COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 4

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 16 octobre 2002
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen pour avis du budget de la Défense pour 2003


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Examen pour avis du budget de la Défense pour 2003

M. Paul Quilès, Rapporteur pour avis, a tout d'abord indiqué que la loi de finances initiale pour 2003 prévoyait l'inscription de 31,07 milliards d'euros de crédits pour le ministère de la Défense, contre 28,91 milliards en loi de finances initiale pour 2002, soit une augmentation de 7,5 %.

Cette hausse concerne avant tout les crédits d'équipement (+ 11,2 % à 13,64 milliards d'euros) afin notamment d'améliorer l'entretien des matériels et de relancer la politique de l'armement, comme annoncé dans le projet de loi de programmation militaire 2003/2008. Les crédits de fonctionnement et de rémunération sont en hausse de 4,7 %. Le maintien d'un niveau élevé semble nécessaire afin de consolider la professionnalisation des armées et d'améliorer les conditions de vie et de travail du personnel. Une armée professionnelle est en effet coûteuse, contrairement à ce que certains ont pu penser en 1996.

M. Paul Quilès a estimé que, d'un strict point de vue quantitatif, ce budget était donc conséquent, mais qu'il ne levait pas toutes les incertitudes, notamment le lien entre loi de programmation et lois de finances annuelles. Il a considéré qu'il était anormal, peu respectueux des droits du Parlement et inquiétant pour la crédibilité de la programmation militaire de se prononcer sur les crédits pour 2003, alors même que la loi de programmation pour les années 2003 à 2008 n'est pas encore entrée en vigueur ni même votée.

Par ailleurs, ce budget ne s'inscrit pas dans une réflexion stratégique à long terme car il constitue un prolongement des analyses du Livre blanc de 1994 et du Modèle Armée 2015 défini en 1996, alors que le contexte géostratégique a profondément évolué.

Tout d'abord, même si la réponse au terrorisme ne saurait être uniquement militaire, les armées doivent contribuer à la lutte contre ce fléau en apportant une contribution à la sécurité intérieure, par leurs activités de renseignement ou en démantelant des réseaux terroristes en dehors du territoire national, ce qui exige une amélioration de nos capacités de projection, ce qui reste encore essentiellement du domaine du vœu pieux.

M. Paul Quilès a ensuite décrit les grands axes de l'évolution de la pensée stratégique américaine qui sont mal pris en compte dans les réflexions françaises actuelles sur la défense. Les fondements de cette nouvelle doctrine sont l'accent mis sur la prévention par rapport à la dissuasion, qui passe par le développement de systèmes antimissiles et par la justification de guerres préventives. En matière militaire, cette stratégie repose sur une approche capacitaire : la planification ne doit plus répondre à un scénario précis, mais permettre de se préparer à faire face à toutes les hypothèses. Dans cette optique, il n'y a pas de menace préalablement identifiée et, en conséquence, les alliances perdent leur raison d'être, dès lors que l'ennemi n'est plus désigné par son identité ou son projet, ce qui revient à dire que les Etats-Unis définissent leurs alliés en fonction des circonstances.

M. Paul Quilès a ajouté que cette doctrine avait commencé à se concrétiser, comme le prouve par exemple la décision de mettre définitivement en œuvre le programme de défense antimissiles, le Missile Defense, en se retirant du traité ABM et en concluant un accord de désarmement nucléaire avec la Russie. En politique étrangère, les Etats-Unis deviennent de plus en plus unilatéralistes, que se soit dans leur politique vis-à-vis de l'Irak, au Proche-Orient ou s'agissant de la Cour pénale internationale, ou encore du refus de ratifier le protocole de Kyoto.

Cette nouvelle doctrine américaine se traduit également par une remise en cause de fait du rôle de l'Alliance atlantique. A la suite des attentats du 11 septembre, les Etats membres de l'Alliance atlantique ont mis en œuvre pour la première fois la garantie prévue par l'article 5 du Traité. Pourtant, cette proclamation de solidarité n'a eu aucune conséquence pratique pendant la campagne militaire en Afghanistan. En outre, les inquiétudes sur le rôle opérationnel de l'OTAN sont amplifiées par les perspectives d'élargissement de l'Alliance et de rapprochement avec la Russie. Le sommet de Prague les 21 et 22 novembre prochains devrait confirmer ce mouvement en entérinant l'adhésion de sept nouveaux membres. Les frontières de l'OTAN vont se confondre de plus en plus avec celles de l'OSCE et ses missions auront tendance à devenir de plus en plus politiques et de moins en moins militaires.

M. Paul Quilès a estimé que les évolutions du contexte stratégique rendaient illusoire l'objectif d'une autosuffisance militaire. Pourtant, ce budget ne donne pas de véritable signe d'une volonté de construire une authentique Europe de la défense, qui sera seule à même de répondre aux nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés.

