COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 22 octobre 2002
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,

puis de M. Roland Blum, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pierre-André Wiltzer, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie
- Examen pour avis du budget Ecologie et Développement durable


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Audition de M. Pierre-André Wiltzer, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie

Après s'être félicité d'être entendu pour la première fois par la Commission des Affaires étrangères, M. Pierre-André Wiltzer a tout d'abord constaté que parmi les 50 pays de la zone de solidarité prioritaire, 44 étaient des pays africains et 32 d'entre eux étaient plus pauvres aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 1980, avant d'indiquer qu'on a assisté ces dernières années à un élargissement géographique de l'Aide Publique au Développement (APD) française et parallèlement à une diminution régulière des moyens de celle-ci. L'APD française est passée de 0,57 % du PIB en 1994 à 0,31 % en 2000, de 1996 à 2001, son montant a diminué de 22 % alors que parallèlement le PIB progressait sous l'effet de la croissance. Aussi est-il nécessaire de réorienter la politique de coopération car le fossé entre les pays du Sud et ceux du Nord, spécialement entre l'Afrique subsaharienne et l'Europe, est inacceptable, et la France ne peut rester indifférente à cette fracture mondiale.

Puis le Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie a détaillé les quatre axes de la politique de coopération : augmenter le volume de l'aide publique, concentrer les efforts de la France, rénover ses partenariats et renforcer l'expertise française en matière de coopération.

S'agissant de l'augmentation du volume de l'aide publique française, il a rappelé les engagements du Président de la République en tant que candidat à l'élection présidentielle et lors du sommet de Monterrey : pour atteindre 0,7 % du PIB en dix ans, l'APD devra se situer à 0,5 % du PIB d'ici la fin du mandat présidentiel, ce qui suppose une augmentation de 50 % en cinq ans. Cette évolution trouve un début de réalisation dans le projet de loi de finances initiale pour 2003 et la dégradation de l'APD cesse pour la première fois, ce qui traduit un véritable engagement politique.

En ce qui concerne la concentration des efforts, le Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie a estimé qu'il fallait mettre un terme à la chute de l'aide bilatérale (- 38 % de 1996 à 2001) et à la régression de l'effort en direction des pays les moins avancés. Il a souligné l'importance de la part de l'aide publique française utilisant des canaux multilatéraux liés à la progression de notre contribution à l'aide communautaire. A cet égard, il a déploré la lourdeur des procédures et les retards de décaissement du Fonds Européen de Développement (FED), problème reconnu qui fait l'objet de diverses réformes. La consommation de ces crédits étant décevante, il convient d'augmenter l'aide bilatérale mieux adaptée. Celle-ci devrait bénéficier principalement aux pays africains, notamment aux pays les moins avancés.

Quant à la rénovation des partenariats, il s'agit d'une préoccupation majeure du Président de la République qui a plaidé fortement pour une mise en œuvre d'un partenariat international renouvelé lors du sommet du G8 à Kananaskis, puis lors du sommet de la Francophonie à Beyrouth, affirmant ainsi le passage d'une logique d'assistance à une logique de partenariat. A ce propos, le Ministre a souligné l'intérêt du débat sur le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD) qui repose sur un engagement équilibré et a rappelé les propos du Président Abdoulaye Wade soulignant le caractère indispensable du soutien apporté par les enseignants francophones. A cet égard, le Ministre a considéré que la disparition de la coopération de substitution avait peut-être été trop brutale ces dernières années, notamment dans les domaines de l'éducation de base.

Selon lui, la logique de partenariat s'est aussi imposée dans l'exercice des commissions mixtes et se trouve au cœur du mécanisme français d'affectation de l'annulation de la dette : le Contrat de Désendettement Développement (C2D).

De même, le renforcement des partenariats passe par un appui à la coopération décentralisée, productive et efficace, par la société civile et par l'investissement privé, l'APD seule ne permet pas de répondre aux énormes besoins d'investissements des pays en voie de développement. Il est nécessaire de créer un environnement favorable aux investissements, c'est pourquoi la France soutient l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA).

Pour ce qui est du renforcement de notre expertise, M. Pierre-André Wiltzer a rappelé que la France disposait dans ce domaine d'un instrument d'intervention spécifique qui est l'assistance technique. Ses ingénieurs, ses chercheurs, ses scientifiques doivent être soutenus et encouragés. La diminution du volume de l'assistance technique au cours des dernières années comportait le risque d'une disparition de l'expertise française. Le projet de loi de finances initiale pour 2003 permet d'enrayer ce mouvement et d'accompagner l'augmentation des projets financés par le Fonds de Solidarité Prioritaire.

