COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 37

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 avril 2004
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Roland Blum, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Décision relative à une modification des statuts du Système européen de banques centrales et de    la Banque centrale européenne (n° 1514) - rapport

- Accord avec la République populaire de Chine sur la création et les statuts des centres culturels    (n° 1418) et accord avec le Gouvernement de la République de Slovénie relatif au statut et au    fonctionnement des centres culturels (n° 1419) - rapport

- Compte-rendu d'une mission effectuée en Roumanie

- Compte-rendu d'une mission effectuée en Côte d'Ivoire



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Décision relative à une modification des statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Christian Philip, suppléant M. Philippe Cochet, empêché, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la décision du Conseil réuni au niveau des chefs d'Etats ou de Gouvernement du 21 mars 2003 relative à une modification de l'article 10.2 des statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (n° 1514).

M. Christian Philip a tout d'abord indiqué que la Banque centrale européenne (BCE) avait adopté, le 3 février 2003, une recommandation de décision portant réforme du fonctionnement de son instance décisionnelle, le Conseil des gouverneurs. Ce processus a été engagé en prévision de l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux membres le 1er mai prochain et des élargissements à venir. Cette recommandation a été adoptée sans modification le 21 mars 2003 par le Conseil de l'Union européenne réuni au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement. Il reste maintenant aux Etats membres de l'Union européenne à ratifier ce texte pour qu'il puisse entrer en vigueur.

Dans le Système européen de banques centrales (SEBC) mis en place, la BCE est composée de trois instances. Le Directoire se compose du Président qui est actuellement M. Jean-Claude Trichet, du Vice-Président et de quatre autres membres. Il est chargé d'administrer la banque. Le Conseil des gouverneurs se compose des membres du Directoire et des gouverneurs des Banques centrales nationales (BCN) des douze Etats membres ayant adopté l'euro. Son rôle est d'arrêter les orientations. Il existe également un Conseil général qui se compose du Président et du Vice-Président de la BCE ainsi que des gouverneurs des BCN des quinze Etats membres. Celui-ci a néanmoins vocation à disparaître dès que tous les pays de l'UE auront rejoint la zone euro.

La réforme proposée consiste à mettre fin au système « un membre un vote » qui s'appliquait jusqu'à présent au Conseil des gouverneurs et à répartir les gouverneurs en deux ou trois groupes, en fonction du poids économique et de la puissance financière des Etats dans la zone euro, avec des droits de vote distincts et une fréquence d'exercice du droit de vote distincte. Jusqu'à vingt-et-un gouverneurs, il y aura deux groupes, puis trois à partir de 22 gouverneurs. L'appartenance à un groupe en fonction du poids économique du pays jouera pour cinq sixièmes alors que la part de ce pays dans le bilan agrégé des institutions financières monétaires comptera pour un sixième. Le premier groupe sera composé des cinq gouverneurs des pays les plus importants économiquement qui se verront attribuer quatre droits de vote. Cela signifie qu'un des grands ne disposera plus systématiquement du droit de vote. Toutefois, le Conseil des gouverneurs, statuant à la majorité des deux tiers de l'ensemble de ses membres, qu'ils disposent ou non du droit de vote, peut décider de différer l'application du système de rotation jusqu'à la date à laquelle le nombre de gouverneurs est supérieur à dix-huit. L'objectif ainsi poursuivi est de respecter la disposition du premier tiret de l'article 10.2 de la présente décision qui prévoit que la fréquence des droits de vote des gouverneurs du premier groupe ne doit pas être inférieure à celle des droits de vote des gouverneurs du second groupe.

Les mérites du système sont évidents : il s'agit de préserver la capacité de décision du Conseil des gouverneurs en introduisant une certaine hiérarchie entre les différents pays. A la date d'aujourd'hui, le premier groupe serait constitué de l'Allemagne, de la France, de l'Italie, de l'Espagne et des Pays-Bas.

