COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 64

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 septembre 2003
(Séance de 15 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères, sur les derniers développements en Irak et au Proche-Orient




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Audition de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Dominique de Villepin d'avoir bien voulu se rendre devant la Commission pour l'informer des derniers développements de la situation en Irak et au Proche-Orient.

M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères, s'est tout d'abord exprimé sur le dossier iraquien. Plus de quatre mois après la fin officielle des combats, la situation en Irak serait de plus en plus alarmante.

Le Ministre a tout d'abord évoqué un climat sécuritaire fortement dégradé, rythmé par des attaques contre les troupes coalisées, faisant plus de 75 soldats américains tués depuis le 1er mai. Ces attaques, assorties dernièrement d'actes de sabotage sur les infrastructures vitales du pays, fragilisent le redressement économique et accentuent le sentiment de frustration de la population. Le Ministre a exprimé sa crainte que les attentats meurtriers -le 7 août contre l'Ambassade de Jordanie et, surtout, le 19 août contre le siège des Nations Unies- n'entraînent désormais des violences systématiques à l'encontre de toute présence internationale en Irak. Cette situation conduirait à une dégradation significative des conditions d'intervention des organisations humanitaires sur place. En toile de fond, demeurent par ailleurs les risques de tensions intercommunautaires tels que les affrontements entre kurdes et turcomans dans le Nord ou les tensions en zone chiite. Ainsi l'attentat du 29 août à Nadjaf, a-t-il coûté la vie à 95 personnes, dont l'ayatollah Mohammad Baqer Al-Hakim.

M. Dominique de Villepin a ensuite évoqué la situation économique en Irak qui tarde à se redresser en raison du climat sécuritaire dégradé. Il a indiqué qu'aux actes de sabotage s'ajoutait une criminalité « ordinaire », qui dissuadait les investisseurs étrangers et a précisé que la production pétrolière ne retrouverait pas son niveau d'avant-guerre avant la fin 2004. Le Ministre a rappelé que devant cette situation, la population irakienne restait très critique sur le travail de la coalition y compris en secteur britannique.

M. Dominique de Villepin a souligné, enfin et surtout, que plus de quatre mois après la fin des hostilités, les Irakiens ne disposaient toujours pas d'une perspective politique claire quant à la restauration de leur souveraineté et qu'en l'absence d'une telle perspective, qui seule pourrait mobiliser les Irakiens, le champ était laissé libre aux extrêmes. Le Ministre a exprimé sa crainte d'une répercussion de ces graves tensions dans toute la région.

Le Ministre s'est félicité de la démarche américaine, allant dans le bon sens, de revenir devant les Nations Unies, tout en la jugeant encore insuffisante. Il a estimé que le projet de résolution, présenté le 3 septembre par les Etats Unis, constituait une ouverture, sans toutefois tenir compte de l'évolution de la situation dans son ensemble. Les deux changements majeurs de ce projet, à savoir l'idée d'un calendrier pour le processus de transition et l'autorisation d'une force multinationale n'apportent pas de réelle modification du rôle des Nations Unies. D'autre part, l'autorisation d'une force multinationale ne fait que proposer une réponse militaire à un problème très largement politique.

M. Dominique de Villepin a cependant précisé que la France ne s'opposerait pas à ce texte dans son principe, mais a considéré que l'augmentation du nombre de pays contributeurs ne suffirait pas à régler les difficultés actuelles. En conclusion, M. Dominique de Villepin a souligné que l'Irak avait besoin d'une « logique de souveraineté » et qu'il convenait désormais de rompre avec la « logique d'occupation ». A cet égard, le Ministre a fait la proposition de considérer le rétablissement de la souveraineté irakienne comme point de départ du processus de reconstruction de ce pays, et non comme son aboutissement.

