COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 20

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 décembre 2003
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Alexis Keller, universitaire, sur l'Initiative de Genève


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Audition de M. Alexis Keller

Le Président Edouard Balladur s'est dit très heureux d'accueillir M. Alexis Keller, venu présenter le contenu de l'Initiative de Genève, signée le 1er décembre, entre Yasser Rabbo pour la partie palestinienne et Yossi Beilin pour la partie israélienne.

Il a fait valoir que cette Initiative ne se substituait pas au processus prévu par la « feuille de route », mais venait au contraire compléter cette dernière. La démarche engagée par M. Alexis Keller tire son originalité du fait que les parties se sont attachées à résoudre prioritairement les principaux points de blocage tels que le problème du droit au retour ou le statut de Jérusalem.

Constatant que les réactions officielles à cette Initiative avaient été mesurées et contrastaient parfois avec les réactions positives des opinions publiques européennes et de certains responsables politiques, le Président Edouard Balladur a souhaité connaître l'analyse de M. Alexis Keller sur les réactions suscitées par l'Initiative de Genève depuis la signature officielle de ce document et plus précisément ce qui distingue cette initiative des autres tentatives de règlement du conflit.

M. Alexis Keller s'est d'abord félicité de pouvoir présenter l'Initiative de Genève devant la Commission des Affaires étrangères. Il a expliqué que l'idée de terminer les négociations de Camp David et de Taba avait germé il y a environ deux ans dans l'esprit des négociateurs israéliens et palestiniens avec l'objectif de proposer un règlement définitif du conflit israélo-palestinien. Il ne s'agissait plus de promouvoir comme à Oslo l'ambiguïté constructive mais d'aborder de front les problèmes et de terminer ce qui avait été commencé à Camp David et Taba. Conscient du caractère virtuel d'un tel exercice, les protagonistes ont jugé indispensable de poursuivre ces négociations secrètes, soutenus dans leur dernière phase par le gouvernement suisse qui n'est jamais intervenu sur la substance de cet Accord.

M. Alexis Keller a ensuite rappelé que tous les experts s'accordaient autour du même constat que désormais le temps presse. Si la solution de deux Etats n'est pas mise en œuvre rapidement, l'alternative d'un Etat binational s'imposera d'elle-même, impliquant la fin du caractère juif de l'Etat d'Israël. En cas de mise en place d'un Etat binational avec annexion des Territoires occupés et un système démocratique impliquant un vote une voix, la population juive d'Israël serait en 2010 de 51 %, en 2020 de 47 % et en 2040 de 36 %. Le caractère juif de l'Etat d'Israël est donc condamné si l'on retient la création d'un Etat binational. Convaincus que la solution de deux Etats était la seule viable, autant pour les Palestiniens que pour les Israéliens, les négociateurs ont conclu le 12 octobre 2003 l'Accord de Genève.

M. Alexis Keller a ensuite indiqué que l'Initiative de Genève se proposait de régler quatre problèmes cruciaux jamais résolus dans les précédentes négociations : l'échange de territoires et la démilitarisation de l'Etat de Palestine, le statut de Jérusalem, la question des réfugiés et celle des colonies. Parallèlement, l'Accord de Genève se fonde sur toutes les résolutions et déclarations des Nations unies antérieures. Il repose par ailleurs sur les paramètres Clinton notamment pour Jérusalem et propose un modèle de construction de deux Etats, défendu par le Président Bush en juin 2002, ce qui représente la dernière phase du processus établi par la feuille de route.

Puis M. Alexis Keller a présenté les sept grands principes de l'Accord de Genève :

- Israël se retire de 97,5 % des Territoires occupés en Cisjordanie, les 2,5 % restants étant compensés par l'élargissement de la bande de Gaza, territoire extrêmement exigu et pauvre. Ainsi les Palestiniens reçoivent 100 % des Territoires occupés.

- Un Etat palestinien démilitarisé est créé en Cisjordanie et à Gaza : les deux territoires étant reliés par un corridor qui restera sous souveraineté israélienne.

