COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 10 février 2004
(Séance de 17 heures 45)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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ompte-rendu de la mission effectuée en Pologne
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Compte-rendu de la mission effectuée en Estonie, Lettonie et Lituanie
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Compte-rendu de la mission effectuée à Malte et Chypre
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Compte-rendu de la mission effectuée en Hongrie, Slovénie et République tchèque
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Compte-rendu de la mission effectuée en Slovaquie


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Mission effectuée en Pologne

Mme Martine Aurillac a indiqué qu'elle s'était rendue en Pologne les 8 et 9 décembre 2003 à un moment décisif, une dizaine de jours avant le Sommet de Bruxelles qui n'avait pas permis d'aboutir à l'adoption du projet de constitution européenne. Elle a précisé qu'elle avait pu s'entretenir avec des membres de la société civile et des responsables de la délégation représentant l'Union européenne, ainsi que les personnalités en charge de l'élargissement côté polonais. Elle a constaté que les relations bilatérales étaient moins tendues depuis la visite de M. Jean-Pierre Raffarin. L'ensemble des personnes rencontrées se sont étonnées du ton de la presse française insistant sur l'accueil volontairement froid des autorités polonaises. Même si les désaccords sur le contenu du texte de la Convention subsistaient, la visite du Premier Ministre avait, du point de vue polonais, permis de lever certains malentendus et était considérée comme un succès.

Il ne faut pas mésestimer le poids de l'histoire polonaise du vingtième siècle. Celle-ci explique un nationalisme sourcilleux mais aussi les interrogations des intellectuels et historiens polonais sur un passé souvent mal connu et parfois peu glorieux selon eux. Néanmoins, il est reproché à la France et surtout aux Français leur réticence face à l'élargissement et leur méconnaissance de l'évolution de la Pologne. Ceci paraît d'autant moins compréhensible qu'il y a de longue date en France une forte immigration polonaise, que la France a accueilli dans les années quatre-vingt des membres de Solidarité, et que les entreprises françaises sont très présentes sur le marché polonais, notamment dans le secteur de la distribution. La France est d'ailleurs le premier investisseur étranger en Pologne, aussi les responsables polonais s'étonnent-ils du manque d'implication de ces sociétés dans l'évolution économique et sociale de la Pologne.

Elle a ensuite constaté que la relation franco-allemande était parfois perçue comme une menace. Si le renforcement du triangle de Weimar est souhaité, des efforts spécifiques pour tisser des liens plus étroits entre la France et la Pologne sont demandés, notamment à travers une coopération culturelle plus étroite, des jumelages plus nombreux. Sur ce point, l'année de la Pologne en France de mai à décembre 2004 suscite une forte espérance qu'il ne faudra pas décevoir.

Mme Martine Aurillac a estimé que la Pologne était prête à entrer dans l'Europe malgré son pessimisme, certaines singularités et des retards persistants. L'ordre établi à Yalta a enfin disparu, ce qui est positif pour les Polonais. Néanmoins les médias sont pour la plupart très eurosceptiques, ce qui a pesé sur le débat public avant la Conférence intergouvernementale de Bruxelles, débat nourri des interrogations sur le périmètre de la future Europe élargie, de sa constitution future et des incertitudes économiques, car la Pologne doit faire un effort de rigueur économique pour entrer dans l'Union européenne. Elle a souligné combien la période actuelle de transition était difficile pour la société polonaise qui vit une énorme transformation, conciliant difficilement le statut de futur adhérent et la prise en compte du débat sur la Convention qui perdure sans doute après l'échec de la Conférence intergouvernementale de Bruxelles.

La protection sociale offerte par l'Union européenne paraît souvent insuffisante aux Polonais. L'adaptation aux normes alimentaires européennes ne va pas de soi aussi bien pour les agriculteurs que pour le secteur agro-alimentaire, ce qui génère une certaine méfiance à l'égard de l'Europe.

