le tabac et l'alcool, hormis les mesures de taxation supplémentaire, sont-elles envisagées ?

- Quels seront les moyens attribués à la mise en place de ces objectifs dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale ?

M. Bernard Accoyer a fait les remarques suivantes :

- Il convient de réfléchir au rôle concret et efficace joué par les départements à l'heure actuelle en matière de santé publique et de ne pas le remettre en cause dans le cadre de la régionalisation proposée par le projet de loi. De même, toutes les associations, et notamment celles de lutte contre l'alcoolisme qui sont très actives, doivent être systématiquement associées aux groupements régionaux de santé publique.

- La philosophie générale du texte permet de dépasser la seule mise en œuvre d'une politique financière d'assurance maladie et de mettre en place une réelle politique de santé publique.

- Certaines priorités du texte peuvent être hiérarchisées. Il convient ainsi de se donner les moyens de lutter contre la souffrance psychique et de favoriser la prise en charge de la santé mentale. Une mesure rapide à mettre en œuvre pour garantir la sécurité sanitaire des psychothérapies serait de combler le vide juridique existant en matière d'encadrement des pratiques professionnelles, qui peuvent conduire à des dérives sectaires, financières voire sexuelles. Un amendement sera proposé en ce sens.

- Alors que la France détient le record mondial de consommation de cannabis par les jeunes, il est important de prévoir une information à destination des parents et des jeunes sur l'usage des drogues. Les effets de la prise de ces substances sont aujourd'hui connus et incontestés au plan scientifique, tant en ce qui concerne les comportements dangereux que les risques de cancer ou les conséquences sur la santé mentale en cas de prédispositions à de la schizophrénie conduisant souvent à des suicides.

- Une information devrait également être rendue obligatoire préalablement à l'exercice de certains actes de modification corporelle non réglementés comme le piercing ou le tatouage.

- Des réponses sont à apporter aux professions paramédicales qui souhaitent une meilleure prise en compte de leurs acquis dans le cadre de la formation professionnelle.

M. Claude Evin a rappelé qu'il y a un consensus sur la responsabilité de l'Etat en matière de santé publique mais que l'organisation sanitaire proposée peut être discutée. Le système de santé est aujourd'hui marqué par une très forte balkanisation, comme l'a justement indiqué M. René Couanau, résultant de son histoire et de son fonctionnement institutionnel. Le cloisonnement des systèmes d'alerte explique ainsi en partie la crise sanitaire de l'été.

Or, la mise en place d'une nouvelle structure, sous la forme d'un groupement régional, risque d'accroître cette tendance et d'aller contre le sens de l'histoire. Le projet de loi crée en effet autre chose sans regrouper les différentes administrations concernées, comme cela avait déjà été le cas avec le plan Juppé créant les agences régionales de l'hospitalisation sans tenir compte des DRASS. On ne peut pas dire, comme le prétend le ministre, qu'il s'agit d'aller progressivement vers la création d'agences régionales de santé, devant d'ailleurs également assurer la gestion conventionnelle de la médecine ambulatoire, car on crée une nouvelle structure de santé publique sans regrouper l'existant. Il faut rappeler à cet égard que les agences sanitaires se sont créées à partir de structures ministérielles préexistantes.

Enfin, il est contestable de créer une nouvelle école de santé publique à partir de l'actuelle ENSP en la sortant du code de la santé publique.

M. Maxime Gremetz a déploré le débat d'experts qui se tient sur le projet de loi, avec l'usage à profusion de sigles, alors qu'il importe avant tout de faire comprendre la politique de santé publique à tous nos concitoyens. Il est également fort regrettable d'examiner ce texte dans la précipitation après la crise sanitaire de l'été, sans pouvoir réellement prendre en compte ce qui est arrivé aux Français et essayer d'y remédier. On risque ainsi de déterminer un nouveau schéma organisationnel encore plus compliqué que celui existant aujourd'hui qui a pourtant empêché la remontée d'informations.

Le groupe communiste partage le diagnostic du ministre sur la nécessité de fixer des priorités de santé publique et sur le constat d'un grand retard de notre pays dans ce domaine. Pour autant, on peut déjà critiquer l'organisation retenue, qui poursuit encore l'étatisation de la santé mise en œuvre par le plan Juppé, avec des préfets sanitaires, les directeurs d'ARH ne rendant de comptes à personne. Le groupe communiste propose au contraire de créer un véritable organe national spécifique de prévention en matière de santé publique, intégrant la médecine du travail et la médecine scolaire qui concernent des millions de Français.

Pour que tous les acteurs de terrain puissent réellement s'exprimer au niveau régional, il ne faut pas se contenter de créer des agences technocratiques faisant appel à des experts mais il faut instituer un conseil regroupant toutes les parties intéressées (élus, syndicats, Etat). Surtout, il ne faut pas séparer ceux qui réfléchissent et ceux qui financent. Ce n'est que dans ces conditions que les conférences régionales de santé pourront être une bonne chose et pas uniquement des grandes messes comme aujourd'hui.

