COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 14

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 19 novembre 2003
(Séance de 9 heures 45)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la    Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie (n° 1048) - rapport



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Ratification du Traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie (n° 1048)

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Hervé de Charette, le projet de loi autorisant la ratification du Traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie (n° 1048).

M. Hervé de Charette, rapporteur, a indiqué que le Traité d'Athènes, signé le 16 avril 2003, avait déjà été ratifié par les dix pays adhérents, qui ont choisi la ratification par référendum, à l'exception de Chypre qui a recouru à la voie parlementaire. Quant aux quinze Etats membres de l'Union, ils ont tous choisi de ratifier le Traité par la voie parlementaire. A ce jour, seuls le Danemark et l'Allemagne ont achevé la procédure de ratification. Le calendrier français est donc conforme à celui de nos partenaires.

Le Rapporteur a observé qu'aucun Etat membre n'avait établi de lien entre l'aboutissement de la réforme des institutions européennes engagées par la Convention européenne et l'adhésion des nouveaux Etats membres. Cela signifie donc que le rapport qu'avait tenté d'établir la diplomatie française à l'origine entre élargissement de l'Union et approfondissement de celle-ci - pour s'en tenir au langage courant - a été définitivement abandonné, ce qui n'est pas satisfaisant.

Le Rapporteur a rappelé que, en vertu du principe de différenciation, l'Union avait imposé des négociations distinctes par Etat. Celles-ci ont commencé fin 1997 pour un premier groupe de pays, puis fin 1999 pour les autres. Elles ont donné lieu à près de 200 conférences bilatérales de négociations au niveau des ambassadeurs - représentants permanents des Quinze - et des négociateurs en chef des Dix, et de 100 conférences au niveau des Ministres des Affaires étrangères.

On aura une idée de la complexité de l'exercice si l'on veut bien noter que l'acquis communautaire représente à lui seul 80 000 pages de directives, règlements, décisions, positions ou actions communes au Journal Officiel des communautés européennes.

Pendant la durée des négociations, l'Union européenne a soutenu l'effort des pays candidats en engageant des sommes non négligeables - 19 milliards d'euros - pour les aider à effectuer leur transition et se préparer à l'entrée dans l'Union.

Pendant toute la durée de la négociation, la Commission européenne, sur la demande du Conseil européen, et particulièrement de la délégation française, a présenté annuellement des rapports sur l'état de préparation des pays candidats, le dernier rapport global de suivi ayant été publié ces derniers jours. Le Rapporteur a souligné que cette procédure de suivi constituait une innovation remarquable de cette négociation, qui a placé les Dix dans un cadre très strict et très contraignant.

Le Rapporteur a estimé que ce processus de suivi permettait d'apprécier le degré de préparation des dix Etats candidats.

Les Dix remplissent les critères politiques de Copenhague et disposent d'une économie de marché viable. Dans l'ensemble il semble bien que leur stabilité macro-économique sera assurée au moment de leur adhésion. S'agissant de la capacité administrative générale, la Commission européenne a exprimé un satisfecit global sur les progrès accomplis par les administrations publiques et les institutions judiciaires. Toutefois, elle note que « le taux de corruption reste élevé dans les pays adhérents, voire très élevé dans certains cas. »

Le Rapporteur a expliqué que dans son rapport global de suivi de la transposition de l'acquis communautaire, la Commission relève que, sur les 140 secteurs de l'acquis communautaire, il n'y a plus de problèmes dans 70 % des cas. Dans 27 % des cas, il reste des efforts accrus à accomplir mais le calendrier sera respecté. Enfin, il demeure 39 cas « très préoccupants », soit moins de 3 % des dossiers. Il faut, à titre de comparaison, rappeler qu'il y a actuellement 2 228 procédures d'infraction en cours pour les quinze Etats membres.

C'est l'agriculture qui vient en tête des dossiers difficiles, qu'il s'agisse de la mise en place des agences nationales appelées à gérer les aides communautaires aux agriculteurs (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Chypre et Malte) ou des dispositifs sanitaires de prévention contre l'ESB (Pologne) et en matière de normes alimentaires (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne).