L'administration publique compte 120 000 agents dont 1 000 seulement ont été recrutés sur concours. Chaque changement de ministre entraîne une modification substantielle des organigrammes et par là même le départ des personnes responsables des dossiers, ce qui rend leur suivi aléatoire et ralentit le processus de décision.

Varsovie offre le spectacle d'une grande capitale européenne, ce qui montre que la Pologne a accompli des progrès très sensibles. Toutefois, certains secteurs comme l'agriculture, l'audiovisuel, et plus généralement le fonctionnement de l'administration doivent impérativement progresser.

Lors de la visite, il était évident que la classe politique comme la société civile polonaise ne souhaitaient pas que le Traité de Nice soit remis en question. Cela semble avoir évolué depuis. Un pessimisme typiquement polonais selon certains était largement perceptible, une conception peu offensive de l'entrée dans l'Union européenne était majoritairement défendue. Obtenir une minorité de blocage semblait être une volonté commune. L'idée de rassembler une majorité au sein de l'Union sur des propositions concrètes et utiles pour la Pologne ne paraissait pas encore intéresser les responsables polonais. Cette position semble actuellement se nuancer. Faire savoir que la Pologne est un grand pays doté d'une histoire et d'une culture riche est un objectif essentiel. Chacun est soucieux de la souveraineté nationale, même les plus pro-Européens. C'est pourquoi l'application du Traité de Nice est exigée. Il faut selon les Polonais le laisser fonctionner. On peut se demander, après cette mission, si la Pologne n'a pas joué une sorte de partie de poker menteur.

La lettre des six marquant la volonté de plafonner le budget communautaire à 1 % du PIB a certes été interprétée comme une tentative de pression sur la Pologne, mais elle lui a également révélé les conséquences de son intransigeance. La rencontre des ministres des Affaires étrangères du triangle de Weimar le 16 janvier dernier a conduit semble-t-il à un changement de ton de la Pologne qui cherche actuellement une solution de compromis sur la future constitution et l'épineuse question de la pondération des voix au Conseil. La Pologne montre également son intérêt pour une coopération renforcée en matière de défense.

Ces dernières évolutions tendent à démontrer qu'il conviendra de renforcer les relations bilatérales franco-polonaise et les échanges, à tous les niveaux, politique, économique et culturel. Il existe une attente à l'égard de la France liée à l'histoire et de ce fait des demandes parfois contradictoires, mais un compromis est peut-être à notre portée en utilisant le dialogue et la pédagogie.

Le Président Edouard Balladur a demandé sur ce qu'il convenait de comprendre « du passé peu glorieux de la Pologne » évoqué par les intellectuels rencontrés.

Mme Martine Aurillac a expliqué que ceux-ci faisaient référence aux pogroms.

M. René André s'est déclaré sceptique sur les attentes de la Pologne vis-à-vis de la France qui lui importe peu. Les jeunes générations sont tournées vers les Etats-Unis. D'ailleurs, l'on parle plus volontiers anglais que polonais dans les ambassades polonaises.

Il a dénoncé l'état d'impréparation de l'adhésion de la Pologne en matière de douanes, de police, de lutte contre la corruption, alors qu'elle a reçu des aides pour renforcer la surveillance de sa frontière avec l'Ukraine et la Biélorussie. Les mesures prises ne répondent pas à l'attente de la Commission européenne.

Il a néanmoins fait valoir que la France était le premier investisseur économique en Pologne.

M. Loïc Bouvard a constaté un changement d'attitude dans le domaine des langues de la part des Polonais depuis plus de dix ans. L'anglais a fait de considérables progrès, alors qu'auparavant ceux-ci s'exprimaient plus volontiers en français.

M. Gilbert Gantier a fait valoir que, pendant l'époque communiste, les relations entre la Pologne et la France étaient plus chaleureuses.

Mme Martine Aurillac a reconnu que les Etats-Unis étaient présents en Pologne comme ailleurs et que la pratique de la langue française déclinait en Pologne. Elle s'est demandé si la France avait fait des efforts suffisants pour que la pratique de la langue française ne soit pas délaissée. Elle s'est ensuite défendu de prôner la faiblesse, plaidant pour le renforcement du dialogue et de la pédagogie. Depuis quelque temps, on constate un changement, il est donc possible de trouver un compromis.

