COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 novembre 2002
(Séance de 16 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Christopher Patten, Commissaire européen chargé des relations extérieures


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Audition de M. Christopher Patten, Commissaire européen chargé des relations extérieures

Le Président Edouard Balladur s'est réjoui d'accueillir à nouveau M. Christopher Patten, Commissaire européen chargé des relations extérieures, que la Commission des Affaires étrangères avait déjà reçu sous la présidence de M. François Loncle en juin 2000.

Il a souligné l'immensité de la tâche du Commissaire auquel il incombe de coordonner l'ensemble des activités qui ont trait aux relations extérieures de la Commission européenne. En effet, à l'intérieur de ce domaine de compétence partagée avec les Etats, il y a notamment les relations avec les pays européens, avec les pays de la Méditerranée, ou du Moyen-Orient, avec l'Asie et le Japon et les relations avec les organisations internationales.

C'est au Commissaire Patten qu'il appartient de faire en sorte que la Commission européenne ait dans ses relations extérieures avec l'ensemble des régions du monde une approche cohérente, une identité claire. Le Président a demandé quelles étaient les lignes de force qui caractérisaient aujourd'hui les relations extérieures de la Commission européenne quand il s'agit d'intervenir dans les zones de conflit. A cet égard il a souhaité connaître le bilan de l'action de l'Union européenne dans les Balkans.

Considérant qu'en dehors de ce pilier communautaire, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) relevait du domaine intergouvernemental, il a voulu savoir comment le Commissaire Patten concevait son rôle face à M. Javier Solana, Haut représentant pour la PESC.

Observant que toute crise ou conflit régional peut susciter une action de l'Union européenne au stade préventif, pendant puis à la fin du conflit quand il faut bâtir une situation nouvelle, il s'est interrogé sur la répartition des rôles entre le Commissaire aux relations extérieures et le Haut représentant pour la PESC puisque fréquemment ceux-ci se rendent dans les mêmes pays.

Il s'est interrogé sur le rapprochement entre les relations extérieures de l'Union et la politique extérieure et de sécurité commune ainsi que sur les travaux de la Convention. Quelle nouvelle architecture institutionnelle permettrait que l'Union européenne puisse mieux s'affirmer sur la scène internationale, notamment face à la situation en Irak et au Moyen-Orient ?

En ce qui concerne l'élargissement de l'Union à vingt-cinq pays, le Président Balladur a souhaité connaître l'analyse du Commissaire Patten sur la notion de périmètre de l'Europe et sur l'avenir des relations de l'Europe élargie avec ses nouveaux voisins de l'Est, l'Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie et ses voisins du Sud.

M. Christopher Patten a remercié la Commission des Affaires étrangères de son invitation en évoquant sa précédente audition. Il a souhaité expliquer comment les crises étaient gérées. Reconnaissant que la politique étrangère est au cœur du pouvoir régalien des Etats, il a estimé qu'il ne s'agissait pas de se substituer à la politique étrangère des Etats mais de créer une politique commune en conjuguant tous les efforts pour être plus efficace. Il a comparé l'efficacité de l'action de l'Europe au plan économique à son défaut de puissance au niveau politique. Il a souligné que la création de la PESC résultait du sentiment d'humiliation ressenti face à l'inertie de l'Europe au moment de la crise des Balkans en 1990. Il convient donc d'agir davantage de concert notamment dans les relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis, hyper puissance politique, économique et culturelle. Si l'Union européenne veut mettre l'accent sur le multilatéral elle doit le faire unie.

Il a observé que la politique extérieure allait bien au-delà de la politique étrangère classique, elle implique des débats sur d'autres questions, notamment la face sombre de la mondialisation. Il a cité l'exemple de réunions récentes qu'il avait tenues, l'une avec le Ministre des Affaires étrangères iranien où il fut question d'échanges commerciaux, de trafic de drogue, des droits de l'Homme, l'autre avec le Ministre des Affaires étrangères colombien qui a porté également sur des sujets de politique étrangère classique. Outre la politique étrangère et de sécurité, la politique extérieure traite des questions d'aide au développement ou encore des visas.

Au milieu des années 1980, lorsqu'il était ministre britannique du développement, le contraste entre la capacité de l'Union à apporter aux régions en crise une aide humanitaire importante (comme par exemple dans la corne de l'Afrique, à l'époque) et son incapacité à prévenir les crises, l'avait frappé. Aujourd'hui, sans penser que l'on pourra endiguer la violence, l'Union doit intervenir plus activement pour renforcer la capacité des Etats faibles ou en faillite qui sont à présent à l'origine des crises.