C'est la Pologne qui a le plus de retard à rattraper, suivie de la Slovaquie. A l'inverse, la Slovénie reçoit un satisfecit global pour son état de préparation. Parmi les pays Baltes, la Lituanie doit prendre des mesures pour résoudre deux cas « très préoccupants », contre trois cas pour l'Estonie et cinq cas pour la Lettonie.

Le Rapporteur a estimé que les dix nouveaux membres se trouvaient dans un état de préparation qui, s'il est loin d'être parfait, ce qui est normal, est sans doute peu éloigné de ce que devait être l'état de préparation de certains pays lors des élargissements précédents. Les efforts des Dix doivent donc être salués. A la question « les Dix sont-il prêts » la réponse est donc globalement positive.

Les dix nouveaux membres continueront d'être suivis attentivement par la Commission et le Conseil après leur adhésion à l'Union européenne, comme le prévoit le Traité.

Le Rapporteur a ensuite décrit le contenu du traité d'adhésion, indiquant que l'acte d'adhésion en constituait le document principal, comportant 62 articles. Au total, il compte 10 000 pages engageant 25 pays : il s'agit sans conteste d'une des négociations les plus complexes de l'histoire diplomatique mondiale.

Il établit notamment que les Dix ne seront pas d'emblée membres de l'espace Schengen. Aussi les contrôles aux frontières seront-ils maintenus pendant une première période à l'intérieur de l'Union. Néanmoins la plus grande partie du dispositif Schengen sera applicable dès l'adhésion, et le système retenu apparaît sérieux et, de toute évidence préférable très largement à la situation actuelle.

Les Dix ne feront pas partie de la zone euro dans un premier temps, participant à l'Union économique et monétaire avec un statut dérogatoire. Leur entrée dans la zone euro supposera l'accord du Conseil en fonction du respect des critères du Traité de Maastricht, au plus tôt après 2006.

Le Rapporteur a ensuite expliqué les dispositions institutionnelles de l'adhésion, qui comprennent deux phases.

La Commission sera composée au 1er mai de trente membres, puis, à compter du 1er novembre, de vingt cinq membres, soit un commissaire par Etat-membre, les grands Etats, dont la France, abandonnant leur deuxième commissaire comme le prévoit le Traité de Nice.

En ce qui concerne le Parlement européen, le Traité de Nice, plafonnant à 732 le nombre des députés européens, prendra effet dès les élections de juin 2004. Les 50 sièges réservés à la Bulgarie (17) et à la Roumanie (33) seront répartis entre les vingt-cinq, à l'exception de l'Allemagne et du Luxembourg. La France, la Grande-Bretagne, l'Italie, qui disposent aujourd'hui de 87 sièges et qui n'en auront que 72 dans l'Europe à vingt sept, en auront 78 pendant la prochaine législature. Ce nombre sera maintenu en cas d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie avant 2009.

En ce qui concerne le Conseil, la pondération des voix actuelle est maintenue jusqu'au 31 octobre et s'appliquera aux Dix de la façon suivante : la Pologne aura 8 voix, la République tchèque et la Hongrie en auront 5, la Slovaquie, les pays Baltes, la Slovénie en auront 3, Chypre et Malte 2. Le seuil de la majorité qualifiée passe à 88 voix sur 124.

A compter du 1er novembre 2004, c'est le système prévu à Nice qui s'appliquera, mais dans une Europe à vingt-cinq. Sur un total de 321 voix, la majorité qualifiée est fixée à 232 voix (72,27 %), la minorité de blocage à 90 voix.

Par ailleurs, dès cette date, les deux autres conditions introduites à Nice entreront en vigueur : la nécessaire réunion d'une majorité d'Etats pour toute décision relevant de la majorité qualifiée (majorité simple si la décision est prise sur proposition de la Commission, majorité des 2/3 des Etats (17) dans les autres cas), ainsi que la clause de vérification démographique.

Le Rapporteur a ensuite indiqué que l'Union avait imposé deux dispositifs à caractère transitoire. Le premier restreint la libre circulation des travailleurs afin de ne pas risquer de déstabiliser les marchés du travail des actuels pays membres. Cette libre circulation pourra être instaurée par les Etats qui le souhaitent au 1er mai 2006 ; les autres pouvant prolonger cette période pour trois ans. Au 1er mai 2009, la libre circulation sera de droit, sauf pour les Etats qui revendiqueraient de prolonger de deux nouvelles années l'interdiction, en raison de troubles graves de leur marché du travail.