- Les deux parties s'engagent à lutter effectivement contre le terrorisme et à mettre fin à l'encouragement à la violence.

- Jérusalem devient la capitale des deux Etats, la vieille ville étant divisée selon les paramètres Clinton, fondés sur le principe que ce qui est arabe doit être sous souveraineté palestinienne et ce qui est juif sous souveraineté israélienne. L'esplanade du temple serait sous souveraineté palestinienne (souveraineté horizontale) et le mur des lamentations sous souveraineté israélienne (souveraineté verticale).

- Les Palestiniens renoncent clairement au droit au retour considéré comme une ligne rouge pour les Israéliens qui ont de leur côté pris conscience du caractère capital de la question de réfugiés pour les Palestiniens. Aussi, conformément à la terminologie employée par la résolution du 28 mars 2002 de la Ligue arabe, l'Accord utilise les termes « solution juste et équitable pour les réfugiés » qui se voient proposer des compensations selon quatre options : retourner dans l'Etat de Palestine créé, demeurer dans le pays hôte (Jordanie, Liban, Syrie, Egypte), émigrer dans des pays d'accueil (Canada, France, Suisse) ou poser leur candidature à l'émigration en Israël qui déterminera le nombre et les conditions de celle-ci.

- Il est prévu qu'une force multinationale dirigée en principe par les Etats-Unis, garantisse aux parties la sécurité et contribue à la mise en place de la police en Palestine.

- Un groupe de coordination, l'International Verification Group supervisera la mise en œuvre de l'Accord.

Enfin, M. Alexis Keller a évoqué les à quatre questions qui lui sont le plus fréquemment posées. Qui sont les signataires ? Côté palestinien ce sont des ministres en exercice mais coté israélien ce sont d'anciens ministres, ce qui est asymétrique. Ceci a été compensé côté israélien par la signature de militaires de très haut rang, tel le Général Amnon Lipkin Shahak, ce qui permet de renforcer la crédibilité des dispositions de l'Accord relatives à la sécurité.

Quel est le rapport entre l'Initiative de Genève et la feuille de route ? L'Accord de Genève ne vise pas à se substituer à la feuille de route, processus en trois phases, il lui est complémentaire et non antagoniste. C'est un modèle pour la troisième phase de la feuille de route visant à motiver les parties pour avancer dans la première phase, ce qui n'a pas véritablement commencé.

Qu'est-ce qui différencie l'Accord de Genève des autres ? Il constitue un modèle de règlement global et final. S'attachant à régler les problèmes difficiles, il comporte un plan de paix détaillé de 50 pages, 20 pages de cartes et 10 pages d'annexes.

Que peut faire la France ? Celle-ci peut user de son influence auprès du Quartet pour faire comprendre que ce modèle fait partie de la feuille de route et utiliser son prestige dans le monde arabe et notamment auprès de la Syrie et du Liban, dont le ralliement à cette initiative de paix serait inespéré.

Le Président Edouard Balladur a souhaité savoir quelle était l'évaluation des effectifs de la force internationale nécessaire à l'application de ce plan de paix.

M. Alexis Keller a estimé qu'il fallait disposer de 10 à 12 000 hommes opérationnels soit un effectif total de 25 à 30 000 hommes. La présence nécessaire dans la vieille ville de Jérusalem devrait être de 1 000 hommes, la circulation à l'intérieur de la ville étant libre, le partage entre les différents quartiers a été conçu sur le modèle de ce qui a été pratiqué à Belfast. Si le mur était achevé il engloberait environ 18 % du territoire de l'actuelle Cisjordanie et il couperait 210 000 Palestiniens de l'arrière-pays. Le partage territorial opéré par l'Accord de Genève permettrait de maintenir 125 000 colons, soit 40 % d'entre eux, sous souveraineté israélienne. Il conviendrait de rapatrier 60 à 65 % d'entre eux à l'intérieur des frontières de 1967. Le mur de séparation constitue une véritable tragédie à laquelle il convient de mettre un terme.