Le Ministre a ensuite développé les éléments nécessaires à la construction d'une perspective politique pour le peuple irakien :

- restaurer la souveraineté irakienne, en considérant les actuelles institutions irakiennes comme dépositaires provisoires de la souveraineté irakienne pour une période de transition ;

- placer la question du redressement de l'Irak sous la légitimité internationale des Nations Unies;

- établir dans un délai d'un mois à 45 jours, un gouvernement provisoire, et lui transférer de manière progressive le pouvoir exécutif en commençant par l'activité économique et budgétaire ;

- donner aux Irakiens une perspective claire en fixant un calendrier des principales étapes d'un processus constitutionnel.

M. Dominique de Villepin a précisé que les membres du conseil du gouvernement intérimaire qu'il avait rencontrés au cours des dernières semaines (M. Talabani, Mme Al-Hachemi et M. Pachachi) semblaient favorables à ce schéma. Il a jugé primordial que les Nations unies interviennent dans des conditions de sécurité satisfaisantes, agissent sur la base d'un mandat précis et réaliste et soient perçues comme distinctes et autonomes de l'autorité provisoire. Le Ministre a indiqué qu'un tel changement d'approche ne signifierait pas pour autant un départ immédiat des forces de la coalition, en précisant que celles-ci pourraient rester, sous le commandement du principal contributeur de troupes.

M. Dominique de Villepin a ensuite indiqué que la position française lui semblait être partagée par ses homologues des pays membres permanents du Conseil de sécurité, et bien d'autres Etats. Toutefois, même si tous partageaient le souhait de transférer le pouvoir au peuple irakien dès que possible, il subsistait des différences substantielles d'approche. La France préconise avec la Russie et la Chine la nécessité d'un transfert préalable de souveraineté aux Irakiens alors que Américains et Britanniques se reposent au contraire sur le principe d'un transfert progressif de responsabilité. Le Ministre a conclu en déclarant que la France participerait dans un esprit constructif et ouvert aux discussions en cours à New York.

M. Jacques Myard , après avoir insisté sur le caractère hétérogène de la coalition, a indiqué que les Britanniques ne semblaient guère étonnés de la situation sur le terrain et a demandé si l'on pouvait s'attendre à une évolution de la position du Royaume Uni.

M. Gilbert Gantier s'est interrogé sur la signification que pourrait avoir, dans un pays sans aucune tradition ni expérience démocratique, l'organisation d'élections générales ou d'un referendum. Il s'est demandé si l'on pouvait raisonnablement considérer que les résultats d'un scrutin pouvaient tenir lieu de solution.

M. Jean-Michel Boucheron rejoignant les propos précédents, a fait référence à la dimension chiite et s'est demandé si la population allait pouvoir retrouver ses aspirations de représentation dans un processus électoral qui semble toujours très réaliste vu de l'enceinte internationale du Conseil de sécurité mais qui est sans doute perçu différemment sur le terrain en Irak.

Le Président Edouard Balladur a fait observer qu'il n'était pas facile de distinguer clairement la question de la sécurité intérieure de la question de la sécurité extérieure car les infiltrations aux frontières du pays menacent très directement la sécurité intérieure de l'Irak. La coordination entre ces deux missions confiée à des autorités distinctes serait donc délicate. Il a par ailleurs souhaité avoir des informations sur le peu de confiance accordée aux forces de sécurité irakiennes et a demandé à quelles conditions et sous quelles formes la France serait aujourd'hui prête à participer à la reconstruction de l'Irak

M. Dominique de Villepin a estimé que la position britannique était une source d'interrogation, au-delà d'un soutien inconditionnel aux Etats-Unis.

En ce qui concerne le processus démocratique en Irak, il faut avancer avec un principe simple, celui du retour de la souveraineté irakienne. Une fois cette souveraineté proclamée, les Irakiens pourront alors bâtir eux-mêmes leur chemin propre dans tous les domaines, notamment celui de la sécurité. Notre rôle sera alors d'aider les Irakiens dans la voie qu'ils auront choisie, il ne faut surtout pas suivre la démarche inverse. Certes la réalité communautaire du pays et le poids de la majorité chiite ajoutent à la complexité de ce processus.