Elle a admis que la corruption restait un problème important et que s'il ne lui avait pas été possible de vérifier la manière dont les Polonais contrôlaient leurs frontières, elle avait pu constater dans d'autres domaines, d'importants retards dans la préparation de l'entrée de la Pologne.

Mission en Estonie, Lettonie et Lituanie

M. Bernard Schreiner a indiqué qu'une délégation de la Commission des affaires étrangères s'était rendue en Estonie, en Lettonie et en Lituanie du 2 au 5 décembre 2003.

Les Estoniens se sont présentés comme des Européens actifs et dynamiques, estimant néanmoins que les choses vont trop vite et qu'on aurait pu en rester au Traité de Nice. Après les efforts accomplis depuis l'indépendance et pour reprendre l'acquis communautaire, les Estoniens aspirent à moins de réformes. L'Estonie craint, au-delà des messages volontaristes en matière européenne, que l'Europe n'avance à plusieurs vitesses. Malgré leur désir de figurer dans le peloton de tête, les Estoniens ne sont pas certains de pouvoir suivre le rythme franco-allemand.

Le Parlement estonien s'apprête à voter un dispositif législatif affirmant son rôle dans les négociations communautaires. L'expérience nordique a été utilisée pour forger cet instrument. Les parlementaires estoniens ont par ailleurs insisté sur la nécessité d'introduire plus de transparence dans la diffusion au public des documents.

Enfin, à l'occasion de ces différents entretiens, la question de la Russie a été abordée. Face aux menaces russes de ne pas appliquer l'accord Union européenne - Russie aux dix nouveaux Etats membres après le 1er mai 2004 et donc de continuer à imposer un double tarif douanier aux biens importés d'Estonie, Tallinn espère bien que l'Union défendra fermement ses intérêts.

A Riga, la délégation a rencontré plusieurs ministres ainsi que des parlementaires lettons. Les interlocuteurs ont rappelé les objectifs de leurs pays, en particulier l'obtention de cinq sièges de députés au Parlement Européen, le maintien de l'unanimité sur la fiscalité et le besoin d'une coordination entre les dispositifs de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) et l'OTAN, considérée comme le garant de la sécurité lettonne.

Sur l'enseignement du français, le Ministre de l'Education a dressé un bilan satisfaisant, notant la bonne performance du lycée français de Riga, qui ne connaît pas de problème de recrutement d'enseignants et fait face à une demande en hausse constante. La discussion a ensuite porté sur la réforme du système éducatif letton (écoles des minorités nationales). Il faut souligner qu'une partie des russophones est mobilisée contre cette réforme qui oblige les écoles publiques russes à prévoir des enseignements en letton dans le secondaire.

Sur le pacte de stabilité, la Secrétaire d'état adjointe au ministère des Finances a rappelé que la Lettonie s'était gardée de critiquer la France, mais que Riga suivait attentivement les débats du conseil Ecofin, car le rapport du déficit et du PIB de la Lettonie n'est pas très éloigné de la limite des 3 %. Elle espère que la Lettonie pourra compter sur le soutien des grands pays en cas de problème budgétaire similaire.

Le Ministre de l'Agriculture a pour sa part confirmé qu'il restait encore beaucoup à faire pour mettre l'agriculture lettone au niveau européen, car 13 à 14 % de la population produit 4 à 5 % de la richesse du pays. Les autorités travaillent donc dans deux directions : la promotion d'autres activités dans les régions rurales et le rattrapage de productivité dans les grandes exploitations. Le Ministre a également évoqué des réalisations franco-lettonnes, qu'il a qualifiées d'inventives et innovantes, mais dont il souhaiterait voir à nouveau des résultats probants. Il s'est dit intéressé par un transfert d'expérience dans le domaine des coopératives et de l'accès au crédit.