Le Ministre a expliqué que ces quatre principes d'action s'appliquaient à la Francophonie et à ses opérateurs, la déclaration et le programme d'action que les 55 Chefs d'Etat et de Gouvernement viennent d'adopter au sommet de Beyrouth qui a été un succès, en rendent fidèlement compte.

Enfin, il a exposé la traduction de ses orientations dans le projet de budget 2003. La progression des crédits pour 2003 se traduit par une augmentation de ceux affectés au FED, qui passent de 218,5 à 496 millions d'euros notamment en raison de la volonté d'afficher dès la loi de finances initiale l'intégralité de la charge. L'aide bilatérale est renforcée, les crédits d'engagement inscrits pour 2003 en faveur du Fonds de Solidarité Prioritaire (FSP) et de l'Agence Française de Développement progressent, les autorisations de programme augmentent de 26 %. 91 millions d'euros sont inscrits au titre des Contrats de Désendettement et de Développement, initiative prise dans le cadre du traitement de la dette des pays pauvres très endettés.

S'agissant des opérations menées par la DGCID, l'aide apportée aux pays africains est renforcée. Elle progresse de 5,1 % et atteint 617 millions d'euros. L'Afrique subsaharienne est privilégiée puisque la part dans l'ensemble des crédits affectés géographiquement dépasse le seuil des 50 %, l'Afrique de l'Ouest et Centrale voit quant à elle sa part progresser de 35,6 % à 37,3 %.

La France envisage enfin d'augmenter substantiellement sa contribution à l'Organisation Internationale de la Francophonie, cette relance devrait concerner tous les opérateurs de la Francophonie.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre pour son exposé très complet.

M. Jacques Godfrain a remercié le Ministre pour la qualité de son intervention. Il lui a demandé au s'il pensait pouvoir maintenir les efforts financiers annoncés alors que la régulation budgétaire a souvent pour effet de diminuer les crédits destinés à la coopération. Il a voulu savoir quels pays se sont encore appauvris par rapport aux années 1980 et s'est demandé si leur situation n'aurait pas été encore plus dégradée en l'absence de coopération. Il a enfin interrogé le Ministre sur la situation de la coopération de substitution.

M. Pierre-André Wiltzer a concédé que le gel de crédits opéré par la régulation budgétaire était souvent très pénalisant, surtout dans la mesure où il frappe les programmes de coopération et donc les actions quotidiennes de la coopération bilatérale. Une discussion a été entamée avec le ministère des Finances pour obtenir la levée de ces blocages. Une autre piste est actuellement explorée, concernant la contribution française au Fonds Européen de Développement (FED), qui est importante puisqu'elle représente presque 25 % du montant total de ce fonds. Elle consisterait à utiliser les reliquats non décaissés au titre du FED au profit des projets d'aide bilatérale mis en œuvre sur le FSP ou par l'AFD. Telle est par exemple la demande essentiellement faite dans le cadre de la constitution du collectif de fin d'année.

Les chiffres cités faisant apparaître la dégradation de la situation de certains pays les moins avancés sont ceux de l'OCDE. La situation aurait évidemment été encore plus mauvaise en l'absence d'efforts de coopération. Certains pays sont aux prises avec tous les maux imaginables et se trouvent pris dans une spirale négative.

Deux arguments ont été avancés contre la coopération de substitution. Tout d'abord un argument idéologique, selon lequel envoyer sur place des enseignants, des chercheurs et des spécialistes serait déresponsabilisant pour les pays aidés. L'autre argument, probablement plus réel, a été celui du coût élevé de cette politique, d'où une réduction drastique des moyens accordés. Il est aujourd'hui difficile d'imaginer un retour en arrière, aussi le ministère réalise-t-il des opérations comme au Niger où l'on tente, avec l'aide d'une ONG, de refonder le système d'enseignement de base, en installant des écoles aux moyens simples, avec de jeunes enseignants nigériens soutenus par des enseignants français.

M. François Rochebloine a demandé quels étaient les projets du Gouvernement dans le domaine de l'action audiovisuelle extérieure. Le projet de chaîne d'information continue francophone sera-t-il adossé à TV 5, à TF 1 ou indépendant ? La coordination entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Culture et de la Communication est-elle bonne ? Quel est le bilan de la politique d'aide aux exportateurs de produits culturels français ? Enfin, que penser, au regard des libertés publiques, de la fermeture définitive de la chaîne de télévision MTV au Liban ?