M. Jacques Myard, après avoir remercié le Rapporteur pour la précision de ses propos, a fait part de son profond désaccord sur le système de vote proposé au sein de la BCE. La France appartiendrait ainsi au groupe 1 des cinq pays économiquement les plus importants, groupe qui ne détiendrait que 4 droits de vote. Son gouverneur serait donc, à certaines périodes, privé du droit de vote, ce qui est proprement inadmissible, et pose le problème de la nature de la Banque centrale européenne qui devient de ce fait une institution totalement technocratique. Quelle serait, en effet, la légitimité démocratique de cette institution si un pays comme la France, dont le poids économique au sein de l'UE est prépondérant, était privé de son droit de vote à un moment où la politique monétaire et la Banque centrale jouent un rôle décisif pour stimuler la croissance. Il est inacceptable que la France ne puisse pas, même temporairement, exercer son droit de vote. Il est indispensable que les membres de la Commission des Affaires étrangères en prennent conscience et que soit demandé le report de cette décision.

Par ailleurs, d'une manière générale, les modifications de statut ne devraient pas pouvoir se faire sans que le Parlement français soit à nouveau consulté. Il y a déjà eu dans le passé le précédent du Fonds monétaire international. Le Parlement avait à l'époque vivement réagi contre le fait que l'on puisse adopter des mesures au FMI qui apparaissaient comme techniques et qui privaient totalement la France de pouvoir ensuite dire non, la mettant devant le fait accompli. Si l'on peut comprendre qu'avec un Conseil des gouverneurs composé de 31 membres, des difficultés peuvent se présenter, et qu'ainsi, pour une fois, une règle de majorité est la bienvenue, il n'en demeure pas moins que priver de droit de vote l'un des Etats les plus importants sur le plan économique dans l'Union européenne est complètement aberrant. Il y a là un engagement politique qui risque d'être, quel que soit le gouvernement, véritablement dramatique, notamment lorsque l'opinion publique aura conscience que la France se verra imposer des décisions sur lesquelles elle se sera, par avance, privée de pouvoir dire oui ou non. Dans ces conditions, M. Jacques Myard a indiqué qu'il ne pouvait pas adopter le présent projet de loi.

M. Christian Philip a indiqué qu'il ne pouvait y avoir de modifications ultérieures de ce texte sans l'accord des Parlements nationaux dans la mesure où il s'agit d'une modification des traités et a fait observer qu'en l'espèce le Parlement était saisi du projet de loi visant à autoriser la ratification du futur dispositif de vote au sein de la BCE.

M. Jacques Myard a fait référence au premier alinéa de l'exposé des motifs. Aux termes de celui-ci, le vote du présent projet de loi équivaut à voter une clause d'habilitation qui prévoit que le Conseil de l'Union européenne réuni au niveau des chefs d'Etat et de Gouvernement peut recommander l'adoption de modifications. Est-ce à dire que le Parlement n'aura pas son mot à dire ?

M. Christian Philip a répondu que la lecture faite par M. Jacques Myard de ladite clause d'habilitation était erronée. Cette recommandation du Conseil doit être soumise à ratification des Parlements nationaux pour entrer en vigueur. L'exposé des motifs est d'ailleurs clair à ce sujet.

Par ailleurs, sur le fond, si ce texte aboutit à ce que par périodes de durée limitée, un des grands pays n'exerce pas son droit de vote, il faut souligner que ce système ne va pas s'appliquer dans l'immédiat et que tous les pays, y compris l'Allemagne, l'ont accepté. En réalité, la BCE procède par consensus et il est de tradition qu'aucune décision ne soit prise dans cette instance contre tel ou tel Etat. Toute décision est de ce fait prise collectivement.

M. Jacques Myard a de nouveau insisté sur l'extrême importance de ce sujet et affirmé son désaccord avec le Rapporteur sur ce point. M. Jean-Claude Trichet lui-même, lorsqu'il était gouverneur de la Banque de France et qu'il siégeait au sein de cette institution, a reconnu que les décisions étaient prises à la majorité. S'il y a bien sûr parfois un consensus, il peut également y avoir des votes et ceux-ci bien évidemment ne donnent pas lieu à un procès-verbal parce qu'il y a une règle qui veut que l'on ne mette pas cela par écrit. Pour ces raisons, cette modification du système de vote à la BCE est extrêmement néfaste.

