COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 juin 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jacques Viot, Président de l'Alliance Française


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Audition de M. Jacques Viot, Président de l'Alliance Française

Accueillant M. Jacques Viot, Président de l'Alliance française, le Président Edouard Balladur a rappelé que le réseau des Alliances françaises s'étendait sur les cinq continents, dans plus de 130 pays, et comprenait plus de 1 000 établissements auxquels l'Alliance française de Paris accordait le label « Alliance française ». Il a ajouté que les Alliances françaises, liées, pour les plus importantes d'entre elles, au ministère des Affaires étrangères par des conventions de partenariat et destinataires d'aides de ce dernier, formaient une des composantes essentielles de l'action culturelle extérieure de l'État, avec le réseau des centres culturels. Il a souhaité que soit dressé un bilan de l'action de ce réseau et présentées les actions susceptibles d'être développées afin de lutter contre le recul constant du français. Il s'est également interrogé sur la nécessité, à l'avenir, soit d'étendre, soit, au contraire, de restructurer ce réseau dans une Europe élargie à 25 membres, ainsi que sur les moyens de concilier l'existence du double réseau formé par les Alliances françaises et les centres culturels.

M. Jacques Viot, Président de l'Alliance française, a rappelé que l'année 2004 marquait le 120ème anniversaire de l'Alliance, née de la réunion d'un comité composé d'universitaires, d'écrivains et de diplomates en juillet 1883 et, juridiquement, de l'adoption de statuts en mars 1884. Dans un contexte marqué, à l'époque, par un mouvement de redressement patriotique qui faisait suite à la défaite de 1870, ses fondateurs, pétris d'humanisme, assignaient à l'Alliance française le rôle de « propager la langue française dans les colonies et à l'étranger ». M. Jacques Viot a expliqué que ce tournant décisif dans la politique culturelle internationale de la France s'était vu conforter depuis le discours prononcé à Alger, en 1943, par le général de Gaulle, à l'occasion du soixantième anniversaire de l'Alliance, dans lequel il s'élevait contre l'idée d'une hégémonie culturelle et mettait en avant les vertus de l'échange et de la diversité, et a souligné que cette approche n'avait rien perdu de son actualité. Le président de l'Alliance française a fait valoir que, de même, les modalités de fonctionnement des Alliances, qui s'appuyaient essentiellement sur l'engagement de bénévoles, reposaient sur une formule moderne avant l'heure, dont témoignait la place croissante de la société civile dans le fonctionnement de la société internationale. Ces associations à but non lucratif, de droit local et indépendantes, sont, en effet, créées et gérées par des responsables locaux, animés de sentiments d'amitié pour la France et généralement passionnés de culture française. Dans ce système, l'Alliance française de Paris dispose d'une sorte de droit d'aînesse, approuvant le statut des autres alliances et chargée de vérifier la conformité de leur fonctionnement aux objectifs inscrits dans le statut. La modification, en mars 2000, des statuts de l'Alliance de Paris a conforté son rôle de tête de réseau, la présence, au conseil d'administration de cet établissement, de cinq présidents d'Alliances situées hors de France étant désormais inscrite dans les statuts. Enfin, un colloque annuel se tient à Paris, qui réunit un nombre important de représentants des milliers d'Alliances réparties dans quelque 130 pays.

Si l'enseignement de la langue français reste au cœur du rôle des établissements de l'Alliance française, leurs activités se sont néanmoins diversifiées, au profit d'activités culturelles et artistiques et de la mise à disposition de ressources documentaires sur la francophonie. Ces différents services sont proposés en France, grâce à un réseau d'une trentaine de centres, dont onze d'enseignement, fréquentés par plus de 8 000 étudiants. A l'étranger, ce sont environ 785 établissements qui dispensent un enseignement, fréquentés par 380 000 étudiants, chiffre en hausse de 9 % en 2002 et de 5 % en 2003. M. Jacques Viot a expliqué toutefois que ces résultats encourageants devaient être tempérés par la constatation du recul du français dans de nombreux systèmes éducatifs nationaux étrangers, les Alliances françaises suppléant, dans ce contexte, la défaillance de l'offre éducative nationale. Dans cet ensemble, l'Amérique latine reste le continent le plus actif, avec 133 000 étudiants, dont 33 000 au Mexique, qui accueille le réseau le plus important d'Alliances françaises dans le monde. Mais c'est en Asie et en Eurasie qu'on observe les taux de progression les plus importants du réseau de l'Alliance, l'Inde ayant, par exemple, enregistré une progression de 30 % en 2002. De même, en Europe orientale, de nombreux établissements de l'Alliance française s'implantent, fortement soutenus par les autorités locales. Par ailleurs, s'il est sensible aux aléas politiques et sociaux, le réseau des Alliances françaises se caractérise par une forte capacité d'adaptation, ainsi qu'en témoignent les exemples de Madagascar, de l'Argentine et du Pakistan.

