COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 11 décembre 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Claude Trichet, Gouverneur de la Banque de France


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Audition de M. Jean-Claude Trichet, Gouverneur de la Banque de France

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Jean-Claude Trichet d'avoir répondu à la demande d'audition de la Commission des Affaires étrangères. Celle-ci ayant créé une mission d'information sur la mondialisation, cette audition devrait permettre d'aborder les questions qui s'y rapportent et de dégager des pistes permettant d'améliorer le fonctionnement du système économique et financier mondial.

M. Jean-Claude Trichet a estimé que le problème de la gouvernance économique mondiale était très important et qu'il concernait la Banque de France en raison de sa participation à l'eurosystème, mais aussi par la présence de son gouverneur au G7, au G10, au G20 et au forum de stabilité financière. La globalisation économique et financière a entraîné un véritable foisonnement des institutions internationales dont l'objectif est de prévenir et de guérir les crises. Celles-ci ont accompagné le développement de l'économie mondiale ces dernières années : la crise du Mexique en 1982 s'est ainsi généralisée dans toute l'Amérique latine, puis en Afrique, au Proche Orient et en Europe de l'Est, épargnant la seule Asie. Dans les années quatre-vingt les risques détenus par les banques commerciales internationales sur l'Amérique latine représentaient ainsi la totalité de leurs fonds propres. Dans les années quatre-vingt-dix, l'amélioration de la situation s'est heurtée à une nouvelle crise mexicaine, puis à la crise du Sud-Est asiatique qui en 1997-1998 a eu d'importantes répercussions, avant que l'été 1998 ne soit marqué par une crise financière en Russie. La situation récente se caractérise enfin par une importante correction des marchés d'actions dans les pays industrialisés.

Deux lectures de ces événements sont possibles : ou bien le monde est instable et placé dans une situation de crise structurelle permanente ; ou bien il est marqué par des adaptations continuelles qui permettent de surmonter les crises et d'assurer le développement économique de l'ensemble des pays. Quelle que soit la réponse, optimiste ou pessimiste, il convient de vérifier attentivement si tout a été mis en œuvre pour améliorer la gouvernance internationale. Dans la période récente, la mise en place du G20 constitue une réponse intéressante, puisque cette instance informelle regroupe les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales des sept pays les plus industrialisés avec ceux des pays les plus importants pour l'économie mondiale, comme l'Inde, la Chine, la Russie, le Brésil, le Mexique ou l'Afrique du Sud. Cette instance, qui se réunit hors du cadre du FMI, regroupe des pays qui représentent 85 % environ du PIB mondial, et qui, malgré leurs différences, travaillent dans une logique consensuelle afin de gérer au mieux l'économie mondialisée et d'améliorer la prévention et la gestion des crises qui affectent le système économique et financier mondial.

Un autre groupe informel a été créé après la crise du Sud-Est asiatique dans le même but : il s'agit du forum de stabilité financière. Ce forum est composé de représentants des ministres des finances, des banques centrales et des instances nationales de supervision du G7, de représentants du FMI, de la Banque mondiale, de la BRI (Banque des règlements internationaux), de l'OCDE et des instances internationales de régulation de la banque, de l'assurance et des marchés d'actions (Comité de Bâle, Organisation internationale des commissions de valeurs, Association internationale des contrôleurs d'assurances, Comité sur les systèmes de paiements et de règlement). Ses travaux portent sur tous les sujets intéressant la stabilité financière et en particulier dans le domaine de la lutte contre la fraude ou la criminalité, sur les places off shore, la circulation de l'argent sale, les circuits financiers du terrorisme.

On peut donner quelques exemples des questions qui se posent au niveau mondial dans la perspective de la stabilité financière. S'agissant de la comptabilité des banques, les nouvelles normes comptables internationales (IAS) doivent être regardées de très près car elles pourraient augmenter l'instabilité financière dans certains cas. S'agissant des règles prudentielles, il faut également veiller à ce qu'elles n'aient pas d'effets « procycliques » accentuant les fluctuations économiques, mais au contraire, si possible, des effets « anticycliques » atténuant les amplitudes des cycles.

