COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 29

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 20 janvier 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Guy Teissier, Président de la Commission de la Défense

et de M. Edouard Balladur, Président de la Commission des Affaires étrangères

SOMMAIRE

 

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- Audition commune avec la Commission de la Défense de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires     étrangères, sur l'élargissement de l'OTAN



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Audition de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères

M. Edouard Balladur, Président de la Commission des Affaires étrangères, a remercié le Ministre des affaires étrangères de venir présenter devant les deux commissions intéressées le projet de loi relatif à l'élargissement de l'OTAN, qui sera examiné par l'Assemblée nationale le 29 janvier prochain. Il a précisé que cette audition permettrait également d'évoquer d'autres questions d'actualité.

M. Dominique de Villepin a souligné que la fin de l'affrontement bipolaire aurait pu entraîner la dissolution de l'OTAN. L'Alliance a cependant réussi à conserver sa pertinence, en relevant le triple défi de l'élargissement, de l'adaptation aux nouvelles menaces et de la réforme de ses structures.

En premier lieu, l'élargissement de l'OTAN permettra de contribuer au renforcement de la sécurité et de la stabilité du continent européen : les pays candidats ont, dans le cadre de leur préparation à l'adhésion, conduit d'importantes réformes de leurs outils de défense, par la restructuration de leurs forces et la modernisation de leurs équipements. Les processus simultanés d'adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN ont joué un rôle complémentaire, ces deux organisations ayant demandé aux candidats de s'engager à respecter l'ensemble des principes démocratiques fondamentaux. Les pays candidats ont également procédé au règlement de leurs problèmes frontaliers. Enfin, les Alliés ont veillé à ce que l'élargissement de l'OTAN n'aboutisse pas à créer une nouvelle ligne de fracture en Europe, en particulier à l'égard de la Russie. Aussi, un acte fondateur entre l'Alliance et la Russie a-t-il posé les bases d'un partenariat stratégique avec Moscou. Dans ce cadre, les Alliés ont pris des engagements de retenue, tels que le non-déploiement d'armes et de dépôts nucléaires et la limitation des stationnements permanents de l'Alliance sur le territoire des nouveaux membres. Les relations entre l'OTAN et la Russie, gelées lors de la crise du Kosovo, ont repris en 2001 et un nouveau cadre a été mis en place au sommet de Rome, en mai 2002. Le Conseil OTAN-Russie, auquel la Russie participe comme membre à part entière avec les Alliés, met ainsi en œuvre une coopération approfondie dans des domaines à la fois politiques et techniques, ce qui a permis de renforcer la confiance entre l'Alliance et la Russie sans que l'élargissement de l'OTAN décidé à Prague ne crée de difficulté.

L'OTAN a été amenée à définir de nouveaux modes d'action en raison de l'évolution du contexte stratégique, aujourd'hui marqué par le développement de foyers de crises à la périphérie de la zone euro-atlantique ainsi que par l'apparition des nouvelles menaces que sont la prolifération des armes de destruction massive et le terrorisme. Face à ces évolutions majeures, l'Alliance a été conduite à sortir du champ traditionnel de la défense collective pour s'engager dans la gestion des crises. Les Alliés sont ainsi intervenus en Bosnie et au Kosovo pour imposer la paix, puis pour garantir son maintien.

Cette évolution des missions de l'OTAN a été entérinée par l'adoption, au sommet de Washington en 1999, d'un nouveau concept stratégique qui a affirmé la vocation de l'Alliance à contribuer à la gestion des crises, dans le respect de la Charte des Nations unies, afin de renforcer la sécurité et la stabilité de la région euro-atlantique. Les événements du 11 septembre 2001 ont accéléré cette évolution en entraînant trois conséquences pour l'Alliance. D'un point de vue symbolique, l'activation par les Alliés de l'article 5 du traité de Washington a permis d'affirmer la solidarité avec les Etats-Unis en assimilant l'acte terroriste à une attaque armée. Sur un plan technique, l'OTAN a engagé des travaux pour permettre à l'outil militaire d'apporter une contribution plus efficace à la lutte contre le terrorisme. Enfin, d'un point de vue politique, l'OTAN a été amenée à s'engager sur de nouveaux théâtres de crises éloignés, menaçant la sécurité et la stabilité de la région euro-atlantique : elle est intervenue en Afghanistan, en prenant le commandement de la force internationale d'assistance à la sécurité de l'Afghanistan (FIAS), et en Irak, en apportant un soutien technique à la Pologne.