Le Président Edouard Balladur a demandé pourquoi le plan de paix signé par les parties n'avait pas prévu la destruction du mur.

M. Alexis Keller a déclaré que les négociations avaient débuté avant la construction du mur et que le document final n'en faisait pas état pour cette raison. Il a fait part de son intention de saisir les parties de cette question. Revenant sur le partage territorial opéré par le plan de paix, il a indiqué que certains points de la vallée du Jourdain demeurerait sous contrôle israélien tandis que les colonies devant être abandonnées par les Israéliens, celles-ci, comme par exemple celle d'Ariel, seraient remises aux Palestiniens, en l'état, c'est-à-dire sans aucune destruction.

M. Jean-Jacques Guillet s'est interrogé sur les conséquences de l'annexion de Jérusalem Est par les Israéliens et a demandé si les Palestiniens y vivant deviendraient citoyens de l'Etat d'Israël.

M. Alexis Keller a fait observer que la question du grand Jérusalem n'avait pas soulevé de difficultés et que les discussions s'étaient focalisées sur le partage de la vieille ville.

M. Jacques Myard s'est étonné de la volonté des autorités israéliennes d'accroître le territoire d'Israël au risque de mettre en place un Etat binational dans lequel les juifs seraient minoritaires. Cette politique s'explique-t-elle par la volonté d'exclure les Palestiniens ou par une mauvaise appréciation des conséquences de l'évolution démographique ?

M. Alexis Keller a répondu que les Israéliens avaient une conscience vive des enjeux démographiques. Même s'il lui est personnellement difficile de percevoir les intentions profondes des hommes politiques israéliens, il a reconnu qu'une tension énorme s'exerçait au sein de la classe politique israélienne dont une partie fait pression pour annexer les territoires et créer un Etat binational, avec une forme de citoyenneté israélienne « à deux vitesses ». Heureusement, la pression en ce sens émane d'une minorité, et beaucoup de responsables ont conscience qu'un tel système « d'apartheid » n'est pas tenable à long ou même moyen terme. Le besoin d'une citoyenneté égale se ferait sentir rapidement au sein de la société. Beaucoup de signataires de l'accord pensent quant à eux qu'il n'y aura plus de caractère juif de l'Etat d'Israël dans cinq ans.

M. Guy Lengagne a félicité M. Alexis Keller pour avoir mené à bien ses travaux remarquables. Cependant, qu'en est-il sur le plan pratique ? M. Ariel Sharon s'est déclaré opposé à l'Accord de Genève et continue de grignoter les Territoires, peut-être pour lutter au nom de la sécurité contre les évolutions naturelles de la démographie. Du côté palestinien, le Hamas comme le Jihad se sont déclarés hostiles au projet, et une partie de la population palestinienne le critique à cause de l'abandon du droit au retour des réfugiés. Cependant, il semble que de nombreux expatriés accepteraient cet abandon s'ils sont bien indemnisés ou s'ils bénéficient d'accords favorables avec des pays d'accueil.

M. Alexis Keller a répondu qu'en effet la position de M. Sharon s'apparentait à un immobilisme érigé en dogme, mais qu'il n'était pas le seul dans ce cas puisque tous les gouvernements israéliens ont grignoté des territoires depuis les accords d'Oslo.

Toutefois, lorsque M. Sharon a déclaré, dans les ultimes moments de la négociation : « des traîtres vont signer un accord », il a obligé objectivement, par de tels propos, les participants à s'entendre. Son opposition virulente a conféré à l'Accord de Genève une visibilité inespérée. L'opposition de certaines composantes politiques palestiniennes, tel le Hamas n'est pas un élément négatif ou décourageant. Elle est en quelque sorte logique puisque les signataires de l'Accord sont des « modérés fanatiques ».

La question du droit au retour n'a pas été réellement abordée depuis 50 ans. Selon les études et sondages qui ont été faits, il y aurait 3 millions de réfugiés, dont 2 à 3 % ont émis le désir de rentrer en Israël. Aujourd'hui, un climat de vendetta entoure les signataires de l'accord à cause du droit au retour ; cependant, il est très positif qu'un véritable débat ait lieu sur ce problème entre les Palestiniens eux-mêmes.

