COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 décembre 2003
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,

et de M. Volker Rühe, Président de la Commission des Affaires étrangères
du Bundestag

SOMMAIRE

 

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- Réunion de travail avec une délégation de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag


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Réunion de travail avec une délégation de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag

Accueillant la délégation, le Président Edouard Balladur a rappelé que les commissions des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Bundestag s'étaient précédemment réunies le 23 janvier 2003, soit le lendemain de la célébration du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée à Versailles, et a déclaré se réjouir du fait que les deux commissions se rencontrent à échéance régulière. En accord avec le Président Volker Rühe, il a été convenu que la présente séance de travail serait consacrée aux trois thèmes suivants : les conséquences de l'échec de Bruxelles, l'organisation de l'Europe de la défense et la mise en place de cercles avancés regroupant les pays de l'Union européenne les plus soucieux d'intégration.

Sur le premier point, force est de constater que l'Union européenne élargie a pris un mauvais départ avec l'échec du Sommet de Bruxelles. Mais, sans vouloir minimiser la signification de cet échec, il ne faut pas pour autant céder au pessimisme. Le texte de la Convention auquel les 25 pays - y compris la Pologne et l'Espagne - sont parvenus par consensus, au terme d'un processus qui aura duré deux ans, a ainsi rencontré une large approbation, aussi vaut-il mieux qu'il n'y ait pas de compromis qu'un mauvais compromis. L'échec de Bruxelles ne crée pas pour autant de vide juridique dans le fonctionnement de l'Union, car les dispositions institutionnelles prévues par le Traité de Nice entreront en vigueur comme prévu en application du nouveau calendrier ajusté arrêté par le Conseil de Copenhague. Il n'en demeure pas moins vrai que le traité de Nice, qui s'applique avant l'entrée en vigueur de la future constitution, en ne tenant pas compte des différences démographiques entre les Etats de l'Union et en facilitant la formation de minorités de blocage, va poser d'importantes difficultés de fonctionnement à l'Europe élargie. Ce traité ne permet pas par ailleurs d'avoir une Présidence du Conseil qui dispose d'une durée et d'une autorité suffisantes. Cela montre la nécessité d'en revenir à l'esprit du texte de la Convention dans les prochaines années. Il est donc souhaitable d'attendre avant de relancer le processus intergouvernemental devant déboucher sur la future constitution européenne, d'autant que dans les prochains mois doivent se tenir les élections européennes et les élections législatives dans certains Etats de l'Union.

Sur le deuxième point, l'Union dispose depuis longtemps d'une vaste panoplie d'instruments politiques, économiques et financiers pour défendre ses intérêts sur la scène politique internationale. La réunion de tous ses Etats membres fait potentiellement d'elle l'un des acteurs mondiaux les plus influents. Ce qui lui fait surtout défaut, ce sont des moyens militaires et civils pour la gestion des crises internationales, moyens indispensables pour donner une consistance à la politique étrangère et de sécurité commune que nous appelons de nos vœux et qui doit permettre de faire de l'Europe un partenaire à part entière des Etats-Unis. Le but central est donc de compléter et ainsi de renforcer la capacité d'action extérieure de l'Union européenne en développant les capacités civiles et militaires de prévention des conflits et de gestion des crises à l'échelle internationale. Dans ce contexte, il paraît raisonnable de créer une « coopération structurée » en matière de défense, pour reprendre l'expression du texte de la Convention. Il s'agit de réunir ceux des Etats membres qui sont désireux d'aller plus vite et plus loin dans l'intégration de leur politique de défense, comme l'a montré la récente initiative en la matière entre la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Sur le troisième point, le Président Edouard Balladur a fait part de son souhait de mettre en place différents cercles au sein de l'Union européenne. Il a demandé si une telle approche suscitait des réserves au sein de l'opinion allemande. En tout état de cause, en l'absence de perspective institutionnelle claire dans les prochaines années suite à l'échec de la conférence intergouvernementale, il est nécessaire de mettre en œuvre des coopérations permettant aux pays plus ambitieux dans leur volonté d'intégration d'y parvenir. Il apparaît par ailleurs difficile de constituer un seul cercle avancé, dans la mesure où, bien que la Grande-Bretagne ne fasse pas partie de la zone euro, sa participation à la défense et à la diplomatie européenne est indispensable.

