COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 14 janvier 2003
(Séance de 10 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères


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Audition de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères

Le président Edouard Balladur a remercié le ministre des Affaires étrangères de sa présence devant la Commission au retour de son voyage en Asie, alors que l'actualité internationale est très chargée, concernant l'Irak, la Corée du Nord ou la Côte d'Ivoire.

M. Dominique de Villepin a d'abord abordé la question irakienne. Il a affirmé la nécessité de ne pas être contraint de suivre un agenda mécanique sur lequel nous n'aurions aucune prise. Certes l'issue est incertaine, mais il ne faut pas croire qu'une solution pacifique soit impossible. D'ailleurs, en adoptant la résolution 1441, la communauté internationale a choisi la voie d'une solution politique. En effet, grâce aux efforts de la France notamment, la résolution 1441 a répondu à nos objectifs en instituant un régime d'inspection renforcé mais réaliste, tout en réaffirmant les prérogatives du Conseil de sécurité qui sera appelé à évaluer d'éventuels manquements de l'Irak à ses obligations, à prendre les décisions qui en découleraient et à les mettre en œuvre. Ceci exclut tout recours automatique à la force.

Il a estimé que la communauté internationale devait donner toute sa chance au succès des inspections. La mise en œuvre de la résolution 1441 constitue d'ailleurs en elle-même un progrès, puisqu'elle a permis le retour des inspecteurs sur le sol irakien depuis le 27 novembre dernier : leurs effectifs s'élèvent actuellement à plus de 100 experts pour la CCVINU et à une dizaine pour l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). De plus ces inspections se déroulent sans incident et à un rythme soutenu : au 8 janvier, la CCVINU avait mené 150 inspections sur 127 sites et l'AIEA 109 inspections sur 88 sites.

Cette montée en puissance des inspections est un indéniable progrès car elle va permettre d'accroître notre connaissance des capacités irakiennes en matière d'armes de destruction massive, alors que la communauté internationale ne disposait plus d'informations sur ce point depuis 1998. En outre, par son ampleur, le programme d'inspections en cours rend hautement improbable le développement de nouvelles capacités par l'Irak. Enfin, les inspections n'ont donné lieu jusque là à aucun incident, l'organisation mise en place par les Irakiens pour répondre aux demandes des inspecteurs étant opérationnelle et efficace.

M. Dominique de Villepin a cependant indiqué que la coopération de la part de l'Irak devrait être plus active. La déclaration remise le 8 décembre dernier comporte en effet des zones d'ombre : les discussions au Conseil de sécurité, sur la base des évaluations de MM. Blix et El-Baradei, ont montré que toutes les questions non résolues en 1998, concernant notamment les dossiers chimiques et biologiques, ne trouvaient pas toutes leur réponse dans le document irakien. C'est pourquoi une coopération irakienne plus active est indispensable afin de lever les incertitudes et répondre aux interrogations de la communauté internationale. Il est également important que les Irakiens s'abstiennent de toute critique à l'égard des inspecteurs, telles les accusations d'espionnage proférées dernièrement contre des experts de la CCVINU et de l'AIEA, ou de tout geste négatif.

Il a ainsi jugé qu'il était impératif de se mobiliser pour appliquer pleinement la résolution 1441, en faisant pression sur l'Irak pour qu'il coopère sans restrictions aux inspections et en aidant la CCVINU et l'AIEA dans leur mission en répondant à leurs besoins en ressources humaines et matérielles, ainsi qu'en informations. La France, qui est le deuxième contributeur de la CCVINU en termes de moyens, entend poursuivre dans cette voie et réaffirmer son appui et sa confiance aux missions d'inspections et à leurs chefs, M. El-Baradei qui a été reçu à Paris hier, et M. Blix, qui sera reçu vendredi.

En conséquence, M. Dominique de Villepin a rappelé que la communauté internationale ne devait pas s'enfermer dans des échéances artificielles et que la résolution 1441 n'avait pas défini un compte à rebours devant mener à la guerre, mais un calendrier de désarmement, et nous ne sommes qu'au début de ce processus. Ainsi, il ne faut pas donner à l'échéance du 27 janvier plus d'importance qu'elle n'en a : à cette date, MM. Blix et El-Baradei feront leur rapport au Conseil de sécurité sur la manière dont ils évaluent la coopération irakienne. Mais il ne s'agit que d'une étape du processus de désarmement permettant de reprendre le calendrier tel qu'il avait été fixé par la résolution 1284 en 1999, avec notamment la remise du rapport trimestriel d'activité de la CCVINU le 1er février, la présentation d'un programme de travail à la fin mars, et, même si ces échéances semblent hypothétiques, la remise de rapports sur le contrôle continu du désarmement et sur la suspension des sanctions en juillet et décembre.