La délégation a achevé sa mission le 5 décembre en se rendant à Vilnius. Les entretiens se sont déroulés sur fond de crise politique. Le Président Rolandas Paksas, auquel sont reprochés des liens avec des milieux mafieux russes, était alors confronté à une procédure d'empêchement.

S'agissant de l'adhésion à l'Union européenne, les Lituaniens se sont dits satisfaits des conditions financières : la Lituanie doit en effet être bénéficiaire nette dès 2004. Sur le plan institutionnel, Vilnius aura un Commissaire européen, sept voix au Conseil et douze députés au Parlement européen, ce qui la situe au niveau de l'Irlande, de la Finlande et du Danemark. Les interlocuteurs lituaniens se sont aussi déclarés satisfaits des résultats du Conseil Européen de Nice, qui procède à un décrochage en leur faveur par rapport aux deux autres Etats baltes, essentiellement pour des raisons démographiques.

Parmi les trois Etats baltes, la Lituanie entretient les relations les moins conflictuelles avec la Russie, car elle n'a qu'une petite minorité russophone (moins de 8 % de la population). La question longtemps épineuse d'un transit des ressortissants russes de Kaliningrad a été réglée par l'insertion d'un protocole dans le Traité d'adhésion à l'Union. Demeure le problème de l'interdépendance énergétique utilisé par Moscou comme moyen de pression pour faire prévaloir ses vues et développer ses intérêts économiques.

Répondant aux questions de MM. Loïc Bouvard et René André sur l'enclave de Kaliningrad, M. Bernard Schreiner a précisé que cette question était réglée. Il a souligné que les trois pays baltes attachaient une grande importance à leur identité nationale. Il convient donc de ne pas parler des trois pays baltes, mais de bien distinguer la particularité propre à chacun d'entre eux.

Mission à Chypre et Malte

M. Jean-Marc Nesme a fait le compte rendu de la mission à Chypre. Il a tout d'abord indiqué que Chypre possédait tous les atouts pour réussir son adhésion à l'Union européenne. L'île est par exemple le pays le plus prospère du prochain élargissement et ses indicateurs économiques sont tous excellents, qu'il s'agisse de la croissance, de l'inflation ou du chômage (inférieur à 4 %). Chypre espére d'ailleurs adopter l'euro dès 2007.

En ce qui concerne les adaptations nécessaires à l'entrée dans l'Union européenne, Chypre fait, là encore, figure de bon élève puisque la Commission européenne a considéré que ce pays était, avec la Slovénie, le pays le plus en avance dans la mise en œuvre de l'acquis communautaire, en dépit de quelques retards, qui font l'objet d'un effort particulier comme la sécurité maritime.

M. Jean-Marc Nesme a ensuite fait remarquer que ces nombreux éléments positifs étaient bien évidemment masqués par la persistance de la partition de l'île. Ainsi, à partir du 1er mai 2004, sauf si l'on parvient - ce qui est hautement improbable - à un accord, des territoires appartenant juridiquement à l'Union européenne seront occupés par une armée étrangère. On se trouvera donc dans une situation paradoxale avec un membre de l'Union européenne en partie occupé militairement par une armée d'un pays, lui-même candidat à l'Union européenne. Par ailleurs, sur un plan pratique, la persistance de la partition entraînerait des conséquences réelles, puisqu'une frontière extérieure de l'Union européenne ne serait pas contrôlée par un Etat-membre. Compte tenu de la position géographique de Chypre, le risque serait grand que cette situation favorise l'immigration clandestine. Il a indiqué que les Chypriotes grecs estimaient qu'une éventuelle réunification sur la base du plan Annan, c'est-à-dire l'établissement d'une coopération, pourrait se faire dans un climat pacifié entre les deux communautés, qui sont parfaitement en mesure de coexister.

M Jean-Marc Nesme a ensuite fait le compte-rendu de la mission à Malte. Il s'est d'abord attaché à montrer les particularités de l'île, qui sera le plus petit Etat de l'Union européenne, tant par sa population (400 000 habitants) que par sa taille (316 km²). Sa situation économique est bonne, ce qui peut expliquer qu'un membre de la Commission des Affaires étrangères du Parlement maltais ait exprimé des critiques sur la situation budgétaire de la France. Il lui a été répondu qu'il ne fallait pas oublier que la France avait des engagements particuliers dans des domaines comme la défense ou l'aide au développement.