Le Président Volker Rühe s'est félicité du caractère régulier des rencontres entre parlementaires allemands et français. La fréquence des réunions entre les commissions des Affaires étrangères du Bundestag et de l'Assemblée nationale démontre la confiance mutuelle illustrée par ces échanges et peut servir d'exemple à d'autres pays européens.

Le Président Volker Rühe a appelé à ne pas dramatiser l'échec des négociations du Conseil européen de Bruxelles en estimant qu'il fallait surtout éviter de réagir d'une manière prématurée. Le traité élaboré par la Convention est un bon texte, qui a encore toutes les chances d'être mis en place. Mais il faudra intensifier le travail d'explication et de persuasion auprès des pays qui ont refusé tout compromis. L'Allemagne, notamment, doit ici jouer un rôle plus soutenu de modérateur entre la Pologne et les autres pays de l'Union, pour faire comprendre que de bonnes relations transatlantiques ne sont pas opposées à une intégration européenne. Face à la crainte parfois ressentie envers le couple franco-allemand, M. Volker Rühe a admis que l'Allemagne n'avait peut-être pas toujours écouté avec la plus grande attention les arguments des pays dits « petits ». Pour l'Allemagne et la France, il faudra pour les futures négociations être ferme sur le fond, mais modéré sur la forme.

Quant à une politique européenne de sécurité et de défense, le Président Volker Rühe a souligné qu'il fallait avant tout rassembler les potentiels des deux grandes puissances militaires en Europe, à savoir la France et la Grande-Bretagne. Il a pris comme exemple concret l'idée d'un porte-avions européen ou d'une défense commune de l'espace européen. Mais sans l'effort conjoint de la France et de la Grande-Bretagne, aucun progrès ne pourra être fait sur cette question. Dans le domaine de la défense, l'Allemagne est un partenaire de moindre importance, mais elle contribuera dans la mesure de ses moyens, a conclu le Président Volker Rühe.

M. Gert Weisskirchen, porte-parole du groupe SPD, s'est fermement opposé à l'idée de parler d'un fiasco pour l'Europe. Il a déconseillé de condamner trop vite certains pays en les accusant d'avoir provoqué l'échec des négociations. Le travail fait par la Convention a été selon lui excellent. Le traité a su dégager les principes fondateurs de l'Europe et renforcer le caractère démocratique de ses institutions, en modernisant la prise de décision au niveau européen.

Ce qui a échoué, c'est le transfert de cet acquis par la Conférence intergouvernementale vers les pays de l'Union élargie. Les gouvernements n'ont pas su expliquer que le renforcement de l'Union passait obligatoirement par un transfert de souveraineté. Si l'Espagne avait encore pu dire oui à une concession de dernière minute, la Pologne se serait trouvée dans une impasse, dans laquelle tout compromis se serait vu rejeté par l'opinion publique polonaise. Il faut maintenant tout faire pour que la Pologne puisse voter oui la prochaine fois a dit M. Gert Weisskirchen. Il s'est en outre prononcé pour une meilleure coopération entre les pays du triangle de Weimar, la France, l'Allemagne et la Pologne.

Au nom du groupe parlementaire de la CDU/CSU, M. Andreas Schockenhoff, Président du groupe d'amitié Allemagne-France, a procédé à une analyse autocritique face à l'échec de Bruxelles. Il a rappelé que le Chancelier allemand avait fait une fausse promesse aux Polonais en disant que le Traité de Nice allait être la base pour l'adhésion de la Pologne. Et c'est sur cette position-là que les Polonais ont adopté leur référendum pour adhérer à l'Union.

En ce qui concerne l'idée de groupes pionniers, M. Andreas Schockenhoff a estimé qu'il n'existait aucun groupe homogène au sein de l'Union qui pourrait à lui seul avancer sur les grandes questions européennes. Il a souligné les grandes différences qui persistent dans tous les domaines comme la politique sociale ou fiscale, par exemple avec la Grande-Bretagne.