S'agissant de la méfiance des Irakiens vis-à-vis de l'envoi de troupes internationales, l'idée a été évoquée de dissocier les missions de sécurité extérieure des frontières de l'Irak -qui seraient exercées par des troupes internationales- et les missions de sécurité intérieure qui seraient assurées par les Irakiens eux-mêmes. Or, il est certain que les Irakiens sont les mieux placés pour assurer cette dernière mission, et qu'à l'inverse des troupes extérieures seraient davantage considérées comme légitimes si elles étaient chargées de sécuriser les frontières, où il y a actuellement de nombreux problèmes.

M. Dominique de Villepin a indiqué que la question d'une participation éventuelle de la France à une force internationale ne pouvait pas être le préalable d'une discussion et ne pourrait donc se poser qu'à l'issue d'un processus politique renouvelé. Ainsi, si les Irakiens prenaient eux-mêmes leur destin en main, cela changerait les données du problème, et la France serait alors prête à assumer ses responsabilités. Pour le moment, les conditions d'une telle intervention ne sont pas remplies et le problème actuel en Irak n'est pas lié à un manque de troupes ou d'argent ; il requiert plutôt une évolution dans les principes.

M. Didier Julia a insisté sur l'absence totale d'équipements dont souffrent les policiers irakiens qui ne sont par ailleurs pas payés et a souhaité que les ressources financières de l'Irak soient placées sous le contrôle des Nations Unies afin d'être affectées aux Irakiens et ne s'évadent pas dans d'autres circuits. Il a demandé au Ministre s'il disposait d'informations sur l'attentat qui avait visé la représentation des Nations Unies et s'est interrogé sur le concours que pourrait apporter la France pour aider l'Irak à se doter d'un système judiciaire démocratique.

M. Paul Quilès a estimé que les Etats-Unis seraient contraints d'évoluer ne serait ce que sous la pression des échéances électorales et qu'il convenait de se demander sur quels critères, comment et jusqu'à quel point les Américains accepteraient de revoir leur position sur la scène internationale. L'idée d'une séparation entre une sécurisation de l'Irak confiée à des forces militaires et d'une aide à la reconstruction économique et politique du pays laissée à la compétence des Nations Unies est elle à ce point insupportable qu'elle ne puisse être envisagée par les Etats-Unis ? Si tel était le cas la situation la situation deviendrait gravissime.

Actuellement l'échec américain relie la question de l'Irak et celle du Proche Orient. Les Etats-Unis sont partis de l'idée fausse que par contagion vertueuse l'instauration de la démocratie en Irak, s'étendrait jusqu'à permettre une solution du conflit israélo palestinien en modifiant les régimes politiques de la région. On assiste au contraire à une aggravation de la situation et il aurait fallu s'attacher à résoudre directement le conflit israélo palestinien pour faire diminuer les menaces terroristes et stabiliser la région.

M. Dominique de Villepin a indiqué que s'agissant de la sécurité intérieure en Irak, les forces irakiennes manquent considérablement de moyens dans la mesure où les forces de la coalition ont d'abord donné la priorité à leurs propres troupes, se méfiant des policiers et militaires irakiens, considérés comme trop proches du régime baathiste. Cette tendance est en train d'évoluer. Mais le temps est compté, si la situation continue de se dégrader il est à craindre que certains membres du Conseil de gouvernement transitoire ne préfèrent démissionner, la question se pose d'ores et déjà pour le successeur de l'ayatollah Al Hakim tué dans l'attentat du 29 août dernier, rendant alors impossible un projet de restauration rapide de la souveraineté irakienne. En dépit de cette course de vitesse contre le chaos, les Américains ne paraissent pas encore décidés à changer d'approche, affirmant même que la situation commence à s'améliorer, alors qu'elle ne cesse de s'aggraver.