L'Alliance s'est dotée de structures plus souples et plus réactives, en procédant à la réforme de la structure de commandement de l'OTAN et à la création d'une nouvelle force de réaction rapide (NRF), visant à fournir une capacité de déploiement immédiat sur un théâtre, avant d'être relayée par d'autres unités.

La France a apporté une contribution essentielle à ce mouvement de rénovation, en conformité avec sa place au sein de l'Alliance. Elle est l'un des premiers contributeurs aux opérations de l'OTAN, avec près de 5 000 hommes engagés dans les forces de stabilisation en Bosnie (SFOR) et au Kosovo (KFOR) et dans la FIAS en Afghanistan. Elle fournit également près du quart des moyens des premières rotations de la NRF et souhaite encourager la transformation de l'Alliance, afin que celle-ci dispose de capacités militaires plus réactives et mieux adaptées au nouveau contexte de sécurité.

Cet engagement se fait dans le respect de nos principes : la France veille en effet au maintien du contrôle politique exercé par le Conseil atlantique sur les engagements de l'Alliance. Si celle-ci doit pouvoir réagir rapidement face à des situations de crise, une telle réactivité ne signifie pas l'automaticité de notre engagement. Les Alliés, au sein du Conseil, doivent être en mesure de s'assurer du cadre de l'intervention, notamment de la conformité aux principes de la Charte des Nations unies et de l'adéquation des moyens militaires aux objectifs politiques. La France conserve sa position spécifique à l'égard de la structure militaire de l'Alliance : sa participation à la NRF n'a pas modifié le statut de ses forces, qui restent sous commandement national tant que cette dernière n'est pas activée.

L'élargissement et la transformation de l'OTAN sont pleinement compatibles avec la mise en place de l'Europe de la défense. L'Alliance et l'Union européenne ont en effet établi un partenariat stratégique pour la gestion des crises, se traduisant par la mise en place d'un dispositif de coopération entre les deux organisations, désormais opérationnel. La finalisation en décembre 2002 des accords dits de « Berlin plus », pour la mise à disposition de moyens de l'OTAN au profit de l'Union européenne, a permis le déploiement de l'opération Concordia en Macédoine, première intervention militaire de l'Union européenne. L'Union a par ailleurs exprimé sa disponibilité à assurer la relève de l'opération de l'OTAN en Bosnie et le volet militaire de cette nouvelle mission de l'Union européenne devra également être organisé dans le cadre des accords Berlin plus.

Ces opérations illustrent le caractère complémentaire des activités de l'OTAN et de l'Union européenne. Il ne doit pas y avoir concurrence entre les deux organisations, mais complémentarité des efforts de chacune selon sa vocation propre. L'Europe de la défense a réalisé en 2003 d'importants progrès, avec la mise sur pied de deux opérations militaires, en Macédoine, en recourant aux moyens de l'OTAN, et en République démocratique du Congo, de façon autonome. L'Union s'est également dotée d'une stratégie de sécurité, alors que la Convention sur l'avenir de l'Europe et la conférence intergouvernementale ont ouvert la voie à des innovations institutionnelles importantes, telles que les clauses de solidarité et de défense mutuelle et l'instauration d'une coopération structurée. Parallèlement, le Conseil européen a chargé la présidence irlandaise d'examiner les propositions visant à créer un noyau autonome de capacité de planification et de conduite d'opérations.

