COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 54

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 22 juin 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Gijsbert Marius de Vries, Coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme



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Audition de M. Gijsbert Marius de Vries, Coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme

Le Président Edouard Balladur a rappelé que M. Gijs de Vries avait été nommé coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme par le Conseil de l'Union européenne suite aux attentats de Madrid du 11 mars 2004.

Il a estimé que sa mission était difficile s'agissant de domaines qui touchent directement à la souveraineté des Etats. Néanmoins des progrès ont été réalisés depuis les attentats du 11 septembre, avec l'adoption de mesures telles que le mandat européen ou la création d'équipes d'enquêtes communes qui facilitent la coopération ente les Etats membres de l'Union. Il a ensuite interrogé M. de Vries sur la mise en œuvre des décisions prises dans le cadre de l'Union européenne sur l'état de la menace terroriste en Europe et sur les actions prioritaires à entreprendre à la fois dans le domaine législatif et dans le domaine opérationnel. Enfin, il s'est demandé quel sera l'apport du nouveau traité constitutionnel en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme.

M. Gijs de Vries s'est réjoui de pouvoir s'exprimer devant la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale d'un pays très attentif aux progrès de la constitution européenne en matière de sécurité.

Il a estimé que les attentats du 11 septembre 2001 et du 11 mars 2004 avaient révélé l'existence d'un terrorisme de destruction massive et la nécessité pour les Etats membres européens de coordonner leurs actions face à des terroristes qui refusent l'ensemble des valeurs de l'Union. Il a cependant insisté sur l'importance du dialogue avec les communautés musulmanes et sur la nécessité de ne pas faire un amalgame entre terrorisme et monde musulman.

M. Gijs de Vries a indiqué que le dispositif français de lutte antiterroriste était très efficace dans la mesure où la France a depuis longtemps été confrontée au terrorisme. Elle a ainsi participé avec efficacité aux actions de coopération internationale lancées à la suite du 11 septembre tant dans le cadre de coopérations bilatérales que dans le renforcement de la politique de l'Union européenne de lutte contre le terrorisme.

M. Gijs de Vries a ensuite rappelé les étapes de la politique européenne dans ce domaine. Celle-ci est devenue une priorité majeure après les attentats du 11 septembre 2001. Le Conseil extraordinaire du 20 septembre 2001 a décidé des mesures collectives qui ont pour ambition de renforcer la sécurité de l'Union européenne pour faire face à la menace terroriste, lesquelles se sont notamment concrétisées par les deux décisions cadres du 13 juin 2002 sur le terrorisme et le mandat d'arrêt européen, dont la finalité est de surmonter les obstacles traditionnels à la coopération entre Etats-membres. Plus globalement, l'Union européenne s'est alors dotée d'une feuille de route intégrant toutes les dimensions de la lutte contre le terrorisme, dont la mise en œuvre n'a probablement été aussi efficace et rapide qu'on aurait pu le souhaiter. Par ailleurs, le Conseil européen a adopté le 12 décembre 2003 la « stratégie européenne de sécurité » rédigée par M. Javier Solana. Ce document fait du terrorisme l'une des principales menaces pour la sécurité de l'Union européenne.

Les attentats du 11 mars 2004 ont malheureusement conforté cette analyse et ont été à l'origine de l'adoption, le 25 mars 2004, d'un plan d'action renouvelée de l'Union européenne contre le terrorisme.

Le Conseil européen des 17 et 18 juin 2004 a fait le point sur la mise en œuvre de cette déclaration : des résultats ont été obtenus notamment concernant la directive sur l'indemnisation des victimes ou sur l'amélioration du caractère opérationnel d'Europol ; il a été demandé aux institutions et aux Etats membres de remplir leurs engagements dans les délais prévus ; une capacité de renseignement portant sur tous les aspects de la menace terroriste a été créée au sein du secrétariat général du Conseil.

Le Conseil a également défini les priorités pour l'avenir qui concernent le financement du terrorisme à l'échéance de décembre 2004, la nécessité de parvenir d'ici juin 2005 à un accord « sur les initiatives relatives à l'échange d'informations et à la coopération concernant les infractions terroristes et à la rétention de données en rapport avec des communications ». En outre, le Conseil et la Commission sont invités à améliorer les coopérations existantes dans le domaine de la protection civile pour traduire la volonté des Etats membres d'agir solidairement en cas d'attentat terroriste majeur. Enfin, le Conseil européen a souligné la nécessité d'utiliser les outils dont dispose l'Union européenne pour lutter contre tous les facteurs qui alimentent le terrorisme.