Il a précisé qu'il existait bien des vues communes sur certains points partiels, comme la politique européenne de sécurité et de défense. C'est le grand chantier sur lequel un groupe de pays pourrait le plus progresser ensemble. L'idée d'une politique commune en matière de défense n'est pas un nouveau projet, mais une vieille ambition de l'Europe. La France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg avaient d'ailleurs déjà pris au début de l'année 2003 une initiative de défense européenne. Cette volonté d'une coopération structurée dans le domaine de la défense devra être un instrument ouvert à tous, a ajouté M. Andreas Schockenhoff.

M. Ludger Volmer, porte-parole du groupe des Verts, a précisé que la question de la double majorité n'avait pas été négociable pour le gouvernement allemand. Il a dit avoir l'impression que certains pays n'avaient pas pris au sérieux les travaux de la Convention, auxquels tous les pays ont pourtant participé, pour finalement signer le projet de Constitution qui en a résulté. M. Ludger Volmer a par ailleurs demandé qu'il soit mieux tenu compte de l'histoire des dix nouveaux pays. Beaucoup d'entre eux, notamment la Pologne, ne connaissent pas le sentiment de souveraineté nationale qui existe en France, par exemple, ou depuis 1945 en Allemagne. La crainte de la perte d'une indépendance nationale acquise depuis à peine une quinzaine d'années a très fortement marqué l'attitude de ces pays.

M. Ludger Volmer a recommandé de ne pas abandonner trop vite le texte de la Convention, en cherchant le salut uniquement dans une Europe à deux vitesses. Il s'est montré optimiste pour l'adoption d'une Constitution européenne sous une des prochaines présidences. L'Europe à deux vitesses ne serait qu'une deuxième solution après un échec définitif de la CIG, a-t-il précisé. Il a en outre souligné que cette nouvelle Conférence intergouvernementale devra être bien préparée. Les différentes positions sur une intervention en Irak ont bien démontré qu'il convenait de renforcer la coopération dans le domaine de la politique européenne de sécurité et de défense. Il s'agit de développer une politique de défense cohérente sur le plan militaire et politique, et de démontrer que la PESD n'entre pas en contradiction avec une bonne relation transatlantique, a conclu M. Ludger Volmer.

M. Werner Hoyer, porte-parole du groupe libéral FDP, s'est dit très affecté par l'échec du Conseil européen de Bruxelles, car les Vingt-cinq n'ont pas réussi à approfondir leur intégration. L'échec de Bruxelles, c'est l'échec de la Conférence intergouvernementale, non celui de la Convention. Il faut le dire clairement : L'Europe a échoué dans un moment historique. On a laissé passer la chance d'une intégration approfondie des structures européennes. A ses yeux, les Quinze n'ont pas su convaincre les pays adhérents à l'Union de cette nécessité. Néanmoins, la méthode est bonne et c'est sur cette base que l'on pourra, il faut le souhaiter, mettre en œuvre plus tard les résultats de la convention.

Les pays de l'Union européenne sont aujourd'hui divisés par deux fossés : entre « vieille Europe » et « nouvelle Europe », distinction totalement infondée, et « grands pays » et « petits pays », distinction que M. Werner Hoyer a rejetée totalement, car l'histoire de la construction européenne montre qu'il n'y a jamais eu de vote au sein du Conseil pris par le bloc des grands pays contre le bloc des petits pays ou inversement. Par ailleurs, à partir du moment où le Parlement européen ne prend pas exactement en compte le poids démographique des Etats, il aurait été logique que les droits de vote de chaque pays au sein du Conseil reflètent les réalités de cette démographie. Cette notion essentielle de représentation démocratique n'a pas été transmise aux dix nouveaux pays.

Ce dernier sommet fait état d'une incompréhension entre les Vingt-cinq : les membres actuels de l'Union savent que l'Europe est un processus, alors que les nouveaux membres considèrent que l'Europe à laquelle ils adhèrent est figée dans un état définitif. Il faudra leur faire partager notre point de vue et aussi créer davantage de confiance, notamment par des projets concrets, a conclu M. Werner Hoyer.