La Commission européenne a élaboré en 2001 une stratégie pour améliorer la prévention des conflits. L'Union doit utiliser plus systématiquement les instruments dont elle dispose et se montrer plus efficace pour traiter les causes des conflits et aborder les thèmes transversaux : le trafic d'êtres humains ou le trafic d'armes, par exemple. Elle tente aussi de mettre en œuvre une capacité de réaction plus rapide et de favoriser la coopération avec ses partenaires comme les Nations unies pour améliorer la prévention des conflits. Ensuite, la Commission européenne a souhaité que la prévention des conflits soit partie intégrante de la gestion de l'aide extérieure, pour tous les pays dans lesquels elle gère des programmes. Ceci va de pair avec la mise en place d'un mécanisme d'action rapide selon des procédures permettant de débourser de l'argent rapidement, avec l'appui du Haut Représentant Javier Solana.

Ensuite, la Commission européenne participe à certaines tâches civiles au sein des missions dites de Petersberg, car il est difficile parfois de distinguer clairement tâches civiles et militaires. Enfin, le volet militaire de la gestion des conflits doit évidemment se développer pour gagner en crédibilité.

L'Union accomplit des tâches très importantes dans le dernier volet de la gestion des crises, celui de la reconstruction : elle a rempli cette mission dans les Balkans et en Afghanistan. Dans les Balkans, l'Union a mis en place la stratégie la plus réussie de l'ensemble de ses instruments de politique étrangère : l'offre d'adhérer à l'Union pour les pays d'Europe centrale et orientale. De même, l'Union a offert aux Etats des Balkans la perspective d'y adhérer s'ils mettaient en œuvre le processus de stabilisation et d'association qui leur était proposé. La Croatie accomplit ce processus avec le plus grand succès, des négociations vont être engagées avec l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la République fédérale de Yougoslavie qui souhaitent engager des négociations en vue de tels accords. La situation est examinée au cas par cas pour ouvrir ces négociations. L'Europe fournit une bonne partie de l'aide, 85 % de la présence militaire.

Des succès notables ont été remportés, mais la situation politique et économique reste de toute évidence fragile. En outre, il y a un risque de créer une dépendance dans ces Etats par rapport à l'aide apportée : il faudrait à travers notre action favoriser dans ces pays l'esprit d'entreprise et la volonté d'assumer leur propre destin politique.

L'Union a joué un rôle important au Pakistan et en Afghanistan après le 11 septembre 2001. Au Pakistan, des mesures commerciales très généreuses, la relance de l'accord de coopération, un nouveau programme d'aide au développement ont contribué à l'engagement du pays en faveur de la coalition internationale.

En Afghanistan, l'Europe a accepté d'assumer la moitié de l'effort de reconstruction dans le pays ; la Commission européenne et les Etats membres dépenseront cette année 800 millions d'euros qui s'ajoutent aux 500 millions d'euros déjà dépensés. La situation de l'Afghanistan reste inquiétante : la puissance des chefs de guerre dans les régions fait encore craindre la déstabilisation : on constate par exemple que les cultures de pavot couvrent dix fois plus de terres que l'an dernier. Ces cultures se pratiquent dans les cinq régions soumises à l'autorité des chefs de guerre, et le bénéfice pour ceux-ci sera supérieur au montant de l'aide internationale.

Le groupe de travail de la Convention sur les relations extérieures produira son rapport prochainement. Le Commissaire Patten a précisé que M. Javier Solana et lui-même étaient peu intervenus sur l'architecture future des relations extérieures de l'Union.

En conclusion il a déclaré avoir « un préjugé institutionnel » dans la mesure où aucun arrangement ne peut remplacer la volonté politique, comme l'a montré la réussite du processus d'élargissement. Si nous souhaitons avoir plus de poids sur la scène internationale, il faut plus de volonté politique, comme cela a été manifeste dans les Balkans.

M. Alain Juppé a tout d'abord demandé si l'on disposait d'une évaluation de la durée de l'engagement international en Bosnie-Herzégovine. Puis il a souhaité connaître les arguments qui justifient la coexistence dans l'architecture européenne d'un Haut Représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune, auprès du Conseil, et d'un Commissaire chargé des Relations extérieures, membre de la Commission. En matière de politique étrangère l'impulsion est toutefois davantage intergouvernementale, c'est pourquoi il a demandé si l'évolution vers une unification de ces deux fonctions au profit d'un ministre des affaires étrangères de l'Union était possible ?

