COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 20 novembre 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

page


- Rapport de la Mission d'information sur l'avenir du processus euroméditerranéen
- Informations relatives à la Commission


3
7

Rapport de la Mission d'information sur l'avenir du processus euroméditerranéen

Le Président Edouard Balladur a souligné l'importance que revêt, avec la réalisation d'une Europe élargie à vingt-cinq membres, l'avenir de nos relations avec les pays du Sud de la Méditerranée et a rappelé que ce sujet de réflexion avait été retenu par la Commission comme constituant une priorité.

M. Jean-Claude Guibal, Rapporteur, a évoqué le titre du rapport : « Avenir du processus euroméditerranéen » en rappelant que malgré cette formulation, l'Europe fait partie de la Méditerranée. Après avoir rappelé la composition de la mission d'information1, il a précisé que celle-ci avait entendu plus d'une vingtaine d'experts et s'était rendue à Bruxelles et dans les trois pays du Maghreb : Algérie, Maroc et Tunisie.

Il a expliqué que le Processus de Barcelone avait été conçu après la chute du mur de Berlin et au début du Processus de paix au Moyen-Orient. Un programme de partenariat ambitieux de développement fondé sur un volet politique, un volet financier, un volet social, culturel et humain, fut alors adopté à la Conférence euroméditerranéenne de Barcelone des 27 et 28 novembre 1995. Ce partenariat original s'appuyait sur des accords d'association entre l'Union européenne et les douze pays tiers, Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte, Jordanie, Syrie, Liban, Israël, Autorité palestinienne, Chypre, Malte, Turquie. On tenait ainsi compte de la spécificité de chacun, ce programme global étant financé via le Fonds MEDA. Ce processus, après sept ans de fonctionnement, connaît un essoufflement, alors que ses enjeux dépassent très largement les contraintes technocratiques de l'Union européenne.

Le Rapporteur a d'abord évoqué les enjeux et problématiques de la politique méditerranéenne de l'Union, en faisant d'abord observer que la Méditerranée était un espace de conflit pour le Nord comme pour le Sud. Elle le doit à un problème d'identité mal résolu de part et d'autre, au fait qu'il s'agit d'un territoire marqué par le cloisonnement, ce qui détermine sa sociologie et la psychologie de la population et engendre une forte tendance au clanisme. Le goût du consensus n'est donc pas la caractéristique première des peuples de la Méditerranée, au Nord comme au Sud. Aussi, toute politique méditerranéenne doit-elle s'appliquer à gérer les conflits plutôt qu'à les nier.

Les pays tiers méditerranéens connaissent une sorte d'attraction-répulsion pour l'Europe liée au colonialisme. Même si l'Union européenne reste un modèle économique et social de référence, elle est soupçonnée de cultiver des relations politiques dont elle serait le centre et les pays tiers méditerranéens la périphérie. Pour ces pays, il est évident que le Sud n'est pas essentiel pour l'Union européenne, plus tournée vers l'Est ou le Nord. De plus, l'espace méditerranéen est une ligne de confrontation entre l'Islam et la chrétienté, qui s'est aggravée par l'échec, à la fin du XXème siècle, de la modernisation de l'Islam : le slogan « moderniser l'Islam » a été remplacé, selon certains experts par « islamiser la modernité ». Ces pays sont confrontés à des choix et des défis difficiles et reprochent bien souvent à l'Union européenne ses pratiques laxistes vis-à-vis de l'intégrisme islamiste qui les menace.

La Méditerranée reste une zone d'insécurité, les conflits y perdurent et bloquent les évolutions, conflits à l'intérieur même de l'Union européenne à propos de Chypre, conflits entre pays tiers, paix impossible au Proche-Orient, question non résolue du Sahara occidental qui bloque le développement du Maghreb. Par ailleurs, la démographie mal maîtrisée, dont fait peu de cas le Processus de Barcelone, reste un problème majeur pour ces pays. L'immigration est une fausse solution. De plus, la plupart des pays méditerranéens connaissent à des degrés divers des modes assez opaques de transmission et d'exercice du pouvoir : favoritisme, confiscation du pouvoir par une seule catégorie sociale n'y sont pas rares. La montée de l'intégrisme islamique a en outre conduit certains pouvoirs autoritaires à se durcir, ce qui ne favorise pas le développement de l'état de droit.

Les obstacles structurels au développement sont nombreux : règles de droit mal établies, conduisant à une insécurité juridique décourageant les investissements, politique d'éducation très insuffisante, économie mal libéralisée et encore très étatisée, ce qui conduit dans certains cas à une utilisation de la rente pétrolière peu favorable au développement. Le commerce intra régional y est faible et ne représente pour les trois pays du Maghreb que 6 % de leur commerce. Les sociétés sont décrites comme fermées par les deux rapports effectués par les chercheurs arabes du PNUD, qui constatent, statistiques à l'appui, que le monde arabe est plus riche qu'il n'est développé.