M. Jean-Claude Trichet a ensuite cité des exemples du comportement des entreprises sur les marchés. La pratique du rachat de leurs propres actions par les sociétés s'est généralisée depuis cinq ans, car elle était considérée comme une opération présentant de grands avantages renforçant la profitabilité apparente de l'entreprise. Mais elle présente aussi des inconvénients que l'on constate quand les choses deviennent plus incertaines : d'une part, la diminution de la base actionnariale de l'entreprise a pour conséquence une volatilité accrue de ses titres ; d'autre part, la moindre solidité financière des entreprises concernées réduit leurs marges de manœuvre en période difficile.

De même, la généralisation des émissions d'obligations convertibles a été beaucoup pratiquée et a eu des effets incontestablement positifs du point de vue du développement économique. Cependant l'émission concomitante d'options permettant de transformer ces obligations en actions tend à accroître les mouvements erratiques des marchés financiers.

C'est pourquoi il conviendrait de passer en revue les instruments financiers et monétaires sophistiqués qui se sont aujourd'hui généralisés sur les marchés afin d'éviter les phénomènes de volatilité excessive et les grands déséquilibres de prix, tout en préservant les progrès qu'ils ont permis.

Le Président Edouard Balladur s'est tout d'abord intéressé au pacte de stabilité européen qui est actuellement extrêmement critiqué et a demandé à M. Jean-Claude Trichet sur quels points il pourrait être amélioré.

Il a ensuite posé la question de savoir si le Conseil européen ne devrait pas donner des directives aux représentants des pays européens qui siègent au sein des grandes institutions financières internationales pour qu'ils affichent une position commune, plutôt que d'envisager un représentant unique pour l'Union européenne.

Par ailleurs, il a fait valoir qu'il était reproché à la Banque centrale européenne de ne tenir compte que des objectifs d'inflation, à l'inverse de la Réserve fédérale américaine qui s'intéresse plus aux objectifs de développement et de croissance, et demandé quelles améliorations pourraient être apportées en la matière.

Enfin il s'est demandé si la circulation des capitaux dans le monde n'était pas trop rapide et trop importante.

M. Jean-Claude Trichet a déclaré que les pays de la zone euro partageaient, du fait de la monnaie unique, un destin commun et se trouvaient de fait dans un système plus contraignant qu'on ne le soupçonne généralement. En tant que pays participant à la monnaie unique, nous avons besoin d'une coordination étroite portant sur les domaines essentiels, c'est-à-dire en particulier sur la politique budgétaire.

Le pacte de stabilité et de croissance est le seul moyen que nous ayons de réfuter les critiques émanant en particulier des Etats-Unis, critiques qui sont de deux ordres : d'une part, créer une monnaie unique sans politique budgétaire fédérale dans la zone euro est source de déséquilibres, d'autre part, faute de budget fédéral, les pays de la zone euro n'ont pas les moyens de résister à des chocs économiques asymétriques.

Ces deux critiques peuvent être réfutées si les politiques budgétaires des pays membres de la zone observent certaines limites, et si l'on observe la règle d'avoir des finances publiques proches de l'équilibre ou en excédent. Il faut d'ailleurs rappeler que, contrairement à une idée reçue, le pacte de stabilité ne nous a pas été imposé par l'Allemagne : nous nous étions dotés de cette règle avant même le Traité de Maastricht.

Il faut souligner aussi qu'à l'exception du Portugal, tous les petits pays, ainsi que les moyens, ont respecté les disciplines du pacte de stabilité dont ils se disent satisfaits. En revanche les grands pays ne se sont pas conformés aux exigences du pacte avec la même rigueur. Il est à cet égard regrettable que l'on n'ait pas constitué les marges de manœuvres nécessaires pendant la période de croissance relativement forte que nous avons connue plusieurs années de suite. Le débat sur la « cagnotte » a été navrant et absurde : les recettes supplémentaires devaient être systématiquement affectées à la résorption du déficit.

La Commission européenne vient d'élaborer des propositions : il est possible de raffiner l'analyse économique, en prenant par exemple en compte le concept de déficit structurel, pour parvenir à une application du pacte plus vraie et plus efficace, mais sans s'en prendre aux principes du pacte de stabilité et de croissance qui, il faut le rappeler, est mentionné dans le traité.

