COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 7

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 octobre 2003
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

page


- Compte rendu d'une mission effectuée en Turquie
- Compte rendu d'une mission effectuée aux Etats-Unis
- Informations relatives à la Commission


3
4
8

Compte rendu d'une mission effectuée en Turquie

M. Renaud Donnedieu de Vabres a indiqué que la mission de la Commission avait principalement porté sur la question de l'adhésion à l'Union européenne, mais qu'elle s'était déroulée dans le contexte particulier de l'autorisation par le Parlement turc du déploiement de troupes en Irak. Pour beaucoup, cette décision est un simple mandat donné au Gouvernement, mais il est très possible que celui-ci ne l'utilise pas, compte tenu notamment des réticences apparues dans l'opinion publique turque et de la part du conseil de gouvernement provisoire irakien.

Concernant l'adhésion à l'Union européenne, la délégation a rencontré tant des interlocuteurs politiques (ministre des affaires étrangères, président des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes...) que des représentants de la société civile (universitaires à Ankara et Istanbul, patronat...).

M. Renaud Donnedieu de Vabres a insisté sur la volonté européenne très forte qu'il avait ressentie : les Turcs reconnaissent qu'ils ne sont pas prêts et qu'ils ne le seront pas avant longtemps, mais ils attendent une date pour l'ouverture des négociations afin de recevoir une « estampille » européenne. M. Renaud Donnedieu de Vabres a ensuite abordé le thème de la laïcité qui est, comme en France, une question très sensible : si chacun affirme sa volonté de défendre l'héritage d'Atatürk, il est vrai que les « islamistes modérés » au pouvoir ont un passé fondamentaliste, mais ils n'ont pour le moment pas cherché à remettre en cause la laïcité. Certes, pour certains d'entre eux, la question du port du voile ne relève pas de la laïcité, mais des libertés publiques.

Si M. Renaud Donnedieu de Vabres a relevé les contrastes importants de la société turque, la volonté exprimée par l'ensemble de la population turque, et pas seulement par les élites, est claire. Il faut donner une réponse rapide à la Turquie, qui nous renvoie au contenu même du concept européen et à son évolution : l'Europe à 25 n'aura aucun rapport avec la petite Europe à six des fondateurs. Cependant, il est vrai que si l'élargissement à 25 se présente comme une réunification, l'adhésion de la Turquie requerra une véritable décision, en fonction de critères politiques, tout en tenant compte des difficultés, notamment les risques migratoires liés au principe de libre circulation à l'intérieur de l'Union européenne.

M. Guy Lengagne a précisé que l'adhésion de la Turquie représenterait, en termes de population, l'équivalent de l'élargissement actuel, soit 70 millions de personnes. Il a d'ailleurs noté que si les dix nouveaux adhérents étaient presque tous d'anciens pays communistes, tel n'est pas le cas de la Turquie, qui a fait de longue date le choix de s'intégrer à l'Occident.

Concernant les critères politiques fixés à Copenhague en 1993, il y a une forte volonté de les faire appliquer, même s'il est difficile de s'assurer de leur application concrète sur le terrain, par exemple au sujet de la torture. Dans le domaine économique, il est important de préciser qu'en raison de l'Union douanière, l'intégration est une réalité quotidienne, comme le montre l'installation de nombreuses usines françaises dans ce pays.

Enfin M. Guy Lengagne a abordé la question des relations bilatérales, qui ont indéniablement connu un refroidissement avec la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement français, même s'il est vrai que les interlocuteurs de la délégation ont été très discrets sur ce sujet. Ces relations doivent être développées, cela passe notamment par l'accueil de davantage d'étudiants turcs en France, et pour le permettre, par l'octroi de davantage de bourses.