Le Président de l'Alliance française a cependant fait part de son inquiétude quant à l'avenir de la langue française dans l'Union européenne, notamment après son élargissement. Pour faire face à cet enjeu, le centre de Bruxelles, qui porte le nom d'Alliance française-Bruxelles-Europe, fait l'objet d'un soutien dynamique et s'est, notamment, vu doter d'un centre européen de langue française installé en son sein. De même, les centres de Londres, Dublin et Madrid sont très soutenus. En revanche, l'Alliance française de Lisbonne a disparu, au profit de l'Institut français. A cet égard, répondant spécifiquement à l'interrogation soulevée par le Président Édouard Balladur, M. Jacques Viot a précisé qu'autant que possible, les doublons entre centres culturels et alliances françaises étaient évités, le problème se posant toutefois, en pratique, de savoir cas par cas laquelle des deux composantes du réseau culturel français à l'étranger devait disparaître.

Dressant ensuite un tableau de la situation financière du réseau des Alliances françaises, M. Jacques Viot a expliqué que les établissements de l'étranger s'autofinançaient en moyenne environ à hauteur de 75 %, grâce aux droits payés par les étudiants. La subvention du ministère des Affaires étrangères s'élevait, en 2003, à 11 millions d'euros, 3,5 millions d'euros étant en outre dévolus aux investissements immobiliers. En termes humains, l'aide de l'État passe par le détachement de 254 personnes du ministère des affaires étrangères et le financement de 70 volontaires civils. Au total, les subventions budgétaires de l'État - le ministère de l'Éducation nationale participe également - se sont élevées à 41,32 millions d'euros en 2003. Ce sont donc, y compris en matière immobilière, des fonds issus des pays d'établissement qui fournissent l'essentiel du financement du réseau. Par exemple, les investissements immobiliers réalisés par les établissements de Chicago ou de Singapour ont essentiellement fait l'objet d'un financement par fonds privés de mécènes locaux.

L'École internationale de Paris, qui accueille 13 à 14 000 étudiants de 160 nationalités différentes - majoritairement issus des pays européens mais dont le premier contingent extra européen est, depuis 2004, chinois (1 100 étudiants), et non plus américain -, connaît des difficultés financières liées, notamment, à la diminution sensible du nombre des inscriptions en 2003, qu'expliquent la situation internationale ainsi que la concurrence d'écoles privées. M. Jacques Viot a souligné la très forte diminution des crédits budgétaires attribués à cet établissement par le ministère des affaires étrangères depuis 1989, qui ont été divisés par trois pour ne représenter en 2003 que 3,7 % de ses ressources, soit 0,52 millions d'euros sur un budget total de 13,4 millions d'euros. Il a fait valoir que cette évolution n'était pas sans créer des tensions sociales au sein du personnel de l'établissement, en particulier sur la question des négociations salariales, car l'action internationale ne peut être financée en totalité sur les ressources propres de l'établissement parisien.

Le Président de l'Alliance française a ensuite présenté les projets de développement du réseau, en soulignant la priorité accordée dans cet objectif, d'une part, à la Russie, où l'unique centre de Saint-Pétersbourg a été complété depuis trois ans par la création de sept nouveaux établissements, trois étant, en outre, en projet, d'autre part, à la Chine, où, d'un centre il y a dix ans, l'Alliance française est désormais représentée par huit centres qui reçoivent 10 000 étudiants et où plusieurs créations sont prévues, l'ensemble fonctionnant avec le soutien des universités chinoises. Des projets sont également en cours en Allemagne où, comme au Moyen-Orient et au Maghreb d'ailleurs, des raisons historiques expliquent l'absence quasi-totale de l'Alliance française.