M. Jean-Claude Trichet s'est dit en accord avec l'idée selon laquelle l'Union européenne, ou la zone euro, devrait progressivement avoir une représentation plus unifiée dans les instances économiques internationales. A défaut d'y arriver, l'Europe n'étant pas un Etat fédéral, il faudrait au moins que les représentants des Etats européens parlent d'une seule voix dans ces instances. Dans ce domaine il y a énormément de progrès à faire, car l'Europe s'affaiblit quand, face à un grand défi mondial, elle offre toute la palette des positions possibles.

En ce qui concerne les objectifs à assigner à la Banque centrale européenne, il a rappelé qu'ils étaient les mêmes que ceux qu'avait la Banque de France depuis son indépendance : la stabilité des prix. Cet objectif est une condition nécessaire, même si elle n'est pas toujours suffisante, de la croissance et de l'emploi. En effet la stabilité des prix est nécessaire à la préservation du pouvoir d'achat, et donc à la consommation. Une monnaie stable renforce la confiance des épargnants, qui acceptent ainsi des taux d'intérêt moins élevés, ce qui favorise l'investissement. Enfin, la faible inflation permet l'évolution modérée des coûts de production. L'exemple de la France est révélateur de ce cercle vertueux : les taux d'intérêt français à long terme étaient, avec ceux des Pays-Bas et devant ceux de l'Allemagne, les plus bas d'Europe au moment du passage à l'euro, sa compétitivité s'était améliorée, sa consommation était restée dynamique et ses comptes extérieurs en excédent. Ainsi, au total, sur six ans, la France a cumulé entre 5 et 7 % de croissance de plus que les autres grands pays européens de la zone euro. Cependant, la France a un problème majeur en ce qui concerne son attractivité dans le domaine, vital, des activités à forte valeur ajoutée (nouvelles technologies, services de haut niveau, quartiers généraux d'entreprises, services financiers, consultance internationale, etc.).

Par ailleurs, il est exact que la Réserve fédérale des Etats-Unis a comme objectifs la stabilité des prix, la croissance et l'emploi. Mais, cela ne signifie pas qu'elle opère des arbitrages entre ces différents objectifs qui ne sont pas contradictoires. Interrogés, nos collègues américains répondent, comme nous, que la stabilité des prix est une condition nécessaire de la croissance. De plus, certains, aux Etats-Unis, estiment que le système américain est trop flou et préconisent d'adopter un système à la britannique, où il n'y a qu'un seul objectif, la stabilité des prix à un niveau établi par le Gouvernement.

Sur la question des mouvements de capitaux à court terme, M. Jean-Claude Trichet a admis que leur ampleur était immense, et qu'ils constituaient un multiple considérable des transactions de l'économie réelle. Mais cela n'est pas révélateur pour autant d'une économie virtuelle, cela signifie seulement que l'on veut assurer, au bénéfice de tous les agents économiques, une liquidité parfaite, instantanée, à tout moment. Ce phénomène est observé partout sur le plan international comme sur le plan national : la Banque de France voit ainsi transiter dans l'économie française l'équivalent du PIB annuel en 3 jours ouvrables ! Les avantages de ce phénomène l'emportent tellement sur ses inconvénients, qu'il ne faut pas revenir dessus.

M. Jean-Claude Trichet s'est enfin dit hostile à la taxe Tobin à laquelle il voit de nombreux inconvénients. En dépit de sa place de quatrième économie du monde ex-æquo, et de nombreux succès, la France souffre trop souvent d'une image négative quant à son attractivité économique et financière. L'important pour elle est donc de montrer qu'elle joue le jeu de l'économie internationale afin d'attirer davantage d'investissements étrangers. Or, quand on parle de taxer davantage les capitaux, on ne les attire pas.

M. Gilbert Gantier a souhaité obtenir des précisions quant à la situation actuelle de l'Allemagne. Alors qu'elle n'avait cessé de faire des progrès depuis la réforme monétaire de 1948, elle est aujourd'hui en crise, ce qui constitue un élément négatif pour les progrès de l'économie européenne. Par ailleurs, il a fait part de son étonnement devant les courbes figurant dans le dossier remis par M. Jean-Claude Trichet et qui font état de gains de compétitivité remarquables pour la France, aussi bien vis-à-vis de ses partenaires européens que des membres de l'OCDE. Notant que le taux de croissance de la France était faible par rapport aux Etats-Unis et que le pacte de stabilité enjoignait d'avoir un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB, il s'est demandé si l'on n'allait pas revenir à des théories keynésiennes. Enfin, il a souhaité savoir quelle était la portée exacte de la stabilité des prix.