Il a ensuite indiqué que Malte était le pays le plus eurosceptique parmi les nouveaux adhérents, le « Oui » à l'adhésion ayant obtenu 53,65 %, résultat qui contraste largement avec ceux obtenus dans les autres pays. L'adhésion à l'Union européenne a longtemps été retardée car il existait un profond désaccord entre le parti nationaliste au pouvoir et le parti travailliste, défavorable à l'adhésion. Cependant, suite au referendum de mars 2003, le Premier ministre a dissous l'Assemblée et sa majorité a été reconduite. Depuis, le parti travailliste a évolué et semble désormais considérer l'adhésion de Malte comme irrévocable.

M. Jean-Marc Nesme a estimé que l'adhésion de Malte pourrait constituer un véritable apport à l'Union européenne en raison de sa position géographique au cœur de la Méditerranée. L'appartenance de Malte à l'Union européenne va renforcer la dimension méditerranéenne de la construction européenne permettant ainsi de conforter le dialogue en direction des pays de la rive Sud avec lesquels Malte entretient d'excellentes relations et une certaine proximité culturelle et linguistique.

Ainsi, en dépit de sa petite taille, l'appartenance de Malte à l'Union européenne sera très utile, notamment pour les pays comme la France qui considèrent que l'Union européenne ne doit pas se désintéresser de sa façade méditerranéenne.

Le Président Edouard Balladur a fait remarquer que l'entrée de Malte dans l'Union européenne ne posait pas de difficulté particulière, tandis que celle de Chypre constituait, au contraire, en raison de l'occupation d'une partie de son territoire par une armée étrangère, un problème sérieux pour l'Union européenne. En revanche, ces deux pays ont un point commun, leur faible population, qui pose nécessairement la question de la structure institutionnelle d'une Europe qui compte des nations de 400 000 habitants et d'autres de 80 millions.

M. Jean-Claude Guibal a indiqué qu'il avait cru comprendre que Malte disposait de dérogations lui permettant d'être une place forte du commerce par internet.

M. Jean-Marc Nesme a répondu qu'il ne disposait pas d'informations sur cette question, mais que sur un autre point les Maltais avaient été de très bons négociateurs puisqu'ils ont obtenu que le maltais soit langue officielle de l'Union.

M. Loïc Bouvard a considéré qu'il ne fallait pas exagérer l'importance d'un pays comme Malte pour le développement des relations avec les pays méditerranéens, dont l'Union européenne et l'OTAN ont fait une de leurs priorités.

M. Jean-Paul Bacquet s'est demandé s'il était possible pour l'Union européenne de compter en son sein pendant longtemps un pays coupé en deux.

M. Jean-Marc Nesme s'est dit convaincu que cette situation ne pourrait pas durer et que l'Union européenne ferait tout pour que le plan Annan soit accepté par les deux parties. Par ailleurs, il est possible que la candidature turque à l'Union européenne interfère d'une manière ou d'une autre avec le résultat des négociations en cours.

M. François Loncle, faisant allusion au débat né entre députés français et maltais sur le pacte de stabilité, a déploré un défaut très français qui nous conduit à agir en donneurs de leçons.

M. Jean-Paul Bacquet a estimé qu'il fallait prendre en compte le fait que l'on ne parle pas toujours le même langage que nos interlocuteurs, ayant pu le constater lors d'une rencontre avec des parlementaires polonais sur des questions aussi diverses que la laïcité, les relations avec les Etats-Unis ou la politique agricole commune.