Mme Martine Billard a considéré qu'il est nécessaire d'avoir des experts en matière de santé publique pour aider à définir les priorités sanitaires mais que ceux-ci doivent être associés à tous les autres acteurs au sein des différentes structures. On peut toutefois regretter la reconcentration opérée au profit du préfet.

On peut également se demander s'il y a une réelle volonté de développer la prévention car aucune des causes des risques sanitaires n'est réellement prise en compte. En effet, les objectifs figurant en annexe au projet de loi s'apparentent ainsi à des vœux pieux, comme dans certaines conférences internationales où on se promet de réduire la pollution ou la pauvreté dans les trente ans à venir. Les facteurs d'exposition aux risques ne sont pas traités : pesticides, éthers de glycol, adjuvants alimentaires, abus de sucre et de sel dans les produits alimentaires, agents cancérigènes et toxiques dans les milieux du travail. De surcroît, on ne sait pas quels sont les plans d'action derrière les objectifs louables affichés. Enfin, il n'y a quasiment aucune disposition sur la santé au travail et le plan cancer proposé est bien plus curatif que préventif.

M. Pierre-Louis Fagniez a estimé que les critiques sur la complexité d'un dispositif proposé par les seuls experts ne sont pas justifiées en ce qui concerne notamment le titre IV du projet de loi, lequel a fait l'objet d'un vaste travail collectif auquel ont participé des associations de malades, des sociétés savantes ainsi que l'Académie de médecine. Le niveau régional est valorisé avec le rôle renforcé des comités régionaux de protection des personnes, comprenant des représentants des associations de malades et pas seulement des experts.

Il importe pourtant d'alléger le travail de ces comités car il y a un risque que beaucoup de protocoles de recherches leur soient soumis. Tout en respectant la directive communautaire transposée, il devrait être possible de mettre en place des procédures allégées pour certains protocoles, afin de garantir de meilleures conditions de travail aux comités régionaux, et partant une meilleure qualité des études réalisées.

M. Marc Bernier a déclaré que les cent objectifs de santé publique contenus dans le rapport annexé au projet de loi résultent de discussions menées pendant plus d'un an avec des experts, le groupe technique national de définition des objectifs composé de sociétés savantes, et constituent une véritable mine d'or pour la réflexion. Ces objectifs doivent être entendus comme des indicateurs, des marqueurs de la situation sanitaire du pays. De fait, trois axes principaux doivent guider l'action menée en faveur de la santé publique en France : la baisse de la morbidité, l'amélioration de la qualité de vie et la réduction des inégalités face à la santé. La mortalité prématurée est particulièrement élevée dans notre pays. Selon M. Tubiana, professeur en santé publique, 50 % des décès avant 65 ans (dont 35 % résultent de morts violentes) seraient évitables si de réelles actions de prévention étaient entreprises en direction de cette population.

M. René Couanau, président, a souligné l'importance et la qualité des consultations menées par le rapporteur avant l'examen du texte.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a déclaré que trois points essentiels ressortent de la discussion :

- Tous les intervenants ont évoqué le rôle premier dévolu à l'Etat par la projet de loi en matière de politique de santé publique. Cette centralisation, que certains ont dénoncée, est en réalité indispensable car la politique de santé doit relever de l'Etat qui est garant du bien-être de la population. Mais si l'Etat est décideur, la région est au cœur du dispositif dans la mesure où elle constitue le point d'équilibre entre l'Etat et le terrain. Le préfet n'est donc pas « omniacteur » mais bien plutôt celui qui met en relation l'ensemble des acteurs.

- En ce qui concerne les conférences régionales, il ne s'agit pas de les rétablir telles qu'elles ont été instituées par les ordonnances de 1996 mais bien plutôt de les adapter en en faisant des organes de consultation efficaces et permanents et non pas des grandes messes d'un jour.

- Le financement de la politique de santé publique sera discuté lors de l'examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En tout état de cause, le dispositif est financé par l'assurance maladie qui, à moyen terme, retirera de cette réforme un bénéfice important dans la mesure où l'effort porté sur la politique de prévention devrait conduire à la réalisation d'importantes économies. Pour ce qui est des moyens en personnel, la réforme se fait par redéploiement des effectifs existants.

Ce texte constitue donc un réel progrès puisque pour la première fois, la politique de santé publique est prise en compte de manière globale. Le but de ce projet de loi n'est pas de défaire ce qui a été fait mais plutôt d'en tenir compte tout en améliorant le fonctionnement des institutions. Les événements de cet été ont mis en évidence les défaillances coûteuses en vies humaines de notre système de santé publique. Portant spécifiquement sur les dysfonctionnements des mécanismes d'alerte sanitaire, les travaux de la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule devraient apporter des éléments de réponse qui seront intégrés au projet de loi par voie d'amendements.

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Informations relatives à la commission

M. Denis Jacquat a été désigné rapporteur sur la proposition de résolution de M. Hervé Morin tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes humaines, politiques, économiques et environnementales de la canicule - n° 1062.


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