La France a annoncé qu'elle maintiendrait l'état de droit actuel qui soumet l'entrée de travailleurs étrangers sur notre marché du travail à autorisation administrative en fonction de la situation de l'emploi.

S'agissant du transport routier, l'Union a imposé aux transporteurs des Dix des périodes de deux à trois ans, selon les pays, avant d'être autorisés à faire du transport interne (« cabotage ») dans les autres pays de l'Union.

Le Rapporteur a ensuite mentionné les périodes transitoires et les dérogations demandées par les pays candidats pour appliquer certaines dispositions de l'acquis communautaire. Il a évoqué les clauses de sauvegarde dont l'Union ou des Etats membres peuvent se prévaloir, et précisé que celles-ci répondent à nos préoccupations.

Les nouveaux Etats membres seront intégrés dans la politique agricole commune. Ils seront également éligibles à l'aide des fonds structurels (38 régions pourront bénéficier du FEDER) et notamment au Fonds de cohésion.

Ce traité constitue, selon le Rapporteur, un progrès de l'Europe, en dépit de certaines réserves et des incertitudes qui pèsent sur l'avenir.

Il a considéré que le présent élargissement avait une signification historique et politique particulière. Sur le plan économique, l'Europe constituera l'ensemble qui a les plus grandes potentialités au monde.

Pour autant, l'approbation de ce Traité ne saurait constituer un manque de lucidité face aux difficultés et aux incertitudes qui subsistent.

Même s'il n'est pas le dernier, cet élargissement marque un point culminant. Désormais, l'Europe cessera d'être un processus pour devenir un espace aux frontières établies. Le projet européen des origines était un projet d'intégration et il doit être poursuivi en dépit des élargissements successifs. Il est clair qu'à vingt cinq, et bientôt à vingt sept, la nature du projet européen est remise en question.

Le débat en cours sur les institutions européennes reste déterminant. Le Traité de Nice est un mauvais traité qui conduira l'Europe à l'impuissance. Pour que l'Europe à vingt cinq soit gouvernable, il faut que l'organisation des responsabilités y soit établie sur des bases raisonnables. C'est pourquoi la réforme des institutions est indissociable de l'élargissement ; nous ne devons par renoncer au projet de la Convention : s'il devait être défiguré, mieux vaudrait alors refuser un mauvais accord.

En conclusion, le Rapporteur a proposé d'approuver sans hésiter la ratification du Traité d'élargissement de l'Union aux dix pays candidats.

Le Président Edouard Balladur a félicité le Rapporteur pour son exposé complet et remarquable présentant à la fois une vue globale du contenu du Traité d'Athènes, des problèmes posés et des conditions de son élaboration, ainsi que les réserves qui peuvent en résulter ou du moins les interrogations qu'il soulève.

Soulignant qu'après la conclusion des Traités d'Amsterdam et de Nice, l'Europe allait connaître de nouvelles adaptations institutionnelles qui confirment que ses institutions sont dans une phase évolutive, il a souhaité que soient évoquées, à l'occasion de la discussion en séance publique du présent projet de loi, les conséquences budgétaires pour la France de l'élargissement. Derrière cette question figurent l'alourdissement de la contribution nette française, le chèque britannique et l'avenir de la politique agricole commune.

Tout en se réjouissant de l'élargissement à venir, M. Roland Blum a posé la question de savoir si la préparation à l'adhésion des dix nouveaux membres avait été réalisée dans les meilleures conditions possibles, notamment économiques, et si des efforts supplémentaires ne devaient pas être engagés sur ces aspects économiques. Si l'on prend le cas de la Pologne par exemple, celle-ci est deux fois plus pauvre que ne l'était l'Espagne lors de son adhésion en 1986 et affiche un taux de chômage de 18 %. Ainsi, le 5 mars 2003, la Commission européenne a adressé des notes d'alerte dans la mise en œuvre des réformes à neuf pays sur dix.

Par ailleurs, il a souhaité savoir comment pouvait être évalué le délai d'intégration économique de ces nouveaux pays dans l'Union européenne.

M. François Loncle a remercié le Rapporteur pour la clarté de son exposé et indiqué que le groupe socialiste voterait le présent projet de loi, soulignant que l'élargissement constituait un acte historique, moral et politique majeur. Si les dix candidats ont satisfait aux critères de Copenhague, il a toutefois regretté qu'aucune solution n'ait encore été trouvée pour régler la situation de Chypre et que l'Ile reste séparée en deux et Nicosie traversée par un mur.