Mission en Hongrie, Slovénie et République tchèque

M. François Loncle a tout d'abord déclaré que la période soviétique avait constitué pour les pays d'Europe centrale un traumatisme considérable, dont l'impact est souvent sous-estimé par les autorités françaises. Cette situation explique que ces pays privilégient l'OTAN pour assurer leur sécurité et qu'ils n'opposent jamais le Pacte atlantique à la construction d'une Europe de la défense. La reprise de l'acquis communautaire a été très contraignante pour les populations et il faut bien mesurer l'importance de leur effort. Le pourcentage de voix favorables à l'adhésion à l'Union européenne s'est élevé à 89 % en Slovénie, à 83 % en Hongrie et à 77 % en République tchèque.

La mission conduite en Slovénie a eu lieu le 3 décembre 2003. La Slovénie est le seul Etat de l'ex-République fédérale de Yougoslavie qui s'apprête à intégrer l'Union européenne à l'occasion du futur élargissement. Petit pays de près de deux millions d'habitants, son PIB par habitant est à 71 % de la moyenne des pays de l'Union européenne, soit le meilleur résultat des dix nouveaux pays en dehors de Chypre. Ses indicateurs économiques sont bons, l'inflation est maîtrisée et la Slovénie envisage d'intégrer la zone euro en 2007.

Les seules insuffisances relevées par la Commission européenne concernent le système judiciaire qui demeure encore inefficace et qui doit faire l'objet d'une politique de réforme volontariste. Par ailleurs, la frontière terrestre avec la Croatie (670 kilomètres) doit être mise aux normes Schengen. A cette fin, l'Union européenne verse une aide spéciale. Cette frontière nourrit quelques tensions puisqu'à l'heure actuelle les ressortissants des anciennes républiques de Yougoslavie ne peuvent plus se rendre en Slovénie sans visa.

Sur la réforme des institutions européennes, la Slovénie, comme les autres petits pays, demande que chaque Etat membre dispose d'un Commissaire doté du droit de vote. Il est vrai que la Slovénie, comme les autres nouveaux Etats de l'Union ont envisagé leur adhésion sur la base du Traité de Nice et qu'il est difficile pour eux de revenir sur ce que leur population considère comme acquis.

La mission conduite en Hongrie a eu lieu le 4 décembre 2003. Pays de dix millions d'habitants, dont deux millions vivent à Budapest, la Hongrie est aujourd'hui très majoritairement dans un système d'économie de marché, puisque les trois quarts du produit intérieur brut proviennent du secteur privé. La France est le troisième investisseur sur place après l'Allemagne et les Etats-Unis.

Le représentant de la Commission européenne sur place a indiqué que le problème le plus préoccupant en terme de reprise de l'acquis communautaire concernait l'application des normes sanitaires dans le secteur agricole.

S'agissant de la réforme des institutions européennes, les Hongrois font preuve d'une grande modération et ont souligné qu'ils tenaient à se démarquer de la Pologne et de l'Espagne dont les positions ont abouti à l'échec de la Conférence intergouvernementale de Bruxelles. La Hongrie reste attachée au principe d'un Commissaire par pays avec droit de vote. En outre, le Ministre des Affaires européennes a fait part de ses doutes quant au statut du Ministre des Affaires étrangères européen, à la fois membre du Conseil et de la Commission. Enfin, les parlementaires rencontrés comme les représentants de l'exécutif ont fait part de leur intérêt pour la mise en place d'une politique de défense européenne, dès lors que celle-ci n'est pas en contradiction avec l'OTAN.

Pour la Hongrie, la question la plus sensible est celle des minorités et il est apparu qu'elle était prête à faire de nombreuses concessions, dès lors que la future constitution européenne traite de cette question. En effet, les minorités magyares sont particulièrement nombreuses et la Hongrie souhaite, dans la mesure du possible, éviter que son intégration à l'Union ne provoque une coupure avec ces minorités, dont la population est de 1,8 million en Roumanie, 600 000 en Slovaquie, 300 000 en Voïvodine et 150 000 en Ukraine.

Enfin, les représentants de l'exécutif hongrois ont souligné leur intérêt pour l'intégration rapide des Balkans occidentaux dans l'ensemble européen, surtout de la Croatie, qui apparaît comme le candidat préféré de la partie hongroise. En revanche, sur la Turquie, les membres de l'exécutif ont fait part de leurs regrets quant aux atermoiements actuels en estimant qu'il vaudrait mieux bâtir un partenariat économique solide avec la Turquie plutôt que de la maintenir dans l'illusion de sa prochaine intégration.