Pour autant, le Ministre des Affaires étrangères a admis que les Etats-Unis maintenaient une très forte pression, par un déploiement de forces militaires - 60 000 soldats s'y trouvent déjà - et en dénonçant l'attitude de l'Irak, même si des interrogations se développent, y compris aux Etats-Unis, sur la priorité accordée à la question irakienne par rapport à d'autres, comme la Corée du Nord, et sur la possibilité de réunir des preuves suffisamment convaincantes quant au non-respect par l'Irak de ses obligations.

M. Dominique de Villepin a ensuite insisté sur le maintien de la position française fondée sur le respect du droit et la responsabilité. Ainsi la France est déterminée à ce que les prérogatives du Conseil de sécurité soient respectées : or la résolution 1441 est claire, s'il y a manquement par l'Irak de ses obligations, il revient aux inspecteurs d'en faire rapport au Conseil de sécurité et à ce dernier d'en tirer les conséquences. La France n'acceptera donc pas que le Conseil de sécurité soit appelé à légitimer une décision de recours à la force si les inspecteurs ne faisaient pas état de manquements graves de la part de l'Irak. Par ailleurs, il faut prendre en compte les conséquences d'une éventuelle confrontation pour la stabilité du Moyen-Orient, pour éviter que ne s'accroisse le sentiment d'hostilité envers l'occident, pour l'équilibre économique mondial et pour la cohérence de l'action internationale, notamment entre les réponses différentes apportées à la question de l'Irak et à celle de la Corée du Nord.

L'unité de la communauté internationale, et tout particulièrement du Conseil de sécurité, doit être préservée car c'est elle qui a permis l'adoption de la résolution 1441 à l'unanimité et le retour des inspecteurs.

Le Ministre des Affaires étrangères a cependant considéré que notre exigence de responsabilité, en tant que grande puissance, nous impose de maintenir ouvertes toutes les options car il n'est pas possible d'exclure l'hypothèse d'un échec du processus de désarmement du fait des Irakiens. La France assumera alors pleinement ses responsabilités, sans qu'il soit possible de préjuger de sa position si la question était posée au Conseil de sécurité du recours à l'action militaire.

Enfin, M. Dominique de Villepin a assuré que le Gouvernement associerait et tiendrait informé le Parlement à toutes les étapes de la crise, notamment par la tenue d'un débat parlementaire en février, après la fin de la présidence française du Conseil de sécurité.

Evoquant ensuite la crise de la Corée du Nord, le Ministre a estimé qu'elle n'était pas sans lien avec la situation internationale. Depuis plusieurs semaines la tension s'aggrave dans la péninsule coréenne avec des gestes agressifs de la Corée du Nord à l'égard de la communauté internationale : renvoi des inspecteurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique, levée des scellés sur les centrales nucléaires et retrait de la Corée du Nord du Traité de non prolifération (TNP) qui constitue une atteinte grave à la sécurité internationale.

La France a été la première à réagir en refusant l'ultimatum adressé par la Corée du Nord à la communauté internationale et considère qu'il convient de définir les moyens d'une solution concertée et pacifique à cette crise. Les contacts bilatéraux entre la Corée du Nord et les Etats-Unis et les contacts intercoréens doivent être favorisés et étendus à la Chine et la Russie. Une forte concertation multilatérale dans le cadre de l'AIEA est nécessaire. De plus le Conseil de sécurité des Nations unies devra définir les exigences à formuler à la Corée du Nord et un calendrier de sortie de crise. L'Union européenne doit être associée à cette concertation.

Il a rappelé que 37 000 soldats américains étaient stationnés en Corée du Sud, et que, dans cette région, la dernière à connaître l'héritage de la guerre froide, les missiles de la Corée du Nord pouvaient frapper le Japon et la Corée du Sud. C'est une situation exceptionnelle et grave. Il a indiqué qu'il avait pu débattre de cette crise avec de nombreux interlocuteurs, les autorités chinoises, russes, coréennes, japonaises et américaines et le directeur de l'AIEA qui ont tous confirmé leur accord pour un règlement associant les cadres bilatéraux et multilatéraux.

