COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 12

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 12 novembre 2003
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Renaud Muselier, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, sur l'aide humanitaire d'urgence



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Audition de M. Renaud Muselier, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, sur l'aide humanitaire d'urgence

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Renaud Muselier d'avoir accepté de présenter l'action humanitaire d'urgence menée par la France à l'étranger. Il a souhaité notamment savoir quels types d'opérations étaient privilégiés, et sous quelle forme l'aide était attribuée.

Constatant que la présence des organisations non gouvernementales (ONG) françaises à l'étranger est particulièrement importante, il a demandé comment l'action du Gouvernement s'articule et se coordonne avec ces organisations. Il s'est enfin enquis des priorités de la politique humanitaire d'urgence du Gouvernement.

Après avoir remercié la Commission de son invitation, M. Renaud Muselier, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, a rappelé que l'action humanitaire d'urgence constitue un levier d'action de la diplomatie française et qu'elle se distingue de la coopération en ce qu'elle ne vise pas un développement à moyen terme, mais qu'elle répond aux besoins vitaux d'une population sur une période courte à la suite d'une catastrophe naturelle ou d'un conflit.

Il a d'abord abordé la situation de l'action humanitaire à son arrivée, en soulignant combien l'action humanitaire d'urgence à travers les ONG constituait depuis une trentaine d'années une spécificité de l'identité internationale de la France. Les ONG françaises contribuent à façonner l'image de celle-ci à l'étranger. Parallèlement, les pouvoirs publics ont été amenés sous la pression conjuguée des médias, de l'opinion publique et des ONG, à ériger leur propre capacité d'intervention humanitaire.

Plusieurs inflexions récentes sont apparues. Les ONG françaises souhaitent être de moins en moins dépendantes de financements publics nationaux et cherchent à diversifier leurs sources de financement. Cependant, seules quelques grandes ONG parviennent à l'indépendance financière, la majorité d'entre les plus petites se trouvant ainsi dans une situation difficile. Elles sont confrontées à un modèle anglo-saxon d'ONG, très différent par la puissance de leurs bases financières privées et leur influence croissante au sein des organisations internationales. Ce modèle anglo-saxon constitue un défi non négligeable pour l'existence d'un grand nombre d'ONG françaises.

Parallèlement, on assiste en France, depuis l'intervention occidentale au Kosovo à une décrispation des relations entre l'Etat et les ONG. En outre, l'Etat et les ONG se doivent d'intégrer le rôle de plus en plus manifeste que prennent les grandes entreprises et les collectivités locales dans l'action humanitaire.

M. Renaud Muselier a fait remarquer que depuis quelques années l'action humanitaire publique française avait perdu une part de sa visibilité. Au sein même du ministère des Affaires étrangères, la création de la délégation à l'action humanitaire (DAH) en janvier 2002 n'a pas abouti à une coordination efficace des instruments d'intervention d'urgence. De même la coordination interministérielle en la matière était difficile et le dialogue et la confiance s'étaient distendus tant entre ONG elles-mêmes qu'avec les principales organisations humanitaires internationales.

Le Ministre a ensuite défini sa politique, fondée d'une part sur l'absence de barrière entre l'action humanitaire d'urgence conduite par l'Etat et le reste de sa politique étrangère et d'autre part sur la volonté de mener une action interministérielle cohérente et ouverte. C'est pourquoi il a présenté - et c'était une première - le 11 juin 2003 une communication en Conseil des ministres consacrée à l'action humanitaire. Il s'agissait d'alléger le circuit de décisions, de renforcer la cohérence des moyens et de gérer le temps avec efficacité. Il a précisé que ces propositions, approuvées par le Premier Ministre et le Président de la République, étaient basées sur la nécessité d'une cohérence des actions sous le pilotage de la DAH. Ceci a été concrétisé par la création le 1er août dernier d'un Comité interministériel de l'action humanitaire d'urgence. Cette politique prenait en compte la nécessité d'un partenariat renouvelé entre l'Etat, les ONG, les collectivités locales et les entreprises pour que plus de force soit donnée aux messages d'humanité de la France.