Compte rendu d'une mission effectuée aux Etats-Unis

Le Président Edouard Balladur a informé la Commission du voyage aux Etats-Unis d'une délégation, qu'il a présidée, composée de MM. Roland Blum, Renaud Donnedieu de Vabres, Paul Quilès, Frédéric de Saint-Sernin, Tony Dreyfus, à New York du 20 au 24 octobre pendant que se déroulait la 58ème Assemblée générale des Nations unies.

Il a précisé que la délégation s'était entretenue avec le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, le Secrétaire général adjoint chargé des opérations de la paix, M. Jean-Marie Guéhenno, le Secrétaire général adjoint chargé des affaires politiques, M. Kieren Prendergast, le Directeur-adjoint du PNUD, M. Zéphirin Diabré, et qu'elle avait également rencontré les ambassadeurs américain, russe, britannique et allemand, ainsi que les ambassadeurs ou représentants de Jordanie, Israël, des Territoires palestiniens et de Malaisie.

Le Président a précisé qu'il s'était ensuite rendu les 22 et 23 octobre à Washington avec M. Axel Poniatowski, Président du Groupe d'amitié France-Etats-Unis ; c'est au cours de ce déplacement qu'a été annoncée la création du Groupe d'amitié Etats-Unis-France et que les personnalités suivantes ont été rencontrées : M. Stephen Hadley, conseiller au Conseil national de sécurité, M. Richard Armitage, conseiller au Département d'Etat, le Sénateur Richard Lugar, Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, les Sénateurs Joseph Biden, George Allen et Chuck Hagel, le représentant Henry Hyde, Président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Députés.

L'actualité économique internationale a été évoquée au cours des rendez-vous avec Jeffrey Goldstein, directeur général de la Banque mondiale, Anne Koneger, directrice générale adjointe du FMI et Alan Greenspan, Président de la Réserve fédérale.

Le Président a tout d'abord évoqué les principaux points de l'actualité internationale qui ont été abordés avec les interlocuteurs tout au long de cette mission :

- La situation de l'Irak

La délégation s'est trouvée à New York alors que venait d'être adoptée à l'unanimité la résolution 1511 du Conseil de Sécurité. Cette résolution sur l'Irak, de l'avis général de nos interlocuteurs, ne sera pas la dernière.

Comme Kofi Annan l'a précisé à la délégation, cette résolution permet notamment au Secrétaire général d'apprécier si le moment est opportun pour renforcer la présence des Nations unies en Irak, ce qu'il n'hésitera pas à faire dès que les conditions de sécurité le permettront.

Les ambassadeurs des Etats-Unis et de Grande Bretagne ont pour leur part estimé qu'il était indispensable, pour les forces de la coalition, de garder le contrôle de la situation et ont défendu la nécessité d'élaborer prioritairement une constitution, puis de procéder à des élections avant de constituer un gouvernement. Le Secrétaire général des Nations unies, comme le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Kieran Prendergast, se sont référés au « modèle afghan », même s'il n'est pas parfait - A. Karzai n'a qu'une autorité géographiquement limitée aux environs de Kaboul - pour souhaiter la constitution dans les meilleurs délais d'un gouvernement provisoire.

S'agissant de la participation du contingent turc, MM. Armitage et Hadley, rencontrés à Washington, ont reconnu une certaine confusion dans le traitement de ce dossier, reconnaissant que les Etats-Unis ayant été surpris par la promptitude de la décision du parlement turc.

Quoi qu'il en soit, beaucoup considèrent que le pire des scénarios serait aujourd'hui un enlisement prolongé de la situation et un départ précipité d'Irak des Américains, laissant « les clés » aux Nations unies en cas d'échec du processus de transfert de la souveraineté. La délégation française a d'ailleurs souligné auprès de ses différents interlocuteurs qu'elle souhaitait que la situation en Irak s'améliore.

- La réforme des Nations unies

La crise irakienne a, de façon paradoxale, démontré l'importance du cadre multilatéral et le bon fonctionnement du Conseil de Sécurité en même temps qu'elle a, plus que jamais, fait apparaître la nécessité de faire évoluer le système en cherchant à le rendre à la fois plus représentatif et plus légitime.