Le Rapporteur a souligné que les relations avec les voisins du Sud de la Méditerranée sont un enjeu pour l'Europe dont l'élargissement est perçu comme un retrait par le Sud. En effet, l'Union européenne porte un regard septentrional vers le monde méditerranéen. Les nouveaux entrants sont peu motivés par la Méditerranée, aussi les pays tiers méditerranéens ont-ils l'impression d'être une seconde priorité alors qu'ils vivent une période sensible de leur histoire.

Ces pays ont le sentiment que l'Union européenne s'intéresse davantage à ses limites géographiques, à ses futures institutions, et manque d'intérêt et de compréhension pour la zone méditerranéenne. Ils perçoivent l'Union européenne comme ethnocentrée, incapable de mettre en place des méthodes de développement politique économique et social en phase avec les pays tiers méditerranéens. Aussi la politique méditerranéenne de l'Union apparaît souvent contradictoire et un déséquilibre croissant des échanges en faveur des pays de l'Est accentue ce fait.

Après ce constat, M. Jean-Claude Guibal s'est demandé comment promouvoir une nouvelle stratégie en Méditerranée. Il a préconisé une approche volontariste, globale et différenciée, redonnant une place importante à la France dans la région. En effet, malgré ses imperfections et la multiplication des structures qui constituent son architecture, le Processus de Barcelone garde toute son utilité. Les Etats-Unis ont d'ailleurs tenté de mettre en place un processus concurrent, le Processus MENA qui couple le développement économique au respect des accords d'Oslo sans règle de conditionnalité politique. Aussi faut-il refonder et relancer le Processus de Barcelone en profitant de la conférence de Naples des 2 et 3 décembre prochain, sous présidence italienne, car c'est la dernière occasion de faire progresser ce processus avant longtemps.

Selon lui, la relance du Processus de Barcelone doit permettre de le doter des outils nécessaires, en particulier de conférer au Forum, structure informelle, le rôle de laboratoire d'idées du processus où puisse s'exprimer chacun des partenaires. La création d'une Banque euroméditerranéenne de développement est réclamée par les pays tiers méditerranéens qui souhaitent obtenir les mêmes facilités que ceux de l'Est avec la BERD. Pour l'instant, il existe déjà une ligne de crédit à la Banque européenne d'investissement (BEI) et l'on s'orienterait vers une solution intermédiaire qui serait de créer une filiale euroméditerranéenne de la BEI. De même, il faudrait créer une fondation culturelle permettant un dialogue des cultures comme l'avait demandé l'Espagne. A cet égard, le Rapporteur s'est étonné que le débat sur la création de cette instance ne porte que sur le mode de contrôle par l'Union européenne plutôt que sur son contenu, ce qui explique la lenteur de sa mise en place et les difficultés que l'Union européenne connaît avec les pays tiers méditerranéens.

La création d'une assemblée parlementaire euroméditerranéenne s'impose, même si une telle initiative rencontre quelques critiques. Si l'on en croit les opposants politiques aux régimes en place dans nombre de pays partenaires, la participation aux côtés de parlementaires issus d'élections libres, de parlementaires élus dans des conditions contestables, conférerait à ces derniers une légitimité dont ils ne disposent pas. De plus, les autorités des pays tiers se montrent réticentes, craignant une contagion, alors qu'une telle assemblée permettrait d'approfondir le dialogue sur le volet politique du Processus.

Par ailleurs, la refonte du Processus de Barcelone implique de renforcer la structure des sous-ensembles. Le dialogue 5 + 5 qui met face à face les cinq pays méditerranéens de l'Union européenne et les cinq pays membres de l'Union du Maghreb arabe, créant ainsi une zone sub-régionale cohérente, doit être favorisé. Il en est de même des initiatives de coopération décentralisée, en particulier entre les régions européennes et les régions des pays tiers.

La nécessité d'inventer de nouveaux concepts ou d'appliquer aux pays tiers méditerranéens ceux utilisés pour aider les nouveaux entrants s'impose. Il en est ainsi du concept de « nouveaux voisins », que la Commission a validé, et qui s'applique selon elle aux pays tiers méditerranéens. De même, on pourrait imaginer une coopération renforcée de l'Union européenne avec l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, qui forment un ensemble cohérent et développé au niveau économique. Le statut spécifique d'association demandé par le Roi du Maroc est aussi une piste. Il consiste à associer étroitement le pays demandeur à l'Union européenne sans qu'il y adhère formellement.

Le Rapporteur a insisté sur le rôle important que la France doit jouer auprès de ses partenaires européens lors du Sommet de Naples pour faire entendre la voix des pays tiers méditerranéens, qui le demandent avec insistance. La France est traditionnellement, de par sa géographie et son histoire, le trait d'union entre le Nord de l'Europe et les pays méditerranéens. Elle dispose en outre de l'atout capital de la francophonie et se doit d'utiliser au mieux cette communauté linguistique, notamment en créant un espace euroméditerranéen d'enseignement supérieur, en renforçant l'appui au développement institutionnel des pays tiers.