Le Président Edouard Balladur a souligné combien la position de la Pologne était une question sensible pour l'Allemagne et s'est demandé quel sera l'avenir proche du triangle de Weimar.

Il a constaté par ailleurs que l'hypothèse d'une Europe à plusieurs vitesses n'était pas admise spontanément.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a indiqué que les résultats de Bruxelles ne constituaient pas une surprise et que chacun se rendait compte de la difficulté redoutable de mener en même temps les deux processus que sont l'élargissement et l'approfondissement.

La crise internationale qui s'est installée a pris place au cours de l'année 2003 a creusé un fossé entre les Européens, fossé très légèrement comblé à la suite des derniers événements favorables intervenus en Irak. Néanmoins, la question de l'étendue de la solidarité transatlantique restera le point crucial sur lequel se fondent des positions radicalement différentes.

Pourtant, à Bruxelles, le pire a été évité, car le présent échec s'assimile davantage à un ajournement qu'à une vraie rupture, et l'Europe ne sera pas paralysée.

Cependant, les gouvernements, les formations politiques, les peuples, devront jouer leur rôle de lien pour renouer le dialogue et surmonter la crise institutionnelle.

Une question lui paraît essentielle, touchant la méthode pour progresser dans la réunification de l'Europe. Les nouveaux membres considèrent qu'ils ont des droits du fait de leur adhésion, et perçoivent mal que les vingt-cinq pays sont en réalité dans la même situation face aux évolutions nécessaires. Ainsi par exemple, pour le développement de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), les Européens doivent vérifier que tous ont les mêmes objectifs ; si, en outre, ils ont la même approche, cette politique pourra progresser à vingt-cinq. Mais si on constate des divergences profondes, ceux qui ont la même analyse doivent avancer ensemble, sans arrogance, mais dans le souci de remplir leurs responsabilités.

M. François Loncle a jugé qu'il ne fallait ni dramatiser ni minimiser les résultats de la Conférence intergouvernementale de Bruxelles. Toutefois, les termes diplomatiques « de non-résultat positif » traduisent quand même une crise sérieuse. Le projet de Constitution avait créé une certaines lisibilité de ce qu'était l'Union européenne et constitué un moyen de mieux expliquer celle-ci à nos concitoyens. Cependant, il convient de ne pas accuser tel ou tel Etat de cette crise, chacun a sa part de responsabilité, le résultat de cette CIG découlant directement des dispositions du Traité de Nice, considéré comme calamiteux.

Il a constaté que, depuis la mise en place de l'euro, l'Union européenne manquait de projets ; elle est en sommeil et progresse en utilisant le plus petit dénominateur commun, ce qui résulte du manque de volonté politique de ses dirigeants. Cependant, l'échec de la CIG de Bruxelles n'est pas réellement dramatique ; il n'empêchera pas certaines politiques de se développer. A cet égard, M. François Loncle a souligné les avantages du système de la Convention, qui doit être selon lui pérennisé. Il est meilleur que le système intergouvernemental, car il intègre les Parlements. C'est grâce au système de la Convention que la Charte des droits fondamentaux a pu être adoptée, ce qui n'aurait pas été le cas si cela avait du être entériné par une Conférence intergouvernementale.

S'il a déclaré partager les points de vue exprimés sur l'importance du moteur franco-allemand dans la construction européenne, il a fait observer que celui-ci ne devait pas être considéré comme la seule configuration possible, notamment par les pays fondateurs et le Royaume-Uni.

Il a estimé malencontreuse la lettre signée de six pays suggérant de geler la contribution à l'Union européenne de 1 % du PIB alors que 1,24 % du PIB se révélait insuffisant pour faire face à l'élargissement.

Le Président Edouard Balladur a rappelé les trois points à l'ordre du jour de cette réunion : le résultat de la Conférence intergouvernementale de Bruxelles, l'organisation de l'Europe de la défense et la mise en place de cercles avancés regroupant les pays de l'Union européenne les plus soucieux d'intégration.