Le Secrétaire Général a annoncé qu'il avait pris la décision de confier à un groupe de 10 à 12 personnalités le soin de réfléchir à des réformes et de lui présenter des conclusions. M. Kofi Annan a précisé qu'il ferait lui-même le choix des éléments à soumettre aux Etats membres.

Interrogé par la délégation sur la question de la constitution d'une réserve d'équipements et de troupes à la disposition permanente des Nations unies, M. Jean-Marie Guéhenno, Secrétaire Général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix, a répondu que les Nations unies disposaient de certains équipements groupés à Brindisi.

- L'Iran

Cette question a été abordée après la visite des trois ministres des Affaires étrangères français, allemand et anglais, avec MM. Armitage, Hadley et Lugar, rencontrés à Washington.

M. Armitage n'a pas caché l'enthousiasme limité de l'administration américaine à l'annonce de ce projet de visite des « trois ténors » ainsi qu'il les a qualifiés. M. Hadley est venu confirmer les craintes qu'il avait eues d'une acceptation d'un compromis par les Européens. Ces appréhensions ont été levées, et M. Hadley a reconnu que les trois ministres européens avaient maintenu toutes leurs exigences à l'encontre des autorités iraniennes.

M. Armitage a conclu en disant qu'il convenait de maintenir cette solidarité transatlantique sur ce dossier, et M. Hadley a estimé que la répartition des rôles entre Etats-Unis et Europe avait été très bonne.

- La Côte d'Ivoire

La question du déploiement d'une force de maintien de la paix des Nations unies en Côte d'Ivoire pour relayer les forces françaises et celles de la CEDEAO est actuellement posée, et fait l'objet de discussions avec les Américains.

M. Armitage s'est montré réticent et s'est interrogé sur le financement de cette force et sa composition (Irlande, Bengladesh, Pakistan). Au contraire, M. Stephen Hadley et surtout le Sénateur Richard Lugar, se sont montrés plus ouverts à cette solution, ce dernier ayant même déclaré que si la France et les Etats-Unis parvenaient à élaborer une proposition commune, y compris sur le financement, le Sénat soutiendrait cette démarche.

- La création d'un groupe d'amitié Etats-Unis - France au Congrès

Le séjour à Washington a été marqué par l'annonce officielle, le 22 octobre 2003, d'un « Caucus » Etats-Unis - France. Ce groupe, composé d'une trentaine de membres issus aussi bien de la Chambre des Représentants que du Sénat est le premier groupe d'amitié Etats-Unis - France créé au Congrès depuis l'indépendance américaine. Les membres de ce nouveau groupe d'amitié Etats-Unis - France envisagent de venir en France pour le 60ème anniversaire du débarquement, le 6 juin 2004.

Le Président Edouard Balladur a souligné que le déplacement à Washington a été l'occasion de prendre la mesure de l'état de nos relations bilatérales. Les entretiens, toujours très courtois, ont néanmoins laissé transparaître de vives inquiétudes. Ainsi, les Américains éprouvent-ils la crainte de voir se constituer une défense européenne conçue bien souvent, selon eux, pour affaiblir l'Alliance atlantique. Il leur a été répondu que la défense organisée de l'Europe était pour celle-ci une ambition légitime, et que les Etats-Unis avaient tout intérêt à avoir un partenaire européen solide.

Les accusations persistantes d'antisémitisme prononcées envers l'Europe et la France continuent d'autre part d'altérer nos relations. Les entretiens avec les sénateurs Georges Allen et Joseph Biden ont notamment permis de rappeler que le Président de la République avait fait publier la lettre qu'il avait envoyée au Premier Ministre de Malaisie, M. Mahatir, pour condamner les propos de ce dernier, et que le Président Silvio Berlusconi avait, au nom de l'Union européenne, condamné le même discours du Premier Ministre malaisien.