Puis il a dressé le bilan de ce qui avait été fait. Les orientations définies le 11 juin ont été mises en œuvre. Elles portent sur l'amélioration de la cohérence et de l'efficacité des outils publics, l'appui aux ONG françaises, et le dialogue entre Etat, ONG, entreprises et collectivités locales. Ainsi, a-t-il demandé à M. Robert Sebbag de faire des propositions pour améliorer l'efficacité des ONG françaises dans leurs interventions humanitaires. Il a suggéré au Premier Ministre de confier à M. Philippe Vitel, député du Var, une mission sur les liens ONG-entreprises et le 3 décembre prochain, une réunion se tiendra à Paris sur le thème « Comment faire travailler ensemble dans une situation de crise Etat, ONG, entreprises et collectivités locales ? ».

Il s'est félicité de l'existence d'un dialogue nouveau entre la DAH, les ONG et plusieurs services de l'Etat, en insistant sur le fait que la liberté d'action des ONG n'était pas pour lui une contrainte mais une réalité et un atout spécifique de la France.

M. Renaud Muselier a retracé les plus récentes actions humanitaires d'urgence de la France. Lors du séisme en Algérie, l'aide d'urgence de la France (1,1 million d'euros en moins de 24 heures) s'est manifestée par une aide immédiate aux victimes directes et dans ce cas, par une assistance aux populations sinistrées. D'autres actions ont été menées, notamment en Irak, pour soutenir la reprise rapide du programme « pétrole contre nourriture », pour mobiliser l'aide humanitaire de l'Union européenne, pour déployer une somme de dix millions d'euros répondant aux besoins financiers du CICR et des organisations des Nations unies et répondre aux demandes déposées par les ONG françaises qui ont reçu en 2003 près de 4 millions d'euros pour leurs actions en Irak.

La France a également agi début 2003 en Afrique australe pour répondre au constat inquiétant du programme alimentaire mondial, et une aide de 18 millions d'euros a été rassemblée dans ce cadre. De même, une action française importante a été engagée au Liberia, tant au niveau de la Communauté internationale pour y rétablir la sécurité, que par des aides financières d'urgence atteignant à ce jour un million d'euros. Par ailleurs, la France est intervenue pour un montant de 5 millions d'euros, en finançant soit une ONG, soit une organisation des Nations unies, en Argentine, en Bolivie, au Cambodge, en Erythrée, en Guinée, à l'Ile Maurice, à Madagascar, en Mongolie, etc.

Enfin, M. Renaud Muselier a fait part des difficultés qu'il rencontre encore. Celles-ci ne sont pas d'ordre financier : tout d'abord le montant (10 millions d'euros) du Fonds d'urgence humanitaire (FUH) permet de répondre à la quasi-totalité des demandes justifiées. En outre, lorsque l'engagement dépasse le format habituel, comme cela a été le cas en Afrique centrale ou en Irak, une mobilisation interministérielle permet de mettre rapidement en place une réponse adaptée. L'objectif n'est pas en effet d'afficher un montant élevé du FUH, mais d'animer une gestion interministérielle, cohérente et efficace de l'action humanitaire d'urgence, dans la mesure où de nombreux ministères agissent dans ce domaine. Ainsi, lors du Comité interministériel du 21 octobre 2003, on a pu constater que l'addition des efforts des différents ministères aboutissait à un total de 136 millions d'euros, bien au-delà donc des 10 millions d'euros affectés au FUH, et ce qui replace la France à un niveau comparable à celui des autres grands pays de l'Union européenne.

En revanche, des efforts sont à faire pour améliorer la coordination avec d'autres types d'acteurs. Ainsi, s'il existe une réelle complémentarité entre l'action nationale, rapide mais relativement légère, et l'action communautaire (programme ECHO), massive mais plus lente, il faut définir un lien de travail plus organisé entre ces deux types d'action. Il faut également améliorer la coordination avec les ONG françaises, qui sont souvent de taille petite ou moyenne alors que les impératifs de l'urgence conduiraient à privilégier les grandes ONG très organisées et particulièrement réactives. Mais, dans la mesure où le rôle moral et social du tissu des ONG est essentiel, il faut privilégier des actions combinées entre grandes et petites associations. La liaison entre urgence et développement est un sujet constant de préoccupation, même si le pilotage de ces deux politiques au sein du ministère des Affaires étrangères facilite leur cohérence.