M. Gijs de Vries a estimé que beaucoup des mesures qui ont été décidées étaient concrètes et proches des préoccupations des citoyens, comme par exemple la mise en place de données biométriques dans les passeports ou la création d'une agence européenne de contrôle des frontières.

Puis M. de Vries a successivement évoqué le financement du terrorisme, la qualité des échanges d'informations entre Etats membres, les analyses de la menace et la protection des populations dans le domaine du bioterrorisme. Le Conseil européen a clairement indiqué que la prévention du financement du terrorisme continue d'être une priorité majeure. Dans le domaine du gel des avoirs, c'est à l'Union comme aux Etats membres de renforcer l'efficacité et l'effectivité de la mise en œuvre de la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies. De même il a été décidé d'une part de publier la liste consolidée des personnes et entités soumises aux mesures de gel décidées par l'Union et, d'autre part de mettre l'accent sur l'efficacité du contrôle des systèmes non bancaires de transfert de fonds. Par ailleurs, une étude de faisabilité portant sur la définition d'un instrument communautaire de contrôle et de gestion des ONG à but humanitaire ou caritatif a été demandée à la Commission. La Présidence a été chargée de prolonger le dialogue avec les pays de la zone Euromediterranée et les pays du Golfe.

L'évaluation de la menace qui a pour finalité l'information des autorités compétentes et l'aide à la décision, est selon M. de Vries, un travail essentiel qui doit être particulièrement pertinent. A l'échelle de l'Europe, il n'y a pas d'évaluation unique de la menace, le groupe de travail Troisième pilier, ou Europol produisent des documents tandis que le Centre de Situation se concentre sur l'évaluation de la menace extérieure. Ceci est une faiblesse, soulignée lors des Conseils Justice et Affaires intérieures du 18 février 2004 et du 18 mars 2004, où l'on a discuté d'une initiative belge visant à créer une sorte d'agence européenne du renseignement. Cependant, nombre d'Etats membres ont exprimé de vives réticences à créer un tel organisme mais ont demandé que soient rationalisés et mieux utilisés les instruments et outils existants. Aussi a-t-il été décidé de mettre en place au sein du Centre de Situation une unité composée des experts des services de renseignements et de sécurité des Etats membres chargée d'analyser la menace terroriste. Cela favorisera l'implication des responsables des services de renseignements réunis régulièrement en tant que groupe antiterroriste, de même que les échanges d'information entre services de renseignements et enfin cela permettra à Europol de mieux remplir sa mission. Ainsi les responsables de l'Union européenne seront-ils mieux informés de l'état de la menace et des méthodes utilisées par les terroristes, et les Etats membres recevront-ils plus de soutien des organismes européens tout en gardant le contrôle du domaine opérationnel.

Il a fait observer que le bioterrorisme apparaît à un nombre croissant de spécialistes et d'Etats comme une menace désormais de plus en plus plausible et que l'Union européenne doit prendre en compte impérativement cette question. Il existe une feuille de route pour la mise en œuvre du programme du Conseil et de la Commission, en date du 20 décembre 2002, visant à améliorer la coopération au sein de l'Union dans le domaine de la prévention et de la limitation des conséquences d'une attaque terroriste commise avec des moyens non conventionnels. Mais tous les Etats membres n'ont pas développé de compétences particulières et doté leurs services de protection civile des moyens techniques appropriés pour l'instant. Qu'adviendra-t-il si un événement majeur affecte un ou plusieurs autres Etats ? Une telle question, qui fait intervenir des compétences multiples - services hospitaliers pour accueillir les victimes, services de pharmacie pour fournir les médicaments -, a une réelle dimension politique. L'élaboration d'une stratégie, avec des exercices à grande échelle et une évaluation systématique de sa mise en œuvre, est de nature à convaincre les citoyens des Etats membres de la réalité et de la plus-value de l'Europe.

M. Gijs de Vries a abordé les relations de l'Union européenne avec les pays tiers en insistant sur la nécessiter d'être pragmatique et de coordonner les programmes d'assistance à ces pays auxquels sont consacrées des sommes qui ne cessent de croître. Un processus de rationalisation des programmes d'assistance en matière de lutte contre le financement du terrorisme a déjà débuté dans le cadre du G8 avec son comité du contre-terrorisme, mais ce processus doit inclure à terme tous les Etats de l'Union. Celle-ci doit rationaliser ses relations, et dresser une liste des pays prioritaires avec lesquels un dialogue privilégié doit être conduit. L'Union doit agir en complémentarité avec les autres organisations internationales, voire avec les Etats membres quand ces derniers, par tradition ou par culture, ont des positions fortes. Avec les pays du Maghreb ou d'Asie du Sud Est le dialogue politique et commercial doit comprendre un chapitre « terrorisme » substantiel régulièrement évalué.

