COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 19

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 décembre 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

page


- Présentation du rapport de la mission d'information sur la mondialisation


3

Présentation du rapport sur la mondialisation

M. Renaud Donnedieu de Vabres, rapporteur, a considéré que la mondialisation posait la question de la responsabilité du pouvoir politique dans le monde actuel. Cette question est au cœur du rapport de la mission d'information, qui a souhaité établir un bilan équilibré de la mondialisation en allant à contre-courant de certains terrorismes intellectuels. A cette fin, le rapport pose sept questions qui portent sur les principaux enjeux de la mondialisation, avant de proposer des pistes de réforme.

Première question : la mondialisation est-elle un phénomène nouveau ? Alors que l'opinion publique est persuadée du caractère profondément novateur de la mondialisation, elle ne constitue pourtant qu'un « stade historique de l'économie capitaliste de marché, un remake de la révolution industrielle du dix-neuvième siècle » selon les mots employés par le commissaire européen Pascal Lamy devant la mission d'information. Il s'agit plus d'un changement de rythme et de degré dans l'intégration des marchés et des sociétés, que d'une rupture historique radicale ; en bref, elle est un phénomène historique devenu un sujet d'actualité.

Deuxième question : pourquoi les mouvements altermondialistes se développent-ils ? En remettant en cause l'ordre établi et en donnant aux citoyens le sentiment que les centres de décision s'éloignent de plus en plus d'eux, la mondialisation inquiète, d'autant que la circulation de plus en plus rapide des images et de l'information renforce le sentiment d'interdépendance et d'interpénétration entre le mondial et le local. C'est sur ce terreau que se développent les mouvements altermondialistes. Le débat politique français est sur ce point exemplaire des craintes suscitées par la mondialisation, comme en témoignent les mouvements favorables à la taxe Tobin, dont le but était à l'origine de réduire les mouvements spéculatifs, ou encore les mouvements de rejet de l'uniformisation et de la standardisation de l'alimentation. Il importe avant tout de sortir du fatalisme et de restaurer la confiance des Français vis-à-vis de la mondialisation, facteur de croissance et d'innovation sans précédent.

Troisième question : la mondialisation est-elle la cause du « déclin français » ? Ce phénomène est perçu comme la cause des restructurations et des délocalisations ou de la dégradation de l'environnement et comme une menace pour notre identité culturelle. Il présente pourtant un caractère positif pour notre pays, dont les performances en terme de compétitivité et d'investissement sont bonnes. Il est toutefois nécessaire de tempérer les effets de la mondialisation, notamment au moyen de l'intégration européenne, qui confère une plus grande efficacité à notre action sur la scène internationale, comme en témoigne le poids de l'Union au sein de l'OMC, où elle ne parle que d'une seule voix. Dans ce cadre, il est essentiel de préserver la diversité culturelle et de garantir l'autosuffisance alimentaire des pays européens. Il est également nécessaire d'élaborer de nouvelles formes de régulation au niveau mondial, afin d'éviter un nivellement par le bas du droit social et environnemental existant dans notre pays.

Quatrième question : la mondialisation aggrave-t-elle les inégalités ? Le constat établi par la mission d'information est nuancé sur ce point : le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue est en diminution dans le monde et les écarts de richesse entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement ont diminué depuis les années quatre-vingt, mais l'écart entre les quinze pays les plus riches et les quinze pays les plus pauvres s'est considérablement accru. Les défis à relever sont considérables en la matière comme en attestent la question agricole et celle de l'accès aux médicaments essentiels, cruciale pour lutter contre les pandémies.

Cinquième question : la mondialisation est-elle un facteur d'instabilité économique et financière ? La libéralisation des mouvements de capitaux a indiscutablement des effets positifs en permettant d'orienter l'investissement des pays les plus développés, qui disposent d'une importante épargne, vers les pays émergents, qui manquent de capitaux. Toutefois, l'importance de la circulation des capitaux de court terme favorise la formation de bulles spéculatives, révélant par contraste la faiblesse des autorités de régulation des marchés et l'insuffisante harmonisation des règles en vigueur. Il convient également de moraliser les activités d'audit et de notation financière afin de garantir la transparence des marchés.

Sixième question : la mondialisation remet-elle en cause les droits sociaux et environnementaux ? Le mouvement de délocalisation implique que l'on réfléchisse aux risques du dumping social et des distorsions de concurrence qu'implique la différence de protection de l'environnement entre les différents pays.