M. Jean-Michel Boucheron a demandé quelle publicité et quelle diffusion avait été faite de ce document auprès des populations concernées. Par ailleurs, constate-t-on un début de dynamique en faveur de sa mise en œuvre ?

M. Alexis Keller a précisé que la promesse avait été faite préalablement à la signature de l'Initiative de Genève, de distribuer le document portant accord aux foyers israéliens et palestiniens. Les citoyens d'Israël ont été destinataires d'un envoi de 3 millions de brochures. Du côté palestinien, la distribution a été moins systématique, ne serait-ce qu'à cause des lenteurs et des imperfections du système postal, mais d'autres solutions ont été trouvées ; ainsi de nombreuses brochures ont été intégrées dans les journaux.

Le gouvernement suisse est prêt à mettre en place et à soutenir un comité de promotion de l'accord, qui aura des ramifications dans la région. Quant au soutien des populations concernées, il évolue. Selon un sondage réalisé il y a trois semaines, l'opinion publique israélienne lui était favorable à 40 %, soutien qui a diminué à 30 % aujourd'hui. Cependant, un autre sondage interrogeant les Israéliens sur les différents points de l'Accord de Genève sans le citer a obtenu 60 % d'avis favorable, ce qui prouverait qu'une large majorité de la population en approuve le contenu. Du côté palestinien, on constate un mouvement très favorable mais accompagné d'un débat très dur sur le droit au retour. Quoi qu'il en soit, les signataires se sont préparés à un travail d'explication s'exerçant sur au moins deux ans.

M. Francois Loncle a posé la question de la participation à un moment donné d'un émissaire américain à l'Initiative de Genève et a demandé pourquoi la question du Golan ne figurait pas dans ce document.

M. Alexis Keller a considéré le Golan comme l'une des questions importantes et difficiles du processus de paix dans la région, mais a tenu a souligner que le Golan était tout d'abord un problème à résoudre entre Israël et la Syrie et non pas avec la Palestine. Pour cette raison, l'Accord de Genève n'a pas traité ce point. En ce qui concerne la participation d'émissaire américain, il a rappelé que l'Initiative de Genève était à la base un projet commun de quatre personnes, dont M. Robert Malley, ancien conseiller du Président Clinton. L'ambassadeur des Etats-Unis en Israël a été, par ailleurs, très régulièrement informé des travaux, sans qu'il participe directement.

Le Président Edouard Balladur a souligné que l'Accord de Genève lui apparaissait comme l'aboutissement idéal du processus de paix, et il a voulu savoir quel serait, selon M. Alexis Keller, le déroulement optimal du processus de paix et quelles seraient les précautions prises pour garantir la libre circulation dans le couloir entre la Cisjordanie et Gaza.

M. Alexis Keller a répondu que la feuille de route avait besoin d'un objectif pour pouvoir redynamiser le processus de paix. Il a rappelé que le Secrétaire d'Etat américain Colin Powell avait déclaré que l'Initiative de Genève allait politiquement sauver la feuille de route. Il a estimé que toute solution de paix reposera sur les principes dégagés par cette initiative.

Le contrôle du couloir entre la Cisjordanie et Gaza, bien que placé sous la souveraineté d'Israël, serait assuré par une force internationale garantissant la libre circulation entre les Territoires palestiniens.

M. Jean Glavany a souligné que l'Initiative de Genève avait su redonner partout dans le monde l'espoir qu'une solution de paix était envisageable. Il a posé la question de savoir comment la France pouvait très concrètement contribuer à la réalisation de cet accord.

M. Alexis Keller a appelé la France à soutenir politiquement l'Accord de Genève, surtout auprès des pays arabes comme la Syrie et le Liban, dans lesquels le point de vue français est attentivement écouté. Il a souhaité que l'Initiative de Genève et sa réalisation soient soutenues financièrement.

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