Le Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie a répondu que sans s'ingérer dans les affaires intérieures du Liban, le ministère a fait part de sa déception à cette nouvelle, mais on peut encore espérer en la procédure d'appel qui est en cours.

Une étude s'effectue au sein du Gouvernement sur les différents moyens de renforcer l'action audiovisuelle extérieure avec le souci d'éviter la concurrence inutile.

Le Ministre a ajouté qu'il adresserait à la Commission des Affaires étrangères un bilan de la politique d'aide aux exportateurs de produits culturels.

La volonté de coordination des différents ministère est réelle, des améliorations peuvent y être apportées ; cela est d'autant plus indispensable que le ministère des Affaires européennes est en position de généraliste et que les coopérations font intervenir les autres administrations.

M. Gilbert Gantier a estimé que l'exposé du Ministre n'était pas très optimiste et lui rappelait le titre de l'ouvrage de René Dumont, L'Afrique noire est mal partie. Il a demandé si, au-delà du problème quantitatif, la vraie question n'était pas celle de la qualité de l'aide. A cet égard, il a rappelé l'efficacité en son temps du plan Marshall qui avait permis de reconstruire l'Europe en un temps record et s'est interrogé sur les nouveaux moyens pour augmenter l'efficacité de l'aide.

M. Pierre-André Wiltzer a répondu qu'il n'allait pas être possible d'améliorer dès la première année une situation budgétaire qui s'est fortement dégradée ces dernières années : l'objectif est une augmentation de 50 % de l'aide publique au développement en cinq ans. Il est normal que chacun soit impatient, mais la situation n'est pas désespérante.

Le Ministre a exprimé le sentiment qu'en ce moment les choses étaient en train d'évoluer : le regard sur l'Afrique change après une période de grand pessimisme à son égard, qui peut expliquer la baisse de l'aide au développement. Il y a eu une vraie prise de conscience et aujourd'hui la question du développement de l'Afrique figure à l'ordre du jour de tous les grands sommets mondiaux (Monterrey, Johannesburg, G8...) De plus, le regard des Africains sur eux-mêmes et sur leurs propres responsabilités a changé. Il s'agit d'un véritable tournant. Dans le cadre du NEPAD, les dirigeants africains ont pris par exemple des engagements en terme de bonne gouvernance, de transparence financière ou de lutte contre la corruption.

M. Pierre-André Wiltzer a estimé qu'il n'était pas vraiment possible de transposer l'exemple du plan Marshall à l'Afrique car l'Europe, bien que détruite, n'était pas du tout dans la même situation, disposant notamment de populations formées, ce qui manque cruellement à l'Afrique ; d'où la priorité absolue à donner à l'éducation de base.

M. Jean-Jacques Guillet a demandé quels devaient être les critères conditionnant notre aide publique au développement, notamment en ce qui concerne la bonne gouvernance. Il s'est également interrogé sur la possibilité de prévoir des procédures spéciales dans le cadre des annulations de dettes vis-à-vis des pays défaillants. Enfin, il a demandé au Ministre des précisions sur l'initiative franco-britannique annoncée lors du sommet de Johannesburg.

M. Pierre-André Wiltzer a indiqué que les initiateurs du NEPAD eux-mêmes avaient constitué une cellule visant à préciser les conditions d'attribution de ce nouvel instrument. Il peut s'agir de critères de convergence mesurables (contexte économique et financier) mais d'autres aspects sont plus subjectifs. Les pays du G8 ont mis à l'ordre du jour de leur prochaine réunion à Evian en juin prochain la définition des outils permettant la mise en œuvre effective du NEPAD. L'intention du Président de la République est d'inviter à Evian certains des chefs d'Etat africains initiateurs du projet.

En ce qui concerne les pays endettés défaillants, il existe d'ores et déjà une « sanction » puisque tous les bailleurs financiers leur coupent l'accès aux crédits ce qui met ces pays dans une situation particulièrement difficile.

M. Pierre-André Wiltzer a expliqué que l'initiative franco-britannique prise à Johannesburg visait à créer un fonds pour garantir les investissements privés. L'objectif du NEPAD est en effet aussi d'attirer l'investissement privé qui constitue une condition indispensable au décollage économique. Ce fonds sera doté de 100 millions d'euros, ce qui devrait permette de drainer un milliard d'euros d'investissements privés.