M. François Loncle a ensuite fait état de la mission conduite fin janvier 2004 en République tchèque. Il a évoqué la situation politique de ce pays dont il convient de tenir compte pour analyser les questions européennes. Depuis les élections législatives des 14 et 15 juin 2002, la République tchèque est gouvernée par une coalition de centre-gauche emmenée par le Premier ministre, M. Spidla. En s'alliant avec les partis centristes, jeunes et europhiles, celui-ci a rejeté dans l'opposition la droite libérale représentée par l'ODS, le parti du Président Vaclav Klaus.

Les 13 et 14 juin 2003 a eu lieu le référendum sur l'adhésion à l'Union européenne. La participation a été de 55,2 % et les votes en faveur du oui ont représenté 77,3 %. Les électeurs de la droite libérale (ODS) sont les plus en faveur de l'adhésion, alors que la direction de ce parti est très réticente, tout comme l'électorat communiste. Ainsi, si la coalition actuelle souhaite l'aboutissement du projet de Constitution, le Président Klaus et l'ODS y sont plutôt hostiles. Même si le passage à 25 membres va constituer un véritable choc pour les institutions européennes, la République tchèque est convaincue que l'Union trouvera de nouveaux mécanismes pour y faire face. Le Traité de Nice a permis l'élargissement, il constitue une base pour fonctionner à 25, voire même à 27. Les travaux de la Convention ont donné une vision, même s'il est dommage qu'ils n'aient pas abouti. La crainte de l'axe franco-allemand est forte. S'agissant des relations avec la Russie, l'un des acquis de l'Union européenne est que l'adhésion met fin au face à face avec ce pays.

Sur le plan économique, la République tchèque est parmi les meilleure des dix futurs adhérents. Le seul critère qu'elle ne remplisse pas actuellement est celui du déficit budgétaire, qui atteint 7 %. En entrant dans l'Union, la République tchèque considère que l'Europe doit également être un acteur politique reconnu sur la scène mondiale et pas seulement un acteur économique. Plus l'Europe sera forte, plus le dialogue sera facile avec l'allié américain.

Concernant plus spécifiquement l'Irak, il est important de privilégier le dialogue afin de trouver une solution pour la population irakienne. La République tchèque fait partie de la coalition en Irak et elle joue un rôle dans la reconstruction : elle est en position d'allié tout en n'ayant pas participé aux opérations militaires.

S'agissant de l'adhésion de la Turquie et des Balkans, la position tchèque est proche de la position française dans la mesure où c'est le respect des critères d'adhésion qui prime. A ce titre, l'ex-Yougoslavie fait incontestablement partie de l'Europe et les pays qui en sont issus ont vocation à adhérer. Sur la Turquie, si l'engagement remonte à 1963, il convient de rester très discret sur l'échéance du 31 décembre. Le règlement de la question chypriote semble néanmoins un préalable, sachant que les responsabilités sont partagées entre, d'une part, les Chypriotes grecs, et d'autre part, les Chypriotes turcs.

Sur l'agenda européen, la République tchèque déplore l'instauration d'une période de transition pour la libre circulation des travailleurs et s'interroge sur les motifs qui ont guidé les réflexions des Quinze. En effet, l'opinion publique voit d'un mauvais œil cette transition, dans la mesure où la République tchèque ne présente aucune frontière extérieure à l'UE. Par ailleurs, aucune migration massive de main d'œuvre n'est à craindre, car celle-ci n'est ni très mobile, ni très flexible. La République tchèque souhaiterait en conséquence que cette période transitoire soit supprimée pour les titulaires d'un passeport tchèque et que cette question délicate ne soit pas traitée d'un bloc pour les dix nouveaux adhérents, mais de façon sélective.