M. Christopher Patten a évoqué le travail des représentants de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine : celui de l'Union européenne et celui de l'ONU. Ceux-ci s'efforcent de faire émerger des capacités décisionnelles chez les Bosniaques eux-mêmes car les dirigeants locaux ont encore trop tendance à se tourner vers les représentants internationaux quand il y a des décisions difficiles à prendre.

D'après les accords de Dayton, il est nécessaire de renforcer les autorités sur place, or il est regrettable qu'il y ait si peu d'initiatives venant de responsables économiques ou de la société civile. On voit encore beaucoup de restes de la guerre, il est maintenant temps que ces peuples prennent eux-mêmes leur destin en main.

Sur la question de la représentation de la politique extérieure de l'Union européenne, M. Christopher Patten a estimé qu'il existait quatre options différentes : la première consisterait à communautariser une partie de la politique étrangère. La deuxième passerait par davantage de synergie entre M. Javier Solana et lui-même avec plus de responsabilités partagées. La troisième consisterait à séparer encore plus les deux autorités, ce qui reviendrait notamment à retirer les questions de développement de la compétence de la Commission européenne. Enfin, la dernière vise à conserver une séparation institutionnelle mais en nommant la même personnalité aux deux postes. C'est la solution « deux chapeaux sur une seule tête ». Cette solution a apparemment la préférence du groupe du travail spécialisé de la Convention sur l'avenir de l'Europe.

M. Jacques Myard a considéré que la résolution de la crise dans les Balkans ne pouvait être qualifiée de véritable succès dans la mesure où l'on a instauré une solution de dépendance qui risque de durer très longtemps. Il a ensuite interrogé M. Christopher Patten sur sa vision de l'articulation entre la PESC et la politique étrangère des Etats, les choses sérieuses se réglant à Paris, Londres ou Berlin et non pas à Bruxelles.

M. Pierre Lellouche est intervenu sur l'identité européenne de défense et s'est interrogé sur l'articulation des différents moyens financiers attribués à la PESC. Il a demandé au Commissaire s'il était concevable d'accorder, aux pays membres qui font un effort financier particulier en matière d'investissement de dépenses militaires, la possibilité de présenter un déficit budgétaire légèrement supérieur à celui autorisé par le pacte de stabilité.

Le Commissaire Christopher Patten a comparé la situation actuelle des Balkans à celle de septembre 1999 pour estimer que le bilan de l'action de l'Union européenne dans cette région avait été positif. S'il reste des progrès à accomplir, il revient désormais aux populations de faire face aux défis qui se présentent à elles.

S'agissant de l'articulation entre le Haut représentant de l'Union européenne et le Commissaire chargé des relations extérieures, il n'y a pas eu et il n'y a pas de divergences majeures entre ces autorités, alors qu'il en existe parfois sur les questions de politique étrangère entre les Etats membres.

Si la position européenne sur l'Irak a souffert d'un manque de coordination au début de la crise, ce qui est regrettable, un consensus existe aujourd'hui autour de la nécessité d'agir dans le cadre des Nations unies et de faire entrer les États-Unis dans une logique multilatérale.

En matière de défense, l'investissement de la plupart des pays a diminué depuis la fin de la guerre froide et il convient de reprendre les efforts en ce domaine. Il apparaît cependant difficile d'accorder des dérogations au pacte de stabilité pour les pays faisant des efforts particuliers en matière d'investissement dans ce domaine et il serait préférable d'aménager les règles applicables en matière de concurrence. On pourrait en outre imaginer que des seuils d'investissement minimal soient définis, afin de construire plus efficacement l'Europe de la défense. Le pacte de stabilité fait aujourd'hui l'objet de critiques du fait de son excessive rigidité. Si la prudence budgétaire est nécessaire, il faut tenir compte des arguments selon lesquels le pacte pourrait être modulé en fonction du type de dépense publique et du niveau d'endettement de chaque pays.

L'adhésion de la Turquie ne doit pas être rejetée sans un examen préalable de sa candidature : elle a en effet adhéré au Conseil de l'Europe en 1979 et les instances communautaires ont admis la validité de sa candidature qui doit satisfaire aux critères définis à Copenhague. La recevabilité de cette candidature doit être appréciée selon deux éléments : le risque d'un choc des civilisations entre l'Occident et le monde musulman et d'une remise en cause des principes de laïcité et de l'Etat de droit, d'une part ; les conséquences de l'adhésion de ce pays sur l'organisation institutionnelle de l'Union, d'autre part. Il est clair qu'actuellement la Turquie ne respecte pas les critères de Copenhague, notamment en raison de l'influence de l'armée au sein de la société turque.