Selon le Ministre des Affaires étrangères, cette crise montre la nécessité d'une méthode de règlement global des crises s'articulant sur les principes suivants : recherche d'une sécurité collective fondée sur la responsabilité de chacun, légitimité de l'action inspirée par le droit et détermination à agir d'urgence pour trouver des solutions durables. Cette crise rappelle que la question de la prolifération ne se limite pas à l'Irak et concerne de nombreux pays, ce qui doit obliger la communauté internationale à agir sur plusieurs fronts.

M. Dominique de Villepin a souligné le risque pour de nombreux Etats de s'enfermer dans des schémas de peur et de se déterminer en fonction du calendrier international du moment. Un Etat entrant dans la définition de « l'axe du mal » peut chercher à anticiper une action contre lui. Il a donc préconisé une approche globale de la situation internationale et le maintien du lien existant entre les différentes crises : terrorisme, prolifération, intégrisme car les réseaux auxquels on fait face disposent de moyens colossaux. Ils sont à l'origine de toutes sortes de trafics qui leur confèrent une capacité d'agir justifiant la mise en œuvre de réactions collectives.

Abordant enfin la situation en Côte d'Ivoire, le Ministre a fait valoir qu'après un long et difficile travail diplomatique toutes les conditions étaient réunies pour permettre la reprise d'un dialogue politique au service de la paix. Des progrès ont été accomplis avec la mise en place d'un cessez-le-feu effectif sur l'ensemble du territoire ivoirien. Le Gouvernement a accepté le principe du renvoi des mercenaires et du non usage des hélicoptères. La France s'est employée à obtenir des deux mouvements rebelles de l'Ouest (le MPIGO et le MJP) un accord de cessation des hostilités qui a été signé à Lomé avec le Gouvernement ivoirien, sous les auspices de la CEDEAO.

En ce qui concerne la négociation politique, le Ministre des Affaires étrangères a précisé que, quatre mois après le début de la crise en Côte d'Ivoire, une table ronde réunissant les parties ivoiriennes (partis politiques et représentants des mouvements rebelles) s'ouvrait demain à Marcoussis dans un site clos, aux environs de Paris. Cette réunion est présidée par M. Pierre Mazeaud, entouré de représentants du Secrétaire général des Nations unies, de l'Union africaine et de la CEDEAO et assisté d'un nombre réduit d'experts et d'observateurs. Elle vise à définir les conditions d'une sortie politique durable de la crise ivoirienne. Les questions liées à l'ivoirité (nationalité, statut des étrangers, loi foncière) seront examinées en priorité ainsi que le processus et le calendrier électoral, les conditions du partage institutionnel du pouvoir, du désarmement et de la réinsertion des forces rebelles, la restructuration des forces armées, de la police et de la justice et la réinstallation des personnes déplacées et des réfugiés.

Cette réunion sera immédiatement suivie, les 25 et 26 janvier à Paris, d'une conférence réunissant, autour du Président de la République, du Secrétaire général des Nations unies et du Président de l'Union africaine, M. Thabo Mbeki, les Chefs d'Etats africains concernés ainsi que les représentants des bailleurs de fonds, bi- et multilatéraux. Cette conférence a pour objet de consacrer et de garantir le plan de sortie de crise établi par les travaux de la table ronde et de prévoir d'autres rendez-vous.

M. Roland Blum s'est demandé dans quelle mesure la crise nord-coréenne influençait la position de la communauté internationale face au problème irakien ; constatant le contraste entre d'une part l'attitude américaine vis-à-vis de l'Irak et, d'autre part, la volonté des Etats-Unis de privilégier le dialogue avec la Corée du Nord, il a sollicité l'avis du Ministre des Affaires étrangères sur ce point.

M. Didier Julia a tout d'abord souhaité témoigner de sa sympathie, de son admiration et du sentiment de fierté qu'il ressentait pour l'action menée par le Ministre des Affaires étrangères, notamment en Côte d'Ivoire. Il a ensuite souhaité savoir pourquoi la France avait laissé passer la résolution 1454 votée début janvier 2003 qui renforce l'embargo sur l'Irak en supprimant toute possibilité pour ce pays d'acquérir, non seulement des produits de la chimie, mais aussi des médicaments, aggravant ainsi les conséquences humaines sur le terrain.