M. René André s'est demandé si les contraintes imposées à la France par le pacte de stabilité étaient justes dans la mesure où notre pays veut mettre en place une politique de défense européenne et où elle supporte une politique nationale de défense bien supérieure aux autres pays européens. Dans le prolongement de cette idée, il a souhaité savoir si l'évolution de la Commission européenne vers une position prenant davantage en considération le déficit structurel que le déficit nominal était liée à l'instauration d'une relation entre pacte de stabilité et dépenses de défense. Enfin, il s'est interrogé sur la manière dont l'Union européenne pourrait mener une politique économique en prenant en compte des critères sociaux.

M. Jean-Paul Bacquet a estimé que le tableau catastrophique de la situation financière internationale que venait de dresser M. Jean-Claude Trichet signifiait que celle-ci souffrait d'une certaine cyclothymie, dont on sait en médecine qu'il est difficile de sortir. Revenant sur la question de la « cagnotte », il a considéré qu'il y avait derrière ce mot une polémique démagogique et stérile et a posé la question de savoir comment l'on pouvait, par rapport aux évolutions boursières actuelles, aborder de façon raisonnée des problèmes aussi complexes que les privatisations ou les fonds de pension. S'intéressant ensuite aux échanges financiers induits par les mafias d'Europe de l'Est, il a souhaité savoir s'ils avaient des conséquences sur l'économie mondiale. Enfin, il a demandé si la monnaie était un produit de haute valeur ajoutée sur lequel il faut investir, et, dans l'affirmative, comment se posait l'avenir de la Banque de France, notamment en matière de quotas de production de billets dont elle tente de préserver la fabrication.

M. Jean-Claude Trichet a indiqué que les problèmes considérables de l'Allemagne étaient liés à la réunification. Ses difficultés structurelles sont identiques à celles de la France, mais la réunification a accru les coûts unitaires de production allemands et entraîné un affaissement de la compétitivité. L'Allemagne a dû faire d'énormes investissements dans les grandes infrastructures et la construction de logements qui sont actuellement inoccupés, ce qui entrave maintenant la croissance. L'Allemagne paie cher sa réunification.

Sur la compétitivité, la courbe la plus pertinente est celle de l'évolution relative des coûts unitaires de production dans l'industrie française vis-à-vis de ses partenaires appartenant à la zone euro. C'est cette évolution favorable qui explique pourquoi la croissance et les excédents externes sont plus dynamiques en France que dans les autres grands pays européens. En revanche, la France conserve des handicaps au niveau du marché du travail, de la fiscalité et de l'environnement juridique. Il a estimé que la France avait par ailleurs un très réel problème de compétitivité pour les activités de très haute valeur ajoutée de niveau international.

Par rapport à tous les autres pays, le niveau des contributions sociales des employeurs sur les très hauts salaires est aberrant. On ne le sait pas assez. C'est une situation insupportable qui doit être corrigée car l'avenir de la France réside dans les activités à haute valeur ajoutée.

Le Président Edouard Balladur a demandé confirmation de l'interprétation selon laquelle l'amélioration actuelle des coûts de production en France et les progrès de la compétitivité signifiaient qu'il y aurait eu freinage des salaires depuis une dizaine d'années.

Selon M. Jean-Claude Trichet, cette interprétation est exacte en valeur nominale mais pas en termes de pouvoir d'achat. Les salaires nominaux en France ont crû moins rapidement qu'à l'étranger, renforçant notre compétitivité mais sans porter atteinte au pouvoir d'achat, grâce à la stabilité des prix et à notre faible inflation. Néanmoins, le niveau des dépenses publiques françaises est le plus élevé de la zone euro et représente 52,8 % du PIB en 2001, devant l'Autriche, alors qu'en Grande-Bretagne, par exemple, il ne représente que 40 % du PIB.