S'agissant de l'impossibilité de conclure un accord dans le cadre de la CIG, il s'est demandé s'il fallait reprendre rapidement les discussions ; par ailleurs les discussions budgétaires qui s'ouvrent et qui risquent, en raison du calendrier, d'être ressenties comme des sanctions, doivent être soumises à un examen approfondi.

M. Hervé de Charette a insisté sur le rapport entre élargissement et approfondissement de l'Union européenne, en soulignant combien il était difficile de lier les deux questions, ce qu'ont montré les événements récents.

L'échec du Sommet de Bruxelles signifie selon lui qu'on n'ira pas plus rapidement sur l'élargissement, qui s'effectuera sur des bases a minima. A cet égard, il s'est demandé s'il convenait d'en tirer des conclusions quant à l'élargissement lui-même : doit-il avoir lieu sans évolution des institutions ? Néanmoins, il serait très dommageable de freiner l'élargissement en dépit des déceptions qu'il suscite, car les éléments de la crise actuelle sont liés à l'histoire des pays candidats qui ne leur a pas toujours permis d'exercer pleinement leur souveraineté. N'étant pas dans l'Union européenne, ils n'ont pas l'expérience de son fonctionnement, alors que la plupart des membres actuels de l'Union européenne n'ont jamais perdu leur souveraineté.

Il a estimé que, s'il fallait traiter avec bienveillance et indulgence les nouveaux pays adhérents, l'échec de Bruxelles changeait la manière dont l'élargissement se produisait et le futur des institutions de l'Union européenne. On ne voit pas pourquoi les pays qui ont refusé un arrangement ce mois-ci évolueraient rapidement. Le système de Nice risque de perdurer, conduisant à une conception de l'Union européenne différente où la solidarité n'a pas le même sens. Aussi, a-t-il jugé que dans une Union européenne fondée sur des critères plus nationaux que communautaires, la solidarité budgétaire ne s'exprimerait pas de la même manière. Si elle est élevée, le budget communautaire doit l'être et inversement. Il en va de même sur la politique étrangère et de sécurité commune. Si la volonté de partager la charge est faible, chacun reverra ses positions.

Il a manifesté son scepticisme sur l'organisation d'une Union européenne à deux vitesses résultant de ces évolutions. L'expérience passée montre qu'il y a des obstacles pratiques, techniques et doctrinaux à de telles évolutions. Les possibilités de coopération renforcées ont été encadrées par ceux qui voulaient les empêcher dans le traité d'Amsterdam. La marge de manœuvre est faible, la France et l'Allemagne devraient réfléchir en commun sur ce point.

Le Président Edouard Balladur a fait remarquer qu'il existait déjà des formes de coopérations renforcées, que ce soit dans les domaines monétaire, militaire ou de la libre circulation des personnes. Il semble en revanche plus chimérique que les mêmes pays puissent faire partie de chacune de ces avant-gardes, en raison notamment de la non participation du Royaume-Uni à la zone euro ou à l'espace Schengen.

M. Paul Quilès a souhaité que les discussions sur l'avenir de l'Europe prennent une tournure moins technique et se recentrent sur les valeurs qui fondent l'Europe. Rentrant de Roumanie, il a par exemple ressenti que la volonté de ce pays d'adhérer à l'Union européenne n'était pas uniquement motivée par des raisons financières.

En ce qui concerne l'échec du Conseil européen de Bruxelles, celui-ci traduit une baisse du sentiment européen devant des mécanismes de plus en plus compliqués. Face à cette situation, ne serait-il pas préférable de changer de méthode, en mettant au second plan les discussions directes entre gouvernements, dont on voit qu'ils privilégient toujours leurs intérêts strictement nationaux, voire électoralistes, au détriment de la hauteur de vues qui est pourtant indispensable ? En effet, nous souffrons des conséquences de l'échec de la construction européenne « par le haut » dans les années 1950 : après des décennies de construction européenne centrée sur les questions économiques, nous sommes aujourd'hui au cœur du sujet, la construction d'une Europe politique et monétaire, sur laquelle il est logique que se posent des problèmes de répartition des pouvoirs. Ainsi, il est aujourd'hui décisif d'interroger les peuples, non pas par un impossible référendum européen, mais par l'intermédiaire des parlements nationaux ou du Parlement européen. Concernant ce dernier, les élections européennes de juin 2004 peuvent être une occasion unique de débattre des différentes conceptions possibles de l'Europe.