Il a estimé que des partenariats devaient également être tissés avec les entreprises et les collectivités locales, même si cela est parfois difficile dans la mesure où ces structures demandent que leurs actions soient nettement identifiées.

M. Renaud Muselier a conclu en rappelant que les mesures prises par le Gouvernement visaient à rendre l'action humanitaire d'urgence plus cohérente, plus souple et plus rapide. Pour cela, son rôle s'apparente à celui du régulateur du SAMU : à savoir organiser une intervention rapide et immédiate quand cela est nécessaire.

Pour pouvoir apprécier le rôle de la France, le Président Edouard Balladur a demandé quel était le montant des crédits consacrés par celle-ci à l'aide humanitaire comparé à d'autres pays tels que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. De même, il a souhaité savoir quelle était la place des ONG françaises dans le monde. Pour l'aide humanitaire, la France est-elle dans le peloton de tête ou bien plutôt dans la moyenne ?

Concernant le volet international, M. Renaud Muselier a indiqué que la barre avait commencé à être redressée par rapport à l'action du Gouvernement précédent, dans la mesure où la France figure aujourd'hui parmi les premiers contributeurs des organisations internationales tels que le CICR, le HCR ou encore l'UNICEF. Au niveau européen, la France contribue à hauteur de 18 % dans le programme ECHO, ce qui la situe parmi les tous premiers contributeurs. Pour l'Afrique, notre pays figure toujours parmi les trois premiers intervenants, y compris au Liberia.

Par ailleurs, M. Renaud Muselier a fait observer que l'action gouvernementale, qui se manifeste par exemple par l'utilisation de moyens militaires, faisait partie de l'action humanitaire d'urgence alors qu'elle n'est pas comptabilisée ainsi à ce jour.

S'agissant des ONG, il a distingué entre les ONG indépendantes et les plus petites. Les premières sont demandeuses de contacts avec le Gouvernement tout en prenant soin de garder leur indépendance. Par exemple dans le cadre d'opérations du type de celles menées en Irak, elles ont besoin d'un lien avec nos ambassades et d'une aide technique, mais leur liberté d'action reste totale. Pour les secondes, la loi du 1er août 2003 a permis d'améliorer la fiscalité applicable aux dons permettant ainsi leur autofinancement. D'une manière générale, pour l'ensemble des ONG, les organisations internationales lancent des quasi « appels d'offres » et deux voies permettent d'y répondre : la méthode anglo-saxonne et le savoir-faire français. A ce niveau, les ONG demandent que l'Etat défende ce savoir-faire. On peut dire que les relations se sont « normalisées » avec le Gouvernement.

En définitive, M. Renaud Muselier a estimé que le rôle des ONG était important mais que ces dernières ne définissaient pas l'action humanitaire de la France qui est décidée par le Gouvernement.

M. Richard Cazenave a considéré que les ONG n'avaient rien à craindre de l'Etat, pas plus que l'Etat n'avait de raison de les craindre. Le régime fiscal applicable aux dons faits au profit des ONG est moins favorable en France, ce qui explique sans doute la moindre force des ONG françaises, qui ont moins de fonds propres et qui sont gênées pour répondre aux appels d'offres lancés par l'Union européenne ou les organisations internationales. Il a demandé quel poids les ONG françaises avaient par rapport à celles des autres pays européens. Estimant que la situation au Libria est très inquiétante et que ce pays constitue un foyer de déstabilisation pour toute la région, il a demandé quelles actions pouvaient être entreprises par la France dans ce pays ?

M. Gilbert Gantier s'est interrogé sur les raisons de la diminution des crédits consacrés à la lutte contre les mines antipersonnel et sur les conséquences du départ du CICR en Irak ?

M. Didier Julia a estimé que l'aide humanitaire versée par l'Etat constituait une manne considérable versée à des associations et que l'Etat pouvait légitimement leur demander des comptes. Il a demandé comment on pouvait mieux identifier la présence de la France sur le terrain lorsque celle-ci est exercée par les associations humanitaires françaises, s'étonnant de la rare utilisation de la langue française au niveau de leur logistique. Il a voulu savoir sur quels crédits on pouvait financer l'acquisition d'ouvrages au profit des enfants irakiens.