Le Président a conclu en évoquant sa rencontre avec M. Alan Greenspan, qu'il a trouvé optimiste et confiant. Le Président de la FED a en effet considéré que le déficit budgétaire comme le déficit extérieur allaient se résorber progressivement et que le yuan allait se réévaluer face au dollar. Le Président Balladur a fait observer à ce sujet qu'aux Etats-Unis la fixation des taux de change relève de la compétence, non pas de la Réserve fédérale mais du Gouvernement.

Le Président Edouard Balladur a ensuite donné la parole à M. Renaud Donnedieu de Vabres et aux membres de la délégation qui ont poursuivi à New York leurs entretiens avec les représentants d'Israël, des Palestiniens et de Jordanie sur la rencontre avec l'ambassadeur de Malaisie.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a tout d'abord rappelé que M. Kofi Annan avait plus particulièrement insisté sur les réflexions à mener à propos de la guerre préventive et les conséquences gravissimes qui pourraient en découler et que le Secrétaire général considérait que la résolution 1511 ne légitimait pas l'occupation étrangère de l'Irak.

M. Paul Quilès a mentionné qu'il avait été frappé par les critiques dont les responsables américains pouvaient faire l'objet, et a déploré une certaine confusion dans les esprits et dans les chiffres quand aux financements nécessaires à la reconstruction de l'Irak. Il a cru comprendre que si la situation sur le terrain se dégradait davantage et si les opposants démocrates aux élections présidentielles reprenaient plus vivement le sujet d'un retrait des troupes en Irak, l'opinion publique aux Etats-Unis pourrait basculer.

Il a enfin rappelé que le Conseil de Sécurité ayant rejeté la résolution condamnant l'édification du mur de séparation entre Israël et les Territoires palestiniens, l'Assemblée Générale a adopté, à une écrasante majorité, une résolution reconnaissant l'illégalité de cette construction. Les Etats-Unis et Israël suivis sur ce vote négatif par la Micronésie et les Iles Marshall se retrouvent ainsi isolés au sein de la communauté mondiale.

Répondant à M. Gilbert Gantier qui l'interrogeait sur le sentiment des Américains concernant la situation de l'Irak, le Président Edouard Balladur a indiqué qu'au cours de son entretien avec Richard Armitage, ce dernier avait estimé que le calendrier proposé par la France pour transférer la souveraineté aux Irakiens était trop court, alors que le processus envisagé par les Américains lui semblait trop long. M. Richard Armitage a donc estimé qu'il y aurait très vraisemblablement des évolutions et un rapprochement des positions française et américaine sur cette question.

*

*       *

Informations relatives à la Commission

Ont été nommés, le mardi 28 octobre 2003 :

- M. Loïc Bouvard, rapporteur pour le projet de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République de Bulgarie, de la République d'Estonie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la Roumanie, de la République Slovaque et de la République de Slovénie, signés au siège de l'Alliance atlantique le 26 mars 2003 (n° 1107) ;

- M. François Rochebloine, rapporteur pour le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relative aux lycées franco-allemands et au baccalauréat franco-allemand (n° 1108) ;

- M. Jacques Remiller, rapporteur pour le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord signé le 3 avril 2001 à Paris portant création de l'organisation internationale de la vigne et du vin (n° 1146) ;

- M. René Rouquet, rapporteur pour le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'assistante administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine pour la prévention, la recherche et la sanction des infractions douanières, signée à Paris le 31 janvier 2001 (n° 1147), le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Surinam pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières, signée à Paramaribo le 25 octobre 2000 (n° 1148) et le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord d'assistance administrative mutuelle entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Malte pour la prévention, la recherche, la constatation et la sanction des infractions douanières, signé à Malte le 14 novembre 2001 (n° 1150) ;

- M. Christian Philip, pour le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation des Nations unies concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (n° 1149).

_____

· Turquie

· Etats-Unis

· Nations unies


© Assemblée nationale