Enfin, l'échec du sommet de Bruxelles a relancé le débat sur l'Europe à deux vitesses. La République tchèque déplore une telle évolution, néanmoins si elle devait se réaliser, elle souhaiterait faire partie du noyau dur.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que l'Europe à deux vitesses était pour certains la conséquence de l'élargissement et pour d'autres un danger. Si la République tchèque souhaite faire partie du premier cercle, il convient de poser la question de savoir si elle est politiquement et techniquement prête à adhérer à l'euro, ce qui suppose qu'elle remplisse les critères requis.

M. François Loncle a répondu que la République tchèque estimait pouvoir adhérer à l'euro en 2007.

Mission en Slovaquie

M. Gilbert Gantier a indiqué que la mission en Slovaquie s'était déroulée du 3 au 5 février 2004. Il s'est tout d'abord dit étonné de la prospérité de Bratislava, l'ancienne Presbourg. Les entretiens ont porté sur les perspectives européennes de la Slovaquie, les relations transatlantiques et la défense européenne, ainsi que les relations franco-slovaques.

Concernant les perspectives européennes de la Slovaquie, ce pays ne redoute pas les risques d'une Europe à deux vitesses. La Slovaquie a par exemple conscience qu'elle ne peut tirer profit du marché européen, si elle ne consolide pas sa situation économique nationale. Elle a donc engagé des réformes économiques d'envergure. Pour cette raison, le Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères a souligné que l'adhésion des nouveaux membres ne serait pas un fardeau pour les Quinze. Bratislava veut au contraire une économie compétitive et doit aussi contribuer à la prospérité de la France à travers les investissements importants du groupe PSA en Slovaquie.

Le vice-Président de la Commission des Affaires étrangères a, pour sa part, souligné que son pays était prêt à faire des compromis. Le système de vote reste le point essentiel pour la Slovaquie, qui penche davantage pour le dispositif arrêté à Nice, même si l'idée de la double majorité ne lui pose pas de problème majeur. Il a en outre rappelé son attachement à une référence au christianisme dans le préambule de la constitution européenne.

Sur la mise en place d'une politique de défense européenne, le vice-Président de la Commission des Affaires européennes, a affirmé que le Gouvernement slovaque y était favorable à condition d'éviter les doublons avec l'OTAN. Plusieurs parlementaires ont rejoint cette position, en précisant qu'il fallait aller de l'avant en matière de défense européenne et renforcer les mécanismes de coopération entre les Etats-Unis et l'Union européenne dans ce domaine. Evoquant les différends transatlantiques sur l'Irak, les parlementaires slovaques n'ont pas critiqué les positions françaises sur le fond, mais ils ont estimé que la France avait fait preuve d'un peu trop de zèle face aux Etats-Unis.

Tous les interlocuteurs slovaques ont exprimé l'espoir d'un renforcement des relations franco-slovaques. Le vice-Président de la Commission des Affaires européennes souhaite que la culture française renforce sa présence en Slovaquie. Il convient selon lui de renforcer les éléments d'une culture européenne face à la déferlante commerciale américaine.

M. Gilbert Gantier a conclu en soulignant l'atmosphère chaleureuse dans laquelle ces échanges se sont déroulés. La mission a permis de démontrer la grande proximité de vues entre la France et la Slovaquie sur la plupart des grands dossiers et notamment face aux prochaines échéances européennes. Les Slovaques ont aussi mis en relief l'attente d'une plus grande présence de la France : les responsables slovaques ont ainsi tous à l'esprit que la France reste le seul pays des Quinze dont ni le Président, ni le Premier ministre, ni le Ministre des Affaires étrangères, ne sont venus à Bratislava depuis l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Dzurinda en 1998.

Répondant à une question du Président Edouard Balladur, M. Gilbert Gantier a rappelé que la Slovaquie avait constitué le cœur de la Grande Moravie qui connut son apogée au IXème siècle. L'invasion des Magyars à partir du début du Xème siècle mit un terme à la structure étatique du territoire slovaque. Ceux-ci l'annexèrent et en firent une province hongroise, ce qu'elle est demeurée jusqu'au terme de la première guerre mondiale.

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