M. Hans-Ulrich Klose a indiqué partager l'avis de ceux qui estiment que l'échec de Bruxelles n'est pas une catastrophe, dans la mesure où un succès n'aurait pas débouché sur des transformations institutionnelles immédiates. Pour autant, il faut dire clairement qu'il s'agit d'un échec, même s'il était attendu, et s'interroger sur ses causes. On se souvient ainsi que la France souhaitait que la réforme des institutions précède l'élargissement alors que l'Allemagne ne pensait pas que cela était indispensable, ce qui s'est peut être avéré une mauvaise évaluation de la situation. Par ailleurs, il manque en Europe une véritable direction, alors que par le passé il y avait une répartition de ce rôle entre la France, pour les aspects politiques, et l'Allemagne, pour les aspects économiques. Aujourd'hui, d'autres pays contestent la vision politique de la France alors que la situation économique de l'Allemagne ne lui permet plus de jouer le même rôle qu'auparavant dans ce domaine. La France et l'Allemagne doivent apporter leur contribution pour redevenir un véritable moteur de l'Europe, ce qui suppose qu'elles redeviennent solides économiquement.

En outre, les pays européens sont de plus en plus divisés vis-à-vis des Etats-Unis, problème que l'élargissement va accentuer car les nouveaux membres sont avant tout attachés à leur appartenance à l'Alliance atlantique. Face à cette situation, il faut se demander ce que nous voulons vraiment, quelle stratégie nous privilégions : construire un contrepoids aux Etats-Unis, favoriser un monde multipolaire, ou bâtir un partenariat avec les Etats-Unis ?

M. Hans-Ulrich Klose a précisé qu'il ne pensait rien de positif de l'idée d'un contrepoids européen et qu'il souhaitait rebâtir un partenariat transatlantique, même si cela dépend avant tout de l'attitude des Etats-Unis eux-mêmes, qui sont à l'origine d'une grande partie des difficultés actuelles.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que personne n'avait jamais parlé d'un contrepoids européen. Cela étant dit, le simple fait que l'Europe existe fait qu'elle en sera un de par sa nature même. Ainsi, l'objectif d'exister par soi-même modifiera la situation dans l'Alliance atlantique et vraisemblablement personne, parmi les Européens, n'aura à le regretter.

M. Jacques Myard a rappelé qu'il prédisait depuis une quinzaine d'années la crise qui survient aujourd'hui et s'est dit convaincu que l'Europe était finie dans la mesure où elle a atteint un certain nombre de résultats et qu'elle n'ira pas plus loin. Vouloir l'approfondissement avant l'élargissement a toujours été un faux problème car l'élargissement était inéluctable et car l'approfondissement touche le cœur des démocraties nationales, ce que les populations refusent.

Par ailleurs, les conséquences de la globalisation n'ont pas été tirées. On pense toujours l'Europe comme en 1815, date du Congrès de Vienne, où les Nations européennes représentaient le monde.

En outre, l'axe franco-allemand comme moteur exclusif de l'Europe est une erreur. A côté du marché européen figurera une Europe à la carte où le mécanisme intergouvernemental primera.

Enfin, s'agissant de la défense européenne, ce n'est pas parce que les Etats européens augmenteront les crédits consacrés aux budgets de défense nationaux que les Etats-Unis ne seront plus la première puissance militaire du monde.

Pour préciser l'idée de contrepoids, le Président Volker Rühe a souligné que l'Europe devait avoir davantage de poids dans le monde occidental, qu'elle devait se situer sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis.

S'agissant des institutions, Nice a permis de réaliser l'approfondissement avant l'élargissement et a ensuite laissé la place au processus de la convention.