Il a dit qu'il avait peu d'informations précises sur l'attentat perpétré contre les Nations Unies à Bagdad, en dehors de la présence avérée d'un camion suicide. Il a redit la grande perte qu'a constituée la mort de Sergio Vieira de Mello, qui avait réussi dans l'ombre à devenir une pièce centrale dans la reconstruction du pays, jouant notamment un rôle décisif dans la constitution du Conseil de Gouvernement transitoire.

En ce qui concerne la position américaine, le Ministre des affaires étrangères a estimé qu'une évolution était envisageable. Ce qui rend une telle évolution délicate est que, derrière l'opération américaine en Irak, il y a aussi des ambitions plus globales en terme de remodelage de la région : pour certains milieux proches des néo conservateurs, il ne sera pas facile par conséquent de renoncer à ces projets. Pour autant, les Etats-Unis se caractérisent également par leur pragmatisme.

Par ailleurs, M. Dominique de Villepin a réfuté l'idée, qui circule parfois, selon laquelle la diplomatie française se contenterait de faire de l'incantation. S'agissant de la proposition de résolution américaine, la France a proposé de nombreux amendements afin de faire évoluer concrètement la discussion dans le bon sens. D'ailleurs, la réunion de Genève a montré que les Etats-Unis comprenaient que le choix était dorénavant entre leurs mains, même s'il est trop tôt pour affirmer qu'ils vont évoluer.

M. Dominique de Villepin a ensuite traité de la situation au Proche-Orient. Il a rappelé à la Commission les attentats tragiques de ces derniers mois , la recrudescence de la violence, l'absence de geste israélien significatif et une rivalité de plus en plus apparente entre Yasser Arafat et son Premier Ministre, M. Abou Mazen, amenant ce dernier à démissionner. Le Ministre a estimé que l'arrivée à la tête de l'Autorité palestinienne de M. Ahmed Qoreï intervenait dans un contexte difficile, à un moment où le processus de paix avait besoin d'un exécutif palestinien fort et responsable.

M. Dominique de Villepin a ensuite déclaré que la décision de principe d'expulser Yasser Arafat était « une erreur et une faute grave ». Le Ministre a réaffirmé que Yasser Arafat était le Président élu et légitime des Palestiniens. Il a ensuite déploré la nouvelle politique israélienne d'assassinats « ciblés » contre les dirigeants politiques du Hamas.

M. Dominique de Villepin a appelé la communauté internationale à se ressaisir, en partant du double constat que l'action d'une seule puissance, les Etats-Unis, avait montré ses insuffisances et que l'option exclusivement sécuritaire ne menait à rien.

C'est pourquoi la France propose une action qui soit à la fois :

- collective fondée sur des rencontres régulières, à différents niveaux y compris celui du mécanisme de supervision,

- marquante pour l'opinion, en proposant un engagement international pour la paix à travers une conférence internationale,

- imaginative, en apportant d'abord une assistance substantielle à l'Autorité palestinienne pour reconstituer ses capacités administratives et ensuite en déployant une force d'interposition.

M. Dominique de Villepin a souligné que la France s'employait pour cela à remobiliser l'Union européenne.

M. Dominique de Villepin a par delà souligné la responsabilité collective de la communauté internationale, et mis l'accent sur ce qui liait les crises irakiennes et le Proche-Orient. En conclusion, il a appelé à une mobilisation forte et unie de la communauté internationale et plus particulièrement invité les pays Arabes de la région à assumer leur part de responsabilité.

Répondant au souhait du Président, le Ministre a ensuite fait le point de la situation à la veille de l'ouverture de la Conférence intergouvernementale. Il a indiqué que l'exercice risquait d'être difficile car de nombreux partenaires souhaitent modifier le projet de constitution adopté par consensus au sein de la Convention.

Le rôle de la France sera d'aider la présidence italienne à s'écarter le moins possible du texte de la Convention ; sinon, ce sera le « grand déballage » et la CIG s'enlisera, pour finalement échouer.