Soulignant la logique inversée dans laquelle l'Union européenne se trouve actuellement en procédant à l'élargissement avant d'avoir mis au point les textes institutionnels, et notamment la future Constitution, il a fait observer que nombreux avaient été ceux qui avaient jugé mauvais le Traité de Nice, tout en l'ayant voté, et que c'était précisément ce traité qui allait servir de base au fonctionnement de l'Union jusqu'à l'adoption de la Constitution.

S'agissant de l'intégration à l'espace Schengen, il a insisté sur l'importance des frontières extérieures et souhaité connaître l'état de préparation des dix candidats en la matière.

Enfin, compte tenu de l'élargissement du 1er mai 2004 et des prochains, il a estimé qu'il était temps de tracer les frontières ultimes de l'Europe afin de forger une identité européenne.

M. Pierre Lequiller a fait part de son total accord avec l'exposé et les conclusions de M. Hervé de Charette, précisant que la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne avait émis un avis favorable à l'adhésion des dix futurs membres.

Si, face à cet élargissement, des craintes, essentiellement d'ordre économique, existent sur le terrain, il s'est dit certain que, sur le long terme, des bénéfices en seront tirés, notamment pour la France, comme cela a été le cas lors de l'adhésion de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal. Les échanges économiques qui se sont fortement développés dès les accords de pré-adhésion en sont d'ailleurs la preuve. La France est en position excédentaire très favorable dans ces échanges. Il est en outre préférable que les délocalisations s'effectuent en Europe plutôt qu'à l'extérieur de l'Europe.

Il a confirmé que les nouveaux membres bénéficieront d'un statut dérogatoire en ce qui concerne leur participation à l'euro. Il a ensuite fait observer que cette situation posait de façon plus aigue la question suivante soulevée par la France et d'autres Etats membres devant la Conférence intergouvernementale : le Conseil Ecofin, qui ne comprendra que douze représentants de pays membres de la zone euro sur vingt-cinq, restera compétent pour traiter des questions relatives à la zone euro. Cette situation sera ainsi d'une certaine manière encore plus anormale que la situation actuelle où douze Etats en sont membres sur les quinze. Malheureusement la Convention n'a pas réussi à modifier ce système en raison de l'opposition du Royaume-Uni, du Danemark et de la Suède. A cet égard, l'élargissement donne un argument supplémentaire à la création d'un conseil propre à la zone euro.

S'agissant des remarques sur les mises aux normes adressées par la Commission européenne aux dix pays candidats, il a indiqué qu'une délégation polonaise rencontrée récemment l'avait assuré que le gouvernement polonais y remédierait d'ici le 1er mai 2004 et demandé si le Rapporteur disposait de nouveaux éléments en la matière.

Enfin, si l'élargissement n'est pas très important en termes de PIB, il l'est eu égard au nombre de pays qui intégreront l'Union européenne. Ainsi, il aurait été logique de procéder auparavant à l'approfondissement, qu'il va bien falloir traiter maintenant. C'est là qu'intervient la nécessité de constituer un groupe pionnier, notamment pour la défense européenne. Sur ce dernier point, le scepticisme des candidats nous pousse à mettre encore plus rapidement sur pied cette avant-garde.

M. Jean-Claude Lefort a tout d'abord indiqué que le groupe communiste voterait en faveur du Traité d'Athènes pour des raisons politiques et stratégiques.

Il a cependant ajouté que ce traité appelait de nombreux commentaires. On peut notamment estimer que les dix nouveaux membres subiront un traitement discriminatoire, dans la mesure où ils seront contraints d'appliquer l'acquis communautaire dans sa quasi-intégralité mais, à l'inverse, ne bénéficieront que d'une partie des avantages financiers de l'Union européenne. Il s'est également interrogé sur l'avenir de la politique européenne et de sécurité commune dans une Europe où le poids des membres de l'OTAN les plus atlantistes va augmenter. Enfin, il faudra veiller à ce que l'élargissement n'accroisse pas encore plus le fossé entre les pays européens membres de l'Union européenne et les autres dont on peut craindre qu'exclus, ils ne renouent avec des attitudes plus agressives.