Sur le fond, le réseau de l'Alliance française a le souci de s'adapter aux évolutions de la demande, notamment en multipliant les cours de français des affaires, en diversifiant son action au profit d'activités culturelles et de la diffusion des valeurs et des idées de la francophonie, y compris sur des sujets très contemporains ou redevenus d'actualité, tels que la bioéthique, le rapport entre la religion et la politique ou l'écologie.

En conclusion de son propos, M. Jacques Viot a estimé que cet instrument privilégié de l'action culturelle extérieure de la France qu'était le réseau des Alliances françaises ne devait pas pâtir des restrictions budgétaires affectant l'établissement de Paris, essentiel à l'épanouissement de l'Alliance française dans la monde. Il a estimé que l'État français aurait tout intérêt à tirer pleinement parti de l'expérience d'acteurs non gouvernementaux pour développer un réseau porteur d'un puissant sentiment de solidarité avec la France.

Le Président Edouard Balladur a demandé quel était l'âge des étudiants de l'Alliance française. Puis il a souhaité connaître l'avis de M. Jacques Viot à propos de la création, par certaines personnalités, d'un comité visant à défendre l'usage unique et exclusif de la langue française en matière juridique et au niveau européen.

M. Jacques Myard a proposé l'ouverture d'une Alliance française en face de la Banque centrale européenne, faisant allusion au discours prononcé es qualité et en anglais à Strasbourg par M. Jean-Claude Trichet, Président de la BCE, dans l'hémicycle du Conseil de l'Europe. Cet événement mérite une réaction vive et que des mesures soient prises immédiatement.

Soulignant combien il était lamentable qu'un Français s'exprime en anglais dans une instance européenne située sur le territoire français, M. André Schneider a tenu à préciser que la délégation française au Conseil de l'Europe avait, en conséquence, quitté l'hémicycle.

Le Président Edouard Balladur a répondu qu'il s'adresserait personnellement à M. Jean-Claude Trichet, tout en rappelant qu'il s'agissait d'une lutte de tous les jours. Il a ainsi cité l'exemple d'un télégramme diplomatique du ministère des Affaires étrangères datant de 2003, consacré à la position française sur une résolution de l'ONU portant sur l'Irak, et qui était entièrement rédigé en anglais et diffusé tel quel à tous les postes diplomatiques.

M. Jean-Claude Guibal a souhaité savoir si l'Alliance française entretenait des relations, d'une part, avec le ministère de l'Education nationale et les universités françaises, s'agissant notamment de l'accueil des étudiants étrangers, et, d'autre part, avec les médias, et notamment TV5 ou, dans l'avenir, la future chaîne d'information internationale, concernant la diffusion par ces médias de la langue française.

Mme Martine Aurillac s'est intéressée à la situation de l'Alliance française en Amérique du Nord.

M. Didier Julia a souhaité savoir pour quelles raisons il n'y avait pas d'Alliance française au Proche-Orient.

M. Jacques Remiller s'est enquis de l'avenir des établissements culturels en Côte d'Ivoire.

M. Jacques Viot a apporté les éléments de réponse suivants :

- les cours de l'Alliance française s'adressent en priorité à des adultes et l'âge moyen des étudiants, aussi bien à Paris qu'à l'étranger, se situe entre dix-huit et trente ans. Depuis une décennie, les motivations ont beaucoup changé. Par le passé, les étudiants venaient à l'Alliance française pour parfaire leur culture générale, principalement leurs connaissances littéraires. Pour simplifier, aujourd'hui 10 % des étudiants restent attirés par ces objectifs de caractère général et traditionnel et ils sont de plus en plus nombreux à venir pour des raisons pratiques, touristiques ou professionnelles essentiellement ;

- à défaut d'information concernant l'initiative d'un comité pour la défense du français en matière juridique, il demeure que le français garde une position privilégiée dans le domaine juridique, notamment à la Cour de Justice des Communautés européennes. En revanche, son usage dans les autres organes de l'Union européenne est très préoccupant et il faut encourager des initiatives comme la création à Bruxelles du Centre européen de langue française destiné à la formation des personnels européens ;

