COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 42

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 mars 2003
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,

SOMMAIRE

 

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- Conventions OIT sur les conditions de travail des gens de mer (n° 453) - rapport

- Nomination d'un rapporteur
- Proposition de résolution de M. Didier Quentin sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne     et les Etats-Unis (n° 715) - rapport


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Conventions OIT sur les gens de mer

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Guy Lengagne, le projet de loi autorisant la ratification des conventions de l'Organisation internationale du travail n° 163 concernant le bien-être des gens de mer, n° 178 concernant l'inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer, n° 179 concernant le recrutement et le placement des gens de mer, n° 180 concernant la durée du travail des gens de mer et les effectifs de navires, et du protocole relatif à la convention n° 147 concernant les normes minima à observer sur les navires marchands (n° 453).

M. Guy Lengagne, Rapporteur, a tout d'abord rappelé que les conventions de l'OIT visées par le présent projet de loi sont anciennes, elles ont été adoptées entre 1987 et 1996, et sont déjà entrées en application. De plus, leur éventuelle ratification par la France n'entraînerait pas d'amélioration particulière pour la situation des marins en France, dans la mesure où la législation française est plus exigeante et protectrice que les conventions de l'OIT.

Le Rapporteur a donc indiqué n'avoir aucune observation à formuler sur le contenu même de ces conventions. En revanche c'est sur un plan juridique que ce projet de loi, tel qu'il est présenté, soulève des difficultés. En effet, ce projet autorise la ratification de six conventions internationales, alors que la pratique, comme l'article 128 du Règlement, prévoient que de tels projets de loi ne concernent qu'un seul traité ou accord international.

M. Guy Lengagne a estimé que la combinaison de cette curiosité juridique et de l'impossibilité pour les parlementaires d'amender, qui résulte également de l'article 128, reviendrait à limiter considérablement le pouvoir de l'Assemblée nationale sur ce type de projets de loi. Il a d'autre part fait valoir que par rapport au Sénat qui dispose de la faculté d'amender les projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation de textes internationaux, l'Assemblée nationale se trouvait dans une situation défavorable puisque l'article 128 de son règlement exclut expressément ce droit d'amendement. Il ne serait donc même pas possible à l'Assemblée de rétablir par voie d'amendement des dispositions que le Sénat aurait rejetées lors de l'examen d'un projet de loi de ratification.

M. Guy Lengagne en a conclu que la Commission se trouvait dans une impasse et a déclaré qu'il se voyait dans l'obligation de proposer l'ajournement du projet de loi. Il a regretté que le Gouvernement ait utilisé une telle procédure pour des conventions qui de surcroît concernent un sujet qui lui est cher, celui de la législation sociale des marins. Fort heureusement, l'adoption de ce projet de loi n'aurait pas introduit de changements notables des conditions de vie des gens de mer puisque notre législation prend déjà pleinement en compte le contenu de ces conventions.

Le Président Edouard Balladur a demandé s'il y avait déjà eu dans le passé de projets de loi de ratification contenant plusieurs articles.

M. Guy Lengagne a répondu qu'il existait quelques précédents très peu nombreux, notamment au tout début de la Cinquième République.

Le Président Edouard Balladur a estimé que la Commission avait plusieurs options : soit d'accepter une procédure peu satisfaisante, soit de refuser d'examiner le projet de loi ainsi présenté, en émettant le souhait que le Gouvernement dépose prochainement six projets de loi autorisant la ratification de chacune des six conventions de l'OIT. Il a considéré que, dans l'état actuel du Règlement, il valait mieux conclure à l'ajournement du projet de loi.

Il a par ailleurs souhaité que soient harmonisées à l'avenir les dispositions des Règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat en ce qui concerne la recevabilité des amendements à un projet de loi autorisant la ratification ou l'approbation d'une convention internationale. Il a suggéré que soit mise à profit la discussion de la proposition de résolution portant sur la réforme du Règlement de l'Assemblée nationale pour déposer un amendement en ce sens.

M. Roland Blum a rappelé que l'Assemblée nationale avait préféré fermer les yeux dans le passé dans les rares cas où cette question, pourtant importante, s'était posée.