M. Jean-Paul Bacquet a indiqué qu'il revenait d'une mission de plusieurs jours au Kosovo, à Mitrovica. Même si un grand nombre de progrès ont été accomplis là-bas, la situation demeure toutefois difficile et cela amène à se poser la question du « jour d'après ». Si l'on envisage un désengagement, il faut aussi envisager un statut final dans la mesure où la résolution 1244 prévoit l'appartenance du Kosovo à la Serbie dans le cadre de la République fédérale de Yougoslavie.

Rappelant qu'il faisait partie du groupe de travail « Action extérieure » de la Convention sur l'avenir de l'Europe, M. Pierre Lequiller a exprimé le sentiment que l'on se dirigeait vers la solution d'un ministre des affaires étrangères européen qui serait une personnalité désignée par le Conseil européen, membre de la Commission et présidant le Conseil des ministres des Affaires étrangères. En outre, il a fait observer que l'Union européenne ne saurait faire de politique étrangère sans disposer de moyens financiers et sans pouvoir les engager dans des délais rapides. Ce qui pose la question de l'opportunité d'une réserve financière qui permettrait au ministre des affaires étrangères de dégager des fonds plus rapidement.

Le Commissaire Christopher Patten a considéré que les travaux de la Convention avaient donné lieu à un ralliement sur le regroupement des fonctions de Haut représentant et de Commissaire pour les relations extérieures. Il serait en revanche difficile de confier ces deux fonctions au Président du Conseil, car il serait alors placé dans une situation de conflit d'intérêts.

S'agissant de l'aide humanitaire, il faut améliorer l'efficacité des dispositifs existants sans créer pour autant de nouveaux mécanismes budgétaires qui auraient pour conséquence de restreindre le contrôle exercé par le Parlement européen. Un fonds pour faire face aux crises pourrait être créé ; celui-ci serait mobilisable par le titulaire des fonctions de Haut représentant et de Commissaire pour les relations extérieures, ce qui permettrait de remédier à certains blocages rencontrés aujourd'hui du fait de l'opposition du Conseil Ecofin.

Concernant le Kosovo, l'action de l'Union européenne a permis de pacifier la situation et de mettre en place un système démocratique, grâce à l'assistance apportée dans le processus électoral. Le retrait de l'Union à l'heure actuelle aboutirait très certainement à une dégradation très forte de la situation. La situation d'insécurité existant au Kosovo a, par ailleurs, eu des répercussions sur la Macédoine, ce qui a justifié une attention soutenue de l'Union envers ce pays, et son action sur place est très positive.

M. Christian Philip s'est intéressé aux efforts actuellement engagés par l'ONU pour trouver une solution à la partition de Chypre et a demandé si l'Union européenne laissait aux Nations unies le rôle de médiateur ou si elle intervenait directement et, dans l'affirmative, de quelle manière. Dans ces conditions, il a souhaité savoir si une solution était envisageable avant Copenhague et sur quelle base, et dans la négative, dans quels délais.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Commissaire européen si l'élargissement à dix nouveaux membres allait renforcer ou affaiblir la volonté d'organiser une défense commune de l'Europe. Si celle-ci devait s'en trouver affaiblie, il s'est interrogé sur la façon dont elle pourrait être organisée dans un cadre plus restreint, ce qui correspond d'ailleurs à la situation actuelle. Se poserait alors la question de l'articulation entre une Europe économique et commerciale, rassemblant les 25 Etats membres, et une Europe réunissant un nombre plus limité de pays, où la volonté d'organiser une défense commune serait fortement affirmée.

Le Commissaire Christopher Patten a déclaré que l'existence d'un accord politique sur Chypre ne devait pas être liée à la question de l'adhésion de la Turquie, même si sa volonté d'intégrer l'Union n'était pas sans effet sur son attitude. L'Union européenne ne cherche pas à interférer sur le processus en cours et il revient aux pays concernés de donner suite aux propositions du Secrétaire général des Nations unies.

L'élargissement de l'Union européenne va nécessairement modifier ses relations extérieures. A titre d'exemple, l'adhésion de la Pologne va entraîner un renforcement des liens entre l'Union et l'Ukraine. Par ailleurs, la plupart des nouveaux membres de l'Union souhaitent également adhérer à l'OTAN, ce qui aura un impact sur l'Europe de la défense. Eu égard à la disparité des investissements en matière de défense dans l'Union élargie, la mise en place de seuils contraignants permettrait d'harmoniser l'effort de défense en son sein. En tout état de cause, l'impact institutionnel, stratégique et même moral de l'élargissement de l'Union a très certainement été sous-estimé jusqu'à présent.

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