COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 avril 2004
(Séance de 11 heures 15)

Présidence de M. Roland Blum, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Andreas Khol, Président du Conseil national autrichien


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Audition de M. Andreas Khol, Président du Conseil national autrichien

Le Président Roland Blum a remercié M. Andreas Khol d'avoir accepté de se rendre devant la Commission des Affaires étrangères afin de faire le point sur les grandes questions européennes et internationales.

M. Andreas Khol a souligné que sa visite en France était la première d'un Président du Conseil national autrichien depuis près de vingt-cinq ans. Il s'est donc déclaré heureux de ce renforcement des relations parlementaires entre la France et l'Autriche, alors que la future Constitution de l'Europe va accroître le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne.

Il a ensuite estimé que l'élargissement de l'Union européenne était un fait acquis, y compris pour les citoyens. Certes, il avait pu faire naître des peurs relatives au développement de l'immigration clandestine, de la criminalité ou de divers trafics. Mais, pour autant, personne ne peut regretter l'époque du rideau de fer ! L'élargissement constitue donc une réunification de l'Europe qui donne lieu, en Autriche, à des fêtes spontanées à proximité des frontières de ce pays avec la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie ou la Hongrie.

M. Andreas Khol a ensuite abordé la question des élargissements futurs : s'agissant de la Croatie, il semble que cela pourra se faire assez facilement ; pour la Serbie-et-Monténégro et la Bosnie-Herzégovine, cela sera possible dès que ces pays satisferont aux critères de Copenhague. S'agissant de la Turquie, l'Autriche, qui a une importante communauté d'origine turque, est attentive au débat qui se développe, notamment récemment en France.

Sur le projet de Traité constitutionnel, il est souhaitable de conclure rapidement, puisqu'un compromis semble maintenant possible, notamment avec la Pologne. Ensuite se posera le problème de sa ratification, qui pourrait être rendue beaucoup plus difficile si de nombreux référendums sont organisés : en Pologne, par exemple, pour qu'une telle consultation soit valable, le taux de participation doit atteindre au moins 50 %. Il est par ailleurs à craindre que la décision britannique de soumettre le futur traité à référendum ne contraigne d'autres pays à faire de même.

Enfin M. Andreas Khol a remercié la France de son soutien lors de la réélection de M. Peter Schieder à la tête de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Le Président Roland Blum a également évoqué la question de la candidature de la Turquie à l'Union européenne, contre laquelle l'UMP s'est prononcée, préférant que soit proposé à ce pays un partenariat privilégié, qui pourrait également convenir à des pays se trouvant à l'Est de l'Europe ou à ceux du Maghreb. Il convient de préciser que ce débat sur la Turquie dépasse les critères partisans habituels.

Il a ensuite demandé à M. Andreas Khol quel était son point de vue sur la situation en Irak, et notamment si l'envoi de troupes par l'Autriche était envisageable dans le cadre d'un mandat des Nations unies. Enfin, le Président Roland Blum a précisé qu'il n'était pas favorable, à titre personnel, à l'organisation d'un référendum sur la future Constitution européenne.

M. Andreas Khol a rappelé que la neutralité de son pays avait conduit l'Autriche à refuser le transit sur son sol de 100 000 soldats américains vers l'Irak, ainsi que le survol de son territoire, car cette guerre était une opération unilatérale. Pour autant, cette neutralité n'a pas empêché l'Autriche de participer à des opérations autorisées par l'ONU et d'envoyer des troupes dans le Golan, à Chypre, en Afghanistan, au Kosovo ou en Bosnie-Herzégovine : actuellement près de 2 000 soldats autrichiens sont déployés sur des théâtres d'opérations extérieures. L'Autriche a également signifié à l'Union européenne qu'elle mettait à sa disposition 1 500 hommes pour mener des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix. Si la perspective d'une adhésion à l'OTAN, pour laquelle il faudrait une majorité des deux tiers au Parlement, ne semble guère réaliste, l'Autriche accepte en revanche le principe de solidarité dans le cadre de l'Union européenne tel qu'il est formulé dans le projet de Constitution.