M. Jean-Claude Lefort a ensuite soulevé certaines questions posées par cet élargissement. Ainsi, concernant Chypre, il était légitime d'accepter d'ores et déjà son adhésion, mais il faudra maintenant être très exigeant sur cette question à l'égard de la Turquie, qui souhaite rejoindre l'Union et qui doit donc en respecter les droits et les devoirs. Sur la Conférence intergouvernementale, il s'est inquiété que les nouveaux adhérents ne voient leur rôle affaibli dans la nouvelle Constitution par rapport au Traité de Nice, il s'est donc dit favorable au principe de nommer un commissaire par Etat.

Le Président Edouard Balladur a répondu à M. Jean-Claude Lefort que le poids des membres de l'OTAN augmenterait effectivement avec l'élargissement, mais que cela renforçait encore l'urgence d'organiser une défense qui soit proprement européenne. Concernant la crainte de la constitution d'un fossé entre l'Union européenne et ses voisins, il a redit son souhait de voir créé un statut de « partenaire renforcé » dont le contenu serait beaucoup plus dense que celui des actuels accords d'association.

Notant la volonté du groupe communiste d'adopter le projet de loi, le Président Edouard Balladur a alors demandé à M. Jean-Claude Lefort si cela signifiait que son groupe retirait les motions de procédure qu'il avait déposées sur ce texte.

M. Jean-Claude Lefort a répondu que par mesure de précaution, son groupe déposait souvent à l'avance des motions de procédure sur des textes importants, mais qu'en l'espèce, le groupe communiste avait décidé de les retirer.

M. Yves Nicolin a estimé que l'élargissement faisait naître espoir et crainte dans l'opinion publique, tant chez les membres actuels que chez les nouveaux. Ces craintes sont suscitées par les problèmes d'emploi liés à la désindustrialisation en cours dans notre pays depuis vingt cinq ans, et au phénomène des délocalisations, même s'il est exact que celles-ci bénéficient souvent à des pays non européens, comme la Chine. Pour autant, si l'Europe apporte d'un point de vue macroéconomique plus d'avantages que d'inconvénients, il est compréhensible que certaines catégories de salariés craignent l'élargissement car elles auront des difficultés à se reconvertir dans d'autres secteurs, c'est notamment le cas pour les 200 000 salariés du textile que compte notre pays. Il est donc décisif de prendre en compte, tant au plan européen que national, ces craintes légitimes en accompagnant l'élargissement de programmes de reconversion pour les secteurs en difficulté, et plus généralement d'anticiper les mutations qui se produisent dans l'Union et particulièrement en France.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a voulu resituer la perspective historique de l'élargissement pour savoir s'il constitue une réunification, un droit pour les nouveaux membres ou une décision prise par les membres de l'Union. Il a fait remarquer que les nouveaux membres estimaient parfois qu'ils étaient les seuls à pouvoir décider de leur adhésion, alors qu'il s'agit en fait d'une décision collective prise entre tous les pays.

Il a également insisté sur la nécessité d'obtenir l'adhésion des citoyens à l'élargissement. Pour cela, il faut mieux informer l'opinion publique sur les efforts fournis par les nouveaux Etats membres et sur les exigences formulées à leur égard.

M. Hervé de Charette a apporté les précisions suivantes.

Les dépenses consacrées à l'aide à la transition, puis à la préparation des pays candidats pour leur adhésion, pendant les années 1990 à 2003 sont chiffrées et connues, comme l'est le coût de l'élargissement proprement dit pour les années 2002 à 2004. Le « paquet financier » de l'élargissement pour ces trois années, comportant les dépenses agricoles, de cohésion et autres dans les nouveaux Etats membres, s'élève à 42,5 milliards d'euros, tel que fixé par le Conseil européen de Copenhague. L'apport de la France peut être évalué à environ 17 % à 18 % de ce montant, puisque telle est la part relative de notre pays dans le financement du budget communautaire.

Pour la période qui commence en 2007, rien n'est encore fixé. Le Commissaire Michel Barnier, chargé de la politique régionale, a évoqué devant la Commission l'ambition qu'il nourrit pour la politique régionale après 2006. Il en ressort qu'il souhaite à la fois marquer une priorité pour les régions en retard de développement des nouveaux membres, et continuer aussi d'intervenir en faveur des régions défavorisées des actuels membres.