- le ministère de l'Education nationale est invité à participer au conseil d'administration de l'Alliance française, au même titre que le ministère des Affaires étrangères. Les relations de travail sont étroites avec ce ministère qui prend en charge la rémunération du secrétaire général et de la directrice de l'école de Paris et qui accorde une subvention modique aux actions de formation de l'Alliance française. L'Alliance française de Paris est la seule habilitée, pour Paris, à faire passer le Diplôme d'études en langue française (DELF), certification nationale, en lien étroit avec le Centre d'études pédagogiques de Sèvres, qui en assure l'organisation. Enfin, le lien avec Edufrance est assez naturel du fait de sa mission et l'Alliance française soutient de façon pratique son action à l'étranger en hébergeant ses bureaux. Les représentants des universités quant à eux sont invités aux colloques de l'Alliance française ;

- l'Alliance française veille à entretenir des relations étroites avec les médias, d'abord avec Radio France, dont l'ancien Président, M.  Jean-Marie Cavada, siégeait au conseil d'administration. A cet égard, il n'y a pas d'obstacle juridique à ce qu'il en reste membre. Les relations sont également très concrètes avec TV5 et RFI, dont l'ancien Président, M. Jean-Paul Cluzel, avait pris la parole au cours d'un colloque organisé par l'Alliance française en janvier 2003. Par ailleurs, le statut d'acteur local des Alliances françaises à l'étranger leur permet de demander l'attribution de fréquences au profit de RFI.

- en Amérique du Nord, le réseau de l'Alliance française est important. Au Canada, l'Alliance française est présente dans le Canada anglophone, à Toronto, Winnipeg, Calgary et Vancouver. Ce réseau se porte bien, soutenu par la politique du gouvernement canadien visant à encourager le bilinguisme. Aux Etats-Unis, le réseau est étoffé. En 2003, malgré des relations mouvementées avec ce pays, la demande de français a augmenté. Il faut cependant observer que le nombre d'étudiants aux Etats-Unis est inférieur de moitié à celui du Mexique, avec respectivement 16 000 étudiants contre 32 000. A cet égard, un fait significatif doit être rapporté : la fédération des Alliances françaises avait choisi de commémorer le centenaire de sa création à Paris ;

- l'absence d'Alliance française au Proche-Orient est due à des raisons historiques antérieures au premier conflit mondial. La présence des différentes congrégations religieuses et de la Mission laïque y était très forte. Ses établissements sont complémentaires de ceux de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) dans la mesure où, comme elle, ils scolarisent des enfants français et nationaux. Par ailleurs, une Alliance française n'est jamais créée sans l'accord du gouvernement français. On peut néanmoins signaler la présence de l'Alliance française à Abu Dhabi et à Port-Saïd, qui pourrait laisser espérer un développement de ce mouvement. Deux antennes de l'Alliance française existent également au Maroc. L'Alliance française est également absente de l'Allemagne, là aussi pour des raisons historiques. Avant 1914, elle y était présente en très grand nombre, puis, après la seconde guerre mondiale, le gouvernement français de l'époque avait décidé de créer les centres culturels et les instituts français. Le nombre de ces structures étant actuellement en déclin pour des raisons financières, la possibilité de créer des antennes de l'Alliance française dans ce pays a été évoquée ;

- tout comme au Pakistan, le ministère des Affaires étrangères a souhaité que l'Alliance française de Côte d'Ivoire suspende ses activités pour des raisons de sécurité. Dès que la situation le permettra, elle pourra les relancer. A cet égard, on peut faire observer que la question du rôle de l'Alliance française dans les pays francophones n'est pas dénuée d'intérêt.

Le Président Edouard Balladur a félicité M. Jacques Viot pour la façon dont l'Alliance française assurait le relais des actions de l'Etat, par ailleurs souvent insuffisantes. Si la diffusion du français est affaire de moyens et de réglementation, elle est aussi le résultat d'une volonté politique et des conditions économiques. C'est pourquoi, même si le mouvement du monde n'est pas favorable aux intérêts de la France, il ne faut pas renoncer.

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