Le Président Edouard Balladur a estimé qu'il s'agissait effectivement d'une question de principe et il a remercié le Rapporteur d'avoir veillé à la défense des droits du Parlement.

M. Guy Lengagne a en conséquence présenté, en application de l'article 128, alinéa 2, du Règlement, une demande d'ajournement ainsi motivée :

« L'Assemblée nationale est saisie d'un projet de loi autorisant la ratification de six conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT). L'utilisation de cette procédure inhabituelle, combinée à l'impossibilité d'amender les projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation de conventions internationales, empêche l'Assemblée nationale d'exercer pleinement son pouvoir d'autorisation en la matière. Elle décide en conséquence d'ajourner le projet de loi (n° 453). »

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a conclu à l'ajournement du projet de loi (no 453), en application de l'article 128, alinéa 2, du Règlement.

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Information relative à la Commission

M. Renaud Donnedieu de Vabres a été nommé rapporteur pour la proposition de résolution de M. Didier Quentin sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique.

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Coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Renaud Donnedieu de Vabres, la proposition de résolution de M. Didier Quentin sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique (n° 715).

M. Renaud Donnedieu de Vabres, Rapporteur, a indiqué que la Commission était appelée à se prononcer sur une proposition de résolution adoptée par la Délégation pour l'Union européenne de notre Assemblée le 19 mars dernier, en vertu de l'article 151-2 de notre Règlement. Cette proposition de résolution sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique concerne deux projets d'accords sur l'extradition et l'entraide judiciaire.

Alors que la mondialisation de la criminalité, et notamment du terrorisme, est aujourd'hui une réalité, M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé qu'un premier point ne faisait pas débat, celui de l'utilité d'un renforcement de la coopération judiciaire entre les Etats-Unis et l'Union européenne. D'ailleurs, les négociations sur ces projets d'accords d'extradition et d'entraide judiciaire ont été ouvertes à la suite des attentats du 11 septembre.

Ces deux accords constitueront une innovation juridique quand ils entreront en vigueur. Ils seront en effet adoptés en application de l'article 24 du Traité sur l'Union européenne, introduit par le traité d'Amsterdam, qui prévoit la possibilité pour l'Union européenne de conclure des accords avec des pays tiers, notamment dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a ensuite abordé le problème de la procédure d'adoption de ces projets d'accords en application de l'article 24 du Traité de l'Union européenne.

Deux interprétations de cet article 24 sont possibles. Selon la première, les accords en question sont négociés par le Conseil de l'Union européenne, et conclus par ce dernier « au nom des Etats membres ». Ceux-ci sont donc parties à l'accord et peuvent le ratifier, ou non, selon leurs propres procédures constitutionnelles. Selon la deuxième interprétation, les accords sont conclus et signés par le Conseil au nom de l'Union européenne. Dès que les procédures internes à l'Union sont remplies (ce qui ne nécessite même pas d'intervention du Parlement européen), l'accord s'applique directement sur l'ensemble du territoire de l'Union, en remplaçant au besoin les traités bilatéraux.

C'est cette deuxième interprétation qui a été retenue par le service juridique du Conseil : c'est la moins favorable au Parlement. En effet, en vertu de l'article 53, la ratification des traités et accords internationaux les plus importants doit être autorisée par le Parlement : il s'agit donc d'un transfert de compétence déguisé, alors même qu'une déclaration interprétative annexée au Traité d'Amsterdam indiquait que l'article 24 n'impliquait aucun transfert de compétence des États-membres.

Cette interprétation soulève deux séries de questions, quant à la sécurité juridique des futurs accords en France, et quant aux prérogatives constitutionnelles du Parlement. En ce qui concerne tout d'abord le problème de la sécurité juridique des futurs accords ; si la constitutionnalité de l'article 24 du Traité sur l'Union européenne était remise en question par les juridictions, la France ne pourrait plus appliquer les accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Afin de clarifier cette controverse juridique, l'auteur de la proposition a raison de souhaiter que le Gouvernement demande au Conseil d'Etat un avis sur la régularité juridique de la procédure de conclusion envisagée.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a également craint que cette interprétation de l'article 24 n'affaiblisse les prérogatives constitutionnelles du Parlement en matière de contrôle des traités et accord internationaux. En effet, de tels accords ne seraient plus soumis pour autorisation au Parlement en application de l'article 53 de la Constitution. Le Rapporteur a donc soutenu la proposition de M. Didier Quentin de renforcer le contrôle sur les actes de l'Union européenne, et a souhaité présenter un amendement afin de préciser la portée de la réforme souhaitée de l'article 88-4 de la Constitution.