Septième question : la mondialisation appelle-elle la mise en place d'un nouvel ordre mondial ? L'une des raisons de l'incapacité des organisations internationales à apporter des réponses appropriées aux problèmes que rencontre le monde contemporain tient au principe de spécialité, qui définit strictement les attributions des organisations internationales. L'OMC constitue cependant une exception de taille dans le système institutionnel international, car elle est la seule à être dotée d'un organe de règlement des différends (ORD) pouvant prononcer des sanctions. Cette situation pose d'importants problèmes, car elle réduit l'influence des autres organisations internationales en même temps qu'elle fait converger vers l'OMC des questions qui dépassent le seul cadre du droit commercial international, ce qui explique qu'elle focalise les critiques des opposants à la mondialisation. Il importe dans ces conditions de renforcer les autres organisations internationales en les dotant d'organes de règlement des différends et en en améliorant la coordination.

La mission d'information s'est ensuite interrogée sur les réponses qu'il convient d'apporter à la mondialisation. Il s'agit d'éviter deux écueils : la tentation du retour au protectionnisme, au cloisonnement des marchés et à l'économie administrée d'une part ; le dogmatisme de l'autorégulation des marchés qu'il faudrait laisser totalement libres de fonctionner de l'autre. La voie est donc étroite : il convient de tirer le meilleur parti de l'ouverture économique et de l'insertion dans les échanges mondiaux, tout en réduisant les conséquences négatives de ce choix. Celui-ci implique que l'on invente de nouvelles formes de régulation au niveau international et que l'on s'interroge sur le rôle des ensembles régionaux et des Etats dans un monde où les frontières n'ont plus guère de sens, où les événements ont à la fois des causes et des conséquences globales.

La mission d'information propose la mise en place d'un nouveau conseil international, dont les attributions pourraient être exercées par le Conseil de sécurité des Nations unies élargi à de nouveaux membres permanents, qui définirait les priorités d'action des différentes organisations internationales, qui trancherait les conflits de normes, qui pourrait décider de la création de taxes mondiales et qui arrêterait la liste des biens publics mondiaux. Elle propose également d'instituer une réunion annuelle des responsables des organisations internationales sous l'égide du Secrétaire général des Nations unies dans le but de définir un agenda commun et de coordonner l'action des différentes organisations.

La mission d'information propose la création de taxes mondiales dont une fraction pourrait être versée au titre de l'aide publique au développement et une autre pourrait être attribuée à certaines organisations internationales pour mener des politiques d'intérêt général dans les domaines suivants : santé publique, protection de l'environnement, protection du patrimoine culturel...

La mission d'information a par ailleurs émis le souhait d'une harmonisation des réglementations applicables aux marchés financiers (règles prudentielles, normes comptables, encadrement des sociétés d'audit et de notation, lutte contre le blanchiment d'argent sale) et la mise en place de sanctions au niveau international. Elle a également souhaité que soit engagée une réflexion internationale en vue de trouver des mécanismes permettant de restreindre les mouvements spéculatifs de capitaux.

Elle a demandé le renforcement des organisations internationales existantes (OIT, OMS, UNESCO), le cas échéant en les dotant d'un organe de règlement des différends comparable à celui de l'OMC et elle a appelé de ses vœux la création d'une Organisation mondiale de l'environnement (OME). Afin de concilier les principes défendus par ces différentes organisations internationales dans leur sphère de compétences (commerce international, santé publique, environnement, droit social, santé publique, culture...), la mission d'information a souhaité que le nouveau Conseil international soit doté d'une compétence d'arbitrage en cas de conflit entre les différentes normes de droit international.

Enfin, la mission d'information a demandé que la concertation au sein de l'Union européenne en amont des réunions internationales les plus importantes (Conseil de sécurité des Nations unies, conseil d'administration du FMI et de la Banque mondiale) soit améliorée et elle a souhaité que soit organisé un débat national sur la mondialisation réunissant représentants du monde politique, chefs d'entreprise, organisations syndicales et représentants de la société civile.