Seule l'enveloppe agricole est aujourd'hui fixée : à la suite de l'accord intervenu entre la France et l'Allemagne, les dépenses agricoles de l'Union ont été stabilisées en 2013 au niveau du plafond de 2006.

La Commission européenne a annoncé la présentation de ses propositions en décembre, afin d'ouvrir le débat ; il semble qu'elle hésite aujourd'hui entre plusieurs scénarios. Le Rapporteur a souligné qu'il ne s'agissait pas du coût de l'élargissement, mais du montant de la dépense budgétaire dans l'Europe à vingt-cinq pour la période 2007-2013.

Le volet de l'aide régionale et du Fonds de cohésion n'est pas fixé, pas plus que les autres politiques ou que les montants que l'on pourrait éventuellement attribuer à des dépenses nouvelles de l'Union.

Différents scénarios sont évoqués : l'un se fonde sur le niveau actuel de la dépense soit 1 % du PNB européen (ce qui entraînerait une dépense de 120 milliards d'euros), d'autres hypothèses vont jusqu'à 1,24 % ou 1,27 % du PNB, ce qui représente aujourd'hui le plafond des dépenses dans le système actuel ; certains vont même jusqu'à 1,30 %. Aussi ne peut-on affirmer, comme l'a fait un article de presse récent, que l'élargissement « mettra fin au privilège budgétaire français », puis qu'on ne dispose encore d'aucun élément précis.

Ces questions budgétaires ne font pas partie du traité. Le Rapporteur a admis néanmoins que le débat budgétaire qui va s'ouvrir allait poser une série de questions : comment faisons-nous évoluer les dépenses régionales ? Suivons nous une hypothèse basse, en concentrant les efforts sur les régions en difficulté des nouveaux membres ? Admettons-nous une hypothèse plus haute, dans laquelle les dépenses régionales seront augmentées, tout en effectuant des dépenses liées à de nouvelles politiques de l'Union ? Si c'est le cas, il faut comprendre quels Etats paieront cet accroissement des dépenses, ce qui entraîne des questions relatives à la contribution britannique, à l'écrêtement général des contributions.

Si la masse des dépenses s'alourdit, il faudra accroître la contribution des Etats membres, et notamment de la France, encore contributeur net moyen et qui à ce titre, bénéficie encore d'un certain avantage comparatif.

Il est vrai que l'Union va entrer dans un système institutionnel compliqué, avec un système intérimaire pendant six mois, puis un autre système après le 1er novembre. Si la Constitution est adoptée, comme le Rapporteur le souhaite, les institutions seront à nouveau réformées.

Les observations faites par M. Roland Blum au sujet de l'état de préparation des Dix à l'adhésion sont très justes. La procédure de suivi mise en place par la Commission est une innovation très importante et efficace. Les Dix ont été accompagnés dans leurs efforts dans le cadre d'une sorte de tutorat international, et la Commission s'est montrée un tuteur à la fois exigeant et indulgent. Les rapports qu'elle a rédigés sont précis, le dernier fait état de 39 dossiers vraiment difficiles. On ne peut donc remettre en question les adhésions sur la base de ce rapport de suivi. Il est vrai qu'en acceptant en 2002 de conclure les négociations alors qu'il était établi que la préparation n'était pas achevée, l'Union a en quelque sorte fait le pari que les candidats feraient tout pour achever les préparatifs avant le 1er mai 2004. Il est vrai que la Pologne a pris du retard et laissé à ce jour des problèmes non résolus.

La rigueur de la négociation a été très grande sur les questions les plus délicates : application de Schengen, l'agriculture et la reprise de l'acquis dans tout le domaine économique.

La question du degré d'intégration économique est plus subjective : le Rapporteur estime que l'intégration économique et humaine de l'ensemble européen sera très rapide.

Le Rapporteur a indiqué que le traitement de la question chypriote par l'Union n'avait pas été selon lui, le meilleur. La première promesse d'adhésion a été faite à Chypre, pays divisé en deux et objet d'un conflit. Ce sera le premier pays à intégrer l'Union avec un problème de politique internationale considérable. Cependant, les modalités de l'intégration sont sur le plan du droit international inattaquables, et donc acceptables par la Turquie, dont le Rapporteur a estimé qu'elle trouverait les solutions adéquates.