Ces différents progrès montrent que les efforts pour la transformation de l'OTAN n'empêchent pas la mise en place, par l'Union européenne, d'une politique européenne ambitieuse en matière de défense et de sécurité. Ces deux processus, comme les élargissements parallèles de l'OTAN et de l'Union européenne, doivent se compléter.

Cet enjeu est important pour la France, qui a soutenu activement à la fois l'élargissement de l'OTAN et celui de l'Union européenne. Les pays qui se préparent à entrer dans ces deux organisations accordent à chacune la même priorité et la France doit s'efforcer, avec eux, de continuer de faire en sorte que les activités de l'OTAN et de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense se renforcent mutuellement.

M. Jacques Myard a rappelé que les fonctions attribuées à l'OTAN ont évolué au cours des dernières années, en passant de la défense collective, définie par l'article 5 du traité de Washington, à la gestion des crises, ce qui s'est traduit par des interventions de l'Alliance hors des frontières de ses Etats membres. Il est regrettable que cette évolution de grande ampleur n'ait pas fait l'objet d'un débat au sein du Parlement. Il a ensuite interrogé le Ministre sur la compatibilité de l'Alliance avec la construction d'une Europe de la défense autonome, rappelant la doctrine du précédent secrétaire d'Etat américain, Mme Albright, qui avait clairement signifié à Berlin en 1996 que des forces européennes ne pourraient intervenir sur un théâtre donné qu'en accord avec l'OTAN et les Etats-Unis.

M. Jean-Michel Boucheron a souligné que l'Europe et les Etats-Unis agissaient conjointement dans nombre de conflits et que l'OTAN pouvait constituer un instrument d'influence pour les pays européens. Toutefois, s'il existe des redondances entre les structures de l'OTAN et celles de ses membres, ce n'est pas entre l'OTAN et les forces européennes, mais bien entre l'OTAN et les Etats-Unis, comme on l'a vu lors de la guerre du Kosovo. La question de la compatibilité des forces se pose désormais entre celles de l'OTAN et des Etats-Unis. Il est nécessaire que l'Europe, en sus de sa présence et de son action au sein de l'OTAN, dispose d'une capacité autonome d'action, comme l'ont souhaité la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg. A cet égard, la mise en place d'un dispositif de planification militaire autonome impose à l'Europe de définir ses principes d'action : en quoi l'Europe se différencie-t-elle des Etats-Unis quant à l'analyse de la menace ?

M. Dominique de Villepin a rappelé que la position de la France était régulièrement exposée et discutée au Parlement. Il convient de distinguer l'évolution de la doctrine stratégique de l'Alliance de l'engagement particulier de la France ; c'est ce dernier qui doit faire l'objet d'un débat parlementaire. L'Alliance a pour mission essentielle de répondre aux différentes menaces, dans le cadre d'un mandat de l'ONU ; ce fut le cas lors de son intervention en Afghanistan, mais aussi pour l'Irak, à l'issue des différentes résolutions adoptées au lendemain de la guerre. Le concept stratégique défini par l'Alliance met en avant la nécessité d'intervenir dans le cadre d'un mandat des Nations unies et ne présente pas d'incompatibilité avec la définition d'une défense européenne. Les propos de Mme Albright s'inscrivaient quant à eux dans un contexte particulier.

La définition par l'Europe d'un concept stratégique propre et d'une analyse des menaces a fait des progrès considérables, grâce aux travaux conduits par M. Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il est en effet indispensable que l'Europe dispose d'un concept stratégique propre, tenant compte de ses spécificités historiques et géographiques, telles que sa proximité avec le Proche et le Moyen-Orient. De plus, l'Europe a des obligations particulières, notamment en Afrique, comme l'illustre son opération en République démocratique du Congo : plusieurs Etats européens, emmenés par la France, se sont alors organisés pour intervenir dans cette zone troublée.