En effet, l'Europe de la défense a cessé de progresser, après un départ prometteur dans la lancée du sommet franco-britannique de Saint-Malo : la PESD (politique européenne de sécurité et de défense) a alors vu le jour suite aux décisions prises aux conseils européens de Cologne ou d'Helsinki. L'évolution indispensable devra être qualitative, et non simplement quantitative. C'est pourquoi il faut innover et faire de cette construction un véritable sujet de débat politique, et non plus seulement technique. Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe sont une occasion à saisir. Avant de définir les moyens dont l'Europe a besoin, il est indispensable de s'interroger sur les finalités d'une Europe de la défense : par exemple, alors que l'Europe va s'élargir jusqu'aux portes de la Russie, il est décisif de savoir s'il existe une garantie de sécurité entre les Etats de l'Union européenne.

M. Paul Quilès a indiqué que la première priorité devrait être de définir les objectifs de l'Europe en matière de défense, et la seconde en toute logique, serait d'assurer la traduction des bonnes intentions affichées en réalisations concrètes. Il a rappelé que, depuis plusieurs années, il demandait que les Européens fondent leur politique de défense sur un Livre blanc européen, qui préciserait l'analyse stratégique de l'Union européenne, les menaces auxquelles elle peut être confrontée et les réponses qu'elle envisage. Ensuite, sur la base de ces analyses, il faudra définir en commun les moyens nécessaires en évitant les doublons inutiles et en utilisant les synergies.

M. Paul Quilès a conclu en précisant que, en dépit de quelques aspects positifs, il ne voterait pas ce budget, essentiellement parce qu'il ne répond pas à l'enjeu essentiel pour notre sécurité qu'est la construction de la défense européenne et parce qu'il ne tient pas assez compte des évolutions actuelles du contexte stratégique.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a considéré que l'examen des crédits du budget de la défense constituait un exercice complexe dans la mesure où il est symbolique en matière de politique étrangère et de défense de rechercher le consensus le plus large possible en France afin de réunir les forces politiques autour de ces deux enjeux majeurs. C'est la raison pour laquelle il s'est dit choqué par les conclusions du Rapporteur qui, traditionnellement, doit faire la synthèse de la position de la Commission des Affaires étrangères. En effet, l'avis de la Commission des Affaires étrangères est très important car le système de défense de la France constitue l'outil de sa politique étrangère.

Par ailleurs, il a estimé que le Rapporteur avait tort de considérer que l'analyse et le contenu du Livre blanc sur la défense de 1994 étaient dépassés. Il a fallu attendre 1994 pour tirer les conclusions des conséquences stratégiques et opérationnelles du système communiste et d'un nouveau système de défense fondé sur le double objectif de la sécurité et de la puissance qui est aujourd'hui celui de notre politique extérieure. A l'époque il en est résulté la nécessité de tenir davantage compte d'une logique de projection de nos forces pour résoudre des conflits régionaux soit menaçant directement la sécurité française ou européenne soit pour intervenir simplement. On ne peut cependant pas dire que le préalable de la réflexion stratégique n'a pas été opéré et que les problèmes liés au terrorisme, aux capacités et à la projection extérieure n'étaient pas envisagés.

S'agissant de l'articulation entre loi de programmation militaire et examen budgétaire, M. Renaud Donnedieu de Vabres a considéré que présenter une loi de programmation militaire ambitieuse témoignait du courage politique du Gouvernement qui reconnaît un certain nombre de priorités. Se pose ensuite le problème de l'exécution annuelle. Il est évident que le calendrier budgétaire conduit le Parlement à délibérer du budget de la défense avant tout débat sur la loi de programmation militaire. Mais l'important est qu'il n'y ait pas d'incohérence entre ce budget et la loi de programmation militaire, ce qui est le cas aujourd'hui.

Dans le prolongement de ce débat, M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé que si une novation institutionnelle devait être proposée, elle pourrait consister à demander que toutes les fonctions régaliennes de l'Etat fassent l'objet d'une loi de programmation et d'une démarche pluriannuelle, tout en interdisant au Gouvernement de remettre en cause, par voie réglementaire sans consulter le Parlement, l'exécution pluriannuelle d'une loi de programmation.

A propos de la construction de l'Europe de la défense, il a souligné combien il était important que la France soit un partenaire solide. Il a également partagé l'idée d'un livre blanc européen sur la défense. Cependant, tout Européen convaincu devrait se réjouir de la position française qui vise à redonner une capacité pour agir efficacement dans le cadre européen. Il n'en demeure pas moins que la vraie question qu'il aurait fallu poser au Gouvernement au moment des événements de Bosnie, du Kosovo et d'autres opérations extérieures, était de savoir pendant combien de semaines, avec les matériels, les hommes et les crédits prévus, la France est capable de projeter. La réponse aurait sans doute été mauvaise pour la fiabilité du système français de défense.

En conclusion, M. Renaud Donnedieu de Vabres a rappelé qu'un échange et un partage des responsabilités entre majorité et opposition étaient une belle chose pour la politique extérieure de la France et vis-à-vis des ses armées.

M. Jacques Myard a tout d'abord souligné combien il était dur de critiquer un bon budget quand on est dans l'opposition. Puis il a estimé qu'il était urgent que la France reprenne son effort de défense et s'est félicité que la décision ait été prise de redonner à notre pays une certaine crédibilité en termes militaires. Tout le monde se souvient en effet des sarcasmes qui ont émané ces dix dernières années de certains milieux, notamment l'OTAN, sur le niveau de nos forces.