Par ailleurs, M. Jacques Myard a ajouté que la seule réforme qui devrait être faite dans l'état actuel des choses consistait à permettre au Conseil européen de faire effectivement des recommandations à la Banque centrale pour qu'elle prenne en compte la nécessité de croissance. A cet égard, il a indiqué qu'il se proposait d'en saisir le Gouvernement.

M. Guy Lengagne a estimé que le problème soulevé par M. Jacques Myard était préoccupant, sinon grave, et que les arguments avancés militaient pour un report de la décision à prendre sur ce texte.

M. Serge Janquin a souligné que la BCE ayant été conçue comme devant être indépendante, ce statut conduisait aujourd'hui à une réflexion proche de celle avancée par M. Jacques Myard, dans la mesure où il n'y a pas de politique économique et sociale européenne affichée qui permettrait d'équilibrer le pouvoir de la BCE. Etant donné que la décision proposée n'interdit pas désormais qu'une décision soit prise contre les intérêts d'un pays, l'on ne peut que partager la position de M. Jacques Myard.

M. Gilbert Gantier a souhaité obtenir des précisions sur le processus législatif concernant ce projet de loi, pour lequel la convocation de la présente réunion indiquait qu'il avait été déposé sur le bureau du Sénat.

M. Christian Philip a répondu qu'étant donné l'urgence de ce texte, il avait été adopté en séance publique au Sénat le mardi 6 avril pour être ensuite examiné en séance publique à l'Assemblée le jeudi 8 avril, soit deux jours après. Dans ces conditions, l'impression du présent projet de loi doté d'un numéro Assemblée n'a pu être réalisée avant la tenue de la présente réunion de commission.

A l'initiative de M. Jacques Myard et en application de l'article 128, alinéa 2, du Règlement, une demande d'ajournement ainsi motivée a été proposée :

« L'Assemblée nationale est saisie d'un projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la décision du Conseil réuni au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement du 21 mars 2003 relative à une modification de l'article 10.2 des statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne.

Compte tenu de l'importance de ce texte, une audition du Ministre des Affaires étrangères par la Commission des Affaires étrangères s'impose afin d'éclairer l'Assemblée sur les enjeux de cette modification des Traités. Elle décide en conséquence d'ajourner le projet de loi (n° 1514)».

La demande d'ajournement ainsi motivée a été adoptée par la Commission des Affaires étrangères.

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La Commission vous demande donc de conclure à l'ajournement du projet de loi (n° 1514), en application de l'article 128, alinéa 2, du Règlement.

Accord avec la République populaire de Chine sur la création et les statuts des centres culturels et accord avec le Gouvernement de la République de Slovénie relatif au statut et au fonctionnement des centres culturels

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Gilbert Gantier, le projet de loi, adopté par le Sénat, portant approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine sur la création et les statuts des centres culturels (n° 1418) et le projet de loi, adopté par le Sénat, portant approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Slovénie relatif au statut et au fonctionnement des centres culturels (n° 1419).

M. Gilbert Gantier, Rapporteur, a tout d'abord indiqué que l'accord avec la Slovénie avait été signé le 17 octobre 2001 à Ljubljana. Il définit le statut du centre culturel français en Slovénie, ainsi que celui du futur centre culturel slovène à Paris. Cet accord marque l'approfondissement de nos relations bilatérales avec ce nouveau pays membre de l'Union européenne. Il n'affecte en rien notre centre culturel de Ljubljana qui fonctionne depuis 1967, mais il va le doter d'un cadre juridique plus précis. A titre d'information, le centre culturel français en Slovénie comporte actuellement sept agents permanents et quatre vacataires enseignant le français. Le présent accord doit permettre de conforter l'activité du centre français, alors que depuis l'an 2000 des centres culturels britannique, italien et allemand ont été ouverts dans la capitale slovène. L'accord prévoit en outre la création d'un centre culturel slovène à Paris. A l'heure actuelle, les autorités slovènes n'ont toutefois pas communiqué de projet d'implantation ni de calendrier précis de réalisation.