En Irak, la position de l'Autriche, qui ne peut par ailleurs que se réjouir de la chute du régime de Saddam Hussein, a toujours été de donner le rôle principal à l'ONU. Dans le cadre d'une opération des Nations unies, on pourrait donc en théorie imaginer l'envoi de troupes de maintien de la paix autrichiennes en Irak, mais cela paraît en pratique peu probable, compte tenu des nombreuses opérations extérieures auxquelles elle participe déjà. Ainsi, l'Autriche est parfaitement en accord avec les positions françaises sur ce sujet ; il en est de même au Proche-Orient où elle ne partage pas le soutien apporté par le Président Bush aux projets d'Ariel Sharon, mais continue de penser qu'il faut mettre en œuvre la feuille de route. L'Union européenne doit s'investir davantage dans cette région où elle est très présente par ses contributions financières mais politiquement sous-développée.

M. Loïc Bouvard a fait observer que l'Autriche, de longue date, avait joué un rôle important du fait notamment des nombreuses institutions internationales ayant leur siège à Vienne. Aujourd'hui, avec l'élargissement à dix nouveaux membres et à terme à la Bulgarie, à la Roumanie ou à la Croatie, l'Autriche va se trouver géographiquement au centre de l'Union européenne. Dans ces conditions, comment envisage-t-elle de jouer un rôle accru et central dans l'Europe élargie ?

M. Andreas Khol a tout d'abord répondu que même si elle est un pays modeste, il n'en demeure pas moins que l'Autriche veut participer à chaque coopération renforcée et désire se situer toujours dans le peloton de tête car l'histoire montre qu'il faut être dans l'Union parmi les pays membres pionniers.

S'agissant des relations avec les pays voisins qui vont entrer dans l'UE le 1er mai prochain, il a souligné qu'elles étaient très bonnes et que la population autrichienne se préparait à leur entrée, notamment en apprenant la langue de ces pays. Ainsi, il existe une école de langue tchèque à Vienne et plusieurs écoles hongroises en Autriche, du fait de l'importance des minorités hongroises dans le pays. Il en va de même en Carinthie avec les minorités slovènes, où 32 % des élèves suivent un enseignement en langue slovène contre 16 % par le passé. S'agissant des relations économiques, l'Autriche est le deuxième investisseur dans ces pays. D'une manière générale, une coopération très étroite existe aux niveaux culturel, politique, économique, social. L'Autriche a aidé ces pays à entrer dans l'UE et elle assumera ce rôle, même si ces derniers entrent la tête haute, sans être demandeurs ou suppliants. Il n'y a pas en Autriche de « romantisme à la Habsbourg », ces pays sont là comme partenaires avec les mêmes droits.

Soulignant qu'il s'en était fallu de quelques années pour que l'Autriche fasse partie des membres fondateurs de l'UE, M. Gilbert Gantier a estimé qu'elle avait un rôle particulier à jouer dans la mesure où le prochain élargissement concerne des pays qui l'entourent.

Puis il a rappelé que l'élargissement avait constitué un stimulant extraordinaire pour certains membres actuels, par exemple l'Espagne et l'Irlande, littéralement transformés par leur entrée dans l'Union européenne, qui représentera de la même façon un apport considérable pour les nouveaux membres.

Néanmoins, si l'on a raison de vouloir étendre l'Europe, il ne suffit pas de donner un accord à l'entrée dans l'UE. Encore faut-il que ces pays le veuillent. Ainsi l'adhésion à l'Europe peut-elle être considérée comme une sorte de mariage, et pour se marier il faut le vouloir à deux. Si le résultat d'un référendum portant sur le projet de Constitution européenne conduit au rejet du texte par un pays, comme la Pologne semble le craindre dans la mesure où une participation inférieure à 50 % conduirait à ce résultat, il faudra en tirer les conséquences. Il n'y a aucun moyen de contraindre des populations à adhérer, cela serait même contraire aux intérêts de l'Europe. C'est pourquoi un référendum constitue un excellent moyen de savoir si les deux parties veulent procéder à ce mariage ou non. A cet égard, il a souhaité savoir si l'Autriche envisageait de recourir à ce procédé.