M. Gilbert Gantier a considéré que ceci posait le problème du débat sur la compétitivité de la France.

M. Jean-Claude Trichet a répondu que, sur la compétitivité de notre économie, optimistes et pessimistes avaient également raison, mais ils ne parlent pas de la même chose. Ceux qui estiment la France compétitive évoquent l'industrie et les services en général. Les autres se réfèrent aux activités à haute valeur ajoutée qui représentent l'avenir des sociétés industrialisées. Les pays émergents et en transition se substituent progressivement aux pays industrialisés pour les activités générales, tandis que les activités à haute valeur ajoutée sont l'avenir des sociétés post-industrielles.

En ce qui concerne le pacte de stabilité, nos partenaires font observer qu'il n'y a pas, dans le Traité de Maastricht, de disposition écartant les dépenses de défense nationale de ce pacte. Nos partenaires nous font également observer que, lorsque les dépenses publiques d'un pays représentent 52,8 % de son PIB, il dispose probablement d'une marge suffisante pour faire face à ses dépenses de défense nationale en étant plus précautionneux dans d'autres dépenses.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que globalement les dépenses militaires en France représentaient moins de deux points de PIB, alors que la moyenne des pays européens est un peu supérieure à un point de PIB. Si notre pays adoptait le même taux de dépenses militaires que les autres pays européens, notre déficit n'en resterait pas moins trop élevé.

M. Jean-Claude Trichet a précisé que la Commission européenne préconisait de surveiller le déficit structurel en plus du déficit nominal, et pas en substitution de celui-ci.

Sur la politique économique européenne, il a jugé qu'il fallait progresser, notamment en renforçant la coordination des politiques économiques. Ceci a d'ailleurs été prévu au Conseil européen de Lisbonne dont le programme est considéré comme décisif pour améliorer les défauts structurels des économies de l'Europe.

La France a une position complexe sur cette question. D'un côté, une unanimité semble se dégager pour exiger une véritable gouvernance économique de l'Europe, et de l'autre, il y a également un consensus pour protéger parfois « l'exception française ». En tout état de cause, le Conseil Ecofin doit mieux fonctionner.

Il a déclaré partager l'avis de M. Jean-Paul Bacquet sur la cyclothymie de l'économie. A cet égard il a rappelé combien il était important d'éviter des cycles économiques trop accusés, tout en citant la thèse de M. Alan Greenspan, qui estime qu'on ne peut éviter les cycles et qu'à trop vouloir atténuer les phases haussières on risque de provoquer des récessions graves.

Quant aux privatisations, il a fait valoir que l'évolution de la Bourse ne devait pas les remettre en cause, car dans une démocratie moderne, l'Etat ne peut être un participant direct aux affaires industrielles, commerciales ou financières. Dans tous les domaines de l'économie concurrentielle, les privatisations sont absolument nécessaires.

Il a considéré qu'il était indispensable de provisionner les retraites futures au moyen des fonds de capitalisation. Ces fonds de pension sont nécessaires et ce serait une erreur de ne pas y recourir pour les retraites. En revanche, il s'est prononcé en faveur d'une diversification de leur placement en bourse.

Il a insisté sur l'importance des problèmes soulevés par les flux d'argent sale, souvent liés au terrorisme et à la criminalité organisée.

Il a rappelé que la Banque de France avait fait de sérieux efforts pour préserver son activité industrielle. A Chamalières et à Vic-le-Comte, deux plans de redressement ont été nécessaires pour préserver la fabrication des euros. La Banque de France n'a plus de monopole en la matière : elle doit prouver qu'elle peut fabriquer de la monnaie dans des conditions économiques compétitives.

M. Richard Cazenave est revenu sur la question de la compétitivité comparée de l'industrie classique et des secteurs à haute valeur ajoutée. Il a souhaité savoir comment attirer davantage ce type d'entreprises alors que l'on peut observer un phénomène de départ à l'étranger de certaines catégories de main-d'œuvre, comme les chercheurs.

M. Bruno Bourg-Broc a également souhaité avoir des précisions sur cette question.

M. François Loncle a demandé si l'élargissement de l'Europe à dix nouveaux pays n'allait pas soulever les mêmes difficultés que celles rencontrées par l'Allemagne lors de sa réunification, cette question étant souvent posée par les citoyens.