Examen pour avis du budget Ecologie et Développement durable

M. Jean-Jacques Guillet, Rapporteur pour avis, a tout d'abord considéré qu'en raison de l'actualité internationale, il était utile que la Commission des Affaires étrangères se prononce sur les crédits du ministère de l'Ecologie et du Développement durable. Après le Sommet de Rio en 1992, de nombreux sommets sectoriels traitant de questions relatives au développement durable ont eu lieu, mais il a fallu attendre le sommet de Johannesburg, organisé par les Nations unies du 26 août au 4 septembre dernier, pour que l'ensemble de ces questions soient à nouveau abordées dans une même enceinte.

La notion de développement durable a fait son entrée dans le champ de la politique internationale avec le rapport Bruntland de la commission des Nations unies pour l'environnement et le développement. Elle se définit comme le fait de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures » et concerne à la fois la gestion des ressources naturelles mondiales et la lutte contre les inégalités. Les politiques de développement durable visent donc à contrer les effets négatifs de la mondialisation, alors même que le nombre de pays les moins avancés est passé de 25 à 45 en vingt ans d'après le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). A l'échelon international, de nombreuses institutions interviennent dans ces politiques sans qu'aucune coordination n'ait lieu. A l'heure actuelle, seule l'OMC dispose d'un véritable pouvoir de sanction : pour cette raison, elle doit intégrer les préoccupations sociales et environnementales dans son fonctionnement et dans ses objectifs.

L'engagement de la France en faveur du développement durable est fort et le discours du Président de la République à Johannesburg a été très bien reçu par la communauté internationale. Par ailleurs, une charte de l'environnement est actuellement en cours d'élaboration : elle est rédigée par une commission présidée par M. Yves Coppens et sera déposée au Parlement à compter du mois de juin 2003. Le Premier ministre a également décidé de réunir un séminaire intergouvernemental le 14 novembre prochain, afin de mettre en œuvre la politique de développement durable en y impliquant l'ensemble des administrations. Les collectivités locales, qui élaborent les « agendas 21 locaux » et conduisent des projets de coopération décentralisée, les entreprises et les ONG jouent un rôle essentiel dans la politique de développement durable. S'agissant des entreprises, des indices éthiques ont été définis afin d'évaluer leur action dans ce domaine.

La baisse de 0,16 % de l'ensemble des crédits du ministère de l'Ecologie et du Développement durable ne marque pas un désengagement de l'Etat en matière de politique environnementale. La portion des crédits du ministère affectée à l'action internationale est faible, car sur ce point il travaille en coopération avec celui des Affaires étrangères. Son budget global ne recoupe pour sa part que 22 % de l'ensemble des budgets publics consacrés à l'environnement, ce qui démontre le caractère transversal des actions entreprises en la matière. Les moyens humains du ministère sont relativement modestes, puisqu'il dispose de 3 476 emplois et qu'il bénéficiera de deux créations de poste pour l'année prochaine. On peut néanmoins s'interroger sur la nécessité de renforcer les moyens du ministère, afin qu'il puisse passer d'une fonction d'accompagnement à une fonction d'impulsion.

En conclusion, M. Jean-Jacques Guillet a fait part de pistes de réflexion pour l'avenir : une plus grande transparence des négociations internationales est souhaitable, par exemple en y associant davantage les parlementaires ou en améliorant les supports d'information francophones ; la francophonie doit évoluer en sortant de la sphère interétatique et en devenant un lieu de contact ouvert sur la société civile ; en attendant la création de l'organisation mondiale de l'environnement (OME) défendue par le chef de l'Etat, la France doit augmenter sa contribution volontaire au Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) dans les prochaines années ; le projet de taxe destinée à financer le développement durable doit être mis à l'étude ; le mécanisme de décision au sein de l'Union européenne doit être clarifié, afin d'améliorer la cohérence des actions entreprises en matière de développement durable au niveau communautaire ; les mécanismes de coopération décentralisée doivent faire l'objet d'un plus grand soutien de la part des pouvoirs publics ; le développement des partenariats public-privé doit être facilité par la mise en place d'une plateforme unique d'accompagnement des projets ; le Parlement doit être davantage associé à la définition de la stratégie nationale en matière de développement durable dans les prochaines années, afin qu'il fasse l'objet d'un véritable débat démocratique.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'Ecologie et du Développement durable pour 2003.

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