Poursuivant ensuite avec la question de la Turquie, il a estimé que l'adhésion de ce pays soulevait beaucoup de problèmes. Sa population représente dix fois celle d'un pays comme l'Autriche et par ailleurs la Turquie ne partage pas les mêmes racines. Son absorption semble donc difficile et mérite réflexion si l'on considère les difficultés que l'Allemagne occidentale a rencontrées pour absorber l'Allemagne orientale par exemple.

M. Andreas Khol a déclaré que le coût de l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays qui doit avoir lieu le 1er mai prochain n'était pas connu et qu'il ne fallait pas renouveler cet état de fait pour l'adhésion de la Turquie. Le coût de son éventuelle intégration doit donner lieu à un chiffrage précis, ainsi que l'a demandé de manière sage et avisée M. Alain Juppé.

S'agissant de l'organisation d'un référendum en Autriche sur le projet de Constitution européenne, elle n'apparaît pas nécessaire dans la mesure où les quatre grands partis représentés au Parlement sont d'accord pour adopter ce traité. Il ne fait pas de doute qu'une large majorité de la population soit d'accord avec ce texte, mais le risque existe que d'autres enjeux interfèrent et pèsent sur le résultat de la consultation. Pour cette raison les mécanismes de la démocratie représentative sont préférables. La décision prise par certains pays d'organiser un référendum sur cette question soulève le délicat problème du statut de ces pays au sein de l'Union en cas de refus de leur population. Une telle situation risque de s'avérer pour le moins chaotique. Un tel scénario ne pourrait pas se produire aux Etats-Unis dans la mesure où la révision de la Constitution fédérale ne peut donner lieu à des référendums, mais qu'elle nécessite en revanche l'accord de tous les Etats fédérés.

M. Christian Philip a abordé les problèmes posés par le résultat négatif d'un référendum. Craignant que les Polonais ou les Britanniques se prononcent contre le projet de Constitution européenne, il a demandé quelle serait la position de l'Autriche si la ratification était bloquée. Devra-t-on abandonner ce projet, mettre en place un système informel ? Le référendum portera-t-il sur l'appartenance à l'Union européenne ? Dans ce cas cela signifierait que ceux qui refuseraient de le ratifier s'en excluraient. Ne faudrait-il pas penser à la stratégie à entreprendre pour mettre les peuples face à leurs responsabilités ?

M. Andreas Khol a considéré qu'il ne fallait pas abandonner le projet de Constitution européenne en laissant faire le temps. Il a craint que des pays menacent d'organiser des référendums différents portant sur des points sensibles du projet de Constitution européenne pour obtenir des concessions. Ainsi ferait-on exception à la règle, ce qui entraînerait des cascades de demandes dans le même sens. Il a jugé que le projet d'Union européenne était irréversible et qu'il était difficile de quitter l'Union européenne, les pays membres sont trop intégrés dans les domaines de la vie économique et culturelle. Il n'est donc pas possible de faire machine arrière. Il a fait valoir que, lorsque le Traité de Nice avait été adopté après bien des péripéties, son résultat fut fort critiqué, mais on a au moins évité la multiplication des référendums.

Il a jugé que la méthode utilisée pour élaborer le projet de Constitution européenne était bonne. Par ailleurs, il s'est étonné que certains pays veuillent recourir au référendum sans que leur droit interne ne les y oblige. Contrairement à l'Irlande et au Danemark, dans le cas du Royaume-Uni ou de l'Autriche, un tel recours n'est pas obligatoire. Aussi n'était-il peut-être pas utile d'aller trop vite.

Le Président Roland Blum a remercié le Président Andreas Khol d'être venu aborder devant la Commission des Affaires étrangères des sujets importants. L'excellence des relations bilatérales franco-autrichiennes n'a pas été suffisamment soulignée, ainsi que la coopération soutenue dans tous les domaines et le travail remarquable du centre franco-autrichien de Vienne. Il a espéré que ces sujets seraient abordés au cours de la visite du Président Andreas Khol.

M. Andreas Khol s'est dit heureux d'avoir été reçu par la Commission des Affaires étrangères, en espérant que la coopération franco-autrichienne progressera encore.

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