Le Rapporteur a ensuite présenté l'accord signé le 29 novembre 2002 à Paris qui porte sur la création d'un centre culturel français à Pékin et d'un centre culturel chinois à Paris. Cet accord est conforme aux règles habituellement applicables en la matière. La création d'un nouveau centre français à Pékin (dont l'ouverture est prévue en octobre 2004) et d'un centre chinois à Paris (ouvert le jour même de la signature de l'accord en 2002) se situe dans un contexte d'approfondissement des relations entre la France et la Chine décidé par le Président de la République et par le Président Jiang Zemin en octobre 1999. A ce titre, la France a été le premier pays à se voir proposer d'ouvrir un centre culturel libre d'accès à Pékin. L'ouverture du centre culturel chinois, situé près de l'esplanade des Invalides, constitue également une première dans un pays occidental. Le ministère des Affaires étrangères a saisi l'occasion de cet accord pour réorganiser l'implantation des services culturels français à Pékin. Les activités d'enseignement du français et les services chargés d'informer et de sélectionner les étudiants chinois désirant venir en France seront regroupés en un même lieu. De la sorte, les trois fonctions fondamentales des services culturels - l'information culturelle, scientifique et technique ; l'enseignement de la langue et de la civilisation ; l'organisation de manifestations culturelles - devraient gagner en efficacité. En effet, jusqu'à ce jour, le centre culturel est situé dans l'enceinte de l'ambassade de France à Pékin et, en l'absence d'autorisation par les autorités chinoises, son accès aux ressortissants chinois demeure très limité. Le présent accord permet d'y remédier, ce qui devrait conforter nos relations bilatérales avec la Chine dans le cadre du partenariat dont les termes ont été rappelés avec force lors de la visite d'Etat à Paris du président Hu Jintao en février dernier.

Le Rapporteur a conclu son propos en demandant à la Commission d'adopter les deux projets de loi.

M. François Loncle a indiqué que le groupe socialiste approuvait le développement des centres culturels. Il a néanmoins fait part de ses réserves quant à l'accord avec la Chine, sur lequel il a déclaré s'abstenir, en appelant les autorités françaises à la plus grande vigilance sur le respect des libertés et des droits de l'Homme par ce pays. Il a ensuite regretté la teneur des propos du Président de la République sur les questions de Taïwan et du Tibet lors de la visite d'Etat du Président Hu Jintao.

M. Gilbert Gantier, Rapporteur, a affirmé qu'il comprenait les préoccupations exprimées par M. François Loncle en matière de respect des droits de l'Homme. L'accord sur les centres culturels conclu avec la Chine constitue à cet égard un progrès, puisque le principe du libre accès au centre culturel français a été accepté par les autorités chinoises et qu'il est inscrit dans le texte même de l'accord.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a successivement adopté les projets de loi (nos 1418 et 1419).

Compte rendu d'une mission en Roumanie

M. Jean Roatta a présenté le compte rendu de la mission qu'il a effectuée en Roumanie du 17 au 20 février 2004 en compagnie de M. René Rouquet. Il a d'abord précisé que la mission s'était déroulée à un moment délicat puisqu'elle coïncidait avec la présentation devant la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen d'un rapport particulièrement critique sur la Roumanie, par la députée britannique Nicholson.

En effet, le dernier rapport d'étape de la Commission européenne indique que la Roumanie doit encore fermer huit chapitres de négociation (sur trente) : les principaux étant le domaine « Justice et Affaires intérieures », l'environnement, la concurrence et la mise en place de structures pour la mise en œuvre des fonds structurels...

Toutefois, l'inaptitude structurelle de la Roumanie à effectuer une réforme en profondeur de son système judiciaire et administratif - de fortes critiques s'élèvent quant au manque d'indépendance de la justice et à l'importance de la corruption - fait naître une certaine inquiétude quant à la capacité de ce pays à satisfaire les critères posés par l'Union européenne.

De plus, 2004 devait être l'année de clôture des négociations, mais il s'agit aussi d'une année électorale (élections locales, législatives et présidentielles), ce qui pourrait rendre encore plus difficile la mise en œuvre des réformes nécessaires.

