COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 13 avril 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Roland Blum, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la décision du Conseil réuni au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement du 21 mars 2003 relative à une modification de l'article 10.2 des statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne

- Décision relative à une modification des statuts du Système européen de banques centrales et de    la Banque centrale européenne (n° 1514) rapport

- Information relative à la Commission





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Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la décision relative à une modification des statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne

Le Président Roland Blum a indiqué que l'audition du Ministre des Affaires étrangères faisait suite à l'adoption par la Commission des Affaires étrangères d'une motion d'ajournement sur le projet de loi relatif au Système européen de banques centrales, celle-ci ayant souhaité obtenir un complément d'information.

M. Michel Barnier a tout d'abord considéré qu'il devait en quelque sorte remercier les auteurs de la présente motion dans la mesure où ils lui fournissaient ainsi l'occasion d'un premier contact avec la Commission des Affaires étrangères, tout en indiquant qu'il restait disponible pour une audition consacrée à l'ensemble des sujets internationaux et européens.

Puis il a abordé la question de la modification des statuts de la Banque centrale européenne (BCE), question technique et importante, qu'il convient de défendre sans se tromper sur les intérêts de la France en la matière. Ce sujet est symbolique d'un problème plus général qui est celui du fonctionnement de l'Union européenne élargie. Comment travaille-t-on, comment se parle-t-on, comment décide-t-on à vingt-cinq ou vingt-sept Etats membres par rapport à quinze ou six ? Cette question qui se pose à la BCE intéresse en réalité toutes les institutions européennes. Pour y répondre, le Conseil des gouverneurs de la BCE a imaginé une solution qui a été approuvée par le Conseil des chefs d'Etat ou de gouvernement au travers de la décision du 21 mars 2003. Sans préjuger de ce qui se passera dans les autres institutions européennes, le Ministre des Affaires étrangères a déclaré que le traitement de la France, qui est un grand pays au sein du Conseil de la BCE, constituait un précédent positif.

Concernant l'objectif poursuivi par la présente réforme, il a précisé qu'il s'agissait de préserver l'efficacité de la BCE dans une zone euro qui va s'élargir. Aujourd'hui, chacun des représentants des Etats membres de la zone euro qui siègent au Conseil des gouverneurs y disposent d'une voix, soit douze représentants, auxquels viennent s'ajouter les six membres du Directoire de la BCE qui détiennent chacun également une voix. Le tout représente aujourd'hui dix-huit personnes. Il n'est pas raisonnable d'aller très au-delà si l'on veut préserver la crédibilité de la BCE vis-à-vis des marchés.

Les modalités de cette réforme consistent à plafonner à vingt-et-un le nombre de votants en répartissant les gouverneurs au sein de trois groupes et en introduisant un système de rotation de vote dans chaque groupe, avec dans les deux derniers groupes une fréquence de vote inférieure à celle du premier groupe comprenant les grands pays. Ce système de rotation s'appuie sur les cinq principes fondamentaux de la BCE. Le premier étant « une voix par membre », sachant qu'à un certain moment tous les gouverneurs ne voteront pas tous en même temps et que les grands pays voteront plus fréquemment que les petits. Le deuxième est celui de la participation à titre personnel : tous les membres participent à toutes les réunions même s'ils ne disposent pas du droit de vote. Le troisième est celui de la représentativité qui se traduit par une différenciation entre les membres du Conseil des gouverneurs au niveau de la fréquence de vote ; celle-ci est plus importante pour les grands pays. Le quatrième est celui de l'automaticité : l'adaptation au processus d'élargissement sera automatique jusqu'à vingt-sept membres. Enfin le cinquième et dernier principe est celui de la transparence : ce système de rotation satisfait aux exigences du droit communautaire.

Ce texte présente des avantages pour le France. Entre le statu quo et la présente réforme, la France a fait le choix de la solution la plus avantageuse. Elle accepte de perdre son droit de vote permanent mais cette concession lui permet de rester, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni lorsqu'il le décidera, dans le premier groupe de pays dont la fréquence de vote sera de 80 %. Le droit de vote de la France, qui est dans le premier groupe, passera de 100 % du temps à 80 % du temps, celui du deuxième groupe de 100 % à 57 % du temps et celui du troisième groupe de 57 % à 37 %. Parmi les institutions européennes qui ne sont pas parvenues à une solution différenciant les grands pays des petits, le Ministre des Affaires étrangères a cité l'exemple du Tribunal de première instance de la Cour de justice.