Les débats théoriques portant sur la mise en place d'une cellule européenne de planification et de conduite d'opérations et sur ses relations avec l'OTAN, qui disposerait ou non du droit d'exercer un premier refus d'engagement des forces européennes, n'ont en fait que peu de sens : en pratique, les zones pour lesquelles l'Alliance a vocation à intervenir apparaissent clairement, tout comme celles pour lesquelles c'est à l'Europe qu'il revient d'agir. A titre d'exemple, la situation explosive du Soudan, notamment sur le plan humanitaire, pourrait donner lieu à une réflexion commune, les relations entre les Nations unies, l'Europe et l'OTAN constituant un cadre incontournable. La réflexion que l'Europe a engagée sur la définition des menaces doit être poursuivie, afin de prendre en compte toutes les évolutions perceptibles. Les questions relatives à la prolifération, notamment chimique et nucléaire, et à la lutte contre le terrorisme évoluent très rapidement et imposent de mener une réflexion complète et adaptée, résultant d'une étroite concertation entre pays européens. En tout état de cause, il n'est pas question d'un droit de premier refus de l'OTAN sur l'Union européenne.

M. Loïc Bouvard a demandé où en étaient les négociations menées avec les Américains pour que la France soit représentée au nouveau commandement pour la transformation de l'Alliance (ACT), basé à Norfolk.

M. Dominique de Villepin a répondu que la France était le deuxième contributeur de l'OTAN par le nombre de militaires mis à la disposition de l'Alliance et qu'à ce titre elle entendait obtenir un poste d'officier général dans le commandement opérationnel (ACO) et un autre dans l'ACT. Des négociations sont en cours sur ces points avec le secrétaire général de l'OTAN.

M. Guy Teissier, Président de la Commission de la Défense, a rappelé que le Conseil européen de Bruxelles des 12 et 13 décembre 2003 avait abouti à plusieurs sujets de satisfaction : l'Union européenne a adopté le document relatif à la stratégie de sécurité européenne présenté par M. Javier Solana ; la mise en place d'une capacité de planification et de conduite des opérations, embryon d'état-major européen a été décidée ; la création d'une agence européenne de l'armement a été approuvée. L'adhésion du Royaume-Uni à ces décisions est également un motif de satisfaction. La question de la direction de l'Agence est aujourd'hui posée. La France et le Royaume-Uni ayant chacun un candidat, comment sera assuré l'arbitrage ?

M. Dominique de Villepin a indiqué que la France et le Royaume-Uni sont deux pays qui réalisent d'importants efforts dans le domaine de la défense et que tous deux ont légitimement vocation à être représentés à la tête de cette agence. La solution sera trouvée par consensus, car se diviser sur un tel sujet serait la pire des hypothèses.

Le Président Edouard Balladur a noté que la position française au regard des missions de l'OTAN et de ses interventions hors de sa zone traditionnelle semblait consister à ne pas en donner préalablement une définition précise et systématique et a souhaité que le Ministre donne confirmation sur ce point.

Il a demandé si la position de la France au sein de l'OTAN depuis une dizaine d'années, caractérisée par une présence dans une partie seulement de ses organismes, était compatible avec l'extension de la zone d'intervention de l'Alliance.

Relevant l'extraordinaire complexité et l'imbrication des structures - qu'elles soient européennes ou atlantiques - qui interviennent dans le domaine de la défense en Europe, il a enfin demandé si l'influence de la France auprès de ses partenaires serait suffisante pour que l'Union européenne affirme son rôle dans le domaine de la défense, sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis, ce qui conduirait à une plus grande clarté dans la répartition des rôles et l'usage des moyens.

M. Dominique de Villepin a confirmé qu'à la différence des missions défensives, les missions régionales de l'OTAN devaient être appréciées au cas par cas, en fonction des circonstances, chaque situation étant un cas d'espèce. Dans le cadre de l'intervention en Irak, l'OTAN n'apporte pour l'instant qu'un soutien logistique au contingent polonais. Une implication plus forte pourrait certes simplifier la tâche des forces de la coalition menée par les Etats-Unis, mais elle risquerait d'apparaître comme une intervention massive des pays occidentaux au Moyen-Orient, avec des conséquences potentiellement lourdes en matière de terrorisme et de violence.