M. Jean Roatta a estimé qu'il fallait malgré tout soutenir la candidature de la Roumanie qui dispose de certains atouts. Tout d'abord, après une décennie de récession (années 1990), la Roumanie connaît depuis 2001 une croissance soutenue (5 % en moyenne), avec un chômage et une inflation en baisse. Globalement, si le secteur public est en retard, ce n'est pas le cas du secteur privé qui s'est adapté aux normes européennes et est très dynamique. De même, le niveau moyen de formation des employés roumains est très apprécié des investisseurs étrangers. De plus, la protection de l'enfance, qui a longtemps été un obstacle majeur de la candidature roumaine, a fait des progrès considérables qui sont largement reconnus.

M. Jean Roatta a donc souhaité que la France se fasse l'avocat de la candidature roumaine, car elle a tout intérêt à ce que la Roumanie, pays francophile, rejoigne l'Union européenne. En effet, dans la majorité des nouveaux adhérents, l'influence traditionnelle de la France est relativement peu importante, ce qui n'est pas le cas de la Roumanie, qui pourra être un relais dans cette partie de l'Europe. La délégation a ainsi pu visiter l'école de gendarmerie de Bucarest, réalisation soutenue par la France, qui a une vocation régionale, et où sont formés, en français, des officiers de gendarmerie de toute l'Europe centrale et orientale. Alors que l'élargissement de l'Europe va déplacer le centre de gravité de l'Europe vers l'Est, il est important de souligner que la Roumanie est, par sa langue et ses traditions administratives, beaucoup plus proche du modèle français que la majorité des autres pays d'Europe centrale et orientale.

Il est à craindre qu'un report de l'adhésion de la Roumanie ait pour conséquence d'accentuer le tropisme pro-américain de ce pays, pour qui l'adhésion à l'OTAN semble avoir été prioritaire par rapport à l'Union européenne. M. Jean Roatta a donc conclu sur la nécessité pour le Gouvernement roumain d'accélérer des réformes qui ont objectivement pris du retard, mais sans remettre en cause l'objectif de 2007.

Compte-rendu d'une mission en Côte d'Ivoire

M Henri Sicre a rendu compte de la mission effectuée avec M. Jacques Remiller en Côte d'Ivoire du 9 au 12 mars 2004. Cette mission avait pour objectif de faire le point sur l'application des accords de Marcoussis, de dresser un bilan de l'action des forces françaises et de mesurer l'impact de la crise sur l'économie de la Côte d'Ivoire.

Lorsque la mission est arrivée à Abidjan, des tensions politiques étaient perceptibles du fait de la décision des ministres du Parti Démocratique de Cote d'Ivoire (PDCI de l'ancien Président Henri Konan Bédié) de se retirer du Gouvernement en raison d'un désaccord avec le chef de l'Etat sur la nomination du directeur du Port de la capitale ivoirienne, dont la concession était en cours de renouvellement. Depuis, de graves incidents ont opposé les forces de l'ordre et les manifestants soutenant l'opposition. Cette situation de tension permanente montre que le pari d'un règlement politique de la crise ivoirienne n'est pas gagné et que le bilan des accords de Linas-Marcoussis est mitigé. En effet, les partisans du Président Gbagbo continuent à considérer les représentants des forces nouvelles comme des rebelles, tandis que les ministres issus de ces forces s'appuient toujours sur les éléments armés qui tiennent le Nord du pays pour peser dans le jeu politique. Dans ce cadre, la seule issue non violente passe par la tenue de l'élection présidentielle prévue en octobre 2005. Il s'agit toutefois d'un processus très délicat à mettre en œuvre, dans la mesure où l'organisation de l'élection suppose, au préalable, la mise en œuvre du plan DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion). Ce plan doit permettre de désarmer les milices qui tiennent le Nord et l'Ouest du territoire, tout en évitant le plus possible les représailles qui pourraient s'ensuivre. Cette situation rend tout à fait nécessaire la présence d'une force d'interposition sous contrôle de l'ONU.