En matière de défense européenne, il a considéré que l'Europe de la défense existait. Elle s'appelle l'OTAN. Néanmoins, plus la France affichera une crédibilité militaire, plus elle fera prendre conscience à ses partenaires qu'il s'agit là d'une affaire européenne et plus elle les entraînera à faire eux aussi un effort dans ce domaine. Mais il est clair que cet effort ne peut se faire que dans un cadre intergouvernemental et non pas communautaire.

Il n'en demeure pas moins qu'il faut maintenant évaluer les menaces et cela commande que pour infléchir la stratégie européenne la France puisse compter dans le débat qui s'ouvre.

M. François Loncle a dit approuver les conclusions du Rapporteur, considérant qu'il ne s'agissait pas d'une divergence mineure sur quelques milliards ou quelques choix d'armement qui sont contestés, mais de l'orientation politique de la défense et de la sécurité que la France veut résolument placer dans le cadre européen. En la matière, la priorité absolue demeure le cadre européen dans lequel doit désormais s'inscrire la politique de sécurité et de défense de notre continent.

M. Paul Quilès a répondu aux intervenants.

Sur la forme, il a rappelé que l'opposition, quelle qu'elle soit, n'avait pas toujours voté le budget de la défense. Ce qui est important, c'est qu'il y ait consensus sur les objectifs de la politique de défense entre la majorité et l'opposition, mais il est normal qu'il existe des divergences sur les moyens de mise en œuvre de ces objectifs.

Sur le fond, le Livre blanc de 1994 évoquait le terrorisme, mais pas le terrorisme international, tel qu'il s'est révélé lors des attentats du 11 septembre 2001, qui ont changé la donne comme on peut le constater au travers des évolutions doctrinales en cours aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

En ce qui concerne l'OTAN, il n'est pas sérieux de dire qu'elle constitue une organisation de défense européenne, car chacun sait que c'est un outil au service des Etats-Unis. De plus, l'OTAN ne fonctionne plus, comme l'a montré l'absence de conséquences à la seule mise en œuvre de l'article 5 suite aux attentats du 11 septembre 2001. Aujourd'hui, c'est la question de la nature et de la forme des alliances qu'il faut poser, il s'agit d'un vrai sujet.

L'Europe de la défense est un objectif largement approuvé, mais il est temps de le mettre en œuvre concrètement. Les choix budgétaires opérés isolément par la France, sans concertation avec nos partenaires, ne le permettent pas : par exemple, le projet de loi de programmation militaire prévoit que la France disposera en 2015, échéance lointaine, d'un second porte-avions, sans que jamais ne soit ouvert un débat sur l'utilité de cet équipement dans un cadre européen.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que le rapport de M. Paul Quilès contenait nombre d'informations et de jugements qui peuvent être largement partagés, mais s'est dit perplexe devant quelques points.

Il s'est tout d'abord demandé comment l'on pouvait faire grief au Gouvernement de soumettre un projet de budget qui tient compte des orientations du projet de loi de programmation militaire qui sera discuté dans quelques semaines.

De même il s'est étonné que l'on puisse à la fois reprocher à ce budget d'appliquer le Livre blanc sur la défense de 1994, en disant qu'il est dépassé, et la loi de programmation militaire 2003-2008 qui n'a pas encore été débattue.

Enfin, sur l'Europe, il a considéré que le Rapporteur avait raison de dire qu'il faudrait un livre blanc européen sur la défense, mais encore faudrait-il commencer par décider si on veut faire cette Europe de la défense.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a rappelé qu'il y avait, d'une part, un calendrier politique et, d'autre part, un calendrier budgétaire. Aujourd'hui c'est le vote du budget qui est en cours, la loi de programmation militaire est connue mais elle n'est pas votée et l'Europe de la défense demeure une inconnue. Il faut donc, dans l'état actuel des choses, doter la France des moyens militaires nécessaires et, à cet égard, le projet de budget pour 2003 correspond aux intérêts de la France.

M. Paul Quilès a précisé qu'il ne reprochait pas à ce budget de s'inspirer du projet de loi de programmation militaire mais que celui-ci aurait dû être adopté auparavant, ce qui était parfaitement possible. Pour être en adéquation avec un futur Livre blanc européen, cette loi de programmation aurait pu être transitoire, ce qui aurait donné du poids et de la crédibilité à une demande française visant à la rédaction d'un tel document. A l'inverse, le vote d'une loi de programmation sur cinq ans indique que la France s'engage seule sur cette durée. Or, l'Europe a besoin pour avancer d'un minimum de volontarisme politique.

M. Pierre Lequiller a jugé que la volonté politique de faire avancer l'Europe de la défense était affirmée très nettement par la hausse des crédits militaires. Cet effort budgétaire prouve bien que la France veut la construction d'une Europe de la défense et, à l'intérieur de la Convention pour l'avenir de l'Europe, cette hausse est d'ailleurs considérée comme importante pour préparer la réflexion sur ce thème.

Contrairement à l'avis du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2003.

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