La position de la France au sein de l'OTAN est singulière, puisque notre pays participe au processus décisionnel par le biais du Conseil atlantique de sécurité, tout en conservant son autonomie. Pour autant, il n'y a pas lieu de remettre en cause ce positionnement qui donne toute satisfaction et qui ne nous a pas empêchés de nous retrouver sur la même position que l'Allemagne. L'extension des missions de l'OTAN et l'éventuelle participation de la France à ces missions relèvent d'une décision spécifiquement politique et non militaire.

La France a fortement contribué aux réformes de structure de l'OTAN, en recherchant une plus grande rapidité et une meilleure clarté des décisions. Malgré ces évolutions, l'Alliance atlantique reste une structure complexe qui rassemble des états d'esprits différents. L'usage et l'expérience des différents théâtres d'opération permettent d'avancer vers une simplification des procédures et une réponse spécifique à chaque mission. Déjà, sur le terrain, on assiste à une évolution plus rapide que par le passé et l'OTAN fait preuve de davantage de souplesse et d'adaptabilité. Une réflexion sur l'acquis des expériences est indispensable.

M. Joël Hart a attiré l'attention sur la différence qui peut exister entre la réalité et la perception que peuvent en avoir certains Etats. Ainsi, en Macédoine, le gouvernement n'était pas loin de regretter le transfert de commandement de l'OTAN à l'Union européenne. De la même manière, en Irak, la perception par la population de l'action menée par les Américains peut sembler très éloignée de la réalité de la situation.

M. Dominique de Villepin a reconnu la situation spécifique de pays qui entendent se rapprocher à la fois de l'Union européenne et de l'OTAN. L'exigence de sécurité de ces pays, malmenés par l'histoire, est forte. Or, dans la symbolique, l'OTAN représente davantage la protection que l'Union européenne, mais la perception évolue vite, notamment pour les pays qui vont entrer prochainement dans l'Union européenne. L'Europe peut apporter des solutions concrètes aux problèmes du quotidien, alors que l'OTAN est une structure beaucoup plus distante et difficile à appréhender.

Le Ministre a ensuite évoqué la prolifération des armes de destruction massive. Il a indiqué que cette question constituait une source de préoccupation majeure pour l'Union européenne. Elle accroît l'instabilité dans des régions déjà fragiles, telles que « l'arc de crise » menant de la Corée du Nord à l'Iran en passant par le Pakistan. Elle représente en outre une menace directe sur notre sécurité. Enfin, elle pourrait favoriser l'acquisition par les groupes terroristes d'armes de destruction massive, en particulier chimiques.

Pour répondre à cette menace, les instruments multilatéraux de non-prolifération doivent être renforcés, dans la mesure où ils bénéficient de la légitimité de la communauté internationale et ont fait la preuve de leur efficacité. Le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) a permis de contenir le nombre d'Etats détenteurs de l'arme nucléaire. Aux cinq Etats membres du Conseil de sécurité, s'ajoutent aujourd'hui seulement trois Etats détenteurs, non membres du TNP : Israël, l'Inde et le Pakistan. Le renforcement de ces instruments suppose de travailler dans trois directions complémentaires. Il convient d'abord de convaincre les Etats d'adhérer à ces instruments. Cet effort a été fait avec succès en direction de l'Iran, qui a signé un accord de garanties renforcées avec l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Des instruments universels et permanents doivent être prévus et pourraient notamment s'appuyer sur un corps d'inspecteurs du désarmement. Enfin, de nouvelles pistes doivent être ouvertes, à l'instar de l'Initiative de sécurité contre la prolifération (PSI), qui devrait être réinsérée à terme dans le cadre des Nations unies.