En conclusion, il a souligné que beaucoup de raisons objectives militaient en faveur de cette réforme et insisté sur les délais et l'urgence à ratifier avant le 1er mai prochain, date de la réunification de l'Union, et ce pour deux raisons. D'une part, la France se doit de respecter ses engagements européens. Douze Etats membres ont déjà achevé leur procédure de ratification. D'autre part, une fois la procédure de ratification achevée par tous les Etats membres de l'Union, cette réforme des statuts fera partie de l'acquis communautaire que les dix nouveaux entrants doivent reprendre. A défaut, leur accord sera nécessaire pour changer le système. La France ne doit pas être responsable de l'échec d'une réforme qui a été conçue par un Français, M. Jean-Claude Trichet, et qui favorise les grands. Ce compromis est le meilleur qui soit dans l'intérêt national. Il a été trouvé à quinze et adopté à l'unanimité. Ne pas l'entériner reviendrait à remettre le sort de la France entre les mains de vingt-quatre autres Etats demain. La France doit choisir entre une fréquence de vote représentant un quinzième pendant 80 % du temps ou un vingt-septième pendant 100 % du temps.

M. Philippe Cochet, Rapporteur, a remercié le Ministre des Affaires étrangères pour les explications apportées à la Commission des Affaires étrangères et rappelé les deux points importants contenus dans cette réforme et soulignés par celui-ci. Il s'agit de préserver d'une part l'efficacité de la BCE, et les modalités proposées vont dans ce sens, d'autre part les intérêts de la France qui disposera d'un quinzième des droits de vote.

M. Guy Lengagne a remercié le Ministre des Affaires étrangères de ses explications. Il a convenu qu'il serait beaucoup plus difficile de trouver une solution aussi avantageuse pour la France dans une Europe à vingt-cinq, si ce texte n'était pas ratifié dans les délais, avant le 1er mai. Mais, ce risque lié au calendrier s'explique d'abord par l'attitude du Gouvernement qui a demandé à l'Assemblée nationale d'approuver ce texte dans l'urgence en quelques heures, au mépris des droits du Parlement. Pour cette raison, les députés socialistes ont voté en faveur de la motion d'ajournement, mais, compte tenu des précisions apportées par le Ministre des Affaires étrangères, ils voteront finalement le projet de loi.

M. Jacques Myard a considéré que le texte proposé ne respectait pas la philosophie du Traité de Maastricht qui, bien qu'il l'ait combattu, respectait au moins le principe de l'égalité entre tous les Etats.

Pour préserver l'efficacité de la Banque centrale européenne, on aurait très bien pu imaginer d'autres solutions, sans remettre en cause le principe du maintien d'un droit de vote permanent pour chacun des Etats. Au lieu de cela, on crée un dangereux précédent qui nous sera opposé à la première occasion. D'ailleurs, comme l'a rappelé le Ministre des Affaires étrangères, deux Etats ont émis des réserves mais aussi, d'après certaines informations, la Commission européenne elle-même.

M. Jacques Myard a par ailleurs estimé que ce texte ne serait pas opposable aux dix nouveaux pays adhérents à l'Union européenne, car il ne pourrait être intégré à l'acquis communautaire avant le 1er mai, compte tenu des délais d'entrée en vigueur fixé par l'article 2 de la décision. En outre, il a considéré que les stipulations de la présente décision étaient contraires à la Constitution, notamment à ses articles 88-1 et suivants.

Enfin, M. Jacques Myard a refusé de considérer que ce texte était d'ordre technique. Il pose au contraire des questions politiques fondamentales qui méritent donc un débat en séance publique.

M. Pierre Lequiller, après avoir rappelé que la Délégation pour l'Union européenne avait examiné et donné un avis favorable à cette décision, a estimé que la construction européenne consistait à aboutir à des compromis afin de trouver la meilleure manière de travailler ensemble. En l'occurrence, la solution retenue semble être la plus avantageuse parmi celles qui étaient envisageables.