M. René-Paul Victoria a rappelé que les missions humanitaires relevaient de l'Etat et des ONG, mais également des collectivités locales, qui jouent en la matière un rôle considérable par le biais de la coopération décentralisée. Il s'est demandé si elles pouvaient poursuivre cette mission, alors même que les charges qui leur sont transférées ne cessent d'augmenter ?

M. Renaud Muselier a répondu en indiquant qu'il soutenait les initiatives prises par les ONG francophones pour s'adapter au mouvement d'adoption de normes de qualité adaptées à leur activité. Ces normes ne seront toutefois pas les mêmes que celles qui se mettent en place au sein des ONG anglo-saxonnes.

Le ministère tente également d'apporter un soutien à la recherche et à la publication en langue française, mais ces efforts ne peuvent que rester modestes face à la masse de publications en langue anglaise.

Quant à la situation au Liberia, elle est catastrophique : ce pays, qui dispose de grandes richesses, et dont la population est peu nombreuse - 3 millions d'habitants - a détruit en vingt ans toutes ses chances, et la population survit à présent dans des conditions d'extrême dénuement, sans l'eau ou l'électricité. Dans ce contexte, les accords d'Accra représentent une chance unique, et tant les Nations unies que la France apportent tout le soutien possible pour permettre au processus de paix de se dérouler jusqu'aux élections prévues pour 2005. La CEDEAO apporte également son aide. Les Libériens se sont montrés très attentifs à la disponibilité manifestée par la France et ont été heureux de la visite que le Secrétaire d'Etat a effectuée, alors qu'aucun ministre français n'avait visité le pays depuis vingt-cinq ans et qu'aucun responsable politique ne s'était rendu à Monrovia depuis le 18 août (accords d'Accra).

La paix au Liberia dépend de l'établissement de la paix en Afrique de l'Ouest, et réciproquement, étant donné la porosité des frontières. Il est à présent nécessaire de sécuriser la frontière et d'adresser l'aide technique dont le pays a besoin, notamment sous la forme de personnels qualifiés.

La lutte contre l'usage des mines antipersonnel ne relève pas du champ de compétences du Secrétaire d'Etat, hors les cas d'intervention humanitaire d'urgence pour lesquels l'action de déminage est un préalable ou accompagne une intervention « couloir humanitaire ».

Il est vrai que les ONG anglo-saxonnes effectuent une présentation très complète de leurs comptes ; le ministère encourage les ONG françaises à travailler de même, dans la plus grande transparence. Il y en effet quelque contradiction pour certaines ONG à demander le soutien financier de l'Etat français sans donner aucune visibilité à ce soutien sur le terrain.

La mise à disposition de livres et manuels d'enseignement en Français ne relève pas non plus de la compétence du Ministre, n'étant pas incluse dans les besoins vitaux, mais plutôt de celle de M. Pierre-André Wiltzer, Ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Néanmoins, le Ministre tente, lorsque cela est possible, d'obtenir des stocks de livres promis au pilon, pour en faire bénéficier les établissements de pays très dépourvus. Il a admis qu'une coordination de tous les organismes serait appréciable pour être plus efficace.

Le Président Edouard Balladur a demandé des précisions sur la répartition des compétences entre le ministère de la Coopération et celui des Affaires étrangères concernant certaines aides.

M. Renaud Muselier a indiqué que depuis l'inclusion des services de la Coopération au ministère des Affaires étrangères, il n'existait plus de compétence géographique stricte. Mais il peut exister un flou pour certains pays, notamment d'Amérique latine. Il a évoqué une aide française d'environ 1 million d'euros accordée au Costa Rica pour préserver la biodiversité sur l'île du Coco. Cette aide ne tombait dans aucune compétence juridique classique ; elle a donc été accordée en réponse à une demande adressée directement par le Président du Costa Rica au Président de la République française.

Le Président Edouard Balladur a conclu la réunion en remerciant M. Renaud Muselier pour son exposé très complet.

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· Aide humanitaire d'urgence


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