La France participe pleinement à ces nouvelles initiatives. Elle a organisé à Paris l'une des trois réunions de préparation de la PSI et participe à des exercices militaires dans ce cadre. Elle est également membre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive, dans le cadre du G8. A l'instar du dialogue engagé avec l'Iran, elle subordonne l'octroi d'avantages économiques aux pays dont les intentions suscitent des doutes à des engagements dans le domaine de la non-prolifération. Enfin, elle soutient la poursuite de la réflexion dans ce domaine dans le cadre d'une réunion au plus haut niveau du Conseil de sécurité sur la non-prolifération.

Le Président Edouard Balladur a demandé si la réalité des efforts accomplis par l'Iran correspondait bien à la teneur de ses engagements.

M. Dominique de Villepin a répondu que les engagements de l'Iran s'articulaient autour de trois points. Tout d'abord, ce pays s'est plié aux exigences de transparence imposées par l'AIEA. Ensuite, l'Iran a signé le protocole additionnel au TNP, mais sa ratification, qui s'inscrit dans un processus complexe, demandera plus de temps. Enfin, l'Iran s'est engagé à suspendre l'enrichissement et le retraitement de son uranium à des fins militaires. Ce dernier point a été évoqué à Londres avec les ministres des affaires étrangères allemand et britannique, car la plus grande vigilance s'impose à cet égard.

M. Jacques Myard a demandé quel était le degré de coopération de l'Inde et du Pakistan à l'atteinte de ces objectifs.

M. Dominique de Villepin a répondu que la situation du sous-continent indien était de fait beaucoup plus difficile, même si, après les vives tensions enregistrées il y a un an, le dialogue reprend aujourd'hui entre les deux pays. L'Inde et le Pakistan ne sont pas parties au TNP et ont acquis leur puissance nucléaire en dehors de tout contrôle international. Partant de cette situation, il est souhaitable d'insérer ces Etats dans un cadre régional, à l'instar du projet de conférence internationale pour le Golfe persique qui devrait favoriser une meilleure intégration de l'Irak. Il est donc nécessaire d'abaisser les tensions grâce à une régulation et un dialogue menés à l'échelle régionale. Un contrôle pourra ensuite être mis en place dans un cadre multilatéral.

Le Président Edouard Balladur a demandé si les obligations internationales pesant sur l'Inde et le Pakistan n'étaient pas moins lourdes que celles pesant sur l'Iran.

M. Dominique de Villepin a souligné que la communauté internationale se heurtait à la réalité de programmes déjà très avancés dans le cas de l'Inde et du Pakistan. Un dialogue spécifique s'impose donc dans le cadre d'un projet régional.

M. René Galy-Dejean a demandé quelle serait la position de la France par rapport à d'éventuelles actions préventives menées par les Etats-Unis contre des pays dont il serait prouvé qu'ils mènent des activités proliférantes.

M. Loïc Bouvard a souhaité avoir des précisions sur la situation de la Corée du Nord et de la Libye.

M. Dominique de Villepin a réaffirmé que la meilleure attitude dans la lutte contre la prolifération était celle privilégiant le dialogue, fût-il musclé. Une action préventive est porteuse de risques et rend plus délicate la gestion de la paix. Les pays proliférants possèdent par ailleurs très souvent une forte identité nationale et religieuse, qui les a poussés à passer à l'acte. Obtenir des engagements de l'Iran par la force serait très hasardeux. Privilégier une action préventive d'intervention conduirait à abandonner l'idée de relations internationales maîtrisées. Elle aurait également pour conséquence fâcheuse de donner un satisfecit aux pays qui disposent déjà de l'arme nucléaire et qui sont en quelque sorte sanctuarisés. Un processus fondé sur le dialogue, spécifique à chaque pays, doit au contraire pouvoir s'amorcer, avant d'être repris dans un cadre multilatéral. Les succès enregistrés en Iran et en Libye illustrent la pertinence de cette démarche. Les discussions en cours sur une résolution du Conseil de sécurité sur la non-prolifération devraient permettre de renforcer le processus de vérification, de même que la création d'un corps d'inspecteurs du désarmement. Il est en outre nécessaire de traiter à la source les raisons qui ont conduit un Etat à développer des programmes d'armes de destruction massive. La prolifération peut renaître au même endroit demain ; un suivi par des organismes internationaux doit être complété par des solutions stratégiques régionales, telles que la mise en place de zones de démilitarisation.