La présidence italienne vise une CIG courte, se terminant en décembre. Quatre mois seront en effet nécessaires pour préparer le texte qui devra être signé entre l'adhésion des nouveaux Etats membres (le 1er mai 2004) et les élections au Parlement européen (le 13 juin 2004). Les travaux devraient compter trois, voire quatre, réunions au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement et six réunions au niveau des Ministres.

La Présidence entend limiter le nombre de thèmes à aborder ; il s'agira de la Présidence du Conseil, du statut du Ministre des Affaires étrangères, de la défense, du champ de la majorité qualifiée, de la composition de la Commission et du rôle du Président du Conseil européen.

La France, l'Allemagne et les autres pays fondateurs (Italie et Bénélux) défendent le projet de la Convention, qui comporte un équilibre institutionnel permettant à l'Union élargie de fonctionner.

Mais d'autres Etats membres soulèvent des difficultés. Il s'agit d'abord des « petits pays », réunis à Prague le 1er septembre, qui demandent une plus grande égalité entre les Etats membres au sein des institutions et le renoncement aux dispositions élaborées en matière de défense, qu'ils jugent dangereuses et concurrentes de l'OTAN. D'autres pays, comme l'Espagne et la Pologne, préfèrent certaines dispositions du Traité de Nice, et le Royaume Uni est critique sur certains points.

La position française reflète plusieurs préoccupations. Nous souhaitons que le Président du Conseil européen ait un rôle important dans la préparation et l'organisation des Conseils, et que le statut du Ministre des Affaires étrangères lui permette de veiller à la bonne mise en œuvre par la Commission des décisions prises par le Conseil dans le domaine de la PESC. Nous sommes par ailleurs attachés aux ambitions portées par le texte en ce qui concerne la défense, à un Conseil de la zone Euro, à un progrès de la majorité qualifiée dans le domaine social et fiscal, et enfin, nous ne pouvons accepter que le Parlement européen ait le dernier mot sur l'ensemble des dépenses, notamment agricoles.

M. Jean-Marc Nesme se référant au dernier déplacement qu'il venait de faire dans les territoires palestiniens s'est dit frappé par l'importance de la présence française et a rendu hommage à la qualité des actions menées sur place par notre représentation diplomatique, à Jérusalem notamment, et par l'ensemble des communautés religieuses françaises. Il a estimé que le mur de séparation présenté comme un mur de sécurité était en fait un mur politique pérennisant une situation d'occupation. De ce fait les élections palestiniennes sont impossibles à organiser et l'on a mis en place la condamnation physique d'une liberté fondamentale, celle de circuler librement. Quelle est la position de la France à propos du mur et comment agir pour faire avancer l'idée d'une force internationale d'interposition. L'humiliation et l'isolement des Palestiniens ne peut quoiqu'il en soit tenir lieu de politique.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a rappelé que dans l'opinion publique existait le sentiment d'un deux poids deux mesures entre le traitement de la situation de l'Irak et de celle du Proche Orient ce qui est inacceptable. Comment admettre d'une part l'envoi en Irak de 150 000 hommes pour maintenir l'ordre et la sécurité et ne pas souscrire d'autre part à l'envoi en Israël et dans les territoires palestiniens d'une force internationale d'interposition.Est il possible de faire évoluer parallèlement ces deux dossiers ? D'un côté les Américains demandent un engagement plus fort de la communauté internationale en Irak et de l'autre nous souhaitons la mise en place d'une force internationale au Proche Orient. N'existe-t-il pas aujourd'hui en Israël une volonté de reconnaître cette nouvelle donne ? De nouvelles forces politiques s'expriment elles en ce sens ? Peut on envisager une articulation entre l'intervention de l'ONU à un niveau politique et celle de l'OTAN à un niveau opérationnel ?