M. Jacques Myard a tout d'abord estimé que le constat établi par le Rapporteur était bon, même si des précisions méritent d'être apportées. Ainsi, la mondialisation s'exprime-t-elle à deux niveaux. D'une part, la globalisation est technique, elle concerne les médias, les transports, et c'est une donnée constante, qui malheureusement n'est pas intégrée par les politiques dans la gestion des crises. D'autre, part, elle se manifeste politiquement dans la mesure où le monde est complètement disparate et hétéroclite. La faute est de croire que l'on peut régler ces disparités à travers le seul prisme du commerce, c'est-à-dire de l'OMC. Or celle-ci n'est qu'une formule d'arbitrage, elle n'est pas une organisation supranationale comme l'est l'Union européenne par exemple. Il importe donc de remettre en selle les organisations spécialisées et de diviser les problèmes pour les traiter chacun séparément au niveau des instances respectives.

Par ailleurs, il a demandé des précisions sur l'assiette de la taxe affectée à l'aide au développement proposée par le rapport d'information. A cet égard, il a fait part de ses doutes quant aux résultats effectifs que l'on est en droit d'attendre de cette taxe, dans la mesure où il en va essentiellement de la responsabilité des Etats de consacrer une part de leur PIB à l'aide au développement.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a répondu que le rapport prenait en considération les préoccupations de Jacques Myard. Aujourd'hui, seule l'OMC a une capacité d'intervention et de règlement des conflits effective. Le rapport propose d'étendre cette capacité à d'autres domaines que le commerce international. A l'idée de diviser pour mieux régner, la mission préfère proposer de renforcer davantage les institutions et les lieux de règlement des conflits.

Par ailleurs, il faudrait aboutir à ce qu'un conseil muni de pouvoirs suffisants adopte les décisions au plan international et puisse également les faire appliquer. Aujourd'hui, les Etats développés se sont imposé l'obligation d'affecter une part de leurs ressources au développement ; c'est l'objectif de consacrer 0,7 % du PIB national à l'aide au développement. Si une taxe était mise en place, elle serait affectée aux organisations internationales agissant dans le domaine de la santé par exemple, ou elle viendrait directement abonder l'aide au développement. Une réflexion collective internationale existe déjà quant à la création d'une taxe au plan international : elle pourrait être assise sur les ventes d'armement ou sur les émissions polluantes tel le gaz à effet de serre.

Notant que le Rapporteur avait souligné la bonne compétitivité de la France, M. Jean Glavany a indiqué que l'attractivité économique d'un pays ne se mesurait pas seulement par ses taux de fiscalité, mais aussi par le degré de formation des ses travailleurs et le niveau culturel de sa société. Il a rappelé que la mondialisation ne devait pas conduire à une uniformité culturelle dans le monde. Il a souligné qu'il convenait de bien distinguer entre les aspects positifs et négatifs de la mondialisation. Il est nécessaire de renforcer le rôle régulateur de l'OMC, dont les dernières décisions montrent son indépendance à l'égard des Etats-Unis.

Le Rapporteur a précisé que le rapport distinguait très clairement entre les effets bénéfiques et néfastes de la mondialisation. En ce qui concerne le rôle d'arbitrage de l'OMC, le Rapporteur s'est dit d'accord pour souligner le caractère objectif des décisions rendues par cette organisation. Il s'est ensuite prononcé pour un renforcement en parallèle des autres organisations internationales.

Le Président Edouard Balladur a estimé que les statistiques relatives aux contentieux opposant l'Union européenne aux Etats-Unis étaient moins significatives que celles concernant les contentieux entre pays industrialisés et pays en voie de développement, lesquels se trouvent au cœur des critiques adressées à l'OMC.

M. Jacques Myard a indiqué que l'organisation commerciale avait étendu sa sphère d'intervention à partir des années quatre-vingt. Il a cité notamment l'exemple de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) qui, par une sorte d'impérialisme, exercé d'ailleurs par l'Union européenne et les Etats-Unis, a vu le règlement d'un certain nombre de différends concernant, entre autres, les brevets et les licences lui échapper au profit de l'OMC.

M. Marc Reymann s'est dit surpris par le terme de « déclin français » utilisé dans le rapport d'information et a demandé au Rapporteur ce qu'il entendait exactement par cette expression.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a répondu que ce terme était utilisé entre guillemets et par référence à une thématique récente très usitée actuellement.

Même si cette formule comporte une part de vérité, le Président Edouard Balladur s'est demandé s'il ne vaudrait pas mieux utiliser une périphrase et parler des difficultés de la France, ou des handicaps supportés par elle ?

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

_____

· Mondialisation

· OMC


© Assemblée nationale