Le processus développé avec la Corée du nord est aussi un processus collectif, cinq Etats étant mobilisés. Un tel processus a été préféré au fait de traduire cet Etat devant le Conseil de sécurité. Un pays proliférant est en effet un pays qui se sent menacé. Il faut donc, soit faire apparaître que la menace pour lui s'accroît avec sa politique de prolifération, soit l'aider à améliorer son insertion internationale, notamment parmi ses voisins. La Corée du nord doit savoir à la fois qu'elle court des risques à poursuivre son programme et en même temps pouvoir évaluer les avantages dont elle pourrait bénéficier en agissant autrement.

M. Jean-Michel Boucheron a demandé si la légitimité d'une politique de lutte contre la prolifération n'était pas affectée par l'absence d'action concernant Israël.

M. Dominique de Villepin a répondu qu'Israël était convaincu que sa sécurité extérieure n'était pas assurée et que son existence même était menacée. La solution consiste à avancer dans le processus de paix et à insérer Israël dans un climat de sécurité. Pour cela, il faut convaincre Israël qu'il n'y a pas de sécurité possible dans une course au développement d'un appareil sécuritaire et que celle-ci passe au contraire par la paix avec le Liban et la Syrie, l'établissement de relations avec les pays arabes et l'existence reconnue d'un Etat palestinien. Il convient également de faire avancer les réflexions sur la création de zones démilitarisées. Israël a du reste toujours décrit avec prudence l'état de ses arsenaux stratégiques. Il est certain que des politiques tendant à limiter la viabilité d'un Etat palestinien ou à empêcher la mise en oeuvre de la feuille de route conduisent à une impasse.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Ministre s'il pouvait présenter la situation en Côte d'Ivoire et donner son sentiment sur son évolution.

M. Dominique de Villepin a répondu que, depuis deux mois, des progrès importants avaient été faits. Les ministres des Forces nouvelles ont réintégré le Conseil des ministres, ce qui a permis d'adopter la totalité des projets de loi prévus par les accords de Marcoussis, leur examen s'étant achevé jeudi soir.

La quasi-totalité des points de contrôle entre le nord et le sud du pays a été levée. Le redéploiement de l'administration à l'ouest est déjà en cours. Les prisonniers ont été libérés. Le regroupement des armes légères et le recensement des armes lourdes sont désormais en bonne voie. Les opérations de regroupement des ex-rebelles ont démarré au nord et à l'ouest. Le président Gbagbo veut maintenant se rendre à Bouaké pour annoncer officiellement la fin de la guerre. Un an après les accords de Marcoussis, le résultat est appréciable.

La phase de l'application concrète des accords de Marcoussis, qui doit conduire à la tenue fin 2005 d'élections libres, est désormais abordée.

La communauté internationale doit s'impliquer concrètement dans la mise en œuvre de ces accords. La France souhaite très fermement, en appui à la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), la mise en place d'une opération de maintien de la paix de l'ONU. Pour conforter le passage à la phase concrète des accords, il faut maintenant passer à la mise en œuvre des programmes de désarmement et de démobilisation des combattants, au redéploiement complet de l'administration et à la préparation des élections. Il s'agit là d'un savoir-faire que maîtrisent parfaitement les Nations unies. Ces missions nécessitent des moyens supérieurs à ceux actuellement déployés par la CEDEAO, un mandat différent et des effectifs élargis comprenant, outre des militaires, des forces de police et de gendarmerie.

Les Nations unies ont aujourd'hui 12 000 personnes en Sierra Leone et en prévoient 15 000 au Liberia. La demande portant sur un effectif de 6 000 hommes en Côte d'Ivoire ne paraît pas déraisonnable. Il faut aussi coordonner le traitement de ces trois crises. Pour cela aussi, l'implication de l'ONU serait un événement très positif.