La réforme du Traité de Nice dépend à présent d'un accord à vingt-cinq. Il faudra bien mettre tout le monde d'accord.

En ce qui concerne l'application de l'acquis Schengen, le Rapporteur a précisé que les dispositions relatives aux frontières extérieures de l'Union faisaient partie de celles qui devront être appliquées par les nouveaux membres dès le 1er mai 2004. Les plans d'action Schengen adoptés pour chaque pays comportent des actions spéciales pour harmoniser le contrôle des frontières extérieures sur les réglementations et pratiques des Quinze. Un financement de 850 millions d'euros est consacré à la modernisation des équipements des Dix pour la surveillance des frontières dont ils ont la charge.

Le Rapporteur considère également que l'Union doit définir ses limites ultimes. Il s'est étonné que la Commission européenne commence déjà à évoquer le cas de la Moldavie et de l'Ukraine, d'autant que ces pays sont loin d'être prêts. L'Union doit se prononcer sur les suites de l'élargissement, mais elle a d'autres questions prioritaires à gérer, en premier celle de l'adhésion de la Turquie.

La Commission a la charge de suivre la mise en œuvre de l'acquis par les nouveaux membres jusqu'en mai 2004, mais aussi après cette date. Par ailleurs, des clauses de sauvegarde peuvent être invoquées dès à présent à l'encontre de futurs membres.

Quant à la constitution d'un groupe pionnier, le Rapporteur a indiqué qu'il partageait le propos de M. Pierre Lequillier.

En ce qui concerne l'hypothèse de l'admission d'un commissaire par Etat membres, la négociation est actuellement en cours au sein de la CIG.

La Commission met actuellement en place une nouvelle politique de voisinage à l'intention des pays ayant une frontière commune avec l'Union : sont concernés les pays d'Europe orientale et les pays du bassin méditerranéen. Ce sujet appelle certainement des prises de position car autant il est souhaitable de voir précisées les frontières de l'Union, autant les pays limitrophes souhaitent connaître quels types de relations ils peuvent nouer avec celle-ci.

Le Rapporteur a estimé que les modalités de l'adhésion ne constituaient pas une politique discriminatoire envers les Dix. Cependant, l'Union a été beaucoup plus exigeante envers les Dix qu'on ne le croit. L'adhésion à l'Union de ces dix pays ne peut se comparer à leur adhésion à l'OTAN, car l'entrée dans l'Union a entraîné un bouleversement considérable des structures économiques, administratives et juridiques. Aussi faut-il saluer davantage qu'on ne l'a fait les efforts que ces pays ont accomplis.

Le Rapporteur a indiqué qu'il partageait pleinement les propositions de M. Yves Nicolin quant à un engagement plus fort de l'Union dans les territoires qui font l'objet d'une désindustrialisation et de délocalisations.

Il a estimé que l'adhésion était un droit pour les nouveaux membres, car les Quinze ont posé le principe en 1993 que tout pays européen a le droit d'adhérer à l'Union. En revanche, les conditions de l'adhésion relèvent d'une décision négociée à vingt-cinq.

Le Président Edouard Balladur a demandé si le projet de Constitution élaboré par la Convention prévoyait l'élection d'une présidence stable par les ministres des Finances des pays membres et si celui-ci devait présider Ecofin ou l'Eurogroupe.

M. Pierre Lequiller a précisé que les membres de la zone euro pourraient élire un représentant. Toutefois, aux termes du projet de Constitution, l'Eurogroupe n'est qu'une structure informelle et la structure officielle reste le Conseil Ecofin. En conséquence, il conviendrait de modifier le projet de Constitution pour consolider le groupe euro.

Le Président Edouard Balladur a pris acte du retrait des motions de procédure déposées par le groupe communiste. Il a indiqué que M. Philippe de Villiers avait déposé, en application de l'article 91 du Règlement, une exception d'irrecevabilité, une question préalable et une motion d'ajournement au projet de loi autorisant la ratification du Traité d'Athènes, pour lesquelles il appartenait à la Commission des Affaires étrangères de se prononcer.

La Commission a alors rejeté l'exception d'irrecevabilité n°2, la question préalable n°2 et la motion d'ajournement n°2 présentées par M. Philippe de Villiers.

Puis, conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 1048).

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