Le déploiement des Casques bleus est en cours et les effectifs sous commandement de l'ONU doivent s'ajouter aux effectifs français présents dans le cadre de l'opération Licorne qui comporte 4 000 hommes. La mission a pu se rendre dans la zone dite de confiance et visiter un poste avancé chargé de sécuriser la voie ferroviaire reliant le Burkina Faso à Abidjan. Cette dernière constitue un axe vital pour l'économie de la région. L'implication militaire de l'ONU doit se traduire par le déploiement de 6 200 militaires de l'ONUCI : outre les contingents de la CEDEAO (MICECI) déjà présents sur place (1 400 hommes du Bénin, du Togo, du Sénégal, du Niger et du Ghana), l'ONUCI devrait être composée de forces émanant du Bengladesh, du Pakistan et du Maroc. Ces forces devront sécuriser l'Ouest de la Côte d'Ivoire, déstabilisé du fait de l'incursion d'éléments libériens. Elles devront par ailleurs normaliser la situation entre le Sud, tenu par les forces loyalistes, et le Nord, tenu par les milices des forces nouvelles. D'après les informations recueillies sur place auprès des officiers français, l'effectif des forces nouvelles serait à l'heure actuelle de 30 000 hommes, ce qui leur donne une capacité de nuisance très forte. Dans le même temps, les forces loyalistes sont désorganisées et la chaîne de commandement n'est pas fiable. Dans ce contexte, les forces sous commandement de l'ONU devront mettre en œuvre le plan DDR, afin de permettre la tenue de l'élection selon le calendrier prévu.

Enfin, la mission a pu mesurer les conséquences économiques de la crise en rencontrant des représentants des milieux d'affaire français et ivoiriens. La coupure des liaisons vers les pays voisins a entraîné une baisse de 25 à 30 % du trafic du port d'Abidjan. Si la situation d'instabilité politique devait perdurer, les flux pourraient se réorienter durablement vers le Ghana et remettre en cause la position du port d'Abidjan. En outre, la production sucrière donne lieu à un important trafic de contrebande, qui a entraîné l'effondrement total du secteur. Quant au cacao, il constitue la ressource principale du pays. Les institutions interprofessionnelles opèrent un prélèvement sur les exportations, en théorie pour réguler les cours et procéder à des investissements dans la filière. Ces instances, qui ont succédé il y a trois ans à la Caisse de stabilisation créée par le Président Houphouët Boigny en 1963 et qui avait été supprimée à la demande du FMI, n'ont pas restitué les sommes prélevées. Si le conflit en lui-même a peu de conséquences sur la production de cacao, le contrôle des sommes prélevées sur les exportations constitue en revanche l'une des clés du conflit.

En conclusion, M. Henri Sicre a considéré que la crise ivoirienne résultait à la fois des différences de richesse entre le Nord et le Sud, ainsi que de la structuration du jeu politique ivoirien, non pas sur les clivages idéologiques ou religieux, mais sur les appartenances ethniques. La notion d'ivoirité, qui implique que les candidats à l'élection puissent prouver leurs origines ivoiriennes, et qui vise à exclure du marché du travail les milliers d'étrangers qui travaillent en Côte d'Ivoire depuis des années, voire depuis plusieurs générations, souligne la fragilité de l'Etat ivoirien et la primauté des appartenances ethniques sur la nationalité. Les frontières, héritées de l'époque coloniale, ont compliqué la donne en ignorant l'implantation des ethnies. Pour cette raison, la remise en cause de l'unité ivoirienne aurait des conséquences sur la stabilité de l'ensemble de la région. M. Henri Sicre a ensuite estimé que l'organisation actuelle de l'Etat ivoirien ne tenait pas compte des réalités ethniques : une organisation de type confédératif serait sans aucun doute plus adaptée aux réalités de ce pays. Il a enfin tenu à féliciter les diplomates français en poste à Abidjan pour leur action en faveur du règlement du conflit.