M. Pierre Goldberg a demandé si le moment était loin où la France allait devoir dire qu'il ne faut pas recourir à la force en Irak. Notre pays doit garder toute sa liberté d'action, comme l'exprime d'ailleurs le peuple français qui refuse majoritairement la guerre. De même, il a souhaité avoir l'avis du Ministre des Affaires étrangères sur l'éventualité d'un passage en force des Etats-Unis.

M. Dominique de Villepin a répondu que paradoxalement la crise nord coréenne influençait les positions de beaucoup de pays sur l'Irak ; la diplomatie française avait anticipé cette crise, ce dossier lui paraissant exemplaire. Selon lui la communauté internationale doit se doter d'outils pour répondre à tous les cas de figure.

Toutefois la situation de la péninsule coréenne se distingue de celle de l'Irak, puisque la Corée du Nord dispose, on le sait, d'armes de destruction massive suffisamment nombreuses pour menacer le Japon et la Corée du Sud qui marquent leur volonté d'agir par le dialogue et la diplomatie.

De façon générale, il existe une relation constante entre les menaces de destruction massive liée à la prolifération, le terrorisme et la criminalité organisée. Ces crises ont conduit la France à rappeler que le Moyen-Orient compte tenu de ses fractures n'a pas besoin d'une nouvelle guerre dont les conséquences sont difficiles à mesurer. La diplomatie française s'emploie à les analyser et se demande si une intervention militaire en Irak serait réellement de nature à diminuer le risque terroriste ou l'incertitude internationale et à améliorer la stabilité du Moyen-Orient.

Selon un scénario optimiste, une intervention américaine en Irak pour y enclencher un processus démocratique aurait une chance de produire un effet positif sur l'ensemble de la région et sur la paix au Proche-Orient, si l'on considère que la paix n'est possible qu'avec une démocratisation des Etats de la région. La France estime cependant qu'il y a risque d'incompréhension et de fracture pouvant accroître la violence. La France pense que le problème du terrorisme, la prolifération des armes et le développement de crises doivent être analysés ensemble. A un certain degré de tension on assiste à une multiplication de réseaux volatiles et de trafics qui accroissent l'incertitude internationale. L'urgence et l'interdépendance sont la marque de ce monde, on ne peut dissocier les crises.

Pour les Etats-Unis il est difficile de sortir du face à face avec la Corée du Nord parce que, s'ils cèdent, ils créent la suspicion et la Corée du Nord, quant à elle, ne cédera pas ; d'où l'intérêt d'agir dans le cadre multilatéral des Nations unies. Le Conseil de sécurité a montré qu'il était capable d'avancer dans une voie de dialogue pour ne recourir aux sanctions et à la force qu'à un stade ultime.

Les résolutions 1447 et 1454 du Conseil de sécurité des Nations unies augmentent le nombre de produits soumis à un contrôle, sans pour autant interdire la fourniture de ces produits à l'Irak. Elles ne devraient donc pas entraîner de changement profond pour les populations civiles irakiennes.

S'agissant du recours à la force, la France ne peut pas dire qu'elle y renonce pour l'avenir, car notre pays a un rôle à jouer sur la scène internationale - l'action du Président de la République le prouve - et ce rôle est d'autant plus important que la période est marquée par de fortes incertitudes. Le recours à la force peut être utile en cas d'impasse totale et l'intervention en Afghanistan en constitue un bon exemple. Dans le cas de l'Irak, la France souhaite son désarmement et toutes les options permettant d'atteindre cet objectif doivent être envisagées. Le déploiement militaire américain participe de cette stratégie, mais l'intervention militaire ne doit pas précéder la fin des inspections. Il faut faciliter la tâche des inspecteurs en augmentant leurs moyens et en leur transmettant les renseignements détenus par les grandes puissances. Il sera possible de relâcher la pression dès lors que les inspections auront établi que l'Irak ne dispose pas de capacités de destruction massive et que ses possibilités d'en reconstituer sont gelées.

M. Jacques Myard s'est tout d'abord associé aux félicitations adressées au Ministre des Affaires étrangères, avant d'exposer quelques réflexions sur l'Irak.

Le respect des procédures est vital et la France a réalisé un sans faute en rappelant les règles de fonctionnement de la communauté internationale. Sur le fond, on constate que moins on trouve de preuves de la possession par l'Irak d'armes de destruction massive, plus les propos belliqueux des Etats-Unis se multiplient, ce qui pose la question des objectifs de guerre des Etats-Unis. veulent-ils viser Saddam Hussein ? Sont-ils vraiment préoccupés par les armes de destruction massive ? Ou est-ce simplement le contrôle d'une région riche en pétrole qui les anime ? Il n'en demeure pas moins que les intérêts américains ne sont pas ceux de la France et de l'Europe. Il faut clairement abandonner le langage diplomatique pour dire que la France n'a rien à faire dans cette « galère » ; notre pays doit garder sa totale indépendance et sa liberté de décision.