Il a par ailleurs évoqué la situation financière de la Banque de France qui devrait connaître un déficit en 2003, du fait d'importants placements effectués aux Etats-Unis, victimes de la baisse des taux d'intérêt dans ce pays.

M. Jean-Claude Trichet a déclaré que la situation économique française était caractérisée par la combinaison d'une hausse des prix faibles, qui a permis de préserver le pouvoir d'achat dans un contexte de modération salariale, avec des progrès remarquables de la productivité, qui placent notre pays en tête de ceux du G7 sur ce point. Alors que la zone euro est soumise à une intense compétition, notre croissance est légèrement supérieure à celle de nos voisins et les investissements étrangers dans notre pays demeurent importants. Mais la situation des activités à haute valeur ajoutée est préoccupante : ainsi par exemple, afin de rémunérer un dirigeant sur une base nette de 150 000 euros, une société basée en France doit verser nettement plus qu'une société domiciliée dans certains autres pays européens. Cette différence s'explique par le poids de l'impôt sur le revenu, mais surtout par le montant des contributions sociales de l'employeur très anormalement élevées en France.

Après que M. François Loncle eut fait observer que le rapport de M. Charzat avait fait état du même constat, M. Jean-Claude Trichet a indiqué qu'il partageait entièrement ce sentiment. Il a estimé que le montant des contributions sociales acquittées par les employeurs pour les personnes ayant une valeur internationale de marché constituait une aberration, qui avait été conçue dans une logique de redistribution incompatible avec la logique économique.

Le PIB des dix pays devant intégrer l'Union européenne dans le cadre de l'élargissement représente 5 à 6 % du PIB des quinze pays de l'Union. La comparaison de cet élargissement avec la réunification allemande n'a pas lieu d'être, tant sur un plan quantitatif que qualitatif. Ces pays, dont les coûts unitaires de production sont bas, se placent en effet dans une logique de concurrence et bénéficient d'ores et déjà d'investissements étrangers massifs.

La contrepartie de la masse fiduciaire détenue par la Banque de France est en dollar, en euro et en or. Son montant a été défini au moment où la banque a acquis son indépendance, alors même que le seuil de 3 % pour les taux d'intérêt américains semblait un minimum intangible. Ces taux évoluant aujourd'hui autour de 1,25 %, le manque à gagner est considérable. En Europe la baisse des taux est également spectaculaire.

Les effectifs de la Banque de France ont diminué de 2 500 personnes en neuf ans : elle est ainsi l'une des institutions publiques qui a fait le plus d'efforts de gestion au cours de ces dernières années.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a estimé qu'il ne fallait pas comparer l'élargissement de l'Union avec la réunification allemande, puisque celle-ci s'était faite sur la base d'une conversion paritaire de la monnaie de l'ex-RDA. Le précédent élargissement s'est d'ailleurs opéré sans choc majeur, alors même que l'Espagne, le Portugal et la Grèce avaient bénéficié de nombreux transferts financiers de la part des instances communautaires avant leur adhésion. La situation actuelle est difficile et contraint tous les responsables à la plus grande vigilance pour préserver la croissance et l'emploi.

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Informations relatives à la Commission

Le Président Edouard Balladur a indiqué aux membres de la Commission des Affaires étrangères que le Bureau s'était entretenu ce jour avec M. Volker Rühe, Président de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag. A l'issue de cette rencontre, il a été décidé d'organiser des réunions communes des deux Commissions. La première de ces réunions, qui permettrait d'entendre les deux Ministres des Affaires étrangères, M. Joschka Fischer et M. Dominique de Villepin, est envisagée à Berlin le 23 janvier 2003, date à laquelle sera inaugurée la nouvelle Ambassade de France. D'autres précisions seront apportées ultérieurement sur le déroulement de cette réunion.

Il a d'autre part précisé que le Bureau de la Commission des Affaires étrangères et le Bureau de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales avaient décidé la création, pour une durée de six mois maximum, d'une mission d'information commune de 20 membres qui travaillera sur les conditions et le coût de la création d'une chaîne française d'information à vocation internationale.

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