Le Rapporteur s'est ensuite intéressé au contenu des projets d'accord. Dans le domaine de l'entraide judiciaire, les progrès par rapport aux procédures actuelles sont réels, comme par exemple l'impossibilité d'opposer le secret bancaire pour refuser une demande d'assistance. La longueur et la lourdeur des procédures seront réduites, de même que les procédures de transmission et d'authentification des demandes d'extradition... L'accord prévoit également des procédures d'extradition simplifiée en cas de consentement de la personne recherchée.

Il a par ailleurs estimé que le mécanisme permettant de conditionner l'extradition d'une personne vers les Etats-Unis à l'assurance que la peine de mort ne sera pas prononcée ou pas exécutée est très protecteur. Il est même plus satisfaisant que le système en vigueur dans le Traité bilatéral franco-américain.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a cependant indiqué que la proposition de résolution avait relevé un certain nombre de points sur lesquels la délégation française au Conseil devrait encore demander des améliorations. L'existence aux Etats-Unis de juridictions militaires spécialisées pour les terroristes étrangers est manifestement contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme : il serait donc judicieux de préciser explicitement qu'il est possible de refuser une extradition devant ces juridictions d'exception. De même, l'absence, dans le projet d'accord d'extradition, de dispositions relatives aux personnes jugées par défaut, alors que les tribunaux français n'autorisent pas l'extradition de personnes condamnées dans de telles conditions lorsque celles-ci ne peuvent pas bénéficier d'un nouveau procès, est regrettable.

En revanche, la France n'interdisant pas l'extradition au motif que la personne suspectée risque une peine de prison perpétuelle incompressible, il ne semble pas opportun de demander l'introduction d'une telle clause dans l'accord d'extradition entre l'Union européenne et les Etats-Unis.

Enfin, M. Renaud Donnedieu de Vabres a évoqué la question du lien entre mandat d'arrêt européen et demande d'extradition de la part des Etats-Unis. Dans l'état actuel de la rédaction du projet d'accord, un mandat d'arrêt européen n'est pas prioritaire par rapport à une demande d'extradition formulée par les Etats-Unis, ce qui n'est pas cohérent avec le désir affiché de construire un véritable espace judiciaire européen.

Le Rapporteur a conclu en recommandant l'adoption de la proposition de résolution de M. Didier Quentin, complétée par les amendements qu'il propose.

Le Président Edouard Balladur a observé que les deux points de l'ordre du jour soulevaient des questions de procédure parlementaire. Il a invité le Rapporteur à résumer les deux questions soumises à l'adoption de la commission.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a précisé que la première question avait trait au rôle du Parlement national dans la ratification d'un traité, dans les conditions crées par l'article 24 du Traité d'Amsterdam. Celui-ci permet la négociation directe d'un accord entre le Conseil de l'Union européenne et des entités extérieures - s'agissant en ce cas précis des Etats-Unis. Il convient de savoir à quel moment et avec quelle force juridique le Parlement national doit intervenir pour autoriser l'approbation d'un tel texte.

A la question du Président Edouard Balladur demandant si tel était le souhait de la Délégation pour l'Union européenne et du Rapporteur de la Commission, M. Renaud Donnedieu de Vabres a précisé que cela méritait un débat. L'amendement proposé demande qu'une réflexion soit engagée afin de définir les nouvelles modalités d'intervention du Parlement français préalablement à l'adoption de tels accords, notamment par une modification de l'article 88-4 de la Constitution conférant au Parlement, dans les matières relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, le pouvoir d'établir des mandats de négociation impératifs.

M. Guy Lengagne a indiqué qu'il serait favorable à une telle procédure qui ne peut que préserver les droits du Parlement, et que la position que l'on peut prendre sur cette question dépasse, comme le dossier précédent, les clivages politiques. En outre, il s'agit pour le moment d'ouvrir une réflexion sur l'évolution des dispositions actuelles relatives à l'examen des projets d'actes de l'Union.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a confirmé ce dernier point, ajoutant que l'avis du Conseil d'Etat est souhaité, afin de contribuer à ce débat.