Estimant que le déroulement des opérations d'inspection en Irak était plutôt positif, M. Serge Janquin a souligné que la détermination américaine demeurait tout aussi forte, témoignant d'une dynamique américaine, estimant que la position française, arc-boutée sur le droit international, était en résistance, ce qui lui confère un caractère statique. Il a posé la question de nouvelles initiatives destinées à redonner du mouvement à la position française, par exemple en tissant davantage d'alliances, comme avec l'Allemagne. Une expression commune forte de nos deux pays permettrait peut-être d'interroger l'opinion américaine.

Après avoir félicité le Ministre des Affaires étrangères pour son action en Côte d'Ivoire, M. Pierre Lellouche a souhaité faire part de trois observations sur l'Irak.

La comparaison entre la Corée du Nord et l'Irak devrait nous instruire sur un point : la question des armes de destruction massive est un problème difficile pour lequel la méthode douce n'est pas forcément la meilleure. En 1994 déjà, la France avait fait savoir son scepticisme. Aujourd'hui, un Etat bafoue le Traité de non prolifération et le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas été saisi, ce qui aurait pourtant constitué le minimum. Dans l'affaire irakienne, la pression avait permis certains résultats en 1998. C'est pourquoi la Corée du Nord est le contre-exemple qui justifie a contrario la pression exercée à l'encontre de l'Irak et rend cette stratégie indispensable.

S'agissant du problème des preuves de la possession par l'Irak d'armes de destruction massives, dans un pays notoirement dictatorial, il est irréaliste d'espérer qu'une centaine de personnes suivies par des caméras de télévision puissent en quelques semaines apporter des preuves irréfutables. La meilleure façon de procéder reste l'interrogation des scientifiques à l'extérieur de l'Irak.

Enfin concernant les options françaises, M. Pierre Lellouche a dénoncé l'hystérie anti-américaine qui se développe en Europe et mis en garde contre la tentative de sortir de l'équilibre entre responsabilité et respect du droit. Si la France renonçait au principe de responsabilité et choisissait une ligne neutraliste, les conséquences en seraient gravissimes sur le plan stratégique. Notre intérêt est de conserver une alliance étroite avec les Etats-Unis.

Revenant sur le lien entre l'Irak et la Corée du Nord, M. Noël Mamère a estimé que les Etats-Unis appliquaient la logique du double standard.

Puis il a demandé des précisions quant aux propos du Président de la République et du Ministre des Affaires étrangères concernant le mode de consultation et d'association du Parlement français aux décisions du Gouvernement. Cette association du Parlement signifie-t-elle que continueront à être organisées des discussions et des réunions dans le cadre de la Commission des Affaires étrangères ou bien y aura-t-il un débat à l'Assemblée nationale sans qu'il soit sanctionné par un vote ? En outre, si le Gouvernement français est appelé à s'associer à une intervention militaire américaine, serait-il prêt à engager sa responsabilité devant l'Assemblée nationale ?

Par ailleurs, M. Noël Mamère a souhaité commenter les propos du Ministre des Affaires étrangères selon lesquels l'intervention américaine en Afghanistan avait contribué à pacifier la situation dans ce pays, alors qu'on peut réellement s'interroger sur le point de savoir si ce modèle doit être choisi pour résoudre d'autres crises du même type dans le monde.

Enfin, notant que chacun saluait la position politique et diplomatique responsable et forte adoptée par le Président de la République sur la scène internationale, il a jugé que la seule logique pour la France serait d'exercer son droit de veto au Conseil de sécurité et souhaité savoir si la France y était prête.

Le Président Edouard Balladur a tout d'abord rappelé que le vote de la résolution 1441 avait été obtenu à l'unanimité au prix d'un certain flou sur le contenu de la seconde étape. Si les Etats-Unis semblent aujourd'hui enclins à accepter une nouvelle délibération au Conseil de sécurité ont-ils pour autant accepté qu'elle soit conclue par un vote ? Nul ne peut l'affirmer.