Concernant la relation transatlantique, on ne peut pas dire que les dix nouveaux pays qui intégreront l'Union au 1er mai 2004 vont plus « américaniser » l'Europe. Mais il est vrai que chacun arrive dans l'Union avec sa propre histoire et qu'aujourd'hui, quinze ans après la chute du mur de Berlin, ces pays étant restés cinquante ans dans le Pacte de Varsovie, on comprend toute l'importance de la sécurité pour eux. Il n'en demeure pas moins qu'il faut les pousser à assumer leur rôle en Europe quel que soit ce besoin de sécurité, par ailleurs lié à l'OTAN.

Plus spécifiquement sur les capacités de défense, l'Europe peut avoir des états-majors en dehors de l'OTAN, comme les Etats-Unis d'ailleurs. Mais il serait plus important d'exploiter, de regrouper et d'intégrer les capacités militaires nationales, étant donné que les Etats membres ne disposent pas des mêmes moyens financiers que les Etats-Unis pour investir en matière de défense. Un bon exemple serait l'utilisation de porte-avions identiques capables de permettre l'appontage des avions qu'ils soient britanniques ou français. L'augmentation des capacités militaires en Europe dépend de ces nouvelles interdépendances et ceci est beaucoup plus important que d'avoir un ministre européen des Affaires étrangères.

Le Président Edouard Balladur a regretté que le projet de constitution européenne n'ait pas été adopté. Il a souligné que, toutefois, des progrès ont eu lieu dans le domaine de la défense européenne avec la mise en place d'une planification militaire de l'Union. Il ne faut donc pas se décourager. Il ne faut pas se fonder sur le fait que le Sommet de Bruxelles n'a pas abouti dans le sens que nous souhaitions pour se déclarer trop pessimiste. Ainsi, l'entrée de la Grande-Bretagne dans la zone euro reste concevable, tout comme l'est sa participation à la coopération Schengen.

M. Paul Quilès a reconnu avoir d'autant pris plaisir à entendre les propos du Président Volker Rühe qu'il a pu mesurer les évolutions qui se sont produites dans les esprits français et allemands depuis une dizaine d'années.

Sur la nécessité reconnue d'une Europe de la défense il a souhaité faire trois remarques. La première est qu'il faut réaliser un livre blanc de la défense disant clairement et explicitement ce qui doit être défendu. Ceci pose la question des frontières actuelles de l'Europe et des ennemis qui, du fait du terrorisme, peuvent être lointains, et implicitement celle du nucléaire militaire destinée à sanctuariser le territoire national. Or, en Europe, seules la Grande-Bretagne et la France disposent de cette capacité nucléaire. Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur ce que signifie le terme de défense européenne et de noter que, financement de celle-ci mis à part, ce débat n'a pas lieu en France actuellement.

La deuxième remarque concerne les moyens. Suivant ce que l'on veut défendre et l'endroit où on veut le défendre, il faut des moyens tels que des satellites ou des porte-avions. Se pose alors la question de savoir à quoi ces derniers vont servir dans la guerre de demain et s'ils doivent relever d'un équipement national ou autre. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont pas des problèmes techniques, mais fondamentalement politiques, qu'il faut aborder si l'on croit à l'existence un jour d'une armée européenne.

La troisième remarque a trait au faux débat tendant à faire croire que l'Europe veut se construire face aux Etats-Unis. Dans une alliance, il est possible d'être en désaccord avec son allié sans être pour autant un adversaire. Par ailleurs, il est faux d'accuser l'Europe de vouloir rivaliser avec les Etats-Unis en élaborant une défense européenne, dans la mesure où les Etats-Unis se sont donné la vocation d'être le gendarme de la planète et que les Européens n'ont pas la vocation de rivaliser avec cette optique stratégique.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a souligné combien, dans cette période difficile, la manière dont la France et l'Allemagne affichent leur unité politique était essentielle. Si cette unité n'était plus, on pourrait alors réellement parler de crise européenne.

Le Président Edouard Balladur a remercié les participants pour la qualité des propos échangés et donné rendez-vous au mois de juin 2004 pour une nouvelle réunion, au Bundestag cette fois.

Le Président Volker Rühe a également remercié les participants et indiqué qu'il serait peut-être souhaitable de consacrer trois heures à la prochaine réunion qui aura lieu au Bundestag à la mi-2004.

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