M. Noël Mamère a craint que la bonne volonté et l'engagement de l'Union européenne et de la France ne suffisent pas car il semble bien que la perspective des élections américaines pèse davantage sur l'évolution de la situation internationale. Le veto mis par les Etats Unis à la résolution s'opposant à l'expulsion de Yasser Arafat n'arrange rien. La perspective de voir s'implanter une force d'interposition est elle bien réaliste, à quoi cette force internationale servirait-elle avec le mur de séparation qui fait des territoires palestiniens des Bantoustans ?

M. Guy Lengagne a estimé que rien ne pourrait se faire avec l'éviction de Yasser Arafat et a indiqué que le conflit faisait actuellement trois à quatre fois plus de victimes, enfants et vieillards notamment, du côté palestinien que du côté israélien. Qui aura la volonté et la force de mettre en place une force internationale pour mettre un terme à cette spirale infernale de la violence entretenue par les responsables des deux camps.

M. Jacques Myard s'est demandé si nous n'avions pas intérêt à prendre position fermement pour déclencher une prise de conscience aux Etats-Unis et demandé des précisions sur les conditions mises à l'inscription du Hamas sur la liste des organisations terroristes ?

M. François Loncle a regretté que la commission n'ait pu entendre le Ministre depuis de longues semaines et a vivement déploré la disparition sur la scène internationale de la présence de la France de L'Europe et du Quartet alors qu'il faudrait consacrer toute notre énergie à obtenir de l'Union européenne qu'elle adopte un point de vue et une position unique. Le vote de la dernière résolution des Nations Unies sur la situation de Yasser Arafat montre qu'il y a des progrès à faire.

Le Ministre des Affaires étrangères a apporté les réponses suivantes :

La France a condamné la construction du mur de sécurité, même si on peut comprendre les considérations d'auto défense et de sécurité invoquées par Israël. Par ailleurs le tracé de ce mur va à l'encontre des décisions de la communauté internationale. Il devient néanmoins un acte politique sur lequel il sera difficile de revenir.

En ce qui concerne le déploiement d'une force internationale, il est vrai que la communauté internationale, si elle plaide en faveur du processus de paix, doit aussi aider à créer un contexte favorable sur le terrain. Un tel déploiement serait le seul moyen de faire preuve d'un engagement très fort. Cependant, cette perspective, si elle a été acceptée par les Palestiniens, a été refusée par Israël qui préfère rester dans une position de tête à tête avec les Etats-Unis.

Il est vrai que l'exigence de justice n'est pas divisible et il est du devoir de la France de souligner en permanence que la position de la communauté internationale ne doit pas être déséquilibrée. Mais la multiplication des attentats a eu pour conséquence d'accroître le sentiment de vulnérabilité et de peur des Israéliens et de réduire le nombre des partisans du camp de la paix.

L'hypothèse d'une force internationale ONU-OTAN est délicate. La justification des missions de l'OTAN en dehors du périmètre européen pose un problème ; en outre, un tel déploiement pourrait être perçu par les pays Arabes comme un engagement occidental sur leur territoire régional.

Le Ministre a expliqué sa conviction que la France est engagée dans une partie complexe sur la scène internationale, dont l'Irak et le Proche Orient sont des éléments. C'est pourquoi il importe d'affirmer devant les Etats-Unis, dossier après dossier, les principes qui fondent notre politique.

Il n'est pas productif de cristalliser la diplomatie sur l'appréciation que l'on porte sur les hommes politiques en place. La focalisation d'Israël contre Arafat est une erreur, et ne sert pas la cause israélienne. De façon plus générale, le Ministre a estimé qu'il était négatif de vouloir créer des divisions entre le Président de l'Autorité palestinienne et ses Premiers Ministres. De même, l'on ne gagnera rien à aggraver les divisions entre ceux des Palestiniens qui sont favorables à la paix et ceux qui sont favorables à la lutte armée.