S'agissant de l'attitude du Gouvernement face au pouvoir législatif, l'organisation d'un débat à l'Assemblée nationale semble désormais acquise. En 1991, le Gouvernement avait posé la question de confiance, mais dans les années qui ont suivi, la participation de la France à des actions militaires extérieures, comme en Bosnie ou au Kosovo par exemple, s'est faite sans autorisation préalable du Parlement, car la Constitution n'exige pas un tel vote. La question est donc d'ordre plus politique que constitutionnel. Il a ainsi rappelé qu'en 1991, l'opposition de l'époque avait voté en faveur du Gouvernement tout en précisant que cela ne valait pas approbation de l'ensemble de sa politique.

M. Jack Lang a fait observer que l'approbation de l'opposition concernait la politique menée jusqu'à présent par la France sur ce dossier, mais qu'il n'était pas possible de préjuger de l'avenir.

Le Président Edouard Balladur a indiqué qu'il invitait simplement l'opposition à méditer un précédent historique.

Abordant ensuite la question de la Corée du Nord, il a relevé que certains prétendaient qu'il existait une sorte de répartition des tâches qui expliquerait le calme américain actuel dans la mesure où de grands pays voisins de la Corée du Nord seraient directement concernés. Il s'est par ailleurs demandé s'il existait d'autres moyens de pression que ceux dont dispose le Conseil de sécurité pour agir sur ce pays ?

M. Dominique de Villepin a répondu que, pour la communauté internationale, une intervention militaire n'était pas aujourd'hui à l'ordre du jour, puisqu'une mécanique de responsabilité et de sécurité a été mise en place avec la résolution 1441, à laquelle la France contribue par ses initiatives. La communauté internationale privilégie pour le moment l'inspection des sites irakiens et la coopération avec ce pays ; le déroulement du calendrier donne chaque jour plus de chance à une solution pacifique et le travail des inspecteurs contribue à réduire le danger que représente l'Irak. Les mouvements de troupes filmés par les médias et les propos des responsables américains destinés à la presse ne font pas partie du processus engagé par les Nations unies.

Il est vrai que la France essaie d'entraîner d'autres Etats dans la recherche d'une solution pacifique de cette crise, solution qui pourra peut-être servir de précédent pour d'autres crises comme celle de la Corée du Nord.

Le Ministre des Affaires étrangères a souligné que la position de certains Gouvernements, comme celui de la Grande-Bretagne ou de la Turquie, était plus nuancée en réalité qu'il n'y paraît.

Le Conseil de sécurité est saisi du problème nord-coréen depuis 1993, date du premier rapport du Conseil de sécurité sur la menace de retrait de ce pays du TNP. Il a également été saisi de facto la semaine passée par lettre de l'ambassadeur nord-coréen à New York concernant cette nouvelle décision de retrait. Les Etats membres du Conseil de sécurité vont continuer à examiner la situation et les possibilités d'actions qui peuvent exister.

Les inspecteurs de l'AIEA peuvent, en Irak, organiser l'interview de tout responsable irakien des programmes d'armement conformément aux dispositions de la résolution 1441. La meilleure méthode paraît être pour le moment de recueillir des informations sur le terrain et de les faire vérifier par les inspecteurs.

Le risque du développement de l'anti-américanisme à travers le monde est réel. Il serait souhaitable d'éviter que les Etats-Unis n'affrontent en tête-à-tête certains pays, notamment les Etats parias. D'où la nécessité de maintenir un niveau de confiance élevé entre notre pays et les Etats-Unis pour que notre position soit comprise par eux et qu'elle soit prise en compte.

Face au traitement du cas irakien, d'une part, et du cas de la Corée du Nord, d'autre part, l'action de la communauté internationale peut apparaître incompréhensible et susciter un sentiment d'injustice. Cela montre bien qu'il faut traiter en même temps toutes les crises, mobiliser nos partenaires, les impliquer dans la sécurité collective, afin de montrer notre détermination et de décourager les velléités belliqueuses des Etats parias. Le Ministre des Affaires étrangères a souligné que la vision française des conflits dans le monde était en phase par rapport aux réalités actuelles.

La représentation nationale sera consultée et associée, comme l'a dit clairement le Président de la République, à chaque étape du processus de règlement de la crise irakienne. Le Premier ministre précisera comment il entend procéder. Le Ministre des Affaires étrangères a indiqué qu'il souhaitait, par le biais de ses échanges avec le Parlement, associer le pays tout entier à notre politique et à notre diplomatie que nous voulons responsable et déterminée.

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