Il a insisté sur le rôle fondamental de l'Union dans le domaine de la lutte antiterroriste, qui est d'apporter une valeur ajoutée aux actions engagées par les Etats. Elle doit notamment définir une base juridique qui facilite leurs actions, la coopération entre eux car la lutte opérationnelle contre le terrorisme reste placée avant tout sous leur seule et pleine responsabilité. L'action de l'Union est donc complémentaire de celle des Etats membres.

Il a souligné la nécessité de mener des actions cohérentes, le terrorisme, la criminalité organisée, la prolifération d'armes de destruction massive et les conflits régionaux, ne peuvent être considérés séparément.

Il a rappelé que le Conseil européen avait estimé prioritaire de mettre en œuvre plus rapidement les législations de l'Union et de recourir plus systématiquement aux agences de l'Union. Des délais stricts ont été fixés pour la ratification des conventions telles que celles sur l'entraide judiciaire en matière pénale et son protocole ainsi que le protocole à la convention Europol.

Il a conclu en observant que la lutte contre le terrorisme n'était efficace que sur la base d'une convergence des énergies, des volontés, des déterminations et aussi de mesures concrètes de mise en œuvre effectives rapidement.

Le Président Edouard Balladur a rappelé que la Commission des Affaires étrangères avait adopté les projets de loi autorisant l'approbation de la convention du 29 mai 2000 en matière d'entraide judiciaire, du protocole du 16 octobre 2001 s'y rapportant, ainsi que du protocole du 28 novembre 2002 modifiant le statut d'Europol. Ces textes devraient être prochainement examinés en séance publique par l'Assemblée nationale.

Mme Martine Aurillac a demandé quelle était la durée du mandat confié au coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme et de quels moyens il disposait.

M. Michel Delebarre a souhaité savoir comment s'articulaient les attributions du coordonnateur avec celles des membres du Conseil et de la Commission compétents en matière de lutte contre le terrorisme. Les travaux de la mission d'information sur le terrorisme ont montré que la plupart des personnes intéressées estiment qu'en matière de lutte contre le terrorisme la démarche bilatérale est la plus efficace. Le renforcement d'Europol ou d'Eurojust s'inscrit-il dans une autre perspective ? Quelle attitude adopter à l'égard des Etats qui ne respectent pas leurs engagements vis-à-vis du mandat d'arrêt européen ? Enfin, de quelle capacité d'action l'Union européenne dispose-t-elle face aux mouvements terroristes prêts à utiliser des armes de destruction massive ?

M. Gjis de Vries a apporté les réponses suivantes :

-  le mandat du coordonnateur, comme celui des autres représentants personnels du Secrétaire général, est d'un an, renouvelable sans limite aucune ;

-  les moyens à disposition du coordonnateur sont heureusement limités, car les Etats sont les premiers concernés par la lutte contre le terrorisme et ce sont eux qui disposent des forces de police ou des services de renseignement ;

-  il est difficile pour l'Union européenne de contraindre un Etat à tenir ses engagements en matière pénale ; elle peut lui demander des explications dans le cadre du Conseil Justice et Affaires intérieures ou du Conseil Affaires étrangères, rendre publique la liste des etats qui tardent à remplir leurs obligations, voire, à la limite, saisir la Cour de Justice des Communautés européennes par l'intermédiaire de la Commission ; en tout état de cause, en matière de lutte contre le terrorisme, l'Union a d'abord vocation à faciliter certaines mesures et à encourager les Etats à les prendre, mais pas à leur imposer sa volonté ;

-  la coopération du Conseil et de la Commission est bonne et certaines visites de travail à l'étranger sont organisées de manière commune ; si chacun a ses responsabilités, les deux institutions agissent toutefois de concert ;

-  la dimension bilatérale est très importante, surtout dans le domaine du renseignement ; en outre, en matière opérationnelle, il importe de na pas centraliser à l'excès et de laisser les Etats mener les politiques qu'ils entendent. Mais pour le travail analytique, nous avons besoin d'une action en commun.

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Gjis de Vries et a estimé qu'il jouait un rôle pionnier au sein de l'Union européenne. Il a conclu son propos en s'interrogeant sur les conséquences du projet de constitution européenne en matière de lutte contre le terrorisme, notamment en raison de la désignation d'un ministre des Affaires étrangères de l'Union, siégeant à la fois au Conseil et à la Commission. Enfin, il a estimé que la Commission devait agir à l'encontre de certains Etats ne respectant pas leurs engagements européens, alors même que le risque terroriste va croissant.

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