L'objectif du terrorisme international est justement de créer des divisions entre les acteurs politiques -entre les occidentaux, entre les occidentaux et les orientaux, et enfin, entre les pays Arabes eux-mêmes-. Il faut régler les crises actuelles, et tout faire pour éviter que de nouveaux fronts ne s'ouvrent. En même temps, il faut continuer de traquer le terrorisme international à travers le monde ; tout en évitant de donner un rôle médiatique aux terroristes ou d'en faire des martyrs. Il faut se garder enfin d'utiliser les mêmes armes que l'adversaire terroriste, et s'efforcer de comprendre les mécanismes du terrorisme et la façon dont il prospère, se nourrissant de l'islamisme et de la pauvreté mais aussi d'un problème de définition identitaire qu'illustrent les terroristes issus de l'Occident.

Concernant la décision du Conseil européen d'inscrire le Hamas sur la liste des organisations terroristes, elle est liée aux revendications très claires des derniers attentats en Israël par ce mouvement. Même si le Hamas est une structure complexe, avec des branches politique, sociale et militaire, il fallait montrer clairement le choix de l'Europe pour la paix, ce qui implique d'être sans complaisance à l'égard du terrorisme.

Le Président Edouard Balladur a observé que l'on pourrait souhaiter que les Etats-Unis passent d'un interventionnisme au service de l'Amérique à un interventionnisme au service de tous les pays du monde, regrettant qu'on en soit encore loin.

S'agissant de la proposition de placer la Palestine sous mandat international, M. Dominique de Villepin a rappelé que, s'il était utile d'explorer toutes les voies possibles, il ne fallait pas s'éloigner de principes clairs comme celui de la souveraineté. Or, la souveraineté ne se partage pas. De plus cette idée aurait pour conséquence de diviser la communauté internationale, d'infantiliser les Palestiniens, lesquels sont parfaitement capables de se gouverner. En fait, rien n'est pire pour les Palestiniens que l'absence de reconnaissance de leur Etat, sujet sur lequel les Etats-Unis restent très réservés. Pour autant, il n'est pas certain que la situation stagne jusqu'aux élections présidentielles américaines car les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre d'échouer.

M. Dominique de Villepin a répondu à M. François Loncle que la diplomatie française n'avait cessé d'être active que ce soit en Europe ou au Proche-Orient, mais que les Américains avaient fait le choix d'un face à face direct avec les Israéliens et les Palestiniens, lesquels se sont prêtés au jeu. Quant aux Européens, il y avait un débat à poursuivre entre eux pour savoir s'ils étaient près à l'avenir à se déterminer en priorité par rapport aux problèmes du monde.

M. Jean Glavany a fait remarquer que le poids et la parole de la France était à l'évidence plus respectés dans certaines parties du monde qu'en Europe et que tant qu'il n'y aurait pas de position commune de l'Union européenne sur des sujets aussi importants il sera difficile de peser sérieusement sur la scène internationale.

Répondant à M. Glavany, le Ministre des Affaires étrangères a dit qu'il fallait être juste sur la diplomatie française et tenir compte de beaucoup de considérations. Il a précisé qu'il rencontrait des partenaires lucides et que la voix de la France était entendue dans le monde. Il a ajouté que les mécanismes politiques en Europe avaient changé, que la corrélation entre la puissance d'un pays et son influence internationale se posait en de nouveaux termes. L'engagement très étroit de la France avec l'Allemagne mais aussi avec le Royaume-Uni démontrait fort bien la vision globale et cohérente de la diplomatie française actuelle.

M. Edouard Balladur a remercié le Ministre pour sa grande disponibilité et a précisé que celui ci s'était rendu devant la commission fin juin pour commenter une actualité plus européenne après le sommet de Thessalonique avant d'indiquer que le Ministre serait à nouveau présent dans une quinzaine de jours pour traiter notamment de la proposition de résolution sur l'Irak et des réflexions en cours sur les réformes des Nations Unies.

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