M. Jacques Remiller a indiqué qu'il partageait la même vision que son collègue sur la question ivoirienne et il a estimé que la situation politique apparaissait totalement bloquée. Il a fait part de son pessimisme sur la sortie de crise et il a considéré que l'implication de la France était indispensable pour protéger nos ressortissants. En revanche, les demandes des différentes formations ivoiriennes ne sont pas dénuées d'ambiguïté, car elles souhaitent toutes le soutien de la France. Dans le même temps, les critiques à l'encontre de la politique conduite par notre pays sont nombreuses et la destruction du centre culturel français d'Abidjan en atteste. Les violences commises par les jeunes patriotes, qui soutiennent le chef de l'Etat, sont inquiétantes dans la mesure où elles apparaissent largement incontrôlées. La question de l'ivoirisation des emplois, qui vise à priver de leur emploi les travailleurs venant des pays voisins, dont certains vivent en Côte d'Ivoire depuis de longues années, est également préoccupante, car elle attise les tensions dans l'ensemble de la région : elle désorganise à la fois l'économie ivoirienne, qui a toujours eu recours à la main-d'œuvre en provenance des pays voisins, en même temps qu'elle fragilise l'économie de ces pays qui vivent très largement des salaires perçus par leurs ressortissants travaillant en Côte d'Ivoire. De même, le débat sur les conditions d'éligibilité à la présidence de la République nourrit les tensions sur la question de l'ivoirité, alors même qu'il vise avant tout à écarter de la compétition électorale l'ancien Premier ministre, M. Alassane Ouattara. Dans ce contexte difficile, l'organisation de l'élection après la mise en œuvre du plan DDR apparaît comme la seule voie possible pour que la Côte d'Ivoire renoue avec la stabilité. Il n'en demeure pas moins vrai que la question de l'organisation de cet Etat sur une base confédérative doit être posée et qu'elle constitue une solution pour l'avenir.

Le Président Roland Blum a demandé si le Président Gbagbo avait réellement voulu intégrer les ministres issus des forces nouvelles au sein du Gouvernement. Il s'est également interrogé sur les arrière-pensées entourant le débat sur l'ivoirité.

M. Serge Janquin a considéré que la dégradation de la situation en Côte d'Ivoire était déjà perceptible depuis la fin de la présidence de M. Houphouët Boigny. La déstabilisation actuelle s'explique-t-elle par les intentions des pays voisins de la Côte d'Ivoire ou par l'action de grands groupes internationaux ? La requalification des rebelles en forces nouvelles apparaît en tout état de cause quelque peu hâtive et l'obligation faite au Président Gbago, suite aux accords de Kléber, d'intégrer dans le gouvernement des représentants de ces forces est contestable.

M. Gilbert Gantier a demandé quelles étaient les conséquences de la crise sur la communauté française en Côte d'Ivoire.

M. Henri Sicre a estimé que la déstabilisation de la Côte d'Ivoire venait d'abord de l'intérieur du pays lui-même. Il a considéré que la part laissée aux représentants des forces nouvelles après les accords de Kléber avait été trop belle. Il est ensuite malaisé de se prononcer sur les relations entre le chef de l'Etat et ces ministres et de juger s'ils ont eu ou non la possibilité d'exercer leurs fonctions. En tout état de cause, le calendrier prévu pour organiser l'élection apparaît difficile à tenir, ce qui risque d'aboutir au prolongement du mandat du chef de l'Etat. Quant à la communauté française, elle n'est pas apparue excessivement inquiète pour sa sécurité, mais force est de constater qu'elle est de moins en moins nombreuse. Cette situation pose plus largement le problème du maintien de l'influence française dans l'Ouest africain, d'autant que les églises évangélistes américaines s'y implantent de plus en plus.

M. Jacques Remiller a indiqué que les ministres issus des forces nouvelles rencontraient de nombreuses difficultés pour exercer leur mission et il a précisé que certains d'entre eux avaient même quitté le territoire ivoirien. S'agissant de la communauté française en Côte d'Ivoire, le nombre de personnes immatriculées est passé de 17 000 en septembre 2002 à 10 000 en janvier 2004. Les représentants de la communauté française rencontrés ont fait part de leur attentisme. Si les grands groupes français présents sur place se sont dits relativement confiants dans l'avenir, les PME, les commerçants et les artisans français sont en revanche gravement affectés par la crise et nombre de nos compatriotes ont vendu leur entreprise et anticipé leur départ en retraite. La présence française recule donc de manière visible, d'autant que la plupart de ces PME et de ces commerces sont rachetés, le plus souvent à bas prix, par des intérêts libanais de plus en plus implantés dans le pays.

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