Le Président Edouard Balladur a remarqué que, dans les Affaires européennes, on reste souvent à la moitié du chemin. La conclusion du service juridique du Conseil de l'Union n'est pas étonnante en soi, mais si elle a pour conséquence qu'aucune autorité législative européenne ou nationale n'intervient pour la ratification, la question est très sérieuse. L'avis du Conseil d'Etat serait en effet utile pour éclairer cette question complexe.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a ajouté que cette question n'est pas théorique, car s'agissant de coopération judiciaire, de décrets d'extradition, de procédure judiciaire dans un pays tiers, il peut y avoir des conséquences considérables en termes de procédures. Si un accord apparaît comme contraire à la constitution, et que le décret d'extradition est annulé par le Conseil d'Etat, les répercussions négatives pourraient être importantes dans les rapports bilatéraux entre Etats.

Le Président Edouard Balladur a qualifié de sage et raisonnable la position de la Délégation et estimé qu'elle pouvait être soutenue par la Commission avant de mettre aux voix l'amendement du Rapporteur visant à engager une réflexion sur l'article 88-4 de la Constitution.

La Commission a adopté l'amendement du Rapporteur.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a ensuite rappelé les termes de la deuxième question posée à la Commission. Le seul amendement proposé est de ne pas ouvrir le débat sur les peines incompressibles, sachant que l'existence de telles peines ne permet pas de s'opposer à une extradition, sauf si cela est formulé comme principe constitutionnel comme au Portugal. Les juridictions françaises n'ont d'ailleurs jamais demandé de garanties à ce sujet.

M. Roland Blum a demandé si, aux Etats-Unis, la procédure de demande d'extradition relevait du niveau de compétence fédéral ou local.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a répondu qu'en vertu de la hiérarchie des normes américaines, les traités et conventions ratifiés s'appliquent uniformément dans tous les Etats et sont supérieurs aux normes émanant des Etats.

Le Rapporteur indiquant que dès lors que l'extradition au motif que la personne suspectée risque une peine de prison perpétuelle incompressible n'existe pas en droit français, l'introduction d'une référence explicite n'apparaissait pas nécessaire.

M. Guy Lengagne a approuvé l'idée d'une référence expresse aux droits fondamentaux, en lien avec l'action qu'un certain nombre de députés ont menée pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis.

M. François Loncle a dit partager la réflexion précédente, dans la mesure où il s'agit d'un vœu que formule l'Assemblée nationale, considérant que notre pays comme l'Union européenne, notamment à travers la Charte des droits fondamentaux, défendent des valeurs partagées que l'on peut mentionner.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a souligné que cette proposition ne concerne pas l'application de la peine de mort. Les dispositions qui nous sont proposées vont plus loin et offrent encore davantage de garanties que celles de l'accord adopté par la Commission des Affaires étrangères en 2001. Les points 7 et 8 font d'ailleurs référence à l'article 6 du Traité sur l'Union européenne. Les juridictions françaises n'ont jamais demandé de garanties sur le prononcé de peines de prison perpétuelle incompressibles, et il n'est donc pas utile d'ouvrir le débat sur ce sujet. En outre la Convention européenne des droits de l'Homme reste une norme supérieure en la matière.

Le Président Edouard Balladur a ajouté qu'il serait préférable de ne pas adopter une décision qui pourrait, dans les circonstances actuelles, être interprétée comme une marque de défiance envers la procédure pénale américaine.

Il a ensuite mis aux voix l'amendement présenté par le Rapporteur, visant à supprimer le point 9 de la résolution, ainsi formulé « émet le vœu ardent d'une disposition spécifique introduite dans le projet d'accord en ce qui concerne les peines perpétuelles incompressibles, ou qu'à défaut il soit inscrit une référence expresse aux droits fondamentaux tels que garantis par le traité sur l'Union européenne ».

La Commission a adopté l'amendement du Rapporteur supprimant le point 9 de la proposition de résolution.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté la proposition de résolution (n° 715) ainsi modifiée.

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