En conclusion, le Rapporteur a estimé que le Sommet de Naples des 2 et 3 décembre 2003 devait être l'occasion d'affirmer la nouvelle politique méditerranéenne de l'Union, car, quoi qu'il en soit, l'essentiel de la politique étrangère de l'Union européenne sera tourné vers les pays tiers méditerranéens, parce qu'ils sont proches, qu'ils sont pour la plupart dans des situations économiques et politiques délicates et que leur stabilité est menacée.

Le Président Edouard Balladur a souhaité faire deux observations. La première concerne le sommet de Naples des 2 et 3 décembre prochain consacré à la relance du Processus de Barcelone, dont il conviendrait peut-être d'attendre la fin pour pouvoir compléter le rapport, ce qui implique de surseoir pour l'instant à sa publication. La seconde se rapporte à la francophonie. Une information de ce jour annonce l'arrêt de la diffusion de France 2 en Italie, au moment où s'effondre l'enseignement du français dans ce pays. Ceci est regrettable et mérite que la Commission soit informée des raisons qui ont fondé cette décision.

S'exprimant en tant que Président de la Mission sur l'avenir du processus euroméditerranéen, M. Roland Blum a tenu à remercier ses membres. Il a fait observer que le Processus de Barcelone a été, et est encore critiqué. Pourtant, il a permis d'entamer un dialogue institutionnel entre l'Union européenne et les pays tiers méditerranéens. Il est certain que le conflit israélo-palestinien, le problème du Sahara occidental n'ont pas facilité l'éclosion de ce dialogue et freinent le processus.

Selon lui, au plan technique, la complexité du cadre institutionnel du processus, qui mêle accords bilatéraux de chacun des pays tiers avec l'Union européenne et relations multilatérales entre ces pays et l'Union européenne est problématique, d'autant que s'ajoutent des coopérations régionales, des forums, etc.

Il a jugé nécessaire de procéder à une simplification des outils du Processus de Barcelone. Aussi, la pérennisation du forum informel, la création d'une banque euroméditerranéenne, d'une fondation culturelle et d'une assemblée parlementaire chargée de donner des avis et d'engager le dialogue sur le volet politique du Processus qui fait défaut actuellement, sont autant de pistes qu'il faut utiliser.

L'application aux pays tiers méditerranéens du concept de « nouveaux voisins » s'impose, car lorsque l'on se déplace dans ces pays, on perçoit une véritable frustration à l'égard de l'Union européenne, qui aurait tout misé sur son développement à l'Est et au Nord en considérant les pays tiers méditerranéens comme des parents pauvres. Le fait que la Commission englobe ces pays dans le concept de nouveaux voisins favorisera un dialogue plus approfondi.

Par ailleurs, M. Roland Blum a convenu qu'il était préférable, comme le suggérait le Président Edouard Balladur, de surseoir à la publication du rapport pour pouvoir y intégrer les résultats du Sommet de Naples.

M. Jean-Claude Guibal a approuvé cette position et a déploré l'affaiblissement de l'usage du français dans la diplomatie notamment.

S'agissant du sentiment de déréliction et d'abandon de la part de l'Europe que ressent le Sud vis-à-vis de l'Est, le Président Edouard Balladur a rappelé les propositions de M. Günther Verheugen, Commissaire européen chargé de l'élargissement, selon lesquelles il appartient maintenant à l'Europe de définir une coopération de voisinage aux frontières de l'Union, y compris avec le Maghreb. En partant de ce principe, l'Iran et l'Irak devraient être dans des relations privilégiées avec l'Union, ce qui ne serait pas sans poser de problème.

La Commission a décidé de surseoir à la publication du rapport d'information pour y inclure une analyse des conclusions du Sommet de Naples.

Informations relatives à la Commission

Ont été nommés, le jeudi 20 novembre 2003 :

- M. Richard Cazenave, rapporteur pour le projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Commission préparatoire de l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires sur la conduite des activités relatives aux installations de surveillance internationale, y compris les activités postérieures à la certification (ensemble une annexe). ;

- M. Louis Guédon, rapporteur pour le projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat, autorisant l'approbation du traité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la mise en œuvre de contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays ;

- M. François Loncle, rapporteur pour le projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat, autorisant l'approbation de l'accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale.

_____

· Processus euroméditerranéen

· Union européenne

1 La mission d'information sur l'avenir du processus euroméditerranéen est composée de M. Roland Blum, Président, M. Jean-Claude Guibal, Rapporteur, Mmes Sylvie Andrieux-Bacquet et Martine Aurillac, MM. Gilbert Gantier, Eric Raoult et Henri Sicre.


© Assemblée nationale