Bien entendu, comme le souhaitent les Nations unies, les autorités ivoiriennes et la CEDEAO, la France est déterminée à maintenir sa présence militaire jusqu'à la tenue des échéances électorales. Elle souhaite simplement que l'action menée bénéficie de la légitimité accrue que donne l'implication de l'ONU.

Parallèlement, la France a d'ores et déjà réorienté son dispositif de coopération civile : fin 2003, elle a engagé 2,3 millions d'euros en appui aux premières actions de redéploiement de l'administration, de préparation du programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion, condition essentielle du retour à la paix civile. En 2004, elle devrait consacrer à ces mêmes actions près de vingt-cinq millions d'euros. La communauté internationale, sollicitée, est également prête à prendre sa part de l'assistance nécessaire.

Beaucoup reste à faire, le processus doit encore avancer au cours des prochains mois, mais une bonne part du travail nécessaire a d'ores et déjà été faite. Le choix fait par la France de s'engager avec ses alliés était le bon.

M. Guy Lengagne a demandé au Ministre des indications sur la situation en République centrafricaine.

M. Dominique de Villepin a répondu que la situation dans ce pays s'améliorait. La France s'est beaucoup investie pour lui permettre de surmonter la crise. Celle-ci a évolué vers une stabilisation de la situation et on peut espérer une reprise prochaine de la coopération avec la France et avec les autres Etats ; les relations ont repris avec des pays voisins, tels que le Tchad. Des progrès ont donc été faits et d'autres sont en cours.

Evoquant certaines mésaventures subies par des Français voyageant à bord d'avions à destination des Etats-Unis, M. Jacques Myard a demandé quelle était l'action du ministère des affaires étrangères par rapport à ces situations.

M. Dominique de Villepin a noté que la société américaine est marquée par une obsession de la sécurité, laquelle n'est pas seulement conjoncturelle et imputable aux événements du 11 septembre 2001. L'évolution vers davantage de sécurité est d'ailleurs générale et ne concerne pas seulement les Etats-Unis. Nos compatriotes doivent en prendre acte.

M. François Loncle a estimé que l'on ne pouvait pas blâmer les autorités américaines sur ce point précis, beaucoup d'autres pays subissant une évolution analogue.

Faisant état d'informations au terme desquelles des responsables polonais considéreraient qu'un compromis pouvait rapidement être trouvé sur le projet de Constitution européenne, le Président Edouard Balladur a demandé au Ministre son opinion sur cette éventualité.

M. Dominique de Villepin a répondu que si la volonté d'aboutir le plus tôt possible était partagée par tous, il n'y avait pas aujourd'hui d'évolution de fond, ni de propositions nouvelles. La France va multiplier les rencontres et les occasions de dialogue. Cependant, le projet actuel répond à une ambition européenne forte. Il convient donc de ne pas céder à la tentation de l'affadir.

Répondant ensuite à une question de M. Pierre Lequiller, M. Dominique de Villepin a ajouté qu'il était persuadé que le temps ferait son effet dans la mesure où l'ambition pour l'Europe n'était pas négociable du point de vue de la France. Le projet de Constitution européenne repose sur deux principes, le principe d'efficacité, qui suppose une Commission resserrée, et le principe de démocratie, qui impose le vote à la double majorité. La France souhaite que les avancées soient faites sur la base d'une véritable ambition européenne. Parmi les éléments favorables à ce souhait figure le fait que, dans l'environnement international actuel, chaque Etat de l'Union, notamment les nouveaux entrants, voit que son intérêt passe par le renforcement de l'Union européenne. La présidence irlandaise, par son sérieux, son bon sens et sa volonté de compromis, permettra de faire avancer le dossier. Les impulsions que pourront donner la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne viendront en soutien des efforts de l'Irlande.

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