M. François Loncle a confirmé que le vote, la semaine dernière, par les députés socialistes de la motion d'ajournement demandant l'audition du Ministre sur ce texte avait été motivé par des raisons de délai et de forme, et non par des problèmes de fond. Il a par ailleurs estimé, à la lecture du projet de loi, que lorsque les textes européens sont écrits par des conventionnels, et non par des techniciens, ils sont alors infiniment plus clairs et lisibles.

M. Christian Philip a estimé que l'important était de maintenir une capacité de décision, que l'unanimité ne permet pas. Ainsi, à moins d'être opposé par principe à la construction européenne, on ne peut pas défendre un système aboutissant à l'impossibilité de prendre des décisions. Il est donc important d'autoriser la ratification de la décision du Conseil qui répond de manière satisfaisante à ce problème.

M. Michel Delebarre a demandé des précisons sur le point abordé par M. Jacques Myard, selon lequel les délais pour permettre à la décision d'être intégrée à l'acquis communautaire auraient déjà été dépassés.

M. Gilbert Gantier a souhaité savoir ce que signifiait concrètement le fait pour le Gouverneur de la Banque de France de disposer d'un droit de vote pendant 80 % du temps.

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a apporté les réponses suivantes :

-  les nouveaux statuts de la Banque centrale européenne permettront à la France de figurer aux côtés de quatre autres grands pays de l'Union dans le groupe 1 doté d'un total de quatre voix délibératives ; la périodicité de la rotation au sein du groupe n'ayant pas encore été définie, il n'est pas possible de savoir pour quelle durée chacun des pays n'aura plus voix délibérative au sein du Conseil des gouverneurs ;

-  le dépôt tardif du texte devant l'Assemblée est regrettable, même si la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée en a été saisie en amont ;

-  le Conseil d'Etat a estimé que la décision du Conseil européen modifiant le statut de la Banque centrale européenne était conforme aux dispositions de la Constitution ; cette réforme s'inscrit en effet dans le prolongement du Traité de Maastricht, dont la ratification avait été approuvée par la voie du référendum après une révision de la Constitution ;

-  les études juridiques menées par les services du Conseil européen ont conclu au caractère opposable du texte aux dix nouveaux Etats membres de l'Union ; dès lors que la totalité des instruments de ratification sont déposés avant l'élargissement, le fait que le texte entre en vigueur après le 1er mai 2004 ne remet pas en cause son application aux nouveaux Etats membres ;

-  la solution retenue apparaît comme la moins mauvaise, puisqu'elle attribue à notre pays non pas un vingt-septième des voix à temps plein dans le système « un pays - une voix », mais un quinzième des droits de vote pour quatre-vingts pour cent du temps ; ce système ayant été agréé par la Grande-Bretagne et par l'Allemagne, il serait pour le moins paradoxal que ce soit la France qui le rejette ;

-  il faut faire un effort pour améliorer la lisibilité des textes communautaires et, sur ce point, la méthode retenue par la Convention européenne constitue un exemple à méditer.

M. Jacques Myard a estimé que le système retenu était mauvais et qu'il allait nuire à la crédibilité de la Banque centrale européenne. La présentation de la motion d'ajournement en séance publique sera l'occasion d'y revenir et de présenter un système alternatif permettant l'égalité de traitement des Etats.

M. Jacques Godfrain a précisé que M. Jacques Myard s'exprimait à titre personnel et non pas au nom du groupe UMP.

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La Commission a poursuivi l'examen, sur le rapport de M. Philippe Cochet, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la décision du Conseil réuni au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement du 21 mars 2003 relative à une modification de l'article 10.2 des statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (n° 1514).

M. Philippe Cochet, Rapporteur, a constaté que la motion d'ajournement n° 1 demandant l'audition du Ministre des Affaires étrangères était satisfaite et a donc proposé quelle soit retirée.

Il a ensuite déclaré à la Commission qu'il n'était pas favorable à la motion d'ajournement n° 2 déposée à titre personnel par M. Jacques Myard.

Suivant l'avis du Rapporteur, la Commission a retiré la motion d'ajournement n° 1 et a rejeté la motion d'ajournement n° 2 présentée par M. Jacques Myard.

Puis, conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 1514).

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Information relative à la Commission

A été nommé, le mardi 13 avril 2004 :

- M. Jacques Godfrain, rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au contrat de volontariat de solidarité internationale (n° 1515).

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· Banque centrale européenne

· Volontariat de solidarité internationale


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